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mensuel d’informations économiques et sociales
AVRIL 2013
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ISSN 0296-4449
tait-il des failles et vices intrinsèques qui
expliquent les difcultés actuelles?
Pour analyser cette situation, il faut
revenir aux fondements de la monnaie
unique an de comprendre l’intérêt mais
aussi les limites de la construction d’une
monnaie « européenne » sans véritable
État «européen».
LA GENÈSE DE LA MONNAIE
UNIQUE
Suite à la création de la CECA (Com-
munauté économique du charbon et de
l’acier) en 1951 puis surtout de la CEE
(Communauté économique européenne)
avec le traité de Rome de 1957, l’Europe
des six avait considérablement renforcé
son intégration commerciale. Elle consti-
tuait, depuis le 1erjuillet 1968, une union
douanière, caractérisée par la libre cir-
culation des marchandises et l’existence
d’un tarif extérieur commun. C’est dans
un tel contexte que l’idée d’une monnaie
européenne va se développer en s’ap-
puyant sur deux arguments: faciliter et
promouvoir les échanges entre les États
membres ; s’émanciper de la tutelle du
dollar. Le rapport Barre (1969) puis le plan
Werner (1970) vont alors poser les bases
techniques et politiques d’une union
économique et monétaire. Cette pre-
mière ébauche d’une Europe monétaire
sera nalement enterrée dans les années
L’euro: fondements et fragilités
S’appuyant sur des arguments théoriques pesant
les avantages et les coûts d’une zone monétaire (théorie
des zones monétaires optimales, triangle des incompa-
tibilités), l’euro est aussi un projet qui s’inscrit dans des
contextes économiques et politiques spéciques : celui
des Trente Glorieuses et du SMI de BrettonWoods d’abord,
ensuite celui des années 1980-1990, du renouveau libéral
et de la réunication allemande. Ce dernier va conduire
à des politiques monétaires et budgétaires de règles
«néoclassiques» et un cadre
institutionnel incapablesde
faire face à la montée des
déséquilibres au sein de la
zone et encore moins de
permettre leur résorption.
Evénement historique, « une révo-
lution dans l’ordre économique et
monétaire» [6], l’euro était censé apporter
aux pays membres (tableau1) un supplé-
ment de croissance et d’emploi ainsi
qu’un renforcement de l’unité politique.
Ces promesses semblent aujourd’hui bien
lointaines dans un contexte économique
caractérisé par l’atonie de la croissance
et un niveau élevé de chômage. Pour-
quoi et comment en est-on arrivé là ?
Le projet de monnaie unique compor-
ARNAUD DESHAYES
1970 (chocs pétroliers, stagation). Face
à l’instabilité des changes née de la dislo-
cation du système monétaire internatio-
nal de Bretton Woods (1944-1971), les
Européens vont aménager un système de
changes xes mais ajustables («serpent
monétaire européen» de 1972 à 1978,
système monétaire européen – SME – à
partir de 1979).
Deux événements vont accélérer
la mise en place de la monnaie unique
européenne: la relance du projet euro-
péen dans les années 1980 par Jacques
Delors –président de la Commission eu-
ropéenne de l’époque–, projet fondé sur
la réalisation d’un espace sans frontières
intérieures caractérisé par la libre circu-
lation des marchandises mais aussi des
personnes, des services et des capitaux
(Acte unique, 1986); et la chute du mur
de Berlin (1989), événement politique
qui donnera lieu à un «marchandage»
où les dirigeants allemands s’engageront
à abandonner le mark en échange de
l’aval donné par les Européens à la réuni-
cation allemande (1990) [5].
POURQUOI FAIRE
UNE MONNAIE UNIQUE?
Signé le 7 février 1992, le traité de
Maastricht porte le projet de monnaie
unique. Pour les défenseurs du projet, la
monnaie «unique» était un prolongement
naturel et logique du marché «unique».
Elle était conçue comme un outil visant
à renforcer l’intégration commerciale,
nancière mais aussi politique. Le projet
s’explique aussi par une « solide aver-
sion au ottement des taux de change»
(Pisani-Ferry), celui-ci étant perçu comme
une source d’incertitude préjudiciable à la
croissance économique. Cette incertitude
est bien résumée par P.Artus et I.Gravet:
«Si une entreprise automobile française
exporte vers l’Espagne dans les années
1990, elle peut craindre le risque de déva-
luation de la peseta. […] Pour ne pas se
retrouver avec des capacités de produc-
tion excédentaires, en cas de dévalua-
tion, cette entreprise renonce de ce fait
à produire autant que le marché espa-
gnol pourrait absorber. Ainsi, le risque de
change incite les industriels à restreindre
leurs capacités de production, quitte à
ne pas satisfaire pleinement la demande
potentielle de la zone.» [2]
Le passage à une monnaie unique
trouve également un sens dans le cadre
du «triangle des incompatibilités». Théo-
rie développée dans les années 1960, en
particulier par Robert Mundell (puis par
l’économiste italien Tommaso Padoa-
Schioppa en 1987), elle montre qu’il
n’est pas possible pour un pays de réunir
simultanément la liberté de circulation
des capitaux, l’appartenance à un sys-
tème de parités xes et une autonomie en
matière de politique monétaire (gure).
Si un pays veut des parités xes tout
en gardant l’autonomie de sa politique
monétaire (sommet A du triangle) an de
pouvoir la consacrer librement à des ob-
jectifs internes (lutter contre l’ination,
contre le chômage), il devra, en théorie,
exercer un contrôle strict sur les mou-
vements de capitaux. En l’absence d’un
tel contrôle, en effet, les variations des
taux d’intérêt jouent sur les mouvements
de capitaux et de ce fait sur le cours de
la monnaie (toutes choses égales par ail-
leurs, une hausse des taux d’intérêt favo-
rise des placements – donc des achats
– dans une monnaie d’où son apprécia-
tion; et réciproquement pour une baisse
des taux d’intérêt), ce qui rend impossible
toute stabilité des taux de change. Si un
pays veut par contre conserver l’autono-
mie de sa politique monétaire dans un
cadre où les capitaux sont mobiles (som-
met C du triangle), il doit donc logique-
ment renoncer à la stabilité des changes.
Dans les années 1990, les pays
européens sont dans une situation où
2
TABLEAU1. DATES D’ENTRÉE DANS LE MÉCANISME DE CHANGE EUROPÉEN
ET LA ZONE EURO (*)
1979-1992 1993-1998 Depuis 1999
(MCE II) Adhésion
à l’euro
Allemagne (DEM) 1979 1999
France (FRF) 1979 1999
Italie (ITL) 1979
(jusqu’en 1992) 1996 1999
Danemark (DKK) 1979 1999
Belgique (BEF) 1979 1999
Pays-Bas (NLG) 1979 1999
Irlande (IEP) 1979 1999
Luxembourg (LUF) 1979 1999
Espagne (ESP) 1989 1999
Grande-Bretagne (GBP) 1990
(jusqu’en 1992)
Portugal (PTE) 1992 1999
Autriche (ATS) 1995 1999
Finlande (FIM) 1996 1999
Grèce (GRD) 1998 1999 2001
Estonie (EEK) 2004 2011
Lituanie (LTL) 2004
Slovénie (SIT) 2004 2007
Chypre (CYP) 2005 2008
Malte (MTL) 2005 2008
Slovaquie (SKK) 2005 2009
Lettonie (LVL) 2005
(*) De 1979 à 1992, les marges de uctuation au sein du SME sont de +/-2,25% par rapport à
l’ECU, les exceptions (marges à +/-6%) concernant la lire italienne (jusqu’en 1990), la peseta espa-
gnole, la livre sterling et l’escudo portugais. À partir de 1993 (2août), les marges de uctuation au
sein du SME sont xées à +/-15% par rapport à l’ECU. À partir de 1999, le mécanisme de change
européen (MCE II) impose des marges de uctuation de +/-15% par rapport à l’euro.
l’intégration nancière est en marche
via la libéralisation des mouvements
de capitaux et où les pays tiennent à la
stabilité des changes (SME), ils doivent
donc renoncer à toute liberté en termes
de politique monétaire (sommet B du
triangle). Or, le fonctionnement du SME
était à l’époque asymétrique car les pays
membres xaient leur taux d’intérêt en
fonction de la politique monétaire de
l’Allemagne, pays pivot du système,
gage de crédibilité et de stabilité en
matière monétaire. Ce fonctionnement
impliquait donc, une forme de «vassa-
lisation», de domination de la politique
monétaire allemande, domination dont
les pays membres ont voulu sortir en
mutualisant les décisions monétaires
dans le cadre d’une monnaie unique.
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE
D’UNE UNION MONÉTAIRE
Une union monétaire est un mode
d’intégration économique qui se traduit
par la création de parités totalement xes
entre les différentes monnaies nationales
ou par la disparition des monnaies natio-
nales au prot d’une unité monétaire
commune, ce qui implique une politique
monétaire et de change commune.
Est-il opportun de se passer d’une
variable d’ajustement macroéconomique
comme le taux de change? Soit un pays A
et un pays C: A subit une faible croissance
et une forte montée du chômage, C béné-
cie au contraire d’une forte croissance
et du plein-emploi. On est ici en présence
d’un «choc asymétrique», un choc (grève
générale, éclatement d’une bulle dans le
secteur immobilier…) qui touche certains
pays mais pas d’autres. Lorsque chaque
pays a sa propre monnaie, le pays A peut
dévaluer sa monnaie (en changes xes)
ou adopter des mesures pour qu’elle
se déprécie (en changes ottants) an
d’améliorer sa compétitivité-prix et ainsi
espérer exporter plus vers C et relancer
son économie. Le taux de change sert
ici de variable d’ajustement, d’outil pour
réduire les déséquilibres macroécono-
miques entre les deux nations. Même s’il
n’est pas sans risque (ination importée),
le taux de change est un moyen pour le
pays A d’améliorer sa compétitivité sans
passer par une politique de rigueur ou de
déation salariale (baisse des salaires). La
perte de cet instrument de la politique
économique constitue donc le principal
coût de l’adoption d’une monnaie unique.
Face à ce coût, l’adoption d’une
monnaie unique comporte un certain
nombre d’avantages. Elle élimine de
facto le risque de change, ce qui réduit
l’incertitude et favorise en conséquence
l’échange. Elle permet aussi de réduire
les coûts de transaction qui résultent
de la conversion des monnaies. Dans ces
conditions, la monnaie unique simplie
la gestion de trésorerie des entreprises
travaillant à l’échelle européenne en
allégeant les coûts liés à la gestion simul-
tanée de plusieurs positions en devises.
Dans l’analyse coûts-avantages de
la monnaie unique, la théorie des zones
optimales constitue un support essen-
tiel. Un espace économique composé
d’un groupe de pays forme une zone mo-
nétaire optimale si cet espace a intérêt
à adopter un système de changes xes
entre les pays membres ou à posséder
une monnaie unique, plutôt que de mul-
tiples monnaies entretenant des taux de
change variables. Un certain nombre de
critères permettent de dénir une zone
monétaire «optimale». 3
TABLEAU2. LA THÉORIE DES ZONES MONÉTAIRES OPTIMALES
Critères Mécanismes Références
1. Mobilité
des facteurs
de production
Soit un «choc asymétrique» touchant deux pays. En l’absence de variation du taux de change et
en supposant une rigidité des prix et des salaires à la baisse, la correction du déséquilibre ne peut
être réalisée qu’à travers le déplacement de la main-d’œuvre du pays en récession (hausse du
chômage) vers le pays en expansion (tensions sur le marché du travail).
Mundell (1961)
2. Ouverture
commerciale
Une zone composée de pays qui échangent beaucoup entre eux a intérêt à avoir la même unité
monétaire pour éliminer les incertitudes et risques inhérents aux changes ottants (risque de
change, coûts de transaction).
McKinnon
(1963)
3. Diversication
du tissu productif
Des économies diversiées résisteront mieux à un choc affectant une des branches de l’économie,
précisément en raison des autres points forts de leur structure économique.
Kenen (1969)
4. Intégration
nancière
Une zone monétaire optimale doit aussi être une zone nancièrement intégrée an que les
décits de la balance des transactions courantes de certains pays puissent être nancés plus
facilement (par emprunt) par les excédents courants d’autres pays de la zone.
Ingram (1969)
5. Intégration
budgétaire
En cas de choc asymétrique frappant une région ou un pays, l’existence d’un budget important
pour l’ensemble de l’union (budget fédéral) doit permettre – par le jeu des transferts et des impôts
entre les régions constitutives de l’union monétaire – de redistribuer les ressources de l’union vers
les régions les plus touchées par le ralentissement économique.
Johnson (1970)
6. Homogénéité
des préférences
Le critère 6 est celui des préférences homogènes qui montre qu’une union monétaire est avant
tout un «bien collectif», situation qui suppose, pour fonctionner, que les objectifs de politique
économique des différents gouvernements convergent, notamment en matière d’ination.
Bourguinat
(1973), Cooper
(1977)
Parfaite mobilité des capitaux
Politique monétaire
indépendante
Taux de change xe
A
B C
LE TRIANGLE
DES IMCOMPATIBILITÉS
En s’appuyant sur les critères du
tableau 2, la zone euro s’avère-t-elle
optimale ? Les conditions étaient-elles
remplies pour qu’une partie des pays
européens adopte une monnaie com-
mune? Le critère 2, fondé sur le degré
d’ouverture des pays membres, est assu-
rément le mieux réalisé, les échanges
au sein de la zone euro représentant en
moyenne près de 65 % des débouchés
des pays de la zone euro. Cependant,
deux des critères les plus importants ne
sont pas réalisés: le critère 1 de mobilité
des facteurs de production et le critère5
de l’intégration budgétaire. Même si
l’approfondissement de la crise dans une
partie de l’Europe du Sud (Espagne, Por-
tugal, Grèce) est à l’origine d’un regain
de l’émigration dans ces pays, les obs-
tacles linguistiques, culturels, techniques
(équivalence des diplômes) restent tels –
malgré certains progrès visant à homo-
généiser les parcours d’étude et à favo-
riser la mobilité des étudiants (Erasmus)
– qu’il n’est pas possible de parler d’une
zone monétaire «optimale ». Quant au
critère sur l’intégration budgétaire, la
zone euro ne dispose pas d’un véritable
budget, comme il en existe sur le plan
national, en raison des dissensions qui
traversent les pays membres. La zone
euro est donc une « union monétaire
sans fédéralisme» (P.Artus), le fédéra-
lisme correspondant à la mise en place
de transferts publics de toutes natures
entre les régions d’un pays ou les pays
d’une union économique et monétaire.
Enn, une des causes de la crise de la
zone euro vient d’un phénomène de «re-
nationalisation» de l’épargne (l’épargne
d’une nation est d’abord et avant tout
dirigée vers les besoins en investisse-
ment de cette nation) et d’une disloca-
tion partielle de l’intégration nancière
entre les pays de la zone euro: les pays
ayant un excédent de balance courante
ne recyclant plus leur épargne (en rai-
son des doutes croissants quant à la
solvabilité du débiteur) vers les pays en
décit courant, d’où une crise de balance
des paiements en Grèce, au Portugal, en
Espagne, etc.
Le débat sur l’optimalité de la
zone euro peut aussi être complété en
confrontant la thèse de Krugman sur la
spécialisation, sur la tendance à la pola-
risation des activités au sein d’une zone
monétaire à celle de Frankel et Rose
(1998) concernant le caractère endo-
gène d’une telle zone. Ces derniers font
l’hypothèse que des pays décident de
renforcer leur intégration économique,
nancière et monétaire en se dotant
d’une monnaie unique. Cette intégration
renforcée aura tendance à rapprocher
(à synchroniser) les cycles de ces pays.
Ainsi, deux pays formant une zone mo-
nétaire ont tendance à échanger de plus
en plus, ou à développer des IDE croisés.
L’activité de ces deux pays devient plus
synchrone, les deux pays étant de plus
en plus liés entre eux, ce qui rend ainsi
plus efcace la conduite de la politique
monétaire unique et légitime, ex post,
l’union monétaire. Ce ne sont plus des
critères ex ante qui justient la mise en
place d’une union monétaire, c’est au
contraire le fait de mettre en place une
union monétaire qui est à l’origine de
mécanismes «endogènes» qui légitiment
après-coup l’union monétaire.
Paul Krugman développe au contraire
la thèse selon laquelle l’intégration éco-
nomique, nancière et monétaire permet
aux pays d’exploiter davantage leurs
avantages comparatifs et leurs dotations
factorielles; en conséquence, la produc-
tion se diversie via un processus de spé-
cialisation à l’intérieur de la zone écono-
mique. En raison de cette hétérogénéité
productive, les cycles d’activité ne s’ho-
mogénéisent plus, ils se différencient
et la probabilité de choc asymétrique
se trouve ainsi renforcée. La thèse de
Krugman s’appuie sur l’existence d’un
«effet d’agglomération». Les effets d’ag-
glomération sont essentiellement dus au
fait que les entreprises supportent des
coûts dans leurs transactions quoti-
diennes (interactions, communications)
et qu’elles ont intérêt à se regrouper de
manière à économiser ces coûts et à gé-
nérer des externalités positives. Ce pro-
cessus de différenciation des économies,
imputable à l’exploitation par chaque
pays de ses avantages comparatifs ain-
si qu’aux effets d’agglomération, rend
l’utilisation d’une même monnaie plus
difcile. Si la thèse de Frankel et Rose
est plutôt rassurante, la thèse de Krug-
man rencontre un certain succès depuis
quelques années car, depuis le lancement
de l’euro, il semble bien que les pays de
la zone aient cessé de converger.
UN
POLICY MIX
ORIGINAL
ET DÉFICIENT
La zone euro est, depuis l’origine,
caractérisée par un policy mix original
où coexistent une politique monétaire
supranationale conduite par une banque
centrale indépendante (la BCE) et de mul-
tiples politiques budgétaires nationales.
La politique monétaire est tout
d’abord conduite par une banque cen-
trale indépendante, celle-ci étant un
gage de «crédibilité». Indépendante du
pouvoir politique, la banque centrale
peut mieux se tenir à son objectif de sta-
bilité des prix (2% dans la zone euro),
donc ancrer les anticipations des agents,
alors que les gouvernements auraient
toujours la tentation de revenir sur cet
objectif en faisant de la création moné-
taire, dans le but de relancer (articielle-
ment) l’économie.
Cette stratégie monétaire, inspirée
des travaux de la Nouvelle économie clas-
sique et de la théorie monétariste (pour
la stabilité des prix), a clairement montré
ses limites. Précisons tout d’abord toute
la difculté à conduire une politique
monétaire «unique» pour une zone qui
est hétérogène. Lorsque la situation de
tous les pays de la zone est identique, le
remède est simple: la politique monétaire
cherche à augmenter les taux d’intérêt
lorsque l’économie croît rapidement avec
des tensions inationnistes (surchauffe);
elle les diminue lorsque les menaces d’in-
ation s’éloignent. Mais, dans les cas où
la conjoncture varie selon les pays, la poli-
tique monétaire ne peut plus, par déni-
tion, satisfaire tout le monde.
L’objectif de stabilité des prix pour-
suivi par la BCE est un objectif «moyen»,
calculé pour l’ensemble de la zone euro,
celle-ci étant marquée par une certaine
disparité des taux d’ination (l’ina-
tion étant en moyenne plus forte pour
les pays du sud de la zone euro – Ita-
lie, Espagne, Portugal, Grèce – que pour
les pays du nord – Allemagne, Autriche,
Pays-Bas, etc.). Fort de la stabilité «glo-
bale» des prix dans la zone euro dans les
années 2000 la BCE a conduit une poli-
tique monétaire plutôt accommodante
pour la zone euro dans son ensemble.
Mais les pays du sud de la zone euro, qui
avaient plus d’ination, ont alors béné-
cié de taux d’intérêt réels (taux d’intérêt 4
5
nominal – taux d’ination) faibles, voire
négatifs. C’est le cas de l’Espagne où les
taux d’intérêt réels ont été négatifs de
2004-2005 à 2007-2008. Ces taux ont
alors alimenté une croissance excessive
du crédit et de l’endettement privé, un
dynamisme démesuré de la demande
intérieure par rapport aux capacités de
production, d’où des décits courants et,
dans un pays comme l’Espagne, la forma-
tion d’une bulle immobilière. On voit ici
toute la difculté à mener une politique
monétaire «homogène» pour une zone
partiellement «hétérogène» (ici en ma-
tière d’ination). Focalisée sur l’objectif
de stabilité des prix, la BCE n’a pas assez
pris en compte l’évolution du prix des
actifs, nanciers (actions) comme non
nanciers (logements), dans la conduite
de sa politique monétaire et la forma-
tion de bulles. Elle n’a pas aussi assez
pris en compte la stabilité nancière, la
surveillance du système bancaire, l’excès
de crédit étant à l’origine de l’accumula-
tion de créances douteuses au bilan des
banques, en particulier «systémiques»,
menaçant la stabilité de l’ensemble
du système nancier. C’est pourquoi
l’Europe s’efforce aujourd’hui de mettre
en place une union bancaire, un orga-
nisme de régulation bancaire européen
piloté par la BCE et dont la fonction
serait de surveiller les banques, de les
contraindre à la recapitalisation si né-
cessaire, voire le cas échéant à la faillite,
les épargnants étant indemnisés par la
collectivité.
Du côté de la politique budgétaire,
celle-ci a été marquée par les critères de
convergence xés à Maastricht, critères
réafrmés lors de la signature du pacte de
stabilité et de croissance (1997). Deux des
critères les plus importants sont en lien
avec la politique budgétaire: le décit pu-
blic ne doit pas excéder 3% du PIB (sauf
circonstances exceptionnelles, comme
la crise des subprimes par exemple) et la
dette publique 60% du PIB. Cette straté-
gie budgétaire est typique d’une politique
économique fondée sur des « règles ».
C’est également en vertu d’une «règle »
(le maintien d’un taux d’ination proche
de 2 % dans la zone euro), que la BCE
conduit sa politique monétaire. On parle
de politiques économiques régies par
des « règles » lorsque les responsables
annoncent à l’avance une règle, ou ligne
de conduite, qu’ils s’engagent à respecter,
quoi qu’il advienne. Cette politique peut
être passive (cas de la règle monétariste)
ou active (cas de la règle de Taylor). Au
contraire, les politiques dites «discrétion-
naires» laissent les responsables politiques
libres d’évaluer les situations au cas par
cas et de leur appliquer, sur cette base, les
politiques qui semblent les plus adéquates.
Cette stratégie budgétaire a montré
clairement ses limites. Tout d’abord, cer-
tains pays (dont la France et l’Allemagne)
ont dépassé la limite des 3% de décit
public, au début des années 2000, sans
subir de sanction. Surtout, la stratégie
de la zone euro s’est focalisée sur les
nances publiques en raison des effets
négatifs associés aux « décits publics
excessifs » (hausse des taux d’intérêt,
effet d’éviction de l’investissement pri-
vé, accumulation de dette publique et
problème de solvabilité); or, excepté le
cas grec, la crise dans la zone euro est
surtout venue d’un excès de dette privée.
En 2007, l’Espagne avait un excédent
public de 1,9% du PIB. Elle était donc en
théorie «vertueuse» alors même que la
progression excessive du crédit a alimen-
té un excès de dette privée, la formation
d’une bulle immobilière et d’une struc-
ture productive inadéquate (le secteur
de la construction représentant certaines
années jusqu’à 25 % du PIB !). En Ir-
lande, l’excédent des nances publiques
était de 0,1% du PIB en 2007. Présenté
comme pays modèle, le «tigre celtique»
était donc à l’équilibre alors même que
les banques irlandaises distribuaient des
crédits à un rythme effréné tout en accu-
mulant des créances douteuses. Au nal,
l’État irlandais a été obligé d’engager des
sommes considérables pour sauver son
système bancaire, intervention à l’origine
d’un décit public vertigineux en 2010:
31,3% du PIB!
Les exemples espagnol et irlandais
illustrent les failles de la régulation
conjoncturelle de la zone euro. Le policy
mix était restrictif, incomplet, sous-
estimant des phénomènes comme l’ex-
cès des dettes privées ainsi que l’ina-
tion du prix des actifs. Enn, l’absence
de véritable coordination des politiques
économiques est à regretter au sein de
la zone euro. L’Allemagne a ainsi mené
au début des années 2000 un «jeu non
coopératif» fondé sur la déation sala-
riale et la réforme de son marché du tra-
vail (lois Hartz), stratégie qui a permis de
gagner des parts de marché au détriment
des autres pays européens (France, Italie,
Espagne), tout en pénalisant les expor-
tations de ces pays vers l’Allemagne [1].
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