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En s’appuyant sur les critères du
tableau 2, la zone euro s’avère-t-elle
optimale ? Les conditions étaient-elles
remplies pour qu’une partie des pays
européens adopte une monnaie com-
mune? Le critère 2, fondé sur le degré
d’ouverture des pays membres, est assu-
rément le mieux réalisé, les échanges
au sein de la zone euro représentant en
moyenne près de 65 % des débouchés
des pays de la zone euro. Cependant,
deux des critères les plus importants ne
sont pas réalisés: le critère 1 de mobilité
des facteurs de production et le critère5
de l’intégration budgétaire. Même si
l’approfondissement de la crise dans une
partie de l’Europe du Sud (Espagne, Por-
tugal, Grèce) est à l’origine d’un regain
de l’émigration dans ces pays, les obs-
tacles linguistiques, culturels, techniques
(équivalence des diplômes) restent tels –
malgré certains progrès visant à homo-
généiser les parcours d’étude et à favo-
riser la mobilité des étudiants (Erasmus)
– qu’il n’est pas possible de parler d’une
zone monétaire «optimale ». Quant au
critère sur l’intégration budgétaire, la
zone euro ne dispose pas d’un véritable
budget, comme il en existe sur le plan
national, en raison des dissensions qui
traversent les pays membres. La zone
euro est donc une « union monétaire
sans fédéralisme» (P.Artus), le fédéra-
lisme correspondant à la mise en place
de transferts publics de toutes natures
entre les régions d’un pays ou les pays
d’une union économique et monétaire.
Enn, une des causes de la crise de la
zone euro vient d’un phénomène de «re-
nationalisation» de l’épargne (l’épargne
d’une nation est d’abord et avant tout
dirigée vers les besoins en investisse-
ment de cette nation) et d’une disloca-
tion partielle de l’intégration nancière
entre les pays de la zone euro: les pays
ayant un excédent de balance courante
ne recyclant plus leur épargne (en rai-
son des doutes croissants quant à la
solvabilité du débiteur) vers les pays en
décit courant, d’où une crise de balance
des paiements en Grèce, au Portugal, en
Espagne, etc.
Le débat sur l’optimalité de la
zone euro peut aussi être complété en
confrontant la thèse de Krugman sur la
spécialisation, sur la tendance à la pola-
risation des activités au sein d’une zone
monétaire à celle de Frankel et Rose
(1998) concernant le caractère endo-
gène d’une telle zone. Ces derniers font
l’hypothèse que des pays décident de
renforcer leur intégration économique,
nancière et monétaire en se dotant
d’une monnaie unique. Cette intégration
renforcée aura tendance à rapprocher
(à synchroniser) les cycles de ces pays.
Ainsi, deux pays formant une zone mo-
nétaire ont tendance à échanger de plus
en plus, ou à développer des IDE croisés.
L’activité de ces deux pays devient plus
synchrone, les deux pays étant de plus
en plus liés entre eux, ce qui rend ainsi
plus efcace la conduite de la politique
monétaire unique et légitime, ex post,
l’union monétaire. Ce ne sont plus des
critères ex ante qui justient la mise en
place d’une union monétaire, c’est au
contraire le fait de mettre en place une
union monétaire qui est à l’origine de
mécanismes «endogènes» qui légitiment
après-coup l’union monétaire.
Paul Krugman développe au contraire
la thèse selon laquelle l’intégration éco-
nomique, nancière et monétaire permet
aux pays d’exploiter davantage leurs
avantages comparatifs et leurs dotations
factorielles; en conséquence, la produc-
tion se diversie via un processus de spé-
cialisation à l’intérieur de la zone écono-
mique. En raison de cette hétérogénéité
productive, les cycles d’activité ne s’ho-
mogénéisent plus, ils se différencient
et la probabilité de choc asymétrique
se trouve ainsi renforcée. La thèse de
Krugman s’appuie sur l’existence d’un
«effet d’agglomération». Les effets d’ag-
glomération sont essentiellement dus au
fait que les entreprises supportent des
coûts dans leurs transactions quoti-
diennes (interactions, communications)
et qu’elles ont intérêt à se regrouper de
manière à économiser ces coûts et à gé-
nérer des externalités positives. Ce pro-
cessus de différenciation des économies,
imputable à l’exploitation par chaque
pays de ses avantages comparatifs ain-
si qu’aux effets d’agglomération, rend
l’utilisation d’une même monnaie plus
difcile. Si la thèse de Frankel et Rose
est plutôt rassurante, la thèse de Krug-
man rencontre un certain succès depuis
quelques années car, depuis le lancement
de l’euro, il semble bien que les pays de
la zone aient cessé de converger.
UN
POLICY MIX
ORIGINAL
ET DÉFICIENT
La zone euro est, depuis l’origine,
caractérisée par un policy mix original
où coexistent une politique monétaire
supranationale conduite par une banque
centrale indépendante (la BCE) et de mul-
tiples politiques budgétaires nationales.
La politique monétaire est tout
d’abord conduite par une banque cen-
trale indépendante, celle-ci étant un
gage de «crédibilité». Indépendante du
pouvoir politique, la banque centrale
peut mieux se tenir à son objectif de sta-
bilité des prix (2% dans la zone euro),
donc ancrer les anticipations des agents,
alors que les gouvernements auraient
toujours la tentation de revenir sur cet
objectif en faisant de la création moné-
taire, dans le but de relancer (articielle-
ment) l’économie.
Cette stratégie monétaire, inspirée
des travaux de la Nouvelle économie clas-
sique et de la théorie monétariste (pour
la stabilité des prix), a clairement montré
ses limites. Précisons tout d’abord toute
la difculté à conduire une politique
monétaire «unique» pour une zone qui
est hétérogène. Lorsque la situation de
tous les pays de la zone est identique, le
remède est simple: la politique monétaire
cherche à augmenter les taux d’intérêt
lorsque l’économie croît rapidement avec
des tensions inationnistes (surchauffe);
elle les diminue lorsque les menaces d’in-
ation s’éloignent. Mais, dans les cas où
la conjoncture varie selon les pays, la poli-
tique monétaire ne peut plus, par déni-
tion, satisfaire tout le monde.
L’objectif de stabilité des prix pour-
suivi par la BCE est un objectif «moyen»,
calculé pour l’ensemble de la zone euro,
celle-ci étant marquée par une certaine
disparité des taux d’ination (l’ina-
tion étant en moyenne plus forte pour
les pays du sud de la zone euro – Ita-
lie, Espagne, Portugal, Grèce – que pour
les pays du nord – Allemagne, Autriche,
Pays-Bas, etc.). Fort de la stabilité «glo-
bale» des prix dans la zone euro dans les
années 2000 la BCE a conduit une poli-
tique monétaire plutôt accommodante
pour la zone euro dans son ensemble.
Mais les pays du sud de la zone euro, qui
avaient plus d’ination, ont alors béné-
cié de taux d’intérêt réels (taux d’intérêt 4