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Gilson et Descartes à l’occasion
du centenaire de ‘La liberté chez Descartes et la théologie’
Introduction
La soutenance du doctorat d’Etat d’Étienne Gilson n’a pas clos la discussion de ses deux thèses la
principale sur La liberté chez Descartes et la théologie, la complémentaire qui était un Index scolastico-cartésien.
Leur publication en 1913 constitue une césure dans les fécondes études sur le philosophe français : la
discussion des thèses annonçait déjà ce destin. Les réserves de François Picavet, André Lalande et Henri
Delacroix sur l’Index et celles, plus appuyées, de Victor Delbos sur la thèse principale n’ont pas cessé de
trouver des échos depuis leur soutenance.
Il appartenait aux Centres d’études cartésiennes de Paris-Sorbonne et de l’Université du Salento à
Lecce de parcourir ce siècle pour mesurer combien ces deux livres ont, par leur originalité, profondément
marqué les études cartésiennes. En premier lieu, les débats : Francesco Marrone a retenu celui avec Roland
Dalbiez (1893-1976), qui fut un des maîtres de Paul Ricoeur. En 1929, Dalbiez attaque Gilson sur Les
sources scolastiques de la théorie cartésienne de l’être objectif (« Revue d’histoire de la philosophie », 3, pp.
464-472). L’esse obiectivum peut bien n’être qu’un être de raison pour les thomistes, mais les scotistes ne
le laissent pas tomber dans le pur néantdes étants de raisonet des impossibilia ; Duns Scot, en somme,
avait reconnu aux contenus des idées divines une entité tout à fait semblable à celle que Descartes aurait
attribué, en 1641, aux contenus de la connaissance humaine. La critique de Dalbiez conduira Gilson à
introduire (timidement) le scotisme dans l’horizon doctrinal du XVIIe siècle.
Elargir cette introduction en tenant compte des développements récents autour des courants
doctrinaux et de leur interaction, c’est ce qu’Igor Agostini propose de faire en reprenant et complétant
l’Index scolastico-cartésien. Sa communication repose à frais nouveaux la question des rapprochements et
des inuences, surtout dans le domaine lexical.
Autre échange d’idées, un demi-siècle plus tard, entre Étienne Gilson et le philosophe italien
Augusto Del Noce (1910-1989), dans la correspondance échangée entre les deux hommes (1964-1969)
et étudiée par Giulia Belgioioso. Les questions de Del Noce (et la sortie, en 1965, de son volume sur
Descartes) permettent à Gilson de relire son iter cartésien et d’y apporter des nuances, surtout en fonction
des travaux de son élève Henri Gouhier (et nous trouvons ici des pièces inédites).
Ce qui nous introduit à l’évolution interne de Gilson, non seulement comme historien (et professeur)
de la philosophie, mais comme penseur du réalisme méthodique. Jean-Christophe Bardout, dans sa Note sur
la fonction historique de Descartes dans la défense gilsonienne d’un réalisme thomiste. La « querelle du réalisme »
de 1935-1936 (avec Etienne Gilson et Léon Noël, de Louvain [1878-1955], comme protagonistes) engage
une prise de position sur le cartésianisme, qui joue le rôle d’un ltre pour éprouver les différents réalismes.
Réalisme thomiste et critique de la connaissance (1939) constitue donc, selon une heureuse formule de Bardout,
« un traité du bon usage du cartésianismeen philosophie ».
Comme le montre Delphine Bellis, l’étude gilsonienne des Météores n’est pas seulement un exercice