L`origine des éléments légers : la BiBLe du LiBeB L

Astrophysique et hautes énergies
L’origine des éléments légers :
la BiBLe du LiBeB
La nucléosynthèse des éléments légers, Li, Be et B, est un thème de prédilection
de l’astrophysique nucléaire. Des données nouvelles font apparaître qu’une population de noyaux
énergétiques (au-delà de 10 MeV/nucléon), particulièrement enrichie en C et O et provenant
probablement de l’explosion des étoiles, est à la source de la plus grande partie de ces éléments
légers. Ces noyaux accélérés seraient distincts du rayonnement cosmique galactique.
L’ÉNIGME DES ÉLÉMENTS LÉGERS
L
a chimie a montré que toute
la matière terrestre pouvait
être décrite à l’aide d’un
nombre limité d’atomes distincts (de
l’hydrogène à l’uranium). Comme
l’ont établi les premières observa-
tions spectroscopiques des étoiles,
ce sont ces mêmes éléments chimi-
ques qui composent la matière visi-
ble de l’univers.
Les étoiles sont de véritables
réacteurs nucléaires à confinement
gravitationnel, au cœur desquels
certains éléments sont détruits au
profit d’autres. Cette découverte a
permis d’envisager la question de
l’origine des éléments, la nucléo-
synthèse, qui devait constituer à la
fois un moteur essentiel de la re-
cherche en astrophysique et l’un des
plus remarquables succès des modè-
les de Big Bang. L’enjeu est à la
fois simple et gigantesque. Rendre
compte de l’origine et de l’abon-
dance relative des divers éléments
chimiques dans l’univers.
La formation des premiers élé-
ments, la nucléosynthèse primor-
diale, prend place lors du refroidisse-
ment rapide de l’univers primordial
en expansion, composé essentielle-
ment de protons et de neutrons. Les
fusions successives de ces nucléons
devaient permettre, comme l’avait
suggéré George Gamow dès 1946,
de synthétiser tous les éléments chi-
miques. Il se trouve cependant
qu’aucun noyau comportant 5 ou
8 nucléons n’est stable : leur durée
de vie est respectivement de 10
–21
s
et 10
–16
s. La nucléosynthèse pri-
mordiale dut donc avorter, car une
fois obtenu le noyau d’hélium à
quatre nucléons,
4
He (ou particule
α), ni l’adjonction d’un proton
(4+1=5, instable), ni celle d’un
autre noyau
4
He(4+4=8,instable)
n’étaient possibles. Les noyaux de
deutérium D, hélium
3
He, et lithium
7
Li ne sont produits qu’à l’état de
traces, ce qui ne permet pas l’édifi-
cation de noyaux de masse supé-
rieure à 7. Les réactions à trois
corps
~
a+a+a12 C
!
étant par ailleurs hautement impro-
bables dans les conditions du Big
Bang, la nucléosynthèse primordiale
laisse donc l’univers constitué essen-
tiellement d’hydrogène (~ 76 % en
masse), d’hélium (~ 22 %).
Pour les autres éléments, Fred
Hoyle et ses collaborateurs proposè-
rent, dès la fin des années 50, l’idée
d’une origine stellaire. Cette idée
devait s’avérer correcte pour les
noyaux comportant plus de 12
nucléons (les « métaux », dans le
langage des astrophysiciens). Dans
le cœur des étoiles massives, la den-
sité et la température peuvent en
effet être maintenues à une valeur
suffisamment élevée pendant suffi-
samment longtemps pour que les
réactions à trois corps
~
a+
a+a12 C
!
permettent d’évi-
ter les « noyaux interdits »à5et
8 nucléons, ainsi que les noyaux
fragiles (A = 6 à 11) et de jeter un
pont vers l’édification des noyaux
plus lourds.
Reste alors la classe des éléments
légers et de leurs isotopes, lithium
6
Li et
7
Li, béryllium
9
Be, bore
10
B,
et
11
B, dont l’abondance est très fai-
ble, mais pourtant non nulle. Les
meilleures mesures d’abondances
dans l’environnement galactique
local fournissent des valeurs de
Li/H = 1-2 10
–9
, Be/H = 1-3 10
–11
,
et B/H = 2-8 10
–10
. Ces éléments,
nous l’avons vu, ne sont pas pro-
duits par la nucléosynthèse primor-
diale (sauf le
7
Li, pour partie), ni
même par la nucléosynthèse stel-
laire. Au contraire, leur fragilité est
telle qu’ils sont détruits par les réac-
tions thermonucléaires au sein
des étoiles, à des températures de
quelques millions de degrés.
Quelle est donc leur origine ?
Quelle source peut-on envisager
pour ces éléments, sachant qu’ils ne
peuvent résister longtemps à haute
température ?
LA NUCLÉOSYNTHÈSE SPALLATIVE
C’est au début des années 70 que
fut élaborée par l’école franco-
canadienne, sous l’égide de Hubert
Service d’astrophysique, DAPNIA, DSM
(CEA).
Astronomy Department, Université de
Chicago.
Institut d’astrophysique de Paris
(CNRS).
31
Reeves, une théorie cohérente de
l’origine des éléments légers par un
processus, essentiellement non
thermique, la spallation. Le rôle
principal y est tenu par le rayonne-
ment cosmique, très étudié dans ces
mêmes années tant du point de vue
astrophysique au CEA à Saclay que
du point de vue nucléaire à l’univer-
sité d’Orsay.
De quoi s’agit-il ? Nous savons
que notre galaxie est traversée en
tous sens par de nombreuses parti-
cules de très haute énergie (jusqu’à
10
20
eV), qui constituent ce que l’on
nomme le rayonnement cosmique.
Ce « rayonnement » est en fait
constitué de particules parmi les-
quelles on trouve principalement
des électrons, des protons, des
particules alpha, mais aussi des
noyaux lourds. Comment ont-ils été
accélérés à de telles énergies ? C’est
un problème crucial et encore in-
complètement résolu, mais le rôle
des supernovae y est largement re-
connu. Le mieux compris et sans
doute le plus efficace des mécanis-
mes d’accélération en astrophysique
implique en effet les ondes de choc,
qui peuvent communiquer à quel-
ques particules une énergie cinéti-
que considérable. Or, les supernovae
sont connues pour éjecter de la
matière très largement supersonique
(v10 km/s) dans le milieu interstel-
laire, et engendrer de ce fait des on-
des de choc balayant l’espace.
Les supernovae jouent donc un
double rôle dans l’évolution chi-
mique des galaxies : par l’éjection
dans le milieu interstellaire d’une
matière largement enrichie en mé-
taux issus de la nucléosynthèse stel-
laire, bien sûr, mais aussi par le
biais de l’accélération de noyaux di-
vers jusqu’à des énergies dépassant
les seuils des réactions nucléaires.
Ainsi, lorsque ces noyaux rencon-
trent ceux du milieu interstellaire
(que l’on peut considérer au repos),
des fragmentations nucléaires – en-
core appelées spallations – se pro-
duisent et donnent naissance à de
nouveaux noyaux. Ce processus
spallatif, via le rayonnement cosmi-
que, est donc radicalement différent
de tous les autres mécanismes de
nucléosynthèse, car sa caractéris-
tique principale est d’être non ther-
mique. Aussi, constitue-t-il un des
meilleurs candidats pour expliquer
l’apparition des éléments légers, et
il est de fait au cœur des théories
actuellement communément admi-
ses.
Un lien entre le rayonnement cos-
mique et la production de Li, Be et
B (LiBeB) dans la galaxie est en ef-
fet également suggéré par un fait
observationnel indiscutable : l’abon-
dance relative en LiBeB est de 1 à
100 millions de fois plus élevée
dans le rayonnement cosmique que
dans l’environnement galactique
(voir figure 1) ! Ce fait ne prouve en
aucun cas que l’origine du LiBeB
soit à rechercher directement dans le
rayonnement cosmique, un milliard
de fois plus ténu que le milieu
interstellaire, mais il atteste que des
réactions de spallation ont bel et
bien lieu à l’échelle galactique et
conduisent à la production effective
d’un certain nombre de ces noyaux
légers qui nous concernent ici. La
surabondance du LiBeB dans le
rayonnement cosmique galactique
peut en effet être expliquée par la
brisure « en vol » des noyaux de C,
N et O au cours de leur propagation
dans la galaxie.
Un simple calcul d’ordre de gran-
deur permet de montrer que ce pro-
cessus spallatif est quantitativement
raisonnable. Dans la mesure où le
7
Li connaît également d’autres mo-
des de synthèse, nous nous intéres-
serons plus particulièrement au bé-
ryllium (
9
Be) et au bore (
10
Bet
11
B), qui sont de purs produits de
spallation, obtenus par brisure des
noyaux de carbone, d’azote et
d’oxygène (CNO) sous l’impact des
protons ou des particules αde haute
énergie du rayonnement cosmique.
Prenons un flux de protons rapi-
des, identique à celui mesuré au
voisinage de la Terre (~ 16 protons
cm
–2
.s
–1
). Prenons ensuite l’abon-
dance estimée du CNO
(CNO/H ~ 10
–3
) et référons-nous
enfin aux sections efficaces de spal-
lation produisant le
9
Be, par exem-
ple, mesurées grâce aux accéléra-
teurs de particules (~ 5 mb, soit
5.10
–27
cm
2
). L’âge de la galaxie
Figure 1 - Répartition des éléments chimiques dans le rayonnement cosmique (trait continu) et dans
la matière du système solaire (en noir).
32
étant approximativement de 10
10
ans,
soit environ 3.10
17
secondes, en sup-
posant constant le taux de production
du
9
Be, on obtient l’abondance de cet
isotope rapportée à l’abondance en
hydrogène simplement en multipliant
ces quatre nombres :
9
Be/H =
2.4 10
−11
. Cette valeur est tout à fait
comparable à l’abondance mesurée
dans les météorites et les étoiles pro-
ches, de l’ordre de 1.4 10
−11
. Pour les
autres isotopes, le calcul est identi-
que, de sorte que les différences
d’abondance découlent simplement
des différences de valeur (et de
forme, pour les énergies plus basses)
des sections efficaces de spallation.
Une petite subtilité mérite cepen-
dant notre attention. Nous avons en-
visagé jusqu’ici l’interaction des
protons rapides (ou des particules α)
du rayonnement cosmique avec les
métaux (CNO) au repos dans le mi-
lieu interstellaire (processus « di-
rect »). Mais bien évidemment, les
noyaux de CNO du rayonnement
cosmique conduisent exactement
aux mêmes réactions de spallation
sur les protons et les particules αdu
milieu interstellaire (processus « in-
verse »), avec une efficacité exacte-
ment égale pour une même vitesse
du projectile. Pourtant, ces deux
processus symétriques ne se soldent
pas par le même bilan chimique à
l’échelle de la galaxie. La raison en
est simple : les produits de réactions
sont approximativement au repos
dans le référentiel des noyaux pères
les plus lourds (comme lors de la
collision d’une boule et d’un co-
chonnet !). Ainsi, dans le cas direct
(p et αrapides sur CNO au repos),
les éléments légers restent sur place,
et contribuent de ce fait à l’enrichis-
sement de la galaxie, tandis que
dans le cas inverse, ils sont intégrés
au rayonnement cosmique et finis-
sent, pour la plupart, par s’échapper
hors de la galaxie. Meneguzzi,
Audouze et Reeves ont ainsi montré
dès 1971 que le processus « in-
verse » ne contribuait qu’à hauteur
de 20 % à l’enrichissement galacti-
que en béryllium et en bore galacti-
que, tout entier attribué à ce mé-
canisme de spallation (direct
et inverse) lié au rayonnement
cosmique.
L’ÉVOLUTION DE L’ABONDANCE EN
NOYAUX LÉGERS
Nous disposons donc d’un mo-
dèle capable de fournir des abon-
dances convenables en Be et en B à
la fois dans la galaxie et dans le
rayonnement cosmique. Mais dans
notre calcul d’ordre de grandeur,
nous avons considéré que les abon-
dances en C, N et O ainsi que les
flux de particules de haute énergie
étaient constants sur toute la durée
de la vie de notre galaxie. Cette hy-
pothèse est évidemment grossière,
et nous pouvons la reconsidérer afin
d’obtenir des informations sur
l’évolution temporelle des abondan-
ces en éléments légers. Un tel tra-
vail fut mené avec soin dans les an-
nées 80, principalement à l’Institut
d’astrophysique de Paris, grâce à
l’utilisation couplée d’un modèle
détaillé d’évolution chimique au
sein de la galaxie, et d’un modèle
de nucléosynthèse spallative. Sans
entrer dans les détails, nous pou-
vons voir comment il est possible
d’obtenir facilement un résultat cru-
cial.
Rappelons que l’évolution chimi-
que galactique procède par recycla-
ges successifs des matériaux synthé-
tisés dans les étoiles. Les premières
étoiles se forment par condensation
du gaz issu de la nucléosynthèse
primordiale (donc dépourvu de mé-
taux). Puis se met en place la nu-
cléosynthèse stellaire, de sorte que
les étoiles s’enrichissent en évo-
luant. Les plus massives évoluent le
plus rapidement, et à la fin de leur
vie, ces étoiles rejettent dans le mi-
lieu interstellaire une grande partie
de leur matière enrichie en métaux,
soit par vent stellaire, soit lors de
leur explosion en supernova. Les
étoiles qui se formeront ensuite à
partir de ce gaz enrichi auront donc
une métallicité (abondance en mé-
taux) plus grande, et ainsi de suite,
de génération en génération. La me-
sure de la métallicité d’une étoile
constitue donc une mesure de son
âge, au sens de l’évolution chimique
(cette évolution n’est cependant pas
linéaire). Ces quelques considéra-
tions suffisent pour évaluer l’évolu-
tion des abondances en Be et en B
au sein de la galaxie, l’évolution de-
vant être entendue ici au sens de
l’âge chimique, dont le traceur légi-
time est la métallicité des étoiles.
Nous avons besoin de deux ingré-
dients : l’abondance en CNO (mé-
tallicité, notée Z) et le flux de
rayons cosmiques, Φ, à chaque
« instant chimique ». Les étoiles
massives sont les principales res-
ponsables de l’enrichissement chi-
mique galactique et ce sont elles qui
donnent lieu aux explosions de
supernovae. Il est donc légitime
de poser que la métallicité du gaz
interstellaire à l’instant t est propor-
tionnelle au nombre de supernovae
ayant explosé dans la galaxie avant
cet instant. Notons SN(t) ce nom-
bre. Le taux de formation de béryl-
lium (par exemple) à l’instant t est
donc donné comme précédemment
par le produit des sections efficaces
de spallation de p et αsur CNO, de
la métallicité Z(t) SN(t), et du
flux de rayons cosmiques Φ. C’est
là que se manifeste de manière dé-
cisive le second rôle des supernovae
− leur rôle dynamique. Les superno-
vae, nous l’avons vu, sont en effet
responsables en grande partie de
l’accélération des rayons cosmiques,
par l’intermédiaire des ondes de
choc qu’elles génèrent dans le mi-
lieu interstellaire. Aussi, pouvons-
nous écrire que le flux de rayons
cosmiques à l’instant t est propor-
tionnel au taux d’explosions de
supernovae, dSN/dt.
Nous avons donc finalement :
d
~
Be/H
!
/dtZ
~
t
!
.U
~
t
!
SN
~
t
!
. dSN
~
t
!
/dt
avec une intégration immédiate don-
nant :
~
Be/H
!~
t
!
SN
~
t
!
2Z
~
t
!
2
Astrophysique et hautes énergies
33
Voilà une prédiction importante et
relativement incontournable : l’abon-
dance en Be est proportionnelle au
carré de la métallicité. Il suffit donc,
pour tester le modèle, de mesurer
cette abondance à la surface des
étoiles de métallicités, et donc
d’âges variés. L’abondance de sur-
face porte en effet témoignage de
l’abondance du milieu interstellaire
au moment de la formation de
l’étoile, sa surface n’étant pas affec-
tée par les réactions nucléaires cen-
trales. Cette tâche est néanmoins
particulièrement délicate, du fait de
l’extrême rareté des éléments légers.
Les premières mesures de Be dans
des étoiles, environ dix fois plus
pauvres en fer que le Soleil, bien
qu’incertaines, ne semblent pas
contredire la prédiction. Seul l’iso-
tope
11
B se trouve sous-produit et
pose donc problème : le rapport
11
B/
10
B est observé autour de 4,
alors que le rayonnement cosmique
relativiste ne l’établit qu’aux envi-
rons de 2,4. On peut toutefois le ré-
concilier avec le modèle général en
invoquant la présence d’un intense
flux de protons de basse énergie
(<100 MeV). Cette hypothèse sem-
ble bien sûr artificielle, mais elle ne
peut pas être écartée sur la base de
l’observation, car les protons de
basse énergie du rayonnement cos-
mique ne sont pas observables au
voisinage terrestre, en raison de
l’influence répulsive du vent solaire.
Cette théorie de l’origine des
éléments légers a été considérée
comme satisfaisante jusqu’au début
des années 90, où l’on parvint pour
la première fois à mesurer l’abon-
dance du béryllium et du bore dans
des étoiles beaucoup plus anciennes
(notamment au sens chimique) que
le Soleil : les étoiles antiques du
halo de notre galaxie, cent à mille
fois plus pauvres en fer que notre
étoile.
LA CONTRADICTION DU HALO
GALACTIQUE
Ces nouvelles observations al-
laient contredire l’une des prédic-
tions les plus fondamentales du mo-
dèle canonique : la proportionnalité
entre l’abondance en Be et en B et
le carré de la métallicité. Elles fu-
rent d’autant plus délicates à mener
à bien que la luminosité des étoiles
pauvres en métaux est faible et il
fallut attendre la mise en service ré-
cente des télescopes les plus perfor-
mants (télescope KECK de 10 mè-
tres de diamètre et télescope spatial
Hubble) pour pouvoir les réaliser.
Le béryllium peut être détecté grâce
à ses raies de résonance aux
longueurs d’onde de 3 130 Å et
3 131 Å, très proches de la « cou-
pure atmosphérique » et nécessitant
de ce fait un lieu d’observation
élevé (le KECK, plus grand téles-
cope du monde, est installé à
Hawaii, au sommet du Mauna Kea,
à 4 200 mètres d’altitude). Le bore,
lui, est détecté dans l’ultraviolet par
l’intermédiaire d’un doublet de raies
à 2 500 Å, au moyen du télescope
spatial Hubble.
Le résultat de ces mesures, porté
sur un graphique où est représenté
le logarithme du rapport Be/H ou
B/H en fonction du logarithme de la
métallicité (mesurée par exemple
par le rapport O/H ou Fe/H), révèle,
avec une très bonne précision, une
droite de pente 1, et non pas 2
comme le prévoit la théorie (voir fi-
gure 2) ! Et cela, maintenant sur
trois ordres de grandeur en métalli-
cité, c’est-à-dire pratiquement sur
toute l’histoire chimique de notre
galaxie. Dans le même temps, le
problème posé par le
11
B restait tou-
jours en suspens et n’avait pu être
résolu qu’au moyen d’une hypo-
thèse ad hoc, peu convaincante
d’une surabondance de particules de
basse énergie. Telle était la situation
en 1993 lorsqu’une découverte
étonnante nous mit sur la voie d’une
solution commune à ces deux
problèmes.
LES ORIONIDES, CLE
´DE L’ÉNIGME
En 1993, le satellite américain
CGRO (acronyme de Compton
Gamma Ray Observatory) détecta
Figure 2 - Evolution du Be et du B. Les courbes indiquent le résultat du calcul effectué à l’aide du
modèle d’évolution galactique de l’IAP. B : Duncan et al., 1996 ; Be : Boosgaerd 1996 (triangles) et
Primas 1996 (carrés) à l’aide de deux méthodes différentes. Les masses totales de LiBeB produites
par Orion ont été normalisées de façon à obtenir les abondances solaires à l’époque de sa formation.
34
un flux intense de rayons gamma
d’une énergie de quelques MeV en
provenance du complexe molécu-
laire d’Orion, ce vaste nuage de gaz
situé à environ 500 années-lumière
du Soleil, très riche en étoiles mas-
sives, et siège d’une intense activité
de formation d’étoiles. Ce rayonne-
ment gamma fut identifié comme la
signature de processus nucléaires
conduisant à l’excitation de noyaux
12
Cet
16
O, puis à l’émission de
photons de désexcitation d’énergie
4.44 MeV et 6.13 MeV, respective-
ment. Seul un flux important de par-
ticules accélérées, interagissant avec
la matière composant la nébuleuse
d’Orion, pouvait rendre compte
d’une émission aussi intense. Or, les
observations gamma à plus haute
énergie (30 MeV à 10 GeV) réali-
sées par le même satellite n’indi-
quaient pas de renforcement particu-
lier du rayonnement cosmique dans
Orion.
Les particules responsables des
excitations nucléaires devaient donc
nécessairement constituer une com-
posante distincte du rayonnement
cosmique, limitée aux basses éner-
gies. En particulier, leur énergie ne
doit pas excéder les seuils de pro-
duction effective des pions Π
0
par
la réaction p + p (quelques centaines
de MeV), lesquels se désintégre-
raient chacun en deux rayons
gamma de haute énergie. Or, une
telle composante de basse énergie
semblait précisément déjà requise
par l’abondance élevée en
11
B. Son
existence n’est donc plus postulée,
sans autre précision, pour les be-
soins de la cause théorique, mais
démontrée cette fois-ci par l’ob-
servation elle-même. Le satellite
CGRO « voit » pour ainsi dire en
direct cette composante via les pho-
tons de désexcitation nucléaire. Et
sa composition s’avère différente de
celle qui avait été postulée.
Les régions de formation d’étoi-
les de type Orion sont nombreuses,
et ce que nous voyons ici n’est vrai-
semblablement que l’exemple local
d’un processus très général. Que
nous apprend donc le spectre
de photons gamma mesuré par
CGRO ? Trois choses essentielles.
D’abord, nous l’avons vu, que le
flux de particules accélérées est li-
mité aux basses énergies. Ensuite,
qu’il est quasiment dépourvu de
protons (pourtant très largement ma-
joritaires dans le milieu inter-
stellaire),sansquoidesraiesdedésex-
citation d’autres éléments abondants
(Fe, Ne...) excités par ces protons
seraient détectables, ce qui n’est pas
le cas. Enfin, puisqu’elles forment
une composante distincte du rayon-
nement cosmique relativiste, que
ces particules ont été accélérées
dans le complexe d’Orion lui-
même, et qu’elles y sont largement
confinées. Un événement typique,
capable de répondre à l’ensemble de
ces contraintes, est l’explosion
d’une supernova très massive (dont
le progéniteur a une masse de l’or-
dre de 60 fois celle du Soleil).
En effet, seules les étoiles les
plus massives vivent suffisamment
peu de temps (quelques millions
d’années) pour exploser dans le
nuage même qui leur a donné nais-
sance. Les autres finissent par sortir
du nuage, et ne peuvent alors satis-
faire à la troisième des exigences
mentionnées ci-dessus. Cette hypo-
thèse est particulièrement séduisante
car les étoiles très massives sont
précisément les seules à pouvoir
éjecter à grande vitesse de la ma-
tière dépourvue d’hydrogène, c’est-
à-dire de protons. En effet, ces étoi-
les perdent énormément de masse
tout au long de leur vie, en raison
de la force des vents qu’elles entre-
tiennent. Ceux-ci expulsent les unes
après les autres les couches les plus
externes de l’étoile, découvrant tou-
jours plus profondément le cœur où
s’est déroulée la combustion de
l’hydrogène (en hélium et en azote),
puis de l’hélium (en carbone et en
oxygène). Au moment de leur ex-
plosion, ces étoiles (qui se présen-
tent à l’observateur comme des étoi-
les dites Wolf-Rayet de type N ou
C : WN ou WC) projettent donc à
haute vitesse une matière extrême-
ment enrichie en C et O. Une légère
ré-accélération suffit alors à porter
ces précieux noyaux aux énergies
propices (10 à 30 MeV/nucléon) à
la production de LiBeB par frag-
mentation sur les noyaux H et He
du milieu ambiant.
Suivant une suggestion de Hubert
Reeves, nous désignerons par
« Orionides » cette composante non
thermique de particules accélérées,
ainsi que le processus nucléosynthé-
tique qu’elles engendrent. Ces Orio-
nides se distinguent donc du rayon-
nement cosmique galactique à la
fois par l’énergie (plus faible), la
composition (riche en C et O, pau-
vre en H), et le confinement (limité
à la région de formation d’étoiles
massives). Ce processus est parallè-
lement un bon candidat pour la ré-
solution du problème du
11
B, et le
calcul détaillé des taux de produc-
tion le confirme. Mais la meilleure
réussite de cette approche est la pré-
diction, d’une manière tout à fait
naturelle, d’une corrélation linéaire
(de pente 1) entre les abondances en
Be et en B et la métallicité des étoi-
les (figure 2). Le processus nu-
cléaire fondamental est bien entendu
toujours la spallation. Mais cette
fois-ci, ce sont les noyaux C et O
directement éjectés par la supernova
explosant dans le nuage qui, après
une légère ré-accélération, se brisent
sur l’hydrogène et l’hélium am-
biants. Ainsi, chaque supernova suf-
fisamment massive pour répondre à
tous les critères produit un nombre
déterminé d’atomes d’éléments lé-
gers, quelle que soit la métallicité
environnante, c’est-à-dire indépen-
damment d’un enrichissement préa-
lable du milieu interstellaire. Le
processus est donc fondamentale-
ment primaire : chaque supernova
accroît linéairement et parallèlement
l’abondance en LiBeB et en élé-
ments lourds. L’aptitude des Orioni-
des à reproduire l’ensemble
des contraintes observationnelles
concernant l’abondance des élé-
ments légers dans la galaxie, mais
aussi leur évolution, est illustrée sur
la figure 2. Aucun autre modèle
connu ne peut parvenir à un tel
accord.
Astrophysique et hautes énergies
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L`origine des éléments légers : la BiBLe du LiBeB L

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