
un flux intense de rayons gamma
d’une énergie de quelques MeV en
provenance du complexe molécu-
laire d’Orion, ce vaste nuage de gaz
situé à environ 500 années-lumière
du Soleil, très riche en étoiles mas-
sives, et siège d’une intense activité
de formation d’étoiles. Ce rayonne-
ment gamma fut identifié comme la
signature de processus nucléaires
conduisant à l’excitation de noyaux
12
Cet
16
O, puis à l’émission de
photons de désexcitation d’énergie
4.44 MeV et 6.13 MeV, respective-
ment. Seul un flux important de par-
ticules accélérées, interagissant avec
la matière composant la nébuleuse
d’Orion, pouvait rendre compte
d’une émission aussi intense. Or, les
observations gamma à plus haute
énergie (30 MeV à 10 GeV) réali-
sées par le même satellite n’indi-
quaient pas de renforcement particu-
lier du rayonnement cosmique dans
Orion.
Les particules responsables des
excitations nucléaires devaient donc
nécessairement constituer une com-
posante distincte du rayonnement
cosmique, limitée aux basses éner-
gies. En particulier, leur énergie ne
doit pas excéder les seuils de pro-
duction effective des pions Π
0
par
la réaction p + p (quelques centaines
de MeV), lesquels se désintégre-
raient chacun en deux rayons
gamma de haute énergie. Or, une
telle composante de basse énergie
semblait précisément déjà requise
par l’abondance élevée en
11
B. Son
existence n’est donc plus postulée,
sans autre précision, pour les be-
soins de la cause théorique, mais
démontrée cette fois-ci par l’ob-
servation elle-même. Le satellite
CGRO « voit » pour ainsi dire en
direct cette composante via les pho-
tons de désexcitation nucléaire. Et
sa composition s’avère différente de
celle qui avait été postulée.
Les régions de formation d’étoi-
les de type Orion sont nombreuses,
et ce que nous voyons ici n’est vrai-
semblablement que l’exemple local
d’un processus très général. Que
nous apprend donc le spectre
de photons gamma mesuré par
CGRO ? Trois choses essentielles.
D’abord, nous l’avons vu, que le
flux de particules accélérées est li-
mité aux basses énergies. Ensuite,
qu’il est quasiment dépourvu de
protons (pourtant très largement ma-
joritaires dans le milieu inter-
stellaire),sansquoidesraiesdedésex-
citation d’autres éléments abondants
(Fe, Ne...) excités par ces protons
seraient détectables, ce qui n’est pas
le cas. Enfin, puisqu’elles forment
une composante distincte du rayon-
nement cosmique relativiste, que
ces particules ont été accélérées
dans le complexe d’Orion lui-
même, et qu’elles y sont largement
confinées. Un événement typique,
capable de répondre à l’ensemble de
ces contraintes, est l’explosion
d’une supernova très massive (dont
le progéniteur a une masse de l’or-
dre de 60 fois celle du Soleil).
En effet, seules les étoiles les
plus massives vivent suffisamment
peu de temps (quelques millions
d’années) pour exploser dans le
nuage même qui leur a donné nais-
sance. Les autres finissent par sortir
du nuage, et ne peuvent alors satis-
faire à la troisième des exigences
mentionnées ci-dessus. Cette hypo-
thèse est particulièrement séduisante
car les étoiles très massives sont
précisément les seules à pouvoir
éjecter à grande vitesse de la ma-
tière dépourvue d’hydrogène, c’est-
à-dire de protons. En effet, ces étoi-
les perdent énormément de masse
tout au long de leur vie, en raison
de la force des vents qu’elles entre-
tiennent. Ceux-ci expulsent les unes
après les autres les couches les plus
externes de l’étoile, découvrant tou-
jours plus profondément le cœur où
s’est déroulée la combustion de
l’hydrogène (en hélium et en azote),
puis de l’hélium (en carbone et en
oxygène). Au moment de leur ex-
plosion, ces étoiles (qui se présen-
tent à l’observateur comme des étoi-
les dites Wolf-Rayet de type N ou
C : WN ou WC) projettent donc à
haute vitesse une matière extrême-
ment enrichie en C et O. Une légère
ré-accélération suffit alors à porter
ces précieux noyaux aux énergies
propices (10 à 30 MeV/nucléon) à
la production de LiBeB par frag-
mentation sur les noyaux H et He
du milieu ambiant.
Suivant une suggestion de Hubert
Reeves, nous désignerons par
« Orionides » cette composante non
thermique de particules accélérées,
ainsi que le processus nucléosynthé-
tique qu’elles engendrent. Ces Orio-
nides se distinguent donc du rayon-
nement cosmique galactique à la
fois par l’énergie (plus faible), la
composition (riche en C et O, pau-
vre en H), et le confinement (limité
à la région de formation d’étoiles
massives). Ce processus est parallè-
lement un bon candidat pour la ré-
solution du problème du
11
B, et le
calcul détaillé des taux de produc-
tion le confirme. Mais la meilleure
réussite de cette approche est la pré-
diction, d’une manière tout à fait
naturelle, d’une corrélation linéaire
(de pente 1) entre les abondances en
Be et en B et la métallicité des étoi-
les (figure 2). Le processus nu-
cléaire fondamental est bien entendu
toujours la spallation. Mais cette
fois-ci, ce sont les noyaux C et O
directement éjectés par la supernova
explosant dans le nuage qui, après
une légère ré-accélération, se brisent
sur l’hydrogène et l’hélium am-
biants. Ainsi, chaque supernova suf-
fisamment massive pour répondre à
tous les critères produit un nombre
déterminé d’atomes d’éléments lé-
gers, quelle que soit la métallicité
environnante, c’est-à-dire indépen-
damment d’un enrichissement préa-
lable du milieu interstellaire. Le
processus est donc fondamentale-
ment primaire : chaque supernova
accroît linéairement et parallèlement
l’abondance en LiBeB et en élé-
ments lourds. L’aptitude des Orioni-
des à reproduire l’ensemble
des contraintes observationnelles
concernant l’abondance des élé-
ments légers dans la galaxie, mais
aussi leur évolution, est illustrée sur
la figure 2. Aucun autre modèle
connu ne peut parvenir à un tel
accord.
Astrophysique et hautes énergies
35