Destinées françaises du marxisme
Extrait du site de la Fondation Gabriel Péri
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Destinées françaises du
marxisme
Eric Puisais, Philosophe.
Emmanuel Chubilleau, Philosophe.
Fondation Gabriel Péri
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Destinées françaises du marxisme
Intervention de Eric Puisais et Emmanuel Chubilleau, philosophes, lors de la rencontre
philosophique du 20 mai 2005.
Son actualité conférerait-elle une supériorité à une pensée philosophique ? Si l'on en croit Hegel - mais faut-il l'en
croire ? - la philosophie vient toujours trop tard ; elle n'apparaît que lorsqu'une époque à achevé de vieillir. En ce
sens, il y aurait une contradiction à chercher dans une philosophie du passé - ou dans le passé d'une philosophie -
les éléments qui nous permettraient de penser notre propre monde ; nous pourrions nous contenter d'attendre.
S'il en va ainsi du point de vue d'une philosophie qui cherche à interpréter le monde, qu'en est-il de celle qui se
propose de le transformer ? Pour transformer le monde conformément à ses vues, il convient d'abord de
convenablement l'interpréter ; ainsi cette philosophie remettra certainement la dialectique sur ses pieds, et, la tête
haute, elle partira courir le monde. Qu'il marche sur la tête ou sur les pieds, l'homme qui marche, s'il n'est pas tout à
fait le même homme... du moins marche-t-il.
C'est, pour notre part, de la longue marche du marxisme en France dont nous parlerons.
Marx, on le sait, s'est adressé aux français. Il s'intéressait aux événements qui, de son temps, se déroulaient en
France. Ses ?uvres ont été traduites en français assez tôt, et le Capital édité en fascicules a permis une diffusion
auprès du public qui lui importait : le public ouvrier. Marx a bénéficié d'une réception populaire avant que l'université
ne s'intéresse à sa pensée. En cela, il a un destin assez proche de celui de Hegel. Les « cantines du Nord » ont
trouvé en Hegel et en Marx des sources d'inspiration pour l'action...
C'est bien plus tard que Marx put entrer dans l'université, et, relativement à la précocité de sa réception « profane »,
celle des spécialistes, la réception « savante » apparaît de façon très tardive, parcellaire - et l'on peut se demander
si ce n'est pas justement cette réception savante qui, aux yeux de Marx, aurait paru profane !
Mais cette histoire de la pénétration, du développement, des destinées françaises du marxisme est-elle un objet
actuel d'étude ? Ce qui semble actuel, ce qui attire, du moins, une foule de lecteurs et de chercheurs, ce sont plutôt
les pensées de Foucault, Deleuze, Derrida, Rorty, Ric ?ur... des penseurs dont les préoccupations sont assez
éloignées de ce qu'a été le marxisme dans l'histoire. L'idéologie de la rupture, encore une fois, prime sur des études
qui cherchent à comprendre les continuités dans l'histoire des doctrines. De ce côté, l'histoire du destin français de l'
?uvre de Marx ne fera pas la une ! Du côté des études marxistes elles-mêmes, tout cela semble relever d'un intérêt
marginal, le marxisme aurait une plus grande actualité en confrontant ses concepts aux problèmes économiques, à
la mondialisation... Son « historique » passera pour un divertissement d'érudits dés ?uvrés.
Mais, sans présumer des résultats d'une recherche collective qui débute, le rapport entre ce projet et notre «
actualité » ne se veut pas secondaire.
En tentant de saisir ce qui s'est produit dans ce destin bien particulier du marxisme en France, on peut saisir la
diversité du marxisme, ou des marxismes, ce qui a pu provoquer, par exemple, « l'autophobie » ou le déclin religieux
que déplore Domenico Losurdo ; on décortique cet étrange rituel qui consiste, avant tout discours sur Marx, à
précautionneusement dire de quel marxisme on ne se revendique pas.
En effet, tout se passe comme s'il y avait à la marge du marxisme, un grand Autre qu'il s'agirait de conjurer. Tout un
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pan, de son histoire en France a consisté en cette dénégation : n'est-on pas allé jusqu'à opposé maladroitement «
marxisme vulgaire » et marxisme « savant » ? Ce n'est là que l'un des visages de ce Grand Autre, et il ne s'agit pas
d'atténuer la nécessaire part critique de ce travail... Le terme de « destinées » convient mieux que celui de «
réception » : il suppose qu'une pensée n'entre pas dans un réceptacle vide, passif ; le lieu dans lequel se produit la
rencontre exerce ses déterminations, imprime sa marque, et notre époque imprime aussi la sienne, comme chacune
de celles qui ont précédée. Ce terme de destinées embrasse aussi, par conséquent, notre condition présente. Ce
sont précisément ces marques, ces déterminations propre à l'actualité de chaque époque dont il convient de
s'emparer, pour que notre étude ne se contente pas d'exhumer, même religieusement, bandelette après bandelette
ce qui, sous les lourds sarcophages de dévotion et de haine, n'apparaîtrait plus que comme une momie...Ce travail
ne consiste pas à s'enfouir dans les méandres du souterrain de l'histoire de la philosophie pour y chercher Marx et
s'exclamer devant lui : « Bien creusé, vieille taupe » !
Le spectre pourrait rester muet.
Pour éprouver la force et la vitalité du marxisme aujourd'hui, il faut éprouver comment, en quelle mesure il a su, à
l'instar de quelques rares pensées dans l'histoire, se maintenir à travers ses inégales réfractions, au gré de ses
fortunes contrariées. C'est-à-dire chercher à savoir en quelles conditions (« actuelles », si l'on y tient) nous pouvons
être marxistes encore, de quel marxisme possible nous serons les hôtes passagers, en raison même d'une pensée
qui, misant sur ses conséquences historiques, se trouve plus étroitement solidaire qu'aucune autre du devenir
collectif de ceux qui s'en revendiquent.
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