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Revenu National et Comptabilité Environnementale
Chapitre 8 du manuel « Environmental and Natural Resource Economics :
A Contemporary Approach, 3rd Edition »
de Jonathan Harris et Brian Roach, M.E. Sharpe, 2013.
Traduit de l’Anglais par Philippe Bartholin et Anne-Marie Codur
8.1 Rendre les comptabilités nationales écologiquement responsables
Prendre au sérieux le capital naturel et la qualité environnementale à un impact
important sur la manière dont nous évaluons le revenu national et le bien-être.
Pouvons-nous nécessairement dire qu’un pays ayant un revenu par habitant élevé est
mieux positionné qu’un pays similaire avec un revenu par habitant moins élevé? Il est
certain que le bien-être complet d’un pays dépend de nombreux facteurs les niveaux
de revenus, la qualité du système de santé, d’éducation, la cohésion sociale et la
participation politique des citoyens. Mais le bien-être d’un pays est aussi une fonction
des niveaux de capital naturel et de qualité environnementale.
Les mesures traditionnelles de produit national brut (PNB) ou produit
intérieur brut (PIB) sont couramment utilisées pour mesurer les niveaux d’activité
économique et de progrès dans le développement d’un pays.1 (Voir l’annexe pour une
introduction à la comptabilité nationale). Les analyses macroéconomiques et les
comparaisons internationales sont basées sur ces mesures, et sont largement
reconnues comme des normes importantes du progrès économique.
De nombreux analystes ont fait remarquer que ces mesures peuvent donner une
image trompeuse du développement économique et humain. De fait, le PNB n’a jamais
prétendu être une mesure précise du bien-être d’un pays. Mais les politiciens et les
économistes ont donné à cet indicateur une importance démesurée, comme si sa
maximisation était l’objectif principal des politiques publiques. Cependant la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1 La distinction entre PNB et PIB repose sur l’inclusion ou l’exclusion de revenus à l’étranger. Le PNB
inclut les revenus des citoyens et des entreprises d’un pays quelle que soit leur localisation dans le
monde. Le PIB n’inclut que les revenus à l’intérieur des frontières d’un pays, y compris les revenus des
citoyens et entreprises de nationalité étrangère qui résident sur ce territoire. Le PIB est la mesure la plus
commune lorsque l’on compare les statistiques internationales.
Nous explorons les questions suivantes :
Pourquoi les mesures traditionnelles de comptabilité nationale
présentent-elles une image fausse et déformée du bien-être?
Comment peuvent-elles être ajustées afin de mieux refléter
l’importance du capital naturel et de la qualité environnementale?
Quel est le potentiel d’indicateurs alternatifs « verts » mesurant le
bien-être national ?
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maximisation de PNB peut entrer en conflit avec d’autres objectifs comme l’amélioration
du bien-être, la promotion de l’équité sociale ou la protection de l’environnement.
Alors que le PNB reflète fidèlement la production de biens et de services, il ne
parvient pas à fournir une mesure plus large du bien-être social. Parmi les critiques
principales des indicateurs standards de comptabilité nationale, on trouve que:
Le travail bénévole n’est pas comptabilisé Les mesures standards ne
prennent pas en compte les bénéfices du travail bénévole, même si ce type de
travail contribue autant au bien-être social que la production économique.
La production des ménages n’est pas comprise Alors que les mesures
standards de comptabilité comprennent le travail rémunéré des activités
domestique (personnel de maison, jardinage, etc.), ces mêmes services ne sont
pas inclus quand ils ne sont pas rémunérés.
Aucune prise en compte des temps de loisirs n’est incluse Le PIB d’un
pays augmentera si, ceteris paribus 2, le total d’heures travaillé augmente.
Cependant, aucune comptabilité n’est faite pour la perte en temps de loisirs
entrainant une perte en qualité de vie.
Les dépenses des forces de défense et des forces de l’ordre sont incluses
Si les dépenses de police augmentent à la suite d’une hausse des taux de
criminalité, l’augmentation des dépenses relève le niveau de PIB, mais on ne
comptabilise nulle part les impacts négatifs de la hausse de la criminalité. De
même si un pays est en guerre, les dépenses de l’armée augmenteront, faisant
augmenter le PIB, mais les dommages physiques, psychiques, et matériels
occasionnés par la guerre ne seront pas comptabilisés.
La distribution des revenus n’est pas prise en compte Deux pays avec le
même PIB par habitant peuvent avoir des distributions internes de revenu
significativement différentes l’un très inégalitaire et l’autre beaucoup plus
égalitaire par exemple et, par conséquent, des niveaux de bien-être général
très différents.
Des facteurs non économiques essentiels à la qualité de vie et contribuant
au bien-être ne sont pas inclus Le PIB ne prend pas en compte la santé des
citoyens d’un pays, les niveaux d’éducation, la participation politique, ou d’autres
facteurs sociaux et politiques qui ont des impacts significatifs sur les niveaux de
bien-être.
On doit également rajouter à ce tableau les enjeux environnementaux, notamment la
dégradation de l’environnement et l’épuisement des ressources, dont les mesures
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
2 Ceteris paribus, une expression Latine, signifie « toutes choses égales par ailleurs » et est utilisé par les
économistes pour préciser quelles hypothèses sont utilisées par l’analyse.
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standards de comptabilité nationale ne tiennent pas compte. Ce problème est
particulièrement important dans les pays en développement, qui dépendent fortement
des ressources naturelles. Si un pays réduit ses forêts, épuise sa terre agricole et
pollue ses réserves d’eau, cela aura des conséquences en termes réels de pertes de
ressources et d’appauvrissement du pays. Mais les comptes nationaux n’enregistreront
que la valeur en marché du bois produit à partir de ces forêts, et des produits agricoles
et de la production industrielle ayant causé des dégradations écologiques. Tous ces
produits seront comptés comme contributions positives au PIB, alors qu’aucun des
dommages environnementaux dont ils sont responsables ne sera comptabilisé. Cette
distorsion entre indicateur et réalité peut conduire les économistes et les décideurs
politiques à ne voir le développement de leur pays que sous un jour exagérément positif
jusqu'à ce que les effets de la dégradation de l’environnement se manifestent, ce qui
dans certains cas peut prendre des décennies.
Si l’on mesure le bien-être social avec un instrument défaillant, on obtient des
prescriptions de politiques qui peuvent faire plus de mal que de bien. La croissance
économique à elle seule ne représente pas toujours un véritable développement
économique, et peut même recéler une perte de bien-être humain si elle est
accompagnée par une inégalité croissante et une dégradation environnementale. Il
existe de nombreuses tentatives visant à adapter ou même à remplacer les mesures
traditionnelles de comptabilité nationale afin de prendre en compte des facteurs
environnementaux et des ressources naturelles. Nous allons en présenter plusieurs et
examiner comment les appliquer.
Les efforts pour développer ces indicateurs de comptabilités plus « vertes » sont
relativement nouveaux. L’intérêt pour l’inclusion de l’environnement dans la
comptabilité nationale a commencé dans les années 1970 and 1980, quand plusieurs
pays européens ont fait des estimations des comptes en termes physiques de leurs
ressources naturelles telles que les forêts, l’eau et les ressources en sols.3 En 1993,
les Nations Unies ont publié un manuel complet sur la comptabilité environnementale,
qui a été revu en 2003 et révisé à nouveau en 2012.4 Le Système des Comptes
Environnementaux et Economiques de 2003 (System of Environmental and
Economic Accounts SEEA) considère quatre approches de base pour la comptabilité
environnementale:5
1. Mesurer les relations entre l’environnement et l’économie dans les deux
sens.6 Cette approche cherche à quantifier les moyens au travers desquels
les différents secteurs économiques sont tributaires des ressources naturels,
ainsi que la manière dont l’environnement est impacté par différentes activités
économiques. Par exemple, on cherche à estimer la quantité de pollution
d’air produit quand des secteurs industriels différents augmentent leurs
niveaux de production. Ces comptes combinent des données monétaires
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
3 Voir Hecht, 2007, pour une histoire de la comptabilité environnementale
4 Nations Unies, et al., 2003; Commission Européenne, et al., 2012.
5 Smith, 2007.
6 Cette approche s’appelle “comptes de flux physiques” ou “comptes hybrides”.
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avec de l’information sur les flux de matériels, pollution et énergie dans une
économie. Cette approche est motivée par la nécessité de déterminer dans
quelle mesure l’activité économique est liée aux intrants matériels et aux
rejets de polluants.
2. Mesurer les activités économiques environnementales. Cette approche
mesure les dépenses effectuées pour la protection de l’environnement et
l’impact de politiques économiques, telles qu’impôts et subventions,
destinées à réduire les dommages causés à l’environnement.
3. Comptes d’Actifs Environnementaux. Cette approche recueille des
données sur les niveaux de divers types de capital naturel, comme les forêts,
les minéraux et les eaux souterraines. Comme nous en discuterons plus tard
dans ce chapitre, ces comptes (également appelés comptes satellites ou
comptes de ressources naturelles) peuvent être mis en œuvre soit en unités
physiques soit en termes monétaires.
4. Ajustement des mesures de comptabilité existantes pour prendre en
compte la dégradation du capital naturel. Cette approche cherche à
monétiser les dommages liés à l’épuisement des ressources naturelles et la
dégradation de la qualité environnementale, ainsi qu’à identifier les dépenses
défensives faites afin de réparer ou d’éviter des dommages
environnementaux. Cette approche part des mesures de comptabilité
national existantes et en déduit (en termes monétaires) la part représentant
des dommages environnementaux.
Notez que ces approches ne sont pas nécessairement exclusives les unes des
autres – nous pourrions théoriquement toutes les mettre en action simultanément.
Tandis que beaucoup de pays ont adopté une ou plusieurs de ces méthodes, aucun
pays n’a pleinement mis en œuvre les provisions décrites dans SEAA-2003. Il faut
aussi noter que toutes ces approches se présentent soit comme des ajustements soit
comme des compléments aux mesures traditionnelles de comptabilité, telles que le PIB.
Dans ce chapitre, nous allons nous concentrer principalement sur les deux dernières de
ces approches. De plus, nous allons considérer des propositions de mesures de bien-
être national entièrement nouvelles, qui cherchent à fournir une perspective
fondamentalement différente de la mesure du bien-être national.
Avant de discuter plus en détails ces mesures spécifiques, il est important de
noter qu’il n’existe pas encore d’approche de comptabilité environnementale
universellement acceptée. Alors que diverses mesures ont été développées et mises en
œuvre, il n’y a pas de norme uniforme en matière de comptabilité nationale alternative.
Nous allons discuter de l’avenir de la comptabilité environnementale à la fin du chapitre.
8.2 Le Produit Intérieur Net (PIN) écologiquement ajusté
Sans doute l’approche la plus basique de la comptabilité « verte » ou
écologique consiste à commencer avec des mesures traditionnelles et à leur appliquer
des ajustements qui reflètent des préoccupations environnementales. Dans la
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comptabilité de revenu national traditionnelle, il est normalement admis qu’une partie de
la production économique de chaque année est compensée par la dépréciation (ou
l’amortissement) de capital manufacturé, ou fixe, tel que les bâtiments et la machinerie.7
En d’autres termes, alors que l’activité économique fournit à la société les gains de
nouvelles marchandises et de nouveaux services, chaque année, la valeur des actifs
produits antérieurement baisse, et cette perte doit être comptabilisée. Ainsi les
méthodes de comptabilité nationale produisent des estimations de Produit Intérieur
Net (PIN), qui consistent à déduire du PIB la valeur de la dépréciation annuelle du
capital fixe déjà existant :
PIN = PIB - Dm
Dm est la dépréciation du capital fixe. En 2010, le PIB des Etats-Unis s’élevait à 14.7
milliards de dollars. Mais la dépréciation du capital fixe fut cette année-là de 1.9
milliards.8 Donc, le PIN des Etats-Unis en 2010 était de 12.8 milliards.
En poussant cette logique un peu plus loin, nous réalisons que chaque année la
valeur du capital naturel peut aussi se déprécier du fait de l’extraction des ressources et
de la dégradation environnementale. Dans certains cas au contraire, la valeur du
capital naturel peut éventuellement s’accroître si la qualité environnementale
s’améliore. La variation annuelle nette de la valeur du capital naturel dans un pays peut
simplement être ajoutée ou soustraite au PIN pour obtenir ce qui a été appelé le PIN-
écologiquement ajusté (« environmentally adjusted NDP»). Nous obtenons cet
indicateur grâce à ce calcul :
PIN écologiquement ajusté = PIB – Dm – Dn
Dn est la dépréciation du capital naturel. Cette mesure nécessite l’estimation de la
dépréciation du capital naturel en termes monétaires, plutôt qu’en unités physiques
comme les volumes de biomasse ou les zones d’écosystème et habitats naturels.
L’estimation de la dépréciation de tous les types de capital naturel en termes
monétaires est une tâche ardue qui nécessiterait de nombreuses hypothèses. En
conséquence, les estimations du PIN-écologiquement ajusté qui ont été produites se
concentrent uniquement sur quelques catégories de dépréciation de capital naturel.
L’une des premières tentatives de la comptabilité écologique a estimé le PIN-
écologiquement ajus pour l’Indonésie sur la période de quatorze ans, 1971-1984.9
Cette analyse innovatrice a estimé la valeur de la dépréciation pour trois catégories de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
7 La dépréciation est simplement une mesure de la perte de capital due à l’usure normale. En ce qui
concerne la comptabilité, la dépréciation peut être calculée soit en utilisant une formule dite « en ligne
droite » où, par exemple, une nouvelle machine est estimée perdre 10% de sa valeur originale chaque
année sur une période de dix ans; soit en utilisant des méthodes d’estimation plus complexes.
8 Les estimations de la dépréciation du capital fixe sont obtenues à partir des dossiers fiscaux. Les
entreprises ne sont pas imposées sur la valeur de leur dépréciation de capital fixe donc ils ont une
forte incitation à demander cette déduction.
9 Repetto, et al., 1989.
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