1 Les partis politiques au Maroc. Note de présentation MOUAQIT

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Les partis politiques au Maroc. Note de présentation
MOUAQIT Mohammed
La question des partis politiques au Maroc est toujours à l’ordre du jour et n’est
pas prête de le quitter. Les péripéties récentes liées au renouvellement du leadership de
certains partis, aux compétitions électorales, générales ou partielles, aux difficultés
d’une équipe gouvernementale à la composition partisane hétéroclite, etc., le tout sur
fond d’un paysage politique balkanisé et du contexte du « printemps arabe », font de
cette question une problématique omniprésente dans l’espace médiatique et
incontournable dans l’intérêt académique/scientifique des chercheurs porté au système
politique et à son évolution. Le contexte du « printemps arabe » sert particulièrement
de cadre d’intérêt accentué pour les partis politiques, du fait que la question du
changement politique et, plus précisément, du fait de l’enjeu de la démocratisation
qu’il inscrit de façon inédite dans l’horizon de l’évolution des systèmes politiques dans
le monde arabe/maghrébin. S’intéresser aux partis politiques dans ce contexte, c’est
donc s’intéresser à l’enjeu du changement politique, dont les partis politiques
constituent un rouage important, voire décisif. Quel éclairage la sociologie politique
apporte-t-elle ou est-elle susceptible d’apporter à cette question des partis politiques ?
Le présent papier introductif a pour objectif de baliser le terrain à des études
destinées à constituer la matière d’un futur numéro de la revue de science politique sur
ladite question des partis politiques, notamment dans son rapport à l’évolution et au
changement du système politique au Maroc. L’enjeu est à la fois académique et
pratique. Il s’agit tout autant du développement de la sociologie politique au Maroc à
partir de l’objet « partis politiques » et de la contribution à l’intelligibilité de la alité
partisane et de la dynamique de l’évolution du système politique marocain. Pour ce
faire, le présent papier partira des questions suivantes : quel est l’état de la sociologie
des partis politiques marocains ? Sur quel fond conceptuel et théorique la réalité
partisane marocaine est-elle intelligible sur la base de la sociologie politique
existante ? Quels questionnements et quelles hypothèses à prendre en charge pour un
éclairage ou un renouvellement de la dynamique de la réalité partisane à l’aune des
récentes évolutions ?
I
Si la question des partis politique est de grande importance dans la vie
politique, cela ne semble pas se traduire, dans le cas du Maroc, par son importance en
tant qu’objet de la sociologie politique. De l’aveu de plusieurs politistes, la sociologie
des partis politiques au/du Maroc est « lacunaire ». Evalué en particulier sur la base de
la sociologie politique locale, cet état lacunaire est à la fois d’ordre quantitatif et
d’ordre qualitatif. Les études à valeur scientifique ne sont pas nombreuses, et du fait
qu’elles ne portent pas une ambition conceptuelle ou théorique, ou bien du fait qu’elles
ne mettent pas l’outillage conceptuel et théorique existant à l’épreuve des évolutions
récentes et des recompositions à l’œuvre, leur contribution à la sociologie des partis
politiques est plutôt modeste.
Evaluée dans son apport international et local, la littérature sociologique sur les
partis politiques au Maroc pourra être ventilée de la manière suivante. Il y a d’abord
évidemment les références majeures, celles-ci étant l’œuvre de politologues
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occidentaux, l’ouvrage de Robert Rezette étant certainement, en dépit de son
ancienneté, le classique en la matière, dont l’importance a justifié sa réédition récente
par la Fondation française des sciences politiques. Mais comme la réalité du système
politique marocain n’est plus désormais intelligible sans passer par les partis
politiques, d’autres ouvrages constituent des références majeures bien que non
consacrés centralement aux partis politiques. On citera par exemple les noms de R.
Leveau, de Waterbury, de Zartmann. Mais au titre de la contribution la plus mise à
jour au regard des évolutions récentes, il convient de citer l’étude de J.C. Santucci,
publiée dans un premier temps aux Editions de la REMALD, reprise et réactualisée.
En dehors de ces références majeures, qui sont le fait de chercheurs occidentaux, il
existe une littérature locale variée, soit sous forme de publications à portée générale,
soit de monographies consacrées à un parti politique, soit de publications non
centralement consacrées aux partis politiques, mais dans lesquels une sociologie des
partis politiques s’y trouve, soit enfin sous forme d’un article. L’apport de ces études
est certainement inégal, mais leur valeur n’est pas toujours seulement
informationnelle. En raison aussi de leur caractère disparate, elles restent encore non
synthétisées et non systématisées dans leurs conclusions.
Ce rapide inventaire a pour intérêt la conclusion suivante : Les deux premières
catégories mentionnées sont celles qui importent le plus par leur référentialité
conceptuelle et théorique. La théorie de « parti-zaouia » (Rezette) ou la théorie
segmentaire (Waterbury) pour l’explication du phénomène de scissiparité font partie
de ce cadre de référentialide la réalité partisane marocaine. Cela veut dire qu’elles
constituent, à un degré ou à un autre, le cadre d’interprétation et d’analyse de la réalité
partisane marocaine, ne serait-ce que c’est par rapport à elles que les approches en la
matière ont à se définir. Il ne semble pas que la sociologie locale des partis politiques
ait pu marquer d’un apport théorique alternatif la sociologie politique des chercheurs
occidentaux. La sociologie politique locale relative aux partis reste largement
tributaire de cette référentialité.
II
Sur fond de cette sociologie de la réalité partisane marocaine, les partis
politiques apparaissent marqués par les données suivantes : ils ne sont pas à la base,
c’est-à-dire dans leur genèse, le produit et l’expression d’une dynamique du système
politique, mais le produit et l’expression d’une dynamique nationalitaire ; inscrits dans
un système politique à légitimité traditionnelle et porteurs potentiellement ou
effectivement d’un principe de légitimité « légale-rationnelle » pour reprendre la
terminologie wébérienne, ils sont le produit et l’expression du conflit ou de la
connivence de ces types de légitimité ; ils sont le produit et l’expression de forces
sociales hétérogènes qui sont le reflet de la constitution sociale : reflet du rapport entre
l’urbain et le rural, entre « solidarités organiques » et « solidarités mécaniques » pour
utiliser la terminologie durkheimienne ; reflet des structures sociales « primaires » : la
famille comme structure parentale ; la zaouia comme structure religieuse de rapport
entre maître et disciple ; reflet des formes culturelles locales ou de la dynamique
d’acculturation à l’œuvre : religiosité ; salafisme réformiste ; idéologies sécularistes ou
sécularisantes : socialisme ; qawmisme ; libéralisme… Ces données sociologiques
déterminent les traits fondamentaux des partis politiques au Maroc au cours d’une
partie de leur histoire :
- les partis politiques vont se ventiler en fonction de leur
dépendance/indépendance en tant que structures à l’égard du pouvoir central
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monarchique ; le champ partisan se constitue en fonction de la distance à l’égard du/
ou de la loyauté au/ pouvoir monarchique ; les analyses de cette réalité se concentrent
en général sur cette ventilation, mais ne rendent pas compte de sa signification : ce que
signifie cette alité, c’est aussi le fait fondamental que le pouvoir monarchique a
besoin désormais de la médiation de cette nouvelle « institution intermédiaire » que
constitue le parti politique ; cela explique en partie la faible indépendance du champ
partisan à l’égard du pouvoir central ; le « parti administratif » est certainement la
traduction la plus manifeste de cette dépendance et de l’aspect artificialiste de la
constitution d’une partie du champ partisan, mais d’autres formes plus indirectes de
« fonctionnalisation » de la légitimité partisane par le pouvoir monarchique ont
joué ou jouent encore : infiltration des partis par le pouvoir makhzénien ;
notabilisation d’individualités des partis de l’opposition ; immixtion dans le choix du
leadership ; consécration ou ratification royale du nouveau leader du parti politique à
la suite de son choix par les structures partisanes, etc. ;
- Cette fonction de médiation du pouvoir monarchique par les partis politiques
trouve son expression juridico-institutionnelle dans la définition constitutionnelle, qui
a longtemps prévalu, qui les cantonne au rôle d’encadrement et d’aide à la gestion au
lieu de leur rôle d’exercer le pouvoir politique et de gouverner ; on ne peut que
s’étonner de la tendance de la sociologie locale à se faire l’écho de cette définition
officielle du rôle des partis politiques en allant répétant que les partis politiques ne
remplissent pas leur rôle d’encadrement ; dans ce contexte, la participation au
gouvernement se détermine en fonction de l’équilibre à assurer entre la reconnaissance
par le pouvoir monarchique de la légitimité de tel ou tel parti à participer à la gestion
et de l’acceptation par le parti de participer à la médiation de la légitimité monarchique
et de sa centralité (participation qui dépendra, dans le cas des partis de l’opposition, du
degré de leur « normalisation ») et, de ce fait, à jouer le rôle de paravent contre
l’insatisfaction des gouvernés ;
- en tant qu’organisations, les partis politiques sont, dans leur rapport à leur
environnement politique et social, dans une situation de fragilité, même lorsque le
parti tire sa force de son ancrage social et de son adossement à une organisation
syndicale ; la durabilité des partis dont la raison d’être est d’être les médiateurs de la
volonté du pouvoir monarchique est fonction de leur utilité et de leur fonctionnalité ;
les partis à la constitution plus solide et à la légitimité plus enracinée dans une
représentativité liée à leur légitimité nationalitaire ou à un ancrage régional ou social
sont soit sous l’effet de la « normalisation » par le centre, qui entraîne la division du
parti entre les tenants de/ et les résistants à/ la « normalisation, ou sous l’effet de leur
segmentation, que celle-ci s’explique par une faible ‘asabiyya idéologique ou de classe
ou par la prégnance d’un mode de structuration social tribal qui tend à se reproduire
dans les conduites des acteurs individuels ou collectifs ; le phénomène de la
scissiparité est la manifestation de cette fragilité, qui tend à se répercuter sur les
organisations annexes (syndicats ou organisations de la jeunesse); la balkanisation du
champ partisan qui se produira plus récemment peut être analysée, mais non
exclusivement sous cet angle, comme une manifestation de la tendance segmentaire du
champ partisan amplifiée par l’existence d’une situation de « marché libre »
d’entrepreneurs électoraux rendue possible ou favorisée particulièrement par le mode
de scrutin de liste ;
- le profil du leadership partisan se constitue sur fond d’une légitimité
hétérogène : nationalitaire dans le cas du zaïm, avec comme cas emblématique la
personne de Allâl Al-Fassî ; tribale dans le cas de l’amghar, avec comme cas
emblématique Aherdan ; sur fond élitaire dans le cas du chef d’un groupement de
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notables, dont le leadership est souvent marqué par une fonctionnalité au bénéfice du
pouvoir central ; le profil du « zaïm » repose sur un charisme « historico-
nationalitaire » ; le profil de l’ « amghar » repose sur la représentativité des structures
ethno-rurales ; le profil du « chef » repose sur la capacité « fonctionnelle » du leader à
assurer à un groupement la participation au pouvoir ; le profil de « zaïm » semble, de
son vivant ou comme capital symbolique après sa disparition, avoir un effet plus
cohésif sur l’organisation et plus garant de son unité, mais son existence est liée à un
contexte historique de construction nationale qui relève désormais du passé et, par
conséquent, n’opère plus comme gitimité dans la constitution du leadership ;
l’amghar est lui aussi tributaire d’une configuration sociologique qui tend à
l’affaiblissement et tend par conséquent à faire place à la figure du « chef » des
notables ; le leadership partisan tend donc dans l’ensemble à prendre la forme du
« chef », dont le type correspond davantage à une légitimité « légale-rationnelle »,
bien que largement façonnée dans un cadre social traditionnel ou/et traditionnaliste et
dans un cadre politique qui tend à son instrumentalisation ;
- la culture politique est faite de consensualisme, de compromisme et de
confidentialisme, ce qui a pour effet de faire de la politique un jeu plus ou moins
fermé entre le pouvoir central et la classe politique. La conséquence en est le fait que
le système politique fonctionne sur une base de « citoyenneté » dépolitisée lassée du
jeu, d’une part entre ses composantes, d’autre part entre elles et le pouvoir central, de
la classe politique.
III
La sociologie des partis politiques marocains reste encore largement
intelligible à l’intérieur de ce cadre théorique. Toutefois, la réalité politique marocaine
n’est pas à ce point « immobile » qu’elle ne fasse éprouver le besoin d’en sonder
l’évolution et le mouvement. Le Maroc a certainement « bougé », bien que le rythme
lent du changement politique au Maroc conserve au système politique de forts traits de
continuité. Les principales évolutions en fonction desquelles les partis politiques
marocains sont à étudier dans la perspective dynamique de l’histoire récente sont les
suivantes : le passage de la phase nationalitaire à la phase post-nationalitaire, qui a
pour conséquence, pour les partis politiques issus du mouvement national, de rendre
leur gitimité davantage tributaire de leur représentativité démocratique que de leur
représentativité historique ; la chute du communisme soviétique et la fin de la
bipolarisation du monde autour de l’alternative « démocratie libérale » Vs
« démocratie populaire », l’idéal politique n’étant désormais concevable qu’à
l’intérieur du modèle perfectible de la démocratie libérale ; le changement de règne,
qui crée les conditions de nouveaux rapports entre un nouveau monarque, une
nouvelle élite et une classe politique en remaniement ; un renouvellement
générationnel, qui constitue par sa jeunesse, par sa culture et par ses aspirations un
fond de citoyenneté par rapport auquel les partis politiques ont à s’ajuster ; la
transformation sociologique de la société liée à l’urbanisation du rural et à la
ruralisation de l’urbain ; la mise en cause des régimes autoritaires à la faveur des
évènements du « printemps arabe ».
Sur fond de ces tournants ou infléchissements historiques, il conviendra de
rendre compte de l’évolution ou des évolutions qui se trament dans le champ partisan
et dans le champ politique marocains, ainsi que des continuités éventuelles qui
caractérisent ce champ. On pourra dans un premier axe circonscrire la réalité
historique et présente du phénomène partisan. On pourra dans ce cadre établir les
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bases historiques du phénomène partisan au Maroc et faire ressortir la signification
attachée à cette nouvelle réalité pour l’évolution du système politique marocain. On
pourra ensuite établir l’état actuel du champ partisan et de sa représentativité
électorale. Une démarche monographique sera également cessaire dans ce cadre
pour rendre compte des forces politiques les plus significatives ou les plus
emblématiques de la réalité partisane marocaine. Dans un deuxième axe, on pourra
s’interroger sur cette réalité et en proposer une interprétation et des analyses. On
pourra dans ce cadre entreprendre une démarche taxinomique pour une mise en ordre
typologique et classificatoire de la variété des partis politiques. On pourra ensuite
répondre à un certain nombre de questions : quelle est la valeur du multipartisme et du
pluralisme ? Quels en sont les déterminants (le parti comme forme moderne de
mobilisation collective ; artificialisme du pouvoir central à travers le phénomène du
« parti administratif », qui n’exclut pas la capacité de ce type de parti d’acquérir, via le
clientélisme ou l’ancrage dans les « structures primaires » de la société [parenté ;
tribalisme], une certaine représentativité ; « mécanisme segmentaire » ; mode de
scrutin…) ? Quelle configuration/reconfiguration idéologique du champ politique
marocain la réalité partisane dessine-t-elle ? Quel est le degré de différenciation
idéologique entre les partis ? Cette configuration/reconfiguration ne semble-t-elle pas
s’articuler entre une sensibilité islamique, ventilée entre un « islamisme culturel »
d’assise bourgeoise à la manière du P.I. et un « islamisme idéologique » ancré
socialement dans les couches sociales moyennes/inférieures à la manière du P.J.D.,
une sensibilité moderniste/séculariste sociale-démocrate, à la manière de l’U.S.F.P. et
du P.P.S. d’assise sociale petite/moyenne bourgeoise, et enfin une sensibilité
« libérale » ? Dans cette configuration/reconfiguration, le « libéralisme » idéologique
n’apparaît-il pas comme une idéologie plus artificialiste qu’ « organique », plus
représentative d’une élite économique et makhzénienne que l’expression d’une
« société civile » économique porteuse d’une autonomisation à l’égard du pouvoir
central ? Comment expliquer que le libéralisme soit à ce point peu porté par la
configuration « spontanée » du champ partisan qu’il en vient à être une ressource
idéologique pour le pouvoir central ? Est-ce la conséquence de la faiblesse
« organique » de la bourgeoisie économique ou d’une culture autoritaire qui déteint
sur l’ensemble du champ partisan, y compris sur les partis porteurs d’une idéologie
moderniste et sécularisatrice, ou des deux ? On pourra également dans ce cadre faire
l’étude du leadership et des évolutions récentes à cet égard, traiter du phénomène de la
scissiparité, s’interroger sur la théorie du parti-zouia, etc. Dans un troisième axe, on
pourra considérer les partis politiques dans leur rapport avec l’enjeu du pouvoir. La
vocation du parti étant de gouverner, la manière dont le pouvoir central détermine
discursivement et juridiquement le rôle des partis politiques ne les condamne-t-il pas à
être de simples aide-gestionnaires de l’exercice du pouvoir par le pouvoir
monarchique ou d’être des partis-tampons destinés à prendre sur eux le
mécontentement politique ? La représentativité « démocratique » des partis politiques
ne devait-elle pas dans ces conditions rester dans l’incertitude ou dans la relativité
artificielle (falsification des sultats électoraux ; minimisation « volontaire » par un
parti de sa représentativité électorale…) ? L’évolution politique au cours des dernières
décennies n’augure-t-elle pas, à la faveur de la crédibilisation relative des procédures
électorales, d’une plus grande reconnaissance de la vocation des partis politiques à
gouverner ? La capacité du pouvoir monarchique à faire obstacle à cette vocation,
matérialisée par l’arrêt décrété de la « méthodologie démocratique » mettant fin à
l’expérience de l’ « alternance consensuelle », a-t-elle été réduite par la configuration
politico-institutionnelle postérieure aux évènements du « printemps arabe » ? Le mode
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