60
Ton Kaptein
marina.ch mars 10
nature
mars 10 marina.ch
TEXTE: STEFANIE PFÄNDLER
A chaque instant, des masses d’eau de plu-
sieurs milliers de tonnes traversent les océans
dans toutes les directions, de l’équateur aux
pôles et des pôles à l’équateur. Le vent balaie
la surface des eaux et des vagues immenses
viennent s’écraser sur les côtes. Les océans ne
sont jamais calmes. Cette dynamique est due
à un phénomène naturel qui fait le tour du
globe: l’«Ocean Conveyor Belt» (ou circula-
tion thermohaline en français) est une im-
mense bande en mouvement autour de toute
la planète. Elle relie tous les continents et les
mers du globe entre eux, elle est toujours pré-
sente et elle nous influence tous.
Commençons par le plus évident: les courants
de surface des mers du globe sont essentiel-
lement provoqués par le vent. Ce n’est pas
pour rien que presque tous les courants ma-
rins portent des noms de vents. Les plus cé-
lèbres d’entre eux sont les alizés qui poussent
les eaux vers l’ouest à la hauteur de l’équateur.
La force de Coriolis dévie les masses d’eau
vers la droite dans l’hémisphère nord et vers
la gauche dans l’hémisphère sud. A des lati-
tudes plus élevées, les masses d’eau sont re-
dirigées vers l’est par les vents d’ouest pour
ensuite rejoindre l’équateur depuis le nord et
le sud après avoir à nouveau subi la force de
Coriolis.
Chaque recoin des mers du globe comporte
ses systèmes de vents qui maintiennent les
océans en mouvement selon des modèles
semblables à celui des alizés. Certains d’entre
eux sont constants durant toute l’année,
d’autres changent de direction et de force en
fonction des saisons. Mais qu’ont en commun
ces différents courants marins? L’élément qui
les relie entre eux est une autre force s’exer-
çant sur les masses d’eau océaniques: la «cir-
culation thermohaline» désigne, de manière
peu poétique, le moteur qui permet à l’eau
des mers de circuler non seulement horizon-
talement, mais aussi verticalement. Il en ré-
sulte des mesures de forces aux proportions
quasiment inimaginables.
Une chute d’eau sous-marine
Tournons-nous un bref instant vers l’Atlanti-
que nord. Et plus précisément les côtes du
Groenland. On y trouvera des phénomènes
s’apparentant à un moteur et une ventouse:
le Gulf Stream y est en effet «irrésistiblement»
attiré. Les eaux glaciales y coulent au fond de
l’océan, traversent ensuite tout l’Atlantique et
disparaissent en Extrême-Orient.
Chaque masse d’eau a des propriétés spéci-
fiques qui sont principalement définies par sa
température et sa teneur en sel. Plus l’eau est
La ceinture qui
maintient le monde
Grâce à l’«Ocean Conveyor Belt», l’eau des océans fait le tour du globe tous les 1000 ans. Cette immense
ceinture en mouvement prend naissance au Groenland et relie tous les océans entre eux.
Les courants marins sont à
l’origine du climat du Groenland
(en haut) et sur la côte nord de la
Norvège (prochaine page).
marina.ch
Ralligweg 10
3012 Berne
Tél. 031 301 00 31
marina@marina-online.ch
www.marina-online.ch
Service des abonnements:
Tél. 031 300 62 56
62
Ton Kaptein
marina.ch mars 10
nature
froide et salée, plus elle est dense (et donc
lourde). L’eau lourde coule jusqu’à ce qu’elle
rencontre une couche d’eau ayant la même
densité. Ce mécanisme explique l’activité que
l’on observe au large des côtes du Groenland.
Le Groenland, dont la calotte glaciaire conti-
nentale atteint près de trois kilomètres à ses
endroits les plus épais, fournit aux océans un
refroidissement constant. La dérive atlantique
nord (la continuation chaude du Gulf Stream)
est très rapidement refroidie dans les océans
du nord de l’Europe et au large de la côte sud
du Groenland. Ses eaux deviennent donc plus
lourdes. La formation de glace sépare de plus
le sel de l’eau. L’eau liquide devient donc plus
salée et encore plus lourde. Apparaît alors un
imposant remous tirant les eaux salées froi-
des au fond des océans à une vitesse incroya-
ble. Pour pouvoir sortir des eaux du nord de
l’Europe et arriver dans l’océan Atlantique, les
eaux de profondeur doivent franchir le seuil
Groenland-Ecosse. Ici, elles s’écoulent comme
une chute d’eau sous-marine de plusieurs
centaines à milliers de mètres. La circulation
thermohaline peut commencer son voyage.
Les eaux des fonds océaniques coulent le long
de la côte est de l’Amérique vers le sud où el-
les finissent par rencontrer le courant antarc-
tique. Les masses d’eau partent alors vers l’est
et se séparent: une partie arrive dans l’océan
Indien où le climat est beaucoup plus chaud.
Les masses d’eau se réchauffent, leur densité
diminue et elles reviennent pour la première
fois à la surface. Pendant ce temps, l’autre
partie des masses d’eau fait le tour de l’Aus-
tralie et arrive dans le Pacifique Ouest le
même sort l’attend: l’eau se réchauffe en ef-
fet au large des côtes japonaises et remonte
également à la surface.
C’est alors que le vent entre en jeu: à la hau-
teur des latitudes tropicales de l’Atlantique,
les alizés repoussent les masses d’eau
chaude vers l’ouest. Elles traversent l’Atlan-
tique sud et atteignent les côtes de l’Amé-
rique du nord qui, à l’image d’une digue, re-
dirigent l’eau en direction du nord. Grâce à
la force de Coriolis, l’eau est ensuite déviée
en direction de l’Europe: il s’agit de la
naissance du Gulf Stream. Ce dernier cou-
rant est directement attiré par les masses
d’eau chutant au fond des océans près du
Groenland, alimentant ainsi la circulation
thermohaline. Un tel tour de la planète dure
environ 1000 ans, les eaux retrouvent alors
les côtes du Groenland et recommence leur
petit manège.
Etant donné ses dimensions, le système de la
circulation thermohaline influence le climat
sur toute la planète. Avec le changement cli-
matique, un scénario fatal pourrait très bien
se réaliser: le réchauffement climatique pour-
rait ainsi entraîner une fonte de la calotte gla-
ciaire du Groenland. L’eau douce et légère née
de cette fonte affaiblirait alors (ou mettrait
même hors service) le puissant moteur du
Groenland permettant la formation d’eaux
froides de profondeur. Cette bande de mas-
ses d’eau en mouvement en souffrirait inévi-
tablement. Pour les Européens, cela signifie-
rait qu’ils devraient dire au revoir au Gulf
Stream. Les recherches de ces dernières an-
nées ont permis de connaître les conséquen-
ces d’une telle disparition: le processus des
glaciations qu’a connues l’Europe est forte-
ment dépendant de l’intensité du Gulf Stream.
Sa disparition entraînerait ironiquement un
scénario futur pour le moins triste: le début
de la glaciation suivante.
marina.ch
Ralligweg 10
3012 Berne
Tél. 031 301 00 31
marina@marina-online.ch
www.marina-online.ch
Service des abonnements:
Tél. 031 300 62 56
1 / 2 100%