LES METAUX LOURDS DANS LES DENREES ALIMENTAIRES : ORIGINE ET EVOLUTION DES TENEURS PR MARC VERLOO FACULTE DES SCIENCES AGRONOMIQUES ET BIOLOGIQUES APPLIQUEES UNIVERSITEIT GENT Notre milieu terrestre se compose de 94 éléments naturels que le système périodique classe de l’hydrogène – nombre atomique 1 – au plutonium – nombre atomique 94. D’un point de vue chimique, 71 éléments sont des métaux ; parmi eux, selon la définition, une soixantaine sont considérés comme métaux lourds. Les métaux lourds sont donc des composants indispensables de notre Terre et de tout ce qui s’y est développé. Ils sont présents partout et dans tout. Mais les concentrations peuvent varier considérablement. Dans l’environnement où nous vivons, cela peut aller de quelques pour-cent (des dizaines de grammes par kilo, par exemple le fer) à une fraction de picogramme par kilo (platine, iridium), soit un ordre de grandeur de 1013 à 1015 . On a établi qu’une cinquantaine de métaux lourds sont essentiels à l’un ou l’autre organisme ; neuf sont indispensables à l’homme. Dans la nature, certains métaux lourds se présentent sous forme brute ou libre, mais généralement, ils sont plutôt connus comme minéraux, le plus souvent dans des liaisons insolubles avec l’oxygène, les silicates, carbonates, sulfures et autres phosphates. Chimiquement, cependant, le terme « insoluble » n’existe pas. Au contact avec l’eau, toutes les matières se dissolvent, fût-ce en quantités extrêmement réduites. Seuls les éléments ou liaisons dissous peuvent avoir une activité biologique. Le développement et le maintien de la vie sur Terre dépendent donc de la présence de nutriments solubles. Au cours de leur évolution, les plantes et les micro-organismes ont développé des mécanismes plus ou moins sélectifs pour rendre les substances nutritives dites « insolubles » – y compris les métaux lourds – plus solubles et disponibles. Ces mécanismes, cependant, manquent souvent de sélectivité. Autrement dit, les métaux indésirables sont assimilés en même temps. Les métaux lourds dans les denrées alimentaires: origine et évolution des teneurs ß Prof. Marc Verloo ß Symposium “Les oligo-éléments dans l’alimentation en Belgique - Données récentes” ß Institut Danone ß 18/10/2003 ß 1 ß Actuellement, grâce aux progrès spectaculaires de la chimie analytique, il est possible de déceler tous les métaux lourds dans toutes les facettes de notre environnement et aussi dans tous les produits alimentaires. L’homme utilise également les métaux lourds à d’autres fins. Il les a extraits, raffinés, enrichis et convertis en des formes chimiques qui peuvent souvent se montrer plus solubles que les formes naturelles. Par l’intermédiaire de l’air, des déchets ménagers et industriels, des déjections animales et des engrais, notre environnement s’est trouvé enrichi d’une série de métaux lourds qui ne possèdent plus leur stabilité originelle. A long terme, dans le sol, ces métaux retrouveront des liaisons stables, quasi insolubles, mais en attendant, les substances en question resteront dans la chaîne alimentaire. Les métaux lourds deviennent plus vite insolubles dans les sols riches en argile, d’un pH élevé, à forte teneur en phosphates, carbonates ou sulfures, ainsi que dans les humus. Autrement dit, les plantes qui poussent sur ces sols affichent rarement une importante concentration en métaux lourds. Mais tous les métaux et toutes les plantes ne réagissent pas de la même façon. Au cours de la dernière décennie, le cadmium et le mercure ont suscité une attention particulière, en partie à cause de leur importante diffusion, en partie pour la toxicité de certaines liaisons. La littérature et les chiffres datant d’avant 1980 doivent être traités avec circonspection, vu l’imprécision des méthodes analytiques. Le cadmium (Cd) a été et est utilisé sous forme de métal ou de liaison. Il est présent dans le revêtement de nombreux appareils ménagers (machines à laver, réfrigérateurs, fours) mais aussi dans l’outillage, les boulons, clous et vis. Il sert de colorant dans les plastiques, les pneus de voiture, les batteries et l’huile de moteur. Dans l’agriculture, les principales sources de cadmium sont les engrais aux phosphates et les boues d’épuration. Le plomb (Pb) est surtout présent dans les batteries, les canalisations, les soudures, les munitions et les colorants. Il a constitué un important additif de l’essence. Quant au mercure (Hg), ses principales applications se situent dans l’industrie pharmaceutique. Il sert aussi de catalyseur dans la fabrication des plastiques et entre dans la composition de divers appareils de mesure ou de régulation. Ces métaux sont surtout toxiques sous la forme d’ions de sels solubles, mais les liaisons alkyl-mercure et le mercure gazeux sont aussi très dangereux. Les métaux lourds dans les denrées alimentaires: origine et évolution des teneurs ß Prof. Marc Verloo ß Symposium “Les oligo-éléments dans l’alimentation en Belgique - Données récentes” ß Institut Danone ß 18/10/2003 ß 2 ß En raison de ses propriétés physico-chimiques, le Cd est un des métaux lourds les plus solubles dans le sol. Dès que la concentration de Cd augmente dans la terre, les plantes l’absorbent avidement, et il se retrouve dans la chaîne alimentaire. Il en va tout autrement du Pb et du Hg, qui se fixent rapidement dans le sol et sont moins disponibles pour les plantes. A côté de l’absorption directe, les plantes s’enrichissent aussi de métaux lourds par la poussière qui se dépose sur les feuilles. La fumée et les cendres volantes des incinérateurs sont riches en Pb ou Cd. Les aliments végétaux destinés à l’homme sont généralement lavés ; l’alimentation du bétail ne bénéficie pas de ce traitement. Cela peut avoir pour effet d’augmenter la concentration dans le lait et les abats, le foie, les reins. Des analyses systématiques des métaux lourds montrent que les valeurs autorisées ne sont que rarement dépassées dans l’alimentation belge commercialisée par les grandes surfaces. La limite de 200µg/g est parfois franchie dans l’épinard, mais les producteurs, en choisissant judicieusement les variétés, peuvent fortement réduire l’absorption par la plante. Les plus hautes teneurs se retrouvent toujours dans les potagers privés, les jardins populaires sis à la périphérie des grandes villes, parfois à proximité d’activités polluantes ou d’anciens sites industriels. Ces dernières décennies, les entreprises et les pouvoirs publics ont consenti de gros efforts pour limiter le plus possible les émissions de métaux lourds et maîtriser les flux de déchets. Des efforts fructueux. Dans la littérature internationale récente, les cas d’intoxication alimentaire aux métaux lourds sont devenus très rares. L’empoisonnement au cadmium semble plutôt lié au tabagisme, parfois à une carence physiologique en fer ou en zinc. Les problèmes de santé dus au plomb s’expliquent généralement par une hygiène déficiente ou par l’usage imprudent de minium de plomb. Les risques du mercure, enfin, sont principalement accidentels, mais peuvent parfois prendre des proportions plus vastes lorsque des semences désinfectées interdites sont mélangées à l’alimentation du bétail. Aujourd’hui, dans notre pays, la question des métaux lourds dans l’alimentation est relativement bien maîtrisée. Le consommateur doit cependant savoir que les produits qu’il cultive lui-même ou fait cultiver ne sont pas toujours les meilleurs. Les métaux lourds dans les denrées alimentaires: origine et évolution des teneurs ß Prof. Marc Verloo ß Symposium “Les oligo-éléments dans l’alimentation en Belgique - Données récentes” ß Institut Danone ß 18/10/2003 ß 3 ß