Les nouvelles solutions thérapeutiques

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Le génome : avancées scientifiques et thérapeutiques et conséquences sociales
The genome: scientific and therapeutic developments and social consequences
© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés
Les nouvelles solutions thérapeutiques : discussion
RAYMOND ARDAILLOU : je remercie le Dr Lancet pour son intéressante communication ;
j’allais dire qu’il s’est montré le plus prophétique des trois, puisqu’il a terminé son intervention en nous disant que l’analyse des polymorphismes génétiques permettrait des indications
thérapeutiques ciblées et que l’analyse complète du transcriptome (des gènes exprimés) permettrait une thérapeutique individuelle plus précise qu’actuellement, si j’ai bien compris.
J’aimerais donc que les autres participants à cette table ronde réagissent à ces prophéties ou
perspectives. On sait actuellement qu’un des premiers polymorphismes génétiques décrits
est celui de l’enzyme de conversion, dans lequel existe un polymorphisme ID, pour lequel on
a montré que le taux circulant d’enzyme de conversion était plus important chez les sujets
DD. En fait, on ne donne pas actuellement d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion en fonction du génotype du malade ; on ne regarde pas s’il s’agit d’un sujet DD, d’un sujet II ou
d’un sujet ID et rien ne prouve jusqu’à présent que les thérapeutiques soient plus efficaces
chez les sujets DD que chez les sujets II. Peut-être MM. Strosberg et Münnich pourraient-ils
nous donner leur opinion sur l’intérêt du polymorphisme génétique dans les prescriptions
thérapeutiques futures.
DONNY STROSBERG : je pense qu’il est évident que plus nous en saurons, mieux cela
vaudra. Ceci dit, je pense qu’Arnold Münnich a dit quelque chose de très juste et qu’il
faudrait vraiment rappeler le plus souvent possible que rien ne remplacera jamais la biologie. Toute la connaissance du génome (si vous voulez, les stations de métro) ne va pas vous
expliquer comment aller d’un endroit à l’autre ; il est absolument indispensable d’essayer de
combiner les différents niveaux de connaissance que nous sommes en train d’accumuler, ce
qui implique une immense entreprise, qui n’est aujourd’hui pas réalisée ni même construite.
Nous avons entendu parler de la Human Genome Organisation, organisation chargée de
séquencer le génome. Cependant, nous ne savons pas aujourd’hui comment va se construire
une organisation capable d’intégrer les connaissances accumulées sur le génome avec celles
accumulées sur le protéome et surtout la biologie, qui doit nous fournir les réponses.
Je tenais à réagir précisément à propos de la génotypie. J’avais moi-même au CNRS, comme
vous l’avez gentiment rappelé, trouvé un polymorphisme sur le récepteur bêta 3 adrénergique, exprimé dans le tissu adipeux ; or, il existe une tribu indienne en Amérique du Nord, les
Indiens Pima, qui comporte deux groupes : l’un vit dans une réserve indienne et l’autre de
manière tout à fait intégrée à la population environnante. Chez ces Indiens Pima, on a trouvé
que cette mutation sur le récepteur bêta 3 apparaît chez plus de 50 % des individus et que
cette population présente une prévalence de diabète et d’obésité extraordinaire. Nous nous
sommes donc beaucoup intéressés à cela, ainsi qu’environ cent autres laboratoires ; nous
sommes allés pratiquer des analyses du génome, uniquement en ce qui concerne le polymorphisme du récepteur bêta 3 adrénergique. Or, au Japon, ce récepteur est muté chez 20 à 25 %
des individus, bien que le Japon ne soit pas particulièrement connu pour compter beaucoup
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Discussion
d’individus obèses, hormis les champions sumos (qui eux-mêmes ne présentaient pas
nécessairement plus de mutations que d’autres).
Nous avons observé ensuite la situation notamment en France et nous nous sommes rendus
compte que, chez les obèses, cette mutation n’était pas plus prévalente, mais que lorsque les
obèses présentaient cette mutation, ils étaient encore plus obèses que les autres. Cela a été
contredit avec beaucoup d’énergie dans la moitié des études réalisées.
En fin de compte, je crois que nous avons typé près de 50 000 individus de par le monde,
dans tous les pays, de toutes origines ; il y a eu au moins 100 publications différentes. Très
honnêtement et très modestement, je dois avouer que, même après tout ce travail de biologie,
nous ne sommes toujours pas fixés sur le rôle de cet unique SNP sur ce récepteur bêta 3
adrénergique, auquel un énorme travail a été consacré.
Je ne regrette rien car cela a été très intéressant, mais je pense que, comme il a déjà été dit, il
faut se rappeler que le plus important de tout est la biologie sous-jacente : les mutations, les
modifications, la séquence du génome et les séquences des protéines constituent des indications, des marqueurs ; mais il faut ensuite convaincre les laboratoires de biologie d’analyser
réellement le fonctionnement de ceux-ci.
RAYMOND ARDAILLOU : j’ai écouté M. Münnich avec beaucoup d’intérêt également ; je
voudrais lui poser deux questions. Il a laissé une part à la thérapie génique très faible,
puisqu’il a cité des cas de maladies héréditaires, comme l’avait fait Axel Kahn, soignées
d’une manière tout à fait convenable par des thérapeutiques classiques : des molécules chimiques.
Comme on le sait, la thérapie génique n’a vraiment fonctionné que chez les malades soignés
par Alain Fischer, cas dans lesquels il y avait un avantage sélectif de prolifération, c’est-àdire où l’on a pu compenser le faible rendement de la transduction du gène par le fait que les
cellules transduites se multipliaient d’une manière considérable et assuraient donc une production suffisante de la protéine manquante. En dehors de ce cas particulier, où il y a eu un
avantage sélectif de prolifération de cellules transduites, quel avenir voit-il à la thérapie
génique, c’est-à-dire à l’apport de copies supplémentaires du gène dans le traitement des
maladies héréditaires monogéniques ?
ARNOLD MÜNNICH : je veux bien répondre brièvement à cette interrogation, mais il faudrait
écouter les éventuelles questions ou réactions des auditeurs. Je crois qu’il ne faut pas faire
preuve de dogmatisme : il y a eu suffisamment d’idéologie dans les approches thérapeutiques, d’intoxication avec la thérapie génique ; et il ne faut bannir aucune filière de soins
lorsqu’il s’agit d’enjeux aussi graves que les maladies de ces enfants. Par conséquent, toutes
les approches méthodologiques doivent être envisagées, qu’il s’agisse de thérapie génique,
cellulaire, moléculaire, pharmacologique ; tout est bon et il faut avoir plusieurs fers au feu.
JEAN-MICHEL BADER (Le Figaro) : ma question porte sur l’ataxie de Friedreich ; tout à
l’heure, vous avez rappelé que le hasard jouait un grand rôle, ainsi que peut-être le poids des
choses et des personnes. Dans un premier temps, malgré toutes vos demandes, celle de
Williamson et celle de nombreuses familles, le laboratoire Takeda, qui fabriquait cette
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molécule, s’est assis sur son tas de médicaments. Il a fallu que, peu à peu, peut-être
poussé on ne sait par quoi, ce laboratoire finisse par changer d’avis. Quelle leçon cela
vous donne-t-il quant à vos relations futures avec les industriels ?
ARNOLD MÜNNICH : merci de rappeler cet épisode quelque peu douloureux ; il est vrai
que nous avions avec Daniel Sidi observé une enfant souffrant d’une atteinte cardiaque très
inhabituelle considérée de notre point de vue, et comme nous travaillons toujours en dépit du
bon sens, que nous faisons toujours les choses à l’envers, nous avons fait le diagnostic du
déficit enzymatique avant d’aller voir la malade.
Quand j’ai reçu le résultat qui montrait une anomalie très particulière de la chaîne respiratoire mitochondriale, je suis retourné voir la patiente avec Daniel Sidi et j’ai su que cette
enfant avait une ataxie de Friedreich. Il est clair que si j’avais vu l’enfant avant, je n’aurais
pas fait tous ces examens et nous en serions au même point ; c’est à la suite d’une erreur –
d’une mauvaise pratique ! – que nous sommes parvenus à un bon résultat. C’est uniquement
parce que nous avons travaillé en dépit du bon sens que nous sommes arrivés en définitive à
quelque chose d’intéressant, qui était de trouver une molécule pouvant protéger le cœur de
ces enfants contre un stress oxydatif.
Il existait sur le marché une molécule, commercialisée par Takeda, qui était en voie de
cessation de production, car son effet sur les troubles de mémoire des patients japonais
atteints de la maladie d’Alzheimer était plus que décevant. Nous nous sommes donc battus
pour obtenir que les chaînes de fabrication soient maintenues ; au début, nous n’avons pas
obtenu gain de cause, car nous représentions peu de chose en France. Avec Pierre Gustin,
nous avons mobilisé les associations de familles de patients nord-américaines, canadiennes,
australiennes et, devant l’ampleur du phénomène associatif, le laboratoire Takeda, soucieux
de son image, a cédé.
Il est évident que le monde associatif dans son ensemble, les médias – France 2 et des journaux comme le vôtre en particulier – ont joué un rôle décisif dans l’inflexion des décisions
de cette grande entreprise pharmaceutique. Il est également évident, comme je le disais en
terminant mon intervention, que nos enfants représentent très peu de chose dans le marché
du médicament : peut-être 1 enfant sur 10 000 ou 20 000 et Daniel Sidi a peut-être 200 ou
300 enfants à traiter dans son service ; tout le monde se fiche de ces enfants – il faut être clair
à ce sujet – par rapport à l’obésité ou au diabète. Ce qui est vrai pour l’ataxie de Friedreich
est également vrai pour toutes les autres maladies rares.
MICHEL HAMON : je voudrais tout d’abord remercier le Dr Münnich pour son discours, car
nous sentons une évolution absolument spectaculaire dans le discours des scientifiques et
des généticiens moléculaires auprès des médias. Ainsi que le montrait la présentation de
Mme Chanteur, qui a mis l’accent sur l’importance du politique dans les décisions scientifiques, notamment relevant du domaine génétique, les scientifiques ont également leur part de
responsabilité dans la manière dont le public a perçu l’apport de la génétique et les espoirs
peut-être excessifs dans la thérapie génique, au travers notamment des contacts qui ont
existé sans doute de manière un peu trop fréquente avec les médias…
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Discussion
ARNOLD MÜNNICH : … et avec le monde associatif, car les scientifiques, au lieu de se
montrer neutres comme ils le devraient, sont souvent les otages de systèmes de financement
qui ne sont pas innocents.
MICHEL HAMON : certes, mais lorsqu’ils sont flattés par les médias, ils se laissent faire, en
tenant des discours qui apparaissent quelque peu faciles. Ensuite, une fois que l’information
est passée auprès du public, il est ensuite vraiment très difficile de modifier et de rétablir la
vérité.
Prenez l’exemple du Téléthon : je ne pense pas que le discours tenu à cette occasion évolue
tant que cela, pour que le public ait une image quelque peu différente de ce qu’est réellement
la science et de ce qu’apportent finalement les différentes approches ou voies de recherche
en matière scientifique.
En tant que pharmacologue, je crois aussi au monde des médicaments ; la pharmacologie
continue d’apporter des éléments parallèlement à la génétique et ce n’est pas finalement la
génétique triomphante qui réglera l’ensemble des problèmes de santé.
Actuellement, vous – la communauté des généticiens moléculaires – tenez ce discours et
je pense que nous allons enfin pouvoir dialoguer entre nous, avec les différents représentants de la recherche biomédicale de manière générale. Il s’agissait simplement d’un
commentaire.
J’avais une question spécifique pour M. le professeur Donny Strosberg ; j’ai beaucoup
apprécié votre communication. Certes, nous n’avons qu’une envie, celle d’être plus efficaces, plus rapides pour édifier des cibles pertinentes par rapport à la recherche de
médicaments ; mais lorsque vous prenez en dernier exemple la recherche systématique des
différents ADN complémentaires dans les adipocytes et que l’on aboutit à la fin à 700 gènes
inconnus, quelle est ensuite l’approche ? Comment peut-on identifier dans ces séquences des
gènes éventuellement pertinents pour des cibles thérapeutiques nouvelles ?
DONNY STROSBERG : c’est précisément sur ces 700 gènes inconnus que nous travaillons ;
nous considérons que le reste est déjà fait. Ce sont sur ces 700 gènes que nous validons les
phénotypes, que nous faisons s’exprimer dans les cellules des dominants négatifs – c’est de
la biologie, je m’en excuse – pour voir comment ils affectent le phénotype. Nous sommes,
en quelque sorte, en train d’annoter le génome humain.
Ce sont donc ces 700 gènes qui nous intéressent car ce sont ceux pour lesquels personne
d’autre ne dispose des outils pour y travailler. Nous disposons quant à nous, grâce à notre
technologie, des dominants négatifs et nous sommes en train de décrire ces 700 gènes, avec
leur lieu d’expression, ce que produit un anticorps sur une cellule pour chacun d’eux, s’il y a
des maladies dans lesquelles l’un de ces 700 gènes est affecté… Bien entendu, nous trions à
partir de ces 700 gènes ceux qui ont plus de raisons d’être « médicamentables », plus susceptibles de jouer un rôle-clé dans une voie métabolique, mieux connus du point de vue de
l’expression, du rôle biologique, ou pathogénique, etc.
ARNOLD MÜNNICH : puis-je réagir à votre commentaire et à votre réaction ? En un mot, je
voudrais juste prendre la défense du Téléthon car il ne faut pas cracher dans la soupe, surtout
pas nous, qui avons été aidés dans la construction de notre projet.
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Par conséquent, je pense que, pendant un certain temps, cette grande association, qui gère
ses ressources de manière impeccable, a pris quelque peu ses désirs pour des réalités et a fait
montre de triomphalisme ; cependant, l’année dernière et encore cette année, ce discours
s’est infléchi et je pense qu’il témoigne d’une plus grande prudence, certainement de la part
des scientifiques et également des responsables associatifs, quant à l’information délivrée
aux familles. C’est ce que j’ai perçu. Nous sommes en train de converger vers un peu plus de
réalisme, ou un peu moins de triomphalisme, comme vous le souhaitez.
BÉTRICE GUARDIOLA : je souhaitais faire un commentaire à destination de M. Münnich,
pour vous dire qu’il était très agréable pour des scientifiques et des pharmacologues de
savoir qu’il existait encore une vie possible de scientifique après le séquençage du génome et
que nous étions bien contents de savoir que nous pouvions encore servir à quelque chose,
même si nous n’avions pas nous-mêmes séquencé le génome ! Je voulais donc vous remercier car nous passons par des hauts et des bas, en tant que scientifiques, pour savoir si nous
avons encore un rôle à jouer...
J’avais également une question pour Donny Strosberg, qui rejoint celle de Michel Hamon.
Vous avez dit que les processus actuels de développement appliqués dans l’industrie sont
inefficaces, que l’on fera bientôt des médicaments moins chers et plus efficaces, et qu’il faudra agir sur une seule voie métabolique parce qu’en agissant sur deux voies on induit des
effets secondaires : le fait de toucher à une seule voie métabolique est-il, quelle que soit la
maladie, un gage de réussite pour un médicament et une promesse d’absence d’effets
secondaires ?
DONNY STROSBERG : absolument pas. Je n’avais pas beaucoup de temps et j’ai simplement
cité quelques exemples de travaux que nous avons menés. Nous avons considéré le TGF
bêta, molécule de découverte relativement ancienne, qui présente des effets dans différents
domaines, sur différentes cellules, dans différentes maladies, que nous ne savons toujours
pas très bien comment utiliser en thérapie humaine. Or, en étudiant l’intervention du TGF
bêta dans différents types cellulaires, à différents moments de développement de ces cellules, nous allons pouvoir décrire effectivement le comportement du TGF bêta et de tout ce qui
vient ensuite, pour comprendre ce que nous devons développer, où nous devons agir pour,
par exemple, bloquer la fibrose pulmonaire, agir dans la fibrose hépatique, travailler sur la
fibrose rénale. Il n’est pas du tout certain que cela soit à chaque fois au même endroit de la
cascade métabolique que nous devons agir.
Comme toujours en sciences – et Hybrigenics est une société fondée sur la science, même si
elle aimerait bien se diriger vers les marchés – plus on connaît d’éléments, plus on découvre
de nouvelles questions et plus nous allons pouvoir nous montrer précis dans notre intervention. C’est le point fondamental : il est essentiel d’approfondir nos connaissances et d’en
faire encore beaucoup plus qu’auparavant.
Pour en revenir au génome, nous n’en sommes qu’au début ; beaucoup de personnes ont
pensé que le séquençage du génome était un aboutissement, je dis pour ma part que c’est la
fin du début : maintenant nous pouvons enfin commencer à travailler. Je crois que la conclusion doit être celle-ci.
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