Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
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L'archétype de la femme voilée
Seule représentation de la femme arabo-musulmane dans la presse
francophone
Depuis quelques années, le hijab, voile islamique, est devenu un thème récurrent dans la presse écrite
belge. Les premières mentions remontent à 1989, faisant suite au débat français concernant l'exclusion
du lycée de Creil de trois jeunes filles voilées. Depuis, cette problématique s'est largement répandue
dans les journaux de telle sorte que l'imaginaire collectif de la femme musulmane s'est réduit à la
vision de la femme voilée, opprimée et sans voix.
La question du voile a connu trois phases majeures de surmédiatisation dans la presse écrite belge :
une première en 1989 et une deuxième en 2003-2004, toutes deux largement influencées par des affaires
françaises, puis une troisième vague en 2009-2010, concernant, elle, des affaires belges.
L'étude de cette dernière période de surmédiatisation nous a permis d'analyser en profondeur la vision de
la femme musulmane qui émane du traitement de la question dans la presse écrite belge francophone en
général, et plus particulièrement dans le journal Le Soir.
De cette étude de corpus 2009-2010, il ressort que la femme musulmane n'a de place dans les médias belges
que lorsque la question du voile est soulevée. Nous avons constaté que pendant la période analysée, 95%
des articles qui parlent de ces femmes musulmanes sont en rapport direct avec la question du hijab, les 5%
restant concernant des événements culturels ou des faits divers dont ces femmes ont été victimes.
L'image des femmes arabo-musulmanes véhiculée par les médias belges est contaminée par les stéréotypes
accolés au port du voile, notamment la soumission de la femme au diktat religieux et/ou machiste, le
communautarisme ou encore l'intégrisme. Dans ce contexte, le facteur religieux est présenté comme la cause
de la soumission de la femme et son inadaptation à la société occidentale. En général, les médias définissent
la femme voilée en opposition à l'idéal de la femme occidentale libérée et à égalité de droits avec l'homme. «
Le voile se convertit en une frontière entre le religieux et le séculier, le traditionnel et le moderne, le progrès
et l'arriération » comme l'affirme Élizabeth Pena Velasco dans L'islam dans le miroir de l'Occident : le cas de
la presse française actuelle.
Typologie des représentations
La représentation de la femme voilée dans la presse belge se décline selon trois stéréotypes.
En premier lieu, nous constatons que les médias belges considèrent comme une évidence que la femme
voilée est automatiquement une femme soumise à une volonté masculine : celle du père, du frère ou du mari.
Deuxièmement, la femme voilée est considérée comme soumise aux diktats religieux et aux traditions. De
plus, nous constatons que tant les intervenants politiques que les journalistes ont tendance à faire l'amalgame
entre les préceptes islamiques et les coutumes régionales ou nationales. Par exemple, le port de la burqa,
propre à l'Afghanistan, est considéré à maintes reprises comme une problématique qui peut s'étendre à la
totalité du monde arabe. Au delà de ces imprécisions, des expressions telles que « emprisonnées dans leurs
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traditions », « assujetties aux diktats religieux » nient dans l'esprit du lecteur la possibilité d'émancipation de
la femme voilée. Ce discours cache en même temps un paternalisme latent et un ethnocentrisme, lesquels
présentent le féminisme laïc comme l'unique voie pour l'émancipation réelle de la femme.
De plus, le hijab est souvent présenté comme un porte-drapeau de l'islamisme radical. Certains intervenants
n'hésitent pas à faire des liens avec l'intégrisme religieux à la conquête de l'Europe et l'imposition de la charia' :
« L'instrumentalisation du voile par des militants de l'islam réactionnaire est un fait » peut-on lire. Dans le
même temps, le port de voile est aussi accolé au prosélytisme dans les écoles, ainsi on dénonce « la présence
dans les écoles d'une réelle radicalisation avec des pressions de plus en plus fortes sur les élèves qui n'étaient
pas voilées… ».
Troisièmement, on constate que ces articles reprochent aux femmes voilées de ne pas s'intégrer, le port du
voile étant appréhendé comme preuve de renfermement et de communautarisme. Pourtant, la présence de
certaines de ces femmes dans la vie politique et les institutions représente, nous semble-t-il, une ouverture
à la société belge et une marque d'intégration dans cette dernière. Mais même dans ce cas, l'image qui
en est donnée reste négative : « la présence d'une femme voilée dans un parlement équivaut au retour au
cléricalisme ».
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La construction de
l'altérité
Le cadrage informatif de la question du voile a donc défini la femme en fonction de son voile, participant ainsi
à la stigmatisation de cette population au travers de stéréotypes qui ont été mis en exergue dans les débats
médiatiques. Il a ainsi produit un effet de dichotomisation de la société la femme voilée apparaît comme
« l'autre », sans valeurs communes avec la société belge.
Cette mise en récit de l'altérité de la femme arabo-musulmane conforte d'une certaine façon la vision
stigmatisée, réductrice et criminalisante de la femme. Le voile est devenu le catalyseur des craintes envers
l'islam, notamment en raison de glissements sémantiques et d'amalgames, qui concourent à produire une
image stéréotypée de l'islam, confondant religion avec intégrisme, identité religieuse avec communautarisme
et affichage de convictions religieuses avec tentative de les imposer à l'Occident.
La manière même dont le débat a été posé, c'est-à-dire en forme de problématique du vivre ensemble, a
fortement aidé au relais massif des stéréotypes et des préjugés envers une partie de la population considérée
comme « l'alter ».
L'islam est par ailleurs présenté comme homogène et totalement incompatible avec les valeurs des sociétés
occidentales modernes comme la laïcité, la démocratie et les droits de l'homme - et de la femme -. Les
caractéristiques de ce prétendu islam homogène sont attribuées aux femmes voilées, sans prendre en compte
la personne mais uniquement la religion à laquelle elle appartient. L'attitude d'une musulmane, quelle qu'elle
soit, semble prédéterminée par sa condition de musulmane.
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Or, l'altérité, représentée aujourd'hui au travers du voile, n'est que la transposition du discours « orientaliste »
défini par Edward Saïd comme un emprunt d'imaginaire et de stéréotypes sur l'Orient et par extension l'islam.
Les caractéristiques « définies et immuables » des Arabo-musulmanes permettent à l'Occident de se définir
dans son altérité tout en posant sa culture comme plus avancée, face à l'arriération des Arabes.
Méconnaissance et incompréhension
Dans les textes analysés, on constate que les femmes voilées sont peu interrogées, de même d'ailleurs que
la communauté musulmane en général. Elles représentent seulement 6% des intervenants dans ces articles,
contre 40% de personnalités politiques (dont la plupart sont des hommes). Cette quasi-absence de parole
tend à confirmer les stéréotypes présentés ci-dessus, et notamment l'incapacité de ces femmes à penser par
elles-mêmes ou leur manque d'intérêt pour le dialogue public et l'intégration.
Contrairement aux femmes voilées, les hommes politiques sont fréquemment cités dans notre corpus. La
politisation du sujet est vraisemblablement d'ailleurs à l'origine de sa surmédiatisation, de même que l'intérêt
que porte le lectorat à ce type de problématiques - les articles consacrés au voile figurent en effet parmi les
plus lus et les plus partagés -, et que le fonctionnement du champ médiatique dans un contexte économique
difficile, les délais et les impératifs ne permettent pas toujours aux journalistes de traiter ces sujets sensibles
avec le recul nécessaire pour éviter toute stéréotypisation.
Il serait sans doute intéressant de donner davantage la parole aux musulmans et aux femmes en particulier.
Leur intégration dépend de la connaissance que nous avons d'eux et nécessite le soutien de la société, des
médias et du monde politique. L'image de la femme voilée telle qu'elle est actuellement véhiculée par les
médias, consciemment ou non, semble ne correspondre que trop partiellement à la réalité et alimenter le
sentiment d'altérité et d'incompréhension.
Marta Luceño Moreno
Avril 2013
Marta Luceño Moreno est journaliste indépendante et commence un doctorat en communication
sur la mise en scène et la médiatisation des « révolutions arabes ».
Photo ©Weinstein- Fotolia
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