À ses débuts, le journal était modeste, mais il compta ensuite jusqu'à 100 pages :
rédactionnel écrit par des soldats allemands, le plus souvent des sous-officiers, la plupart
anonymes, et aussi publicité en abondance. Le Tout-Paris collabo (restaurants, théâtres,
cinémas, librairies « spécialisées »…) s'étant vite accommodé de la situation. On voit ainsi la
Librairie Rive Gauche, située place de la Sorbonne, se proclamer fièrement « die Heimstatte
des deutsche Buches in Paris » (le foyer du livre allemand à Paris), Schmit et Cie, décorateur
du faubourg Saint Antoine, accrocher de belles croix gammées dans un hall qui fait sa fierté,
la Rôtisserie de la reine Pédauque insister sur la qualité de sa bière de Dortmund, ou encore
le Palais de Chaillot présenter son programme de concerts avec le soutien des disques Die
Stimme seines Herrn (La Voix de son maître). Même si, dès le départ, le ton est donné par
Heinz Lorentz en personne, le responsable du service de presse d'Hitler, incitant les soldats
allemands qui auraient été mal reçus par les autochtones à les dénoncer à la rédaction, le
Wegleiter se veut avant tout pratique : tout y est fait pour simplifier la vie du troufion,
notamment dans le métro ; léger - spectacles et restaurants occupent l'essentiel du sommaire
-, mais aussi culturel. On peut y lire d'excellentes critiques de théâtre, sur La reine morte de
Montherlant (1942), Les mouches (1943) et Huis clos (1944) de Sartre - cette dernière très
élogieuse, en dépit d'un certain « malaise » -, ou encore, plus mitigée, sur Le soulier de satin
de Claudel (1943) : « un spectacle de cinq heures [où] il y a si peu d'énergie, si peu d'action ». Un
autre critique de l'époque, français celui-là, avait d'ailleurs ironisé : « Heureusement qu'il n'y
a pas la paire ! » On y trouve aussi nombre de saynètes de la vie quotidienne, chez les
bouquinistes, dans les loges des concierges, aux carrefours ou le « flic » règle la circulation.
Des pages historiques (et de propagande) célébrant le retour des cendres de l'Aiglon,
rendues a la France par Hitler en 1940. Ou encore des papiers sur les stars de l'époque, bien
actives, Guitry, Mistinguett, Edwige Feuillère ou Maurice Chevalier.
Ce qui est stupéfiant, à tourner les pages du Wegleiter, c'est qu'on en vient presque à oublier
la guerre. Heureusement, en février 1944, une exposition sur la Waffen-SS, aux Champs-
Élysées, invitant les Français à s'engager dans la LVF, remet les pendules à l'heure. Ce livre,
façon originale de revisiter une page sombre de notre histoire, est une vraie découverte.
Jean-Claude Perrier