Programme et résumés des conférences ci-joint

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Séminaire du centre Cavaillès 2016-2017
29 rue d’Ulm, 3ème étage, les séances commencent à 13H30
Biologie : l’ombre d’un doute ?
12 octobre
Olivier Gandrillon (Laboratoire de biologie et de modélisation de la cellule, ENS Lyon)
Expression stochastique des gènes et différenciation cellulaire
Nous nous plaçons résolument dans la perspective d'une physico-chimie
variationnelle du vivant (1). Dans ce cadre, tous les phénomènes biologiques, étant
avant tout des phénomènes physico-chimiques, deviennent de facto des
phénomènes probabilistes (i.e. aléatoires contraints).
Cet aléatoire affecte donc également l'expression génique, le processus par lequel
les séquences d'ADN des génomes sont traduites en protéines, conduisant à une
expression stochastique des gènes (ESG). Cette ESG, d'abord postulée sur des bases
théoriques (2) est dorénavant parfaitement établie d'un point de vue expérimental
(3 et 4 pour des revues récentes).
Deux visions continuent cependant de s'opposer quand au rôle biologique que l'ESG
serait amenée à remplir : la première, sous forte influence du dogme central de la
biologie moléculaire, assimile l'ESG à un « bruit » certes inévitable mais que la cellule
cherche avant tout à minimiser pour réaliser son « programme génétique »; la
seconde, sous influence darwinienne, postule que la variation est au fondement du
vivant et que les processus de hasard-sélection ne sauraient se restreindre à la
sphère des organismes (5).
Nous sommes engagés depuis plusieurs années dans la mise en oeuvre d'approches
expérimentales permettant de tester des prédictions faites par la seconde approche,
afin d'en éprouver la validité. Une des prédictions majeures concerne l'importance
de la SEG dans les processus de différenciation cellulaire, et notamment la prédiction
que la variabilité de l'expression génique doit augmenter au début du processus
avant de diminuer sur la fin du processus.
Dans ce cadre nous avons mis en œuvre des approches de transcriptomique à
l'échelle de la cellule unique dans un modèle de différenciation érythrocytaire
aviaire. Ces approches nouvelles permettent d'interroger le niveau d'expression
génique à l'échelle pertinente pour tester la prédiction, puisque la mesure de la
valeur moyenne ne saurait qu'écraser les variations qui nous intéressent. Nos
résultats expérimentaux démontrent une augmentation significative de l'entropie
(une mesure de la variabilité de l'expression génique entre les cellules) dans les 8 à
24 heures après induction de la différentiation qui redescend ensuite à 72 heures à
une valeur significativement inférieure à la valeur initiale. Nous montrons également
que cette variation au niveau moléculaire précède (et annonce?) une variation à
l'échelle supérieure (augmentation de la variabilité dans la taille des cellules) et à
une échelle fonctionnelle (engagement irréversible dans le processus de
différenciation).
Ces données expérimentales favorisent donc clairement une vision intrinsèquement
probabiliste et dynamique des processus de différentiation et ouvrent des
perspectives nouvelles quand aux mécanismes de régulation à l'échelle cellulaire
sélectionnés par l'évolution.
1.
Le hasard au coeur de la cellule- Probabilités, déterminisme, génétique (2009). Sous
la direction de Jean-Jacques Kupiec, Olivier Gandrillon, Michel Morange et Marc
Silberstein. Editions Matériologiques.
2.
Berg, O.G. (1978). A model for the statistical fluctuations of protein numbers in a
microbial population. J Theor Biol 71, 587-603.
3.
Chalancon, G., Ravarani, C.N., Balaji, S., Martinez-Arias, A., Aravind, L., Jothi, R.,
and Babu, M.M. (2012). Interplay between gene expression noise and regulatory
network architecture. Trends Genet 28, 221-232.
4.
Eldar, A., and Elowitz, M.B. (2010). Functional roles for noise in genetic circuits.
Nature 467, 167-173.
5.
Kupiec JJ. A Darwinian theory for the origin of cellular differentiation. Mol Gen
Genet. 1997;255(2):201{8.
9 novembre
Eric Bapteste (Institut de Biologie Paris Seine)
Complexité organisationnelle en biologie : état de l’art et conséquences pour la
biologie de l’évolution ?
Dans les dernières décennies, les connaissances au sujet de la complexité biologique
au niveau moléculaire, cellulaire et plus récemment au niveau des holobiontes
(organismes eucaryotes et leurs communautés microbiennes associées) ont
significativement progressé. Réseaux d’interactions moléculaires, transferts latéraux
de gènes, symbioses et endosymbioses affectent l’évolution biologique depuis des
milliards d’années, conduisant à l’apparition d’organisations multi-agents, multilignées, multi-niveaux, interconnectées et imbriquées. Autrement dit, à tous les
niveaux d’organisation biologique, l’ubiquité des collectifs, systèmes composés de
multiples agents dépendants, représentables de manière abstraite par des réseaux,
est notable. De ce fait, la biologie évolutive apparait fondamentalement comme une
science des réseaux dynamiques. Cette proposition offre un cadre original pour
unifier, recomposer et étendre la théorie de l’évolution, en mettant en avant
plusieurs concepts périphériques ou absents des explications classiques de l’histoire
du vivant sur terre.
14 décembre
Frédérique Théry (Agrégée de science, Enseignante en lycée)
Quand les ARN non codants bousculent la biologie moléculaire
Au début des années 2000, la conception des génomes comme des machines à
produire des protéines a été rendue caduque par la découverte inattendue dans les
cellules de très nombreux ARN non traduits en protéines : les ARN non codants. Les
recherches sur ces ARN, qui assurent des fonctions régulatrices majeures au sein des
cellules, ont profondément modifié la représentation que les biologistes se font de
l’ADN et des processus cellulaires. Nous nous efforcerons de montrer en quoi ces
recherches et les résultats qu’elles apportent reflètent, accompagnent et catalysent
des transformations méthodologiques, conceptuelles et théoriques majeures de la
biologie moléculaire contemporaine. Nous aborderons plus précisément ce
problème à travers l’étude de deux questions conceptuelles : comment définir le
concept de gène au niveau moléculaire, et quelle place lui accorder dans les théories
biologiques à l’ère post-génomique ? Est-il pertinent de recourir au concept
d’information afin d'expliquer les fonctions des acides nucléiques ?
11 janvier 2017
Robert Nardonne (doctorant en Histoire des TechnoSciences et Société. Laboratoire
Cnam/HT2S)
Les Composantes Scientifiques et Techniques de la Culture à 25 images/s ; Entre
pédagogie et propagande
Les notions de gène et d’ADN se sont très largement imposées dans l’opinion. Tant
et si bien qu’elles se retrouvent dans le vocabulaire journalistique, politique et
publicitaire à propos de tout et de n’importe quoi.
« L'image de Resnais est comme réimplantée dans le code génétique du public de
cinéma français » Jacques Mandelbaum, Le Monde du 02/03/2014.
« L’hôpital public, fait parti de notre patrimoine génétique », Marisol Touraine,
Ministre de la santé, 04/03/13, Canal+.
« Le train c’est l’ADN de notre entreprise », Guillaume Pépi, PDG SNCF, BFMtv
02/07/15.
« Bultex Nano, L'ADN du confort », Publicité pour des matelas, 06/2014.
Jusqu'à la gamme de produits de beauté « Généfique » de l’Oréal.
Mon propos n’est pas, ici, d’analyser les raisons de cette appropriation massive, mais
plutôt d’observer comment, par quelle voie, ces notions se sont imposées comme
d’indiscutables vérités.
L’eussent-elles été aussi massivement sans la technique cinématographique, des
films des salles obscures aux reportages télévisuels ?
L’essentiel de ma recherche au sein du laboratoire HT2S du Cnam, porte sur l’étude
historique du dispositif cinématographique, comme vecteurs de transmission et de
légitimation des savoirs scientifiques et techniques.
L’effet de réel produit par la technique cinématographique, en fait sans aucun doute
l’outil de persuasion le plus puissant qui soit. Le camarade Lénine qui s’y connaissait,
déclarait que «le cinéma est pour nous, de tous les arts, le plus important ».
Toute information vectorisée par ce double dispositif technique (matériel et narratif)
se trouve immédiatement investie d’un crédit de vérité : « Je le vois, il est là, il me
parle » (Eliseo Veron, à propos du Journal Télévisé). Une aubaine pour le faire croire,
un handicap pour le faire penser, un passionnant champ d’étude pour les sciences
humaines.
La commercialisation massive du matériel de prise de vue cinématographique,
présent jusque dans les téléphones, la prolifération des écrans de diffusion dans
l’espace public et privé, la normalisation d’une authenticité ontologique accordée à
cette technique, rend urgent sa rationalisation. Remettre la technique à sa place
d’outil de production d’artefacts, de machine à fabriquer des fables.
1er février
Jean-pascal Capp (INSA, Toulouse)
Nouveau regard sur les cellules souches
La notion de cellule souche est en plein bouleversement. La vision issue des
premières études moléculaires des années 60/70, est battue en brèche par de
nouveaux éléments expérimentaux. Ces résultats, rendus possibles par certaines
avancées technologiques, sont venus questionner la définition de la cellule souche
en termes moléculaires précis. Les cellules souches sont en réalité intrinsèquement
instables et variables, ce qui a des conséquences fortes en termes de différenciation
cellulaire, de développement des organismes et de développement cancéreux. Ces
conséquences seront évoquées en introduisant les alternatives aux modèles de
développement classiques basés sur le déterminisme génétique, en particulier
l’ontophylogenèse, qui paraît le mieux pouvoir synthétiser les résultats évoqués.
Enfin la "reprogrammation cellulaire" et la médecine régénérative seront
brièvement discutées sous cet angle novateur.
8 mars
Marc-André Sélosse (Institut de Systématique, Bioévolution, Diversité)
La difficile émergence du concept de coopération entre espèces vivantes face à
l’idée de compétition
Au XIXe siècle, quand émerge la notion de coopération entre espèces, elle s’inspire
d'un champ philosophique sociétale engagé. Elle ne paraît, à première vue, guère
compatible avec les théories de l'évolution qui reposent sur la compétition et les
relations de prédation ou de parasitisme, et qui laissent peu de place aux
phénomènes coopératifs. Aussi la pensée sur la coopération se développe-t-elle
indépendamment de l’évolution, voire souvent en rupture avec le darwinisme. Cette
tendance va progressivement se résoudre, à la fin du XXème siècle, en une
cohérence combinant compétition et coopération spécifiques sein de la théorie néodarwinienne.
19 avril
Maureen O’Malley (UMR 5164, Université de Bordeaux)
From endosymbiosis to holobionts: implications for evolutionary theory
Contemporary discoveries of large-organism dependence on microorganisms are
often accompanied by a tendency to see these findings as problematizing standard
evolutionary theory. Although such thoughts have much older historical
antecedents, a common inspiration comes from Lynn Margulis’s ideas in the 1970s
about endosymbiosis (one cell living inside another cell) and symbiosis (intimate
interactions between organisms). As part of her broader project on the evolutionary
implications of symbiosis, Margulis coined the term ‘holobiont’ to refer to a unified
entity of symbiont and host. This concept is now applied in controversial ways in
microbiome research, which is the molecular study of large organisms (particularly
animals) and the microbial communities that inhabit them. When these collectives
are called holobionts, the term implies not just a physiological unit but also various
senses of an evolving unit. After outlining the issues and problems of such
conceptualizations, I will discuss Margulis’s legacy for the study of microbial-host
systems and evolutionary research.
10 mai
Gilbert Lechermeier (ingénieur chimiste, thèse IHPST)
Le vivant entre rupture et continuité ; comment saisir l’originalité du vivant ?
Comment caractériser le vivant dans le cadre scientifique tel qu’il se pratique et
partant, identifier les contraintes et limites épistémiques qui rendent si délicate la
théorisation d’un système matériel doté des propriétés que nous qualifions de
vitales ? Ce questionnement emprunte un fil conducteur : une continuité qui
procède sur le fond de la communauté matérielle entre la matière constitutive du
vivant et la matière commune universelle. Dans cet ordre d’idées s’énonce un
deuxième constat, c’est celui d’une distinction, d’une différence, d’une spécificité
qui fait que tout système vivant diffère des autres systèmes matériels avec lesquels il
partage cette communauté matérielle.
Les rapports entre une classe d’organisations matérielles – le vivant- et l’ensemble
des propriétés dont la présence simultanée et conjointe participe de cette
singularité que l’on subsume sous le terme de « vie » sont au cœur de nos
interrogations. Les propriétés « vitales » sont couramment qualifiées d’émergentes
car, du moins en première analyse, elles ne sont pas réductible aux seuls
composants matériels élémentaires des systèmes qui les portent. Ce sont par ailleurs
les rapports entre ce substrat matériel et les propriétés phénoménologiques qui
constituent l’objet même des sciences de la vie. Ce que nous tenterons alors, c’est
d’en présenter quelques éléments significatifs à travers l’analyse de propositions qui
tiennent lieu de définitions de la vie. Celles-ci résument verbalement ou parfois
même, théorisent ces liens au sein de modèles globaux. En somme, ces définitions
exposent sous une forme résumée l’état de notre compréhension des liens entre ces
systèmes matériels, leur organisation et les propriétés vitales qu’ils expriment. Leur
analyse critique permet de cerner ce qui constitue la spécificité et la singularité des
systèmes vivant dans le fond commun de la matière universelle.
14 juin
Mathias Girel (ENS, Paris)
Peut-on définir un doute raisonnable en sciences ?
Le doute méthodique entre ordinairement dans les descriptions de l’enquête
scientifique et on l’oppose tout aussi classiquement à un doute hyperbolique ou
déraisonnable, qui serait la marque du scepticisme, qu’à un doute « produit » qui
serait motivé par d’autres finalités que celles de l’enquête. Le présent exposé, se
fondant sur les apports philosophiques de Charles Sanders Peirce et sur les exemples
fournis par des controverses environnementales et sanitaires récentes, reviendra (1)
sur la pertinence qu’il y a à parler de doute pour qualifier la dimension critique de la
recherche scientifique, (2) sur les formes du doute mobilisées dans l’enquête ainsi
que (3) sur l’arrière-plan normatif qui permet de parler de « doute raisonnable ».
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