n’est pas essentiellement un monde sans structure. Il a une signification
particulière et une structure pertinente pour les êtres humains qui y
vivent,qui y pensent et qui y agissent.Ils ont sérié et interprété à l’avance
ce monde par de nombreuses constructions courantes de la réalité de la
vie quotidienne,et ce sont ces objets de pensée qui déterminent leur com-
portement, définissent le but de leur action, les moyens ultimes pour les
mener à bien – en bref, qui les aident à s’y retrouver à l’intérieur de leur
environnement tant naturel que socioculturel et de s’en accommoder. Les
objets de pensée construits par la pensée courante de l’homme menant sa
vie quotidienne parmi ses semblables et s’y référant.Ainsi, les construc-
tions utilisées par le chercheur en sciences sociales sont, pour ainsi dire,
des constructions au deuxième degré, notamment des constructions de
constructions édifiées par les acteurs sur la scène sociale dont l’homme de
science observe le comportement et essaie de l’expliquer tout en respec-
tant les règles de procédure de sa science5.» Ainsi,l’ethos serait la « fiction
scientifique » d’une représentation dramatisée par l’acteur social, une
métaphore au second degré en quelque sorte.
L’ethos est donc une représentation typicale construite à partir d’un tra-
vail empirique et d’une analyse critique de tous les résultats ou faits récol-
tés.Il traduit le comportement,la mentalité d’un acteur social appréhendé
dans sa totalité6: ici, le mangeur. Comme nous nous plaçons dans la pers-
pective de l’acteur, il résulte de la rencontre entre des forces centrifuges
produites par la sociabilité (les pulsions,les passions,l’imaginaire et l’in-
vention résultant des interactions de l’ego avec un environnement parfois
porteur de hasard) et des forces centripètes exprimant la socialité (civi-
lité, normalisation des images corporelles, contraintes diététiques, écono-
miques ou commerciales, etc.). L’ethos correspond au bricolage, au
métissage de ces forces de nature différente par le sujet qui donne ainsi
sens à sa vie en inventant des trajectoires originales. Le socio-analyste,
impliqué dans une démarche compréhensive, peut les rapprocher, les
comparer, les superposer à d’autres pour que l’ethos, toujours significatif,
se transforme en type représentatif. L’ethos s’affirme le lieu d’appréhen-
sion de tous les éléments recueillis au cours des enquêtes, la métaphore
pédagogique pour en rendre compte de la façon la plus dynamique et tota-
lisante possible.
Le sociologue est comme un peintre qui repère un visage. S’il construit
un ethos, il lui faut le restituer, non comme un « photographe acadé-
mique », mais en traduisant le drame (au sens développé par G. Politzer),
les émotions, les sensibilités et la sensualité qui les animent au gré des
forces centripètes et centrifuges qui les modèlent.
Car l’ethos est comme un visage dont le profil est esquissé par les inter-
actions entre un environnement et les réponses personnelles fournies à
L’EFFERVESCENCE DES ETHOS • 119 •
5. Schutz, 1987, pp. 10-11.
6.Au sens donné par G. Gurvitch.
lemangeur-ocha.com - Poulain, Jean-Pierre - Corbeau, Jean-Pierre. Penser l'alimentation.
Entre imaginaire et rationalité. Privat, Toulouse, 2002, 206 p. - Ch.6 - L'effervescence des ethos