Ce courant particulier de l’analyse sociologique n’a pas non plus été
épargné par de vivants débats critiques visant le dépassement de certaines de
ses limitations majeures. Que des travaux importants tels que ceux de Stanley
Lieberson (1985), de Charles Ragin (1987) ou de Ray Pawson (1989) n’aient
pas suffit à limiter les « dangers » potentiels découlant d’une utilisation naïve
de techniques dont la sophistication augmente de plus en plus, cela est bien
montré par la reprise virulente du débat au cours des années quatre-vingt-dix
(Clogg et Haritou, 1997 ; Esser, 1996 ; Sociological methodology, 1991, 21,
pp. 291-358 ; Sorensen, 1998). Ces discussions critiques commencent par
ailleurs à déboucher sur des propositions méthodologiques précises d’amen-
dement : Hans-Peter Blossfeld (1996, 1998) prône l’extension de l’utilisation
de données quantitatives longitudinales et leur traitement à l’aide des techni-
ques d’« event history analysis » afin d’augmenter la micro-fondation de la
sociologie empirique quantitative ; Andrew Abbott (1992a, 1992b, 1995,
2000 ; Abbott et Hrycak, 1990 ; Abbott et Tsay, 2000) propose une implé-
mentation de la notion de « narrative » à l’aide d’une technique issue de la
biologie, l’« optimal matching analysis » ; Peter Abell (1984, 1998, 2003),
enfin, partage l’idée de substituer la notion de « narrative » à celle de
«variable » mais il propose, à la différence d’Abbott, une méthode d’implé-
mentation de nature algébrique et non pas métrique (2).
Cet article propose une analyse de la littérature récente alimentant le débat
sur les limites de la sociologie empirique quantitative et sa possible reformu-
lation dans le sens d’une extension de son pouvoir explicatif. Nous centrerons
notre attention sur quatre types de contributions scientifiques : 1) les contribu-
tions qui discutent les problèmes propres à cette approche ; 2) celles qui ont
trait à la notion d’action sociale et de rationalité ; 3) les travaux sur le concept
de mécanismes générateurs ; 4) les publications sur l’application des
méthodes de simulation en sociologie. Il est possible de montrer que ces
quatre types de productions sociologiques se renvoient l’un à l’autre : notre
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Revue française de sociologie
(suite note 1)
of large-scale data sets » (Goldthorpe, 1996a),
«sociologie quantitative » (Corbetta, 1999),
«sociologie positiviste » (Cherkaoui, 2000,
2003a). Nous préférons parler de sociologie
empirique quantitative dans le but de rappeler
que la « variable sociology » n’épuise pas la
sociologie quantitative : il existe aussi une
forme de sociologie quantitative purement
théorique – à savoir, la sociologie mathéma-
tique – qui a son propre statut et sa propre
légitimité (Collins, 1992, pp. 619-640 ; Fararo,
1984, p. 219, 1997, p. 91 ; Edling, 2002, p. 202).
Sans en vouloir nier pour autant l’importance,
nous ne pouvons pas aborder ici la question
suivante : est-il fondé de parler de « sociologie
quantitative » ? Le débat épistémologique
portant sur les ambiguïtés de la distinction
« approche quantitative/approche qualitative »
mériterait sans doute plus d’attention que nous
ne pouvons lui accorder ici (voir, par exemple,
Agodi, 1996 ; Cannavo, 1988 ; Cardano, 1991).
(2) Le débat sur les potentialités de ces
propositions est actuellement en cours.
S’agissant des propos d’Abbott, on peut
consulter Halpin et Chan (1998), Levine
(2000), Santoro (2003), Wu (2000). Pour ce qui
est d’Abell, un numéro spécial de The journal
of mathematical sociology (1993, 18, 2-3) a été
consacré à ses travaux. Ce qui semble certain,
au moins pour le moment, c’est que ces tenta-
tives d’amendement sont fort partielles en ce
sens qu’elles ne sont pas en mesure de
surmonter le descriptivisme propre à la socio-
logie des variables ; la notion même de
«narrative », ensuite, pose plus de problèmes
qu’elle n’en résout, aspect déjà souligné par
Hempel (1965, pp. 447-453).