Texte : Actes
Genre : Etude biblique
Auteur : Alfred KUEN
Source : Ichthus, n° 97, mars 1981, p. 6-11.
Paul avant sa conversion
— Éléments biographiques —
1. Origine et famille
Cf. Actes 6/1 ; 7/58 ; 16/37 ; 21/39 ; 22/3 & 23/16
Romains 11/1 ; 2 Corinthiens 11/22 ; Philippiens 3/5
Que savons-nous des origines de Paul ?
Il est né à Tarse en Cilicie. Il était fier de sa ville natale, centre commercial important
au carrefour des routes reliant l’Orient et l’Occident, troisième métropole
universitaire de l’Antiquité (après Athènes et Alexandrie), important foyer de vie
religieuse et philosophique.
D’après Strabon, les habitants de Tarse étaient très avides de culture et d’art. Ils
étaient même plus nombreux dans leur université que les Athéniens et les
Alexandrins dans celles de leurs villes. Tarse comptait beaucoup de riches marchands
qui aimaient jouir de la vie : près du port se dressait une statue géante de
Sardanapale, dont l’inscription cunéiforme a dû se graver dans la mémoire du jeune
Saul : "Mange, bois et réjouis-toi ; le reste n’a pas d’importance".
Cependant, comme Saul faisait partie d’une famille juive très stricte, on peut
supposer qu’il n’a profité que très indirectement du climat culturel de Tarse, puisque
les Juifs ne devaient pas se mêler aux autres peuples. S’il a bénéficié de la présence
de cette université célèbre, c’est certainement durant le séjour qu’il fit dans sa ville
natale après sa conversion (Actes 9/30 ; 11/25).
En quelle année est-il né ?
Nous savons qu’aux environs de l’an 30, ceux qui lapidèrent Etienne "déposèrent
leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme nommé Saul". Le mot neasias couvre
l’âge de 20 à 35 ans. Or, à cette époque ou peu après, Saul fut membre du Sanhédrin ;
il avait donc au moins 30 ans.
Dans l’épître à Philémon (v. 9) écrite vers l’an 62, Paul se qualifie de vieillard
(presbytès). Il avait donc dépassé la soixantaine (à moins de lire avec certains
manuscrits presbeutès, ambassadeur).
Ces deux indications nous font supposer qu’il est né à peu près à la même époque que
Jésus.
Que savons-nous de sa famille ?
Le père de Saul était hébreu et pharisien, de la tribu de Benjamin.
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Sa famille devait être riche, nombreuse et influente :
— en effet, une quinzaine d’années avant sa naissance, la citoyenneté romaine fut
retirée à tous les habitants de Tarse qui n’avaient pas de grande fortune ou des
propriétés terriennes importantes ;
— dans Romains 16/7 & 11, Paul saluera trois de ses parents à Rome ; il en a trois
autres à Corinthe (v. 21) ;
— Saul était très jeune lorsqu’il est devenu membre du Sanhédrin (Actes 26/10) ; il
fut chargé de mission par le Souverain Sacrificateur (Actes 9/1-2 ; 22/5) ; il devait
donc faire partie des familles influentes de cette ville. D’après Actes 23/16, la sœur
de Paul était mariée à Jérusalem. Le neveu de l’apôtre a éventé un complot ourdi
contre lui par une cinquantaine de Juifs. Ceux-ci avaient seulement mis dans le secret
les Souverains Sacrificateurs et les anciens. Probablement, l’un de ces hommes en a-
t-il parlé chez lui, et le neveu l’a entendu soit dans sa famille soit de la bouche d’un
camarade. De toute manière, cela laisse supposer que la sœur de Paul habitait dans la
proximité des familles influentes de la communauté juive.
Saul de Tarse était donc promis à un brillant avenir dans le judaïsme.
Que signifie "Hébreu" ?
D’après la progression dans l’énumération des titres de 2 Corinthiens 11/22 (Hébreu,
Israélite, postérité d’Abraham), le mot "Hébreu" a un sens plus restreint que le mot
"Israélite".
Dans Actes 6/1, les Hébreux sont opposés aux Hellénistes. C’étaient des familles
dans lesquelles on maintenait fidèlement les traditions palestiniennes, en particulier
l’usage de l’araméen. Dans la Diaspora, la plupart des Juifs parlaient le grec ; ces
Hellénistes lisaient aussi la Bible dans la traduction grecque de la Septante, mais les
Hébreux avaient leurs synagogues dans lesquelles l’Ecriture était encore lue en
langue hébraïque. Des inscriptions ont permis d’identifier de telles synagogues à
Rome et à Corinthe. Par contre, les Hellénistes avaient leurs propres synagogues
même à Jérusalem (Actes 6/9). L’araméen était en quelque sorte la langue maternelle
de Saul (Actes 21/40 ; 22/2 ; 26/14). Jérôme prétend que sa famille aurait été
originaire de Guischala, en Galilée.
Qu’implique l’appartenance de Saul aux pharisiens ?
Les pharisiens sont apparus au milieu du II° siècle avant Jésus-Christ, comme
héritiers spirituels des Hassidims. Le nom dérive d’une racine qui signifie "séparé"
(un commentaire rabbinique pharisien traduit Lévitique 19/2 : "Vous serez saints..."
par "Vous serez séparés comme je suis séparé").
Les pharisiens déploraient les influences grecques et maintenaient strictement les lois
cérémonielles sur le sabbat, les jeûnes, les dîmes, etc... mais ils adoptaient souvent la
loi écrite en y adjoignant une tradition orale (Marc 7/5) qui était considérée comme
équivalente ("donnée par Moïse sur le Sinaï").
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Au temps de Paul, les pharisiens étaient partagés entre deux écoles rivales : celle de
Schammaï, plus stricte sur la loi, et celle de Hillel, plus libérale, représentée par son
petit-fils Gamaliel. Hillel avait résumé la loi par cette parole :
"Ne faites pas aux autres ce qui est haïssable. C’est toute la loi. Tout le reste est
commentaire".
Les pharisiens n’avaient guère de relations avec les autres Juifs. De son ascendance
pharisienne, Paul gardera le respect de la loi de Dieu (Romains 7/12 ; 1 Timothée
1/8), la connaissance approfondie de l’Ecriture (Actes 24/14) et la foi en la
résurrection des morts (Actes 23/6 ; 24/21).
Comment expliquer que Paul ait été citoyen romain ?
Quels en étaient les avantages ?
Paul a hérité la citoyenneté romaine de son père (Actes 22/28). Celui-ci l’aurait-il
achetée ? C’est peu probable de la part d’un pharisien. Différentes hypothèses ont été
émises :
— Paul a appris le métier de fabricant de tentes, probablement dans la maison
paternelle. Tarse était célèbre pour ses toiles de cilicium faites de poils de chèvres.
Or, un fabricant de tentes pouvait être fort utile à un général ou un proconsul au
moment d’une guerre. Tous deux avaient le droit de conférer le titre de citoyen
romain en échange de services rendus, et ils ne se privaient sans doute pas de payer
leurs factures sans bourse déliée. De la sorte, le père de Saul a peut-être reçu ce titre
honorifique sans le demander.
— Le père de Saul aurait été esclave à Rome dans la célèbre famille Paulus, qui
l’aurait affranchi et lui aurait conféré la citoyenneté romaine en récompense de ses
services. En souvenir de son bienfaiteur, le père de Saul aurait donné à son fils le
nom de Paulus qu’il aurait adjoint à celui de Saulus, patronyme du seul roi benjamite.
Il était fréquent d’adjoindre au nom juif un "cognonem" latin ou grec qui s’en
rapprochait par la prononciation (exemple : Jésus-Jason). D’ailleurs, même en
Palestine, la pratique de donner deux noms était courante, comme nous l’apprend une
décision jurisprudentielle de Gamaliel l’Ancien (cf. Strack-Billerbeck II, p. 636ss ;
712ss).
— Wieseler rappelle que, dans la lutte d’Octave et Antoine contre Brutus et Cassius,
Tarse ayant pris parti pour les premiers dut capituler devant les Brutus et les Cassius.
La ville fut frappée d’un sévère impôt de guerre. Comme elle ne pouvait le payer, un
grand nombre de ses habitants furent vendus comme esclaves et prirent le chemin de
Rome. Mais au moment de leur arrivée dans la capitale, la fortune avait tourné à
l’avantage d’Octave (devenu Auguste) et d’Antoine. Les esclaves furent affranchis
et, en récompense de leur loyalisme, ils reçurent le titre de citoyens romains. Appien
nous apprend que, parmi eux, se trouvaient un certain nombre de familles juives —
dont peut-être celle de Saul (Bell. civ. IV, 64 ; V, 7).
Chaque nouveau citoyen romain recevait un document attestant sa qualité. Ses
enfants devaient être enregistrés dans le mois qui suivait la naissance auprès du
gouverneur romain. Le père recevait un diptyque, c’est-à-dire une attestation sur
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deux tablettes qui se repliaient, contenant une copie certifiée par témoins de
l’enregistrement de la naissance. Ce diptyque était emporté dans tous les voyages, car
il garantissait l’exemption de certaines punitions ignominieuses, le procès régulier et
public en cas d’accusation et le droit d’appel à César.
2. Enfance et adolescence
Que savons-nous de l’enfance de Saul ?
"D’après les traductions rabbiniques, un Hébreu devait commencer à lire l’Ecriture à
cinq ans, apprendre la Mischna à dix, observer les préceptes à treize, étudier le
Talmud c’est-à-dire les commentaires de la Loi à quinze" (Perez de Urbel).
Le jeune Saul a probablement appris quatre langues : l’araméen dans sa famille,
l’hébreu à la synagogue, le grec et le latin dans son entourage.
A la synagogue, le hazzan lisait une phrase de l’Ecriture et tous les garçons la
répétaient en chœur. Plus tard, ils apprenaient à les écrire sur du papyrus et se
constituaient peu à peu leur propre rouleau de l’Ecriture. Le jour du sabbat, le texte
biblique était lu dans la version des Septante, à moins qu’il y ait eu une synagogue
d’Hébreux à Tarse.
A treize ans, le jeune juif devait connaître l’histoire juive, les psaumes et les
prophètes. Il devenait alors "fils de la loi" au cours de la cérémonie du Bar Mizwa.
Que savons-nous de ses études rabbiniques ?
Entre 12 et 15 ans, Saul s’est rendu à Jérusalem où il a étudié "aux pieds de
Gamaliel". L’expression est à prendre à la lettre puisque les élèves étaient assis par
terre sur des tapis, les bras croisés ou étendus sur les genoux, écoutant en silence
l’enseignement du maître et s’efforçant de le graver dans leur mémoire. Les écrits de
Paul contiennent 88 citations de l’Ancien Testament, reproduites de mémoire, ce qui
confirme l’efficacité de la méthode.
Gamaliel était le petit-fils d’Hillel et il continuait dans la même ligne que lui. On
l’appelait "le Grand Rabbin", "la Beauté de la Loi". Il enseigna de 25 à 50 après
Jésus-Christ. On prétend qu’il avait mille disciples, dont la moitié étudiait la Loi,
l’autre moitié la sagesse grecque. C’était un homme aux vues larges (Actes 5/38ss),
qui ne fut pas suivi sur cette voie par son disciple Saul (Actes 8/3 ; 9/1).
L’enseignement rabbinique inculquait la méthode d’interprétation de la Bible mise au
point par Hillel, basée sur toute une série de syllogismes : analogie, parallélisme,
contradiction, contexte, passage du général au particulier et inversement.
Outre l’interprétation biblique, les futurs rabbins devaient s’exercer à résoudre tous
les problèmes de casuistique auxquels donnaient lieu les 613 prescriptions du code
mosaïque (par exemple : est-il permis d’immoler l’agneau pascal quand la Pâque
coïncide avec la pleine lune de Nisan ?).
Qu’a-t-il fait après ses études à Jérusalem ?
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Vers le début de sa vingtième année, Paul est sans doute revenu à Tarse pour
apprendre un métier. Gamaliel II disait que :
"…l’étude de la Torah est excellente lorsqu’elle est combinée avec les affaires de ce
monde, car la Torah sans travail manquera son but à la longue et sera source
d’iniquité" (Pirké Aboth 2.2).
Dans un ancien traité juif, il est même dit :
"Celui qui n’apprend pas à son fils à travailler, lui apprend à voler"
(B.T.Kidduschin 99a).
Un rabbin n’était pas payé pour sa fonction d’enseignement à la synagogue. Il devait
donc subvenir à ses besoins en exerçant une activité professionnelle. Le terme de
Skénopoios (Actes 18/3) laisse à penser qu’il n’a pas seulement tissé du cilicium,
mais qu’il savait coudre (paios = faire) des tentes. C’était probablement l’industrie
dont sa famille vivait. Ces tentes étaient faites avec le poil des chèvres noires dont les
troupeaux ravageaient les pentes du Taurus. Elles servaient aux caravanes, aux
nomades et aux armées d’Asie mineure et de Syrie. On comprend que ce métier
lucratif ait donné une grande aisance à la famille de Saul.
Le jeune rabbin a probablement fait bénéficier de son enseignement l’une des
synagogues de Tarse. Mais cela ne devait pas suffire à son zèle. Dans Galates 5/11,
Paul dit : "Pour moi, frères, si je prêche encore (éti) la circoncision, pourquoi suis-je
persécuté ?". Serait-ce une allusion au temps où il aurait effectivement prêché la
circoncision parmi les païens ? Les pharisiens étaient réputés pour leur prosélytisme ;
"Vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte", leur disait Jésus (Matthieu
23/15). Saul aurait-il été missionnaire juif avant d’être missionnaire chrétien ? Ce ne
serait pas le seul exemple où la vocation chrétienne se situerait dans le prolongement
de la vocation et des dons naturels de l’homme. "Dieu ne se repent pas de ses dons et
de son appel", écrira Paul plus tard (Romains 11/29), et bien d’autres exemples
bibliques semblent indiquer qu’ils sont donnés dès la naissance (Esaïe 49/1 & 5 ;
Jérémie 1/5 ; Galates 1/15).
Peut-être est-il aussi rentré pour se marier…
3. Saul rabbin
Paul a-t-il été marié ?
La plupart des auteurs pensent que Paul n’était pas marié. Il ne l’était certainement
pas au moment où il écrivit l’épître aux Corinthiens. Cependant, d’après le mot qu’il
emploie dans Actes 26/10, "je joignais mon suffrage au vote des autres", il semble
avoir fait partie du Sanhédrin. S’il ne l’a pas été avant la persécution des chrétiens, il
a bien pu recevoir cette distinction comme récompense pour son zèle en faveur du
judaïsme. Or, un célibataire ne pouvait pas faire partie du tribunal suprême des Juifs,
dont tous les membres devaient être mariés et avoir des enfants (BT Sanhédrin 36b).
Cependant, il n’est pas certain que cette règle ait déjà été en vigueur au temps de
Paul. Il semble qu’elle n’ait été instituée qu’au temps de Rabbi Akiba, à la fin du 1°
siècle ou au début du second, pour combattre l’influence des zélotes
(R. Longenecker, Ministry and Message of Paul, Zondervam, 1976, p. 24).
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