réalités Thérapeutiques en Dermato-Vénérologie # 256_Novembre 2016_Cahier 1 Mise au point interactive Blépharites et pathologies cutanées rosacée, l’atteinte oculaire peut être isolée ou précéder l’atteinte cutanée dans 20 % des cas, ce qui rend plus difficile le diagnostic. 1. Mécanismes ➞S. DOAN Ophtalmologiste, Hôpital Bichat et Fondation A. de Rothschild, PARIS. L’ origine embryologique commune entre la peau et la surface oculaire (conjonctive, cornée, paupières) explique que de nom­ breuses pathologies cutanées ont aussi une expression oculaire, en particulier conjonctivale. Nous détaillerons avant tout les atteintes de la rosacée et de la dermite séborrhéique, puis de la dermatite atopique. [ osacée, dermite R séborrhéique et œil La rosacée cutanée et la dermite séborrhéique s’accompagnent très souvent d’une atteinte oculaire. Ces deux maladies sont très fréquentes et représentent, sur le plan ophtalmologique, une grande partie des irritations oculaires chroniques. Si les tableaux cutanés sont différents, l’atteinte oculaire est très similaire, se résumant le plus souvent à une blépharite et à un inconfort oculaire. En cas de Il existe constamment une atteinte des glandes de Meibomius palpébrales dont le produit de sécrétion a pour rôle de limiter l’évaporation des larmes. Le meibum est trop visqueux et stagne dans les glandes, ce qui a plusieurs conséquences : – une sécheresse oculaire qualitative par hyperévaporation ; – un enkystement des glandes de Meibomius, avec parfois inflammation aiguë sous forme de chalazion ; – une dénaturation physico-chimique du meibum par prolifération bactérienne, source d’inflammation du bord libre ; – une prolifération bactérienne aboutissant elle-même à des réactions infectieuses (orgelet), toxiniques (hyperhémie) ou immunologiques (conjonctivite phlycténulaire, kératite catarrhale, sclérite) au niveau de la conjonctive et de la cornée ; – la prolifération de Demodex folliculurum et/ou brevis dont la pathogénicité oculaire est controversée 2. Signes fonctionnels Fig. 1 : Blépharite dans une rosacée. télangiectasies et de bouchons obstruant les méats des glandes de Meibomius, et de croûtes à la base des cils (fig. 1). Les conjonctives bulbaire (blanc de l’œil) et palpébrale sont hyperhémiques. 4. Complications Elles sont nombreuses : – au niveau de la paupière : chalazions, orgelets ; – au niveau de la conjonctive : conjonctivite immunologique dite phlycténulaire, conjonctivite fibrosante (diagnostic différentiel d’une pemphigoïde des muqueuses), sclérite ; – au niveau cornéen : kératites inflammatoires (fig. 2) pouvant entraîner une Ce sont avant tout ceux de la sécheresse oculaire : sensations oculaires de corps étranger, de brûlure, de picotements et parfois larmoiement paradoxal. Un prurit ou des sensations de brûlure du bord libre palpébral sont fréquents. Une rougeur oculaire (fig. 1) ou palpébrale est souvent rapportée par les patients. 3. Signes cliniques Le bord libre palpébral est souvent inflammatoire, hyperhémique, siège de Fig. 2 : Rosacée oculaire. Conjonctivite et kératite immunologiques. 9 réalités Thérapeutiques en Dermato-Vénérologie # 256_Novembre 2016_Cahier 1 Mise au point interactive perforation cornéenne ou aboutir à des cicatrices opaques néovasculaires sources d'une baisse de vision. (1 goutte matin et soir) répété 1 à 3 fois par mois est également efficace, mais pas toujours bien toléré. La rosacée oculaire de l’enfant ou de l’adulte jeune, appelée également kérato­conjonctivite phlycténulaire, est particulière en raison de son évolution et de sa gravité potentielle. Elle débute par des chalazions récurrents, puis des épisodes d’yeux rouges avec photo­ phobie qui traduisent la présence d’une kératoconjonctivite chronique. Une atteinte cutanée est souvent présente mais discrète, à type d’érythrocouperose ou d’éruption papuleuse fugace. Un avis ophtalmologique est essentiel pour mettre en route le traitement adapté qui évitera la survenue de complications potentiellement cécitantes. Seules les formes avec inflammation cornéenne sévère nécessiteront l’usage des corticoïdes en collyre oculaire, voire de la ciclosporine en collyre en cas de corticodépendance. 5. Traitements Le traitement de base vise à réguler la sécrétion meibomienne et à pallier la sécheresse oculaire. Il est basé sur les soins des paupières et les larmes artificielles. Les soins des paupières doivent être quotidiens et consistent en un réchauffement palpébral doux pendant 5 minutes, suivi d’un massage appuyé des paupières pour exprimer les sécrétions meibomiennes. Une toilette du bord libre avec des lingettes ou des produits émollients peut compléter le traitement en cas de croûtes importantes. Les larmes artificielles sans conservateur seront utilisées systématiquement. Dans les formes rebelles à ce traitement de base, une antibiothérapie prolongée par cyclines ou azithromycine sera le plus souvent efficace. L’azithromycine est particulièrement intéressante car, du fait de sa demi-vie longue, elle permet une administration discontinue. Par voie orale, on peut proposer le schéma suivant : 250 mg matin et soir 3 jours de suite, 1 à 3 fois par mois. Par voie locale en collyre, un traitement de 3 jours 10 [ Dermatite atopique et œil Dans 25 à 40 % des cas de dermatite atopique, une atteinte oculaire ou périoculaire peut survenir. Elle se limite le plus souvent à un eczéma des paupières et à une conjonctivite peu sévère, mais peut parfois être beaucoup plus sévère, avec atteinte cornéenne et menace visuelle, dans le cadre d’une kératoconjonctivite atopique. Contrairement à l’atteinte cutanée, la maladie oculaire ne survient en général que chez l’adulte à partir de 30 ans. L’évolution se fait par poussées sur un fond chronique d’intensité variable. Les mécanismes expliquant la maladie sont un mélange d’hypersensibilité immédiate et d’hypersensibilité à médiation cellulaire. 1. Signes fonctionnels Les signes fonctionnels au cours des crises sont souvent très invalidants : prurit très important, sensation de corps étranger, de brûlure oculaire, larmoiement et sécrétions. La photophobie doit faire redouter la présence d’une kératite. 2. Signes cliniques Les signes cliniques sont ceux d’une conjonctivite chronique importante : hyperhémie conjonctivale, œdème conjonctival, larmoiement, sécrétions. Il existe presque toujours un eczéma chronique des paupières avec des squames géantes, une peau cartonnée et une perte des cils caractéristiques de la maladie Fig. 3 : Blépharite d’une dermatite atopique. (fig. 3). L’examen de la cornée montre souvent une kératite ponctuée ainsi qu’une néovascularisation. 3. Complications Des ulcères cornéens peuvent survenir, se compliquant de surinfection, cicatrice opaque et baisse de vision. Les surinfections staphylococciques, herpétiques ou fungiques sont fréquentes. Une déformation cornéenne peut survenir progressivement (kératocône). Une fibrose conjonctivale avec brides palpébro-oculaires peut être présente et évoquer une pemphigoïde des muqueuses. La maladie nécessitant souvent une corticothérapie locale au long cours, des complications iatrogènes, telles que la cataracte ou le glaucome cortisonique, sont fréquentes et représentent des causes majeures de baisse de vision. L’atopie s’associe par ailleurs classiquement à une cataracte et au décollement de la rétine. 4. Traitements >>> Traitements topiques oculaires Le traitement de base fait appel aux collyres antiallergiques (antidégranulants mastocytaires, antihistaminiques), aux antihistaminiques oraux et aux rinçages oculaires avec du sérum physiologique non conservé. réalités Thérapeutiques en Dermato-Vénérologie # 256_Novembre 2016_Cahier 1 Les poussées inflammatoires nécessitent fréquemment le recours aux corticoïdes en collyre. En cas de corticodépendance, la ciclosporine en collyre peut être tentée, mais elle est mal tolérée. met non seulement un meilleur contrôle de l’eczéma, mais il a aussi souvent un effet bénéfique sur l’atteinte oculaire même. Il permet fréquemment de diminuer l’utilisation de collyre anti-inflammatoire. >>> Traitements cutanés Comme dans tout eczéma, on utilise des produits hydratants et des dermocorticoïdes de faible puissance. Une surveillance initiale de la tension oculaire doit être demandée en cas d’utilisation quotidienne afin de dépister une hypertonie oculaire cortico-induite. Cette complication est une éventualité rare, survenant en général dès le début du traitement, mais qui peut évoluer vers un glaucome cortisonique si elle n’est pas dépistée. Le tacrolimus en pommade cutanée à basse concentration appliqué sur les paupières est extrêmement utile. Il per- Dans les formes très sévères cécitantes, un traitement immunosuppresseur systémique (ciclosporine, tacrolimus, mycophénolate mofétil) peut être indiqué. des traitements nécessitent une collaboration étroite entre les deux spécialités concernées. Pour en savoir plus • Doan S. La sécheresse oculaire : de la clinique au traitement. Med’com, 2009, Paris, 192 pp. • Doan S, Mortemousque B, Pisella PJ. L'allergie oculaire : du diagnostic au traitement. Med’com, 2011, Paris, 256 pp. Enfin, une chirurgie cornéenne reconstructrice à type de greffe peut être nécessaire, mais elle a souvent un pronostic médiocre. [ Conclusion Les blépharites avec atteinte cutanée sont fréquentes et variées. La spécificité des tableaux oculaires ainsi que celle L’auteur a déclaré être consultant pour les laboratoires Alcon, Allergan, Bausch & Lomb, Horus, Santen, Thea. 11