Organisation médicale face au terrorisme toxique

ORGANISATION MÉDICALE FACE
AU TERRORISME TOXIQUE
D-J. Baker, C. Telion, P. Carli
SAMU de Paris, Hôpital Necker - Enfants Malades, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris.
INTRODUCTION
DESTRUCTION MASSIVE ? LES RÉALITÉS DE LA PRISE EN CHARGE DES
VICTIMES D’UN ACCIDENT CHIMIQUE OU BIOLOGIQUE
L’inquiétude publique grandie sur le risque d’actions terroristes utilisant des agents
Nucléaire, Radiologique, Biologique et Chimique (NRBC). Cette inquiétude est alimen-
tée par la diffusion de quelques accidents de cette nature qui sont survenus en 1995 au
Japon [1 ,3] et en 2001 aux U.S.A. [3]. Cette inquiétude a encore été accrue par l’évo-
cation constante par les médias «d’armes de destruction massive», terme utilisé depuis
la guerre froide pour décrire les agents chimiques, biologiques et nucléaires. Cependant,
ce terme est utilisé sans qu’aucune analyse critique concernant la réalité de la toxicité
d’un point de vue médical n’ait été objectivée. Il apparaît donc nécessaire de définir la
possibilité de réponses médicales urgentes aux lésions qui seraient induites par des agents
chimiques et biologiques. Alors que les armes nucléaires ont clairement démontré leur
responsabilité dans une destruction massive d’hommes et de matériel, aucune destruction
similaire (en termes de nombre des victimes) n’a jamais été décrite lors de la dispersion
d’agents chimiques ou biologiques.
En conséquence, la littérature médicale, principalement d’origine anglo-saxonne
s’est emparée de ce sujet et a dispensé une quantité importante d’informations pour les
médecins et les professionnels de santé, (aussi bien scientifique que par l’intermédiaire
des médias). Malgré cette surabondance d’informations, l’organisation de soins, face
à un attentat NRBC produisant de nombreuses victimes, reste un défi organisationnel
majeur pour les services d’urgences et plus généralement les structures de soins d’un
pays moderne au standard de soins élevés.
1. VICTIMES MULTIPLES OU DESTRUCTION MASSIVE ?
Les agents chimiques et biologiques ont la caractéristique d’être peu onéreux, fabri-
qués facilement et souvent simples à répandre. Ils ont souvent été fabriqués en grande
quantité à des fins militaires et sont donc disponibles pour une action terroriste. Leur
caractéristique commune principale est la création de nombreuses victimes dans une
population mal protégée. Les agents chimiques et infectieux peuvent provoquer de nom-
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breuses victimes sans destruction. Leur létalité est variable et dépend de la possibilité de
soins aux victimes. L’utilisation de ces armes a des points communs :
• Le plus souvent les premières victimes sont le seul signe d’alerte.
• Les victimes avec diverses cinétiques finissent par se concentrer sur les structures de
soins qui risquent d’être débordées.
• Les techniques de soins, les antidotes, les protocoles et la prise en charge sont sensi-
blement diffèrents des patients classiques, mais la prise en charge des fonctions vitales
y reste le point essentiel.
2. EXPÉRIENCES UTILISABLES
Jusqu’à présent, seul un petit nombre d’expériences a été relaté objectivement et
analysé scientifiquement. Ils mettent en évidence l’effet particulièrement néfaste de ces
évènements sur l’organisation des secours et la qualité de soins aux victimes. La cou-
verture médiatique qui les a accompagnée, a contribué à développer parmi les soignants
et les autorités une crainte irrationnelle. Cette crainte largement relayée par les médias
se traduit par l’expression de besoins souvent inadaptés en matériel de protection. Elle a
été aussi largement assimilée par le public et s’est traduite par des conduites inadaptées,
tel que l’achat irraisonné par le public d’antibiotiques ou de masques à gaz aux USA.
S’il est donc difficile de tirer des conclusions pratiques d’évènements terroristes CB,
on peut par contre s’inspirer largement de la survenue d’accidents beaucoup plus fréquents
et présentant à l’évidence des caractères communs. Ainsi, les accidents de l’industrie
chimique constituent des situations proches d’une attaque toxique aussi bien par la na-
ture des produits que par le nombre de victimes. La récente explosion de l’usine AZF
à Toulouse en septembre 2001, peu de temps après les attentats de New-York, a permis
d’analyser la prise en charge de plus de 3000 victimes par un grand groupe hospitalier
et constitue la seule référence française dans ce domaine.
Pour les risques infectieux, le modèle naturel de l’épidémie reste en vigueur. La
récente épidémie de SARS en provenance du Sud-Est asiatique a montré la difficulté de
la reconnaissance d’un agent infectieux et la rapidité avec laquelle les patients et donc
la contagion peuvent voyager par les vols intercontinentaux.
La contagion peut évoluer particulièrement vite en raison de la possibilité en un temps
très bref d’un afflux de victimes, elles mêmes contaminantes, dans les structures de soins
où elles nécessitent une prise en charge spécialisée. Particulièrement bien analysée par
les militaires, la menace chimique fait partie intégrante de l’entraînement des soldats. Ils
sont, en effet, équipés pour réagir immédiatement et résister à des concentrations élevées
de produits extrêmement toxiques.
Les circonstances du terrorisme civil sont différentes, dans ce contexte, la population
touchée n’est ni préparée, ni protégée et comprend tous les composants de la société civile
y compris enfants, personnes âgées, femmes enceintes. L’utilisation de faibles concen-
trations de produit, même non-létales, peut avoir un impact majeur sur cette population
et être l’origine d’un mouvement de panique surajouté.
Le seul exemple d’attentats chimiques en milieu urbain, bien étudié, est celui de
Tokyo en mars 1995. Cet attentat au Sarin a fait 5.500 victimes environ, dont 1.000 ont
du être hospitalisées et seulement 12 sont décédées [4, 5, 6].
L’analyse de cet événement met en évidence :
• Une absence quasi totale de triage pré-hospitalier et de décontamination. Presque
toutes les victimes sont arrivées par leur propre moyen à l’hôpital de proximité qui a
été envahi par surprise.
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• Une absence d’identification du toxique, de protocoles spécifiques de soins dans les
6 premières heures à l’hôpital.
• Une contamination des personnels soignants par les premières victimes ambulatoires
arrivées spontanément. Ces personnels ont être remplacés peu après, au moment
où arrivaient par ambulance les victimes plus graves.
• Du fait de l’absence de prise en charge pré-hospitalière et de régulation, les hôpitaux
ont été submergés et leur mission de soins gravement perturbée.
A la lumière de cette analyse depuis 1987, la France a mis en place un dispositif
pré-hospitalier original, le plan PIRATOX, dans la circulatoire 700 du SGDN révisée en
avril 2002 [7]. Ce plan comporte non seulement les schémas d’organisation de la prise
en charge, mais aussi des fiches techniques annexes qui recensent les connaissances
médicales et scientifiques nécessaires à la prise en charge des victimes sur les principaux
toxiques.
3. LES FACTEURS DE L’IMPACT
Pour comprendre les solutions contre une attaque NRBC, il est utile de rappeler les
facteurs qui déterminent l’impact sur la cible. Ils sont de 2 ordres :
3.1. LIÉS À L’AGENT
Chaque agent peut être schématiquement classé en fonction de ses caractères :
• La toxicité responsable de la proportion de victimes nécessitant des soins. Elle se
manifeste après une latence. Celle-ci est très courte avec les toxiques chimiques et les
toxines et conduit à un afflux rapide de victimes. C’est l’inverse avec certains agents
infectieux qui ont un long temps d’incubation.
• La persistance est définie par la durée pendant laquelle le produit reste toxique dans
l’environnement. Variable, pour les toxiques chimiques, elle est souvent brève pour
les agents infectieux vivants.
• La transmissibilité qui conditionne la contamination de la victime, par contact avec une
substance chimique (liquide ou gazeuse) ou avec un agent infectieux se développant
ensuite dans l’organisme.
3.2. LIÉS À LA STRUCTURE DE SOINS
Plusieurs facteurs structurels peuvent influer sur la réponse délivrée :
• La proximité par rapport au site de dispersion (pour un agent à action immédiate) ou
le temps qui est accordé pour réagir,
• L’importance du flux de victime, le niveau de préparation opérationnelle, c’est-à-dire
l’existence de plans, d’équipements en matériel de protection et en médicaments adaptés
à l’événement.
4. LES PRINCIPES DE L’ORGANISATION MÉDICALE
Depuis octobre 2001, le gouvernement Français a mis en place un plan national de
veille et de réponse à la menace bio terroriste appeBIOTOX. Ce plan dépasse largement
le domaine médical, il institue notamment en 2003 :
• Une réglementation restrictive pour la détention d’agent biologique et toxique.
• La surveillance et la protection des réseaux de distribution d’eau.
• Une veille sanitaire renforcée et un renforcement des centres anti-poisons.
La formation du corps médical au risque NRBC et la mise en place des Plans
Blancs.
• La constitution de stock de médicaments.
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• Un plan d’action et de vaccination en cas d’épidémie de variole.
Le système de soins, et plus particulièrement sa partie dédiée aux urgences étant au
centre d’un attentat bio terroriste, c’est donc dans le domaine de l’organisation médicale
que la réponse doit être préparée très schématiquement, elle doit intégrer les dimensions
suivantes (Tableau I)
Tableau I
Base de l’organisation médicale
Principes
Reconnaissance du phénomène et identification de l’agent en cause
Protection du personnel de secours et de soins
Décontamination des agents transmissibles persistants
Traitement de la toxicité symptomatique et étiologique.
Actions
Information des professionnels
Stratégie avec des plans d’action permettant une organisation exceptionnelle des
soins
Formation théorique et pratique des personnels
Dotation en équipement de protection, en matériel ou médicaments spécifiques.
Un double mécanisme va affecter les structures de soins. En premier lieu, l’arrivée qui
peut être brutale et inopinée de nombreuses victimes submergeant les équipes soignan-
tes. En second, la transmissibilité de l’agent peut conduire plus ou moins rapidement à
une contamination des équipes de secours, des équipes hospitalières voire des matériels
médicaux et des locaux. Ceci peut provoquer une paralysie du dispositif médical dont
les personnels deviennent de nouvelles victimes et sont incapables de soigner les victi-
mes dont ils avaient la charge. Un tel phénomène peut se produire en quelques minutes
avec un agent chimique ou en quelques jours avec un agent infectieux. Sa conséquence
directe est la dégradation de la qualité des soins et donc l’aggravation du pronostic des
victimes.
Les structures de soins sont donc la véritable cible du bio terrorisme et c’est en con-
séquence leur organisation qui est le point principal de la réponse.
5. LE PLAN BLANC ET SES ANNEXES NRBC
Développée par la circulaire «Afflux de victimes» de mai 2002 la stratégie de prise
en charge de victimes du bio terrorisme en France est une variante du dispositif de prise
en charge des victimes multiples [8]. Elle repose sur une utilisation en réseau des ca-
pacités de soins et d’expertise au cours de l’évènement. Ce réseau est constitué à froid
et part de chaque établissement de santé pour s’étendre territorialement jusqu’à la zone
de défense.
Il illustre le fait que la prise en charge de victimes en grand nombre, liées au risque
NRBC, dépasse les possibilités d’un hôpital et nécessite :
• Une coordination étroite pendant l’événement de tous les services d’urgence impliqués
ou susceptibles de l’être.
• Une collaboration pour préparer, en dehors de la crise, les plans, qui pourront être mis
en œuvre, et pour former les personnels en conséquence.
Décrites dans les annexes de la circulaire 700 [7] elles comprennent :
• L’identification du toxique.
C’est un problème difficile à résoudre car l’analyse sur le terrain est difficile. Pour
certains composés, elle peut être réalisée par un détecteur portable (spectromètre)
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notamment pour les neurotoxiques, et certains vésicants. Dans la plupart des cas en
urgence, la symptomatologie clinique des premières victimes etles circonstances de sur-
venue orientent vers un type de toxique. C’est dire l’importance de l’interrogatoire des
premières victimes et des témoins, par téléphone au moment de l’alerte et sur le terrain
pour la première équipe de secouristes ou médicale. Les éléments recueillis doivent être
communiqués au service réalisant l’identification et au centre antipoison. L’identification
du toxique à une grande importance pour déterminer les possibilités thérapeutiques et la
nécessité d’administration immédiate d’antidotes.
• La protection des personnels. Sur le terrain, la protection est maximale. Les équipes
de secouristes intervenant au plus près dans la zone dite de danger liquide ou vapeur
sont revêtues de tenue étanche avec un appareil respiratoire intégré. Pour le personnel
médical des SMUR et des urgences, en l’absence d’identification du toxique ou lorsque
celui-ci est transmissible, une protection par une tenue plus légère, mais adaptée avec
un masque à gaz est indispensable. Des tenues ont été attribuées au SMUR, aux services
d’urgence des hôpitaux référents dérivées des tenues militaires, elles nécessitent une
bonne condition physique et un entraînement pour être utilisées.
• La décontamination. En l’absence d’identification du toxique, la décontamination
la plus précoce possible est nécessaire. De nombreux toxiques pénètrent rapidement
dans l’organisme, mais sont aussi présents sur la victime et sont transmissibles. Cette
décontamination peut être réalisée sur le terrain par des moyens mobiles d’une unité
de décontamination de la Sécurité Civile. Cette décontamination soigneuse et profes-
sionnelle a un rendement faible (quelques patients à l’heure). Elle nécessite plus d’une
heure pour être déployée sur le terrain et le nombre des unités reste limité. Elle peut
aussi être réalisée au niveau des hôpitaux référents (site de regroupement des victimes)
et si besoin de façon dégradée dans toutes les structures de soins en cas d’afflux de
victimes non prises en charge sur le terrain.
Elle comprend au minimum, un déshabillage soigneux et une douche prolongée addi-
tionnée à une solution chlorée. Elle est suivie d’un chage, d’une détection de contrôle
du toxique et d’un rhabillage avec des vêtements propres puis de l'identification des
victimes, au besoin par un bracelet. Quand le toxique est identifié, la nécessité de la
décontamination est précisée car seuls certains toxiques sont contaminants. Ainsi, si
besoin une décontamination spécifique est réalisée avec des solutions spéciales ou des
poudres.
Pour chacune des zones de défense du pays, un schéma d’organisation de la prise en
charge d’un événement NRBC est mis en place sous la direction du Préfet de la zone de
défense, qui charge un délégué de zone de défense.
Au sein de la zone, des établissements hospitaliers de référence sont identifiés ainsi
que les services hospitaliers en dépendant, ils apportent une expertise «à froid» comme
à «chaud» pour les risques NRBC. Ces services référents sont spécialisés pour les con-
seils, le diagnostic, la prise en charge de victimes. Ils constituent les têtes du réseau qui
se déclinent au niveau de chaque établissement et de chaque département. La liste des
hôpitaux référents est fixée par la circulaire, mais la liste des services référents de ces
établissements n’est pas limitative. Elle comprend notamment :
• Les SAMU-SMUR, le SAMU de l’hôpital référent étant charde coordonner l’action
des SAMU départementaux de la zone.
• Les services de maladies infectieuses, les centres antipoisons, les services de médecine
nucléaire mais aussi les services d’urgence, les laboratoires, la médecine du travail.
Malgré leur expertise, ces services ne constituent qu’une part de la réponse à l’évé-
nement bio terroriste, leur localisation géographique et leur nombre limité nécessite un
relais : c’est le schéma départemental.
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