Toute culture véritable est prospective. Elle n`est point la stérile

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Toute culture véritable est
prospective. Elle n’est point
la stérile évocation
des choses mortes, mais
la découverte d’un élan
créateur qui se transmet
à travers les générations
et qui, à la fois réchauffe
et éclaire. C’est ce feu,
d’abord, que l’Éducation
doit entretenir.
Gaston Berger
«  L’Homme moderne
et son éducation  »
I N S T I T U T
N A T I O N A L
D E
R E C H E R C H E
P É D A G O G I Q U E
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Sommaire
Varia
Laurent Cosnefroy – Se mettre au travail et y rester : les tourments de
l’autorégulation
p. 5
Carine Guérandel & Fabien Beyria – La mixité dans les cours d’EPS d’un collège
en ZEP : entre distance et rapprochement des sexes
p. 17
Samuel Julhe & Stéphanie Mirouse – Entrer dans la danse : divergence des
« systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants
p. 31
Céline Piquée – Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans
des classes à efficacité contrastée
p. 43
Alexis Spire – Les effets politiques des transformations du corps enseignant
p. 61
Pierre Merle – Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges
parisiens
p. 73
NOTE DE SYNTHÈSE
Marie-Pierre Chopin – Les usages du « temps » dans les recherches
sur l’enseignement
p. 87
NOTES CRITIQUES
Robin Alexander – Essays on pedagogy (Maroussia Raveaud)
p. 111
François Audigier & Nicole Tutiaux-Guillon – Compétences et contenus.
Les curriculums en questions (Joël Lebeaume)
p. 114
Jesús Bermejo Berros – Génération télévision. La relation controversée de l’enfant
avec la télévision / Mon enfant et la télévision (Geneviève Jacquinot-Delaunay)
p. 116
Jean Bréhon & Olivier Chovaux – Études sur l’EPS du Second Vingtième Siècle
(1945-2005) (Yvon Léziart)
p. 118
Michel Brossard & Jacques Fijalkow – Vygotski et les recherches en éducation et
en didactiques (Vincent Charbonnier)
p. 120
Max Butlen – Les politiques de lecture et leurs acteurs, 1980-2000 (Emmanuel Fraisse)
p. 123
André Chervel – L’orthographe en crise à l’école. Et si l’histoire montrait le
chemin ? (Danièle Cogis)
p. 125
Xavier Dumay & Vincent Dupriez – L’efficacité dans l’enseignement. Promesses
et zones d’ombre (Romuald Normand)
p. 126
Vincent Dupriez, Jean-François Orianne & Marie Verhoeven – De l’école au
marché du travail, l’égalité des chances en question (Josiane Vero)
p. 129
Jacques Lautrey, Sylvianne Rémi-Giraud, Emmanuel Sander
Tiberghien – Les connaissances naïves (Claude Bastien)
p. 131
& Andrée
Martin Lawn – An Atlantic crossing? The work of the International examination
inquiry, its researchers, methods and influence (Pierre Vrignaud)
p. 132
Isabelle Vinatier & Marguerite Altet – Analyser et comprendre la pratique
enseignante (Laurent Talbot)
p. 134
Revue Française de Pédagogie | n°  170 | janvier-février-mars  2010
Sommaire
LA REVUE A REÇU
p. 137
SUMMARIES
p. 139
RESÚMENES
p. 142
ZUSAMMENFASSUNGEN
p. 145
TABLE DES ARTICLES, NOTES DE SYNTHÈSE ET NOTES CRITIQUES PARUS
EN 2009
p. 149
Revue Française de Pédagogie | n°  170 | janvier-février-mars  2010
Varia
Se mettre au travail et y rester :
les tourments de l’autorégulation
 
Laurent Cosnefroy
Cet article aborde le travail à la maison des lycéens en se référant à la théorie de l’apprentissage autorégulé.
Lors de notre étude, 202 élèves de seconde ont répondu à une question ouverte destinée à mieux connaître
les stratégies utilisées pour réguler leur effort. Identifier des buts qui donnent sens au travail, se protéger de
la distraction et planifier le travail à faire constituent trois compétences-clés pour s’autoréguler. La comparaison
entre élèves en difficulté et bons élèves montre que ces derniers ont beaucoup plus développé de compétences
de planification et d’organisation du travail.
Descripteurs (TESE) : devoirs, stratégie d’apprentissage, autonomie, motivation, école secondaire.
L
e travail scolaire se présente sous la forme d’une
alternance régulière entre le travail en classe et
le travail à la maison. Si le second s’inscrit dans la
continuité du premier, ces deux lieux de l’étude n’en
constituent pas moins deux univers distincts. Le
­travail à la maison impose des tâches spécifiques
(apprendre une leçon, réviser un contrôle), de même
qu’il requiert un mode de fonctionnement à bien des
égards différent de celui qui est mobilisé en classe.
La liberté de s’organiser comme on l’entend et de
définir soi-même la quantité de travail à effectuer
s’oppose au rythme contraint de la classe et à la
tutelle exercée par le professeur (Barrère, 1997). Ce
dernier soutient l’élève dans son travail en l’aidant à
maintenir l’effort, à focaliser son attention sur les
informations importantes et à mettre en œuvre des
conduites d’auto-évaluation. À la maison, le professeur n’est plus là pour porter assistance, empêcher
la dispersion et prodiguer des encouragements. Il
revient à l’élève de prendre en charge l’ensemble
de ces processus et de trouver en lui-même des
­ressources pour se mettre au travail et y rester.
Ces caractéristiques font du travail à la maison une
forme particulière d’apprentissage autorégulé, c’està-dire un ensemble de « processus par lesquels
les sujets activent et maintiennent des cognitions,
des affects et des conduites systématiquement orientés vers l’atteinte d’un but » (Schunk, 1994, p. 75).
L’appren­tissage autorégulé se traduit par un fonctionnement autonome, le sujet trouvant en lui-même des
ressources pour entrer dans le travail, résister aux
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 5-15
distractions et adapter son fonctionnement en fonction des situations, en particulier lorsque des diffi­
cultés surviennent. Zimmerman et Martinez-Pons
(1986) ont établi une typologie de stratégies d’auto­
régulation à partir d’entretiens avec des élèves âgés
de 14 à 16 ans, à qui il était demandé d’expliciter
leurs méthodes de travail dans différents contextes
d’appren­tissage. La plupart des quatorze stratégies
répertoriées concerne le traitement de l’information,
qu’il s’agisse de stratégies cognitives (revoir les cours,
organiser l’information, mémoriser), méta­cognitives
(s’auto-évaluer, planifier) ou de recherche d’infor­
mations complémentaires (s’aider de ressources
documentaires, demander de l’aide à autrui). Cer­
taines de ces stratégies différencient les bons élèves
des élèves en difficulté : les premiers recourent plus
largement à la recherche d’aide (questions aux professeurs, échanges avec d’autres élèves), font davantage de liens avec les cours antérieurs ainsi que des
résumés de ce qui est appris, et anticipent sur les
questions possibles (Cleary, 2006 ; Zimmerman
& Martinez-Pons, 1990).
Disposer d’un répertoire de stratégies efficaces
pour apprendre n’est toutefois qu’une des conditions
requises pour s’autoréguler. En effet, le maintien de
l’attention et de l’effort est constamment menacé par
des activités concurrentes plus attractives ou par les
difficultés rencontrées au cours du travail. Une autre
face de l’autorégulation consiste donc à protéger
­l’intention d’apprendre en régulant la motivation,
l’émotion et l’attention. On désigne par volition l’ensemble des processus de contrôle de l’action qui
permettent de maintenir l’effort et la concentration
face aux obstacles (Corno, 2001). L’apprentissage
autorégulé requiert la mise en œuvre conjointe de
stratégies cognitives et métacognitives d’une part et
volitionnelles d’autre part. Contrairement aux pre­
mières, les secondes ont pour fonction de garantir un
cadre propice pour permettre la poursuite du traitement de l’information, mais elles n’interviennent pas
directement sur ce dernier. C’est au début des
années 1980 que deux psychologues allemands,
Julius Kuhl et Heinz Heckhausen, ont relancé l’intérêt
pour le concept de volition en partant du constat que
les sujets ne font pas toujours ce qu’ils ont l’intention
de faire. Avoir un but, se donner une intention, en
d’autres termes être motivé ne garantit pas l’efficacité
de l’action. Des processus volitionnels doivent prendre le relais des processus motivationnels pour soutenir activement l’effort et la mise en œuvre effective
de l’intention formée. Les stratégies volitionnelles
demeurent moins bien connues et, contrairement aux
stratégies cognitives et métacognitives, la comparai6 son des modes de régulation de l’effort en fonction
du niveau de réussite scolaire n’a pas fait l’objet de
recherches spécifiques jusqu’à présent.
C’est à tenter d’éclairer ces processus qu’est
consacrée la recherche présentée dans cet article.
Elle poursuit un triple objectif : présenter une typo­
logie des stratégies volitionnelles à partir d’une synthèse des travaux existants, la tester auprès d’élèves
afin de vérifier si la taxonomie construite permet de
rendre compte de façon satisfaisante des moyens mis
en œuvre pour réguler l’effort, enfin identifier les
­différences entre les bons élèves et les élèves en difficulté concernant l’usage de ces stratégies. Compte
tenu de l’importance du travail à la maison, on peut
penser que les performances des bons élèves tiennent en partie à leur capacité à produire à la maison
un travail plus efficace les préparant mieux aux
contrôles en classe, ce qui devrait se manifester dans
un usage différencié des stratégies volitionnelles par
rapport aux élèves en difficulté. Cette recherche s’inscrit dans le prolongement des travaux français, peu
nombreux, qui souhaitent contribuer à une meilleure
connaissance du travail au quotidien des élèves et
des difficultés qu’ils rencontrent. Sa spécificité réside
dans le choix du cadre théorique qui se réfère principalement à la psychologie sociale cognitive plutôt
qu’à la sociologie (Barrère, 1997 ; Glasman & Besson,
2004 ; Rayou & Ripoche, 2008) ou à la didactique
(Félix, 2002).
Une typologie
des stratégies volitionnelles
Les recherches sur les stratégies volitionnelles dans
les contextes d’apprentissage sont peu nombreuses
et ne fournissent pas une vue d’ensemble satisfaisante de ces processus. D’une typologie à l’autre,
des processus identiques peuvent être dénommés
différemment ou des désaccords apparaître dans la
façon de classer certaines stratégies. Corno (2001),
s’appuyant sur les travaux pionniers de Kuhl (1987)
en matière de volition, a établi une typologie structurée autour de l’opposition entre régulation des processus internes et régulation des processus externes.
Les premiers concernent l’attention, la motivation et
l’émotion, les seconds le contrôle de l’environnement.
Réguler la motivation consiste à renforcer soit la
valeur de l’activité en cours, soit le sentiment d’efficacité personnelle (par des auto-encouragements
notamment). Le contrôle de l’environnement a pour
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
objet d’intervenir sur le contexte de l’apprentissage,
par exemple en modifiant le moment choisi ou les
caractéristiques du lieu de travail (éteindre la radio,
changer de pièce, ranger son bureau). Le contrôle
peut aussi s’exercer en direction des personnes qui
participent de l’environnement immédiat de la tâche.
L’objectif est alors d’induire un changement dans la
conduite d’autrui, en l’amenant par exemple à apporter
une aide. À partir de la typologie établie par Corno,
Mc Cann (Mc Cann & Garcia, 1999) a construit un
questionnaire destiné à mieux connaître les stratégies
de régulation de la motivation et de l’émotion. Il
­comporte un ensemble de stratégies reposant sur un
mécanisme d’activation d’un but d’évitement. La mise
au travail s’effectue pour éviter les conséquences
négatives d’un échec, que ce soit décevoir un proche
ou compromettre le passage dans l’année supérieure.
Les stratégies de régulation de l’émotion occupent
un rôle déterminant dans le modèle de l’adaptable
learning de Boekaerts (1996 ; Boekaerts & Niemivirta,
2000). Pour cette auteure, l’expérience répétée
d’émotions négatives est incompatible avec la poursuite d’un apprentissage efficace car celles-ci ont une
influence défavorable sur les processus de traitement
de l’information. Ainsi l’anxiété perturbe-t-elle le traitement de l’information par des pensées intrusives
parasitant le choix des stratégies cognitives. ­Boekaerts
insiste également sur la recherche d’aide, considérée
par Zimmerman et Martinez-Pons (1986) comme une
stratégie cognitive permettant d’obtenir des informations sur la tâche à accomplir. Le soutien d’autrui
apaise également la tension créée par la confrontation solitaire à la difficulté. En ce sens, il s’agit aussi
d’une forme spécifique de régulation de l’émotion
passant par l’interaction sociale. Cette stratégie est
classée dans le contrôle de l’environnement par
Corno (2001) et Pintrich (1999). Wolters (1998, 1999,
2003) a inventorié minutieusement les procédures
qu’utilisent des lycéens et des étudiants pour soutenir leur motivation lorsqu’ils sont confrontés à des
tâches difficiles ou peu intéressantes. La stratégie la
plus utilisée consiste à se tenir un discours intérieur
qui renforce les buts de performance (obtenir de bonnes notes, faire mieux que certains élèves). Parmi les
autres stratégies utilisées, trouver des raisons extrinsèques pour finir le travail, par exemple en se donnant des récompenses, contrôler l’environnement afin
de réduire les sources de distraction, modifier quelque peu la tâche pour qu’elle devienne plus intéressante. La taxonomie la plus aboutie est probablement
celle de Pintrich (1999) puisqu’elle ébauche déjà une
synthèse entre les travaux de l’auteur et ceux de
Mc Cann et Garcia (1999) et de Wolters (1998, 1999).
Par rapport aux typologies de Corno et de Wolters,
Pintrich introduit une nouvelle catégorie : le contrôle
de l’utilisation du temps grâce à une planification
judicieuse. Par ailleurs il réorganise les stratégies de
régulation de la motivation et de l’émotion à partir de
concepts bien établis dans la recherche sur la motivation. C’est ainsi qu’il distingue les stratégies renforçant les buts de performance, de maîtrise, l’intérêt, la
valeur de la tâche, la motivation extrinsèque (se
récompenser), le sentiment d’efficacité personnelle.
Enfin dans les quatorze stratégies identifiées par
­Zimmerman figurent également deux stratégies volitionnelles : le contrôle de l’environnement et l’autorécompense (Zimmerman & Martinez-Pons, 1986). Le
tableau 1 s’efforce de rendre compte de façon synthétique de l’apport de ces différents travaux. Son
organisation s’inspire des structures proposées par
Pintrich (1999) et Corno (2001).
Le contrôle des états internes porte sur la motivation et l’émotion. Les représentations concernant les
buts et le sentiment de compétence constituent les
deux piliers qui soutiennent la motivation (Eccles
& Wigfield, 2002). La plupart des stratégies agissant
directement sur les états internes vise à renforcer
ces représentations. Les trois dernières stratégies
(11 à 13) agissent indirectement sur l’effort en intervenant sur le contexte d’apprentissage : organisation
de l’espace de travail, choix du moment optimal pour
travailler, recherche du soutien d’autrui. Les stratégies de régulation de l’effort s’ordonnent ainsi en
deux groupes complémentaires : des stratégies de
contrôle de soi (processus internes d’autorégulation),
destinées à renforcer les croyances motivationnelles
et à contrôler l’expérience émotionnelle, et des stratégies de contrôle du contexte d’apprentissage (processus externes d’autorégulation) caractérisées par
l’anticipation et la mise en place d’actions destinées
à créer et à maintenir un contexte favorable à
­l’apprentissage.
Méthode utilisée
Population et procédure
Afin d’identifier les stratégies utilisées pour réguler
l’effort, 202 élèves de seconde (76 garçons et
126 filles), suivant tous l’option sciences économiques et sociales, ont été interrogés. Ils sont issus de
quatre lycées : un lycée de centre-ville prestigieux
(n = 23), un lycée classé en ZEP (n = 63) et deux
Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 7
Tableau 1. – Taxonomie des stratégies de régulation de l’effort
I Processus internes d’autorégulation ou contrôle de soi
Fonction
Stratégie
Trouver des raisons
pour poursuivre
le travail
Soutenir le sentiment
d’efficacité personnelle
Contrôler les émotions
Mécanisme par lequel l’effort est soutenu
1 Se récompenser
Se promettre une récompense (par exemple jouer à la
console) si le travail est achevé
2 R
echerche
de la performance
Désir de progresser ou de faire mieux que les autres
3 Évitement de l’échec
Conséquences négatives associées à l’abandon du
­t ravail
4 R
enforcer l’instrumentalité
perçue
Importance pour réaliser un projet personnel ou professionnel
5 Renforcer l’intérêt
Augmenter l’intérêt de la tâche en la rendant plus
­ludique ou plus complexe
6 P
enser aux réactions
des proches
Effet de la réussite ou de l’échec chez les personnes
proches  : plaisir, fierté, peine
7 Fractionner la tâche
Diviser une tâche difficile en sous-tâches qui, prises
séparément, apparaissent plus maniables
8 S’encourager
Se tenir un discours positif  : «  Tu peux le faire,
vas-y  !  »
9 Évoquer des réussites
Activer des souvenirs de succès qui permettent de
réduire l’impact de la situation présente
10 Réduction de la tension
Évacuer la tension par différents procédés  : se relaxer,
marcher, manger
II Processus externes d’autorégulation ou contrôle du contexte d’apprentissage
Favoriser la concentration
11 S
tructuration
de l’environnement
Aménager le lieu de travail pour empêcher l’irruption
de distractions (s’isoler, couper la radio)
Rechercher de l’aide
12 Soutien social
La collaboration avec autrui aide à contenir la tentation
d’arrêter ou de ne pas travailler
Gérer le temps
13 Planification
Choisir le moment favorable et allouer des ressources
de temps
lycées de zone rurale (n = 116). Les données ont été
recueillies en classe par l’auteur, après avoir obtenu
le consentement écrit des parents, au cours du
second trimestre de l’année 2004-2005. Les élèves
devaient répondre à une question ouverte ainsi
­libellée : « En plus des heures de cours au lycée, vous
avez régulièrement du travail à la maison : leçons à
apprendre, devoirs ou exercices à faire, contrôles à
réviser. Comment faites-vous, quand vous êtes chez
vous, pour vous mettre au travail, rester concentré et
résister aux distractions ? Quelles difficultés rencontrez8 vous ? Avez-vous des stratégies, des “trucs”, pour
vous aider à vous motiver ? Écrivez, en donnant le
plus de détails possible, tout ce qui vous semble
important par rapport à cela. »
Les élèves ont été répartis en trois niveaux de réussite après analyse des bulletins scolaires des deux
premiers trimestres. Sept disciplines ont été prises en
compte : le français, l’anglais, la seconde langue
vivante, l’histoire et la géographie, les mathématiques,
les sciences physiques et chimiques et les sciences
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
de la vie et de la terre. Le niveau 1 (que nous appellerons N1, comprenant 35 élèves, soit 17,3 % de
l’échantillon) caractérise les élèves en grande réussite, dont la moyenne est supérieure ou égale à 13 à
chacun des trimestres. Le niveau 3 (appelé N3,
64 élèves, 31,7 % de l’échantillon) correspond à des
élèves en difficulté, dont la moyenne est inférieure à
10 aux deux trimestres. Le niveau 2 (appelé N2,
103 élèves, 51,0 % de l’échantillon) représente un
groupe d’élèves de niveau intermédiaire n’entrant
dans aucun des deux précédents groupes. Les tests
du khi 2 effectués montrent qu’il n’y a pas d’association entre niveau scolaire, genre et lycée fréquenté.
Analyse des données
Les données ont été analysées à l’aide du logiciel
Alceste, qui permet une analyse exploratoire de l’ensemble des données (Reinert, 1986). Cette procédure
est un garde-fou contre un tri prématuré des données
qu’engendrerait une analyse thématique du contenu.
De surcroît la constitution des catégories n’est pas
entravée par la subjectivité du chercheur. Alceste
découpe l’ensemble du texte représenté par les
202 réponses en segments de texte appelés unités
de contexte élémentaires (UCE dans la suite du texte).
L’objectif est d’obtenir une catégorisation des UCE
en fonction de la distribution de leur vocabulaire (1).
Ainsi le texte d’un élève va-t-il être fractionné en plusieurs UCE entrant dans différentes classes. C’est
donc à une partition des énoncés, et non des individus, qu’aboutit le logiciel.
Toutes les UCE ne sont pas classables dans les
catégories constituées. Pour être satisfaisante, une
analyse doit classer entre 70 et 80 % du discours
analysé. L’interprétation de la signification des classes se construit à l’aide de trois outils. Pour chaque
classe de discours constituée, Alceste calcule un
khi 2 d’association des mots et des classes grammaticales à cette classe, ce qui permet de caractériser
cette dernière à partir des profils des présences et
des absences significatives. Alceste produit également une liste des UCE constituant chacune des
classes ordonnées en fonction de leur représentativité. Enfin, pour chaque classe de discours, Alceste
fournit une classification ascendante hiérarchique qui
permet de visualiser les associations les plus fréquentes entre les mots d’une classe. En outre, ce
logiciel permet de croiser une variable par rapport à
l’ensemble du corpus et de voir quel est le vocabulaire spécifique associé à chacune des modalités de
la variable (sexe, niveau scolaire).
Résultats : Partition réalisée par Alceste
L’analyse du corpus produit 5 classes de discours
rendant compte de 84 % des UCE. Pour chaque
classe, nous donnons les présences significatives
classées par ordre décroissant du khi 2, les présences ou absences significatives de la variable niveau
de réussite scolaire lorsqu’elles apparaissent et quelques exemples d’UCE représentatives de la classe
(voir les tableaux 2 et 3).
La référence constante dans la classe 1 à la motivation sous des formes lexicales variées (motive,
motiver, motivation, pour me motiver, pour m’aider à
me motiver) indique que cette catégorie consiste pour
l’essentiel en une description des stratégies utilisées
pour soutenir la motivation. La présence significative
des syntagmes « je pense » et « je me dis » souligne
que cette régulation s’exerce par un contrôle des
pensées. Il s’agit d’activer un discours où sont réaffirmées les raisons de s’investir dans le travail. Les présences significatives ainsi que les agrégats de mots
identifiés par la classification hiérarchique ascendante font apparaître quatre des stratégies de la taxonomie : faire plaisir aux parents, activer des buts à
long terme centrés sur l’avenir, avoir des bonnes
notes, éviter de redoubler. Ces stratégies sont activées pour lutter contre la difficulté (« difficultés » est
associé à « rencontre » : « Je rencontre des diffi­
cultés »).
Le discours de la classe 2 différencie les disciplines
en fonction de l’intérêt ou des difficultés qu’elles suscitent. Certaines UCE font état de stratégies d’aide
(cf. exemple du tableau 3). La classification ascendante hiérarchique sur les formes caractéristiques
met en évidence l’opposition entre « comprendre »
d’une part, agrégé à des mots comme « arriver »,
« maths », « physique », « anglais » et « espagnol »
(comme dans : « des matières qu’on n’arrive pas à
comprendre : maths, physique, langues ») et « intéressant » d’autre part, agrégé à un autre ensemble de
formes linguistiques : « matières », « français », « histoire » (comme dans : « des matières intéressantes, le
français et l’histoire »). Les bons élèves sont naturellement peu représentés dans cette classe centrée sur
les difficultés rencontrées. Dans le processus de
constitution des classes de discours, les classes 1
et 2 sont issues d’un même sous-ensemble qui n’est
différencié qu’à la dernière itération du programme.
Cela confirme l’association entre la confrontation à la
difficulté et l’utilisation de stratégies de renforcement
de la motivation.
Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 9
Tableau 2. – Profil des classes de discours
Vocabulaire
significatif
de la classe
de discours
Classe 1
(30,7  % des
UCE classées)
Classe 2
(11,5  %)
Classe 3
(27,5  %)
Motiver
Vouloir
Avenir
Motivation
Métier
Je pense
Je me dis
Parent
Réussir
Bonnes notes
Redoubler
Difficultés
Matière
Maths
Anglais
Histoire
Espagnol
Français
Comprendre
Intéresser/intéressant
Exercices
J’ai des difficultés
Rester concentré
Musique
Bruit
Chambre
Résister aux distractions
Écouter
Arrêter
Télévision
Calme
Seul
Classe 4
(8,9  %)
Leçon
Apprendre
Contrôles
Relire/lire
Cours
Réviser
Commencer
Demander
Aide
Présence
significative
Absence
significative
Classe 5
(21,5  %)
Heure
Semaine
Minutes
Soir
Week-end
Tôt
Pendant
Fatigue
Journée
Distraire
Avancer
Souvent
N1  : 28,2  %
N1  : 3,0  %
N3  : 15,5  %
Lecture : 28,2 % des UCE classées produites par le groupe N1 appartiennent à la classe 5.
Tableau 3. – Exemple d’UCE significatives pour chacune des classes
Classe 1
Pour me motiver je regarde mon dernier bulletin de notes et je me dis qu’il faut que je m’améliore, que
je réussisse le prochain contrôle pour pouvoir passer dans la classe supérieure
Classe 2
J’ai des difficultés en maths cette année car je n’arrive pas à comprendre la méthode de mon prof, en
anglais j’ai un peu de mal mais dans ma famille j’ai une prof d’anglais donc elle m’aide pour ce que je
comprends pas
Classe 3
Pour me mettre au travail, j’éteins la télé et travaille sur mon lit. Pour résister aux distractions, je ferme
la porte de ma chambre à clé pour que personne ne me dérange
Classe 4
Pour apprendre une leçon je lis plusieurs fois la première phrase, puis la deuxième, etc. Arrivée au milieu
de la leçon, je récite tout puis je continue avec la fin
Classe 5
Les jours en semaine quand je rentre, je fais une pause de quinze minutes puis je fais mes devoirs. Les
week-ends je fais les devoirs le plus souvent le vendredi soir et les finis le samedi matin, et après je
peux profiter du week-end
La classe 3, caractérisée grammaticalement par la
fréquence des verbes, décrit les moyens employés
pour se protéger des distractions et rester concentré.
Le geste de base consiste à aller s’isoler dans
sa chambre, mot significativement associé au
groupe N3. La musique est omniprésente dans les
textes, mais son action sur la mise au travail s’effectue de deux façons opposées. Dans la classification
hiérarchique ascendante, « se mettre au travail »
10 v­ oisine avec « éteindre », « écouter » et « musique »,
indiquant que deux stratégies opposées sont à
­l’œuvre concernant la musique : travailler en silence
ou ­mettre de la musique, celle-ci fonctionnant alors
comme une barrière contre les autres distractions. De
plus, « fond » (musical) voisine avec « détendre »,
indiquant que la musique a également une autre
­fonction d’apaisement émotionnel : « Je mets de la
musique et à ce moment-là je suis dans une bonne
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Tableau 4. – Modes de régulation de la motivation
Élèves
en grande
réussite
(niveau N1)
Élèves
intermédiaires
(niveau N2)
Élèves
en difficulté
(niveau N3)
Total
des UCE
Activation de buts à long terme
6 (14,6  %)
21 (51,2  %)
14 (34,2  %)
  41
Rechercher la performance (bonnes notes)
3 (20,0  %)
8 (53,3  %)
4 (26,7  %)
  15
Éviter l’échec (ne pas redoubler)
4 (30,8  %)
6 (46,1  %)
3 (23,1  %)
  13
Auto-récompense
5 (41,7  %)
5 (41,7  %)
2 (16,6  %)
  12
Réaction des proches
2 (18,2  %)
6 (54,5  %)
3 (27,3  %)
  11
Renforcement du sentiment de compétence
1 (20,0  %)
2 (40,0  %)
2 (40,0  %)
   5
Autres
3 (25,0  %)
8 (66,7  %)
1 (8,3  %)
  12
24 (22,0  %)
56 (51,4  %)
29 (26,6  %)
109
Stratégie utilisée
Total des UCE
ambiance pour faire mes devoirs tout en restant seul
dans ma chambre ». Les sources de distraction ne
sont pas les mêmes pour les garçons et les filles : les
mots « télé » et « Internet » sont associés aux filles,
« console » et « jouer » aux garçons (tris croisés sur la
variable sexe).
La classe 4, caractérisée grammaticalement par
une présence significative de verbes, est constituée
d’UCE décrivant les méthodes utilisées pour apprendre les leçons et réviser les contrôles. C’est un discours plus décontextualisé que celui de la classe 2
axé sur les disciplines. On y retrouve également la
recherche d’aide repérable par la forme caractéristique « demander ».
L’univers de la classe 5 est celui de la structuration
du temps. Les marqueurs de temps (« quand », « pendant », « après »), les jours de la semaine, les nombres (qui servent à caractériser des durées) ainsi que
les marqueurs de fréquence (« en général », « souvent ») s’y rencontrent de façon significativement plus
importante que dans les autres classes, témoignant
d’une régularité de l’action. Les discours décrivent
l’emploi du temps le soir en rentrant à la maison et
tout au long de la semaine. L’analyse du vocabulaire
spécifique et des UCE les plus significatives de la
catégorie indique en fait une double thématique : se
détendre pour lutter contre la fatigue due à la journée
de travail, répartir au mieux la masse de travail à
effectuer afin d’éviter d’être débordé (« s’avancer »)
et de préserver des temps de loisirs (« week-end »,
« distraire »). Les UCE de cette classe sont significati
vement plus présentes chez les élèves de bon niveau.
Elles concernent surtout la seconde thématique puisque le croisement de la variable niveau scolaire avec
le corpus indique que « week-end », « avancer »,
« travail » et « finir » sont significativement associés
au groupe N1. Le mot « fatigue » n’est associé à
aucune modalité de la variable niveau scolaire.
On retrouve dans les classes 3 à 5 les stratégies de
structuration de l’environnement, de recherche d’aide
et de planification. Les formes caractéristiques et la
classification ascendante hiérarchique de la classe 1
ont permis d’identifier quelques stratégies de régulation de la motivation, mais il est probable que d’autres
stratégies de régulation s’expriment dans ces UCE
sans qu’elles soient repérables par des mots-clés
spécifiques. Afin de mieux les identifier, nous avons
soumis l’ensemble des 169 UCE de cette classe à
une analyse de contenu thématique (voir le tableau 4).
Elles ont été produites par 113 élèves (26 en grande
réussite, de niveau N1, 57 de niveau intermédiaire N2,
et 30 en difficulté, de niveau N3). Douze UCE n’étant
pas en rapport avec quelque stratégie que ce soit
ont été éliminées. Une partie des UCE signale l’absence d’autorégulation soit parce qu’elle n’est pas
nécessaire, la motivation de départ étant suffisante
(14 UCE dont 10 provenant du groupe N1), soit parce
qu’aucune stratégie ne semble efficace (25 UCE dont
12 provenant du groupe N3). D’autre part, la régu­
lation peut être déclenchée de l’extérieur par les
parents qui contrôlent la mise au travail et la durée de
l’effort (10 UCE), ou sans contrôle volontaire par le
Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 11
sentiment de culpabilité qui s’empare des élèves
s’ils ne font pas le travail demandé (5 UCE). Au total
­l’analyse porte sur 109 UCE (2).
Le recours à des projets à long terme pour soutenir
la motivation est la stratégie la plus fréquente. Elle
s’exprime par des projets précis (13 UCE sur 41, dont
7 dans le groupe N3) ou une référence vague à un
avenir non médiatisé par des buts spécifiques
(28 UCE). Elle est d’autant plus employée que l’élève
rencontre des difficultés : 48 % des UCE appar­
tiennent à cette catégorie chez les élèves en difficulté
contre 25 % pour les élèves en grande réussite.
À l’inverse, l’auto-récompense définit un but à très
court terme. Elle revient souvent à différer une activité
désirée et à la rendre contingente au travail réalisé,
par exemple : « Pour me motiver je me donne un truc
que je veux faire pour respirer un peu, comme la télé,
la musique, les sorties… Et je me dis une fois que ce
sera fait, tu pourras le faire ». Contrairement à la précédente, cette stratégie semble plus accessible aux
élèves en grande réussite (3). Penser aux réactions
des proches se traduit par exemple par : « Le truc qui
me motive est ma mamie car je sais qu’elle a
confiance en moi, en plus c’est une mamie géniale
donc je fais tout mon possible pour pouvoir satisfaire
ses désirs » et le renforcement du sentiment de
compé­tence par des auto-encouragements tels que :
« Je me dis que si je suis en seconde, c’est que je
peux ». La catégorie « autres » enfin est composée en
grande partie d’UCE renvoyant au contrôle de la
­distraction.
Discussion
Afin de mieux connaître les stratégies volitionnelles
de régulation de l’effort, il a été demandé à des élèves de seconde de décrire les difficultés rencontrées
pour se mettre au travail, rester concentré et résister
aux distractions. Le découpage opéré par le logiciel
Alceste révèle que, quel que soit leur niveau de réussite, c’est d’abord en contrôlant l’environnement que
les élèves se régulent (classe 3, soit 27,5 % des UCE
classées). Les stratégies de contrôle de l’environnement ne se limitent pas à maintenir la concentration
en empêchant l’irruption de distractions, elles ont
aussi pour fonction de créer un climat émotionnel
propice pour faciliter la mise au travail. Ainsi mettre
de la musique sert à la fois à protéger d’autres distractions plus dangereuses et à installer un climat
de détente. Ceci pourrait expliquer l’absence dans
12 le tableau 4 des stratégies de régulation de l’émo­
tion, pour le moins surprenante puisque les activités
d’appren­tissage s’accompagnent en général d’une
variété d’expériences émotionnelles (Pekrun, 2006).
La régulation de l’émotion s’effectuerait indirectement
par l’intermédiaire de stratégies assurant plusieurs
fonctions, le contrôle de l’environnement et l’aide
d’autrui notamment. Une autre explication à prendre
en compte est de considérer que cette absence relève
plus d’un artefact, le discours sur les émotions étant
peu accessible dans une tâche qui focalise l’attention
sur les méthodes de travail.
Les stratégies de régulation de la motivation
(classe 1, soit 30,7 % des UCE classées) sont plutôt
activées dans les situations de difficulté que dans
les situations de distraction. L’analyse thématique
complé­mentaire pratiquée sur cette classe aboutit à
une configuration similaire à celle obtenue par ­Wolters
(1998) : les élèves essaient de renforcer la valeur
attribuée à la tâche, peu d’entre eux ont recours au
soutien du sentiment d’efficacité personnelle. Il est
vraisemblable que deux des stratégies utilisables
sont d’un accès difficile parce qu’elles nécessitent
des prérequis. L’activation de souvenirs se heurte au
fait que « les connaissances de soi de réussite »,
sans être absentes, sont moins bien organisées en
mémoire à long terme, et donc moins accessibles,
chez les élèves en difficulté qui ne disposent pas d’un
schéma « de soi de réussite scolaire » (Martinot,
2004). La stratégie du fractionnement du travail
nécessite une anticipation, elle est donc subordonnée à des compé­tences de planification. En ce qui
concerne la régulation de la valeur du travail en cours,
on observe que le renforcement de l’intérêt, stratégie
destinée à lutter contre l’ennui, n’est jamais mentionné contrairement à ce que l’on observe avec des
élèves américains du même âge (Wolters, 1999). On
peut supposer que les élèves recourent avant tout à
des stratégies de protection contre la distraction pour
lutter contre l’ennui.
Un autre objectif de cette recherche était de
­ omparer l’usage des stratégies volitionnelles chez
c
les bons élèves et les élèves en difficulté. La seule
différence significative se manifeste sur la classe 5
relative à la structuration du temps. Cette catégorie
conjugue deux thématiques, la gestion de la fatigue
et la planification du temps de travail, dont la dernière
seulement explique la part plus importante accordée
à cette catégorie dans le discours des élèves de bon
niveau. Tous les élèves en effet, quel que soit leur
niveau, ont à gérer la fatigue due à la double journée
de travail (Barrère, 1997). En revanche, le vocabulaire
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
spécifique associé aux élèves de bon niveau montre
que les stratégies de planification sont significativement plus présentes dans le discours de ces derniers,
qui semblent manifester en ce domaine une compétence spécifique également soulignée par Félix (2002).
Ces stratégies se manifestent par des emplois du
temps qui permettent à la fois une organisation
interne des activités de travail et une répartition du
temps entre les activités de travail et de loisirs.
­L’organisation temporelle des tâches à accomplir
implique de définir des objectifs (« Que faire ? »), des
priorités entre ces objectifs (« Dans quel ordre ? ») et
d’allouer des ressources de temps pour leur réalisation (Richard, 1990). Elle traduit une préoccupation
qui est le reflet d’un engagement de l’élève dans les
études. En ce sens il n’est pas surprenant que les
stratégies de planification soient un signe distinctif
des élèves de bon niveau. L’engagement initial des
élèves est une condition nécessaire mais sans doute
non suffisante. Son impact est médiatisé par des
stratégies spécifiques qui font l’objet d’un apprentissage, par exemple les intentions d’exécution qui
consistent à imaginer concrètement des opportunités
d’agir. La création d’un lien mental entre une action
spécifique (commencer tel travail) et une situation
spécifique (une heure de la journée, une configuration
d’événements) facilite le passage à l’action, lorsque
la situation anticipée mentalement est rencontrée
(Gollwitzer, 1999). Les stratégies de planification permettent une organisation efficace du temps de travail,
à l’instar d’autres mécanismes tels que la longueur
des phases de travail. Wagner, Scholer et Spiel (2008)
ont montré avec des élèves de 3e qu’il existait des
doses de travail optimales : à quantité de travail
égale, les élèves travaillant par cycles d’une demiheure à une heure ont de meilleurs résultats que ceux
travaillant par cycles d’une heure et plus.
Pour le reste, l’absence de différences significatives selon le niveau scolaire tend à montrer que tous
les élèves tentent de s’autoréguler, mais que chez les
élèves en difficulté l’autorégulation demeure inefficace. Il ne suffit pas de neutraliser les distractions
pour soutenir l’effort. Le cadre propice ainsi créé restera inopérant sans l’adjonction de mobiles (buts) et
de moyens (méthodes de travail), ce qui suggère deux
hypothèses complémentaires pour expliquer l’inefficacité de l’autorégulation. Il est possible que certains
élèves en difficulté développent une conception
réductrice de l’effort misant essentiellement sur la
création d’un environnement favorable pour susciter
durablement l’envie de travailler. Privilégiant la lutte
contre la distraction, peu de stratégies sont mises en
œuvre pour lutter contre la difficulté ou, quand elles
le sont, demeurent inefficaces. L’analyse des modes
de régulation de la motivation (voir le tableau 4) suggère quelques arguments en ce sens. Évoquer des
projets professionnels est certes plus précis qu’évoquer l’avenir, mais dans les deux cas cette stratégie,
plus fréquente chez les élèves en difficulté, repose
sur l’activation d’un but à long terme peu efficace s’il
n’est pas relayé, au sein d’une hiérarchie de buts, par
un but à court terme précis. La force motivationnelle
d’un but dépend en effet de sa proximité et de sa spécificité. Les buts proches, tels que l’auto-­récompense,
procurent des feedback plus immédiats qui permettent de juger des progrès accomplis et qui soutiennent
le sentiment d’efficacité personnelle (Zimmerman,
2008). L’évocation d’un avenir lointain non rattaché
précisément à la situation présente ne peut soutenir
efficacement l’effort. L’horizon temporel des buts
activés pour réguler la motivation pourrait être une
autre caractéristique distinguant les élèves selon
leur niveau scolaire, que des recherches ultérieures
devront examiner.
Une seconde hypothèse est de penser que c’est
sur le registre des méthodes de travail que se différencient les élèves. Lorsqu’un élève se tient un
­discours mettant en relief toutes les bonnes raisons
d’effectuer le travail demandé, il protège grâce à
cette stratégie un temps consacré au travail. Il s’agit
là ­toutefois d’une mobilisation purement quantitative
qui laisse dans l’ombre la façon dont le travail est
abordé, or Zimmerman et Martinez-Pons (1990) et
Cleary (2006) ont mis en évidence des différences
significatives entre bons élèves et élèves en difficulté
dans l’utilisation des stratégies d’apprentissage.
Cette hypothèse nous paraît particulièrement per­
tinente car elle confirme la nécessité de la double
régulation cognitive et volitionnelle présentée en
introduction. L’efficacité de l’autorégulation résulterait de la coordination de différents sous-systèmes :
à un premier niveau, le maintien de l’effort dépendrait
d’une combinaison de stratégies volitionnelles, certaines comme le contrôle de l’environnement ou la
structuration du temps étant plus adaptées pour
créer un climat favorable et neutraliser les distractions, tandis que les stratégies de renforcement des
croyances motivationnelles seraient mobilisées préférentiellement pour affronter la difficulté. Mais cette
efficacité resterait potentielle tant que cette combinaison de stratégies n’est pas associée à des stratégies cognitives et métacognitives elles-mêmes efficaces. In fine, l’efficacité de l’autorégulation résiderait
dans la mobilisation conjointe des deux familles de
compétences, ni l’une ni l’autre n’étant décisives à
elles seules.
Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 13
Conclusion
La taxonomie construite et testée dans cette recherche fournit un cadre satisfaisant pour rendre compte
des stratégies de contrôle de l’effort : toutes les
­stratégies agissant sur le contexte d’apprentissage
ainsi que six des neuf stratégies visant à soutenir
les croyances motivationnelles ont été retrouvées
dans les témoignages des élèves interrogés, tandis
qu’aucune stratégie nouvelle n’a été identifiée. Les
stratégies de soutien du sentiment d’efficacité personnelle sont rarement mises en œuvre. Ce déficit
mérite d’autant plus d’être souligné que cette variable
joue un rôle décisif dans le soutien de la motivation et
la poursuite de l’effort (cf. Schunk & Pajarès, 2005,
pour une revue de la littérature sur la question).
Il paraît donc essentiel d’aider les élèves à développer
des stratégies efficaces en ce domaine. Mais l’intérêt
principal de cette recherche est de montrer le rôle-clé
de l’organisation du temps de travail. C’est vraisemblablement le découpage du temps de travail en épisodes, dont le contenu et la durée ont été calibrés,
qui influence la qualité de la performance bien davantage que le temps passé au travail, dont on sait qu’il
ne suffit pas à expliquer les différences de performance
entre élèves (Barrère, 1997 ; Félix, 2002 ; ­Trautwein
& Lüdtke, 2007). Les recherches sur l’organisation du
temps de travail demeurent rares néanmoins. Il convien­
drait de les développer afin de mieux compren­dre les
mécanismes de la régulation temporelle. Trois mécanismes semblent au moins impliqués : les intentions
d’exécution (Gollwitzer, 1999), les doses de travail
optimales (Wagner, Scholer & Spiel, 2008) et la parcimonie de la planification (Kuhl, 1987), c’est-à-dire la
définition de règles ­d’arrêt qui évitent de prolonger
indéfiniment la recherche d’informations.
Les principales limites de cette recherche découlent de l’approche décontextualisée adoptée pour
étudier le travail à la maison. Trautwein a récemment
développé un modèle du travail à la maison dans
lequel les caractéristiques de l’environnement scolaire, telles qu’elles sont perçues par les élèves,
influencent l’effort déployé à la maison. Les élèves
interrogés par l’auteur devaient donner leur avis sur la
qualité du travail demandé à la maison dans une discipline donnée (réutilisation effective en classe du
travail fait à la maison, clarté des consignes données
pour effectuer les exercices, articulation cours/
exercices). Plus la qualité du travail demandé est perçue comme élevée, plus les élèves déploient des
efforts pour accomplir ledit travail. Le consensus
entre les élèves issus d’une même classe est important, ce qui signifie que ces différences ne renvoient
pas uniquement à des perceptions isolées mais à
des pratiques effectives (Trautwein & Lüdtke, 2007 ;
­Trautwein, Lüdtke, Schnyder et al., 2006). Ce résultat
est d’autant plus intéressant que le travail donné à la
maison obéit parfois à une logique faiblement didactique lorsqu’il est guidé avant tout par un souci
­d’asseoir la respectabilité de l’enseignant ou de la
discipline par rapport aux pairs et aux attentes des
parents (Glasman & Besson, 2004). L’intégration
des travaux de Trautwein au cadre théorique de
­l’appren­tissage autorégulé permettrait de construire
un modèle du travail à la maison qui tiendrait compte
à la fois de variables psychologiques (stratégies
d’appren­tissage et de régulation de l’effort de l’élève)
et de variables didactiques.
Laurent Cosnefroy
[email protected]
IUFM de Haute-Normandie, université de Rouen
notes
(1) Le logiciel opère une réduction du vocabulaire (appelée lemmatisation). Par exemple, toutes les formes d’un même verbe sont
regroupées sur l’infinitif.
(2) Six UCE exprimant deux stratégies sont comptées deux fois.
(3) Étant donné que certains effectifs sont trop faibles et que les
observations ne sont pas toujours indépendantes (les UCE provenant d’un même discours pouvant être réparties dans différentes catégories), nous n’avons pas procédé à des tests statistiques à partir des résultats du tableau 4.
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Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 15
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La mixité dans les cours d’EPS
d’un collège en ZEP  : entre distance
et rapprochement des sexes
Carine Guérandel et Fabien Beyria
Cet article analyse les processus de construction de la mixité dans les cours d’EPS à partir d’une enquête de
type ethnographique (observations et entretiens), menée dans un collège situé en Zone d’éducation prioritaire
(ZEP), au cœur d’un quartier d’habitat social. Les résultats révèlent une appropriation sexuée par les élèves
de l’espace physique et sonore, des pratiques et du matériel. Généralement, les pratiques pédagogiques
des enseignants tendent à conforter la distance et la hiérarchie entre les garçons et les filles  : les consignes,
les activités et les attentes sont adaptées au sexe de l’élève. Néanmoins l’étude présente certains modes de
transmission conduisant à nuancer les hiérarchies au sein de la classe, ainsi que l’investissement différencié
des filles et des garçons.
Descripteurs (TESE) : éducation physique, milieu défavorisé, sexe, pratique pédagogique.
INTRODUCTION
La problématique de la mixité à l’école n’est pas
une question nouvelle. Les sociologues de l’éducation s’intéressent dès la fin des années 1980 à la
« variable sexe » lorsqu’ils constatent que la réussite
scolaire des filles rattrape puis dépasse celle des garçons, tant dans l’enseignement secondaire que dans
le supérieur, bien que le succès scolaire des filles ne
se traduise pas en termes d’orientation et d’insertion
professionnelle (Duru-Bellat, Kieffer & Marry, 2001).
En EPS, le débat sur la mixité se généralise à la fin
des années 1960. En tant que matière scolaire travaillant explicitement sur le corps, la co-présence des
filles et des garçons ne va pas de soi. Dans les activités physiques, la confrontation des corps soulève en
effet la question des différences sexuées, voire celle
du désir sexuel (1) (Louveau & Davisse, 1998). Le
corps se situant au cœur des processus de construction du genre, les cours d’EPS constituent donc un
lieu privilégié d’expression et de production des
­différences entre les sexes. Dans cette perspective,
nous proposons d’analyser les rapports sociaux de
sexe entre élèves au sein des cours d’Éducation physique et sportive (EPS) d’un collège classé en Zone
d’éducation prioritaire (ZEP) et situé au cœur d’un
quartier populaire urbain. À partir du paradigme inter­
actionniste d’Erving Goffman, l’étude vise à montrer
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 17-30
les manières dont la séparation filles/garçons et les
hiérarchies sexuées se perpétuent, se renforcent ou
s’atténuent au cours des interactions liées à la situation éducative. Basée essentiellement sur un travail
d’observation, l’enquête intègre néanmoins des entretiens destinés à repérer les dispositions sexuées
incorporées par les élèves et les enseignants au cours
de leur trajectoire sociale, l’histoire des acteurs
constituant l’un des éléments qui surdétermine l’ordre
des interactions (Castel, 1989).
CADRE D’ANALYSE
Arrangement des sexes
et construction sociale du corps
Les approches sociologiques sur la différence des
sexes montrent que les rôles « féminins » et « mas­
culins » ne sont pas le produit d’un destin biologique
mais des construits sociaux incorporés. Le concept
de genre, caractéristique des travaux féministes nordaméricains (Delphy, 1991 ; Scott, 1988 ; Butler, 2005),
renvoie aux processus de construction sociale des
systèmes de valeurs et des comportements des hommes et des femmes. Dans cette perspective, l’ordre
de genre se caractérise par la différenciation et la hiérarchisation du féminin et du masculin. Le concept de
rapports sociaux de sexe, préféré par les féministes
françaises (Kergoat, 2005) permet plus spécifiquement de penser les relations antagonistes entre les
catégories de sexe et l’articulation des rapports
sociaux (de sexe et de classe). La domination mas­
culine, en tant que caractéristique fondamentale des
rapports sociaux de sexe, structure ainsi l’ensemble
de l’organisation sociale et s’inscrit dans les corps
(Delphy, 1991 ; Guillaumin, 1992 ; Bourdieu, 1998).
Selon Goffman (2002), les interactions quotidiennes
mixtes mettent en scène le fonctionnement asymé­
trique des catégories sexuées, les hommes et les
­femmes exprimant des comportements distincts de
genre dans les situations sociales.
Le travail de socialisation des hommes et des
f­ emmes, qui tend à la formation de dispositions de
genre à l’état incorporé (Mc Call, 1992), débute dès
l’enfance, au sein de la famille (Belotti, 1974 ; Court,
2008) puis entre pairs à l’école (Zaidman, 1996). Les
pratiques sportives jouent également un rôle central
dans la construction de la masculinité, notamment
à l’adolescence (Thorne, 1993 ; Messner, 1992). En
revanche, le rapport au corps des adolescentes se
18 construit souvent hors des milieux et des références
sportives (Mennesson, 2005). Le sport apparaît donc
comme un lieu privilégié de formation des hommes
(Elias & Dunning, 1994), même si l’expérience sportive est source de frustration et de déception pour
certains d’entre eux (Messner, 1992).
Genre, interactions et socialisation
Ce travail analyse les rapports sociaux de sexe
en combinant une sociologie des dispositions avec
­l’approche interactionniste de Goffman. Pour ce
­dernier, les acteurs en interaction s’engagent cor­
porellement et verbalement dans un processus de
­communication dialogique où l’expression de soi
­s’effectue « d’une manière suffisamment automatique
et ­inconsciente » et devient une impression pour
l’autre ­(Goffman, 1988, p. 65). En d’autres termes, la
présentation de soi (Goffman, 1973a) implique un travail figuratif, régi par le principe de garder la face, et
un ensemble d’échanges rituels. Ces échanges, affirmatifs ou confirmatifs, précisent la nature de la relation entre deux protagonistes. L’analyse des inter­
actions entre les filles et les garçons dans des
espaces mixtes permet ainsi de repérer l’ordre souvent « invisible » qui organise la dimension sexuée de
la vie sociale (Guérandel & Mennesson, 2007). Cependant, comme le souligne Bourdieu (2000), les inter­
actions cachent les structures qui s’y réalisent.
­Goffman (1988) admet également que ce sont bien
des individus avec « leur biographie singulière qui
entrent en interaction ». En ce sens, les variations des
compor­tements des individus d’un même sexe se
comprennent au regard des dispositions sexuées
incorporées.
Production des rapports sociaux de sexe
entre jeunes des quartiers populaires
Les relations entre les sexes semblent particulièrement difficiles et distantes dans les quartiers populaires urbains (Beaud & Pialoux, 2003 ; Lepoutre, 1997).
Les valeurs de virilité façonnent l’univers quotidien
des jeunes garçons (Mauger, 1998 ; Duret, 1999) qui
valorisent une socialisation de l’entre-soi, ainsi qu’une
appropriation de l’espace résidentiel du quartier
(Faure, 2008). Les filles, en quête d’invisibilité, adoptent quant à elles des rituels d’effacement de leur
présence dans la cité en entretenant leur discrétion
par la mobilité (Faure, 2008 ; Guénif Souilamas, 2003).
De même, si la majorité des filles délaisse les acti­
vités sportives qu’elles associent au monde des
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
­ ommes, la plupart des garçons pratique une activité
h
physique au sein d’institutions, la performance phy­
sique participant à la construction de la virilité (2)
(Guérandel, 2008). Les séances d’EPS obligatoires
et mixtes apparaissent alors comme des situations
d’interactions particulièrement intéressantes à analyser pour rendre compte des normes de genre régissant les comportements des adolescents des cités.
Dans cette perspective, deux hypothèses ont orienté
notre réflexion. Tout d’abord, les différences entre les
sexes se réalisent dans et par les interactions lors
des séances d’EPS. Néanmoins, les comportements
de genre ne peuvent pas être considérés comme
bipolaires. Plusieurs formes de masculinité ou de
féminité peuvent s’exprimer au cours des inter­actions.
De même, les pratiques et les modes d’intervention
pédagogique de la majorité des enseignants participent à la reproduction des rapports sociaux de sexe.
Cependant certains intervenants peuvent également
proposer des modalités d’apprentissage permettant
le renouvellement partiel des relations entre les filles
et les garçons.
MÉTHODOLOGIE
L’analyse porte sur des données issues d’une étude
ethnographique menée dans un collège d’un quartier
populaire urbain (cf. encadré ci-dessous et tableau 1)
et complétée par des entretiens avec certains acteurs
observés (3).
L’enquête s’est déroulée pendant six mois dans un
collège classé en ZEP et situé au cœur d’un quartier
d’habitat social d’une grande agglomération française.
Cet ­établissement accueille des élèves issus à 82 % des
catégories socioprofessionnelles défavorisées (4). 73 %
des familles sont au chômage ou exercent des emplois
précaires et mal rémunérés. Au niveau scolaire, 46 % des
élèves ont un retard d’un an et 25 % de deux ans et plus.
Concernant les rapports sociaux de sexe, le projet d’établissement met en évidence les tensions existant entre
les filles et les garçons et auxquelles sont confrontés les
professionnels. Par ailleurs, la principale accordant à
l’EPS une place importante dans l’espace des disciplines, ces enseignants disposent de moyens financiers,
ainsi que d’une liberté d’action et d’initiative considérable. Même si le taux de mutation des enseignants est
deux fois plus important que le taux moyen académique,
l’équipe pédagogique d’EPS se stabilise malgré tout
depuis plusieurs années. Exclusivement masculine, cette
dernière compte six professeurs d’EPS qui s’emploient à
enseigner à des classes mixtes.
Tableau 1. – Les terrains de l’observation
Christophe et Paul
(stagiaire IUFM sous
sa responsabilité)
6 e  : 1 classe
5 e  : 2 classes
4 e  : 2 classes (dont
l’option sport)
3 e  : 1 classe
Éric
Boris
5 e  : 1 classe
3 e  : 2 classes
(dont une
SEGPA)
classe
5 e  : 1
SEGPA
4 e  : 2 classes
(dont une
SEGPA)
La phase d’observation porte sur 12 classes à raison de 16 heures par semaine. Les enseignants, qui
connaissent le statut de la chercheuse menant l’enquête, présentent cette dernière aux élèves comme
une stagiaire, étudiante en STAPS et préparant le
concours du professorat d’EPS sous la tutelle du
coordonnateur, Christophe (5) (qui a également sous
sa responsabilité un « vrai » stagiaire, Paul). Ce statut
a notamment permis la prise de notes durant les
séances, sans que cela paraisse incongru aux yeux
des élèves. Un journal de terrain a été réalisé relatant
pour chaque classe, chronologiquement et de manière
exhaustive, les interactions corporelles, les formes de
regroupement, les postures et les propos émis par les
individus.
Les entretiens permettent, dans un second temps,
de rendre compte du sens que donnent les acteurs à
leur pratique et aux interactions, en reconstituant la
trajectoire sociale des individus. Des entretiens ont
été recueillis auprès de onze élèves, cinq filles et
six garçons, aux positions variées dans l’espace
de genre. Concernant les enseignants, les données
recueillies sont issues d’entretiens (6) et de discussions informelles (7). Les résultats de l’enquête et leur
analyse s’articulent en deux parties. La première partie correspond à l’étude de l’ordre de genre en cours
lors des séances d’EPS ; la seconde analyse les effets
des choix pédagogiques des enseignants sur les
comportements de genre des élèves et leur investissement dans l’activité.
RÉSULTATS : Des filles et des garçons
à distance
Quel que soit le niveau de la classe et son profil
d’options, l’observation des cours d’EPS témoigne
de rapports sociaux de sexe structurés autour du
principe de séparation, résumé par la formule
La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP  : entre distance et rapprochement des sexes 19
« ensemble-séparé » empruntée à Goffman (2002).
Les interactions entre filles et garçons sont en effet
réduites par une appropriation sexuée des espaces
physique et sonore, du matériel et des pratiques. Les
garçons et les filles forment ainsi deux équipes de
représentation qui se conforment aux stéréotypes
sexués. Goffman (1973a, p. 81) définit une équipe de
représentation comme « un ensemble de personnes
coopérant à la mise en scène d’une routine parti­
culière ». Cette coopération étroite « est indispen­
sable au maintien d’une définition donnée de la
­situation » (p. 102).
Appropriation sexuée des espaces,
du matériel et des pratiques
Avant que le cours débute, les filles et les garçons
se dirigent vers les installations sportives par petits
groupes non mixtes. Quand le professeur expose les
consignes, les élèves s’assoient sur les bancs dans
les vestiaires ou dans le gymnase par groupe de sexe.
Lorsqu’ils sont en activité, les jeunes adoptent des
comportements différenciés et différenciateurs qui
tendent à imposer les garçons comme dominants
dans l’ordre sexué. Lors du travail en duo, par exemple, les pratiquants se positionnent au centre des
espaces de pratique, laissant à leurs camarades féminines la périphérie. Comme le soulignent les études
sur l’analyse des interactions dans les cours de
récréation (Zaidman, 1996 ; Delalande, 2001 ; Thorne,
1993 ; Gayet, 2003), les élèves s’approprient l’espace
de manière différenciée selon leur groupe de sexe
d’appartenance. Par exemple, lors d’un cycle baseball, les élèves doivent s’échauffer par deux : l’un
lance la balle, l’autre la rattrape avec le gant. Les garçons se dirigent vers le centre du terrain et occupent
l’espace, obligeant les filles à s’entraîner près du
grillage ou sur les bords de la pelouse (classe de
3e section européenne).
Les garçons s’orientent également toujours vers les
espaces associés aux niveaux de difficulté les plus
élevés. Ils s’approprient les tables de tennis de table
et les terrains de badminton n° 1, 2 et 3 (8) ou les
voies les plus difficiles sur le mur d’escalade. Les
filles se dirigent spontanément vers les niveaux les
plus faibles, exprimant ainsi l’incorporation du principe de la domination masculine. Dans ces situations,
les élèves introduisent une catégorie de genre dans la
hiérarchisation spatiale des niveaux de performance
définis par l’enseignant. De même, quand l’enseignant amène le caddie avec le matériel de base-ball,
les filles restent assises et les garçons s’empressent
20 d’aller se servir en balles, battes et gants en choi­
sissant les plus neufs. L’appropriation sexuée de
­l’espace de pratique et du matériel, notamment dans
des activités où prévalent la compétitivité et la performance, peut ainsi être comparée à un échange confirmatif destiné à mettre en scène la hiérarchisation
entre les sexes (Goffman, 1973b). Les filles se révèlent aussi relativement plus discrètes que les garçons
dans les interactions en classe. La plupart d’entre
elles parlent moins fort et sollicitent moins les enseignants que leurs homologues masculins. En revanche, les garçons déploient des stratégies spécifiques
pour attirer l’attention des professeurs (French
& French, 1984). Ils tentent ainsi de monopoliser
­l’espace didactique et sonore de la classe pour se
« faire remarquer » (Mosconi & Loudet-Verdier, 1997 ;
­Jarlégan, 1999 ; Felouzis, 1993 ; Marro, 1995).
Lors d’un cycle de badminton en classe de 3e, les garçons les plus performants jouent sur le terrain n° 1. Au
cours d’un exercice, ils vont jouer sur le terrain d’un
groupe de filles, les empêchant ainsi de travailler. L’enseignant les oblige alors à revenir sur leur terrain. Puis,
quand ils changent la consigne de l’exercice, le professeur leur explique à nouveau les objectifs de la situation.
Certains gardent la main libre (qui ne tient pas la raquette)
dans la poche du pantalon, en dépit des remarques de
leur enseignant. Finalement ce dernier se focalise sur le
groupe de garçons perturbateurs et néglige de manière
involontaire les autres élèves (c’est-à-dire l’ensemble des
filles et les garçons investis dans l’activité et qui respectent les règles scolaires).
Les garçons et les filles s’engagent également de
manière différenciée dans la pratique. La majorité des
filles exécutent les exercices en respectant les consignes de coopération, tandis que les garçons se focalisent sur leur exploit physique et la compétition, sous le
regard de certaines filles spectatrices, non spor­tives, en
position de faire-valoir (Faure & Garcia, 2005).
En cycle escalade, en classe de 3e, quand l’enseignant
donne pour consigne de s’entraîner à grimper de manière
libre, la majorité des garçons finit par faire des courses
de vitesse. À l’inverse, si deux duos de filles continuent
de s’entraîner sans esprit de compétition (arrivées en
haut du mur, elles appellent leurs camarades restées en
bas et leur font un geste de salut avec la main), la plupart
des filles s’arrêtent et s’assoient sur les bancs pour
regarder les garçons, en prétextant une grande fatigue.
Un garçon, Fadel, grimpe sur le mur d’escalade en
­s’assurant lui-même sous le regard amusé des filles.
En tennis de table, en classe de 5e, aucun duo de garçons ne respecte les consignes des exercices destinés à
les faire travailler en coopération. Ils font tous des
matchs, à l’inverse des filles qui exécutent l’exercice.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Ainsi, lors des cours d’EPS qui exigent une discipline
du corps, les collégiens de milieux populaires rechignent à effectuer les exercices au profit de la compétition (Millet & Thin, 2005). Les filles adoptent des attitudes plus scolaires dans leur manière d’appréhender
les temps d’activité et acceptent davantage les situations de coopération. Cependant, au-delà de cette différenciation sexuée relativement fréquente des modes
d’appropriation des consignes, certains élèves adoptent des comportements atypiques. Certaines filles
s’engagent dans la compétition quand l’enseignant
valorise la collaboration. Ce sont en général des filles
sportives et/ou dotées en capital guerrier (9) (Sauvadet, 2006). D’autres, non sportives et faiblement pourvues en capital scolaire, élaborent des stratégies d’évitement de la pratique. De même, dans certaines
classes, des garçons dotés en capital scolaire et dont
les comportements s’éloignent des codes de « la
culture de rue » (Lepoutre, 1997) pratiquent les exercices conformément aux exigences du professeur. Il
s’agit d’élèves souvent isolés dans leur groupe de
pairs, parfois même victimes de violence. On peut
alors distinguer plusieurs formes de masculinité plus
ou moins dominantes (être sportif et doté en capital
guerrier) et dominées (être dépourvu de capital guerrier
et se conformer aux normes scolaires, voir Connell,
1990). Les stratégies d’évitement ou de contournement des consignes ou des exercices diffèrent aussi
selon le sexe des élèves. Ces derniers font parfois
semblant de pratiquer les exercices, mais de manière
distincte, en exprimant des comportements de genre
stéréotypés dits « gender display » ­(Goffman, 2002).
Les filles misent sur la discrétion : elles demandent à
aller aux toilettes et y restent jusqu’à ce que l’enseignant remarque leur absence, elles discutent et simulent un investissement dans les situations d’apprentissage quand le professeur vient les voir, elles s’arrêtent
avant les garçons quand il s’agit de courir ou faire
des abdominaux à l’échauffement. Si l’enseignant les
regarde, elles sourient et reprennent l’exercice. Davisse
(1999) montre bien que l’invisibilité des filles en difficulté passe par la mise en œuvre de « simulacres »
accentuant en retour l’impression de la faiblesse de
leur niveau en EPS. Les garçons, au contraire, proposent une performance très bruyante, appellent le professeur pour qu’il valide l’exploit puis arrêtent de pratiquer l’exercice. Ils peuvent aussi simuler des fatigues
comme Sofiane qui ne fait rien depuis un certain
temps : « Monsieur, j’arrête, je suis mort là ! ».
Par ailleurs, quand les filles ne réussissent pas un
exercice, elles l’abandonnent assez rapidement ou
demandent conseil au professeur. Les garçons vont
plutôt avoir tendance à tricher et à montrer qu’ils ont
réussi : avouer une contre-performance sportive serait
prendre le risque de perdre la face (Goffman, 1974)
devant les pairs, la démonstration de la force et de la
compétence dans l’activité étant un gage de virilité.
En cycle escalade, lors de l’exercice « traverser le mur
dans sa largeur à un mètre du sol, sans tomber », la
majorité des filles qui tombent arrête et ne revient pas
au départ pour réessayer (10), comme le demande
l’enseignant. Certains garçons qui chutent avancent
de quelques mètres et remontent sur le mur. Dans le
cas d’un exercice perçu par les élèves comme trop
complexe techniquement, les garçons détournent les
consignes afin d’éviter la situation d’échec, tandis que
les filles visent l’évitement de la pratique.
Lors d’un cycle de gymnastique, l’enseignant demande
aux élèves d’exécuter une rondade par-dessus le cheval
d’arçon. Alignés les uns derrière les autres, ils passent
chacun leur tour. Certaines filles rétives parviennent à passer leur tour en se laissant doubler par leurs camarades.
De leur côté, les garçons peu rassurés réalisent systématiquement de grands sauts spectaculaires se terminant par
des chutes sans danger faisant rire toute la classe. Ils
répètent ce genre d’action sans jamais prendre en compte
les remarques du professeur. En mettant à ­distance le risque d’échec, ils « préservent leur face » ­(Goffman, 1974) :
ils masquent leur appréhension en affichant leur détachement à l’égard de leur devoir d’apprendre et en endossant
le rôle de boute-en-train (classe de 5e).
Finalement, la différenciation selon le sexe du mode
et de l’intensité de l’engagement s’explique par les
normes de genre intériorisées par les filles et les garçons. Les filles, sportives ou non sportives, ont incorporé les stéréotypes sociaux et sexués relatifs à la
domination masculine qui ne les assignent pas à
la performance sportive. Contrairement aux garçons,
elles ne risquent donc pas de perdre la face en
reconnais­sant leur échec ou en évitant de s’investir.
En revanche, l’injonction de compétence sportive
pour les garçons les contraint à adopter des stratégies leur permettant de faire illusion dans le cas d’un
goût peu prononcé pour l’activité physique ou d’une
contre-performance. Ainsi, la plupart du temps, la
mixité semble ne poser aucun problème, pour la
­simple raison que les filles et les garçons s’ignorent
et entrent rarement en interaction, même lorsqu’ils
­pratiquent ensemble les mêmes exercices.
Rejeter les filles pour sauver la face
Lorsque les jeunes filles et garçons se trouvent
en situation d’interaction, les comportements de chacun révèlent la nécessité de préserver l’ordre sexué
La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP  : entre distance et rapprochement des sexes 21
­ aractéristique de la socialisation au sein d’un quarc
tier d’habitat social. En effet, alors que la performance
physique et la compétition constituent des modes de
valorisation de soi pour les garçons des quartiers
populaires urbains, stigmatisés parfois dans les
autres espaces de leur socialisation (Lepoutre, 1997),
la présence des filles, voire la confrontation sportive
avec des filles jugées inférieures physiquement,
met en jeu la face des garçons. Ils jouent leur
­réputation d’hommes forts et performants. Néanmoins, selon la position du garçon dans la hiérarchie
du groupe de pairs, la régulation des interactions
sportives mixtes diffère. Lorsqu’un garçon se trouve
en situation d’échec dans la pratique, il peut adopter
des compor­tements violents à l’encontre d’une fille
qu’il considère comme responsable de sa contre-­
performance.
Fadel est un garçon aux bons résultats scolaires. Sa
mère, femme de ménage dans une institution publique,
et son père, maçon, suivent de très près sa scolarité. Ils
ont notamment refusé que Fadel s’inscrive dans un club
de boxe pour qu’il réserve la majorité de son temps libre
aux devoirs. Un contrôle parental important s’exerce
également sur les permissions de sortie, les heures de
coucher et ses fréquentations. Il est très proche de sa
grande sœur, lycéenne en terminale littéraire : « Elle s’est
beaucoup occupée de moi quand j’étais petit ». Il s’engage discrètement dans des relations de séduction avec
une fille de sa classe. Sa tenue vestimentaire est assez
éloignée du look des cités « sportwear ». Il porte des joggings près du corps et des débardeurs en EPS, des jeans
avec des chemises ou des polos le reste du temps.
Concernant les filles les plus sportives, il insiste sur leur
comportement, trop éloigné selon lui des normes de la
féminité.
Fadel, un élève de 3 e d’un bon niveau en escalade,
ne présente aucune attitude « viriliste » au cours de ce
cycle. En revanche, en base-ball, une activité qu’il maîtrise moins, il insulte Saoussane, une adversaire qui
rattrape la balle d’un de ses coéquipiers et qui fait ainsi
perdre son équipe : « C’est la pute qui nous a éliminés ! » Par la suite, Fadel élimine Saoussane qui arrive
en courant sur la base. Afin de l’empêcher de toucher
la base, il lui met un coup d’épaule et lui dit : « Allez,
casse-toi ! » Enfin, il double un de ses coéquipiers qui a
une base d’avance sur lui. Tout le monde se moque de
lui car il ne savait pas qu’il n’avait pas le droit. Il se
vexe et s’exclame : « Nique ta grand-mère la grosse
pute ! »
Au cours de sa socialisation enfantine, Fadel semble avoir incorporé des dispositions sexuées et scolaires qui l’amènent à prendre partiellement de la distance avec la culture de rue et les normes de genre
dominantes définissant les rapports sociaux de sexe
au sein du quartier. En ce sens, il court le risque de ne
pas se faire accepter au sein du groupe des garçons.
Il accorde donc de l’importance à la performance
sportive, en tant que ressource mobilisable pour affirmer sa virilité et justifier sa place dans le groupe de
pairs. Ainsi les comportements violents de Fadel face
à une fille qui le met en échec se comprennent au
regard de sa position de genre, vulnérable dans
­l’espace social qui s’actualise au sein de la classe.
La situation (cf. encadré ci-dessus) présente une
fille (Saoussane) dont l’équipe domine à un moment
donné l’équipe de Fadel. Ce dernier tente alors de
reprendre l’ascendant sur son adversaire féminine
en réagissant violemment (insultes et bousculade).
Il s’agit donc d’une procédure de réparation
­(Goffman, 1973b) en deux temps : Fadel fait acte
d’autorité masculine, Saoussane s’y soumet. Il
tente par la suite d’affirmer son statut d’homme par
la performance sportive quand c’est à son tour de
jouer. Néanmoins sa méconnaissance des règles du
base-ball le discrédite devant ses pairs, ce qui
l’amène de nouveau à insulter la jeune fille. Cette
attitude apparaît comme un moyen de faire diversion. En effet le professeur qui réprimande vivement l’élève se focalise sur son comportement visà-vis de la fille et non sur sa contre-performance.
Le comportement de Fadel s’explique en partie par
sa socialisation sexuée et sa position de genre
dans l’espace des pratiquants (voir le prochain
encadré).
De même, lors de la séance d’évaluation en badminton avec une classe de 3e, un garçon qui joue sur
le terrain n° 1 perd tous ses matchs et « descend » de
deux terrains en une séance. À la fin du cours, il se
retrouve face à une fille. Suite à sa défaite, il lance
violemment sa raquette par terre et quitte le gymnase
sans l’autorisation de l’enseignant, les larmes aux
yeux. Dans la cour de récréation, il reste très énervé,
adossé à un mur, le regard fixé par terre. À la question : « ça va ? », il répond : « J’ai les nerfs. La pute,
elle peut pas me gagner, je suis plus fort qu’elle. […]
Si je partais pas, je la défonçais la chienne ». Les propos de ce garçon révèlent l’importance accordée à la
victoire face à une fille. La défaite déshonore, fait perdre la face devant les pairs et prouve l’incompétence
sportive du pratiquant qui s’incline devant une
joueuse dont la performance sportive n’équivaut pas
celle d’un homme (11). Néanmoins ces deux élèves
entretiennent à l’ordinaire des relations cordiales,
voire amicales. La semaine suivante, ils discutent
ensemble en se dirigeant vers le gymnase. En ce
22 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
sens, quitter le gymnase après la défaite apparaît
comme un moyen d’éviter les remarques ou remontrances de l’enseignant, ainsi que les paroles moqueuses et humiliantes de la part des autres élèves qui
l’ont vu perdre et s’énerver à la limite d’en pleurer.
Autrement dit, il tente de sauver la face car sa défaite
le déchoit de sa place de leader sportif. En échec
dans la plupart des autres disciplines scolaires, l’EPS
constitue pour ce garçon un lieu de valorisation de
soi, en adéquation avec les normes de la masculinité
relative à la culture de rue. Ainsi les interactions
­mixtes et les comportements de genre observés au
cours des situations sportives en EPS témoignent de
la prégnance des normes du quartier, qui prônent la
distance entre les filles et les garçons. Dans le cadre
de l’enquête, l’action et les discours des enseignants
tendent souvent à maintenir la ségrégation sexuée et
la hiérarchie entre les sexes.
CONSTRUCTION DE LA MIXITÉ
PAR LES ENSEIGNANTS :
ENTRE RENFORCEMEMENT ET REMISE
EN QUESTION DES NORMES SEXUÉES
Les professionnels mobilisent souvent de manière
involontaire des stéréotypes de genre, dans leurs discours mais également dans leurs pratiques d’enseignement, maintenant ou renforçant la distance entre
les filles et les garçons ainsi que l’inégalité de traitement selon leur sexe. Cette partie analyse donc les
effets des choix pédagogiques des professionnels sur
la gestion de la mixité et la construction du genre au
cours des séances d’EPS.
Une équipe masculine d’enseignants d’EPS
Le décalage social entre l’appartenance à la classe
moyenne des enseignants et l’origine populaire des
élèves se traduit par des discours relativement misérabilistes sur les jeunes, marqués en partie par les
stéréotypes liés au genre :
Christophe : Dans l’ensemble, les élèves de ce collège
ne sont pas scolaires, ils préfèrent plus jouer qu’apprendre. […] Ils ne sont pas très débrouillards sauf en foot mais
là, c’est normal car ils font que ça en dehors de l’école.
Éric : Eux, c’est très macho, c’est-à-dire en plus de
l’adolescence et de la période con, il y a le côté maghrébin et la culture musulmane et le rapport à la femme qui
est différent. […] Plus le phénomène de groupe en bande,
c’est pas des relations très sereines qu’on peut avoir
comme dans d’autres établissements.
Boris : Les filles de SEGPA sont bêtes, intellectuellement faibles et mariées dans trois ans. [Il décrit notamment une jeune fille qui a tout d’une « crapuleuse » (Rubi,
2003)] On peut rien en faire, c’est une sournoise doublée
d’une idiote. Avec un peu de chance, on l’a plus l’année
prochaine, elle part faire des shampooings en CAP coiffure. [En revanche, pour les garçons,] c’est plus un problème de comportement, s’ils se calment, qu’ils grandissent dans leur tête, ils peuvent s’en sortir. [À propos d’un
élève, l’enseignant explique qu’]il est dur, on arrive à rien
avec lui. C’est dommage, c’est un bon gars. Des fois il
pète les plombs mais quoi, tu sais, c’est pas facile chez
lui. Avec les collègues on le pousse à faire un stage dans
le bâtiment, si ça se trouve, il reprendra confiance en lui
par ça !
Si l’échec scolaire des filles s’explique par leur
défaut de capacité intellectuelle, les garçons restent
intelligents et leur déficience s’analyse au regard de
leur manque de maturité et de sérieux (Dweck,
­Davidson, Nelson et al., 1978 ; Mosconi, 1999) et
d’éléments contextuels, comme par exemple l’influence de la famille. De même, les professeurs insistent sur les différences de comportement et de rapport à l’activité physique des filles et des garçons au
cours des séances d’EPS. Et ils justifient leurs choix
pédagogiques par ces différences. Il semble néanmoins que la mise en œuvre des pratiques relève
davantage d’une adaptation aux différences observées entre les sexes, afin d’enseigner à la jeunesse
populaire dans un climat pacifié, que d’une réelle
démarche de transformation des rapports sociaux de
sexe :
Éric : L’intérêt d’avoir des classes mixtes en ZEP, c’est
que les filles font tampon avec les garçons. […] Une classe
que de mecs, dans l’absolu on a essayé de le faire, notamment en base-ball parce que les filles déjà n’attrapent pas
les balles, ensuite elles vont pas chercher forcément les
balles donc ça énerve les garçons […]. Donc on a essayé
en 3e de faire que des garçons et que des filles : les filles
moi je les avais en badminton, j’avais 37 filles et mon collègue 18 garçons. Il arrivait pas à faire quoi que ce soit
avec les garçons. […] Moi les 37 filles […], ça se passait
tout à fait convenablement alors que les mecs c’était le
bordel.
Le discours d’Éric renvoie aux stéréotypes sexués
qui divisent le groupe des filles, calmes et non
­spor­tives, et le groupe des garçons, turbulents mais
compé­titeurs et performants. Ainsi, si la mixité
demeure une modalité organisationnelle valorisée par
les intervenants, elle se justifie souvent par l’intérêt
de construire un groupe à la fois calme et tempéré
par la présence des filles exerçant leur « métier
d’élève » avec sérieux et docilité (Perrenoud, 1984 ;
Sirota, 1988) et d’un bon niveau sportif grâce aux
La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP  : entre distance et rapprochement des sexes 23
garçons, plus stimulants, avec lesquels les ­enseignants
reconnaissent prendre plus de plaisir à ­enseigner
(Spender, 1982 ; Mosconi, 1989). Par ailleurs, la passivité des garçons est difficilement tolérée par les
enseignants. À l’inverse, le caractère masculin du
monde sportif rend plus acceptable celle des filles.
En ce sens, les professeurs vont avoir tendance à
choisir des activités masculines afin d’encourager
l’investissement des garçons, ce qui permet dans le
même temps de construire un espace d’apprentissage plus calme et cadré. La non-participation
des filles ne pose pas vraiment problème aux enseignants tant qu’elles restent dociles, en position de
­spectatrice :
Christophe : Bon, les gars, faut qu’ils bougent, ils aiment
ça. Et quand ils se donnent sur le terrain, ben, ils sont
sous contrôle… c’est une séance qui roule. Bon, alors forcément tu vas pas leur proposer danse ou GR [gymnastique rythmique] parce que là t’as le feu ! Après les filles…
oui les filles, c’est différent. Elles aiment pas trop le sport
dans l’ensemble. Elles sont pas motivées pour bouger. […]
En même temps, on peut pas toujours être derrière elles !
Alors, je fais semblant de pas les voir quand elles s’arrêtent de pratiquer les exercices. Tant qu’elles restent
­correctes, je leur prends pas la tête.
Les discours trouvent donc souvent leurs prolongements dans les pratiques d’enseignement.
Quand l’action du professeur renforce
la ségrégation sexuée en cours
Avec certains enseignants (deux sur six professeurs), les élèves peuvent choisir les activités qu’ils
souhaitent pratiquer. Si la majorité des garçons
demande à jouer à un sport collectif et prioritairement
au football (12), les filles choisissent le tennis (13).
Comme l’enseignant reste avec les garçons dans le
gymnase, les filles s’assoient sur les terrains de tennis (situés à l’extérieur, à environ 200 m du gymnase),
discutent, passent des appels avec leur téléphone
portable ou écoutent de la musique sur leur MP3. Ce
mode de fonctionnement de « libre choix » accentue
les différences sexuées entre les deux groupes de
sexe (14). Les filles en quête d’invisibilité lors de leurs
déplacements dans le quartier se font également discrètes en cours d’EPS, une discipline réservée aux
garçons. Elles recherchent alors des lieux éloignés du
regard des garçons et du contrôle de l’enseignant
leur permettant d’éviter l’engagement physique.
À l’inverse, les garçons s’approprient l’espace légitime de la pratique, le gymnase, de la même manière
qu’ils occupent l’espace public du quartier. Ils peuvent ainsi faire la démonstration de leurs performan24 ces sportives auprès du professeur d’EPS et de certaines filles dans le rôle de spectatrice. La visibilité
des garçons dans le cours et l’invisibilité des filles
renforcent le caractère masculin de la pratique
­sportive.
Par ailleurs, certaines situations de co-présence
filles/garçons renforcent les processus de différenciation sexuée (Mosconi, 1989). Les stratégies des filles
et des garçons pour éviter l’autre groupe de sexe
dans la constitution des équipes et des groupes
d’acti­vité illustrent ce processus. La majorité des
filles refuse d’être séparées les unes des autres et
cherche à préserver un groupe de même sexe en
revendiquant l’importance d’une sociabilité entre
filles. Elles tolèrent l’intrusion d’un garçon dans leur
équipe si elles restent groupées par affinité. Quant
aux garçons, la plupart d’entre eux expriment de
manière plus ou moins violente leur refus de se mettre avec les filles. Ils rejettent explicitement l’autre
groupe de sexe et acceptent éventuellement d’être
séparés de leurs copains à condition que leur
équipe demeure exclusivement masculine. Ces deux
logiques de fonctionnement, favorisées par la libre
constitution des équipes, aboutissent au même
­résultat, une ségrégation sexuée quasi systématique
­pendant les temps de pratique. De même, quand
l’enseignant demande aux deux garçons les plus performants dans la pratique de faire les équipes (dans
un souci d’équité sportive), ces derniers constituent
les groupes en appelant en premier leurs homologues
masculins considérés comme les plus compétents,
puis leurs camarades en fonction des affinités et enfin
les filles. Les garçons les moins performants et rejetés par leurs pairs (souvent des garçons timides, non
sportifs, parfois en surpoids et qui ne maîtrisent pas
les codes de la culture de rue) sont choisis les derniers (souvent après intervention de l’enseignant qui
oblige les équipes à les accueillir) et font l’objet d’insultes ou de railleries. Ainsi, si la hiérarchie sexuée
est respectée et renforcée, la domination masculine,
qui s’exerce aux dépens de l’ensemble des filles,
affecte également certains garçons. Ceux qui ne
jouent pas le jeu de la virilité (passant notamment par
la valorisation de la force physique, la performance
sportive et la maîtrise de la culture de rue) servent de
boucs émissaires afin de montrer aux garçons le prix
qu’il en coûte de ne pas vouloir être viril comme les
autres (Welzer-Lang, 2006). De fait, la domination
masculine ne se réduit pas à un rapport de domination des ­hommes sur les femmes. Elle contraint également les garçons pris au piège de la virilité ou à l’inverse qui ne se reconnaissent pas dans la « culture
de rue ».
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Concernant le rangement du matériel organisé par
les enseignants (15), les filles s’occupent systématiquement du petit matériel alors que les garçons rangent les éléments les plus lourds. En escalade, l’enseignant demande aux filles d’enrouler les cordes et
les baudriers tandis que les garçons doivent empiler
les tapis disposés devant le mur et remettre en place
la cage de handball enlevée en début de séance pour
agrandir l’espace de pratique. Les enseignants proposent également des modalités d’apprentissage différenciées selon le sexe des élèves. Les consignes
et les remarques varient, par exemple, pour les filles
et les garçons.
À l’échauffement, les filles sont tenues de faire moins
de pompes ou d’abdominaux, conformément aux représentations de genre qui leur confèrent une force physique
inférieure à celle des garçons. En revanche, la souplesse
étant supposée constituer un attribut féminin, l’enseignant n’hésite pas à se moquer des filles quand elles peinent au moment des étirements : « C’est pas la souplesse
qui t’étouffe, toi ! Allez, tends la jambe et tête sur le
genou… [rires] Arrête va, tu vas te faire une déchirure ! »
La jeune fille répond : « Ah oui, ça m’a déchiré monsieur ! » Le professeur surenchérit alors : « Quoi ? Le
muscle ou le cerveau ? », ce qui fait beaucoup rire les
autres élèves.
En cycle football (classe de 6e, de 5e et de 4e), les
enseignants comptabilisent un but marqué par une fille
comme valant deux points. Par ailleurs, les buts marqués
par les garçons ne comptent que s’ils font au préalable
une passe à une fille.
Les consignes différenciées selon le sexe de l’élève
s’apparentent d’après Davisse (Louveau & Davisse,
1998) à des « prescriptions de compensation » renforçant les stéréotypes sur les rôles sociaux sexués.
Elles visent, selon les propos des enseignants, la
mise en place de la mixité :
Christophe : Si tu dis pas, faites la passe aux filles sinon
je compte pas le but ou si tu valorises pas la marque pour
les filles, elles ne jouent pas, c’est comme ça. C’est des
machos qui se croient forts. Pour eux, une fille ça ne joue
pas au foot, alors leur faire une passe c’est perdre la balle
ou une occasion de marquer. Je sais que ça les énerve
quand je mets des contraintes, mais au moins les filles qui
se donnent, celles qui veulent jouer… En fait, c’est mieux
pour elles.
Imposer des phases de jeu avec l’obligation de faire
des passes à une joueuse permet surtout de faire
jouer celle(s) qui possède(nt) le meilleur niveau de jeu
parmi le groupe des filles. Les garçons repèrent en
effet celles qui se démarquent, qui appellent oralement la balle et qui font la démonstration d’une maîtrise technique « footballistique ». Les autres filles de
l’équipe voulant jouer mais ne possédant pas un
niveau de jeu reconnu par les garçons n’arrivent donc
pas à s’imposer au sein de l’équipe. Celles qui
n’aiment pas cette activité, ou l’EPS en général, restent en retrait, ne courent pas et ne touchent pas le
ballon. Concernant la consigne du point qui compte
double quand une joueuse marque un but, elle
reste relativement peu efficace. Elle confirme l’idée
qu’une « fille correspond à un demi-joueur » (Louveau
& Davisse, 1998), renforçant les stéréotypes sexués,
mais n’augmente pas de manière effective les occasions de tir pour ces dernières. Au cours du cycle
observé en 5e, une seule élève, reconnue comme une
bonne joueuse au sein de la classe (les élèves savent
qu’elle a pratiqué le football durant deux ans au sein
d’un club), marque des buts au cours des séances
d’EPS observées sur le cycle football. Sur cinq séances d’une heure et une vingtaine de matchs mixtes,
seule cette élève aura l’opportunité de tirer face au
but suite à des interceptions de ballon ou des passes
de ses partenaires de jeu masculin :
L’enquêtrice : Pourquoi tu n’as pas fait la passe à Salma
tout à l’heure ? Elle était démarquée devant les buts et toi
tu as préféré tirer et tu as raté ?
Hassan : C’est parce qu’elle est nulle, Salma, madame !
Elle aurait raté c’est sûr ! Je préfère tenter moi, même si je
suis goal j’ai plus de chance de le marquer qu’elle, le but
[rire]. Hein, Salma, dis-le à la prof que t’es nulle !
Les garçons considèrent finalement qu’il vaut mieux
ne marquer qu’un seul point plutôt que de perdre le
ballon en faisant la passe à une fille pour tenter les
deux points. Ce type de consigne ne permet pas de
déconstruire les représentations des élèves sur le
niveau de jeu et les capacités en sport des pratiquantes. Les savoir-faire des pratiquants relèvent éga­
lement d’une différenciation sexuée. Certaines techniques ou modalités de pratique semblent plus
destinées à l’un ou l’autre des deux groupes de sexe.
L’enseignant propose de diviser les élèves en deux
groupes sur un créneau d’une heure de pratique. Il organise un cycle football pour les garçons dans le gymnase
et un cycle danse pour les filles dans la salle d’arts martiaux. Néanmoins, sous prétexte que les garçons sont
perçus comme plus dissipés que les filles, l’enseignant
reste avec eux afin de les surveiller, laissant ces dernières en autonomie. Seules dans la salle, les filles ont pour
consigne de préparer une chorégraphie qui fera l’objet
d’une évaluation en fin de cycle. À l’inverse, les garçons
disposent des régulations de l’enseignant qui met en
place des situations d’apprentissage à chaque séance.
Contrairement aux garçons, les filles restent donc sur
leurs acquis, ne bénéficiant pas d’un apport de connaissances (classe de 4e).
La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP  : entre distance et rapprochement des sexes 25
Dans l’exemple présenté ci-dessus, l’organisation
de la séance se fait au détriment de l’apprentissage
des filles. Au-delà de la répartition sexuée des élèves
sur les pratiques (la danse pour les filles, les sports
collectifs pour les garçons), les garçons, sous couvert
d’une moindre capacité à travailler en autonomie, font
l’objet de toutes les attentions de l’enseignant. Ainsi,
au cours des interactions, du fait de ses représentations et de ses comportements, les enseignants
d’EPS confortent, voire renforcent, la différence et la
hiérarchie entre les garçons et les filles en adaptant
les consignes, les techniques, les activités et leurs
attentes au sexe de l’élève. Dans la lignée des nombreux travaux de recherche en éducation (Duru-­Bellat,
1990 ; Delamont, 1990 ; Mosconi, 1989), l’enquête
montre que les enseignants d’EPS recourent fréquemment, de manière spontanée et inconsciente,
aux oppositions entre les deux groupes de sexe
comme technique de « management » de la classe,
en mobilisant ce qu’ils supposent typique des uns et
des autres, leur rappelant ainsi qu’ils sont avant tout
des garçons ou des filles. Néanmoins certains modes
de transmission peuvent dans quelques cas déplacer
« les lignes de tensions » (Kergoat, 2005) constitutives des rapports sociaux de sexe.
Choix pédagogiques et pluralité des modèles
de genre : entre renforcement et atténuation
de la ségrégation sexuée
Les modalités de pratique mises en œuvre par
l’ensei­gnant tendent à accentuer ou diminuer la
ségrégation sexuée. Par exemple, éric enseigne le
rugby à une classe de 3e en privilégiant le combat et
le jeu groupé. Au fur et à mesure du cycle, il enregistre beaucoup plus de dispenses de complaisance que
d’habitude du côté du groupe des filles. La plupart
d’entre elles refusent de pratiquer les exercices
demandés et simulent des blessures. À l’inverse les
garçons tentent d’affirmer leur supériorité physique
dans l’engagement. Ainsi certains garçons au gabarit
atypique (par exemple des garçons obèses) gagnent
temporairement en capital symbolique au sein de la
classe par la démonstration de leur puissance dans le
jeu. À l’inverse, un stagiaire IUFM, non expert en
rugby et peu confiant sur l’application des règles de
sécurité inhérentes à cette activité, privilégie le jeu
déployé et limite les contacts au toucher à deux mains
pour simuler le placage. Ce professeur n’enregistre
pas de recrudescence des dispenses lors de ce cycle.
La mise à distance des corps et du défi physique
direct se traduit par des comportements de genre
moins marqués. En contrepartie, basée sur l’évite26 ment, la vitesse et l’agilité, cette modalité de pratique
empêche certains élèves (les filles comme les
­garçons) peu sportifs et en surcharge pondérale de
s’exprimer.
Cet exemple met en évidence la difficulté pour
l­’enseignant de prendre en compte l’hétérogénéité
des élèves dans une situation d’apprentissage. Le
sexe de l’élève et son capital corporel (présence ou
défaut de force physique et de compétence sportive,
corpulence plus ou moins atypique) influencent simultanément les interactions et les engagements. Ainsi,
une modalité de pratique qui atténue la ségrégation
sexuée dans l’activité, notamment par la valorisation
de capacités motrices détenues par certaines filles,
peut renforcer dans le même temps la hiérarchie au
sein de chaque groupe de sexe. De même, les
compor­tements des élèves varient selon les modalités d’enseignement mises en œuvre (voir encadré).
Paul organise une séance de gymnastique autour de
cinq ateliers. À chaque étape, les élèves disposent d’une
fiche sur laquelle sont indiqués le mouvement à effectuer,
les critères de réussite de la figure gymnique ainsi que
quelques indicateurs corporels et sensoriels leur permettant de s’auto-évaluer. Lors de la première séance, il fait
la démonstration de toutes les figures à réaliser en plus
de la fiche. Les groupes d’élèves qui tournent sur les différents ateliers ne sont pas mixtes. La majorité des filles
reprend la fiche et relit les exigences avant de commencer la pratique des exercices. En revanche, la plupart des
garçons font des essais de mémoire, sans consulter les
indications écrites. L’enseignant reste au milieu de la
salle et regarde l’ensemble des groupes pratiquer les différents ateliers. Il intervient quand il repère un élève perturbateur, en difficulté ou qui met son intégrité physique
en danger. À la fin du cycle, les filles ont une marge de
progression plus importante que les garçons. Leur
moyenne est légèrement plus haute alors que, selon le
discours du professeur tenu lors de la première séance,
elles avaient un moins bon niveau que les garçons. Par
exemple, Djamila n’arrive pas à faire une roulade arrière
au début du cycle. Elle obtient au bout des six séances la
note maximale sur l’élément. À chaque fois qu’elle passe
sur l’atelier, elle lit attentivement les indications, fait des
commentaires à voix haute sur les indicateurs et demande
des conseils ou des retours à ses copines du groupe.
Boris organise sa séance de gymnastique de manière
« militaire ». Tous les élèves alignés face à lui (sur trois
rangées décalées afin de les avoir tous dans son champ
de vision) disposent d’un tapis de gym. Le professeur
leur demande d’exécuter une roulade avant. Après avoir
expliqué oralement le mouvement, il souffle dans un sifflet pour donner le départ. Tous les élèves s’exécutent en
même temps. Sans bouger de sa place, il donne des
retours correctifs personnalisés à un ou deux élèves, qu’il
repère en échec sur l’essai, devant l’ensemble de la
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
classe. Souvent il s’adresse essentiellement aux garçons
et notamment aux plus bruyants. Quand il entend souffler
Rédah qui n’arrive pas à faire un ATR (16), il lui demande
d’arrêter son cinéma et lui conseille de gainer son corps :
« Serre les fesses et rentre le ventre, t’es tout mou là,
c’est pour ça que ça marche pas ! » À la fin du cycle, les
filles ont une moyenne bien plus basse que les garçons.
Celles repérées en difficulté le restent jusqu’à la fin.
Ainsi, à l’instar des travaux de Coupey (1995) qui
analyse les effets des exigences des maîtres sur les
différences de performance entre filles et garçons lors
des séances d’EPS au cours préparatoire, ces exemples révèlent l’importance des modes de transmission
privilégiés par les enseignants sur les apprentissages
des élèves des deux groupes de sexe. Selon Lahire
(1998), les pratiques d’écriture sont fortement féminisées au sein de l’espace domestique, les incitations à
lire et à écrire émanant le plus souvent des mères. De
fait, les explications avec support écrit sollicitent des
compétences plutôt détenues par les filles ou les garçons dotés en capital scolaire. Dans cette perspective, l’utilisation de fiches apparaît comme un moyen
possible de limiter les effets de production et de
reproduction des différences de genre lors des inter­
actions enseignants/élèves. En effet, les travaux en
sociologie de l’éducation montrent que les pro­
fesseurs, sans en avoir conscience, interagissent plus
avec les garçons qu’avec les filles (Kelly, 1988 ;
­Zaidman, 1996) et ce, quel que soit leur sexe
­(Mosconi, 1999 ; Brophy, 1985). Mettre par écrit les
indications principales concernant la figure à effectuer permet donc aux filles de situer leur performance
et de corriger leur pratique. Cependant l’usage de cet
outil pédagogique ne semble pas adapté aux garçons
en échec scolaire, peu sportifs et en position de bouc
émissaire dans la classe. En effet, les enseignants
prodiguent peu de feedback à ces élèves en raison
de leur discrétion. De même, les observations mettent en évidence leur difficulté à utiliser la fiche
comme support d’apprentissage (ils ne la lisent pas).
L’EPS constitue donc pour eux une double contrainte
relative à la logique « scolaire » d’une part et à la logique « sportive » d’autre part. Enfin, dans un contexte
atypique comme la classe « option sport » (17),
­l’influence de l’enseignant, combinée à « l’effetclasse » (Bressoux, 1995), construit un espace de
pratique au sein duquel la hiérarchie sexuée s’inverse
partiellement. En effet l’élève considéré comme le
leader incontesté de la classe est une fille, Flora.
L’autorité de Flora repose sur trois éléments : sa
compé­tence sportive, sa maîtrise de la culture de rue
et la reconnaissance octroyée par l’enseignant. Ses
dispositions sexuées inversées s’expliquent notam
ment par sa socialisation familiale (voir détails dans
l’encadré ci-dessous).
Sa mère, auxiliaire de vie dans une école maternelle, et
son père, ouvrier dans le bâtiment, ont trois filles, dont
Flora et sa sœur jumelle Linda, âgées de 16 ans. Flora
considère qu’elle est plus proche de son père que de sa
mère, à l’inverse de sa sœur. Elle se définit comme un
« garçon manqué » et considère sa sœur comme une fille
beaucoup plus « calme » et « fille » (18). Elle explique que
très jeune, elle préférait jouer avec son père au foot,
regarder les matchs avec lui à la télévision, le suivre pour
aller faire les courses plutôt que de rester enfermée chez
elle avec sa mère, sa grande sœur et Linda à faire le
ménage, le repas ou regarder « des émissions débiles
toute la journée ». Elle semble ainsi endosser le rôle du
« garçon manquant » (Daune-Richard & Marry, 1990)
dans sa famille. En effet, les parents de Flora s’occupent
chacun, de manière spécifique, d’une des deux jumelles.
En l’absence d’un fils, le père de Flora transmet à
sa fille la plupart de ses goûts culturels et notamment
celui pour la pratique physique et la socialisation du
dehors. Ce type de configuration familiale explique
l’engagement de certaines filles dans des activités
masculines (Mennesson, 2005). Les dispositions et le
rapport au corps de Flora, construits au cours de sa
socialisation familiale et sportive, s’actualisent lors
des situations de face-à-face au sein de la classe
« option sport ». Repérée par Christophe, son professeur d’EPS, elle intègre sur ses conseils cette classe,
ainsi que le club de boxe (situé à l’extérieur du quartier) dans lequel il entraîne un groupe d’adolescents.
En valorisant les compétences sportives de la jeune
fille par ses choix pédagogiques, il amplifie voire légitime la position dominante de Flora au sein du groupe
classe. Par exemple, il la présente aux autres élèves
comme la plus performante de la classe et lui donne
souvent la responsabilité de l’échauffement ou la surveillance du groupe lorsqu’il s’absente. L’hétéro­
généité des dispositions de Flora incorporées au
cours de sa socialisation familiale, sportive, scolaire
et au sein du quartier lui permet donc de s’adapter
aux différentes situations d’interaction et de bénéficier d’une double reconnaissance : celle des élèves
et celle de l’institution. Néanmoins, en dépit de ses
performances sportives, Flora considère que les filles
sont « physiquement moins fortes » que les garçons.
En se définissant comme une fille dotée de qualités
exceptionnelles, elle confirme la hiérarchie entre les
sexes et conforte sa position de dominante en tant
que femme atypique. Ainsi l’analyse des pratiques
professionnelles des enseignants, combinée à
celle des caractéristiques (morphologiques, scolaires,
sociales) des élèves en interaction, permet de
La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP  : entre distance et rapprochement des sexes 27
­ omprendre les comportements de genre à l’œuvre
c
au cours des séances d’EPS. Par leurs choix pédagogiques qui s’actualisent dans les situations de faceà-face, les enseignants influencent l’investissement
des filles et des garçons dans les activités, leurs résultats scolaires et leur position au sein du groupe
classe.
CONCLUSION
Même si les cours d’EPS mettent les filles et les
garçons en situation de co-présence, le regroupement des élèves par sexe structure la plupart des
situations. Les observations mettent en effet en évidence un ordre des interactions largement sexué, qui
s’impose aux adolescents comme aux enseignants.
Les élèves interagissent de manière privilégiée avec
leurs camarades du même sexe et conservent une
certaine distance avec ceux du sexe opposé. Si ces
modes de groupement par sexe précèdent l’activité
de l’enseignant, la question de la construction de la
mixité ne fait pas pour autant l’objet d’une réflexion
pédagogique de la part de l’équipe d’EPS. De fait, les
représentations des professeurs et leurs pratiques
pédagogiques participent à maintenir les différences
entre les filles et les garçons, ainsi que la hiérarchie
sexuée. Cependant certaines modalités de pratique
et d’enseignement mises en place peuvent parfois
nuancer les hiérarchies au sein de la classe et l’investissement différencié des filles et des garçons. Par
ailleurs, l’enquête tente d’articuler une approche
inter­actionniste à une sociologie des dispositions, en
analysant conjointement les interactions et les propos
des enquêtés. Cette posture théorique et méthodologique nous paraît importante à développer dans
l’étude des rapports sociaux de sexe, l’observation
permettant dans un premier temps de repérer l’ordre
sexué du contexte étudié, les entretiens venant par la
suite éclairer les différences de comportement observées. Ainsi les interactions entre élèves sont assimilables à des matrices de socialisation dans lesquelles
les acteurs, porteurs d’une histoire, expriment et
construisent leur identité sexuée par et pour le regard
des autres.
Carine Guérandel
[email protected]
Centre de recherche Individus, épreuves, sociétés,
université Charles-de-Gaulle-Lille 3
Fabien Beyria
Collège Anatole-France de Montataire
notes
(1) Dans cette perspective, les résistances à la mixité entre élèves,
qui perdurent jusqu’à la fin des années 1960 (Arnaud & Terret,
1996), mais également à la mixité entre élèves et enseignants,
apparaissaient comme un moyen d’éluder le problème. Le maintien, jusqu’à la fin des années 1980, des concours séparés pour
les hommes et les femmes pour l’obtention du certificat au professorat d’EPS témoigne de l’importance des résistances de la
profession à l’égard de la mixité.
(2) À partir d’une enquête par questionnaire (auprès de 378 collégiens) portant sur la pratique sportive de collégiens issus des
milieux populaires urbains, une des auteurs montre que 30 % des
filles interrogées pratiquent une activité sportive institutionnelle,
contre 60 % des garçons.
(3) Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une thèse portant sur la socialisation sexuée des adolescents des quartiers populaires urbains
au cours des situations sportives (Guérandel, 2008).
(4) Toutes les données chiffrées sont tirées du diagnostic figurant
dans le projet d’établissement du collège de l’année scolaire
2004-2005.
(5) Tous les noms des enseignants et des élèves cités au fil du texte
sont des pseudonymes. Le choix de nommer les enquêtés par le
prénom marque le degré d’affinité construit au cours du travail de
terrain.
(6) Seul Christophe évite la situation d’entretien en reportant régulièrement les dates des rendez-vous fixés. Cependant la prise de
notes de nos conversations pouvait s’effectuer quasiment en
temps réel dans le journal de terrain.
(7) Les discussions avec les enseignants observés sont nombreuses
durant les séances d’EPS (en se rendant au gymnase, durant les
28 moments de pause, pendant que les élèves pratiquent leur activité, en revenant au collège). Les échanges avec les autres professeurs ont lieu durant la récréation dans la salle des professeurs, lors de rencontres fortuites au gymnase ou lors de
soirées.
  (8) Il s’agit d’une hiérarchie définie par l’enseignant : s’il y a 8 terrains de badminton dans le gymnase, l’enseignant désigne le
­t errain n° 1 comme celui à atteindre (représentant le meilleur
niveau de jeu) et le terrain n° 8 où joueront les joueurs les
moins performants. C’est le principe de la « montante descendante », bien connue et utilisé par les enseignants d’EPS :
les élèves se répartissent de manière aléatoire pour le
1 er match sur les différents terrains, celui qui perd « descend »
d’un terrain (et celui qui gagne « monte » d’un terrain, et ainsi
de suite).
  (9) Le capital guerrier renvoie à l’accumulation du capital social,
c’est-à-dire le réseau relationnel (il faut éviter la solitude apparentée à de la faiblesse et maîtriser le « vice »), à la force physique symbolisée par un corps d’athlète musclé et passe également par la discipline morale axée sur la surveillance de son
honneur (savoir réagir devant une provocation par la violence ou
la maîtrise de la « tchatche »).
(10) Au cours de l’exercice, une seule fille reprend là où elle a chuté
et se fait, de fait, moquer par ses camarades féminines pour son
sérieux et son manque de ruse.
(11) L’analyse de la casuistique de l’affrontement mixte renvoie à
l’étude réalisée par Bourdieu (2000) sur la préservation de
­l’honneur chez les kabyles, résumée par le proverbe : « L’homme
qui défie un homme incapable de relever le défi se déshonore
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
lui-même ». Dans le cas du judo, l’asymétrie des échanges
repérée lors des combats mixtes révèle l’inégale valeur des
combattants (Guérandel & Mennesson, 2007). Les garçons
considèrent être plus puissants que les filles et ne souhaitent
pas leur faire mal. Les filles interrogées évoquent également la
supériorité physique des garçons dans le combat.
(16) L’Appui tendu renversé (ATR) consiste à maintenir le corps
aligné (tête, bras et jambes tendus à la verticale) en équilibre sur
les deux mains.
(14) Davisse (Louveau & Davisse, 1998) montre également que les
groupes laissés à l’initiative des élèves par l’enseignant d’EPS
se construisent selon l’appartenance de sexe.
(17) La 4e « option sport » permet la confrontation de filles sportives
avec des garçons en réussite scolaire. Le profil atypique de
cette classe (considérée comme la meilleure du collège par les
professeurs) s’explique essentiellement au regard des critères
de sélection « élitiste » des élèves. Le critère objectif de niveau
scolaire associé au critère subjectif de l’attitude, c’est-à-dire
l’« acceptabilité morale » de l’élève, permet à l’enseignant de
« fabriquer » non seulement une classe de niveau, mais également une « classe d’ambiance » (Payet, 1997). Les résultats
scolaires et les comportements des élèves dépendent en partie
de leurs caractéristiques sociales : sont ainsi recrutés les élèves
les moins démunis socialement, pour qui le respect des normes
scolaires prévaut sur celui des codes de la culture de rue.
(15) Quand les élèves organisent de manière autonome le rangement
du matériel, ils reproduisent cette division sexuée des tâches.
(18) Elle veut dire par là plus « féminine » relativement à l’apparence
corporelle et aux attitudes.
(12) Dans certaines classes, quelques garçons préfèrent le basketball au football.
(13) Les filles qui émettent l’envie de jouer au football avec les garçons sont vite découragées (elles ne sont pas sélectionnées par
les chefs d’équipe lors de la constitution des groupes).
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Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Entrer dans la danse  :
divergence des «  systèmes
de pertinence  » entre enfants,
parents et enseignants
Samuel Julhe et Stéphanie Mirouse
L’image de la «  jeune ballerine  » ou du «  petit rat de l’Opéra  » est très largement évoquée dans l’ensemble des
travaux portant sur les danseurs. Cependant peu d’entre eux se sont spécifiquement intéressés aux premières
années d’apprentissage de la danse. Cet article rend compte d’un travail ethnographique de longue durée
auprès de deux groupes de jeunes danseuses débutantes, âgées de 4 à 11 ans. L’article se propose plus
particulièrement de recourir aux conceptualisations d’Alfred Schütz afin d’aborder le sens qu’enfants, parents
et enseignants donnent à la pratique de la danse. En particulier, la notion de « système de pertinence  » et ses
corrélats permettent de mieux appréhender les espaces de tension et de négociation qui peuvent résulter des
différences de conception entre ces acteurs.
Descripteurs (TESE) : sociologie de l’éducation, relation adulte-enfant, éducation des loisirs, éducation physique.
Introduction
À travers l’image stéréotypée de la « jeune ballerine » ou du « petit rat de l’Opéra », de nombreux travaux consacrés aux danseurs, notamment professionnels, insistent sur la période de l’enfance et sur
l’importance des premières années de pratique pour
décrire la force de dispositions sociales construites
précocement à travers un engagement « corps
et âme » (Perreault, 1988 ; Sorignet, 2001 ; Valentin,
2005). Ces recherches ont un grand intérêt pour
­comprendre la construction des carrières propres au
monde de la danse (1). Toutefois les discours recueillis
auprès de danseurs qui ont « réussi » sont par définition des reconstructions a posteriori, qui nous en
apprennent finalement assez peu sur ce qui se
déroule réellement durant les premières années de
formation. Force est de constater que les travaux
portant spécifiquement sur des enfants pratiquant la
danse sont rares, hormis lorsque cette activité se
déroule dans un cadre scolaire (Bruneau, 1993 ; Lord,
1998 ; Lacince, 2000 ; Leijen, Lam, Simons et al.,
2008). Le travail particulièrement éclairant réalisé par
Faure (2000) sur les modalités d’apprentissage des
techniques de danse ne fait pas exception, dans la
mesure où la grande majorité de ses observations
porte sur de jeunes danseuses, collégiennes ou
lycéennes, voire plus âgées, ayant déjà plusieurs
années de pratique derrières elles ou étant inscrites
dans des filières d’excellence.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 31-41
Partant de ce constat, la recherche dont nous présentons les résultats (2) s’intéresse à la période d’initiation à la danse classique ou contemporaine de
­jeunes filles âgées de 4 à 11 ans et pratiquant la
danse dans deux structures associatives (cf. l’encadré ci-dessous et en annexe). Le questionnement
général se situe au croisement d’une sociologie de la
sociali­sation (3) (Darmon, 2006) et d’une sociologie
de l’enfance (4) (Sirota, 2006). Plus précisément, cet
article aborde la manière dont se différencie le rapport à l’activité entre enfants, parents et enseignants.
En effet on peut faire l’hypothèse que ces trois types
d’acteurs n’entretiennent pas un rapport strictement
identique à la danse, à ce qu’elle signifie, à ce qui
doit être enseigné, aux perspectives qu’elle offre pour
l’avenir, etc., conduisant à des usages différenciés
des cours de danse. Pour établir cette analyse, qui
adopte résolument un point de vue compréhensif,
nous proposons de recourir aux travaux d’Alfred
Schütz (1899-1959), dont les conceptualisations des
formes de connaissance et leur confrontation à des
objets empiriques ne semblent pas encore avoir été
pleinement exploitées (Schrecker, 2009). Celles-ci
permettent notamment de penser la manière dont se
constituent les « systèmes de pertinence » individuels, définis comme l’ensemble des « éléments de
la structure ontologique du monde pré-donné et du
stock de connaissances […] pertinents pour l’individu, lorsqu’il définit par la pensée, par l’action, émotionnellement, sa situation, afin d’y établir sa voie, et
d’y faire face » (Schütz, 2007, p. 123). Autrement dit,
on cherche ici à savoir ce qui structure le sens que
les individus (enfants, parents, enseignants) donnent
à un objet du monde social, ici faire de la danse
quand on est enfant. Trois éléments sont pris en
compte : les motifs qui orientent l’action, avec une
distinction entre « motifs parce que » (« because
­motives ») et « motifs en vue de » (« in order to
­motives ») ; les modes de connaissances construits
vis-à-vis de l’objet considéré, polarisés autour de
« savoirs vagues » (« knowledge about ») et de
« savoirs directs » (« knowledge by acquintance » (5)) ;
enfin les références aux personnes qui entourent
­l’individu, classées en quatre groupes (les « sem­
blables », les « contemporains », les « prédécesseurs » et les « successeurs »).
culturelle envisagée sur le long terme. Cette différenciation dans la définition et les usages de l’activité
permet de repérer des systèmes de pertinence en
partie divergents, qui ouvrent des espaces de négociation, voire de tension et de résistance, lors des
interactions entre enfants et enseignants ou encore
entre enseignants et parents. En définitive, ce travail
vise à rendre compte de la construction et de la modification progressive du rapport à une activité lors des
premiers temps d’initiation, approche qui dépasse le
seul cadre de la danse et qui pourrait être étendue à
d’autres pratiques sociales, ainsi qu’à l’ensemble du
processus de socialisation.
Abordant tour à tour le point de vue des enfants,
des parents et des enseignants, l’analyse montre
notamment que les enfants se réfèrent avant tout à
des aspects techniques immédiatement perceptibles,
qui peuvent être rapportés aux dimensions les plus
médiatisées de la pratique, tandis que les adultes
sont davantage tournés vers une finalité d’ouverture
« Mouvements dansés » est une structure associative
créée en 2006 par Fleur Holzer, une ancienne danseuse
professionnelle reconvertie à l’enseignement. Âgée d’une
quarantaine d’années, elle est à la fois directrice artistique et unique enseignante de la structure. Elle propose
depuis plus de dix ans des cours de danse contemporaine à un public âgé de 4 à 25 ans et compte une cinquantaine d’élèves réguliers, répartis en différents ateliers
32 Les résultats de ce travail proviennent d’une enquête
réalisée auprès de deux structures d’éducation chorégraphique. Pour chacun des deux terrains, l’objectif était de
combiner données d’observation et recueil d’entretiens
semi-directifs. Une centaine d’heures d’observation ont
été réalisées, complétées par des entretiens avec les
deux enseignantes et dix parents (cf. en annexe). Lors
des observations, nous avons cherché à saisir un vaste
ensemble d’éléments saillants, portant aussi bien sur les
aspects sexués que sur la sociabilité, la description des
autres pratiques de loisirs, ou encore l’affirmation de
goûts et de dégoûts. Les deux structures sont implantées dans une grande agglomération française. Elles sont
exclusivement ouvertes à un public amateur, aucun
objectif de professionnalisation ou de préparation à
d’éventuels concours n’étant développé.
L’« Académie de danse (6) » est une école de danse
associative implantée en centre-ville depuis 27 ans. La
structure est propriétaire de ses studios et compte 5 professeurs pour 110 élèves réguliers. Les styles de danse
proposés sont le classique, le jazz, le hip-hop et le
moderne. Chacune de ces techniques est déclinée en
différents niveaux, allant de la petite enfance à l’âge
adulte. Les séances d’observation ont été effectuées
dans un cours hebdomadaire d’initiation à la danse classique où sont inscrites huit filles, âgées de 4 à 6 ans,
débutantes dans l’activité. L’enseignante, Astrid Coenne,
âgée d’une trentaine d’années, est principalement
employée comme danseuse dans une compagnie professionnelle. Au moment de l’observation, elle réalise ses
premières expériences d’enseignement et y voit à la fois
une manière de « s’ouvrir de nouvelles perspectives » en
cas de reconversion et surtout une façon de « faire ­goûter
la danse aux petites ».
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
et dont elle cherche à développer la « créativité ». L’association n’est pas propriétaire des locaux et loue des studios dans le centre-ville. Il s’agit de l’une des très rares
structures de l’agglomération à proposer des cours de
danse contemporaine à des enfants. Les observations
ont été réalisées en situation de « stage », c’est-à-dire
lors de périodes de pratique intensive organisées à
­l’occasion des vacances scolaires. S’y rencontrent des
élèves prenant déjà des cours hebdomadaires dans
­l’association, mais aussi de jeunes danseuses plus occasionnelles qui viennent s’essayer à la danse. Ce public,
exclusivement féminin, est très hétérogène en termes
d’âge (de 4 à 11 ans). Pendant ces stages, hormis le
contemporain qui est prépondérant, plusieurs autres
­styles de danse sont proposés (classique, hip-hop, danse
indienne).
L’emplacement géographique de ces deux structures
permet de comprendre les caractéristiques sociales du
public observé. Comme le rappelle Michèle Métoudi
(1987) : « Un cours de danse classique, ouvert aux
enfants dans une MJC de banlieue défavorisée, contraste
sans doute fortement avec un cours, tout aussi classique, tout aussi ouvert aux enfants, donné en école privée
dans un quartier chic de Paris. » Dans notre cas, les
zones de recrutement des élèves se limitent à l’hypercentre de l’agglomération. La population enfantine observée provient ainsi très majoritairement de catégories
sociales favorisées, à la fois sur le plan économique et
culturel. La plupart des parents exercent un métier de
cadre ou de profession libérale. Ces enfants cumulent
par ailleurs un ensemble d’activités fortement connotées
socialement : danse, piano, violon, équitation, chant, etc.
De même, toutes les jeunes filles observées sont en
bonne réussite scolaire, lisent beaucoup, fréquentent
assidûment les salles de spectacle et les musées (cf. en
annexe).
Des enfants à la recherche
de la « vraie danse »
Malgré le très jeune âge des petites danseuses au
moment d’entrer dans la pratique (cinq ou six ans,
voire quatre ans pour certaines), ces enfants ne débutent pas l’activité ex abrupto, en étant dépourvues
d’images sur le monde de la danse. Elles entretiennent déjà avec lui une certaine familiarité, qui peut
constituer le motif subjectif de l’entrée dans l’activité.
À un premier niveau, on fait ici référence au rôle joué
par toute une série de films ou d’ouvrages qui assurent la médiatisation de la danse auprès des jeunes
enfants (7) et qui s’intègrent plus largement dans un
univers de consommation dit de « petites princesses », constituant actuellement un axe éditorial parti
culièrement développé (Monnot, 2009 ; Glévarec,
2010). Les entretiens avec les parents indiquent fréquemment le rôle déclencheur joué par ces différents
médias :
« Pour l’anecdote, Sophie a commencé la danse
[à 4 ans et demi] en voyant Barbie Casse-noisette. Elle a
décidé qu’elle voulait danser comme Casse-noisette. […]
Après, elle m’a tannée pendant six mois pour que je l’inscrive au cours de danse. Donc, au bout de six mois, je
craque et je l’ai inscrite » [mère de Sophie, 10 ans, CM2,
père ingénieur, mère responsable d’études marketing].
« Elle avait très envie de faire de la danse, parce qu’en
fait elle avait plein de Barbie danseuses […] On allait dans
un vidéo-club et on avait un abonnement pour enfant,
donc on a loué tout ce qui existait, qui était à peu près de
son âge […] : les DVD Barbie Lac des cygnes, Barbie
Casse-noisette. […] On a découvert par hasard, parce que
moi je connaissais pas. Ça lui a plu, donc après on a
acheté » [mère d’Amy, 6 ans, CP, père cadre dans un CHU,
mère professeure de lettres].
Les séances d’observations montrent à quel point
ces références sont profondément ancrées dans l’esprit des jeunes débutantes et comment elles sont
mobilisées dans la relation établie avec l’enseignante
ou encore avec les parents :
Amandine explique à l’enseignante qu’elle a un gros
livre de danse à la maison « avec que des barres », et que
sa mère lui « lit tous les soirs, parce que sinon elle dit que
je vais pas savoir faire » [cours d’Astrid, septembre].
Astrid profite de la fin du cours pour montrer au groupe
quelques pages du « livre de danse » apporté par Marguerite. Elle montre notamment des photos d’une représentation du Lac des cygnes. Plusieurs filles commentent alors :
« Mais oui, Le Lac des cygnes c’est de la danse. Il y a
Barbie dedans ! » [cours d’Astrid, octobre].
À un second niveau, la pré-connaissance de la
danse peut également être rattachée à des relations
avec des camarades d’école, elles-mêmes pratiquantes et dont les discours peuvent, par mimétisme,
entraîner d’autres enfants dans l’activité :
« Lise a commencé la danse à cinq ans, en grande section de maternelle, en milieu d’année. […] Elle voulait avoir
une activité comme les copines de l’école qui faisaient de
la danse à un autre endroit, qui lui parlaient de la danse.
Ça a commencé comme ça » [père de Lise, 9 ans, CM1,
père cadre informaticien, mère responsable commercial].
« Au départ c’était beaucoup de copinage. Retrouver
les copines. Il y avait déjà un trio créé à l’école. […] Elle
avait une de ses copines qui disait : “Je fais de la danse”,
donc elle s’est dit pourquoi pas moi… » [père de Sarah,
10 ans, CM2, père conseiller en GRH, mère chargée de
communication].
Dans ces deux types de situation, l’entrée dans
l’activité prend sens pour l’enfant à partir d’une même
Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 33
catégorie de motifs, qualifiés de « motifs parce que ».
L’action, définie comme une « conduite motivée en
termes de projet préconçu » (Schütz, 1994, p. 103), y
est référée aux expériences passées, incorporées à la
« réserve de connaissances » (Schütz, 2007, p. 73-77).
De plus, dans les deux cas, le savoir sur l’activité
dont disposent les enfants prend la forme d’un
« savoir vague », imprécis et partiel, mais suffisant
pour se forger un point de vue sur l’objet et orienter
l’action « jusqu’à l’apparition de la contre-évidence »
(Schütz, 2008, p. 206). Concrètement, ce savoir
tourne principalement autour de la danse classique et
se cristallise de deux manières distinctes : à travers
l’usage d’objets et d’accessoires, relativement fétichisés, tels la barre, les pointes, le justaucorps ; par
l’intermédiaire de figures et de formes corporelles
emblématiques, comme les grands jetés, les pirouettes, les bras en couronne. Lors des toutes premières
séances d’initiation, les attentes sont nombreuses sur
ces points :
Première séance : avant même l’entrée de l’enseignante
dans le studio, les filles déjà présentes s’approchent des
barres pour les regarder et les toucher. Elles esquissent
des semblants de grands jetés ou mettent maladroitement
les bras en couronne en montant sur les demi-pointes
[cours d’Astrid, septembre].
Troisième séance : Olivia demande : « Quand est-ce
qu’on va faire des barres ? » Astrid répond que le « travail
à la barre » débutera autour de la période de Noël. De
façon unanime dans le groupe, l’annonce est accueillie
avec beaucoup de déception et de protestations [cours
d’Astrid, septembre].
Pour les jeunes débutantes, ce savoir et ces
­ ttentes sont des « allant de soi » (« taken for
a
­granted »), difficiles à remettre en question, qui constituent ce qu’elles nomment elles-mêmes la « vraie
danse ». Elles ne manquent d’ailleurs jamais de relever les décalages qui peuvent apparaître entre leur
définition de la pratique et ce que propose l’enseignante :
Le cours de danse contemporaine a débuté depuis
25 minutes. Les filles sont amenées à manipuler des coussins pour ensuite retrouver cette « qualité de contact et de
mouvement » dans une improvisation tournant autour de
l’idée de « moelleux ». Marine, 6 ans, qui fait ici son premier stage, demande : « C’est quand la danse ? » L’enseignante, troublée, répond avec une légère gêne : « C’est
déjà de la danse… Tu sais, c’est bizarre la danse contemporaine » [cours de Fleur, octobre].
Lors du cours de hip-hop, les enfants sont amenés à
apprendre « le robot » (série de mouvements saccadés
visant à imiter un déplacement mécanique). Émilie, 4 ans,
sort du groupe pour aller s’agripper et se suspendre aux
barres qui longent le mur du studio. Pensant que per-
34 sonne ne l’entend, elle s’exclame : « Moi, je veux faire de
la vraie danse ! » [cours de Fleur, octobre].
Faire de la « vraie danse », c’est également pour les
débutantes adopter une attitude corporelle conforme
à ce qu’elles attendent de l’activité :
Lors des exercices d’étirement qui débutent le cours,
Olivia exagère très nettement les ports de bras. Après
coup, elle indique : « Quand je l’ai fait, je me serais cru
une vraie danseuse. » Elle surenchérit afin de capter
­l’attention de l’enseignante : « Hein, je l’ai fait comme si
j’étais une vraie danseuse » [cours d’Astrid, septembre].
Dans ce cadre, on retrouve bien l’idée selon laquelle
« toute action se réfère par son être projeté à des préexpériences organisées dans ce que l’on peut appeler le “stock de connaissances”, réellement disponible, qui est donc la sédimentation des actes
préalablement expérimentés avec leurs généralisations, formalisations et idéalisations » (Schütz, 1994,
p. 103), projection qui « comme toute autre anticipation comporte ses horizons vides qui ne seront remplis que par la matérialisation de l’événement anticipé » (Schütz, 2007, p. 72). Nous verrons par la suite
comment les enseignantes sont amenées à déconstruire ces « savoirs vagues » pour établir chez l’enfant
un « savoir direct » de l’activité, c’est-à-dire une activité vécue, et surtout étendre l’« horizon interne » des
jeunes pratiquantes (8). Finalement, lors des premiers
temps d’initiation, ces jeunes danseuses entretiennent moins un rapport technique à l’activité qu’une
forme de projection dans un imaginaire largement
partagé par une grande partie de leur groupe de pairs,
que l’on subdivisera en semblables (« consociates »),
individus avec qui nous partageons le même environnement lors de la situation de référence, autrement
dit ici d’autres enfants pratiquant la danse, et contemporains, qui ne sont pas directement présents lors de
la situation de référence, c’est-à-dire ici l’ensemble
des enfants ne pratiquant pas la danse, avec lesquels
le partage d’expérience ne peut être qu’indirect
(Schutz, 2009 ; Noschis & Caprona, 2008, p. 253-257).
Des parents aux motifs diversifiés
Aux yeux des parents, la danse apparaît de prime
abord comme un désir « bien naturel » propre à « toutes les petites filles », ce qui correspond à la description de l’imaginaire de la « princesse » décrit précédemment. Il s’agit plus particulièrement pour eux
d’insister sur le plaisir pris par l’enfant à effectuer
l’activité :
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
« La danse, c’est à la fois le plaisir de pratiquer une
activité sportive et aussi artistique. C’est le fait d’associer
les deux qui me plaît. Je trouve ça très joli, je trouve que
c’est féminin. C’est cliché, mais j’ai un peu l’impression
que toutes les petites filles ont envie d’en faire » [mère
d’Amy, 6 ans, CP, père cadre dans un CHU, mère professeure de lettres].
« Nous, on l’a inscrite dans cette activité plus comme à
un moment de plaisir… Dans mon esprit, il n’y avait pas
l’idée de faire quelque chose d’assez rigide. Je voulais
qu’elle fasse un peu de danse, qu’elle ait une activité tranquille […], que ce soit plutôt un moment de plaisir […], un
lieu où elle puisse s’éveiller, quelque chose d’agréable »
[mère d’Inès, 10 ans, CM2, père artiste chanteur, mère
psychologue clinicienne].
La conception de l’individu qui entre en jeu ici est
celle d’un sujet qu’il s’agirait de laisser s’exprimer
librement, la technique n’étant finalement qu’un outil
au service d’une « capacité créatrice » et d’une
« nature intérieure ». La danse est présentée comme
une manière pour l’enfant de développer des qualités
corporelles et de s’épanouir à l’intérieur d’un univers
qui lui est propre. Au-delà de cet aspect, les entretiens et les échanges informels effectués avec les
parents nous renseignent plus en détail sur les systèmes de pertinence parentaux, et notamment sur les
motifs présidant à l’inscription de leur fille dans un
cours de danse. L’activité apparaît comme l’une des
pièces d’un dispositif éducatif visant à favoriser un
style de vie qualifié d’« ouvert sur le monde ». Bien
que diversifiés, ces motifs renvoient précisément aux
catégories schützéennes distinguant « motifs parce
que » et « motifs en vue de » (voir Schütz, 2007,
p. 73-77). Lorsque des parents évoquent des « motifs
parce que », ils donnent sens à la pratique de leur fille
au regard de leur propre « réserve d’expérience ».
L’inscription de l’enfant en danse peut ainsi relever
d’une tentative de transmission d’un héritage culturel
familial, plus particulièrement maternel. Entre autres
exemples, citons la mère de Marguerite qui dispose
d’un savoir direct sur l’activité, ayant pratiqué la
danse classique pendant quinze ans. Inscrire sa fille
en danse est pour elle une manière de lui faire goûter
aux plaisirs qu’elle dit avoir connus étant enfant :
« J’ai un peu, je pense, orienté ses choix, le fait qu’elle
choisisse le classique, parce que j’aimais bien. […] Moi ça
m’a redressée physiquement […] le classique a une
­rigueur sur le port, le maintien, qui est bien… Et puis la
souplesse… » [mère de Marguerite, 5 ans et demi,
­maternelle, père directeur commercial, mère responsable
commercial].
Cette volonté de transmission s’objective également à travers le don de ses anciens « chaussons de
pointe », alors que sa fille n’est pas encore en âge de
les porter. Plusieurs ouvrages volumineux sur la danse
lui ayant appartenu ornent également la bibliothèque
de sa fille (cf. supra). Marguerite est explicitement
investie d’une injonction à « bien » pratiquer, à se
conformer aux codes, à la discipline et à la rigueur
attendue en danse classique et ainsi à devenir une
« vraie danseuse ». Cela se perçoit dans son comportement lors des séances observées. Il diffère nettement de celui des autres petites filles : elle se montre
beaucoup plus calme, attentive et appliquée que ses
camarades, elle est aussi la seule à venir systé­
matiquement coiffée d’un chignon ou vêtue d’un
­justaucorps blanc. Dans d’autres cas, l’inscription
dans la pratique de la danse apparaît comme une
tentative d’acquisition d’un capital manquant ou tout
du moins perçu comme faisant défaut. L’exemple de
la mère de Tania, une infirmière faisant partie des
parents les moins socialement favorisés de notre
échantillon, est particulièrement éclairant sur ce point.
Pour elle, l’intérêt de la danse, dont elle n’a qu’un
savoir vague, se conçoit avant tout à travers sa
dimension d’éducation corporelle. En conduisant sa
fille vers cette activité, elle indique faire en quelque
sorte double emploi : d’une part, elle renoue avec
l’esthétique populaire du « patinage artistique », activité qu’elle apprécie particulièrement et qu’elle
regrette de ne pas avoir pu pratiquer étant enfant ;
d’autre part, elle cherche à épargner à sa fille les problèmes de surpoids et les complexes physiques qui
la touchent. Elle indique :
« Moi j’ai toujours eu des problèmes de poids et je
voulais pas que ma fille en ait. […] Je me suis dit :
“Nous allons faire de la prévention.” […] Donc voilà, j’ai
dit : “Si elle commence à faire du sport tôt elle aura les
muscles élancés et tout ça, elle n’aura pas les soucis
que moi j’ai” » [mère de Tania, 10 ans, CM2, mère
­infirmière].
Dans cette situation, la danse apparaît essentiellement comme une pratique « sportive » visant aussi
bien la dépense énergétique que la formation du
corps, l’objectif étant d’offrir à l’enfant une chance
de ne pas reproduire ce qui est considéré comme un
« manque » ou un « défaut » dans le parcours biographique parental. Dans les deux cas qui viennent
d’être décrits, la pratique enfantine de la danse est
rattachée à un passé incorporé et, dans une bien
moindre mesure, à une dimension prospective définie par des horizons d’attente clairement délimités.
De plus, les enfants sont ici inscrits dans une temporalité et un rapport inter-générationnel qui les
situent entre les prédécesseurs que constituent les
parents et les ­successeurs qu’ils sont en capacité
de devenir.
Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 35
Une tout autre mise en forme des discours parentaux correspond aux « motifs en vue de ». Le sens de
l’action y est donné en rapport à l’avenir, vis-à-vis
d’un projet ou d’un but (Schütz, 2007). Pour nombre
de parents, la pratique de la danse est interprétée
comme une manière pour leur fille d’acquérir un
­capital corporel qui pourra être valorisé par la suite :
« À l’école, quand il y a des jeux de groupe où c’est le
premier qui termine… Et ben, ça commence à faire des
petits clans, des groupes qui s’entendent plus : “Ouais,
c’est de ta faute si on a perdu, tu cours pas assez
vite”, etc. Et Lise, c’est vrai qu’elle était pas très dégourdie. […] Et je lui expliquais à Lise : “Par le sport, la danse,
tout ça, par la suite, quand tu vas rentrer au collège, tu
seras beaucoup plus respectée que si tu restes la petite
fille qui reste dans son coin”. La danse, c’est vrai que ça
l’aide, ça la pousse. Et je suis persuadé que ça l’aidera
par la suite. C’est un élément qui permet un peu de
­s’affirmer » [père de Lise, 9 ans, CM1, père cadre en informatique, mère responsable commercial].
« La danse ça représentait pour moi une petite fille,
vraiment. La vraie danseuse. Et aussi pour le maintien. Le
maintien du corps. Pour une future femme je trouve que
c’est important. Donc… Ça sera important pour elle. […]
Je me dis que j’essaierais de l’initier à la danse de salon,
mais elle a le temps. Une dizaine d’années quoi. […]
J’aimerais bien qu’elle aille voir ailleurs, vers le rock ou la
salsa. J’aimerais l’amener à ça. Je me dis, si tu sais danser un bon rock, heu… tu vas en appâter des gars [rires] »
[mère d’Inès, 10 ans, CM2, père artiste intermittent du
spectacle, mère psychologue clinicienne].
Il s’agit également de cultiver une forme de capital
social. Sur les deux terrains observés, l’inscription en
danse permet à un noyau de jeunes filles de prolonger
et de maintenir leur sociabilité scolaire, dans le sens où
plusieurs camarades de classe pratiquent la danse
ensemble (cf. supra). Dans le cours de danse contemporaine, on compte un trio et un duo de filles venant
d’une même classe, tandis que dans le cours de danse
classique cinq des huit filles viennent de la même école.
Par ailleurs, au fil de l’année, les filles d’un même groupe
s’invitent mutuellement pour des goûters, des anniversaires, voire pour dormir les unes chez les autres, telles
Sarah et Sophie qui se disent « meilleures amies ». La
constitution ou le renforcement d’un tel réseau amical
contribue à maintenir l’engagement dans l’activité. Par
ailleurs, les parents valorisent et favorisent cette sociabilité enfantine, qui leur permet d’entretenir leur propre
réseau de sociabilité et d’entraide. Par exemple, certains parents profitent du temps de la séance pour
­discuter ou échanger conseils et services :
La maman de Tania indique au père de Lise qu’elle a un
souci pour samedi car elle est occupée toute la journée.
Elle lui demande s’il peut venir chercher sa fille chez la
grand-mère de Tania pour l’amener à la danse. Il est
36 ­ ’accord. On note qu’il sait déjà où habite la grand-mère
d
et qu’il connaît également son numéro de téléphone [dans
les vestiaires, avant le cours de Fleur, décembre].
Dans le cadre des « motifs en vue de », il serait
également possible de considérer le cas de parents
envisageant la professionnalisation de l’enfant dans
le monde de la danse, même en termes hypo­thétiques
et d’horizon lointain. Néanmoins rappelons que les
deux terrains observés sont des structures ama­
teures, au sens où il n’y a pas d’ambition liée à la professionnalisation des élèves ou au passage des
concours d’entrée du Conservatoire de danse ou de
l’Opéra de Paris. Ce type de perspective n’a donc
pas été rencontré parmi les parents interviewés.
Sur le plan analytique, contrairement aux « motifs
parce que », où les enfants étaient placés dans un
­rapport inter-générationnel, les « motifs en vue de »
les positionnent davantage dans un rapport intra-­
générationnel. Les parents concernés tendent ainsi à
distinguer le groupe des semblables, qui rassemble
les pratiquants de la danse dans une sorte d’entre-soi
et le reste des contemporains, n’ayant pas accès aux
bénéfices de ce type de pratique. Dans ce cadre, la
danse est également envisagée du point de vue de son
horizon externe, c’est-à-dire mise en relation avec
d’autres activités de loisirs relativement ­légi­times,
comme la pratique instrumentale (piano, ­violon, etc.),
l’équitation, les arts plastiques, etc. (cf. en annexe).
Bien entendu, ces deux types de motifs ne sont pas
exclusifs l’un de l’autre et doivent être considérés
comme des formes idéal-typiques. De façon générale,
quels que soient les cas ren­contrés, l’inscription en
danse procède d’une injonction parentale au travail de
soi sur soi. On retrouve chez ces parents l’idée développée par François de Singly (1993, 2006) selon
laquelle l’éducation dans les classes sociales favorisées vise actuellement à donner à l’enfant un maximum
d’« atouts », où la seule injonction est de chercher à
devenir « soi-même » en développant des goûts ou des
talents qui lui seraient inhérents. Il s’agit en ­quelque
sorte de ­proposer à l’enfant l’éventail d’activités le
plus large possible, en lui laissant le soin d’y piocher
et de faire ses choix en fonction de sa personnalité.
Des enseignants en recherche
de compromis
Avant toute chose, rappelons que les deux professeures de danse observées sont professionnelles.
Même si elles ne se placent pas sur un registre pure-
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
ment « commercial » où il s’agirait de satisfaire à
tout prix une « clientèle » (Le Dantec, 1998), ces
enseignantes sont en grande partie tenues par des
enjeux économiques qui leur imposent d’avoir un
maximum d’élèves et de les fidéliser afin de pérenniser leur situation. Elles ne peuvent donc pleinement user de l’arme d’imposition de la définition
légitime de la pratique, qui peut conduire à exclure
les élèves non conformes aux canons de la discipline. Leur système de pertinence et le sens qu’elles
donnent à la pratique enfantine sont à ce titre le fruit
d’un compromis, périodiquement renégocié, entre
les attentes parentales, celles des jeunes danseuses
et leur propre rapport à l’activité. Les enseignantes
doivent parfois transiger avec des parents, notamment ceux disposant d’un savoir direct sur l’activité,
d’autant plus s’ils sont marqués par une représentation de la danse érigée en modèle de discipline et
de rigueur. De légers conflits d’expertise surviennent
lorsque ce qu’ils perçoivent de l’enseignement
­n ’entre pas ou plus en adéquation avec leurs expériences et leurs attentes. Cela peut conduire à des
remises en question, voire des remises en cause,
soit auprès des autres parents, soit directement
auprès des enseignantes ou des ­responsables de la
­s tructure :
La grand-mère de Coralie, qui a assisté à l’ensemble du
cours, paraît consternée de ce qu’elle a vu. Le groupe
était aujourd’hui particulièrement dissipé. Dans les vestiaires, devant les autres parents et les filles, elle fait des
commentaires à voix haute sur le manque de discipline.
Elle cherche le regard et l’attention des autres adultes,
sans grand succès [cours d’Astrid, novembre].
[La semaine suivante,] c’est au tour de la mère de
­ oralie d’évoquer les problèmes de discipline, auprès de
C
la directrice et de l’enseignante. Elle indique : « La
semaine dernière elles ont dansé que cinq minutes, le
reste c’est de la police. […] Il faudrait que les parents
disent à leur enfant de se tenir sage, moi à chaque fois je
le fais avant le cours ». Sur ce, la maman de Marguerite
passe et acquiesce, péremptoire : « Faut tenir ses
enfants, il faut éduquer les enfants, c’est le rôle des
parents ». La directrice récuse l’ensemble du propos en
expliquant qu’il est normal que les filles jouent entre les
exercices et précise : « La danse, c’est aussi un lieu où il
faut exprimer sa personnalité, on n’est pas des gardeschiourmes ». À bout d’arguments elle ajoute que les
parents ne doivent pas assister au cours, « mais vous
serez surpris à la fin de l’année quand il y aura le spectacle de tout ce qu’elles auront appris » [cours d’Astrid,
décembre].
Bien entendu, l’atteinte à la légitimité de l’enseignante ne porte jamais sur les aspects les plus techniques ou sur le contenu enseigné, mais plutôt sur la
méthode, voire sur la « mauvaise éducation » que
donneraient les autres parents. Vis-à-vis des enfants,
les enseignantes peuvent difficilement rejeter en bloc
leur image de la « vraie danse » et sont plutôt amenées à les prendre en considération. En effet, lorsque
l’exercice proposé n’entre pas en adéquation avec
leur imaginaire, les débutantes n’ont pas l’impression
de « danser » et peuvent rapidement se désintéresser
de l’exercice. Les enseignantes mettent en place un
double processus de déconstruction et de reconstruction des savoirs vagues dont disposent les jeunes
filles à leur entrée dans l’activité. Les images erronées
doivent être déconstruites avec délicatesse, notamment lorsque cela met en jeu la rudesse du traitement
que la danse fait subir au corps :
Lors d’une pause entre deux exercices, Amy [6 ans]
annonce fièrement à Astrid que « dans les chaussons il
faut du bois au bout, pour avoir moins mal aux pieds. »
L’enseignante retient un sourire, se penche vers l’enfant
pour lui saisir le pied et lui montrer la manière dont les
pointes viennent l’enserrer. Elle lui explique que le bois
est là pour supporter son poids et que l’élément permettant d’avoir moins mal serait plutôt une pièce de cuir,
« comme un coussin » [cours d’Astrid, septembre].
Les enseignantes s’appuient également sur le
contenu de ces savoirs vagues, par exemple en
mêlant ce qui est présenté comme du « travail » et
des phases plus ludiques où le mouvement se débride
et correspond davantage à l’image que les élèves ont
de la « vraie danse ». En cours de danse classique,
Astrid procède de la sorte lorsqu’elle argumente :
« Quand vous ferez bien cet exercice, vous pourrez le
faire à la barre » ou plus encore lorsqu’elle prend
appui sur l’imaginaire des enfants :
Au début du cours, les filles sont appelées à former un
arc de cercle devant Astrid, Laura dit qu’elle « veut faire
Cendrillon ». Par la suite, lorsqu’un exercice technique
passe mal, l’enseignante revient sur cet échange et précise : « Tu vas apprendre à danser et après tu pourras
jouer Cendrillon » [cours d’Astrid, novembre].
Cette mise en tension entre la représentation initiale de la danse et la manière dont elle est retravaillée par l’enseignante est d’une grande importance
pour la poursuite dans l’activité, dans la mesure où
un décalage trop important peut conduire à la
déprise, voire à l’arrêt de l’activité. Maintenir la juste
distance entre imaginaire et réalité de l’enseignement
permet, d’une part, le passage des savoirs vagues
aux savoirs directs, fondés sur un vécu corporel ;
d’autre part, l’élargissement de l’horizon interne et
donc des points de vue que l’enfant peut avoir sur la
danse. Cet élargissement passe de manière simple
par des anticipations d’expériences qui touchent par
exemple la présentation de soi auprès des proches
Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 37
(« La semaine prochaine, c’est portes ouvertes, vos
parents vont pouvoir venir vous voir pendant le
cours ») ; l’apprentissage de techniques nouvelles,
fortement valorisées (« Dans quelques temps, après
les vacances, on pourra faire de la barre ») ; la préparation de spectacles (« Au mois de juin, c’est le gala
de fin d’année »). Ces horizons constituent tout simplement des projets, des objectifs à plus ou moins
brève échéance, emboîtés les uns dans les autres,
pour lesquels les jeunes filles éprouvent de l’envie,
envie qui les pousse à s’investir. Au final, cela peut
aller jusqu’à l’expression, par l’enfant lui-même, d’un
avenir potentiel dans la danse, par exemple en indiquant son souhait ­d’entrer au conservatoire national
de région :
« Le choix du collège pour l’année prochaine, c’est la
grosse discussion du moment. […] Elle se voit au conservatoire, faire de la danse tous les jours, parce qu’elle veut
en faire de plus en plus. […] Bon, pour l’instant au niveau
de l’école ça se passe bien, au niveau de la danse, très
bien aussi. Donc… à voir. On n’écarte pas l’option » [mère
de Sophie, 10 ans, CM2, père ingénieur, mère respon­sable
d’étude marketing].
On touche ici aux phases de construction d’une
vocation. Par ailleurs, l’élargissement de l’horizon
interne par les enseignantes se réalise par la mise en
relation de l’enfant avec des prédécesseurs propres
au monde de la danse. C’est par exemple le cas
lorsqu’elles donnent à voir une vidéo présentant « le
Bolchoï, une très grande compagnie », lorsqu’elles
racontent brièvement le parcours d’interprètes ou de
chorégraphes renommés, lorsqu’elles invitent les jeunes élèves à assister à un spectacle ou, mieux encore,
à une lecture démonstration (9). Ce sont là autant de
moyens permettant la projection dans un avenir
potentiel et la poursuite du déplacement de l’horizon
interne, dans le sens où « mon expérience de ces
horizons me convainc que chaque monde poten­
tiellement à ma portée, une fois atteint, sera entouré
d’horizons nouveaux, et ainsi de suite. » (Schütz,
2009, p. 100).
Enfin les enseignantes sont toujours à la recherche
d’une sorte de compromis entre ce qu’elles perçoivent comme une pratique « authentique » (une certaine rigueur technique, l’acquisition de formes de
corps, l’élaboration d’un processus de création, etc.)
et le fait de proposer quelque chose qui soit
« adapté » aux enfants, aussi bien à leurs désirs qu’à
leurs capacités motrices. Cette tension est d’autant
plus forte chez les deux enseignantes observées
qu’elles ont elles-mêmes eu de longs parcours d’interprètes professionnelles. Pour elles, la priorité n’est
en aucun cas la progression technique ou le repérage
38 de talents potentiels qu’il s’agirait d’aider à éclore et
développer. Sachant bien que le type de structure
dans lequel elles évoluent et le public auquel elles
sont confrontées ne leur permettent pas d’entrer
dans une logique d’expertise et d’élitisme, elles trouvent un compromis autour de l’idée d’ouverture culturelle et artistique, de formation d’un goût pour le
monde de la danse. Pour Fleur (10), il s’agit de développer la « créativité » ou « l’inventivité », en pré­
supposant « qu’elles [les] retrouveront partout » et
que cela a une forme ­d’utilité sociale dans « la vie de
tous les jours ». Elle précise :
« Pour moi c’est plus une découverte, un jeu, qu’une
progression technique. […] Je veux faire une sorte de
laboratoire de recherche. […] Le fait de faire des progrès
techniques ou pas, ce n’est pas très grave si on n’en fait
pas. Mais par contre, le fait de communiquer avec les
autres, de s’ouvrir à autre chose… Elles vont avoir de
nouveaux univers, de nouvelles manières de réfléchir
peut-être… Ça ouvre. […] Le but c’est de les ouvrir à plein
de choses différentes » [Fleur, 39 ans, professeure de
danse contemporaine].
Pendant ses stages, elle souhaite faire découvrir
plusieurs styles de danse, de manière à ce que les
élèves identifient les différentes techniques, qu’elles
prennent conscience de la variété des styles, et
­trouvent ce qui peut « leur correspondre ». Elle se
situe ainsi dans un espace entre « découverte culturelle », « travail technique » et « amusement ». Pour
Astrid (11), il ne s’agit pas de former de « futures
­étoiles », mais de faire en sorte que les petites filles
s’amusent, prennent plaisir à venir, tout « en ­apprenant
quelque chose » :
« L’enseignement, c’est juste un petit plus par rapport
au travail dans la compagnie… au moins pour l’instant […]
Les filles d’ici, je sais qu’elles n’iront pas dans un grand
ballet, mais c’est pas grave… L’important c’est qu’elles
goûtent à la danse, qu’elles se fassent plaisir, mais quand
même, je tiens à ce que ce soit juste au niveau des positions, des postures » [Astrid, 29 ans, professeure de danse
classique].
Elle tente d’allier la recherche d’une rigueur tech­
nique, l’acquisition de « formes de corps », en proposant quelque chose qui soit adapté aux enfants,
aussi bien à leurs désirs qu’à leurs capacités motrices, mais encore répondant aux attentes des
parents. On retrouve ici tout le paradoxe que décrit
Pascale ­Garnier (2004, 2006) au sujet des pratiques
sportives enfantines, qui oscillent toujours entre
activité spécifique, distincte de celle des adultes, et
activité adaptée, propédeutique, devant conduire à
la forme adulte.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Conclusion
Cet article s’est attaché à mettre en évidence les
différences de structuration des systèmes de pertinence des enfants, parents et enseignants vis-à-vis du
sens qu’ils donnent à la pratique enfantine de la danse.
S’observe ainsi la façon dont les enseignantes doivent
en quelque sorte négocier entre leurs propres conceptions de la pratique et les attentes, souvent contradictoires, des enfants dont elles ont la charge et de leurs
parents. Or, dans le cadre d’une pratique professionnelle de l’enseignement, décrypter ces attentes, généralement fondées sur des savoirs partiels et imprécis,
parvenir à les satisfaire au mieux ou à les déconstruire
s’avère indispensable pour capter et conserver un
public de plus en plus exigeant. Pour les enseignants,
quels qu’ils soient, effectuer un retour réflexif sur leurs
conceptions de l’activité, ainsi que sur celles de leur
public, peut s’avérer très utile, notamment dans le
cadre du développement d’une didactique cherchant
à favoriser l’autonomie et la responsabilisation de l’apprenant (Tousignant & ­Brunelle, 1993). En effet cette
recherche de références partagées et d’une forme de
compréhension mutuelle entre interactants, que
Schütz nomme « relation de syntonie », est au fond de
tout processus de transmission (Schütz, 2006).
Plus largement, nous avons cherché à montrer
empiriquement le caractère toujours fécond et heuristique de l’approche schützéenne de la connaissance
et de l’action. La pertinence et l’intérêt de cette
conceptualisation pour l’analyse des processus de
socialisation apparaissent réels et significatifs. En
effet le programme d’une sociologie de la socialisation, principalement fondé sur une mise en perspective des caractéristiques sociales des familles et des
propriétés sociales des contextes d’interactions (pris
comme matrices génératrices de représentations et
de comportements, voir Darmon, 2006 ; Court, 2008),
ne peut faire l’économie du sens que les acteurs don-
nent à leurs actions, sans se priver d’éléments essentiels à la compréhension. Comme cela a pu être montré, enseigner une activité telle que la danse, c’est
bien évidemment conduire à l’expérimentation d’un
savoir direct, à l’acquisition de dispositions corporelles, par la transmission de techniques et de « formes
de corps », mais c’est également ouvrir les jeunes
pratiquantes à des horizons (internes et externes) qui
leur étaient jusque-là invisibles, ou plutôt « appré­
sentés » pour reprendre la terminologie husserlienne.
C’est aussi les inscrire dans tout un rapport au monde
et aux autres, en les distinguant du reste de leurs
contemporains et en les situant dans un domaine
spécifique du monde social, sur une ligne séparant
prédécesseurs et successeurs. C’est en cela qu’il est
possible de poursuivre avec toujours plus de finesse
une sociologie de la socialisation soucieuse de descendre encore davantage dans les plis les plus singuliers et les plus individualisés du social (Lahire, 1998).
Cette perspective peut permettre d’observer au plus
près ce qui est « sélectionné » parmi le flot d’informations parvenant à l’individu, mais aussi la manière
dont certains éléments peuvent être « déformés » ou
« hybridés » à partir des dispositions déjà incorporées
(la réserve d’expérience décrite par Schütz) et des
effets des multiples instances de socialisation dans
lesquels il se trouve. En effet tout processus de socialisation, aussi contrôlé soit-il, est toujours sujet à
des appropriations variées, difficilement prévisibles
a priori. En somme, il s’agit d’aller toujours plus avant
dans la compréhension du degré de plasticité des
dispositions sociales construites durant l’enfance.
Samuel Julhe
[email protected]
Sports, organisations, identités,
université Paul-Sabatier-Toulouse 3
Stéphanie Mirouse
Sports, organisations, identités,
université Paul-Sabatier-Toulouse 3
notes
(1) Cette appellation générique recouvre dans les faits un ensemble
de styles techniques, de modalités de pratique et de publics fortement différenciés qui font de la danse un espace social à part
entière (Métoudi, 1987). Évoquer « la danse », et non pas un type
particulier de pratique parmi d’autres, est donc toujours un abus
de langage, dont nous ferons cependant usage afin d’éviter
d’alourdir le propos.
(2) La présente recherche s’intègre dans le cadre d’un contrat établi
avec le ministère de la Culture et de la Communication, portant
sur le « rôle des loisirs culturels et sportifs dans la socialisation
enfantine ». Que tous les partenaires de ce projet soient chaleureusement remerciés, plus particulièrement Christine Mennesson
et Gérard Neyrand qui en ont été les initiateurs et les directeurs.
(3) Parmi un très vaste ensemble d’approches, nous faisons avant
tout référence aux travaux développés au sein du groupe de
recherche sur la socialisation de l’université Lumière-Lyon 2, avec
des auteurs tels que Martine Court, Muriel Darmon, Christine
Detrez, Sylvia Faure et Bernard Lahire.
(4) Dans ce domaine de recherche désormais clairement identifié, on
peut par exemple citer parmi les auteurs francophones : Julie
Delalande, Cléopâtre Montandon, Patrick Rayou ou encore
Régine Sirota.
(5) Schütz emprunte cette distinction à William James (1842-1910).
Certains traducteurs de l’œuvre jamesienne utilisent plutôt
les termes de « connaissance sur » (« knowledge about ») et
Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 39
« connaissance par contact » ou « par familiarité » (« knowledge
by acquaintance »). Nous avons ici employé la terminologie
usuelle aux traductions des travaux d’Alfred Schütz, en men­
tionnant néanmoins les locutions anglaises.
  (9) Une lecture démonstration se définit comme la présentation
­d’extraits d’un spectacle par les danseurs d’une compagnie,
­précédée ou suivie par une discussion du public avec le (ou la)
chorégraphe et les interprètes.
(6) Tous les noms de structure, les noms de famille et les prénoms
utilisés dans le texte sont des pseudonymes.
(10) Fleur, âgée de 39 ans lors de l’enquête, a débuté la danse à l’âge
de 7 ans. Elle intègre un conservatoire régional de danse et obtient
un baccalauréat « option danse ». Elle est ensuite acceptée à
l’école du Ballet de Maurice Béjart à Lausanne et débute une carrière de danseuse professionnelle auprès de ­différents chorégraphes. Depuis plus de douze ans, elle s’est progressivement
reconvertie à l’enseignement. Pour cela, elle a créé sa propre
structure d’enseignement mais donne également des cours au
conservatoire régional, ainsi que dans une autre école de renom.
(7) Peuvent être cités, parmi bien d’autres, des films reprenant les
thèmes de ballets classiques, comme : Barbie Le Lac des cygnes,
Barbie Le bal des 12 princesses, Barbie Casse-noisette, Mes
­premiers pas de danseuse-étoile, Dora danse, etc. Il existe également des livres documentaires variés comme La danse classique,
Une année de danse, Je danse avec Angelina Ballerina, Copain
de la danse, Dansez les filles, etc.
(8) La phénoménologie husserlienne distingue horizons externe et
interne. Pour le dire vite, le premier correspond à l’arrière-plan
sur lequel un objet se détache, tandis que le second renvoie à
l’objet lui-même et à la totalité des perceptions qu’il est possible
d’en avoir. Ces deux types d’horizon forment donc un ensemble
de « potentialités esquissées » (Husserl, 1994, p. 90).
(11) Astrid, âgée de 29 ans lors de l’enquête, a débuté la danse
à l’âge de 7 ans à l’Académie de Ballet du Brabant (Belgique).
Suite à ses études, elle intègre le Ballet royal des Flandres où
elle danse jusqu’à l’âge de 26 ans. Elle entame ensuite une
­carrière d’interprète professionnelle en danse contemporaine.
Parallèlement, elle donne des cours de danse classique dans la
structure qui accueille les répétitions de sa compagnie.
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Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Annexe. – Caractéristiques de la population observée au moment de l’enquête
Prénom
Année de
(anonymat) naissance
Alice
2000
Audrey
1998
Émilie
2004
Inès
1998
Lise
1998
Louise
2000
Maeva
2001
Nathalie
1996
Sarah
1998
Sophie
1998
Tania
1999
Tiphaine
1997
Prénom
Année de
(anonymat) naissance
Amy
2002
Anne
2002
Coralie
2004
Laura
2002
Maëlle
2002
Marguerite
2003
Olivia
2002
Victoria
2004
Cours de Fleur de danse contemporaine
Ancienneté
Profession
Loisirs connus
en danse
du père
Danse contemporaine
Équitation
4 e année Cadre ingénieur
Piano
Danse contemporaine
Gymnastique
2 e année Chef d’entreprise PME
Natation
Enseignant
Danse contemporaine 1 re année
à l’université
Danse contemporaine
Artiste
intermittent
Équitation
6 e année
du spectacle
Piano
Danse contemporaine
Badminton
4 e année Cadre informatique
Poterie
Danse contemporaine
Enseignant dans
Danse classique
4 e année
le secondaire
Violon
Technicien ; intermittent
Danse contemporaine 1 re année
du spectacle
Cadre administratif
Danse contemporaine re
1 année dans l’administration
Danse hip-hop
publique
Danse contemporaine
Danse flamenco
Conseiller
6 e année
Gymnastique
en entreprise et GRH
Piano
Danse contemporaine
Équitation
5 e année Cadre ingénieur
Piano
Danse contemporaine 4 e année Non connue
Danse contemporaine
Violon
2 e année Non connue
Flûte
Cours d’Astrid de danse classique
Ancienneté
Profession
Loisirs connus
en danse
du père
Cadre administratif
Danse classique
1 re année dans un centre
Arts plastiques
­h ospitalier
Danse classique
re
1 année Non connue
Piano
Chargée d’étude
­m arketing
OUI
Assistante de direction
NON
Cadre commercial
en PME
NON
Psychologue
OUI
Responsable
­c ommercial
OUI
Professeure des écoles
NON
Danseuse ; intermittente
du spectacle
Cadre administratif
dans l’administration
publique
Chargée
de communication ;
intermittente
du spectacle
NON
NON
OUI
Chargée d’étude
­m arketing
OUI
Infirmière
OUI
Cadre ingénieur
NON
Profession
de la mère
Enseignante
dans le secondaire
Entretien
parents
OUI
année Non connue
Cadre dans
année
une grande entreprise
Directeur logistique
2 e année dans une grande
­e ntreprise
1 re année Médecin
Médecin
NON
1 re année Écrivain
Avocate
OUI
1 re année Cadre
Danse classique
Danse classique
Violon
1 re
Danse classique
Arts plastiques
Violon
Danse classique
Baby gym
Entretien
parents
Enseignante dans
le secondaire
Directrice de clientèle
en agence de publicité
Directrice SSII
Chef d’entreprise
en PME
Cadre responsable
d’achat dans une
grande entreprise
Danse classique
Danse classique
Profession
de la mère
1 re
NON
NON
NON
OUI
OUI
Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 41
Pratiques enseignantes
envers les élèves en difficulté
dans des classes
à efficacité contrastée
Céline Piquée
Dans l’analyse des inégalités scolaires, de nombreux travaux dénoncent les effets pervers de l’aide aux élèves
en difficulté  : processus de stigmatisation, contenus appauvris, occasions d’apprentissage moins nombreuses, etc.
Pour autant, dans certaines classes, les élèves en difficulté y progressent nettement plus que dans d’autres.
Pour comprendre ce qui différencie ces classes, nous nous sommes penchée sur les pratiques enseignantes à
l’égard de ces élèves. Cet article rend compte d’analyses fondées sur l’articulation d’une approche quantitative,
permettant une mesure de l’efficacité d’un échantillon de cent classes de cours préparatoire (1re année
de l’enseignement obligatoire), et d’une approche qualitative permettant la caractérisation des pratiques
enseignantes, sur un sous-échantillon de huit classes à efficacité contrastée. Les résultats confirment les
travaux antérieurs et mettent en évidence l’essentielle intégration des élèves en difficulté au groupe classe,
grâce à une conception de l’enseignement qui associe étroitement socialisation et apprentissage.
Descripteurs (TESE) : enseignant, pratique pédagogique, difficulté d’apprentissage, enseignement primaire.
Introduction
Dans l’analyse sociologique des inégalités sco­
laires, l’influence du contexte est un objet d’étude
majeur. L’étude de l’influence du contexte familial est
un classique sociologique pour expliquer les inégalités de réussite entre élèves. Non moins classique,
même si plus récente, l’étude de l’influence du
contexte scolaire fait également l’objet de nombreux
travaux (Bressoux, 1993, 1994 ; Duru-Bellat & Mingat,
1985, 1988 ; Grisay, 1993a) : les différences de conditions de travail dans lesquelles sont placés les élèves
sont sources de différence de réussite. En termes de
politique éducative, la mise en évidence d’effets du
contexte scolaire sur les performances des élèves
rend légitime l’organisation de dispositifs d’aide aux
élèves les plus fragiles. Depuis le début des années
1980, de nombreux dispositifs ayant pour principe de
modifier les conditions de travail des élèves, à travers
leur environnement scolaire et périscolaire, ont vu le
jour. Le premier dispositif, et sans doute le plus
emblématique de notre problématique, est l’éducation prioritaire, dont le leitmotiv est de donner plus
(de ressources scolaires) à ceux qui ont le moins (de
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 43-60
ressources familiales). Mais on peut également évoquer les dispositifs d’accompagnement à la scolarité,
les aides extérieures à la classe, la scolarisation à
deux ans, les expérimentations relatives à la ­réduction
de la taille des classes, etc.
Pour autant, les résultats sont mitigés, voire décevants. Certains dispositifs ont pu démontrer une relative efficacité, en particulier auprès des élèves les
plus faibles, comme les dispositifs d’accompagnement à la scolarité (Mc Beath et al., 2001 ; Piquée,
2003 ; Piquée & Suchaut, 2002), la réduction de la
taille des classes (Meuret, 2001 ; Piketty & Valdenaire,
2006) ou la scolarisation précoce lorsqu’elle est réservée aux publics de l’éducation prioritaire (Caille,
2001). Néanmoins, dans bien des cas, au mieux les
effets sont nuls, au pire, ces dispositifs s’avèrent
contre-productifs (Mingat & Richard, 1991 ; Reynolds
& Wolfe, 1999). Le bilan des ZEP est des plus mitigés
(Mingat, 1983 ; Meuret, 1994 ; Moisan & Simon,
1997 ; Rochex, 1997). Une part d’explication réside
sans doute dans le fait que les apprentissages se réalisent et les difficultés d’apprentissage se résolvent
avant tout dans le cadre de la classe, avec l’enseignant. On sait en effet (Bressoux, 1995) que les effets
de contexte décelés au niveau de l’école primaire
tiennent surtout à un effet-maître. Selon les travaux,
les conditions d’organisation scolaire expliqueraient
entre 2 % et 5 % des différences de progression entre
les élèves au cours d’une année, alors que l’efficacité
du maître expliquerait entre 15 % et 20 % de ces
écarts. En matière de réduction des inégalités de
réussite, c’est donc la boîte noire de l’effet-maître
qu’il convient d’ouvrir et ses pratiques qu’il convient
d’analyser.
Certaines caractéristiques d’enseignants et ­certaines
pratiques de classe ont été identifiées par la recherche comme propices à la réussite scolaire. Pour les
détails, nous renvoyons le lecteur à l’importante note
de synthèse publiée à ce sujet par Bressoux (1994).
Globalement, les pratiques pour lesquelles la recherche démontre des effets positifs sont plutôt des pratiques que l’on pourrait qualifier de générales ou globales (le temps d’apprentissage, le niveau d’exigence,
l’importance des activités écrites, le niveau de directivité, etc.). Cela dit, on manque encore de travaux
qui permettraient de savoir si ces pratiques ont
davantage d’effets sur les élèves en difficulté que sur
les autres. En revanche, de la même manière que
pour les dispositifs qui se détachent du quotidien de
la classe, les effets des pratiques de classe spécifiquement mises en place à l’égard des élèves en difficulté sont décevants. Les regroupements d’élèves
44 faibles entre eux (groupes de niveau ou classes
de niveau) n’ont pas démontré leur efficacité auprès
des élèves faibles, mais plutôt auprès des élèves forts
(Duru-Bellat & Mingat, 1997 ; Ireson, Hallam & Hurley,
2005 ; Piquée, 2007a ; Slavin, 1987). Gamoran (1993)
montre que l’enseignement reçu dans une classe
homogène faible est nettement différent de celui reçu
dans une classe homogène forte : centration sur les
savoirs de base et couverture du programme moins
accomplie, en partie dues à des exigences moins élevées, moindre recours à de la documentation pédagogique, faible esprit de compétition. Les pratiques
d’individualisation (Bautier, 2005 ; Butlen, Peltier-­
Barbier & Pézard, 2002 ; Peltier-Barbier, 2004 ; Piquée
& Suchaut, 2004) semblent elles aussi s’accompagner d’un abaissement net des exigences des enseignants à l’égard des élèves en difficulté. Qu’il s’agisse
de travaux à orientation qualitative ou quantitative, la
recherche tend donc à s’accorder pour démontrer
que les effets pervers des pratiques spécifiquement
mises en place pour aider les élèves en difficulté tiendraient à deux mécanismes étroitement liés : des exigences amoindries et des occasions d’apprentissage
moins nombreuses. En bref, des pratiques diffé­
renciatrices favorisant une « dérive du curriculum »
­(Grisay, 1993b) et une moindre qualité de l’environnement scolaire pourraient être les facteurs véritablement déterminants de l’inefficacité d’un certain nombre de pratiques destinées aux élèves en difficulté.
À l’instar de Crahay (auteur de l’ouvrage Peut-on
lutter contre l’échec scolaire ? paru en 1996) et
devant le désarroi des enseignants qui réceptionnent
ces résultats, une question certes provocante mais
qui mérite d’être posée pourrait être : « Faut-il ne pas
aider les élèves en difficulté ? » L’examen des progressions des élèves en difficulté selon la classe
qu’ils fréquentent révèle des situations très diversifiées. Certains élèves ont des progressions nettement
meilleures que la moyenne, d’autres nettement plus
faibles. Que se passe-t-il donc dans ces classes ?
Peut-on penser que, dans les premières, les élèves
sont peu aidés, ce qui limite les effets pervers des
pratiques différenciées ? Peut-on penser que dans
les secondes les enseignants prêtent très, trop attention aux élèves en difficulté, augmentant les risques
de perversion de l’aide ? Nous proposons dans cet
article (1) de progresser dans la connaissance des
pratiques enseignantes propices aux progrès des élèves en difficulté, à partir d’un dispositif méthodologique articulant une approche quantitative de mesure
des progrès des élèves et une approche qualitative
de caractérisation des pratiques enseignantes, suivant en cela une méthodologie fréquente dans le
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
­ ourant de recherche « school effectiveness » ou
c
« teacher effectiveness » (Teddlie, Kirby & Stringfield,
1989). Notre question de recherche initialement provocante peut être reformulée de la façon suivante : si
certaines classes se distinguent entre elles dans leur
capacité à faire plus ou moins progresser les élèves
en difficulté, les pratiques observées en classe à
l’égard de ces élèves sont-elles à même d’expliquer
ces écarts ? Un premier temps de l’article présentera
le dispositif méthodologique et les données d’enquête recueillies. Un second temps exposera les pratiques observées dans des classes dont l’efficacité
auprès des élèves en difficulté est contrastée. Les
données recueillies et les analyses associées sont
nombreuses et nous tenterons en conclusion d’en
faire émerger le principe général.
Méthodologie et données d’enquête
La recherche nécessite à la fois de décrire les pratiques enseignantes et d’en apprécier les effets auprès
des élèves en difficulté. L’articulation de ces deux
nécessités constitue la principale difficulté de notre
travail. En effet quantifier les effets du contexte scolaire, ici les pratiques enseignantes, sur les progrès
des élèves suppose de respecter au moins deux principes fondamentaux (Duru-Bellat & Mingat, 1993,
1998 ; Bressoux, Coustère & Leroy-Audouin, 1997 ;
Bressoux, 2007) : raisonner en termes de valeur
­ajoutée (2) et recourir à des modélisations statistiques (3). Le respect du second principe oblige à travailler sur de vastes échantillons et rend difficile une
caractérisation fine des pratiques enseignantes, au
moyen d’observations de classes par exemple. Le
dispositif empirique retenu qui permet de contourner
cet écueil est exposé dans la section suivante.
favorisé (à ce niveau, c’est la profession de la mère
qui se révèle plus déterminante que la profession du
père) et de ne pas être en retard scolaire. Concernant
les caractéristiques des classes, nous n’avons pas
estimé d’effet significatif de la tonalité sociale (pourcentage d’élèves dont la mère est de milieu social
favorisé) ou de son degré d’hétérogénéité sociale ou
scolaire initial. En revanche, moins les élèves sont
nombreux dans la classe, plus ils progressent. De
même, plus le niveau moyen initial de la classe est
élevé, plus les élèves progressent. Les caractéristiques structurelles des classes exercent toutefois un
effet très modéré, environ 4 % des effets-classes.
Reste donc un solde inexpliqué important dont on
peut supposer qu’il s’explique en partie par un effetmaître.
Dans chacune des 100 classes, nous avons mesuré
les progressions des élèves en contrôlant à la fois l’influence des caractéristiques socio-démographiques
et scolaires de ces élèves et les caractéristiques
structurelles des classes identifiées comme influentes
(taille de la classe et niveau initial moyen). Nous disposons ainsi d’une mesure de l’efficacité pédagogique des classes de l’échantillon. Une mesure identique a été effectuée sur un sous-échantillon d’élèves
plus faibles (ceux dont le score de début de CP est
inférieur au score médian de l’échantillon). Nous avons
ensuite sélectionné trente classes issues de l’échantillon initial : quinze dont l’efficacité pédago­gique était
la plus basse et quinze dont l’efficacité pédagogique
était la plus haute. Puis nous avons examiné de plus
près la structure des progressions de chacune de ces
trente classes, pour n’en retenir que dix qui présentaient des structures contrastées en termes de progrès des élèves en difficulté. Les ­graphiques 1 et 2 (6)
illustrent deux situations o
­ pposées.
Graphique 1. – Classe du profil
«  basse efficacité  »
Le dispositif retenu
L’échantillon initial se compose de 1 300 élèves
répartis dans 100 classes de cours préparatoire, évalués en lecture et en mathématiques (4) en début et
en fin d’année scolaire. Des analyses statistiques
antérieures (Piquée, 2007b) ont permis d’estimer que
les caractéristiques socio-démographiques et scolaires des élèves exercent un impact sur leurs performances de fin d’année scolaire (5) : d’une façon classique, on observe une corrélation positive avec le
niveau scolaire en début d’année et des effets positifs
du fait d’être une fille, d’être issu d’un milieu social
Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 45
Graphique 2. – Classe du profil
«  haute efficacité  »
Dans la classe représentée sur le graphique 1, le
niveau des élèves est très hétérogène en début
­d’année (environ 40 points d’écart entre l’élève le plus
faible et le meilleur) et le rang des élèves n’est pas
modifié entre le début et la fin de l’année : les élèves
dont le score initial est faible en début d’année restent les plus faibles en fin d’année et les élèves initialement les meilleurs conservent leur statut. Mais surtout, si trois élèves se situaient en début d’année
au-dessus de la moyenne de l’échantillon, en fin
­d’année, tous ont un score inférieur. Le graphique 2
présente une classe initialement relativement hétérogène, les scores s’échelonnant sur l’axe des abscisses de 85 points environ à près de 110, et assez faible car la quasi-totalité des élèves se situe en dessous
de la moyenne de l’échantillon. En fin d’année, l’écart
entre les élèves les plus faibles et les meilleurs est du
même ordre, mais tous les élèves (sauf trois) se
situent au moins au niveau de la moyenne de l’échantillon. On observe dans cette classe une progression
particulièrement nette des élèves les plus faibles.
Les données recueillies et les instruments
de l’enquête
Dans les dix classes sélectionnées, l’objectif était
de caractériser les pratiques des enseignants à l’égard
des élèves en difficulté, à partir d’observations réalisées au cours des années 2005 et 2006. Avant de
présenter concrètement les instruments d’enquête et
les données recueillies, la formulation « pratiques à
l’égard des élèves en difficulté » mérite d’être définie.
En effet, si l’on observe qu’un enseignant n’organise
rien de spécifique pour les élèves en difficulté, cela
constitue aussi une pratique à l’égard de ces élèves.
Par ailleurs, un élève en difficulté n’est pas seulement
un élève en difficulté, il est aussi un élève tout simple46 ment, membre d’un groupe classe auquel s’adresse
l’enseignant. Parce qu’il est élève au sens large, tout
ce qui se passe en classe peut donc le concerner.
Face à la complexité des phénomènes scolaires, toute
recherche est conduite à réduire cette complexité, à
examiner un objet sous un certain angle, forcément
réducteur. En ce sens, nous choisissons ici, pour
décrire ces pratiques, de nous placer du point de vue
de l’élève en difficulté. C’est lui le sujet observé et
non l’enseignant, l’objectif étant de savoir ce que vit
cet élève. Avant l’observation, les enseignants ont
indiqué le niveau de chaque élève de la classe afin de
pouvoir identifier les trois élèves les plus en difficulté
qui allaient faire l’objet de l’observation (7).
Au total, seulement huit classes parmi les dix prévues ont été observées. Des relances ont été effectuées auprès des deux derniers enseignants, tous
deux situés dans le groupe des classes les moins
­efficaces, mais ont abouti à un refus définitif. Neuf élèves observés le sont dans les classes les moins efficaces, 14 dans les classes les plus effi­caces (dans une
classe, l’enseignante n’a pu iden­tifier que deux élèves
en difficulté). Dans chaque classe, deux observateurs,
membres de l’équipe de recherche, devaient assister à
une séance de trois heures. L’équipe était composée
de 6 membres, de statut divers (cf. note 1), qui ont
participé à toutes les phases de la recherche, de l’élaboration de la problématique jusqu’aux conclusions,
en passant notamment par la construction des instruments d’enquête. Chaque membre a été amené à se
familiariser avec les instruments, lors de la phase de
prétest réalisée dans trois classes de CP non concernées par la recherche. Cette phase de prétest a permis
l’amélioration des instruments et l’homogénéité de leur
utilisation par chacun des observateurs.
Pendant l’observation, un des deux observateurs
était muni d’une grille d’observation portant sur les
interactions maître-élèves. Nous avons choisi d’obser­
ver cette dimension pour deux raisons principales.
D’une part, les interactions maître-élèves sont une
dimension des pratiques enseignantes identifiées
comme relativement stables d’une année à l’autre
(nous reviendrons ultérieurement sur la question de la
stabilité des pratiques). D’autre part, la littérature
montre nettement leurs effets sur les élèves, notamment en ce qui concerne la nature des feedback
(Bressoux, 1994). Cette grille devait donc permettre à
la fois de recueillir quantitativement les interactions
entre l’enseignant et les trois élèves en difficulté
observés et de caractériser la nature de ces échanges. Dans la mesure où nous n’avons pas eu l’autorisation de filmer la période observée et qu’il était diffi-
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
cile de construire des catégories a priori, nous avons
choisi de retranscrire les propos échangés, sauf lors
des phases d’aide individuelle pendant lesquelles les
propos n’étaient pas audibles. L’ensemble des indicateurs construits a posteriori à partir de cette grille
et leur opérationnalisation sont donnés en annexe. Le
second observateur était muni d’une grille portant sur
l’intégration des élèves en difficulté dans le groupe
classe. En effet les résultats présentés en amont semblent nous indiquer que ce qui s’adresse au groupe
classe aurait des effets plus positifs que ce qui
s’adresse spécifiquement aux élèves en difficulté.
Nous avons donc cherché à appréhender le degré de
« collectif » et le degré de « différenciation » au cours
d’une séance type de classe, en notant pour chaque
élève en difficulté le temps passé sur une tâche identique à celle du reste du groupe classe et le temps
passé sur une tâche différente. Nous avons également comptabilisé le temps passé par les trois élèves
observés à travailler au sein d’un petit groupe d’élèves en difficulté, ainsi que le temps passé à travailler
sur des contenus ou avec des conditions différentes
de ceux du reste du groupe classe (matériel supplémentaire par exemple). Enfin, un entretien semi-­
directif avec chaque enseignant a été conduit immédiatement après l’observation dans la classe de
l’enseignant. Cet entretien avait pour objectif parti­
culier d’identifier les modes de prise en charge et les
représentations que l’enseignant a de ses élèves en
difficulté (la fréquence et la régularité de ce qui a été
observé, les critères qui amènent à choisir une forme
de travail plutôt qu’une autre, ce qui n’a pas été
observé, la nature des difficultés des élèves, etc.).
Précautions d’interprétation
Deux limites principales sont à souligner afin d’éviter les surinterprétations des résultats présentés dans
la suite de cet article. Les analyses statistiques
conduites sur l’échantillon initial de 100 classes ont
permis de mesurer l’efficacité pédagogique des classes et non pas celle des enseignants. Certes nous
avons cherché à contrôler les effets des caractéris­
tiques structurelles des classes (taille et niveau moyen
initial), mais rien ne nous assure complètement que
nous avons contrôlé l’ensemble des facteurs contextuels du niveau classe qui ne sont pas liés à l’enseignant. Nous ne pouvons donc pas affirmer que les
différences d’efficacité restantes entre les classes
s’expliquent uniquement par l’enseignant. D’ailleurs,
les deux graphiques présentés précédemment montrent bien que les deux classes ne sont pas strictement comparables : dans la classe de profil « basse
efficacité », quatre élèves ont un score initial inférieur
à 80 et sont donc considérés comme très faibles,
dans la classe « haute efficacité », aucun élève n’est
aussi faible. Dans le même sens, lors de la phase
d’observation, nous devons rappeler que ce sont les
enseignants qui ont identifié leurs élèves en difficulté
dans leur classe. Cette caractérisation du niveau des
élèves n’est donc pas objective. Si l’on sait que les
enseignants ont une capacité de discrimination généralement bien corrélée à celle obtenue à partir de
tests standardisés (Crahay, 1996), il est néanmoins
tout à fait probable que certains élèves dans certaines classes soient davantage en difficulté que
d’autres élèves dans d’autres classes, ce qui pourrait
expliquer les différences de pratique entre les classes. D’autre part, les mesures d’efficacité des classes
ont été opérées au cours de l’année scolaire 20042005, alors que les observations se sont effectuées
pendant les années 2005 et 2006. Bien entendu, ce
sont les mêmes enseignants qui ont fait l’objet de la
première et de la seconde étude, et ce sur le même
niveau de classe, le cours préparatoire. Mais nous
devons insister sur le fait que ce procédé repose sur
deux hypothèses : celle de la stabilité des pratiques
enseignantes d’une année à l’autre et celle de la stabilité des effets de ces pratiques sur les progrès des
élèves. Notre dispositif de recherche ne permet pas
de valider ces hypothèses sur nos données. Toutefois, elles peuvent être argumentées par des travaux
antérieurs. Arrêtons-nous sur ces deux hypothèses
un instant.
Les résultats des travaux antérieurs, pour leur
grande majorité anglo-saxons, méritent un examen
attentif. En effet, les premiers travaux sur les effetsmaîtres attestaient d’une certaine stabilité de l’efficacité des enseignants (Acland, 1976 ; Mandeville,
1988 ; Raudenbush, 1989, cités par Bressoux, 2001).
Les travaux plus récents sont moins affirmatifs. Par
exemple, pour Sammons et ses collègues (2007), l’effi­
cacité des enseignants est jugée relativement stable
dans le temps, en ce sens que le passage du statut
« enseignant efficace » au statut « enseignant inefficace » est très exceptionnel. À l’inverse, Sass (2008)
ou Koedel et Betts (2007) soulignent une relative instabilité. Ayant classé les enseignants en cinq catégories, des 20 % les moins efficaces aux 20 % les plus
efficaces, ils reconnaissent que le passage d’un
extrême à l’autre est effectivement faible (mais pas
exceptionnel). Toutefois, seulement un tiers environ
des enseignants qui auraient été classés dans la catégorie des 20 % les moins efficaces le sont encore
l’année suivante. Les deux tiers restant sont passés
dans les catégories supérieures et ont donc gagné en
Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 47
efficacité. Parmi les enseignants classés dans la catégorie des 20 % les plus efficaces une année, les
deux tiers sont classés dans une catégorie inférieure
l’année suivante et ont donc perdu en efficacité.
Cependant ces auteurs nuancent fortement leurs propos en insistant sur le fait que cette instabilité est
davantage due à des modifications des caractéristiques scolaires du groupe d’élèves auquel s’adresse
l’enseignant d’une année sur l’autre qu’à l’enseignant
lui-même : il suffit qu’un ou deux élèves soient particulièrement en difficulté une année pour que la mesure
de la valeur ajoutée associée à l’enseignant soit différente de celle de l’année précédente. Lorsque les
recherches ont cherché à contrôler ces variations
(Mc Caffrey, Sass & Lockwood, 2009), les corrélations
entre les mesures d’efficacité d’une année à l’autre
augmentent nettement, passant de 0,2 ou 0,3 à 0,5
voire 0,8 (Sass, 2008). En ce qui concerne la stabilité
des pratiques enseignantes dans le temps, là aussi
les résultats font controverse. Encore que le terme de
controverse paraît trop fort. Disons plutôt que les
chercheurs, en particulier en France au sein du réseau
OPEN (Observation des pratiques enseignantes), s’accor­
dent sur l’aspect paradoxal des pratiques enseignantes, à la fois stables et variables (Altet, 2003). Elles ne
sont pas suffisamment stables pour que l’on puisse
les décrire en termes de méthode, pour que l’on
puisse s’installer dans un « fixisme » typologique (Bru,
1997). Des travaux (Bru, 1992 ; Altet et al., 1996) montrent clairement qu’il existe des variations dans les
profils d’action des enseignants d’une année sur
l’autre, mais aussi au cours d’une même année scolaire. Mais ces mêmes travaux montrent également
une certaine stabilité de ces pratiques en ce qui
concerne l’organisation temporelle, les conditions de
passation des consignes et les interactions maîtreélèves. De nombreux travaux récents cherchent
désormais à caractériser les pratiques enseignantes
non plus à partir de pratiques isolées, mais plutôt à
partir de configurations relati­vement stables (Butlen,
Masselot & Pézard, 2003 ; Clanet, 2005, 2007 ; Pariès,
Robert & Rogalski, 2008 ; Robert & Rogalski, 2002).
ont plus de 10 ans d’ancienneté en CP, contre un
enseignant sur trois dans le groupe des classes les
moins efficaces. Tous les autres ont entre deux
et cinq ans d’ancienneté en CP. Les enseignants sont
tous des femmes. Le nombre d’élèves par classe est
légèrement moins élevé dans les classes les plus efficaces, qui comptent en moyenne 19,4 élèves, contre
21,6 dans les classes les moins efficaces. Dans le
groupe des classes les moins efficaces, deux sur trois
sont des cours doubles, seulement une sur cinq dans
le groupe des classes les plus efficaces.
La relation enseignant-élève :
les contacts verbaux
La relation maître-élève est appréhendée par
l’impor­tance et la nature de leurs contacts verbaux.
Nous préférons ici les termes de contacts verbaux ou
d’actions verbales à celui d’interactions, fréquemment
utilisé, mais qui renvoie implicitement à l’idée d’échange.
Or l’enseignant peut délivrer un message sans que
l’élève soit amené à répondre, ou i­nversement.
Initiateur et intensité des contacts verbaux
L’intensité de la relation maître-élève a été appréhendée à travers deux indicateurs : le nombre moyen
d’actions verbales relevées en une heure (témoignant
de l’intensité de la relation) et la durée écoulée entre
le début de la classe et la première interaction avec
l’élève (témoignant de la rapidité de la prise de
contact). Un premier constat concerne la forte dispersion observée pour ces deux indicateurs. On compte
entre 2 et 12 contacts par heure selon les élèves et
ceux-ci peuvent attendre entre moins d’une minute et
plus de quarante avant leur premier contact verbal
avec l’enseignant. Mais l’analyse des distributions en
fonction de l’efficacité des classes ne laisse pas
apparaître de différences significatives. Les données
recueillies ne révèlent pas non plus de différence
quant à l’initiateur de l’action verbale qui, dans les
deux groupes de classe, est l’enseignant pour un peu
plus de 80 % des actions verbales (voir le tableau 1).
Contenu des actions verbales
Résultats d’observation
dans des classes à efficacité contrastée
Données de contexte des classes observées
L’ancienneté des enseignants ne diffère pas sensiblement entre les deux groupes. Dans le groupe des
classes les plus efficaces, deux enseignants sur cinq
48 Le contenu des actions verbales relevées a pu être
classé en trois grandes catégories (voir le tableau 2).
La première, comportant les actions verbales rela­
tives au comportement des élèves (actions verbales
ayant pour but de placer l’élève dans sa posture
d’écolier), ne diffère pas significativement selon le
type de classe (en moyenne (8), entre 10 % et 15 %
des actions verbales). La deuxième, comportant les
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Tableau 1. – Intensité des contacts verbaux (N = 23)
Moyenne
Écart type
Nombre de contacts par heure pour les classes les moins efficaces
  5,7
  3,0
Nombre de contacts par heure pour les classes les plus efficaces
  5,8
  1,6
Temps écoulé entre l’entrée en classe et le premier contact pour les classes
les moins efficaces (en min.)
17,9
  8,5
Temps écoulé entre l’entrée en classe et le premier contact pour les classes
les plus efficaces (en min.)
12,7
11,1
Tableau 2. – Nature des contacts verbaux (N = 23)
Pourcentage moyen d’actions verbales portant sur
Le comportement
de l’élève
La personne
de l’élève
La tâche
Total
Classes les moins efficaces
14,6  %
21,4  %
64,0  %
100,0  %
Classes les plus efficaces
10,0  %
15,8  %
74,2  %
100,0  %
Test du F de Fisher-Snedecor
  0,90
  1,37
  3,96
Tableau 3. – Nature du guidage (N = 23)
Pourcentage moyen
de guidage de nature explicative
Pourcentage moyen
de guidage de nature réflexive
Total
Classes les moins efficaces
71,9  %
28,1  %
100,0  %
Classes les plus efficaces
93,5  %
  6,5  %
100,0  %
actions verbales centrées sur la personne de l’élève,
ne se trouve pas non plus en quantité plus importante
dans un des deux groupes de classe. En revanche la
troisième, comportant les actions verbales centrées
sur la tâche, est nettement plus importante dans les
classes les plus efficaces (en moyenne, près des
trois quarts des actions verbales) que dans les autres
(moins des deux tiers), avec une différence significative cette fois au seuil de 0,06 (test du F de FisherSnedecor).
Parmi ces actions verbales centrées sur la tâche,
soit l’enseignant procède à une vérification du travail
en cours (compréhension des consignes, de l’état
d’avancement de la tâche), soit il procède à un guidage de l’élève dans la réalisation de cette tâche :
dans les deux groupes de classe, environ 40,0 % des
actions verbales centrées sur la tâche consistent à
guider l’élève. En moyenne, parmi les actions qui
relèvent du guidage, 86,0 % sont à dominante expli
cative (apports complémentaires de la part de l’enseignant sur la tâche et sur les conditions de réali­
sation). À l’inverse, 14,0 % des actions verbales de
guidage sur la tâche sont à dominante réflexive (l’objectif est de faire réfléchir et verbaliser l’élève sur la
(ou les) opération(s) qu’il utilise ou doit utiliser). Dans
les deux groupes de classe, le guidage à dominante
explicative est nettement plus fréquent que celui à
dominante réflexive (voir le tableau 3). De plus, dans
les classes les plus efficaces, le guidage de type
réflexif est très peu présent (6,5 % des actions verbales) alors qu’il représente plus du quart des actions
verbales dans les classes les moins efficaces. Ces
différences sont significatives au seuil de 0,05 (test
du F de Fisher-Snedecor).
L’ensemble des résultats converge pour nous
i­ndiquer qu’il ne semble pas exister de différence
­particulière en matière d’intensité de la relation dans
les deux groupes de classe étudiés. Les analyses
Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 49
­ ontrent clairement en revanche que la nature des
m
contacts est différente : les contacts verbaux sont
davantage centrés sur la tâche dans les classes les
plus efficaces et leurs objectifs visent davantage
­l’explication et la réalisation de la tâche que la
­compréhension des processus et la réflexivité.
L’organisation du travail des élèves en difficulté
Indicateurs quantitatifs de différenciation
du travail
Le temps de travail en petit groupe d’élèves en difficulté n’est pas statistiquement différent selon le type
de classe (voir le tableau 4). Le temps passé par les
élèves en difficulté sur des tâches différentes de celles données au reste du groupe classe, que ce soit du
point de vue de leur contenu ou de leurs conditions
de réalisation (temps ou matériel supplémentaire, longueur réduite…), ne varie pas : dans les deux groupes, les élèves ont passé en moyenne un quart de
leur temps sur des tâches différenciées. Mais on
observe aussi que les élèves peuvent être placés
dans des situations différentes : sur une tâche
­commune à l’ensemble des élèves ou sur une tâche
différenciée, ils peuvent travailler au sein d’un regroupement d’élèves de faible niveau ou non. Au total,
quatre situations différentes sont possibles. Or cette
diversité de configuration s’observe seulement dans
le groupe des classes les plus efficaces. Dans les
classes les moins efficaces, le temps de travail sur
une tâche différenciée se fait quasiment toujours au
sein d’un regroupement et, à l’inverse, une tâche
commune donne rarement lieu à un regroupement.
La comparaison entre les deux groupes de classe a
également porté sur la différenciation des tâches
confiées aux élèves en difficulté, selon les contenus
ou plutôt sur les conditions de réalisation des tâches.
Aucun des élèves observés, sauf un dans une des
classes les moins efficaces, n’a travaillé sur une tâche
totalement différenciée dans ses contenus. La proportion de moments (cf. définition en annexe) pendant lesquels les élèves ont pu travailler avec des
conditions de réalisation différentes de celles autori-
sées pour le reste du groupe classe est à peu près
équivalente selon le type de classes (40,2 % des
moments dans les classes les plus efficaces contre
36,6 % dans les classes les moins efficaces). Ces
indicateurs quantitatifs ne nous révèlent donc pas de
différence particulière, en termes de différenciation
au sein de la classe, entre les classes les plus ou les
moins efficaces. Nous percevons néanmoins que
l’aide aux élèves en difficulté se fait de façon plus
variée dans les classes les plus efficaces que dans
les autres. Pour progresser dans l’analyse, il convient
dorénavant d’entrer dans une perspective qualitative
nous permettant d’examiner concrètement ce qui est
fait, en classe, en direction des élèves en difficulté.
Pratiques observées en classe en direction
des élèves en difficulté  : analyse qualitative
Les comportements des enseignants à l’égard des
élèves en difficulté ont pu être catégorisés a posteriori en trois rubriques : les comportements destinés
à favoriser la concentration et la mise au travail des
élèves, la variation des niveaux de difficulté des
tâches proposées et l’aide apportée. Le tableau 5
récapitule tous les items qui ont été observés dans
au moins une des classes de chaque groupe étudié.
Cet inventaire nous permet d’identifier un certain
nombre de points convergents entre les deux groupes de classe. Les enseignants cherchent à être
davantage présents aux côtés des élèves en difficulté
et sont attentifs au positionnement physique des
­élèves (être bien assis, se retourner, etc.). Tous
­cherchent à aider les élèves grâce à des supports
­méthodologiques (affichage dans la classe, dés pour
compter, frise des jours, etc.) ou en les guidant par
des questions. Tous également ont posé, à l’oral, des
questions différenciées en fonction du niveau des
élèves (9).
Mais des divergences se révèlent également. Dans
les classes les plus efficaces, les consignes de travail
sont passées seulement une fois collectivement, puis
les enseignants les répètent ou les reformulent individuellement aux élèves en difficulté. Dans l’autre
groupe, il est arrivé que les consignes soient répétées
Tableau 4. – Intensité du temps de travail en groupe (N = 23)
Temps moyen de travail
dans le collectif classe
Temps moyen de travail dans
un groupe d’élèves en difficulté
Total
Classes les moins efficaces
84,9  %
15,1  %
100,0  %
Classes les plus efficaces
78,6  %
21,4  %
100,0  %
50 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Tableau 5. – Récapitulatif des conditions de travail des élèves en difficulté relevées
lors des observations
Classes les plus efficaces
Classes les moins efficaces
Concentration et mise au travail
La présence des enseignants aux côtés de certains
­é lèves est importante (5)
La présence des enseignants aux côtés de certains
­é lèves est importante (3)
Les consignes sont toujours reformulées
­individuellement (4)
Les consignes peuvent être formulées ou répétées
­c ollectivement (2)
Les consignes sont relues par les élèves (1)
Les enseignants sont attentifs au positionnement
­p hysique des élèves (4)
Les enseignants sont attentifs au positionnement
­p hysique des élèves (3)
Les élèves peuvent être déplacés de façon appropriée
à la tâche (placement devant le tableau, devant
la maîtresse) (3)
Les élèves peuvent être isolés pour favoriser leur
concentration (3)
L’exigence d’implication des élèves dans la tâche
est forte dans la première partie de la matinée.
Elle peut s’atténuer en fin de demi-journée (2)
Les enseignants peuvent jouer le rôle «  d’assistant
matériel  » (gomme, ciseaux, taille-crayon…) (3)
Variation des niveaux de difficulté des tâches
Les interrogations orales portent sur des questions plus
faciles que celles posées aux autres élèves (4)
Les interrogations orales portent sur des questions plus
faciles que celles posées aux autres élèves (3)
Les tâches différenciées peuvent être prévues
à l’avance et les élèves reçoivent un polycopié
­p ersonnel ou une activité prévue dans leur cahier (2)
Les tâches différenciées peuvent être prévues
à l’avance et les élèves reçoivent un polycopié
­p ersonnel ou une activité prévue dans leur cahier (1)
La longueur de la tâche est réduite (par exemple
en enlevant une phase de l’exercice à réaliser) (4)
La longueur de la tâche est réduite (par exemple
en enlevant une phase de l’exercice à réaliser) (1)
Le vocabulaire est simplifié (3)
L’enseignant découpe la tâche en étapes successives
et suit la réalisation de chacune (3)
L’enseignant peut commencer le travail (en écriture
par exemple) et demander à l’élève de continuer (1)
L’aide aux élèves en difficulté
L’enseignant propose une aide méthodologique
­(étiquettes, dés, gestes guides, frise numérique…),
comme par exemple en phonologie, où il a recours
à la vue (affichage classe), à l’audition,
à des gestes, etc. (5)
L’enseignant propose une aide méthodologique
­(étiquettes, frise des jours, gestes guides) (3)
Guidage par questions (5)
Guidage par questions (3)
Les supports méthodologiques peuvent être multiples
pour un même élève sur une seule tache  : présence de
l’enseignant, aide gestuelle, aide méthodologique
(cubes, frise numérique, affichage dans la classe,
­q uestions intermédiaires posées par l’enseignant) (4)
Très peu d’élèves ont plusieurs aides en même
temps (3)
Note : le chiffre entre parenthèses indique le nombre d’enseignants pour lesquels les faits ont été observés.
Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 51
collectivement de nombreuses fois. Dans le groupe
des classes efficaces, un élève en difficulté peut
bénéficier de plusieurs types d’aide en même temps,
alors que dans le groupe des classes les moins efficaces, la grande majorité des élèves ne bénéficie que
d’un seul type d’aide en même temps : huit élèves sur
neuf ne bénéficient que d’une seule aide à la fois, soit
la présence de l’enseignant (qui permet le plus souvent un guidage par questions ou une reformulation
de consignes), soit une aide méthodologique. Enfin
un certain nombre de comportements a été observé
dans les classes les plus efficaces, jamais dans les
classes les moins efficaces : les élèves peuvent être
déplacés plusieurs fois de façon appropriée à la tâche
(placement devant le tableau, devant la maîtresse, les
élèves peuvent être isolés pour favoriser leur concentration), l’exigence d’implication des élèves dans la
tâche est forte dans la première partie de la matinée
et peut s’atténuer en fin de demi-journée, les enseignants peuvent jouer le rôle d’assistant matériel
(gomme, chiffon, ciseaux, dés pour compter…), découpent la tâche en étapes successives et suivent la réalisation de chacune. Au total, on observe des stratégies centrées sur les élèves en difficulté plus variées
dans les classes les plus efficaces. Tout se passe
comme si ces enseignants cherchaient à mobiliser
toutes les stratégies possibles au même moment
(guidage par questions de l’enseignant, qui joue aussi
le rôle d’assistant matériel, supports méthodologiques, temps supplémentaire, niveau de difficulté de
la tâche adapté, etc.). Dans les autres classes, les
élèves ne bénéficient souvent que d’un seul type
d’aide, deux au maximum si l’on compte l’adaptation
du niveau de difficulté des tâches.
Pratiques déclarées en direction des élèves
en difficulté  : analyse qualitative
Les informations livrées dans les paragraphes suivants doivent être prises pour ce qu’elles sont, c’està-dire des discours qui ne reflètent pas assurément la
réalité de la classe. De nombreux travaux montrent
en effet la distance parfois très forte qui existe entre
les pratiques déclarées et les pratiques observées
(Clanet, 1998 ; Lescouarch, 2007). Néanmoins s’intéresser aux discours des enseignants, aux justifications qu’ils proposent, à la mise en œuvre de telle ou
telle pratique peut donner un éclairage supplémentaire à ce qui vient d’être présenté en termes factuels,
notamment pour comprendre la conception globale
dans laquelle les enseignants inscrivent les pratiques
observées. Chaque entretien a été dépouillé en
extrayant tous les propos qui touchaient aux élèves
en difficulté. Puis ces propos ont été classés en deux
52 catégories : les faits (c’est-à-dire ce que l’enseignant
dit faire et comment faire avec ses élèves en difficulté)
et les représentations (les diagnostics des difficultés,
les pronostics scolaires, les évaluations du comportement, perceptions, jugements, etc.). L’analyse qui
suit ne porte que sur les faits déclarés. Le tableau 6
récapitule tous les items qui ont été déclarés dans au
moins une des classes de chaque groupe étudié.
À nouveau, des points communs sont mis en évidence. Les enseignants de chaque groupe disent différencier la longueur de la tâche (« Soit je leur donne
quelque chose de plus simple, soit je leur donne quelque chose de plus court », « Je donne la même chose
qu’aux autres, mais ils n’ont pas le plus »), être
conscients qu’ils doivent être plus attentifs aux élèves en difficulté, solliciter les élèves à l’oral pour les
maintenir dans l’activité, s’assurer de la compréhension des consignes, faire attention à leur placement
dans la classe, accorder une importance forte aux
encouragements, être sensible à la stigmatisation et
reconnaître le droit à l’erreur (« L’erreur est normale,
la maîtresse aussi elle se trompe, heureusement pas
tout le temps »). En fait, il semble y avoir comme un
discours général qui rassemble tous les enseignants
(être présent pour les élèves, les maintenir dans la
tâche, les encourager, ne pas les stigmatiser en
les mettant en difficulté devant le groupe), mais qui
se traduit parfois concrètement de façon tout à fait
­différente dans la classe.
Une première différence tient au discours tenu sur
la difficulté des tâches allouées aux élèves en difficulté. Si tous les enseignants disent moduler la
­difficulté des tâches, seuls ceux des classes les
moins efficaces disent donner des tâches pour lesquelles ils sont sûrs que les élèves vont réussir. Ils
pratiquent ici une certaine forme de « pédagogie de
la réussite » qui a pour but de valoriser l’élève, de lui
donner confiance. Plus qu’une différenciation du
niveau de difficulté de la tâche, nous assistons à une
différenciation des objectifs. Pour certaines tâches,
les objectifs d’apprentissage sont absents, laissant
place à des objectifs sociaux ou psychologiques
(« Et E., toujours la mettre en confiance, lui donner
aussi des choses qu’elle sait faire, pas que des choses qui sont des fois limites. Il faut lui donner des
choses qu’elle sait faire pour la mettre en confiance »).
Pour certains, varier le niveau de difficulté d’une
tâche consiste aussi à proposer ce qu’ils appellent
« le concret » aux élèves les plus faibles et « l’abstrait » aux meilleurs (« Pour lui, pas d’abstrait, non,
c’est un choix »). Toujours en termes d’objectifs, les
enseignants des classes les moins efficaces ­expliquent
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Tableau 6. – Récapitulatif des conditions de travail des élèves en difficulté relevées
lors des entretiens
Classes les plus efficaces
Classes les moins efficaces
La différenciation des activités selon les élèves porte sur
La longueur de la tâche (5)
La longueur de la tâche (3)
La difficulté de la tâche  : le vocabulaire peut être moins
étoffé par exemple (3)
La difficulté de la tâche  : donner des choses que les
élèves savent faire pour les mettre en confiance (2) ou
encore éviter les tâches d’abstraction pour leur préférer
du concret (2)
Une présence plus forte auprès d’élèves en difficulté (5)
Une présence plus forte auprès d’élèves en difficulté (2)
Le contenu est choisi en fonction des difficultés des
élèves, du travail qu’il leur reste à faire sur telle notion.
Les objectifs peuvent être intermédiaires (texte lu en
partie seulement par exemple) mais permettent à tous
les élèves de participer à la phase collective (3)
Certains élèves n’ont presque jamais les mêmes tâches
que les autres, que la différenciation se fasse par petits
groupes d’élèves ou en groupe classe (1)
Les objectifs  : importance du «  comment  » plus forte
que celle du «  quoi  » (la compréhension des procédures
est plus importante que la réalisation de la tâche) (2)
Les modalités de travail  : des temps sont ménagés
pour un travail spécifique avec des groupes d’élèves
en difficulté qui ne constituent pas réellement
des groupes de besoin et sont pensés plutôt
pour permettre à l’enseignant de consacrer
plus de temps à un petit groupe d’élèves
en difficulté (4)
Les modalités de travail  : mise en place de groupes
de soutien, de besoin, tutorat (les meilleurs aident
les plus faibles) (3)
Les lieux d’aide et d’apprentissage  : recours aux aides
extérieures (RASED, psychologue scolaire, CMPP,
CPEA, etc.) (1)
Les lieux d’aide et d’apprentissage  : recours aux aides
extérieures (RASED, psychologue scolaire, CMPP,
CPEA, etc.) (2)
L’aide matérielle (bande numérique, dés pour compter,
supports écrits, auditifs, visuels…) (3)
La préparation aux activités nouvelles qui vont être
introduites (3)
Concentration et mise au travail
Solliciter les élèves à l’oral sur la tâche en cours (5),
parfois en leur annonçant qu’ils vont être interrogés
pour les inciter à formuler une réponse (2)
Solliciter les élèves à l’oral, les faire répéter
pour les stimuler (2)
En phase individuelle, s’assurer d’abord de la bonne
compréhension des consignes pour les faibles, avant
de passer aux autres élèves (4)
En phase individuelle, s’assurer d’abord de la bonne
compréhension des consignes pour les faibles, avant
de passer aux autres élèves (3)
Écrire les consignes au tableau (repères visuels pour
les inattentifs) (3)
Appeler les élèves au tableau (2)
Avoir recours à des contacts physiques leur rappelant
que l’enseignant est attentif à ce qu’ils font (2)
Isoler les élèves (3)
Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 53
Tableau 6. – Récapitulatif des conditions de travail des élèves en difficulté relevées
lors des entretiens (suite)
L’aide aux élèves en difficulté
Guider les élèves par des questions
(sur les procédures  : comment tu fais cela ?,
où peux-tu trouver la réponse  ?…) (2)
Interroger un autre élève sur une question proche dont
la réponse pourra aider le premier élève (2)
Aider dans la manipulation (3)
Certains enseignants font le point sur le travail
des élèves en difficulté à l’issue de chaque demijournée ou journée pour prévoir une réaction rapide
et organisée dans la demi-journée suivante ou dans
la semaine (3)
Ne pas abandonner, ne pas baisser les bras (3)  :
le groupe classe peut attendre longtemps avant que
l’élève en difficulté n’ait répondu correctement (2)
L’organisation spatiale de la classe
Le placement des élèves en difficulté est pensé pour
qu’ils soient toujours à proximité de l’enseignant ou
pour faciliter le déplacement de ces élèves à des
emplacements isolés (4)
Les élèves en difficulté sont assis auprès d’élèves
meilleurs dans certains cas (2), devant le bureau
de l’enseignant dans d’autres (1)
Autre
Importance des encouragements (4)
Importance des encouragements (2)
Les enseignants se disent sensibles aux effets pervers
de la différenciation (stigmatisation) (4)
Les enseignants se disent sensibles aux effets pervers
de la différenciation (stigmatisation) (3)
Les erreurs sont considérées comme normales, avec la
volonté de ne pas les pointer publiquement mais de les
reprendre ultérieurement (4)
Reconnaissance du droit à l’erreur (3)
Donner des responsabilités aux élèves en difficulté
(porte-parole) (3)
Ce qui n’est pas fait
Interroger les élèves pour qui la tâche semble trop
­d ifficile (4)
Interroger les élèves pour qui la tâche semble
trop difficile (3)
Le tutorat ou les groupes de besoin qui stigmatisent
les élèves (3)
Note : le chiffre entre parenthèses indique le nombre d’enseignants ayant mentionné chaque item.
que, pour les élèves en difficulté, la compréhension
des procédures peut être plus importante que la réalisation de la tâche. Ces élèves sont là aussi placés
devant des objectifs (comprendre comment il aurait
fallu réaliser la tâche) différents de ceux fixés au reste
du groupe classe (réaliser la tâche) comme en témoignent les trois enseignants de ce groupe : « J’essaie
de les guider par un jeu de questions-réponses, mais
surtout en essayant de leur faire ­comprendre le problème […] : comment tu peux faire pour t’améliorer,
comment tu vas faire ? », « Je leur demande : qu’estce qui va t’aider ? Où peux-tu chercher les outils ? »
ou encore « Quand je suis avec eux, c’est moins ce à
54 quoi on va aboutir qui compte que comment on fait
quand on a des étiquettes ».
Cette différenciation des objectifs, dans les classes
les moins efficaces, peut rendre difficile l’intégration
des élèves au sein du groupe classe (« S., dans le
petit groupe encore, elle y arrive, mais dans le grand
groupe… C’est pas pour tout de suite. Mais je pense
qu’il faut aller vers ça… On va essayer »). À l’inverse,
les enseignants des classes les plus efficaces ont
souvent insisté sur cette intégration dans le groupe
(« Je m’assure que chaque élève a travaillé sur au
moins une partie du texte […] pour que l’on partage
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
tous le texte dans sa globalité », « Ma conception de
la classe, c’est apprendre ensemble à faire tout seul »
ou encore « On n’est pas tout seul dans la galère. Il y
a la notion de groupe à laquelle je tiens toujours »).
Tous les enseignants s’accordent pour dire « qu’il
ne faut pas baisser les bras », « ne jamais aban­donner
en leur donnant la bonne réponse ». Mais, deuxième
différence, du côté des classes efficaces, certains
enseignants expliquent qu’ils font le point sur le travail des élèves et leurs erreurs à l’issue de chaque
demi-journée ou journée, pour prévoir une réaction
organisée dans la demi-journée suivante ou dans la
semaine (« Je prends du temps avec chaque élève,
lui et moi, en aparté, et on discute de ses difficultés.
J’aime bien ces moments, surtout le samedi matin,
on fait le point, on boucle les choses, on prend du
temps pour les élèves en difficulté », « Je reste manger à l’école le midi pour pouvoir faire le point sur ce
qu’ont fait les élèves le matin » ou encore « J’ai bien
repéré les erreurs que H. a faites en calcul mental.
J’ai rien dit mais je prendrai un moment demain avec
lui pour revoir ça »). Dans le groupe des classes moins
efficaces, les enseignants expriment la volonté de
prendre du temps au moment où se présente la difficulté (« Il ne faut rien laisser passer », « réagir tout de
suite »), quitte à ce que le reste du groupe classe
attende relativement longtemps avant que l’élève n’ait
répondu correctement.
Une troisième différence tient aux modalités de travail en groupe. Si on note à nouveau un certain degré
d’accord puisque tous les enseignants disent ménager des temps pendant lesquels les élèves en difficulté sont regroupés, le sens donné à cette modalité
de travail varie entre les deux groupes de classe. Les
enseignants des classes les moins efficaces parlent
clairement de groupes de besoin, de groupes de
­soutien, de tutorat entre élèves permettant aux plus
faibles d’être aidés par les meilleurs : « Je demande
aux autres copains de venir l’aider. C’est quelque
chose […] que j’utilise assez fréquemment parce que
je trouve que le savoir ou la méthode, elle ne vient
pas que de moi, elle passe aussi par les autres parce
que c’est valorisant pour ceux qui savent déjà, c’est
difficile pour eux d’apporter une aide sans faire à la
place de… » ou encore « Ils sont presque tous assis à
côté d’enfants qui fonctionnent bien ; il faut qu’ils
aient une béquille. » Les enseignants de l’autre
groupe n’utilisent jamais ces termes et soulignent
explicitement qu’il ne « s’agit pas vraiment de groupe
de besoin car les élèves sont différents », qu’ils
« n’aime[nt] pas que des équipes travaillent différemment » ou que « le tutorat, […] j’ai plus de mal à le
mettre en place car c’est moins bien accepté, moins
bien vécu par certains enfants et ça me gêne ». Ils
parlent plutôt de « travail en petit groupe » qui permet
à l’enseignant de distribuer son temps d’une façon
qu’il juge plus efficace, d’être aux côtés de tous les
élèves les plus fragiles en même temps : « J’ai pris
quelques enfants pour un travail en maths pour être
plus près d’eux, et les autres peuvent faire en autonomie », « Je peux faire soit des équipes très hétérogènes, soit au contraire je fais une équipe avec des
enfants qui ont plus de difficultés et je reste avec eux.
C’est pour pouvoir m’attarder avec ceux qui avancent
à un rythme différent » ou « Je préfère des binômes
de niveau identique pour lesquels je vais être plus
présente ».
Enfin certains comportements ont été mentionnés
seulement par les enseignants des classes les plus
efficaces, comme la préparation en amont aux activités nouvelles ou l’aide méthodologique donnée à
certains élèves et non à d’autres (bande numérique,
frise, dés, etc.). Pour maintenir les élèves concentrés, ils les appellent au tableau, ils ont recours à
des contacts physiques (une main sur l’épaule les
invitant à se placer droit devant leur table, une main
sur la tête les invitant à se pencher, au sens propre
comme figuré, sur leur travail), rappelant ainsi discrètement aux ­élèves qu’ils sont attentifs à ce qu’ils
font, ils les isolent momentanément (« A. et H., je les
ai mis devant moi parce que je voulais bien suivre ce
qu’ils faisaient pour le calcul ; ils sont loin et je voulais vérifier ») ou encore se transforment en « assistant matériel » (« Je les aide dans la manipulation,
ben oui, pour aller plus vite, pour arriver à quelque
chose »).
À l’issue de l’analyse de ces entretiens, il ressort
d’une part que le fonctionnement des classes les
moins efficaces semble plus stigmatisant à l’égard
des élèves en difficulté, plus différenciateur en ­termes
d’objectifs d’apprentissage et in fine moins exigeant.
Même si ces enseignants disent être conscients des
risques de stigmatisation, de nombreuses situations
affichent clairement le statut des élèves : ne pas avoir
la même tâche que les autres, ne pas avoir à la réaliser, faire partie d’un groupe de besoin, avoir besoin
de l’aide des meilleurs, avoir besoin de l’aide d’un
dispositif extérieur, faire attendre tout le groupe parce
qu’on n’a pas trouvé la bonne réponse sont autant de
situations qui, cumulées, montrent à tous les élèves
le statut de chacun, en particulier le statut d’élève en
difficulté. Au contraire, dans les classes les plus efficaces, les enseignants déclarent que « le tutorat évoque encore une situation qui crée des différences,
Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 55
alors j’évite au maximum » ou qu’ils ne font « pas de
groupes de besoin car […] je ne voudrais pas qu’ils
soient montrés du doigt ». D’autre part, dans les
­classes les plus efficaces, les aides données aux
­élèves en difficulté sont variées (« Je développe
­toutes les stratégies possibles et inimaginables »,
« Je lui ai donné des cubes, je lui ai expliqué, posé
des questions… J’essaie tout ») mais sont essen­
tiellement centrées sur une différenciation des
moyens, des conditions de réalisation des tâches et
du temps de présence de l’enseignant à leurs côtés
(« J’ai découpé, j’ai collé, sinon le travail n’aurait pas
pu se faire »). À l’inverse, dans les classes les moins
efficaces, la différenciation des moyens se révèle
moins variée et se double de contenus appauvris
(« Les exigences avec M., ma volonté aujourd’hui,
c’est qu’elle apprenne à lire, au moins un apprentissage de base. Mais au-delà de ça, on ne sait pas où
on va ») qui rendent difficile l’intégration dans le
­collectif classe.
Conclusion
Si certaines classes se distinguent entre elles dans
leur capacité à faire plus ou moins progresser les
­élèves en difficulté, les pratiques observées en classe
à l’égard de ces élèves sont-elles à même d’expliquer
ces écarts ? Répondre à cette question a nécessité
l’articulation d’une approche quantitative permettant
une mesure d’efficacité sur un échantillon de
cent classes de CP et d’une approche qualitative permettant la caractérisation des pratiques enseignantes
sur un sous-échantillon de huit classes à efficacité
contrastée. Les données recueillies montrent à la fois
des points communs et des divergences entre les
deux groupes de classe considérés. Les analyses
révèlent que l’attention que les enseignants portent à
leurs élèves en difficulté est de quantité équivalente
dans les deux groupes de classe. Des indicateurs
relatifs à la fréquence des contacts verbaux ou au
volume de différenciation ne révèlent pas de différence significative entre ces deux groupes. Une première conclusion est donc que les effets de ces aides
ne semblent pas liés à une question de quantité. En
revanche, c’est la nature de l’aide qui paraît déter­
minante.
En effet l’ensemble des divergences identifiées
entre les deux groupes nous semblent révéler que,
dans les classes les plus efficaces, l’aide aux élèves
en difficulté est intégrée à un fonctionnement plus
56 global de la classe, fondé sur la recherche d’une véritable articulation entre les objectifs d’apprentissage
et de socialisation de l’école. L’école doit « apprendre
à vivre ensemble » et cela passe par « apprendre
ensemble ». Ces valeurs semblent piloter fortement
les pratiques des enseignants dans leurs classes,
l’absence de différenciation des contenus et la réduction effective des processus de stigmatisation en
témoignent. Si différenciation il y a, c’est au service
de ces valeurs basées sur le collectif, l’égalité de
réussite à laquelle on doit aboutir avec des élèves
qui, de façon évidente et normale, utilisent des procédures différentes pour apprendre. Cette conception
explique sans doute la variété des aides constatée
dans ces classes. Dans les classes les moins efficaces, l’accumulation de processus de stigmatisation et
de contenus appauvris rend difficile une intégration
des élèves en difficulté au groupe classe et fait apparaître des logiques de socialisation et d’apprentissage
davantage dissociées.
Comme nous l’avons explicité en amont, ces résultats peuvent être discutés en raison des limites
méthodologiques de l’enquête. Un premier problème
concerne le décalage temporel existant entre la
mesure de l’efficacité pédagogique des classes et les
observations des pratiques enseignantes. Ce décalage nous oblige à poser une hypothèse de stabilité
des effets-maîtres et une hypothèse de stabilité des
pratiques enseignantes, qu’il convient bien de considérer comme tel. Un second problème concerne le
faible nombre d’enseignants observés et interrogés
dans chaque catégorie, qui limite la solidité des
­comparaisons. Ces deux limites principales rendent
nécessaire une confirmation des résultats, avec un
dispositif empirique plus adapté, sur un échantillon
plus large et des observations répétées dans chacune
des classes. Toutefois nos résultats sont concordants
avec les quelques travaux qui avaient déjà attiré
­l’attention sur les effets pervers, en matière d’apprentissage, d’un surinvestissement des activités visant la
socialisation (dont Bouveau & Rochex, 1997). Notre
article précise, à l’instar de Butlen et Pézard (1991) et
plus récemment Jellab (2005), que ce type d’activité
est indispensable, pour autant qu’il ne soit pas simplement juxtaposé ni envisagé comme un préalable,
mais véritablement articulé, pensé conjointement aux
activités d’apprentissage.
Céline Piquée
[email protected]
CREAD, université de Haute Bretagne-Rennes 2
et IUFM de Bretagne, université de Bretagne-Occidentale
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
notes
(1) Cet article est issu d’un rapport de recherche financé par le rectorat de l’académie de Rennes. L’enquête a été réalisée en collaboration avec Hervé Kérivel (formateur IUFM), Daniel Le Beuan
(formateur IUFM), Géraldine Le Gaouyat (maître formateur IUFM
et enseignante en CP), Gilles Ribet (conseiller pédagogique)
et Patricia Vélagas (conseiller pédagogique). La qualité de ce travail dépend incontestablement de leur engagement actif. Nous
tenons à les en remercier vivement.
(2) Il s’agit de prendre en compte le caractère cumulatif des apprentissages et donc de distinguer dans le niveau des élèves, à un
moment donné, ce qui résulte de l’influence du contexte scolaire
auquel ils ont été soumis pendant l’année écoulée de ce qui
résulte des années antérieures de scolarisation. Pour ce faire, il
convient de borner temporellement l’analyse en procédant à une
mesure des acquisitions des élèves en début (octobre 2004 pour
nos données) et en fin de période étudiée (juin 2005).
(3) L’estimation des effets de contexte doit tenir compte du fait que
la réussite scolaire est liée à des facteurs contextuels mais aussi
individuels (le milieu social des élèves par exemple). Pour démêler les liens entre les différents facteurs susceptibles d’intervenir
dans l’explication des différences de réussite entre élèves, et en
l’absence de possibilité de réaliser de véritables expérimentations, les modélisations statistiques multivariées constituent une
alternative pertinente et désormais classique dans le champ de la
sociologie quantitative.
(4) Les épreuves standardisées sont construites sur la base des programmes scolaires à ce niveau. Elles sont disponibles, et leurs
propriétés métriques consultables, dans Piquée (2007b).
(5) Dans l’ensemble des analyses présentées, nous travaillons sur un
score global (lecture et mathématiques confondues). Si l’on peut
penser que des analyses spécifiques à la lecture et aux mathématiques auraient pu être conduites, ce score moyen a été choisi
afin de ne pas alourdir la présentation des résultats et se justifie
par la corrélation positive observée entre les deux disciplines en
début comme en fin d’année (les coefficients de corrélation de
Bravais-Pearson valent respectivement + 0,71 et + 0,67, significatifs au seuil de 0,001).
(6) En début comme en fin d’année, après avoir centré et réduit les
distributions (moyenne = 0 et écart type = 1), la moyenne des
élèves de l’échantillon total a été ramenée par convention à 100
et l’écart type à 15. Les scores donnés sont à interpréter en fonction des scores obtenus par l’ensemble des classes constituant
l’échantillon initial (soit 100 classes).
(7) Demander le classement de l’ensemble de la classe avait pour
but de ne pas attirer l’attention de l’enseignant sur le fait que
nous allions observer les seuls élèves les plus en difficulté, ce qui
aurait pu orienter son comportement à leur égard pendant la
séance.
(8) Dans chaque groupe de classe, efficaces vs inefficaces, nous
opérons la moyenne des pourcentages associés à chaque élève,
car un faible nombre de contacts d’un certain type pour un élève
peut néanmoins représenter un pourcentage élevé au regard du
nombre total de contacts dont il est l’objet.
(9) Cette évaluation du niveau de difficulté des questions est relativement subjective au moment de l’observation. La confirmation a
été demandée lors de l’entretien.
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Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 59
Annexe. – Liste des différents indicateurs utilisés lors de l’étude
Indicateurs de contacts verbaux
entre enseignants et élèves
–– Nombre d’actions verbales dont l’auteur initial est
l’enseignant ;
–– nombre d’actions verbales dont l’auteur initial est
l’élève ;
–– nombre moyen d’actions verbales par heure ;
–– temps écoulé entre le début de classe et la première interaction ;
–– nombre d’actions verbales relatives au comportement de l’élève : il s’agit d’actions verbales ayant
pour but de rappeler les règles de comportement
et d’attitude en classe, de placer l’élève dans sa
posture d’écolier ;
–– nombre d’actions verbales centrées sur l’élève :
il s’agit d’actions verbales à effet positif ou négatif centrées sur la personne de l’élève, son estime
de soi, son bien-être (félicitations, encouragements, valorisation, bien-être physique, discussions sans rapport avec la tâche, etc.) ;
–– nombre d’actions verbales centrées sur la tâche :
toutes les actions verbales (qu’il y ait feedback
ou pas) centrées sur le contenu des tâches
prescrites.
Parmi les actions verbales centrées sur la tâche,
certaines, à l’initiative de l’enseignant, ont pour objectif de guider l’élève dans la réalisation de la tâche. Ce
guidage est caractérisé selon qu’il est à dominante
explicative ou à dominante réflexive :
–– nombre d’actions verbales à dominante expli­
cative : apports complémentaires de la part de
l’enseignant sur la tâche et sur les conditions de
60 réalisation (opérations, matériels, reformulation
de consignes…) ;
–– nombre d’actions verbales à dominante réflexive :
toutes les types d’actions verbales qui ont pour
objectif de faire réfléchir et verbaliser l’élève sur
la (ou les) opération(s) qu’il utilise ou doit utiliser
pour avancer dans la tâche.
Indicateurs de l’organisation du travail
des élèves en difficulté
–– Nombre total de « moments » d’activité (un
moment est identifié par une tâche ou une activité donnée aux élèves, par exemple : calcul
mental, problèmes, lecture, dictée de mots,
chant, etc.) ;
–– temps total de moments d’activité (somme des
durées imparties par l’enseignant à chaque
moment d’activité) ;
–– temps passé sur une tâche différenciée (la tâche
proposée est différente de celle du reste du
groupe classe), en pourcentage du temps total de
moments d’activité ;
–– nombre de moments différenciés dans leurs
objectifs, en pourcentage du nombre total de
moments ;
–– nombre de moments différenciés dans leurs
conditions de réalisation, en pourcentage du
nombre total de moments ;
–– temps passé en groupe classe, en pourcentage
du temps total ;
–– temps passé en groupe d’élèves en difficulté, en
pourcentage du temps total.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Les effets politiques
des transformations
du corps enseignant
Alexis Spire
À partir d’une enquête statistique menée dans les enseignements primaire et secondaire, cet article analyse le
rapport que les enseignants d’aujourd’hui entretiennent à l’égard de leur métier et de la politique. En s’intéressant
aux différences de genre, d’origine sociale et de trajectoire, l’auteur démontre l’existence d’un clivage
générationnel qui traverse l’ensemble de ce groupe social. D’un côté, les enseignants recrutés à la fin des
années 1970 sont les moins satisfaits de leur salaire, les plus critiques à l’égard du niveau actuel des élèves et
les plus ancrés à gauche. De l’autre côté, ceux arrivés en poste à partir des années 1990 se satisfont davantage
de leur statut, n’ont aucune nostalgie des élèves d’antan et sont moins enclins que leurs aînés à choisir un
camp politique.
Descripteurs (TESE)  : sociologie de l’éducation, déroulement de carrière, statut de l’enseignant, salaire d’enseignant,
parti politique.
L
es transformations de la condition enseignante
sont souvent perçues en France à l’aune exclusive de la massification scolaire qui, à partir du
milieu des années 1980, a largement ouvert l’enseignement secondaire à la jeunesse populaire. Parallèlement à cette «  seconde explosion scolaire  »
— en référence à la première survenue entre 1960
et 1970 — s’est développé tout un discours sur le
«  malaise  » des enseignants, qui renvoie à la fois à
une minimisation de leur rôle éducatif, une dégradation de leurs conditions de travail et une dévalorisation de leur statut. Mais le corps enseignant a aussi
connu de profondes mutations internes, en termes
de recrutement notamment, qui n’ont pas été sans
conséquences sur les représentations de celles et
ceux qui ont pour mission de transmettre des savoirs
(Viguier, 2006). Plusieurs enquêtes sociologiques ont
souligné le renouvellement des pratiques professionnelles que cette nouvelle configuration a engendré
(Barrère, 2002  ; van Zanten, 2001). L’analyse proposée ici met ­l’accent sur les effets que ces transformations propres au corps enseignant ont eus sur la
vision du statut et du positionnement politique de
ces enseignants.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 61-72
On s’appuiera sur une enquête statistique menée
en 2007 auprès de 2 600 enseignants en poste et
centrée sur les formes de leur engagement dans la
vie de la cité (voir encadré ci-dessous). Nous étudions ici les enseignants qui exercent dans le primaire ou le secondaire, en englobant tous ceux qui
doivent transmettre des connaissances au sein de
l’école. Le monde des instituteurs du primaire et
celui des professeurs du secondaire ont longtemps
été considérés comme deux univers séparés (1).
Cette hétérogénéité des corps doit beaucoup à l’histoire longue de ­l’institution scolaire qui a entretenu la
reproduction d’identités professionnelles très différentes (Girault, 1996). Néanmoins la modification des
caractéristiques sociologiques des publics scolaires
et l’évolution des statuts des enseignants ont eu
pour effet de réduire la distance symbolique entre
ces deux ordres d’enseignement. Dans notre
enquête, nous avons choisi de poser les mêmes
questions à ceux du primaire et du secondaire, de
façon à considérer les enseignants comme une catégorie sociale à part entière, tout en gardant à l’esprit
que chacun des deux niveaux conserve certaines
particularités. Ce choix permet d’étudier les transformations que cette catégorie a connues non seulement au regard de ses différences internes (liées au
mode de recrutement ou à l’appartenance à un
corps), mais aussi du point de vue de sa position et
de sa trajectoire dans l’espace social global. Les
effets des transformations du recrutement sur le
positionnement politique seront donc saisis à ces
deux niveaux. L’enjeu de cette contribution n’est pas
de fournir un état des lieux statistique du positionnement politique des enseignants ou de leur opinion
sur l’école. Les représentations des enseignants ne
nous intéressent ici que sous l’angle des logiques
sociales qui contribuent à les produire. La démarche
qu’on se propose de suivre consiste à analyser
conjointement, d’un côté le rapport que les enseignants entretiennent à l’égard de l’institution scolaire
et de leur métier et, de l’autre, les représentations
qu’ils entretiennent à l’égard de leur positionnement
politique.
L’enquête statistique
Cet article s’appuie sur les résultats d’une enquête
quantitative consacrée à « l’engagement des enseignants » et conduite dans le cadre d’un projet collectif
financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et
réalisé au sein du Centre d’études et de recherches
administratives politiques et sociales (CERAPS), sous la
direction de Frédéric Sawicki. En juin 2007, 6 300 questionnaires ont été adressés par voie postale à des
­enseignants en poste dans le Nord-Pas-de-Calais, sur
62 la base d’un échantillon stratifié composé de 58 % d’enseignants du second degré et de 42 % du premier degré.
Le taux de retour a été d’environ 40 %, ce qui nous a
permis d’exploiter un peu plus de 2 550 réponses, soit
un échantillon représentatif en termes de ­répartition
hommes/femmes, tranches d’âge et taille de l’établissement. Chaque questionnaire comporte 65 questions
dont quelques-unes sont spécifiques au primaire et
d’autres au secondaire mais la très grande majorité
porte sur le rapport au métier, le rapport aux collègues,
l’implication dans les dispositifs pédagogiques, la participation aux mouvements sociaux, les identifications
partisanes et les affiliations syndicales. On a choisi ici
de n’exploiter qu’une petite partie des variables disponibles dans cette base de données. La population des
enseignants du Nord-Pas-de-Calais présente certaines
spécificités qu’il convient de souligner : les enseignants
y sont plus jeunes, moins diplômés que sur le reste du
territoire et la région est très marquée par l’importance
des formations professionnelles ; ils sont également plus
syndiqués et plus souvent marqués à gauche. Toutes
ces caractéristiques contribuent à faire de la région une
sorte de « miroir grossissant » pour l’analyse de l’institution scolaire et de ses transfor­mations (Demailly, 1991,
p. 73).
Les effets des changements
de statut sur le rapport
au métier des enseignants
Durant les trois dernières décennies, le statut institutionnel des enseignants s’est plutôt amélioré. Dans
le premier degré, la création des Instituts universi­
taires de formation des maîtres (IUFM) et du corps
des professeurs des écoles en 1989 a marqué une
étape importante dans le processus d’égalisation
des corps d’enseignement primaire et secondaire : le
passage par l’université est devenu la règle et la très
grande majorité des professeurs des écoles sont
désormais recrutés au niveau de la licence, après un
passage en IUFM (Geay, 1999, p. 209). Dans le
second degré, l’extinction des catégories d’adjoint
d’enseignement et de professeurs d’enseignement
général de collège (2) (PEGC) s’est traduite par une
homogénéisation du corps enseignant autour des
certifiés. Cette relative amélioration du statut intervient pourtant au moment même où les enseignants
sont de plus en plus nombreux à éprouver le sentiment d’occuper une place dévalorisée dans la
société : dans notre enquête, ils sont, tous niveaux
confondus, 62 % à estimer que l’image des enseignants est plutôt négative.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Tableau 1. – Satisfaction des enseignants par rapport à leur salaire, en fonction de leur âge
Âge en 2007
Très
satisfait(e)
Assez
satisfait(e)
Moyennement
satisfait(e)
Peu
satisfait(e)
Pas du tout
satisfait(e)
NSP
Total
Moins de 30 ans
4,7  %
38,2  %
42,1  %
10,5  %
4,5  %
0,0  %
100,0  %
30-40 ans
2,7  %
35,2  %
40,0  %
15,3  %
6,0  %
0,8  %
100,0  %
40-50 ans
1,7  %
28,5  %
38,3  %
21,0  %
9,6  %
0,9  %
100,0  %
Plus de 50 ans
2,4  %
27,5  %
39,2  %
21,0  %
9,1  %
0,8  %
100,0  %
Ensemble
2,7  %
32,2  %
39,6  %
17,4  %
7,4  %
0,7  %
100,0  %
Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité » (n = 2 585). Lecture : « NSP » signifie « ne se prononcent pas » ; khi 2 = 66 ; ddl = 15 ;
p < 0,0 001.
Plus les enseignants vieillissent,
moins ils se satisfont de leur statut
Pour mesurer de façon plus individuelle et concrète
le rapport que les enseignants entretiennent avec leur
statut, on a choisi de s’intéresser à l’appréciation
qu’ils portent à leur salaire, celui-ci n’étant rien d’autre
que le prix qu’une institution est prête à payer pour
rémunérer des compétences à la hauteur de l’estime
qu’elle leur attribue. À cet égard, il existe d’importantes disparités entre les niveaux d’enseignement et les
corps d’appartenance. Dans le primaire, ceux qui
sont restés instituteurs ont vu leur salaire réel baisser
de l’ordre de 9 % (Bouzidi, ­Jaaidane & Gary-Bobo,
2007) mais ceux qui ont été reclassés dans le corps
des professeurs des écoles ont bénéficié d’une nette
revalorisation. D’ailleurs, ce clivage se retrouve dans
leurs appréciations respectives : les professeurs des
écoles se déclarent plus satisfaits de leur salaire que
leurs collègues instituteurs. Dans le secondaire, les
agrégés sont ceux qui se montrent les plus satisfaits
de leur salaire (ils sont environ 54 % dans ce cas). On
pourrait donc penser que les enseignants les plus
satisfaits de leur ­rémunération sont ceux qui sont les
mieux payés, mais cette appréciation n’est plus vérifiée lorsqu’on l’applique aux différentes tranches
d’âge (voir le tableau 1).
Dans l’Éducation nationale comme dans l’ensemble
de la fonction publique, la rémunération augmente
mécaniquement à mesure qu’on avance dans la
­carrière : en 2005 par exemple, un enseignant âgé de
30-40 ans gagne en moyenne 22 % de plus que ne
gagne un enseignant de moins de 30 ans, tandis
qu’un enseignant de 40-50 ans gagne environ 17 %
de plus qu’un enseignant de 30-40 ans (Goux
& Maurin, 2008). Or il est frappant de constater que la
satisfaction par rapport au salaire diminue à mesure
que l’âge augmente (voir le tableau 1) : les ensei
gnants âgés de moins de 30 ans se déclarent à 43 %
assez satisfaits ou très satisfaits de leur salaire, tandis que leurs collègues de plus de 50 ans ne sont que
30 % à le penser (3).
Des enseignantes plus souvent satisfaites
de leur salaire
L’appréciation de son salaire n’est donc pas uniquement la traduction de l’échelle des rémunérations
mais renvoie à d’autres déterminations, au premier
rang desquelles se trouve le sexe. Parmi l’ensemble
de la population active, si les salaires des femmes
sont en moyenne inférieurs de 25 % à ceux des
­hommes, les jugements portés par les deux sexes sur
leurs salaires respectifs n’offrent quasiment aucune
différence (Baudelot & Serre, 2006). Dans le cas des
enseignants, la question se pose différemment
puisqu’il n’existe, à poste et statut équivalent, aucune
différence de rémunération entre hommes et femmes.
Dès lors, c’est le jugement porté par les unes et les
autres sur un même niveau de rémunération qui varie
(voir le tableau 2).
Tous corps confondus, les femmes se déclarent
toujours plus souvent satisfaites de leur salaire que
leurs collègues masculins. Un tel résultat pourrait
s’expliquer par le fait qu’hommes et femmes ne se
répartissent pas exactement de la même manière
dans la hiérarchie des rémunérations propre à l’Éducation nationale, notamment du point de vue des
corps d’appartenance. Or, même lorsqu’on croise les
appréciations sur le niveau de salaire avec l’appartenance à tel ou tel corps, des différences significatives
d’appréciation persistent (voir le tableau 2). C’est
parmi les professeurs des écoles que les écarts sont
les plus importants : 16,5 % des professeurs des
écoles sont très satisfaits ou assez satisfaits de leur
Les effets politiques des transformations du corps enseignant 63
Tableau 2. ­– Les variations de satisfaction des enseignants par rapport à leur salaire,
à statut égal et sexe différent
Statut
Instituteur
Très
satisfait(e)
Assez
satisfait(e)
Moyennement
satisfait(e)
Peu
satisfait(e)
Pas du tout
satisfait(e)
0,0
+ 8,4
+ 9,9
– 1,1
– 13,2
Professeur des écoles
+ 1,8
+ 16,7
+ 4,2
– 11,8
– 10,1
Agrégé
+ 3,8
+ 12,1
– 8,2
– 6,2
– 1,6
Certifié
+ 1,3
+ 8,2
+ 5,6
– 11,7
– 3,6
Professeur de lycée professionnel
(PLP 1 et 2)
– 1,4
+ 19,4
– 8,6
– 3,8
– 4,3
0,0
+ 6,2
+ 11,3
– 3,3
0,0
+ 0,7
+ 9,5
+ 4,7
– 9,5
– 5,2
Professeur d’enseignement général
de collège (PEGC)
Ensemble
Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité » (n = 2 585). Lecture : chaque chiffre du tableau ci-dessus est le résultat d’une
­différence de pourcentage entre femmes et hommes pour un même niveau de satisfaction. Par exemple pour les instituteurs, l'écart entre le
pourcentage de femmes assez satisfaites et le pourcentage d’hommes assez satisfaits est de 8,4 points : 28,4 % des institutrices sont assez
satisfaites de leur salaire tandis que 20,0 % des instituteurs le sont.
salaire, alors que leurs collègues femmes le sont à
35 %, soit un différentiel de 18,5 points. Les écarts
sont également substantiels entre hommes et femmes qui enseignent en lycée professionnel. L’explication est sans doute à chercher du côté des origines
sociales. Les répondantes évaluent le plus souvent
leur rémunération à l’aune de la situation sociale de
leur mère (Baudelot & Serre, 2006). Or les femmes
professeurs des écoles et professeurs en lycée professionnel ont aussi pour particularité d’être issues
de milieux modestes : leur mère était respectivement
à 25,2 % et à 35,0 % sans profession. Leurs homologues masculins sont également de milieu modeste
mais leur père, jamais sans profession, était le plus
souvent soit ouvrier, soit profession intermédiaire.
Dans ces deux exemples et de façon atténuée pour
les autres cas, les enseignantes se montrent donc, à
statut égal, plus satisfaites que les enseignants de
leur salaire, en partie car elles se comparent à leur
mère. En somme, les variations dans le rapport des
enseignants à leur salaire ne dépendent pas seulement du niveau de leur rémunération mais aussi de
leur trajectoire sociale et surtout de la représentation
qu’ils s’en font.
Les enseignants au statut élevé
sont les moins alarmistes sur le niveau des élèves
Le rapport des enseignants à leur métier renvoie à
de multiples dimensions qu’ils conçoivent en comparaison avec un état passé dudit métier tel qu’ils se le
64 représentent. À ce titre, la question de l’évolution du
niveau des élèves a acquis une place centrale dans
l’économie des jugements portés sur l’école ­(Baudelot
& Establet, 1990). Parmi les enseignants que nous
avons interrogés, ils sont 63 % à trouver le niveau
des élèves plus faible qu’il ne l’était il y a dix ans. Un
tel résultat est cependant très difficile à interpréter en
raison de la diversité des points de vue que les enseignants ont du système scolaire : ils s’expriment à la
fois en tant qu’acteurs de l’institution, mais aussi en
tant qu’anciens élèves, voire pour certains en tant
que parents d’élèves. Les réponses à la question sur
le niveau des élèves reflètent donc tout autant une
appréciation portée sur les conditions actuelles
d’exercice du métier d’enseignant que la représentation que les enseignants se font de leur propre trajectoire individuelle. Les variables susceptibles d’intervenir sont donc à la fois celles relatives à la position
sociale (origine sociale, sexe, diplôme, profession du
conjoint) et celles renvoyant à la position professionnelle (ancienneté dans le poste, corps d’appartenance, type d’établissement). Si l’on teste la significativité de ces variables dans un modèle de régression
logistique, il ressort que l’appartenance à tel ou tel
corps d’enseignant et l’ancienneté dans le poste sont
déterminantes pour expliquer le sentiment d’une
baisse de niveau (voir le tableau 3).
Les différences mises en lumière dans le tableau 3
reflètent en partie des variations selon le niveau d’enseignement : l’appréciation sur le niveau des élèves
ne prend pas le même sens selon que l’on enseigne
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Tableau 3. – Opinion des enseignants sur l’évolution du niveau des élèves,
selon l’appartenance aux corps d’enseignement
Meilleur
Identique
Plus faible
Sans opinion
Total
Professeur des lycées professionnels
(PLP 1 et 2)
2,2  %
11,7  %
82,5  %
  3,6  %
100,0  %
Professeur d’enseignement général
de collège (PEGC)
2,0  %
  9,8  %
84,3  %
  3,9  %
100,0  %
Instituteur
4,5  %
38,2  %
49,4  %
  7,9  %
100,0  %
Professeur des écoles
9,4  %
31,9  %
49,0  %
  9,7  %
100,0  %
Certifié
3,2  %
21,5  %
70,5  %
  4,8  %
100,0  %
Agrégé
6,4  %
27,3  %
55,4  %
10,9  %
100,0  %
Autres*
5,1  %
23,7  %
67,8  %
  3,4  %
100,0  %
Ensemble
5,4  %
24,5  %
63,5  %
  6,6  %
100,0  %
*Adjoints d’enseignement, chargés d’enseignement ou autres corps du second degré. Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la
cité ». Champ : les enseignants ayant commencé à exercer avant 1998 (n = 1 735) ; khi 2 = 132 ; ddl = 18 ; p < 0,0 001.
Tableau 4. – Opinion des enseignants sur l’évolution du niveau des élèves, selon leur ancienneté
Année d’entrée en poste
Meilleur
Identique
Plus faible
Sans opinion
Total
Avant 1979
6,4  %
18,1  %
68,9  %
6,6  %
100,0  %
De 1979 à 1988
6,7  %
22,9  %
62,9  %
7,5  %
100,0  %
De 1989 à 1995
3,0  %
30,9  %
59,6  %
6,5  %
100,0  %
De 1996 à 2000
5,0  %
31,7  %
59,0  %
4,3  %
100,0  %
Ensemble
5,4  %
24,5  %
63,5  %
6,6  %
100,0  %
Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants ayant commencé à exercer avant 1998 (n = 1 735) ;
khi 2 = 38 ; ddl = 12 ; p < 0,0 002.
dans le primaire ou le secondaire. Dans l’ensemble,
les enseignants du premier degré sont moins massivement convaincus que leurs collègues du secondaire que le niveau baisse. Mais au-delà de cette partition, l’appréciation sur le niveau des élèves semble
surtout corrélée à l’appartenance au corps. Les plus
nostalgiques du niveau des élèves d’antan sont ceux
qui relèvent du corps des PEGC et des professeurs
de lycée professionnel ; viennent ensuite les certifiés,
les agrégés, puis les instituteurs et enfin les professeurs des écoles. On pourrait penser que ces différences ne sont que le reflet de l’hétérogénéité des
conditions d’enseignement, mais il n’en est rien : les
agrégés exerçant en collège partagent approximativement le même jugement que leurs collègues de
lycée (un peu plus de la moitié juge le niveau des élèves plus faible qu’il y a dix ans) ; de même, les certi
fiés exerçant en lycée professionnel sont 68,1 % à
estimer que le niveau des élèves a baissé, ce qui les
situe à un niveau comparable à celui des autres certifiés et les place très loin des enseignants du corps
des professeurs de lycée professionnel. Autrement
dit, la conviction que le niveau des élèves a baissé en
l’espace de dix ans apparaît fortement corrélée au
corps auquel on appartient : dans le secondaire, elle
est de plus en plus partagée à mesure que l’on descend dans la hiérarchie, et ce indépendamment du
type d’établissement (collège, lycée ou lycée professionnel) dans lequel on enseigne. Mais elle est aussi
fortement dépendante de l’ancienneté dans le poste
(voir le tableau 4).
Il existe un lien complexe entre l’ancienneté dans le
poste et la conviction que le niveau des élèves baisse.
Les effets politiques des transformations du corps enseignant 65
Les plus anciens dans l’enseignement, ceux qui ont
été recrutés avant 1988, apparaissent comme un
groupe clivé. Collectivement, ils sont les plus nombreux à penser que le niveau baisse : les enseignants
recrutés avant 1979 sont près de 69 % à considérer
le niveau des élèves plus faible qu’il y a dix ans, tandis que leurs collègues entrés dans l’Éducation nationale entre 1996 et 2000 ne sont que 59 % à partager
ce diagnostic. Ce résultat est en réalité le produit de
deux tendances distinctes : un effet d’âge et un effet
de trajectoire. L’effet d’âge renvoie au fait que l’attachement au passé de l’institution scolaire tend à s’accentuer à mesure du vieillissement, ce qui contribue à
expliquer que, dans l’ensemble, les plus anciens dans
l’institution sont les plus nombreux à penser que le
niveau des élèves est plus faible. Mais cet effet d’âge
se combine à un effet de trajectoire qui tient à la
forme prise par la progression des carrières dans
l’Éducation nationale : plus on avance en âge, plus
on accroît ses chances de pouvoir choisir l’établissement dans lequel on va exercer. Pour les enseignants
entrés en poste dans les années 1970 et 1980 qui ont
réussi à obtenir un établissement de centre-ville, où
les conditions de travail sont moins difficiles et où le
niveau des élèves est plus élevé en raison d’un recrutement plus sélectif qu’ailleurs, le niveau des élèves
peut apparaître meilleur que celui auquel ils étaient
confrontés en début de carrière. La variable relative à
l’ancienneté dans le poste peut ainsi produire des
effets opposés, ce qui incite à construire une variable
qui tienne également compte de la progression dans
la carrière.
Quand la promotion professionnelle rend plus
optimiste sur l’évolution du niveau des élèves
Pour rendre compte des effets liés à la trajectoire, il
faut s’intéresser à la succession des positions professionnelles occupées par chaque enseignant au cours
de sa carrière. En associant la question du statut en
début de carrière et celle du statut actuel, on peut
construire une variable reflétant le degré de mobilité
dans la trajectoire, de façon à expliquer les différents
rapports que les enseignants entretiennent à l’égard
de l’institution scolaire. Trois types de trajectoires
peuvent alors être distingués. Tout d’abord les titularisés, c’est-à-dire ceux qui ont commencé comme
vacataire, contractuel ou maître auxiliaire et qui sont
devenus instituteur, professeur des écoles ou titulaire
dans le secondaire (PLP, PEGC, certifiés ou agrégés) ;
ils représentent plus d’un tiers (38,2 %) des enseignants présents dans l’échantillon. Viennent ensuite
ceux qu’on pourrait qualifier de promus, c’est-à-dire
66 ceux qui ont commencé leur carrière comme titulaire
et qui sont parvenus à un statut plus élevé, le plus
souvent passant d’instituteur à professeur des écoles
et parfois directeur, de PEGC à certifié ou encore de
certifié à agrégé (4). Obtenues soit par concours
interne ou externe, soit par liste d’aptitude statutaire
pour les plus âgés, ces promotions restent peu fréquentes : elles ont bénéficié à seulement 16,4 % des
enseignants de l’échantillon. Tous les autres peuvent
être qualifiés de stables dans le sens où soit ils ont
conservé le même statut de titulaire tout au long de
leur carrière (43,0 %), soit ils sont restés avec un statut de temporaire (2,5 %). Ces différentes trajectoires
sont susceptibles d’influer sur le rapport à l’institution
scolaire des enseignants mais elles sont également
conditionnées à certaines variables de position : les
enseignants du primaire ont par exemple plus de
chances d’avoir connu une promotion, en raison de la
création en 1989 du statut de professeur des écoles,
que leurs collègues du secondaire. De même, les
enseignants plus âgés ont logiquement plus de
chance d’avoir bénéficié d’une promotion que leurs
collègues plus jeunes. Enfin la variable de genre intervient également : les enseignantes ont plus de chances que leurs collègues masculins de connaître une
carrière stable sans aucune promotion, notamment
en raison des sollicitations auxquelles elles doivent
répondre dans la sphère domestique (CacouaultBitaud, 2007).
L’introduction d’un critère relatif à la mobilité professionnelle permet de mieux cerner le profil de ceux
qui restent attachés à un état antérieur de l’institution
scolaire. Le groupe des titularisés, composé à 75 %
d’enseignants de plus de 40 ans, est de loin celui qui
se montre le plus attaché au passé de l’institution
scolaire. Dans leur majorité, ils ont commencé à
enseigner à la fin des années 1970 et au début des
années 1980 et ont été associés à une sorte de
­compromis scellé par l’administration de l’époque :
en contrepartie des concessions accordées en
matière de titularisation et de progression dans la
carrière, ces enseignants acceptaient d’enseigner à
des élèves moins sélectionnés scolairement ­(Chapoulie,
1987, p. 42). Mais une fois leur nouveau statut acquis,
certains d’entre eux ont été contraints de constater
que le processus de massification se poursuivait,
sans qu’il s’accompagne pour eux de nouvelles
contreparties, et ils ont pu ressentir amèrement l’évolution du recrutement social des publics scolaires. Le
groupe des stables, composé quant à lui aux
trois quarts d’enseignants de moins de 40 ans, est
plus hétérogène : il comprend d’un côté des agrégés
et des professeurs des écoles qui ne peuvent, du fait
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Tableau 5. – Opinion des enseignants sur l’évolution du niveau des élèves,
selon leur trajectoire professionnelle
Type de trajectoire
Meilleur
Identique
Plus faible
Sans opinion
Total
Titularisés
2,8  %
17,8  %
76,6  %
2,8  %
100,0  %
Promus
9,5  %
30,5  %
52,0  %
8,0  %
100,0  %
Stables
4,3  %
27,3  %
62,6  %
5,8  %
100,0  %
Ensemble
5,4  %
24,7  %
64,5  %
5,4  %
100,0  %
Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants ayant commencé à exercer avant 1998 et dont on peut
restituer la trajectoire (n = 1 682) ; khi 2 = 87,5 ; ddl = 6 ; p < 0,0 001.
de leur position, bénéficier d’aucune promotion au
sens où on l’a défini précédemment et de l’autre des
enseignants qui sont restés depuis leur recrutement
dans un statut temporaire. Le caractère composite de
ce groupe rend donc fragile toute tentative d’interprétation. En revanche, l’appréciation portée par les promus mérite qu’on s’y arrête : ils sont à peine plus de
la moitié à estimer que le niveau baisse et près de
10 % d’entre eux le trouvent même meilleur qu’il y a
dix ans (voir le tableau 5). Composé pour l’essentiel
d’enseignantes (73 %), exerçant très majoritairement
dans le primaire (à 85 %), ce groupe a sans doute été
moins exposé que les autres aux effets de la massification (plus perceptible dans le secondaire) ; il se
caractérise également par des trajectoires d’ascension qui doivent beaucoup à l’institution scolaire, ce
qui explique peut-être que ces enseignants ressentent moins durement l’évolution du recrutement social
de leurs publics. On voit donc se dégager un certain
« conservatisme scolaire » qui semble davantage
émaner d’enseignants entrés en poste avant 1979 et
ayant eu une carrière stable, tandis que les jeunes du
secondaire et les enseignants du primaire ayant bénéficié d’une promotion par le statut de professeurs des
écoles se montrent moins nostalgiques des élèves
d’antan. Il reste maintenant à se demander comment
ce conservatisme scolaire qui divise la population des
enseignants s’articule plus ou moins directement
avec les orientations politiques.
Le positionnement politique
des enseignants
Dans notre enquête statistique, les enseignants
interrogés se réclament à une courte majorité (52,6 %)
de la gauche et de l’extrême-gauche, 20 % se
­déclarent au centre et 20,7 % à droite (5). L’auto-­
positionnement sur un axe gauche-droite renvoie à
des dimensions à la fois économiques, politiques et
­symboliques (Michelat, 1990) mais on se propose de
­l’appréhender ici comme le produit de variables
sociologiques. Si l’on teste la significativité des variables dont on dispose dans un modèle de régression
logistique, le sexe, l’appartenance à tel ou tel corps
(agrégé, certifié, professeur des écoles…), le type
d’établissement ou encore la situation matrimoniale
ne semblent pas influencer significativement l’orientation politique, tandis que l’âge, l’origine sociale et
la profession du conjoint apparaissent déterminants.
Vieillissement et ancrage à gauche
Suite à l’élection présidentielle de 2007, plusieurs
observateurs ont souligné le lien entre vieillissement
et ancrage à droite de l’électorat (Michelat & Tiberj,
2007, p. 373), mais cette corrélation ne se retrouve
pas parmi les enseignants : ceux-ci se déclarent
d’autant plus souvent à gauche qu’ils avancent
en âge (voir les tableaux 6a et 6b). Pour expliquer un
tel résultat, il faut distinguer le positionnement politique des enseignants du primaire et du secondaire, de
façon à rapporter ces prises de position à l’histoire
des recrutements et des évolutions sociales propres
à chacun de ces deux groupes.
Au sein du primaire, la catégorie des moins de
30 ans constitue l’exception à la règle selon laquelle
plus les enseignants sont jeunes et moins ils s’identifient à la gauche. L’explication vient sans doute du
fait qu’il s’agit de jeunes recrues qui sont un peu
moins de 60 % seulement à être titulaires de leur
poste, alors que leurs aînés le sont à 85 %. On peut
faire l’hypothèse que leur statut incertain les incline
davantage à s’orienter à gauche. Hormis cette tranche d’âge, il se dégage une opposition entre les plus
de 40 ans d’un côté, qui se déclarent plus souvent à
Les effets politiques des transformations du corps enseignant 67
Tableau 6a. – L’orientation politique des enseignants du primaire en fonction de leur âge
Très à gauche
À gauche
Au centre
À droite
NSP
Total
Moins de 30 ans
4,1  %
48,2  %
16,7  %
21,8  %
9,0  %
100,0  %
30-40 ans
4,7  %
38,6  %
21,5  %
26,3  %
8,9  %
100,0  %
40-50 ans
9,0  %
52,3  %
18,6  %
14,0  %
6,1  %
100,0  %
Plus de 50 ans
13,7  %
48,4  %
15,3  %
17,9  %
4,7  %
100,0  %
Ensemble des enseignants
du primaire
7,3  %
45,9  %
18,7  %
20,7  %
7,4  %
100,0  %
Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants affectés dans un établissement primaire (n = 1 057) ;
khi 2 = 47,7 ; ddl = 12 ; p < 0,0 001.
Tableau 6b. – L’orientation politique des enseignants du secondaire en fonction de leur âge
Très à gauche
À gauche
Au centre
À droite
NSP
Total
Moins de 30 ans
  9,3  %
39,9  %
26,8  %
17,5  %
6,6  %
100,0  %
30-40 ans
10,8  %
40,2  %
21,4  %
20,8  %
6,9  %
100,0  %
40-50 ans
  7,8  %
40,0  %
21,4  %
23,1  %
7,8  %
100,0  %
Plus de 50 ans
  7,9  %
50,7  %
16,8  %
20,6  %
4,0  %
100,0  %
Ensemble des enseignants
du secondaire
  9,1  %
43,0  %
20,7  %
20,7  %
6,4  %
100,0  %
Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants affectés dans un établissement secondaire (n = 1 528) ;
khi 2 = 32,8 ; ddl = 12 ; p = 0,0 079 (significatif au seuil de 1 %).
gauche ou très à gauche, et les moins de 40 ans de
l’autre, qui sont à la fois plus à droite mais aussi plus
nombreux à refuser de se positionner. Les plus de
40 ans qui s’identifient à la gauche sont pour beaucoup des instituteurs entrés dans l’enseignement
dans les années 1970 et 1980, à une époque où la
volonté de faire baisser le nombre d’élèves par classe
obligeait à recruter sans concours des instituteurs
remplaçants (6). De plus, en 1985, l’ouverture de
concours spéciaux destinés aux titulaires d’un DEUG
ou d’un diplôme équivalent a permis à un certain
nombre d’accéder à des postes d’instituteurs, sans
passer par les concours traditionnels. En revanche,
les plus marqués à droite sont ceux qui ont débuté
leur carrière dans les années 1990 et 2000 et qui ont
donc dû, dans leur très grande majorité, passer par le
concours de professeur des écoles pour être recrutés. On peut donc faire l’hypothèse que ce clivage
générationnel sépare en réalité d’un côté ceux qui ont
été recrutés par des voies transversales et qui ont vu
leur situation s’améliorer grâce à la création du statut
de professeur des écoles et, de l’autre, ceux qui ont
été sélectionnés par le concours dès leur entrée dans
68 la profession et qui ont plutôt le sentiment d’une stagnation. Dans le secondaire, l’effet d’âge et de génération ne joue pas de la même façon en raison de
l’histoire spécifique des recrutements à ce niveau
(voir le tableau 6b).
Au sein du secondaire, le clivage le plus marqué
sépare les plus de 50 ans qui se déclarent à gauche à
58 % et les moins de 50 ans qui sont plus souvent
que leurs aînés au centre ou à droite. Cette coupure
générationnelle renvoie à des différences de traitement au sein de l’institution. Les premiers ont pour
beaucoup bénéficié du plan de liquidation de l’auxiliariat mis en œuvre entre 1975 et 1978 et de la facilitation de l’accès au statut de certifié pour les PEGC
et maîtres auxiliaires (Chapoulie, 1987, p. 40). En
revanche, chez ceux qui sont trop jeunes pour avoir
connu cette période, ce sont les enseignants qui ont
entre 40 et 50 ans qui se déclarent le moins souvent à
l’extrême-gauche, le plus souvent à droite ou qui sont
aussi les plus nombreux à refuser de se positionner.
Ainsi, dans le primaire comme dans le secondaire,
les générations qui se déclarent le plus à gauche sont
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
celles qui regroupent les plus de 50 ans et qui, dans
leur majorité, ont bénéficié d’une promotion collective : dans le primaire, ce sont ceux qui ont pu passer
d’instituteur à professeur des écoles et, dans le
secondaire, ce sont ceux qui ont connu le plan massif
de résorption de l’auxiliariat. Ce clivage générationnel
s’explique également par des considérations extérieures à l’univers de l’enseignement : d’une manière
générale, la cohorte de citoyens arrivés à maturité
sous le premier septennat de Mitterrand a pu être
plus marquée par l’ancrage à gauche que celles qui
lui ont succédé ; de même, l’évolution des structures
syndicales (qu’on a choisi de ne pas traiter dans le
présent article) a aussi pu jouer un rôle dans le creusement de ce clivage, au point de faire émerger un
« nouveau rapport à la chose syndicale » (Robert,
1999). Quoi qu’il en soit, si l’on rapproche ce résultat
de celui précédemment énoncé, on constate une disjonction entre conservatisme scolaire et positionnement politique : les enseignants les plus âgés sont à
la fois ceux qui sont le plus attachés au passé de
l’institution scolaire et ceux qui se déclarent le plus
souvent à gauche. Ce profil d’enseignants à la fois
nostalgiques du passé et ancrés à gauche apparaissait déjà dans de précédentes enquêtes (Demailly,
1985 ; Chapoulie, 1987) mais, alors que ce groupe
était présenté comme minoritaire, il semble aujourd’hui
représenter une part beaucoup plus importante du
monde enseignant. Une telle proposition doit néanmoins être nuancée en fonction de l’évolution du
recrutement social, susceptible de peser sur les
­différentes générations d’enseignants.
Les effets de la mobilité sociale
sur les représentations politiques
Depuis la fin des années 1970, le recrutement social
des enseignants s’est beaucoup élevé : entre 1977
et 1997, la part des enfants d’agriculteurs et des
enfants d’ouvriers a baissé (passant respectivement
de 12,5 % à 9,8 % et de 28,7 % à 23,5 %), celle des
enfants d’employés est passée de 11,3 % à 15,4 %
et la proportion des enfants de cadres et professions
intellectuelles supérieures a augmenté de 12,4 % à
17,2 % (Vallet & Degenne, 2000, p. 35). Dans le même
temps, la part des enfants d’enseignants est passée
de 8 % à 10 %, alors que les enseignants ont continué à ne représenter qu’environ 4 % de la population
active totale. Certes cette élévation de l’origine
sociale des enseignants est à peine plus importante
que celle qu’a connue l’ensemble de la population
active occupée, mais elle reflète un ­profond changement des conditions d’accès à cette profession. Pour
ceux qui ont été recrutés le plus récemment, l’accès
au métier d’enseignant n’est plus nécessairement
synonyme de promotion sociale et culturelle mais
peut signifier stagnation, reproduction ou déclin. Il en
découle un clivage générationnel qui prend des formes un peu différentes selon le degré d’enseignement. L’augmentation de la part des enfants issus
des catégories moyennes et supérieures est plus
saillante dans le primaire que dans le secondaire :
dans le premier degré, la proportion d’enseignants de
parents cadres est passée de 11,3 % à 13,0 %
entre 1977 et 1997 (alors qu’elle a baissé dans le
second degré de 21,5 % à 19,7 %) et celle d’enfants
de profession intermédiaire a bondi de 13,9 % à
18,0 % (tandis qu’elle augmentait de 16,7 % à 18,6 %
dans le second degré, voir Vallet & Degenne, 2000,
p. 37). Dans le même temps, la part des enfants
d’ouvriers a reculé dans le primaire alors qu’elle est
restée stable dans le secondaire. En l’espace de vingt
ans, l’écart qui existait du point de vue des origines
sociales entre enseignants du premier et du second
degrés s’est donc considérablement réduit. Cette
évolution nous conduit à relativiser le clivage longtemps considéré comme structurant entre les deux
corps professionnels et à prendre en compte les différences de générations qui les traversent, notamment pour analyser les représentations politiques.
Le codage de l’origine sociale
Tous les questionnaires que nous avons recueillis comportent des indications sur la profession du père et de la
mère des répondants. Pour ne pas restreindre l’origine
sociale à la profession du père, on a choisi une méthode
combinant les deux informations :
–– lorsque l’un des deux parents est enseignant, l’origine sociale a été codée « enseignant », quelle que
soit la profession du conjoint, pour rendre compte
des particularités que cette forme d’hérédité
­engendre ;
–– lorsque la profession d’un seul parent est renseignée
ou que l’un des deux parents est inactif, l’origine
sociale retenue est celle du parent actif ;
–– lorsque les deux parents exercent des professions
relevant de la même catégorie sociale, l’origine
sociale retenue est celle commune aux deux ;
–– lorsque la profession du père renvoie à une catégorie sociale différente de celle de la mère (par exemple père « ouvrier » et mère « employée »), l’origine
sociale retenue est celle du père lorsque le répondant est un homme et celle de la mère lorsqu’il s’agit
d’une femme.
Ce dispositif nous a permis de tenir compte de la profession du père et de la mère, sans privilégier l’une par
rapport à l’autre. Pour plus de lisibilité, on a choisi de
Les effets politiques des transformations du corps enseignant 69
regrouper les professions ainsi codées dans des catégories plus larges. Les enfants d’employés ont été regroupés avec les enfants d’ouvriers parmi les catégories
populaires. Les enfants d’exploitants agricoles, à défaut
de connaître la taille de l’exploitation, ont été rangés
parmi les catégories supérieures car, dans le Nord-Pasde-Calais, les gros exploitants agricoles l’emportent
­largement sur les petits propriétaires (le terme « supérieures » renvoie ici au fait de détenir un certain capital
économique).
Lorsqu’on croise l’origine sociale avec le positionnement politique, on voit se dessiner plusieurs types de
trajectoires (voir le tableau 7). Le premier groupe se
compose de ceux pour qui l’accès à la condition enseignante représente une promotion sociale : issus de
parents ouvriers et employés, ils se disent nettement
plus souvent à gauche que l’ensemble de leurs collègues. Cette correspondance entre origine populaire et
ancrage à gauche masque néanmoins une différence
entre, d’un côté, les enfants d’ouvriers, très significativement marqués à gauche et, de l’autre, les enfants
d’employés qui, eux, sont plus proches de la moyenne
des autres enseignants. Le deuxième pôle rassemble
ceux qui sont issus de catégories supé­rieures : qu’ils
soient enfants de cadres supérieurs, d’exploitants
agricoles ou de chefs d’entreprise, ils se positionnent
toujours plus à droite que leurs collègues. Pour eux,
l’accès à l’enseignement représente une forme de
mobilité possiblement vécue comme descendante,
dans le sens où elle correspond à un déclin au regard
de la réussite économique. Le troisième pôle regroupe
les trajectoires relativement stables parmi lesquelles
on peut déceler deux types de parcours. D’un côté, les
enseignants eux-mêmes enfants d’enseignants sont
ceux qui se déclarent le plus souvent à gauche, voire
très à gauche ; on peut voir là l’héritage d’une identité
sociale et politique qui se reproduit d’autant plus sûrement qu’elle est portée par des parents dont la profession réside dans la transmission. De l’autre, ceux qui
sont issus des classes moyennes non enseignantes
(c’est-à-dire cadres moyens ou professions intermédiaires) affichent un positionnement politique à peu
près identique à celui des autres. En somme, l’élévation de l’origine sociale des enseignants a sans doute
contribué à modifier les représentations politiques de
ce corps professionnel ancré à gauche. L’augmentation de la part de ceux pour qui l’accès à l’enseignement ne représente pas une promotion est allée de
pair avec un plus grand éclectisme politique.
L’impact de l’hétérogamie
Si l’origine sociale constitue un marqueur de socialisation primaire susceptible de se transformer tout
au long de la trajectoire, l’appartenance sociale du
(de la) conjoint(e) influence plus directement, et parfois dans un sens opposé, les orientations politiques
des enseignants (voir le tableau 8).
Tandis que l’origine populaire des parents fait plutôt
pencher à gauche, le fait d’être en couple avec un
conjoint de catégorie populaire oriente plutôt vers la
droite. Cette divergence s’explique en partie par une
différence de composition du groupe des catégories
populaires : les conjoints d’enseignants appartenant
aux catégories populaires sont à 70 % employés,
alors que cette proportion n’est que de 58 % parmi la
génération des parents. De plus, la catégorie des
employés ne recouvre pas les mêmes professions
d’une génération à l’autre. Dans la génération des
parents, elle renvoie le plus souvent à des petits fonctionnaires ruraux ou à des employés d’administration
tandis que, parmi les conjoints, il s’agit davantage de
professions liées au commerce ou à la comptabilité
lorsque ce sont des femmes, et des métiers d’ordre
lorsque ce sont des hommes (policiers ou militaires).
En revanche, la proximité avec les catégories supérieures influence toujours dans le même sens l’orien-
Tableau 7. – L’influence de l’origine sociale des enseignants sur leur positionnement politique
Très à gauche
À gauche
Au centre
À droite
NSP
Total
Catégories populaires*
  7,1  %
47,0  %
19,6  %
18,6  %
7,7  %
100,0  %
Catégories supérieures**
  6,2  %
38,5  %
20,3  %
28,2  %
6,8  %
100,0  %
Professions intermédiaires
  8,6  %
43,2  %
21,0  %
21,6  %
5,4  %
100,0  %
Enseignants
12,8  %
47,6  %
20,0  %
15,5  %
4,1  %
100,0  %
Ensemble
  8,4  %
44,2  %
19,9  %
20,7  %
6,8  %
100,0  %
*Regroupant les enseignants de parents ouvriers et employés ; **regroupant les enfants de cadres supérieurs, chefs d’entreprise, petits patrons
et exploitants agricoles. Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité » (n = 2 585) ; khi 2 = 56 ; ddl = 12 ; p < 0,0 001.
70 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Tableau 8. – L’influence de la profession du (de la) conjoint(e) des enseignants
sur leur positionnement politique
Très à gauche
À gauche
Au centre
À droite
NSP
Total
Catégories populaires*
  6,9  %
44,8  %
16,3  %
23,7  %
8,3  %
100,0  %
Catégories supérieures**
  4,5  %
32,9  %
24,8  %
30,7  %
7,1  %
100,0  %
Professions intermédiaires
  7,2  %
43,4  %
23,2  %
19,7  %
6,5  %
100,0  %
Enseignants
11,0  %
50,4  %
16,8  %
16,8  %
5,0  %
100,0  %
Ensemble
  8,4  %
44,2  %
19,9  %
20,7  %
6,8  %
100,0  %
*Regroupant les conjoints d’ouvriers et d’employés ; **regroupant les conjoints de cadres supérieurs, chefs d’entreprise, petits patrons et
exploitants agricoles. Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants vivant ou ayant vécu en couple
(n = 2 095) ; khi 2 = 79,6 ; ddl = 12 ; p < 0,0 001.
tation politique : lorsque le conjoint est cadre supérieur, chef d’entreprise ou petit patron, l’ancrage à
droite est beaucoup plus net et les sympathies à gauche ou très à gauche font figure d’exception. Cette
forme d’hétérogamie concerne d’ailleurs principalement les femmes : dans 82 % des cas, les enseignants vivant avec des cadres supérieurs ou avec des
chefs d’entreprise sont des femmes. Dans ce type de
configuration, l’enseignement représente davantage
une profession d’appoint pour le ménage, à la fois en
termes de salaire et d’identité symbolique. Cette
façon d’envisager le métier est propice au temps partiel et peut même conduire à abandonner l’enseignement lorsque les obligations sociales et matrimoniales
découlant d’un « beau mariage » ­l’emportent sur le
projet professionnel (Cacouault-Bitaud, 2007, p. 71).
Enfin, le fait d’avoir un conjoint enseignant favorise
l’ancrage à gauche, dans des proportions plus importantes encore que si l’un des parents est enseignant.
Cette forme d’homogamie semble garantir là encore
la reproduction d’une orientation politique d’autant
plus stable qu’elle s’effectue dans un univers social
homogène. Le positionnement politique des enseignants est donc déterminé par d’autres variables que
celles qui conditionnent le rapport au métier et au statut. L’élévation du recrutement social des enseignants
a contribué à atténuer le fort ancrage à gauche au
sein de cette catégorie parti­culière de fonctionnaires.
De même, la progression de la féminisation a sans
aucun doute eu des effets sur le recrutement social
des conjoints : dans les années 1960, le modèle qui
prévalait était celui d’un enseignant marié avec une
femme de statut égal ou inférieur au sien ; l’arrivée
dans le métier de nouvelles générations de femmes,
souvent en couple avec des hommes dont la situation
professionnelle est supérieure à la leur, a également
contribué à un plus grand éclectisme politique.
Conclusion
L’enquête statistique menée auprès des enseignants du primaire et du secondaire éclaire d’un jour
différent la crise de reproduction que traverse actuellement le corps enseignant (Poupeau, 2004). Pour
cerner les transformations de ce groupe social dans
sa globalité, on s’est efforcé de dresser un tableau
qui rende compte à la fois du rapport au statut et au
niveau des élèves et du positionnement à l’égard de
la politique. Tandis que de nombreux travaux ont
­analysé le rapprochement du primaire et du secondaire comme l’émergence d’une identité collective
­commune à l’ensemble des enseignants (Hirschhorn,
1993), l’attention portée aux différences de genre,
d’origine sociale, de trajectoire et d’âge fait apparaître d’autres clivages que celui qui sépare les personnels en fonction de leur niveau d’enseignement. Bien
sûr, l’histoire propre à chacun de ces deux univers
pèse sur le rapport au métier et les orientations poli­
tiques de chaque groupe. Mais, au-delà de cette partition, on assiste à l’émergence de clivages qui
condensent des formes différentes d’accès au métier
et de déroulement de carrière. D’un côté, ceux qui
sont en poste depuis plus de vingt ans et qui ont vu
leur carrière stagner sont ceux qui se montrent les
moins satisfaits de leur salaire et les plus critiques à
l’égard du niveau actuel des élèves. Cette forme de
conservatisme scolaire s’accompagne d’un très fort
ancrage à gauche : en raison de leur origine sociale
et du rôle qu’a joué l’école dans leur trajectoire, ils
s’identifient aux candidats et aux partis marqués à
gauche. De l’autre côté, ceux qui sont arrivés en
poste à partir des années 1990 sont issus de milieux
plus favorisés ; ils n’ont aucune nostalgie des élèves
d’antan et s’accommodent mieux des publics ­auxquels
Les effets politiques des transformations du corps enseignant 71
ils sont confrontés, mais ils sont moins enclins que
leurs aînés à choisir un camp politique : ils semblent
faire preuve d’un désinvestissement à l’égard de l’institution scolaire et à l’égard des identifications partisanes. Cette relation établie entre les évolutions d’un
groupe professionnel et ses représentations politiques fait apparaître une dimension rarement prise en
compte dans les études sur l’institution scolaire : elle
révèle la façon dont les transformations de la condition enseignante peuvent se répercuter sur le positionnement politique de ce groupe social, éclairant
ainsi les composantes d’un ancrage à gauche moins
marqué que par le passé.
Alexis Spire
[email protected]
CERAPS, université du droit et de la santé-Lille 2
notes
(1) Cette césure se retrouve encore aujourd’hui dans la nomenclature des catégories socioprofessionnelles : agrégés et certifiés
sont rangés parmi les cadres et professions intellectuelles du
supérieur (PCS n° 34) tandis que les professeurs des écoles et
instituteurs sont parmi les professions intermédiaires (PCS
n° 42).
(4) Il faudrait ajouter le cas des enseignants du secondaire devenus
chefs d’établissement (Barrère, 2006, p. 12-20).
(2) Il s’agit d’anciens instituteurs ayant effectué des études supérieures et sollicités pour enseigner deux, voire trois disciplines.
(5) Les catégories utilisées ici et dans la suite de l’article corres­
pondent aux intitulés d’une question formulée en ces termes :
« Pouvez-vous nous dire où vous vous situez : très à gauche, à
gauche, au centre, à droite, très à droite ? » En raison de leur
nombre très faible, les enseignants se déclarant « très à droite »
ont été regroupés avec ceux se reconnaissant « à droite ».
(3) Ici comme dans la suite du texte, les écarts de pourcentage mentionnés sont significativement différents de 0 au seuil de
0,1 point.
(6) Entre 1971 et 1980, 52 % des instituteurs recrutés l’ont été sans
concours, mais cette proportion tend à baisser par la suite
(Migeon, 2000, p. 30-31).
Bibliographie
BARRÈRE A. (2002). Les enseignants au travail : routines
incertaines. Paris : L’Harmattan.
BARRÈRE A. (2006). Sociologie des chefs d’établissement.
Les managers de la République. Paris : PUF.
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Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Structure et dynamique
de la ségrégation sociale
dans les collèges parisiens
Pierre Merle
Cet article étudie l’évolution de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens publics et privés de 2005
à 2008 à partir d’une exploitation secondaire de la base IPES (Indicateurs de pilotage des établissements du
secondaire). L’analyse autorise les trois principaux résultats suivants. Premièrement, une minorité de collèges,
au recrutement très aisé ou très populaire, participe de façon forte à la ségrégation globale. Deuxièmement, la
ségrégation sociale inter-collèges, stable entre 2005 et 2006, est croissante lors des rentrées ultérieures (2007
et 2008), parallèlement à la mise en œuvre de l’assouplissement de la carte scolaire. Enfin le secteur privé, non
soumis à la carte scolaire, se caractérise par une ségrégation sociale plus forte et participe plus largement à
la croissance de la ségrégation sociale que le secteur public. Ces résultats révèlent l’emprise croissante d’une
norme de l’entre-soi scolaire et, de façon concomitante, un recul des principes et pratiques de mixité sociale
dans les collèges parisiens.
Descripteurs (TESE)  : exclusion sociale, carte scolaire, égalité des chances, enseignement public, enseignement
privé.
L
e thème de la ségrégation sociale est central dans
les recherches sur l’école, pour au moins trois
raisons. Premièrement, les chercheurs ont montré
que la ségrégation sociale inter-établissements est
globalement d’autant plus élevée que le choix de
l’établissement est libre (Hirtt, 2007  ; Mons, 2007).
Deuxièmement, de nombreuses recherches, tant
inter­nationales (Vandenberghes, 2001  ; Monseur
& Crahay, 2008) que nationales (Piketty & Valdenaire,
2006  ; Duru-Bellat & Suchaut, 2005), ont mis en évidence que les contextes de scolarisation, tout parti
culièrement le niveau de ségrégation sociale, participent à la construction des inégalités des trajectoires
scolaires. Enfin la France fait partie des pays de
l’OCDE dans lesquels la proportion d’écoles socialement mixtes est l’une des plus basses, de l’ordre de
40  % (Monseur & Crahay, 2008). Pour ces raisons, il
devrait exister une vigilance spécifique à l’égard de
l’évolution du recrutement social des établissements
scolaires et des politiques à mettre en œuvre pour
limiter la proportion d’établissements socialement
défavorisés. Si les études internationales, type PISA
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 73-85
(Program for international student assessment), autorisent une quantification du niveau de ségrégation
sociale des élèves selon les pays, il s’agit de mesures produites par échantillonnage qui ne permettent
pas d’appréhender le niveau de ségrégation sociale
à une échelle régionale ou communale. La présente
recherche a pour objet de combler en partie cette
lacune, en s’attachant à l’analyse de la situation des
collèges parisiens publics et privés étudiés de façon
diachronique (de 2005 à 2008). La connaissance diachronique de la ségrégation sociale présente l’avantage d’étudier les effets de la politique d’assouplissement de la carte scolaire mise en œuvre à la rentrée
2007. Cette modification des modalités d’affectation
des élèves a-t-elle permis d’atteindre un des objectifs poursuivis  : l’amélioration de la mixité sociale,
source d’efficacité et d’équité  ?
La ségrégation sociale :
un processus scolaire récurrent
La ségrégation sociale n’est nullement un phénomène nouveau. Toutes les recherches sur le système
éducatif français montrent que l’organisation des
enseignements au cours des siècles précédents était
principalement fondée sur la séparation des populations scolaires selon leur genre (Lelièvre & Lelièvre,
1991) et leur statut social (1) (Lelièvre, 1990). Au xixe
et au début du xxe siècle, dès les classes élémen­
taires, des cursus distincts quasiment étanches
étaient expressément conçus pour les enfants du
peuple et ceux des notables. Seuls ces derniers
avaient d’ailleurs quelques chances de parvenir au
baccalauréat. Il a fallu les réformes de l’entre-deuxguerres et la période gaulliste (la scolarisation obligatoire portée à 16 ans et la réforme Fouchet de 1963),
ainsi que la création du collège unique en 1975, pour
réunir dans la même structure éducative les enfants
que leurs origines sociales distinguaient.
Ce grand mouvement d’homogénéisation structurelle du premier cycle du second degré a permis une
diffusion considérable de l’accès au lycée et aux études supérieures. Les deux tiers d’une génération des
sortants du système éducatif ont désormais un baccalauréat et un quart est titulaire d’une licence. Paradoxalement, alors que ce mouvement d’unification a
soulevé l’espoir d’une démocratisation de l’enseignement, les recherches ont montré la prégnance des
fractures scolaires (Oberti, 2007), une ségrégation
­ethnique marquée (Felouzis, Liot & Perroton, 2005),
74 l’accroissement de la différenciation sociale des ­filières
du second cycle (Merle, 2000 ; Duru-Bellat & Kieffer,
2008), l’embourgeoisement du recrutement des grandes écoles telles que l’ENS, HEC, l’École polytech­
nique, l’ENA (Albouy & Wanecq, 2003). La démocratisation est finalement discutée, voire en trompe-l’œil,
avec depuis vingt ans, un accroissement continu des
inégalités des durées des études entre les élèves les
plus et les moins scolarisés (Merle, 2009a). Les ségrégations sociales et scolaires, celles qui semblaient avoir
été vaincues par les volontés réformatrices successives, ont renouvelé leur forme. Elles sont moins présentes dans les organigrammes mais se sont réincar­
nées dans la différenciation des établissements via la
multiplication des options et cursus dits adaptés.
Cette récurrence de la ségrégation sociale des
populations scolaires est peu quantifiée. Le niveau
d’homogénéité ou de ségrégation sociale des publics
scolaires est certes connu par les études sur le recrutement des différentes filières de scolarisation des
enseignements secondaire ou supérieur. L’exploitation des sources statistiques a notamment permis de
montrer l’existence d’une démocratisation ségré­
gative (Merle, 2000), mais a occulté des inégalités
plus opaques, celles résultant des conditions de scolarisation au niveau du collège. La connaissance
concrète de cette nouvelle ségrégation, liée notamment à la multiplication des options, constitue un
champ de recherche déjà balisé par les investigations
qualitatives (van Zanten, 2001), mais en grande partie
délaissé par les approches quantitatives.
La recherche : choix de la commune
et problèmes de mesure
Le choix de Paris
Pour l’étude de la ségrégation sociale, la commune
de Paris, qui correspond à l’académie du même nom,
présente des intérêts spécifiques. Premièrement, sa
taille. Avec 2,2 millions d’habitants (INSEE, 2009), la
commune scolarise la plus importante population de
collégiens, répartis en 176 collèges en 2008. À titre
de comparaison, les capitales régionales (Bordeaux,
Lille, Rennes…) comptent seulement une grosse vingtaine de collèges. Deuxièmement, la diversité sociale.
La proportion de ménages parisiens imposés à ­l’impôt
de solidarité sur la fortune est particulièrement élevée
(supérieure à 4 %, contre moins de 1 % pour les
ménages français) et, à l’autre bout de l’échelle
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
sociale, les bénéficiaires du RMI sont légèrement plus
nombreux que la moyenne nationale (3,36 % contre
3,12 % pour la France). Troisièmement, l’organisation
des enseignements dans la commune de Paris se
caractérise par une part importante de collégiens et
lycéens scolarisés dans les établissements privés.
Seuls les secteurs privés des académies de Rennes
et de Nantes scolarisent une proportion plus forte
d’élèves (Maetz, 2004). Enfin la politique d’assouplissement de la carte scolaire s’est donnée notamment
pour objectif d’assurer une plus grande mixité sociale.
La capitale, par son importance, est un bon test de la
pertinence de cette politique scolaire afin de savoir si
cette dernière a, même partiellement, atteint son but.
Les problèmes de mesure
de la ségrégation sociale
Comme toute question relativement nouvelle,
la connaissance de la ségrégation sociale inter-­
établissements pose des problèmes de mesure :
que mesure-t-on et comment ? Pour les communes
importantes, a fortiori pour Paris, il est nécessaire
d’avoir recours au minimum à deux échelles d’observation : les évolutions globales, relatives à la totalité
des collèges ; les évolutions particulières, par établissement, éventuellement regroupés par arrondissement. La ségrégation sociale inter-collèges est aussi
potentiellement dépendante d’une structure scolaire
distinguant les enseignements public et privé. Dans
le secteur public, l’affectation des élèves dépend de
la carte scolaire avec possibilité de dérogation. Dans
le secteur privé, le choix des parents est libre, bien
que soumis à l’accord du chef d’établissement. Cette
politique d’affectation des élèves est-elle favorable à
la mixité sociale ? La question est d’autant plus sensible que, lors des rentrées scolaires 2007 et 2008, la
politique d’assouplissement de la carte scolaire a
considéré que l’objectif de mixité sociale relevait de
mesures d’affectation des élèves relatives au seul
secteur public et a souhaité que ce secteur puisse, à
terme, être régulé par le principe du libre choix de
l’établissement, en vigueur dans le secteur privé.
La mesure d’un phénomène social est indissociable
des sources statistiques disponibles. La base IPES
du ministère de l’Éducation nationale fournit sur chaque établissement un certain nombre d’informations :
proportion de redoublants, part des élèves étrangers,
sections d’adaptation, sex-ratio, origine sociale…
Cette base permet toutefois une perspective historique limitée car les données ne sont accessibles que
depuis la rentrée scolaire 2004, et seulement depuis
2005 de façon homogène. L’analyse a été menée sur
quatre années scolaires, de 2005 à 2008. Cette
période est suffisante pour mettre en évidence une
évolution possible de la ségrégation sociale et un
effet de la politique d’assouplissement de la carte
scolaire à partir de la rentrée 2007. Il existe plusieurs
façons de mesurer la ségrégation sociale. La seule
connaissance de la proportion des élèves favorisés
ou défavorisés scolarisés dans chacun des 176 collèges de la capitale constitue un indicateur global, mais
pertinent, des concentrations des populations scolaires selon leur origine sociale. Cette première mesure
de la dispersion, robuste mais limitée, est complétée
par le calcul de l’indice de dissimilarité ID (voir
­l’annexe 1). Il permet de connaître la proportion
d’indi­vidus discriminés – plus précisément ayant une
caractéristique sociale spécifique telle que le sexe,
l’origine sociale, l’âge – qui devraient changer de quartier ou de banlieue (dans le cas présent, de ­collège)
afin de parvenir à une répartition spatiale non discriminatoire de la population selon le critère c
­ onsidéré.
Analyse gobale de la ségrégation sociale
inter-collèges à Paris
Données globales
Une première approche de la ségrégation sociale
inter-collèges est de connaître la distribution des élèves d’origines défavorisée et favorisée. La part de ces
deux populations est spécifique dans l’académie de
Paris. La proportion d’élèves d’origine aisée est en
effet presque deux fois supérieure à la moyenne
nationale (44,5 % à Paris ; 23,0 % pour l’ensemble
des collèges en 2008) et les élèves d’origine défavorisée sont deux fois moins présents (16,9 % à Paris ;
33,9 % pour la moyenne nationale). Cette proportion
réduite d’élèves d’origine défavorisée pourrait limiter
les phénomènes de ghetto scolaire. Il n’en est rien.
La distribution des élèves défavorisés est très dispersée : dans 10 % des collèges (soit 17 collèges), la
part des élèves scolarisés d’origine défavorisée est
inférieure à 2,5 % alors que dans 6,2 % des collèges
les plus populaires (soit 11 collèges), cette part dépasse
50 % (voir le graphique 1). Une façon complé­mentaire
de saisir globalement la ségrégation sociale des
­collèges parisiens est de connaître la répartition des
élèves d’origine favorisée. La distribution est marquée
par une dispersion encore plus sensible. La pro­
portion d’élèves d’origine favorisée varie de 3,2 %
(collège public Utrillo dans le 18e ­arrondissement de
Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 75
Paris) à 95,2 % (collège privé St-Louis Gonzague
dans le 16e arrondissement) et 18 collèges, soit
10,2 % du total, accueillent plus de 75 % ­d’élèves
d’origine favorisée (voir le graphique 2). De 2005
Graphique 1. – Répartition des 176 collèges
parisiens publics et privés selon leur part
d’élèves scolarisés d’origine défavorisée en 2008
Lecture : dans 76 collèges parisiens, la part d’élèves scolarisés
­ ’origine défavorisée est inférieure à 10%.
d
Graphique 2. – Répartition des 176 collèges
parisiens publics et privés selon leur part
d’élèves scolarisés d’origine favorisée en 2008
Lecture : dans 106 collèges parisiens, la part d’élèves scolarisés
d’origine favorisée est inférieure à 50%.
à 2008, ces deux distributions sont grosso modo
comparables. Les représentations graphiques permettent de saisir l’importance des écarts de recrutement social sans autoriser une analyse diachronique.
La mesure diachronique
de la ségrégation sociale inter-collèges
Le calcul de l’indice de dissimilarité permet de
connaître le niveau et l’évolution de la ségrégation
sociale dans les collèges parisiens sur la période étudiée. L’indice est de 43,8 % en 2008 (voir le tableau 1).
À cette date, il faudrait intervertir 5 105 élèves d’origine populaire (soit 36,4 % d’entre eux) inscrits dans
les collèges populaires avec 5 105 élèves d’autres
origines sociales (soit 7,4 % d’entre eux), scolarisés
dans les établissements au recrutement social moyen
et supérieur, pour assurer, quel que soit le collège,
une répartition équivalente entre les élèves défavorisés et les élèves des autres catégories sociales.
À titre de comparaison, pour une commune comme
Rennes, l’indice de dissimilarité est de 29 % en 2006
(Merle, 2009b). L’indice de dissimilarité parisien est
donc élevé (2).
L’indice baisse très légèrement de 2005 à 2006
(de 42,3 à 42,2 %, soit – 0,1 point) et est passé de
42,2 % en 2006 à 43,8 % en 2008, soit une hausse
de 1,6 point en deux ans (voir le tableau 1). Une
hausse de 0,8 point annuel doit être considérée
comme soutenue (3). On observe une hausse de la
ségrégation sociale alors que, sur la période 20052008, la proportion d’élèves d’origine défavorisée a
baissé dans les collèges parisiens, faiblement de
2005 à 2006 (– 0,2 point), nettement dans les deux
années suivantes (– 1,5 point, soit – 0,75 point par
an). Cette baisse aurait été un facteur favorable à la
baisse de la ségrégation sociale si elle avait concerné
davantage les établissements au recrutement populaire. La hausse de l’indice de dissimilarité indique
globalement des mouvements inverses : une baisse
des catégories populaires dans les collèges où elles
Tableau 1. – Indice de dissimilarité et proportion d’élèves d’origine défavorisée dans les collèges
parisiens de la rentrée 2005 à la rentrée 2008
2005
2006
Écart entre
2005 et 2006
2008
Écart entre
2006 et 2008
Proportion d’élèves défavorisés
20,0  %
19,2  %
–  0,2
17,7  %
–  1,5
Indice de dissimilarité
42,3  %
42,2  %
–  0,1
43,8  %
+ 1,6
Lecture : dans les collèges parisiens, l’indice de dissimilarité est de 42,3 % en 2005. De 2005 à 2006, l’indice de dissimilarité a baissé de
0,1 point.
76 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
étaient déjà sous-représentées et une hausse dans
les collèges populaires. Une question centrale est
l’explication de la stabilité de l’indice de dissimilarité
de 2005 à 2006 et sa croissance à partir de 2007. Soit
la croissance de l’indice de dissimilarité reflète la
croissance de la ségrégation urbaine, soit elle résulte
de l’assouplissement de la carte scolaire mis en
œuvre à la rentrée 2007 dans le secteur public, soit
enfin elle provient d’une croissance de la ségrégation
dans le secteur privé, hypothèse étudiée ultérieurement. Ces trois explications ne sont pas exclusives et
chacune doit être envisagée.
Croissance de la ségrégation inter-collèges
et ségrégation urbaine : quelle relation ?
De 1990 à 1999, la ségrégation urbaine dans Paris
et sa métropole est marquée par des mouvements
contraires de ségrégation et de « déségrégation ». La
ségrégation est croissante pour environ 60 % des
effectifs des catégories sociales aisées, décroissante
pour la quasi-totalité des effectifs des professions
intermédiaires et contrastée pour les catégories
populaires. La tendance est à la ségrégation sociale
pour les ouvriers et à la « déségrégation » parmi les
employés, bien que la ségrégation domine pour les
employés administratifs d’entreprise (Préteceille,
2006). Cette dynamique socio-spatiale relative à la
période 1990-1999 présente deux limites : elle
concerne la métropole parisienne et non Paris seul ;
les évolutions les plus récentes ne sont pas connues.
Le recours aux recensements de 1999 et 2006, en se
limitant à la ville de Paris, permet d’actualiser ces
résultats. Les cadres, déjà fortement surreprésentés
à Paris, connaissent une croissance forte de leurs
effectifs (+ 23,4 %), notamment dans les arrondissements moyens-populaires (4) (+ 33,8 %). Il en est de
même des professions intermédiaires. Parallèlement,
les employés et ouvriers, déjà sous-représentés, quittent la capitale. Il existe un double mouvement de
déprolétarisation globale de la capitale et d’appropriation des quartiers populaires par les catégories
moyennes et supérieures (voir le tableau 2).
La déprolétarisation de la capitale et la gentrifi­
cation des quartiers moyens et populaires sont structurellement un facteur de baisse de la ségrégation
Tableau 2. – Évolution des catégories socioprofessionnelles à Paris par type d’arrondissement,
entre 1999 et 2006
Artisans,
commerçants,
chefs
d’entreprise
Cadres
Professions
intermédiaires
Employés
Ouvriers
Retraités
Effectif total en 1999
68 806
393 871
259 408
275 446
116 504
330 151
Effectif total en 2006
58 435
486 203
282 656
258 446
  98 499
331 531
Évolution des catégories
socioprofessionnelles
à Paris
–  15,1  %
+ 23,4  %
+ 9,0  %
–  6,2  %
–  15,5  %
+ 0,4  %
Évolution des catégories
socioprofessionnelles
dans les arrondissements
aisés
–  16,2  %
+ 16,4  %
+ 5,3  %
–  8,4  %
–  18,6  %
+ 0,3  %
Évolution des catégories
socioprofessionnelles
dans les arrondissements
moyens-supérieurs
–  13,9  %
+ 27,9  %
+ 8,7  %
–  6,5  %
–  16,6  %
+ 0,9  %
Évolution des catégories
socioprofessionnelles
dans les arrondissements
moyens-populaires
–  14,3  %
+ 33,8  %
+ 14,0  %
–  3,4  %
–  12,4  %
–  0,1  %
Lecture : le nombre de cadres a augmenté de 33,8 % dans les arrondissements moyens-populaires (de 1999 à 2006). Source : recensements
INSEE (exploitations secondaires, voir INSEE, 2009).
Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 77
sociale. Toutefois une mesure de celle-ci a été réalisée car les variations des effectifs de chaque caté­
gorie socioprofessionnelle par arrondissement ou
groupe d’arrondissements sont susceptibles de
n’exercer que des effets à la marge sur la ségrégation
urbaine. Sur les vingt arrondissements parisiens et
pour les quatre catégories sociales les plus nombreuses (voir le tableau 2), la ségrégation urbaine, mesurée par l’indice de dissimilarité, est soit stable (pour
les employés, l’indice de dissimilarité est égal à 9,3 %
en 1999 et 2006), soit en légère baisse. De 1999
à 2006, l’indice passe de 10,6 % à 10,0 % (– 0,6 point)
pour les cadres ; de 7,2 % à 7,1 % (– 0,1 point) pour
les professions intermédiaires et de 20,6 % à 19,1 %
pour les ouvriers (– 1,5 point), population nettement
plus discriminée et pour laquelle la baisse est aussi
plus sensible. Pour autant qu’une analyse plus approfondie de la ségrégation urbaine puisse mettre en évidence une croissance de la ségrégation pour des
catégories sociales plus détaillées, les éventuelles
hausses, comme dans la période 1990-1999 (Préteceille, 2006), seraient d’une ampleur annuelle faible
par rapport à l’augmentation de la ségrégation sociale
inter-collèges (5). Les variations de la ségrégation
sociale inter-collèges, soit une baisse de 0,1 point
de 2005 à 2006 et une hausse de 1,6 point de 2006
à 2008 (voir le tableau 1), indiquent aussi un découplage par rapport à la ségrégation urbaine.
à la carte scolaire ont essentiellement pour objet la
scolarisation dans un collège du groupe « urbain favorisé » afin d’éviter l’inscription dans le collège du secteur classé « urbain défavorisé » ou « mixte socialement, plutôt défavorisé » (Gilotte & Girard, 2005).
Dans quelle mesure la politique d’assouplissement de
la carte scolaire mise en œuvre depuis 2007 a-t-elle
pu favoriser la ségrégation sociale ? Cette politique a
permis une croissance du nombre de dérogations
mais celles-ci émanent de façon très minoritaire des
élèves boursiers (Obin & Peyroux, 2007). À Paris, le
rectorat indique que 82 % des élèves boursiers ayant
fait une demande de dérogation l’ont obtenue en 2007
et 74 % en 2008. Cette proportion élevée de dérogations accordées aux boursiers ne représente toutefois
que 170 dérogations en 2008, soit une proportion
inférieure à 10 % des demandes de dérogation
­accordées (6). La grande majorité des dérogations
­accordées, sollicitées principalement au titre d’un
« parcours scolaire particulier », c’est-à-dire une
demande d’options socialement distinctives, provient
donc des élèves d’origines sociales moyenne et aisée
et a favorisé, conformément aux recherches antérieures (Gilotte & Girard, 2005), une augmentation de la
ségrégation sociale inter-collèges.
Assouplissement de la carte scolaire et ­croissance
de la ségrégation sociale inter-collèges
Pour expliquer ce phénomène, notamment depuis
l’assouplissement de la carte scolaire à partir de 2007,
il faut faire l’hypothèse d’une norme d’entre-soi scolaire croissante favorisée par le nouveau processus
de dérogation. Cette norme est à la fois construite et
subie par les acteurs de l’école. La croissance de la
ségrégation sociale résulte en effet des décisions prises lors de la journée de dérogation où sont étudiées
les demandes d’affectation des parents (Visier & Zoïa,
2008). Des demandes de dérogation croissantes indiquent des stratégies d’évitement parentales plus fréquentes et une partie d’entre elles débouche, si elles
sont satisfaites par les autorités administratives, sur
une hausse de l’indice de dissimilarité. Si l’inspection
académique et les demandes parentales participent à
la définition d’une norme scolaire de l’entre-soi,
d’autres acteurs y contribuent, notamment les rectorats et les chefs d’établissement, par la constitution
d’une offre pédagogique plus ou moins différenciée,
qui oriente le choix des parents.
Les affectations des élèves hors secteur suivent une
logique sociale identifiée de longue date par la littérature : les demandes de dérogation et les affectations
hors secteur sont sensiblement plus fréquentes pour
les catégories aisées (Ballion & Œuvrard, 1987 ;
Chausseron, 2001 ; François & Poupeau, 2008 ; van
Zanten, 2009). Sur Paris, les demandes de dérogation
La croissance même modérée de la ségrégation
urbaine « ethno-raciale » (Préteceille, 2009), associée
à l’assouplissement de la carte scolaire, a probablement contribué aussi à l’emprise de la norme scolaire
de l’entre-soi et à la croissance de la ségrégation
sociale inter-collèges observée sur la période 20062008. Les populations étrangères ont en effet une
Si l’augmentation de la ségrégation sociale intercollèges ne peut être globalement reliée à la ségrégation urbaine, elle est susceptible d’être en rapport
avec les nouvelles modalités de dérogation des élèves, mises en œuvre en 2007 et 2008. Celles-ci sont
guidées par deux principes officiellement affichés :
accroître la mixité sociale et accepter toutes les
demandes de dérogation, sous réserve de places disponibles dans les établissements les plus demandés.
L’acceptation des demandes de dérogation est favorisée par une baisse de la pression démographique
entraînant une baisse des effectifs des collégiens de
6,1 % de 2000 à 2008 (MEN, 2006, 2009).
78 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
visibilité sociale et scolaire dépendante de leur visibilité médiatique, plutôt en hausse sur les dernières
années, et elles sont une des raisons des comportements d’évitement des établissements populaires aux
réputations scolaires et sociales dégradées. La Cour
des comptes (2009) indique que sur un total de
254 collèges « ambition réussite », qui scolarisent
­fréquemment une forte proportion d’élèves d’origine
étrangère, 186 ont perdu des élèves.
La ségrégation sociale inter-collèges :
l’analyse par établissement
Il est nécessaire d’approfondir l’analyse en cherchant à connaître les collèges qui contribuent le plus
à la ségrégation sociale. L’investigation a été menée
dans trois groupements d’arrondissement précédemment définis afin d’éviter un émiettement des données, certains arrondissements comptant moins de
cinq collèges. La contribution d’un collège à la ségrégation sociale est en hausse (ou en baisse) si sa proportion d’élèves défavorisés s’éloigne (ou se rapproche) de la moyenne des élèves défavorisés dans le
groupement d’arrondissement considéré, respec­
tivement 8,8 %, 18,8 % et 32,8 % en 2008, pour
les arrondissements aisés, moyens-supérieurs et
moyens-populaires.
Une contribution très inégale des établissements
à la ségrégation sociale
Dans les arrondissements aisés, la contribution
théorique de chacun des 75 collèges à l’indice de
dissimilarité est de 1/75 (soit 1,3 %). Or 10 % de ces
établissements (8 sur 75) expliquent plus du tiers de
la ségrégation sociale. Ces établissements présentent deux profils sociaux opposés. Les premiers se
caractérisent par une proportion très faible d’élèves
défavorisés, inférieure à 2 %, tels que les collèges
privés Fénélon dans le 8e arrondissement et Stanislas
dans le 6e arrondissement. Les seconds scolarisent
une proportion élevée de collégiens d’origine populaire pour des arrondissements aisés, plus de 20 %,
voire plus de 35 % (voir le tableau 3) comme les
­collèges publics Turgot (3e arrondissement), Balzac
(17e arrondissement) et Vian (17e arrondissement).
Les établissements qui contribuent fortement à la
ségrégation sociale ne constituent pas une hiérarchie
stable. De 2006 à 2008, certains ont un recrutement
Tableau 3. – Proportion d’élèves défavorisés et contribution de collèges situés
dans les arrondissements aisés à l’indice de dissimilarité (2006-2008)
Proportion
d’élèves
défavorisés
en 2006
Arrondissements aisés
Contribution
à l’ID
en 2006
Proportion
d’élèves
défavorisés
en 2008
Contribution
à l’ID
en 2008
Écart de
contribution
à l’ID entre
2006
et 2008
Effectif
des collèges
en 2006
(écart
2006-2008)
Baisse de la contribution à l’ID
Collège Balzac
(17 e)
Collège Mallarmé
Collège Fénelon
(17 e)
(8 e)
Collège Stanislas
(6 e)
PU
27,8  %
6,0  %
21,4  %
5,0  %
–  0,99
810 (+ 88)
PU
26,6  %
5,1  %
23,4  %
4,5  %
–  0,58
744 (– 39)
PV
  0,9  %
4,0  %
  1,6  %
3,7  %
–  0,34
1 056 (+ 16)
PV
  1,1  %
3,9  %
  1,3  %
3,5  %
–  0,33
1 073 (+ 89)
Hausse de la contribution à l’ID
Collège Blomet (15 e)
PV
18,4  %
2,5  %
20,0  %
3,6  %
+ 1,08
722 (+ 8)
Collège Vian (17 e)
PU
26,0  %
4,1  %
31,3  %
5,3  %
+ 1,19
627 (– 87)
Collège Say (16 e)
PU
  8,2  %
0,5  %
  6,3  %
0,8  %
+ 0,30
656 (+ 30)
Collège Turgot (3 e, ZEP)
PU
34,3  %
5,2  %
35,7  %
5,5  %
+ 0,30
519 (– 57)
Lecture : le collège public Balzac scolarise 27,8 % d’élèves défavorisés. Sa contribution à la ségrégation sociale inter-collèges (l’indice de
­ issimilarité) dans les arrondissements aisés est de 6,0 % en 2006. Cette contribution baisse de 0,99 point de 2006 à 2008. Son effectif est de
d
810 élèves en 2006 et a augmenté de 88 élèves de 2006 à 2008.
Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 79
qui se rapproche de la moyenne des arrondissements
aisés. Leur contribution à la ségrégation sociale diminue. Il en est ainsi des collèges Balzac, Mallarmé,
Fénelon et Stanislas. Les deux premiers, établissements populaires, ont un recrutement qui devient un
peu moins populaire ; les deux derniers, établissements d’excellence, un recrutement légèrement plus
populaire. Les écarts de recrutement social entre ces
deux profils de collèges demeurent toutefois considérables (voir le tableau 3).
Si certains établissements se rapprochent de la
moyenne, d’autres, au recrutement très populaire,
s’en éloignent. Il en est ainsi des collèges Blomet,
Vian ou Turgot. Ce dernier présente trois caractéristiques (voir le tableau 3). D’une part, il est classé en
zone d’éducation prioritaire, classement qui ne favorise pas une bonne réputation ; d’autre part, il est le
collège dont le recrutement est le plus populaire de
tous les collèges des arrondissements aisés et, à ce
titre, sa contribution à la ségrégation sociale est la
plus élevée ; enfin ses effectifs ont baissé de 10 % de
2006 à 2008, alors que ceux-ci avaient augmenté
de 6 % de 2005 à 2006, avant l’assouplissement de
la carte scolaire. Ces spécificités sont en partie liées.
La forte surreprésentation des élèves d’origine populaire diminue son attractivité et favorise la perte
d’effec­tif, dès que les dérogations à la carte scolaire
sont assouplies. Cette spirale du déclin est en œuvre
de façon encore plus marquée dans le collège Vian.
Depuis l’assouplissement de la carte scolaire, son
recrutement s’est prolétarisé et parallèlement son
effectif a baissé. La diminution de son effectif ­avoisine
15 % en deux ans alors qu’il était en légère augmentation auparavant (617 élèves en 2005, 627 en 2006
et 540 en 2008). Les quatre collèges « ambition
­réussite » des 18e et 19e arrondissements (collèges
­Philippe, Rouault, Utrillo, Clémenceau) connaissent la
même dynamique : perte d’effectif et prolétarisation.
Parallèlement aux évolutions qui ont marqué ces collèges populaires, des établissements au recrutement
aisé, tels celui de Say, ont gagné 30 élèves, leur
recrutement est devenu plus aisé et leur contribution
à la ségrégation sociale inter-collèges a augmenté.
Comment rendre compte de ces dynamiques démographiques et sociales ?
Des dynamiques d’établissement
à la fois ­typiques et diverses
Il est possible de distinguer deux dynamiques
d’établissements, typiques et opposées : perte d’effectif et prolétarisation vs gain d’effectif et embour80 geoisement. Toutefois les contre-exemples sont loin
d’être exceptionnels (par exemple les collèges
­Stanislas, Fénelon, Beaumarchais), si bien que les
évolutions typiques coexistent avec une diversité certaine : les pertes et gains d’élèves ne se réduisent
pas à des phénomènes de prolétarisation et d’embourgeoisement. Ainsi des collèges peuvent se prolétariser en gagnant des élèves (collèges Blomet
et Beaumarchais) ; d’autres devenir moins populaires
tout en en perdant (collège Blaise), même si cette
situation est peu fréquente (voir l’annexe 2). Il existe
des « effets établissements », des spécificités de
quartier et d’arrondissement, des particularités urbaines locales (avec, par exemple, l’ouverture de
­nouveaux logements sociaux), des espaces de
concurrence spécifique et des politiques de chefs
d’établissement qui favorisent ou ralentissent le processus général de ségrégation sociale inter-collèges
et la variation des effectifs (7).
Ces variations d’effectifs inter-collèges ne sont pas
à somme nulle. Outre un accroissement global de la
ségrégation sociale, les collèges des arrondissements
aisés gagnent 223 élèves entre 2006 et 2008 ;
ceux des collèges situés dans les arrondissements
moyens-supérieurs en gagnent 150 et les collèges
situés dans les arrondissements moyens-populaires
en perdent plus de 1 100. Or ces évolutions sont à
l’inverse des évolutions démographiques : les arrondissements moyens-populaires ont la démographie la
plus dynamique (+ 54 % des gains de population de
1999 à 2006) et les arrondissements aisés, où l’immobilier de bureau concurrence un habitat au prix
particulièrement élevé, connaissent une croissance
démographique réduite (+ 7 % de la croissance
démographique de 1999 à 2006). Ces déplacements
de population d’élèves inter-arrondissements, contraires aux évolutions démographiques, constituent une
mesure des stratégies de fuite des arrondissements
et des collèges moyens et populaires.
L’analyse de la ségrégation sociale par collège permet de dégager deux types de résultats. D’abord la
ségrégation sociale des collèges résulte, pour une
bonne part, d’un phénomène de concentration des
élèves défavorisés et favorisés dans un nombre restreint d’établissements. Ce résultat vaut pour les trois
groupements d’arrondissement réalisés. Il ne va nullement de soi et présente un intérêt pratique. Dans
les décisions d’affectation ou de dérogation des élèves, la connaissance précise et quantifiée des établissements participant le plus à la ségrégation
sociale pourrait susciter une vigilance particulière
pour ne pas déplorer globalement ce qui est par
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
ailleurs accentué localement, par exemple dans les
collèges Turgot, Vian, Beaumarchais, Fournier (voir le
tableau 3 et l’annexe 2). Ensuite, pour les établissements situés en ZEP-REP, s’ils bénéficient d’aides
spécifiques dans le cadre d’une politique de discrimination positive, ils subissent aussi, lorsque leur
contribution à l’indice de dissimilarité s’accroît, un
contexte de scolarisation de plus en plus défavorable
aux progrès scolaires de leurs élèves, c’est-à-dire
une réelle discrimination, à l’opposé de la discrimination positive dont ils sont censés bénéficier. L’analyse
a pour l’instant étudié l’évolution de la ségrégation
sociale à un niveau global et au niveau des collèges.
Une analyse de la ségrégation sociale inter-collèges
doit aussi distinguer les collèges privés des collèges
publics, seuls concernés par la politique d’assouplissement de la carte scolaire.
Graphique 3. – Part des élèves d’origine
défavorisée scolarisés dans les 176 collèges
parisiens publics (PU) et privés (PV) en 2008
tion sociale propre à chaque secteur. Celle-ci pourrait
même être plus limitée dans le secteur privé que dans
le secteur public, pour autant que les élèves d’origine
populaire, moins nombreux, seraient répartis de façon
moins inégale dans les différents collèges.
La ségrégation sociale inter-collèges :
l’effet du secteur d’enseignement
Les secteurs public et privé scolarisent des populations d’élèves nettement différenciées socialement.
Dans le secteur public, un gros tiers des collégiens
(37 %) est d’origine aisée. Cette proportion se monte
à 66 % dans le secteur privé. La différence entre les
deux secteurs d’enseignement est encore plus nette
si on compare les proportions respectives d’élèves
d’origine défavorisée : 5 % dans le secteur privé et
24 % dans le secteur public. La disproportion numérique est considérable (voir le graphique 3). Il faut
conclure à une spécialisation sociale de l’enseignement privé dans la scolarisation des enfants des catégories aisées. Cette spécialisation de chaque secteur
d’enseignement n’informe pas du niveau de ségréga-
La comparaison des indices de dissimilarité de chaque secteur d’enseignement autorise trois constats.
D’abord, quelle que soit l’année considérée, l’indice
de dissimilarité global est plus élevé que l’indice de
chaque secteur (voir le tableau 4). Ce résultat tient
aux différences du recrutement social de chaque type
d’enseignement : proportion faible d’élèves défavorisés dans le privé (5,2 % en 2008), proportion plus
forte dans le public (24,1 % en 2008). En calculant
l’indice de dissimilarité sur l’ensemble des collèges,
la dispersion des collèges par rapport à la moyenne
des élèves d’origine défavorisée est plus grande et
l’indice s’accroît.
Ensuite, de 2005 à 2008, la ségrégation sociale est
plus forte dans le secteur privé que dans le secteur
Tableau 4. – Évolution de l’indice de dissimilarité dans les collèges publics et privés
entre 2005 et 2008
2005
2006
Écart entre
2005 et 2006
2008
Écart entre
2006 et 2008
Collèges publics
33,4  %
33,4  %
+ 0,0
34,5  %
+ 1,1
Collèges privés
35,2  %
35,7  %
+ 0,5
38,8  %
+ 3,1
1,8
2,3
42,3  %
42,2  %
Indice de dissimilarité
Écart entre les collèges publics
et privés
Ensemble des collèges
4,3
–  0,1
43,8  %
+ 1,6
Lecture : dans les collèges privés, l’indice de dissimilarité est de 35,2 % en 2005. De 2005 à 2006, l’indice de dissimilarité dans le secteur privé
a augmenté de 0,5 point.
Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 81
public. Si la spécialisation bourgeoise des établissements privés est connue depuis longtemps, à la fois
dans la région parisienne (Oberti, 2007) et au niveau
européen (Delvaux, 2006), la diversité des profils
sociaux des établissements privés est peu quantifiée.
À Paris, le niveau de spécialisation sociale du secteur
privé est généralement sous-estimé. Ainsi, sur les
douze collèges scolarisant moins de 2 % d’élèves
d’origine défavorisée, onze sont privés. Ces établissements contribuent de façon forte au caractère
ségrégatif du secteur privé, car les collèges privés au
recrutement moyen sont également fréquents. Dans
le secteur public, la distribution des établissements
selon la proportion d’élèves d’origine populaire est un
peu moins inégale. Certains collèges de la capitale
ont certes un recrutement très aisé et d’autres très
populaire, mais le profil majoritaire est davantage
moyen et mixte. Ces profils de recrutements sociaux,
différents pour les collèges publics et les collèges privés, expliquent une ségrégation sociale un peu plus
forte dans les collèges du secteur privé.
Enfin la ségrégation sociale inter-collèges, plus élevée dans le secteur privé, connaît une croissance
plus soutenue que celle du secteur public. En 2005,
l’indice de ségrégation est de 33,4 % dans le public
et de 35,2 % dans le privé. L’écart est de 1,8 point.
En 2008, l’écart a plus que doublé et atteint 4,3 point
(voir le tableau 4). Comment expliquer une telle
­évolution ? Pour le secteur public, avant la politique
d’assouplissement de la carte scolaire, la limitation
des demandes de dérogation permettait une stabilité
de la ségrégation sociale. L’augmentation des dérogations acceptées a entraîné une hausse de cette
ségrégation (+ 1,1 point lors des rentrées scolaires
2007 et 2008). Cette augmentation reste toutefois
limitée par rapport au secteur privé pour au moins
une raison. À Paris, le nombre de parents dont les
demandes sont satisfaites reste faible (49 % seulement, à comparer à un taux de satisfaction national
proche des 80 %) et a limité le potentiel de ségré­
gation sociale lié à l’assouplissement de la carte
­scolaire. En revanche, pour le secteur privé, la ségrégation sociale inter-collèges augmente avant l’assouplissement de la carte scolaire (l’indice de dissimilarité augmente de 0,5 point de 2005 à 2006) et encore
davantage depuis l’assouplissement. De 2006 à 2008,
l’indice de dissimilarité augmente de 3,1 point (voir le
tableau 4). La norme de l’entre-soi scolaire s’exerce
continûment, de façon croissante et sans contrôle. La
politique d’assouplissement de la carte scolaire est
même susceptible d’avoir produit des effets pervers
en raison de l’interdépendance systémique des secteurs public et privé, déjà analysée dans les capitales
82 régionales (Barthon & Monfroy, 2006 ; Merle, 2009b).
Les annonces présidentielles et ministérielles d’assouplissement de la carte scolaire ont suscité des
espoirs et, tout autant, provoqué la déception de
parents parisiens éconduits et la fuite d’une partie
des élèves du secteur public vers les collèges privés.
Ainsi, de 2005 à 2008, le nombre de collégiens scolarisés dans le privé passe de 32,5 % à 34,0 % (soit
+ 1,5 point) et plus de la moitié de cette hausse
(+ 0,8 point) a eu lieu à la rentrée 2007. Cette croissance des effectifs du secteur privé par rapport au
secteur public est concomitante de l’augmentation
globale de la ségrégation sociale interne des collèges
privés.
Conclusion
Dans l’académie de Paris, la stabilité de la ségrégation sociale inter-collèges de 2005 à 2006 et sa croissance à partir de 2007 constituent un premier bilan
de la politique d’assouplissement de la carte scolaire.
L’objectif annoncé d’une plus grande mixité sociale
n’a pas été atteint. Au contraire, l’assouplissement de
la carte scolaire a favorisé une emprise croissante de
la norme scolaire de l’entre-soi et, de façon concomitante, un recul des principes et pratiques de la mixité
sociale. Cette recherche permet de dégager un
second résultat tout aussi essentiel. À Paris, la ségrégation sociale inter-collèges est plus forte dans le
secteur privé que dans le secteur public. De 2005
à 2008, cette ségrégation sociale s’accroît aussi plus
fortement dans le secteur privé. Il faut en tirer deux
conclusions. Si l’objectif poursuivi est celui de la
mixité sociale, le modèle du libre choix, en vigueur
dans le secteur privé, ne peut être pris comme modèle
de gestion des flux d’élèves pour le secteur public
– horizon actuel de la politique d’assouplissement de
la carte scolaire – puisqu’il s’agit du modèle le moins
performant en termes de mixité sociale. Ensuite une
politique d’affectation des élèves qui se donne pour
objectif d’augmenter la mixité sociale doit, de façon
prioritaire, modifier la gestion actuelle des flux d’élèves dans le secteur privé, dans lequel la ségrégation
sociale est la plus élevée et connaît une croissance
plus soutenue.
Si l’assouplissement de la carte scolaire a plus
favorisé la ségrégation sociale que la mixité, faut-il
pour autant revenir à la sectorisation antérieure, voire
la renforcer, pour contenir la ségrégation sociale ?
Nullement. Ce système d’affectation favorisait la
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
ségrégation urbaine (Oberti, 2007), l’élévation du prix
des logements dans les secteurs scolaires recherchés
(Fack & Grenet, 2009) et n’a pas empêché un niveau
élevé de ségrégation sociale, comme l’atteste la
situation de l’académie de Paris. Encore que, à Paris
et dans d’autres grandes villes françaises, la ségrégation sociale est parfois plus élevée dans les collèges privés non soumis à la carte scolaire. En ce sens,
il est erroné de considérer que la carte scolaire est à
l’origine de la ségrégation scolaire ou urbaine alors
que, sans carte scolaire, ces deux phénomènes sont
autant, voire davantage, présents.
Pour favoriser la mixité sociale, il reste à inventer
de nouvelles formes de régulation des demandes
parentales et de gestion de l’offre pédagogique des
établissements publics et privés. Deux pistes pourraient être explorées. D’une part, un rééquilibrage
de l’offre pédagogique entre secteurs public et privé.
La concurrence entre établissements n’a de sens
que si leurs contraintes pédagogiques sont sembla-
bles, tout particulièrement en matière d’accueil des
élèves en difficulté, actuellement massivement scolarisés dans l’enseignement public. D’autre part, des
objectifs de mixité sociale pourraient être assignés
aux établissements publics et privés. Des progrès
sensibles pourraient être obtenus dans ce domaine
si les collèges qui contribuent le plus fortement à la
ségrégation sociale se rapprochaient progressivement du recrutement social moyen. Une telle politique a été menée avec succès pour la réduction des
taux de redoublement. Au regard de l’intégration
scolaire des populations d’élèves marginalisés,
enjeu éducatif et social de première importance, une
telle politique, ciblée sur les collèges les plus éloignés de la mixité sociale moyenne, mériterait d’être
tentée.
Pierre Merle
[email protected]
Université de Haute Bretagne-Rennes 2 et IUFM
de Bretagne, université de Bretagne-Occidentale
notes
(1) Seuls les collèges communaux situés dans les petites communes, en l’absence d’une école primaire supérieure et d’un enseignement catholique concurrents, présentent une mixité sociale
non négligeable (Prost, 2008).
(2) Les comparaisons internationales de l’indice de dissimilarité ne
sont pas pertinentes. L’indice est dépendant des constructions
statistiques nationales des catégories sociales et celles-ci sont
variables selon les pays.
pements ont ainsi été définis : les arrondissements aisés (1er à 8e
et 15e à 17e) ; moyens-supérieurs (9e à 14e) ; moyens-populaires
(18e à 20e).
(5) Pour les cadres administratifs d’entreprise, pour lesquels l’autoségrégation a le plus augmenté parmi les cadres de 1990 à 1999,
l’indice de ségrégation est passé de 29,2 % à 31,5 %, soit une
hausse de 0,25 point annuel (Préteceille, 2006).
(3) Voir les variations de l’indice de dissimilarité présentées à la
note 5.
(6) Ces données chiffrées et les données ultérieures proviennent du
rectorat de Paris et de l’agence de presse AEF (AEF, 2007, 2009).
(4) L’investigation a été menée dans trois groupements d’arrondissement afin d’éviter un émiettement des données (par exemple, le
premier arrondissement de Paris ne compte que deux collèges
alors que le 13e en compte seize). Pour permettre des comparaisons pertinentes, les vingt arrondissements parisiens ont fait
l’objet de regroupements en fonction des proportions des élèves
défavorisés scolarisés dans chaque arrondissement. Trois grou-
(7) Situations typiques et diversité valent aussi pour les 21 collèges
« ambition réussite » de Marseille. À la rentrée 2009, ceux-ci ont
perdu en moyenne 8 % de leur effectif en raison des dérogations
accordées dans le cadre de l’assouplissement de la carte scolaire. Sur les 21 collèges, quatre sont attractifs, deux sont à
l’équilibre et quinze sont fuis, spécialement le collège Jean Moulin
qui a perdu 30 % de son effectif (AEF, 2010).
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Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Annexe 1. – Définition de l’indice de dissimilarité ID
ID =
1 n xi yi
∑ −
2 i =1 X Y
xi : population du groupe d’élèves défavorisés dans le collège i
yi : population du groupe d’élèves d’une autre origine sociale dans le collège i
X : population totale d’élèves défavorisés dans les collèges parisiens
Y : population totale d’élèves d’une autre origine sociale dans les collèges parisiens
n : nombre de collèges parisiens
Annexe 2. – Proportion d’élèves défavorisés et contribution des collèges
à l’indice de dissimilarité entre 2006 et 2008
Collèges situés dans les arrondissements moyens-supérieurs
Arrondissements
moyens-supérieurs
Proportion
d’élèves
défavorisés
en 2006
Contribution
à l’ID
en 2006
Proportion
d’élèves
défavorisés
en 2008
Contribution
à l’ID
en 2008
Écart de
contribution
à l’ID entre
2006 et 2008
Effectif
des collèges
en 2006
(écart 20062008)
Baisse de la contribution à l’ID
Franck (11 e)
PU
32,4  %
1,8  %
20,0  %
0,2  %
–  1,6
414 (– 3)
Vilon (14 e)
PU
35,9  %
2,6  %
24,4  %
1,0  %
–  1,6
454 (+ 25)
PV
  2,9  %
7,0  %
  2,2  %
8,3  %
–  0,7
569 (– 18)
Peguy
(11 e)
Hausse de la contribution à l’ID
Beaumarchais (11 e)
PU
39,5  %
2,2  %
42,9  %
3,4  %
+ 1,2
309 (+ 50)
Fournier (11 e)
PU
28,0  %
1,7  %
35,5  %
3,6  %
+ 1,9
596 (– 41)
St-Michel (12 e)
PV
12,1  %
3,4  %
  2,6  %
6,6  %
+ 3,2
1 050 (+ 6)
Lecture : le collège public Anne Franck scolarise 32,4 % d’élèves d’origine défavorisée. Sa contribution à l’indice de dissimilarité (ID) est de
1,8 % en 2006. Cette contribution baisse de 1,6 point de 2006 à 2008. Son effectif, 414 élèves en 2006, a baissé de 3 élèves de 2006 à 2008.
Collèges situés dans les arrondissements moyens-populaires
Arrondissements
moyens-populaires
Proportion
d’élèves
défavorisés
en 2006
Contribution
à l’ID
en 2006
Proportion
d’élèves
défavorisés
en 2008
Contribution
à l’ID
en 2008
Écart de
contribution
à l’ID entre
2006 et 2008
Effectif
des collèges
en 2006
(écart 20062008)
Baisse de la contribution à l’ID
Ravel (20 e)
PU
(20 e )
Blaise
Menahem (20 e)
17,5  %
2,2  %
25,8  %
1,1  %
–  1,1
365 (– 12)
PU
53,1  %
3,3  %
47,4  %
PV
  9,5  %
1,5  %
10,0  %
2,2  %
–  1,1
550 (– 63)
1,1  %
–  0,4
168 (– 38)
Hausse de la contribution à l’ID
St-Georges (19 e)
PV
12,5  %
3,1  %
11,5  %
3,7  %
+ 0,6
401 (+ 59)
Curie (18 e)
PU
64,1  %
3,8  %
69,8  %
4,9  %
+ 1,0
393 (+ 143)
Le Tac (18 e)
Mozart (19 e )
PU
14,6  %
2,8  %
10,8  %
3,9  %
+ 1,1
403 (+ 68)
PU
34,4  %
0,1  %
50,9  %
1,7  %
+ 1,6
288 (+ 1)
Lecture : le collège public Ravel scolarise 17,5 % d’élèves d’origine défavorisée en 2006. Sa contribution à l’indice de dissimilarité (ID) est
de 2,2 % en 2006. Cette contribution baisse de 1,1 point de 2006 à 2008. Son effectif, 365 élèves en 2006, a baissé de 12 élèves de 2006
à 2008.
Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 85
RDST | Recherches en didactiques des sciences et des technologies
Aster et Didaskalia deviennent la revue Recherches en didactiques
des sciences et des technologies (deux numéros par an)
Cette nouvelle revue de l’INRP, fruit de la fusion des revues Aster et Didaskalia,
devient, avec ses deux numéros par an composés d’un dossier et de varia,
une revue francophone de référence de recherches en didactiques des sciences
et des technologies.
Son objectif est de participer à la production de connaissances didactiques
en proposant un espace de débat scientifique portant à la fois sur l’enseignement
et l’apprentissage des sciences et des technologies (de la maternelle à l’université),
sur la diffusion des savoirs scientifiques et technologiques, et sur la formation
à l’enseignement de ces domaines.
Cette revue s’adresse aux chercheurs qui y trouveront un lieu d’expression
et d’échange. Soucieuse de la nécessité d’un dialogue entre la recherche
et l’enseignement, elle s’adresse également aux enseignants et aux formateurs
en leur permettant d’être en prise avec les questions didactiques. Plus largement,
cette publication offrira une matière propre à alimenter la réflexion des acteurs
de la culture scientifique et technologique.
• Rédacteurs en chef : Yves GIRAULT, Ludovic MORGE & Christian ORANGE
• Premiers numéros :
Opinions & savoirs (juillet 2010)
Sciences des scientifiques et sciences scolaires (décembre 2010)
Recherche en didactiques des sciences et histoire des sciences (juillet 2011)
• Abonnement RDST (imprimé) : 40 € TTC (France)
• Prix au numéro : 25 € TTC (France)
• Commande en ligne : <www.inrp.fr/publications/catalogue/web/>
Note de synthÈse
Les usages du « temps »
dans les recherches
sur l’enseignement
Marie-Pierre Chopin
Les perspectives praxéologiques, voire prescriptives, s’esquissant à partir de la
question temporelle dans le champ scolaire sont nombreuses et hétéroclites  :
allongement ou raccourcissement du temps d’enseignement, rationalisation du
temps de travail des professeurs, individualisation des temps d’apprentissage
des élèves, etc. Leitmotiv tenace, la thématique du temps surgit régulièrement
dans les discours sur l’école, suscitant à chaque fois d’intenses espoirs de
changement. Le recensement des travaux menés à son propos fait apparaître ce
phénomène de répétition/recomposition. Il constitue également une étape
indispensable à la clarification des fondements et des limites de l’entreprise
visant à instituer le temps comme une variable-clé de l’amélioration du système
d’enseignement.
Descripteurs (TESE)  : temps d’enseignement, rythme d’apprentissage, efficacité du
temps d’enseignement, aménagement du temps scolaire, pratique pédagogique.
L’erreur la plus grave, concernant le temps, est de le considérer comme
une réalité simple. Loin d’être une constante immuable, comme le supposait
Newton, le temps est un agrégat de concepts, de phénomènes et de rythmes
recouvrant une très large réalité. Ainsi, mettre en ordre cette réalité représente une «  tâche hérissée de difficultés  », selon les termes de l’africaniste
E. Evans-Pritchard.
Hall H. (1984). La danse de la vie. Temps culturel, temps vécu, p. 23.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 87-110
introduction
La mise en ordre à laquelle nous nous livrons ici ne concerne pas la définition du temps stricto sensu mais plutôt la manière dont les chercheurs en
éducation ont fait usage de ce concept  : plus circonscrite en apparence, la
tâche n’en demeure pas moins «  hérissée de difficultés  », pour reprendre à
notre tour ­l’anthropologue Evans-Pritchard. La question du lien entre temps et
enseignement rebondit et se répète en empruntant toujours de nouvelles figures. Aujourd’hui par exemple, alors que certains dénoncent l’accroissement du
contrôle du temps de travail des professeurs comme le signe de l’amenuisement de leur reconnaissance sociale (Waaub, 2006), le temps d’apprentissage
des élèves semble progressivement soumis à une logique de rentabilisation.
En 2007, Le Monde de l’éducation titrait l’un de ses dossiers en des termes fort
explicites  : «  Travailler moins pour apprendre mieux  : peut-on faire réussir les
élèves avec moins de temps  ?  » (Le Monde de l’éducation, 2007). Malgré leur
caractère conjoncturel, ces formulations de la question du lien entre temps et
enseignement ont déjà surgi depuis plus d’un siècle dans les débats éducatifs,
chevillées à des enjeux pédagogiques, scientifiques mais aussi politiques
variés.
Plusieurs synthèses en français ont déjà été consacrées à ce thème, et en
particulier celle de Delhaxhe, parue en 1997 dans la Revue française de péda­
gogie  : «  Le temps comme unité d’analyse dans la recherche sur l’enseignement  » (Delhaxhe, 1997  ; voir aussi Crahay, 2000). Elles recensent une masse
importante de travaux, menés pour la plupart aux États-Unis depuis le début du
xx e siècle, dont font également état des synthèses en langue anglaise (voir entre
autres Bloom, 1974  ; Borg, 1980  ; Cotton, 1989  ; Smyth, 1985). Plusieurs raisons
nous conduisent néanmoins à proposer d’actualiser ce recensement. D’un point
de vue chronologique d’une part, le thème du temps de l’enseignement a connu
une évolution notoire au cours des quinze dernières années aux États-Unis,
période absente des synthèses précédentes pour des raisons chronologiques
évidentes. Nous proposerons d’en rendre compte dans la première partie de ce
texte. D’autre part, il apparaît important d’inclure à une revue de la question sur
le temps de l’enseignement un ensemble de travaux menés plus récemment dans
les pays francophones et qui n’ont encore jamais fait l’objet, à notre connaissance, de présentation synthétique. Au-delà de leurs emprunts à la tradition
américaine, ils apportent des éclairages originaux sur les rapports entre temps et
enseignement. Nous leur consacrerons pour cette raison la deuxième partie de
cette note de synthèse.
Les travaux américains sur le temps de l’enseignement :
une tradition de recherche
C’est parce que les études américaines sur le temps de l’enseignement
constituent une véritable tradition de recherche en éducation qu’elles sont généralement considérées de manière autonome. À la suite des synthèses évoquées
précédemment, nous reprendrons et poursuivrons leur présentation en nous
appuyant sur l’organisation chronologique et thématique réalisée par Delhaxhe
(1997), particulièrement utile selon nous à la clarification de ce corpus épais de
recherches (1).
88 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Les premières études sur le lien entre temps
et efficacité de l’enseignement
Dès la fin du xixe siècle aux États-Unis, les chercheurs s’interrogent sur l’existence d’un lien entre la quantité de temps consacrée à un enseignement et l’efficacité de ce dernier. Smyth (1985) présente l’une des plus anciennes études sur
cette question. Menée en 1897, elle montre que le fait de passer dix minutes ou
bien une heure d’enseignement sur un exercice de lecture n’a pas d’impact significatif sur la capacité des élèves à épeler les mots qu’on leur présente. Ce résultat est singulier pour l’époque. La plupart des travaux de la fin du xixe siècle et
du début du xxe avancent en effet l’idée d’un lien automatique et positif entre
temps et efficacité pédagogique. Une association qui, comme le rapporte Husén,
marquera profondément les esprits dans les décennies suivantes  : «  L’une des
idées les plus largement acceptées en éducation a été le fait que l’exposition à
l’enseignement est fortement liée à l’apprentissage des élèves — et ce sur le
mode linéaire. C’est-à-dire que nous avons admis qu’une augmentation de 50  %
de la durée de scolarisation totale, par exemple, se traduirait par une augmentation de 50  % du savoir retenu par les élèves.  » (Husén, 1972, p. 11 [traduction
libre])
Les premières études consacrées au temps de l’enseignement s’inscrivent
dans une perspective comparative et évaluative. Elles s’attachent à révéler les
écarts entre la distribution faite par les professeurs du temps dont ils disposent
et celle recommandée officiellement et mettent en évidence d’importantes différences quant à l’utilisation du temps scolaire selon les districts et les écoles (2)
(Payne, 1904  ; Holmes, 1915  ; Mann, 1926, cités par Borg, 1980). Le constat de
cette variabilité interpelle les autorités éducatives. Ainsi par exemple, selon
Borg (1980), Thompson aurait proposé, dès 1915, que l’on forme les futurs maîtres à la gestion du temps, de façon à rendre l’enseignement plus efficace. On
peut conclure de ces premières études que le temps de l’enseignement est
d’abord appréhendé comme une ressource pouvant être dépensée dans un souci
d’optimisation du rendement pédagogique. Nous parlerons de «  dimension provisionnelle  » de la variable temps. Non seulement les professeurs sont incités à
respecter les prescriptions horaires, mais on leur demande également d’améliorer
leurs pratiques en maximisant le temps de participation des élèves et en évitant
les temps de distraction (3). Ainsi, à côté de l’importance accordée à la quantité
de temps d’enseignement dispensée, on commence à pointer que la manière de
l’utiliser l’est également. Les prémisses de cette distinction entre plusieurs types
de temps dans l’enseignement préfigurent une partie des nombreuses études
menées au cours du xxe siècle. Deux axes caractéristiques des traitements futurs
de la question du temps de l’enseignement aux États-Unis peuvent être
­dégagés  :
–– l’étude de l’impact de la quantité de temps d’enseignement sur l’apprentissage des élèves (dimension provisionnelle du temps appelant la recherche
de corrélations statistiques)  ;
–– la spécification de la qualité du temps consacré à l’enseignement, associée
à un affinement sémantique de la notion de temps (le temps est-il un temps
d’attention, un temps de distraction, etc. ?).
Ces deux axes sont étroitement liés. Chaque fois qu’une nouvelle «  qualité  »
de temps est déterminée, on cherche à mesurer ses effets sur l’apprentissage des
élèves. Il paraît de ce fait utile, comme le fait par ailleurs Delhaxhe (1997), d’identifier ces différentes qualités de temps à travers le modèle proposé par Smyth (4)
(1985), distinguant cinq niveaux d’analyse (voir la figure 1).
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 89
Figure 1. – Modèle d’analyse du temps dans l’enseignement
selon Smyth (1985)
À partir de 1960, des études du lien entre temps
et niveau atteint par les élèves
Les trois premiers niveaux du modèle d’analyse du temps portent sur le lien
entre la durée consacrée à l’instruction et le niveau atteint par les élèves, dans la
lignée des approches provisionnelles.
La quantité officielle d’instruction (niveau 1)
La quantité officielle d’instruction correspond au nombre de jours ou d’heures
consacrés à la scolarité, sur une période déterminée (l’intégralité du cursus scolaire, une année, une journée…). La question qui se pose est la suivante  : cette
première mesure du temps d’enseignement est-elle liée à la réussite scolaire des
élèves  ? Ou encore, pour reprendre le titre de l’article de Husén (1972), «  Plus de
temps fait-il la différence  ?  » (5). Ce dernier recense plusieurs études internationales qui remettent en cause l’idée selon laquelle plus de temps passé à l’école
accroît la réussite des élèves. L’une se déroule en Norvège dans les années 1950
auprès de deux cohortes d’élèves de 12 à 14 ans recevant, pendant deux ans,
des quantités d’instruction différentes (du simple au double). Lors des épreuves
de test, le groupe ayant reçu le moins d’enseignement présente seulement une
légère infériorité de résultats par rapport à l’autre. La seconde, menée par l’International association for the evaluation of educational achievement sur 12 pays
90 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
différents, a paru sous la forme d’un rapport en 1967. Plusieurs dimensions relatives aux effets du temps sur les performances d’élèves de 13 ans en mathématiques sont évaluées. Les résultats montrent que le fait d’entrer plus précocement
à l’école n’est pas lié de manière significative à la réussite, ou encore que le
temps consacré à l’enseignement des mathématiques, pris isolément, n’entretient
quasiment aucun lien avec la réussite des élèves. Husén note toutefois que certaines exploitations des données de la même étude rétablissent l’existence de ce
lien. Il cite notamment les travaux de Keeves, qui analyse les données des
cinq états australiens présents dans l’échantillon et trouve que la quantité de
temps totale consacrée à l’enseignement des mathématiques dans les écoles y
est liée à la moyenne des élèves dans la discipline. Les conclusions concernant
le lien entre la quantité officielle d’instruction et la réussite scolaire ne sont donc
absolument pas stables. Une explication possible tiendrait au fait que, dans la
mesure de la quantité officielle d’instruction, les absences du maître ou des ­élèves,
ou encore les jours de grève, ne sont pas décomptés. Le niveau d’analyse du
temps doit être affiné.
La quantité d’instruction par élève (niveau 2)
La «  quantité d’instruction par élève  » est calculée en tenant compte des
variations dues, par exemple, aux absences des professeurs ou à celles des
­élèves. Fogelman (1978) montre que le temps de présence à l’école affecte les
apprentissages des élèves. Selon Summers et Wolfe (1975), ce phénomène est
d’autant plus manifeste que l’on monte dans les niveaux scolaires. Du côté des
professeurs, Fredrick (1977) établit que le temps perdu par les enseignants du fait
de leurs absences varie de 25  % à 49  % et que les classes où la perte de temps
est moindre obtiennent le meilleur score de réussite aux épreuves d’évaluation.
Bref, ce premier affinement du niveau d’analyse du temps, visant à se rapprocher
du temps effectivement consacré à l’instruction, paraît rétablir le lien statistique
entre temps et apprentissage. Pour autant, de nombreuses analyses du temps de
l’enseignement ont été menées à un niveau encore plus fin.
Le temps passé sur le contenu (niveau 3)
Pour évaluer l’influence du temps sur le niveau atteint par les élèves, il est en
effet possible de considérer spécifiquement le temps passé sur le contenu enseigné en recueillant, auprès des professeurs, des données concernant la quantité
de temps allouée à telle ou telle discipline. Stallings et Kaskowitz (1974) ou encore
Harnischfeger et Wiley (1977) montrent des différences existant entre les professeurs du point de vue du nombre d’heures d’enseignement dispensées pour les
différentes matières et établissent que la moyenne annuelle de ce nombre ­d’heures
est positivement liée au niveau atteint par les élèves en mathématiques et en
lecture. Pourtant, dans une étude similaire (Lee et al., 1981), ce résultat n’est pas
confirmé. Aux travaux qui établissent un lien statistique entre la réussite des élèves sur une discipline donnée et la quantité de temps effectivement consacrée à
son enseignement (Fisher et al., 1980  ; Kidder, O’Reilly & Kiesling, 1975  ; Vivars,
1976), répondent ceux qui rejettent l’existence d’un tel lien (Guthrie, Martuza
& Seiffert, 1976  ; Welch & Bridgham, 1968). De fortes contradictions subsistent
donc à propos de l’automaticité des effets du temps sur la réussite des élèves.
Voilà comment Smyth (1985) interprète ces contradictions  : l’affinement du
niveau d’analyse entre le niveau 1 et le niveau 3 n’aurait pas suffi à atteindre un
degré d’observation suffisamment pertinent. Des problèmes méthodologiques
subsistent dans le fait, par exemple, de mesurer le temps consacré à telle ou telle
discipline sur la base des seules déclarations des professeurs (et non sur leurs
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 91
pratiques effectives). Selon Smyth, le temps effectivement consacré à l’enseignement ne correspond pas à la durée déclarée par le professeur mais à celle au
cours de laquelle l’élève est en train d’apprendre. Un élément important apparaît
ici. C’est en termes d’apprentissage («  learning  ») et non plus d’instruction
(«  schooling  ») que commence à être posée la question du temps en éducation.
Avec ce basculement, le domaine de la psychologie s’impose comme source privilégiée des nouvelles études sur le temps. Les deux derniers niveaux du modèle
d’analyse du temps (niveaux 4 et 5) sont d’ailleurs basés sur un apport majeur de
la psychologie de l’éducation américaine  : le modèle d’apprentissage de Carroll
(1963).
Les apports du modèle de Carroll :
le temps d’apprentissage au centre des réflexions
Carroll entreprend, au début des années 1960, de produire «  un modèle
conceptuel des facteurs affectant la réussite dans l’apprentissage scolaire et de
la manière dont ils interagissent  » (Carroll, 1963, p. 723). La particularité de son
modèle tient à sa formulation en termes de temps. Selon le psychologue, un
«  apprenant réussira son apprentissage d’une tâche donnée dans la mesure où il
passe la quantité de temps dont il a besoin pour apprendre la tâche  » (Carroll,
1963, p. 724). Carroll appuie ainsi son modèle sur deux notions  :
–– le temps nécessaire à l’apprentissage (basé sur la qualité de l’instruction, la
capacité de l’élève à comprendre l’instruction et l’aptitude de l’élève)  ;
–– le temps passé à l’apprentissage (défini par le temps alloué par le professeur
pour l’enseignement et la persévérance de l’élève).
Le modèle de Carroll est ainsi présenté par «  une formule exprimant le degré
d’apprentissage pour un individu i et une tâche t, sous la forme d’une fonction du
rapport de la quantité de temps que l’apprenant consacre réellement à la tâche
sur la quantité totale dont il a besoin  » (Carroll, 1963, p. 730, voir figure 2).
La dimension provisionnelle du temps caractéristique des niveaux d’analyse
supérieurs semble toujours présente dans le modèle de Carroll, mais sous une
forme assouplie. En effet, si la formulation «  mathématique  » indique encore une
sorte d’automaticité entre des variables d’entrée et de sortie, le modèle repose
sur plusieurs variables d’action pour le professeur (la qualité de l’instruction et le
temps passé à l’apprentissage), qui complexifient le processus et confèrent au
professeur une responsabilité plus grande dans la gestion du temps. Les orientations pédagogiques esquissées dans le modèle de Carroll seront d’ailleurs reprises quelques années plus tard dans la pédagogie de maîtrise de Bloom sur la
base suivante  : «  S’il était possible de donner le temps et l’aide nécessaire et
d’être en mesure de motiver l’élève pour utiliser le temps disponible, la plupart
des élèves atteindraient le niveau de réussite attendu  » (Bloom, 1974, p. 684). Ces
Figure 2. – Formulation du modèle de Carroll (Carroll, 1963, p. 730)
92 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
apports de la psychologie de l’éducation confèrent à la variable temps une dimension beaucoup plus qualitative que jusqu’alors  : le professeur peut agir sur la
nature du temps dans son enseignement.
À partir de 1975, des études sur la qualité du temps de l’enseignement
Les thèses de Carroll et de Bloom apparaissent en filigrane dans les deux
derniers niveaux d’analyse  : le temps d’engagement (niveau 4) et l’Academic
­learning time (dit ALT, niveau 5).
Le temps d’engagement de l’élève (niveau 4)
D’après Carroll, «  le degré d’apprentissage, toutes choses égales par ailleurs,
est une simple fonction de la quantité de temps durant laquelle l’élève s’engage
activement dans l’apprentissage  » (Carroll, 1963, p. 732). Ce «  temps d’engagement  » devient l’enjeu des recherches en éducation (6). Fisher et ses collègues
(1980), ou encore Lee et ses collègues (1981), établissent une relation positive
entre le temps d’engagement et le niveau atteint en lecture et en mathématiques
à l’école élémentaire. Face à de tels résultats, on tente de déterminer les variables
susceptibles d’être associées à un temps d’engagement important. Parmi les plus
significatives se trouvent le niveau scolaire de l’élève (7) (Rusnock & Brandler,
1979  ; Smyth, 1979) ou encore le comportement du professeur (8) (Borg & Ascione,
1979). La prise en compte de ces éléments relatifs à l’influence de l’enseignement
sur l’accroissement du temps d’engagement conduit au dernier niveau d’analyse
du temps  : le temps d’apprentissage académique.
Le temps d’apprentissage académique (niveau 5)
Le temps d’apprentissage académique (ALT) correspond «  au temps durant
lequel l’élève s’est impliqué dans une tâche d’apprentissage dont les objectifs
coïncident avec des items de l’épreuve d’évaluation et dont le degré de difficulté
permet à l’élève de produire un maximum (90  %) de bonnes réponses  » ­(Delhaxhe,
1997, p. 114). D’après Fisher et ses collègues (1980, cités par Smyth, 1985,
p. 5270), il repose sur plusieurs composantes  :
–– le temps alloué (« allocated time ») : il correspond à la quantité de temps pendant lequel l’élève peut travailler, une sorte d’opportunité d’apprentissage  ;
–– le taux d’engagement («  engagement rate  »)  : il équivaut au pourcentage du
temps alloué pendant lequel l’élève est engagé dans la tâche (l’influence du
modèle de Carroll est perceptible à travers la mise en regard de ces deux
premières composantes)  ;
–– et enfin le taux de succès («  success rate  »)  : le taux de succès est défini
comme le pourcentage de temps que les élèves passent à faire l’expérience
de niveaux de réussite élevés sur des tâches d’apprentissage concordantes
avec celles qui seront évaluées (l’influence de la pédagogie de maîtrise est
ici manifeste).
L’intérêt porté à l’ALT marque l’évolution de l’acception du temps dans le
processus d’enseignement/apprentissage. Jusqu’alors, le temps était considéré
comme une donnée d’entrée du système  ; il devient maintenant un temps produit
par certaines actions engageant professeur et élèves. Avec ce cinquième niveau
d’analyse, la dimension provisionnelle du temps s’estompe et laisse la place à une
dimension que nous qualifierons de «  processuelle  »  : le temps est une construction dont les chercheurs entendent fournir les plans et le matériau. Plusieurs
­études tentent ainsi de mettre au jour des variables agissant sur l’ALT (9)  : la
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 93
clarté des informations et des consignes, l’importance donnée aux buts académiques dans la classe, la capacité du professeur à identifier le niveau de ses élèves,
à leur soumettre des tâches de difficulté appropriée, ou encore le fait de faire
travailler les élèves en groupe. On notera en particulier l’émergence de certaines
variables liées à la gestion dynamique in situ des situations d’enseignement, telles
que l’évaluation régulière des résultats des élèves, un volume important d’inter­
actions ou encore le nombre de rétroactions correctives du professeur. Les deux
derniers niveaux d’analyse du temps (le temps d’engagement et l’ALT) ont dominé
la recherche américaine sur le temps en éducation dans les années 1980. Une
investigation sur la base de données ERIC (10) montre qu’ils représentent plus de
la moitié des études sur la question entre 1980 et 1990. Leur impact semble avoir
dépassé le strict champ scientifique. En 1991, une Commission de l’Éducation
nationale sur le temps et l’apprentissage, dite CENTA, fut mise en place par
l’admi­nistration américaine, avec pour objectif «  d’explorer la relation entre le
temps et l’apprentissage et de proposer des recommandations à propos de la
manière dont les écoles de la nation pouvaient restructurer leur utilisation du
temps pour développer l’apprentissage des élèves  » (Aronson, 1995, p. 6). Avec
ce ressaisissement politique de la question, le type de recherche menée sur le
temps en éducation va considérablement évoluer.
À partir de 1990, le constat du manque de temps pour les professeurs
La thématique du temps est toujours présente dans les recherches américaines en éducation au cours des années 1990 (11) : la base de données ERIC
recense près de 60 références entre 1990 et 2004. Toutefois les études sur les
niveaux d’analyse inférieurs (temps d’engagement et ALT) sont beaucoup moins
nombreuses : elles ne constituent plus qu’un sixième des travaux au cours de
cette quinzaine d’années. Une évolution thématique semble donc s’être opérée. Le
titre du rapport publié par la CENTA en 1994 pourrait caractériser les nouvelles
orientations des études réalisées  : Prisoners of time. Les professeurs sont maintenant envisagés comme des prisonniers du temps. Plusieurs titres d’articles recensés soulignent cet aspect : «  Stop the clock » (Aronson, 1995), « Breaking the
tyranny of time  » (Livingston, 1994), «  Racing with the clock  » (Adelman, ­Walking
Eagle & Hargreaves, 1997), « So much to do, so little time » (Rose, 1998)…
Consubstantiellement, les travaux plébiscitent un allongement général des modules d’enseignement. En témoignent là encore les expressions composant les titres
de certains articles : «  More time to learn » (Moore & Funkhouser, 1990),
« ­Enhancing effective instructional time » (12) (Suarez, 1991). Ainsi, aux États-Unis,
les années 1990 marquent un retour à des considérations du temps relatives aux
niveaux plus élevés du modèle d’analyse du temps (la quantité de temps d’instruction allouée), c’est-à-dire à une dimension provisionnelle du temps. S’agit-il pour
autant d’un retour en arrière  ? Pas vraiment, car si les études paraissent avoir
« remonté  » les niveaux du modèle d’analyse du temps, elles semblent également
s’être décentrées de l’apprentissage («  learning »), pour s’intéresser maintenant de
plus près à l’enseignement (« teaching »). Les recherches ne sont plus seulement
focalisées sur le lien entre temps et réussite des élèves mais portent sur les conditions de faisabilité de l’activité d’enseignement dans le temps imparti.
Une perspective générale sur les travaux américains
Très tôt, les travaux américains ont porté l’attention sur le lien statistique
entre le temps consacré à l’enseignement et le niveau de réussite atteint par les
94 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
élèves. Les résultats contradictoires obtenus ont incité les chercheurs, non pas
à remettre en cause l’idée de l’existence d’un tel lien, mais à affiner leur mesure
du temps dans les phénomènes scolaires de façon à rétablir des corrélations
significatives. Cette perspective est le reflet d’une dimension provisionnelle du
temps excessivement prégnante, dominant la quasi-totalité des recherches  : le
temps est considéré comme une ressource dont l’allocation pour l’enseignement pourrait être efficacement gérée. Certaines variations apparaissent toutefois quant aux usages du temps dans les différents travaux. Les études des
années 1960 portent essentiellement sur la «  quantité d’instruction  », traduction
du terme anglais « ­s chooling  ». La perspective est administrative, voire économique. Comme le pointe Husén, «  puisque les salaires du personnel scolaire
atteignent les deux tiers voire plus du coût de fonctionnement des écoles, ces
résultats ont des implications politiques fortes pour les pays  » (Husén, 1972,
p. 11).
Avec l’affinement du niveau d’analyse du temps, le «  schooling  » cède la
place au «  learning  ». C’est en termes d’apprentissage que l’on aborde à présent
la question temporelle, mêlant les apports de la psychologie (Carroll) aux questions pédagogiques (Bloom). Il s’agit, pour le dire très rapidement, de donner aux
élèves le temps d’apprendre selon leur propre rythme. Le retentissement de ces
travaux est manifeste, aux États-Unis, mais aussi outre-Atlantique, comme nous
le verrons dans la deuxième partie. Non seulement ils constituent la base de
méthodes pédagogiques très influentes prônant l’adaptation de l’enseignement
aux élèves mais, de manière beaucoup plus diffuse, ils établissent l’idée de l’existence d’un temps d’apprentissage qui serait propre à chaque élève. Enfin les
recherches plus récentes s’éloignent (sans s’y opposer) de la notion d’apprentissage («  learning  ») pour se focaliser sur celle d’enseignement («  teaching  »), insistant particulièrement sur l’idée du manque de temps. Le temps apparaît de nouveau comme une condition nécessaire et quasiment suffisante pour améliorer
l’enseignement (Duis, 1995). Le titre de la communication de Collinson et Cook
en 2001 pour le rassemblement annuel de l’American educational research association est très évocateur  : «  “I don’t have enough time”: teachers interpretations
of time as a key to learning and school change  » (Collinson & Cook, 2001). C’est
cette dimension pratique attachée au temps de l’enseignement qui tend à
­s’imposer aujourd’hui.
Les travaux francophones :
entre emprunts et nouvelles perspectives
Alors qu’elle fédère un ensemble de travaux relativement homogène aux
États-Unis, la question du temps de l’enseignement apparaît plus composite dans
les travaux francophones, comme le soulignent les intitulés des ouvrages qui lui
sont consacrés  : Le temps en éducation. Regards multiples (Saint-Jarre & DupuyWalker, 2001), ou encore Temporalités éducatives. Approches plurielles (13)
(Lesourd, 2006). Pour présenter les travaux qui suivent, nous distinguerons trois
catégories de recherches selon qu’elles proposent de présenter le temps scolaire
comme un levier d’action sur le système d’enseignement  ; de mesurer les effets
du temps sur les acquisitions des élèves  ; ou enfin de développer une approche
du temps de l’enseignement en termes de temps didactique où le temps n’est
plus un donné (comme dans les approches provisionnelles), mais un construit
(rejoignant ainsi une perspective processuelle).
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 95
La structuration du temps scolaire
comme levier de changement pour l’école
Ce premier ensemble d’études réunit les contributions de disciplines variées :
la sociologie, l’histoire, la chronopsychologie ou encore la pédagogie. Leur point
commun est d’articuler des approches spécifiques de la question du temps de
l’enseignement à des orientations possibles pour un changement de l’école. Cette
entreprise ne va pas sans poser de sérieux défis scientifiques et sociétaux, ni
sans lever des controverses, comme en témoigne un numéro hors-série des
Cahiers pédagogiques paru en 2009, consacré aux rythmes scolaires et dont le
message se formulait clairement  : «  Évitons la catastrophe  !  » (14) (Bride, 2009).
Plus que d’examiner le détail des débats menés sur ce point, il importera ici
d’examiner comment chaque discipline porte un regard particulier sur la question
du temps scolaire et de sa structuration.
Pour commencer, le temps de la scolarité constitue un élément important de
tout projet social. C’est ce que retracent bien les approches historiques de la
question du temps scolaire (cf. par exemple l’ouvrage collectif Histoire du temps
scolaire en Europe, dirigé par Compère, 1997). En France, on constatera que
­l’allongement de la scolarité jusqu’à 16 ans (loi Berthoin de 1959), l’objectif de
80  % d’une classe d’âge au niveau baccalauréat (loi Chevènement de 1985), ou
encore l’effacement du niveau bac + 2 au profit du grade de licencié (réforme LMD
des universités) sont autant de manifestations temporelles des objectifs poursuivis
au cours de ces 50 dernières années  : démocratiser l’enseignement, élever le
niveau général d’instruction, donner aux universités un visage européen… De la
même façon, la remise en question de cet allongement du temps de la scolarité,
symptôme d’une Inflation scolaire aujourd’hui dénoncée (Duru-Bellat, 2006), apparaît dans le contexte d’un ensemble de transformations nouvelles  : effritement du
modèle de l’ascenseur social, professionnalisation des filières, omniprésence de
la question du chômage, etc. Ainsi, pour le dire en quelques mots, l’école est
pensée en adéquation avec son «  temps social dominant  » (Sue, 1993), dans son
contexte socio-économique et idéologique. Elle est en outre examinée en référence à des temps sociaux plus spécifiques tels que le temps des loisirs, celui de
l’informatique (Sue & Caccia, 2005  ; Sue, 2006). Bref, une multitude de rythmes
auxquels on lui demande de s’accorder pour être «  en prise avec son temps  ».
Mais le thème du temps de l’enseignement est également lié à un autre
domaine de questionnement, relativement important d’un point de vue social mais
aussi scientifique : celui des rythmes scolaires. Dans une perspective historique,
Gerbod (1999) montre que la construction du système d’enseignement français fut
particulièrement marquée par la subordination totale des élèves au temps scolaire
et que c’est très tardivement (à partir des années 1960) que l’idée d’un «  temps
au service des élèves » (Gerbod, 1999, p. 470) apparaît, sous l’influence de la
médecine. Émerge alors une nouvelle discipline : la chronobiologie, qui met en
lumière le rôle des rythmes biologiques sur l’attention et les performances scolaires des élèves. Les années 1960 sont ainsi marquées par un ensemble de considérations sur la fatigue des écoliers imputable aux horaires auxquels les astreint
l’école (Bataillon & Berge, 1967). Elles aboutissent, au cours de la vingtaine d’années suivantes, à un grand nombre de réformes des horaires scolaires dont la
semaine de quatre jours est l’exemple le plus marquant (sans être paradoxalement
concordant avec les résultats de la chronobiologie, ce qui vaudra à cette mesure
de vives critiques dans le champ scientifique). Aujourd’hui, ce sont les travaux de
la chronopsychologie (15) (Fraisse, 1980 ; Testu, 1988…) qui attirent l’attention sur
la nécessité de considérer la manière dont les élèves à la fois investissent et subissent le temps scolaire (Blomart & Delvigne, 1994 ; Poussin & Megevand, 1990).
96 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Pour substantielles qu’aient été les influences de ces diverses disciplines sur
la structuration du temps de l’enseignement, elles n’épuisent pas l’ensemble des
questions qui se posent à son propos, et notamment celles relatives à la dimension proprement pédagogique du temps scolaire. Dès les années 1960, Freinet
s’était par exemple positionné contre la façon simpliste de poser le problème de
la fatigue et du temps à l’école. Dans Les invariants pédagogiques (Freinet,
1964), il avançait ainsi que «  la fatigue des enfants est le test qui permet de
déceler la qualité d’une pédagogie  ». Plusieurs approches pédagogiques sont
par ailleurs disponibles à propos de la structuration du temps scolaire. Parmi
elles, celle de Meirieu (2009) postule que plus de temps serait la condition d’un
changement efficace de la pédagogie  ; il favoriserait l’adoption, par les professeurs, de nouvelles formes d’enseignement proches de l’éducation dite «  active  ».
Dans la même veine, Husti pense qu’il est possible d’«  améliorer l’efficacité de
l’enseignement par une utilisation plus adéquate du temps  » (Husti, 1994, p. 13).
Selon elle, la «  rigidité  » de l’heure de cours nuirait en effet à toute tentative
d’évolution de l’enseignement vers la mise en œuvre de nouvelles formes pédagogiques telles que le travail de groupe, la pédagogie différenciée, etc. Il serait
nécessaire de proposer une alternative à ce qu’elle n’hésite pas à appeler un
«  taylorisme ­intellectuel  » (Husti, 2001, p. 120). C’est précisément la fonction du
dispositif de structuration du temps scolaire qu’elle souhaite instituer, le «  temps
mobile  »  :
–– l’heure de cours doit laisser la place à une plage horaire allant de 1 à 4 heures
selon les besoins spécifiques à l’objet enseigné ou aux élèves  ;
–– les professeurs doivent augmenter ou abaisser le débit de leur enseignement
au cours de l’année en pensant leur curriculum respectif en adéquation avec
ceux de leurs collègues, de façon à jouer au maximum la carte de la transversalité des connaissances  ;
–– 15  % du temps d’enseignement d’une discipline doivent être consacrés au
«  travail à rythme individuel  », où les élèves peuvent choisir de travailler
seuls ou en groupe (cette idée peut être liée à l’apport de Carroll à propos
du «  temps nécessaire pour apprendre  »)  ;
–– l’élève construit l’emploi du temps des disciplines qu’il travaillera dans la
journée pour être maître de son temps et être plus investi dans ses apprentissages (un lien avec le «  temps d’engagement  » développé dans les études
américaines peut ici être fait).
Le dispositif du temps mobile a été expérimenté dans une vingtaine d’établissements secondaires entre 1980 et 1984, puis de 1985 à 1989. Son évaluation a
porté sur les changements «  perçus  » par les professeurs, les élèves et les chefs
d’établissement à propos de la modification de l’emploi du temps (Husti, 1992),
plus que sur les effets de ces changements sur les acquisitions scolaires des
élèves. Le fait qu’il existe un lien entre la structure du temps et la réussite des
élèves était pourtant présenté comme l’une des motivations de l’expérimentation.
Cette dimension apparaît également dans d’autres travaux français, tels que ceux
d’Altet et ses collègues (1996) qui montrent une variabilité inter-classes importante du point de vue de l’utilisation de temps de l’enseignement. En référence
explicite aux thèses de Carroll, les auteurs rappellent que le temps est « une
dimension fondamentale des acquisitions  » (Altet et al., 1996, p. 73) et que la
«  détermination d’une fonction d’efficience du temps consacré à chaque discipline serait probablement riche d’informations, tant sur le plan théorique que pratique  » (Altet et al., 1996, p. 75). C’est à la recherche de cette fonction d’efficience
que se consacrent en effet un second ensemble d’études que nous présentons
maintenant.
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 97
Les études sur « l’efficacité du temps scolaire »
L’expression «  efficacité du temps scolaire  » est empruntée à Morlaix (2006).
Elle est associée à une conception du temps comme «  input essentiel de la production de la valeur scolaire  » (Morlaix, 2000, p.  122). Sur la base d’une étude
portant sur 70 professeurs de CM2, et après avoir établi la variabilité des durées
consacrées à chaque matière scolaire par les enseignants, Morlaix entreprend
d’en mesurer les corrélations avec le niveau des élèves à court terme (niveau à
l’entrée de la 6e) et à long terme (capacité des élèves à s’insérer dans l’enseignement secondaire). L’auteur montre que le niveau des élèves au début de la 6e
s’explique largement (au sens statistique) par la répartition et l’usage du temps
en CM2  : ce qui tient à ces dimensions «  s’avère trois fois plus important que ce
qui tient au contexte d’enseignement (caractéristiques agrégées de la classe et
­caractéristiques du maître)  » (Morlaix, 2000, p. 123).
On pourrait pourtant poser la question suivante  : en admettant que, pour certaines matières scolaires, le temps alloué en plus au CM2 soit positivement corrélé aux performances des élèves à l’entrée en 6e, cette durée doit-elle être considérée comme la cause des performances réalisées par les élèves ou bien comme
le signe d’un attrait particulier des professeurs de CM2 pour ces disciplines, agissant comme variable intermédiaire dans les relations entre temps et niveau des
élèves  ? Les données présentées par Morlaix ne permettent pas de préciser le
sens de la liaison. Ceci peut paraître regrettable, eu égard aux ambitions prescriptives de tels travaux. Morlaix propose en effet des directions à prendre en termes
d’allocation de temps pour les différentes matières scolaires. Des accroissements
ou réductions de temps seraient censés permettre de maximiser le dévelop­pement
de «  compétences transversales  » favorisant la réussite des élèves au collège,
selon le schéma présenté dans le tableau 1.
Ainsi Morlaix tente d’établir le meilleur rapport «  qualité/prix  » entre le temps
investi dans l’enseignement et la réussite des élèves (le coût d’opportunité). Mais
Tableau 1. – «  Ordre de classement des préférences du décideur
dans l’allocation du temps  » (Morlaix, 2000)
Ordre
Discipline
Moyenne observée
dans l’échantillon
Direction
1
Sciences/technologie
1,6
+ + +
2
Mathématiques
5,0
+ +
3
Histoire-géographie/éducation civique
2,3
+
4
Français
8,8
–
5
Éducation artistique
1,6
–
6
Langues vivantes et autres activités
1,3
– –
7
Sport
2,5
– – –
Légende [c’est nous qui l’ajoutons] : par « moyenne observée dans l’échantillon », Morlaix désigne le
« temps hebdomadaire moyen alloué à chaque discipline, en heures » (Morlaix, 2000, p. 125). Des grilles
de budget temps ont permis de collecter ces renseignements auprès de 70 professeurs de CM2. La
« direction » correspond aux « variations à envisager dans l’allocation du temps scolaire en primaire »
(Morlaix, 2000, p. 130). Les « + » renvoient à une nécessité d’augmenter le temps scolaire, les « – » de le
diminuer, dans le but d’optimiser le rapport entre temps investi et compétences transversales développées
par les élèves (dont Morlaix propose une mesure) et censées favoriser leur insertion en 6e (d’après les
résultats de l’auteur).
98 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
elle n’examine pas réellement le rôle du facteur temps dans cette réussite. Sur la
base des corrélations établies entre une certaine posologie du temps scolaire d’un
côté et des différences de maîtrise d’un certain nombre de compétences chez les
élèves de l’autre, l’auteur postule un lien de causalité entre le premier élément et
le second qui n’est pourtant pas attesté. Les travaux de Berzin et Carpentier
(2000) cherchent eux aussi à évaluer l’effet de la structuration temporelle sur
­l’efficacité de l’enseignement. Ils portent sur l’évaluation d’un dispositif ARVEJ
(Aménagement des rythmes de vie des enfants et des jeunes) mis en place à
Amiens au milieu des années 1990. Le dispositif vise la modification du rapport
des élèves au savoir pour favoriser leur réussite scolaire. Il se décline en deux
objectifs  :
–– adapter les rythmes scolaires aux variations des rythmes de l’activité de
­l’enfant (dans la mouvance des travaux de la chronobiologie et de la chrono­
psychologie)  ;
–– permettre la participation des enfants à la vie de la cité par la pratique de
l’informatique, les pratiques sportives ou artistiques (en lien avec les thèses
de la sociologie des temps sociaux évoquées plus haut).
Le compte rendu de l’étude dévoile certaines difficultés rencontrées dans
l’évaluation du dispositif, du point de vue des progressions scolaires réalisées  :
faute de données suffisantes, les auteurs établissent, sur un groupe expérimental
de 18 élèves qualifiés de «  faibles  », l’absence d’effets significatifs du dispositif
sur les progressions. Est alors privilégiée une évaluation (par entretiens et questionnaires) des «  changements perçus [c’est nous qui soulignons] au plan des
apprentissages, des relations interpersonnelles et de l’épanouissement personnel  » (Berzin & Carpentier, 2000, p. 80)  : les auteurs mettent ainsi en évidence
«  l’implication des élèves pour un dispositif qui leur permet de s’ouvrir à de
­n ouveaux savoirs et d’appréhender différemment leur vie d’écolier  » (Berzin
& Carpentier, 2000, p. 87). Bien entendu, cette dimension liée à la manière de
pratiquer son «  métier d’élève  » revêt une importance avérée. Les travaux sur le
temps ont d’ailleurs montré, en particulier avec Grossin (1974), que la qualité du
temps vécu est une dimension essentielle de nos pratiques quotidiennes. Il pourrait en aller de même pour les pratiques scolaires. Toutefois, dans les travaux de
Berzin et Carpentier, l’appréhension plus approfondie des effets du dispositif
d’aménagement du temps en termes de rendement scolaire reste peu opérante.
Ceux de Suchaut (1996) sont plus consistants sur cet aspect. Ils font écho
aux études américaines répertoriées dans la première partie, cherchant à établir
des corrélations entre le temps consacré à l’enseignement et la réussite des
­élèves. À partir d’un traitement statistique de grilles budget temps remplies par
les professeurs et de tests soumis à leurs élèves, Suchaut évalue l’impact de
l’utilisation du temps scolaire sur les acquisitions en grande section maternelle et
en cours préparatoire (CP). Les résultats montrent que, en maternelle, le temps
consacré aux apprentissages formels (mathématiques, langage, lecture) est bénéfique aux élèves, et particulièrement aux plus faibles (c’est-à-dire qu’une quantité
plus importante de temps permet aux élèves de progresser davantage). De ce
point de vue, l’utilisation du temps scolaire peut donc avoir une «  visée égalisatrice  » selon l’auteur (Suchaut, 1996, p. 150). Ce n’est plus le cas au CP où «  le
temps passé dans les différentes disciplines, et plus particulièrement en français,
est surtout bénéfique pour les élèves initialement forts  » (Suchaut, 1996, p. 150).
En résumé, le lien entre la quantité de temps consacré à tel ou tel enseignement
et les effets en termes d’apprentissage pour les élèves n’est pas stable entre les
deux échantillons (classe de maternelle et classe de CP). Plus fondamentalement,
notons que ces résultats appellent la même réserve que précédemment  : ­comment
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 99
interpréter les corrélations entre le temps consacré à l’enseignement et le niveau
atteint par les élèves de maternelle  ? Le temps supplémentaire est-il la cause
directe des performances ou bien l’indicateur d’un investissement didactique du
professeur plus important  ? Ce recentrage vers les pratiques d’enseignement est
d’ailleurs opéré par Suchaut pour les classes de CP où le lien entre temps et
effets de l’enseignement n’a pas été établi. L’auteur pointe la nécessité de mettre
l’accent sur les aspects pédagogiques plus que sur le temps stricto sensu, en
soulignant la nécessité de «  développer des modes d’organisation pédagogiques
internes à la classe qui permettent à la majorité des élèves (pas seulement aux
plus forts) de profiter pleinement du temps dispensé dans les classes  » (Suchaut,
1996, p. 150). Comme dans les recherches américaines, il faudrait, selon Suchaut,
s’intéresser au temps «  profitable  » plus qu’au temps d’instruction proprement dit,
et l’on retrouverait des corrélations significatives entre temps et apprentissage.
Le fait que le temps puisse être un instrument de régulation des difficultés de
certains élèves est pourtant contredit par d’autres études, dont celle de Gabriel
(1993), portant sur l’effet des dotations en temps dans l’enseignement des mathématiques sur la réussite d’élèves. Bien que, selon l’auteur, les acteurs du système
éducatif considèrent l’allocation de temps d’apprentissage supplémentaire comme
un instrument primordial de gestion de l’hétérogénéité, les résultats de son étude
menée auprès de 45 classes (soit 1  140 élèves de 6e) montrent que les heures de
renforcement et de remédiation allouées pour l’enseignement n’exercent qu’une
très faible influence sur les progressions des élèves (bien sûr, il conviendrait
d’examiner de plus près la nature des pratiques mises en place au cours de ces
moments de renforcement et de remédiation). Gabriel montre en revanche que les
pratiques éducatives, pour leur part, sont plus explicatives de la réussite des plus
faibles. Cet ensemble de travaux consacrés à l’efficacité du temps scolaire indique que la dimension provisionnelle du temps de l’enseignement, typique des
approches américaines, est également présente dans les travaux français. Dans
les études que nous présenterons maintenant, cette acception est mise de côté.
Le temps comme un processus
Si la critique d’une conception du temps réduite au seul temps de l’horloge
existait déjà depuis les travaux de Fraisse (1957), ou plus tard ceux de Verret
(1975), si la question des liens entre temps alloué à l’enseignement et contenu
avait déjà été posée depuis plus de trois siècles par Comenius (16) (2002), les
études sont aujourd’hui plus nombreuses à proposer une approche du temps de
l’enseignement qui prenne en compte sa pleine dimension processuelle. Temps
d’enseignement et temps d’apprentissage s’en trouvent considérés sous de
­nouveaux aspects.
Pour un «  temps de l’élève  » non réifié
Concernant le temps de l’élève, les travaux menés par Carroll dans les années
1960 (et après lui ceux de Bloom) constituent une référence essentielle dans la
littérature scientifique. Déjà présentés dans la première partie de cette note de
synthèse, ils postulent l’existence d’un temps d’apprentissage propre à chaque
élève, déterminant les conditions de son apprentissage. C’est à un renversement
de perspective que conduisent les travaux présentés maintenant. Dans son étude
de la dynamique des acquisitions à l’école élémentaire, Mingat (1987) montrait
déjà que les progrès réalisés au cours de l’année de cours préparatoire par les
élèves de son échantillon instituaient un écart qui se maintenait par la suite dans
le déroulement de leur scolarité. Il en concluait que les acquisitions scolaires
100 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
auraient un caractère cumulatif et dépendraient davantage de variables pédagogiques (l’enseignement) que de variables cognitives liées à des traits personnels
des élèves, tels que leur maturation intellectuelle. La temporalité des appren­
tissages posséderait ainsi un caractère didactique, et non «  naturel  » comme le
suggère Carroll.
Mercier (1992, 1995) fournit des éléments supplémentaires pour abonder en
ce sens. Selon l’auteur, «  le temps propre de l’enseigné ne peut être produit indépendamment du temps didactique auquel il s’articule  » (Mercier, 1992, p. 57). Fort
de cette position, il propose d’examiner ce qu’il nomme la «  biographie didac­
tique  » d’élèves, c’est-à-dire «  la suite des incidents constitutifs de [leur] histoire
d’élève  » (Mercier, 1992, p. 5). Ceci lui permet de montrer que, si l’enseignement
permet à l’élève d’acquérir des connaissances nouvelles, le fonctionnement temporel de l’enseignement crée de facto pour l’élève de l’ignorance, laquelle constitue d’ailleurs son caractère premier  : «  L’ignorance, dit-il, ou plutôt la succession
des ignorances dépassées est le déterminant principal de la biographie didactique
de l’élève.  » (Mercier, 1992, p. 79) Très clairement, la temporalité de l’enseigné est
définie par rapport aux processus didactiques qui la génèrent.
Nos travaux (Chopin, 2007) poursuivent cette critique des thèses de Carroll
en dénonçant la conception naturalisée du temps d’apprentissage des élèves qui
leur est associée. L’idée que chaque écolier pourrait être caractérisé par un temps
d’apprentissage propre ne résiste pas à l’analyse. Nous montrons que, dans les
travaux de Carroll, c’est la notion d’aptitude de l’élève qui soutient la définition du
temps nécessaire à l’apprentissage (l’un des deux éléments centraux du modèle
d’apprentissage du psychologue), et que simultanément ce temps nécessaire
à l’apprentissage est lui-même défini comme «  le temps nécessaire pour
­apprendre  » (17). Nous soulignons le caractère tautologique du modèle ainsi que
le risque auquel il conduit d’entretenir une conception réifiée du temps d’apprentissage, comme si chaque élève était caractérisé par un temps d’apprentissage
indépendant de toute dimension pédagogique, préexistant à toute situation
d’ensei­gnement  : le temps de l’enseigné ne peut être considéré indépendamment
du temps de l’enseignement.
Le temps de l’enseignement  : de la planification à la gestion in situ
Le thème du temps de l’enseignement est aujourd’hui largement traité par des
travaux en didactique, pour des raisons que nous proposerons d’analyser plus
tard. Loin de se cantonner aux seuls aspects de la planification, c’est sur la gestion du temps in situ, dans le cœur de la classe, que portent ces approches. La
planification des séquences d’enseignement (Dessus, 2000) équivaut en quelque
sorte à une écriture anticipée du temps qui va réellement s’ouvrir avec le début
de l’enseignement. Une fois ce temps ouvert, le professeur se retrouve en position
de gestion immédiate du temps. Tochon avance que la capacité à gérer ce temps
déterminerait la qualité du pédagogue. Dans ses travaux menés sur l’enseignement du français (Tochon, 1989), il affirme que la planification du temps serait
l’affaire du didacticien, quand la «  science de la gestion  » comme il la nomme,
c’est-à-dire l’enseignement in situ, concernerait le pédagogue. Cette dimension
de gestion du temps serait même ce qui distinguerait l’enseignant expert (pensant
la synchronie) du simple novice (pensant la seule diachronie, voir Tochon & Munby,
1993). Bref, selon Tochon, la gestion du temps en classe relèverait d’un savoirfaire qu’il considère être le point aveugle des approches didactiques. Certains
didacticiens proposent pourtant des résultats sur cet aspect. Assude (2004), par
exemple, s’intéresse à la manière dont l’enseignant peut gérer le temps dans sa
classe. Elle montre que les conditions de cette gestion sont en partie contenues
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 101
dans la nature des dispositifs mis en place par les professeurs, conditions que le
regard didactique permet d’analyser. Sa recherche porte sur l’intégration d’un
logiciel de géométrie (Cabri-géomètre) dans la classe, outil permettant au professeur de modifier son enseignement sur les quadrilatères. Elle se déroule sur trois
années scolaires, correspondant à la transition entre un enseignement sans le
logiciel (1re année) et un enseignement avec le logiciel (2e et 3e années). La
­comparaison entre les différentes années permet d’examiner l’importance de la
maîtrise des conditions didactiques de l’enseignement sur la gestion in situ du
temps dans la classe. L’auteur montre par exemple que l’introduction du logiciel
provoque une perturbation chez le professeur, qui éprouve des difficultés à anticiper les comportements d’élèves face aux situations proposées et donc à maîtriser le rythme de la leçon. La prise de contrôle revient à partir de la seconde année
d’utilisation du logiciel, avec une modification du rythme des activités, une modification de la communication dans la classe et une augmentation de l’utilisation
des traces de l’activité des élèves qui serviront de support aux institution­
nalisations.
Dans la même perspective, les travaux de Maurice et Allègre (2002) sollicitent
les cadres de l’ergonomie et de la didactique des mathématiques pour mettre en
évidence l’invariance temporelle des pratiques enseignantes du point de vue de
ce qu’ils appellent «  le temps donné aux élèves pour chercher  ». Selon eux, ce
temps «  serait lié au temps global de la résolution du problème par une relation
dont on peut mathématiquement rendre compte  » (Maurice & Allègre, 2002,
p. 120). En effet, tout se passe comme si les professeurs maintenaient un rapport
constant, dans chacune de leurs leçons, entre le temps de recherche accordé aux
élèves et le temps dont ils disposent pour mener à bien leur enseignement. Pour
désigner ces régularités dans la manière de gérer le temps, le concept d’«  habiletés implicites  » est avancé (18). On retrouve cette dimension praxique dans la
définition que donne Perrenoud (2001) de la tâche principale du professeur :
«  gérer le temps qui reste  ». L’auteur précise aussitôt que ce que le professeur
doit gérer dans ce temps, ce sont les connaissances des élèves  : «  Faut-il “laisser
du temps au temps” ou exercer une pression de chaque instant sur les élèves  ?
Dans le premier cas, on laisse les écarts s’agrandir, dans le second, on entrave
l’apprentissage et on engendre des souffrances inutiles. Quel est le juste équilibre
entre la persécution et l’attentisme  ?  » (Perrenoud, 2001, p. 287). Cet extrait montre comment les considérations sur le temps du professeur rejoignent finalement
celles relatives au temps d’apprentissage des élèves. Plus globalement, les études que nous venons de répertorier, basées sur une acception processuelle du
temps, laissent apparaître l’interdépendance, pour ne pas dire la consubstantialité, de ces deux temporalités. Le temps d’apprentissage (du côté de l’élève) n’est
pas isolé du temps de l’enseignement (du côté du professeur). En retour, le temps
d’enseignement est lié aux temporalités propres de la classe et des élèves.
L’imbri­cation de ces deux types de temporalité apparaît plus nettement à travers
l’étude du temps didactique.
Le temps didactique  : une dialectique des temps de l’enseignement
et de l’apprentissage
Les travaux de Sensevy (1996, 1997), proches à certains égards de ceux de
Mercier, s’attachent à rendre compte de la temporalité spécifique de la construction des connaissances  : le temps didactique. La mise en place de l’ingénierie du
«  journal des fractions  » (Sensevy, 1996) permet à Sensevy d’examiner les «  conditions temporelles qui peuvent amener l’élève à construire une activité réflexive
dans un travail de type épistémologique  » (Sensevy, 1996, p. 8). Deux concepts
102 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
sont définis comme des outils de construction du temps didactique  : la «  chronogénéité  » et l’«  emblématisation  ». Pour que l’activité de l’élève puisse être chronogène, c’est-à-dire productrice de l’avancée du temps didactique, le professeur
devrait, selon Sensevy, lui dévoluer une part importante de la mémoire didactique
de la classe. Le journal des fractions est présenté comme un outil possible de
cette dévolution en permettant de mettre en acte un processus d’emblématisation, c’est-à-dire d’extraire des signes produits par les élèves à propos des
connaissances développées à partir de leur activité, qui viendront ensuite soutenir
l’institutionnalisation (19). Les temporalités respectives du professeur et des ­élèves
sont ici reliées de manière dynamique par rapport au savoir en jeu, à travers la
notion de temps didactique.
Dans la même perspective, les travaux de Favre (2003) portent sur le fonctionnement du temps didactique dans des classes d’enseignement spécialisé (ES)
et des classes ordinaires (EO) en Suisse romande. Les classes ES sont doublement caractérisées  : d’abord par le faible niveau scolaire des élèves qui les
compo­sent  ; ensuite par la structuration du temps alloué pour l’enseignement des
mathématiques (plus discontinu que celui des classes ordinaires et extensible à
loisir du fait de l’absence de programme et d’évaluation). Favre établit que le
temps d’enseignement en classe ES a tendance à s’étendre de manière importante, sous l’effet de deux processus  : les activités et leur enchaînement ne sont
pas établis à l’avance  ; la rencontre de l’échec par les élèves entraîne une extension très importante du temps consacré à une activité (20). Pour expliquer cela, il
montre que «  la progression du temps didactique en classe ES s’effectue sur la
base d’autres repères qu’en classe EO et que la nature même de ces repères
constitue un frein d’importance à cette progression  » (Favre, 2003, p. 55). Selon
lui, plus les conditions «  socio-pédagogiques  » de l’enseignement (telles que la
«  spécificité  » scolaire des élèves «  faibles  » et l’extensibilité du temps d’enseignement) autorisent la recherche d’une adaptation du temps de l’enseignement
au temps des élèves (symptomatique de l’illusion de leur autonomie respective),
moins le temps didactique avance  ; les élèves progressent peu et le programme
n’est pas parcouru. En d’autres termes, le fait de dissocier temps de l’enseignement et temps de l’apprentissage a des conséquences négatives sur l’avancée du
temps didactique.
Les travaux de Giroux et René De Cotret (2001, 2003) soulignent eux aussi la
nécessité de ne pas penser le temps de l’élève indépendamment du temps de
l’enseignement. Les auteurs étudient les modalités de l’avancée du temps didactique au sein de deux classes caractérisées par des niveaux scolaires différents  :
une classe de doubleurs et une classe dite «  régulière  ». Deux indicateurs sont
retenus  : la structuration des séquences d’un côté, la nature des interactions
­professeur-élève(s) de l’autre. Giroux et René De Cotret établissent ainsi que
«  sous la contrainte de faire progresser le savoir de manière à faire “rattraper” aux
élèves ce qui leur aurait “échappé” au cours de l’année passée, l’enseignement
en classe de doubleurs (CD) est réalisé selon un découpage d’unités temporelles
étanches au plan du contenu  » (Giroux & René De Cotret, 2001, p. 71). Dans la
classe de doubleurs en effet, l’enseignement s’organise selon l’enchaînement
ordonné des trois types d’activité («  théorie  », «  devoirs  » puis «  correction des
tâches  »), alors que l’organisation apparaît plus souple pour la classe régulière,
laissant plus de possibilités aux allers-retours, aux reprises et aux questionnements pour les élèves, c’est-à-dire aux conditions nécessaires à la construction
de connaissances nouvelles. C’est au contraire le défilement qui prévaut dans le
cas des doubleurs, instituant une rigidité dans la diffusion des connaissances à
laquelle s’associe, d’après l’analyse des interactions, une contextualisation des
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 103
situations plus ­prononcée, un taux élevé d’institutionnalisations et une limitation
substantielle de l’introduction de nouveautés.
Enfin, à propos de l’étude du temps didactique, nos travaux (Chopin, 2006,
2007) proposent d’examiner le lien entre le temps de l’enseignement dans sa
dimension provisionnelle (en parlant de «  temps légal  ») et le temps didactique
(dimension processuelle). Nous soulignons les relations d’interdépendance entre
ces différents temps. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les modalités de
l’avancée du temps didactique ne sont pas strictement assujetties au temps disponible pour enseigner, mais possèdent une autonomie propre. Dans une étude
portant sur quatre classes de CM2 en 2006, éprouvée ensuite sur un échantillon
plus important (soit huit classes, voir Chopin, 2007), nous établissons que, pour
un même projet d’enseignement et toutes choses égales par ailleurs, des professeurs disposant de 2 heures d’enseignement ne font pas davantage progresser
leurs élèves que des professeurs disposant de 4 heures  : l’efficacité et l’équité de
l’enseignement ne sont pas liées à la variable temps légal. Loin de plaider en
faveur de l’idée selon laquelle un raccourcissement du temps alloué leur permettrait d’améliorer la pratique des enseignants, nous pointons la nécessité de suspendre les considérations provisionnelles du temps en faveur d’une étude des
modes d’avancée du temps didactique. Nous montrons que ces modes sont bien
moins dépendants du temps légal de l’enseignement que de conditions strictement didactiques, liées à la possibilité donnée au professeur de contrôler le processus de création et de déplacement d’hétérogénéité didactique par lequel se
réalise l’enseignement (Chopin, 2008).
Quels apports des travaux francophones ?
Loin de prétendre à l’exhaustivité, le recensement des travaux francophones
réalisé ici fait apparaître une certaine continuité avec les approches américaines
du point de vue de l’acception provisionnelle du temps  : le temps est considéré
comme une ressource dont la gestion efficace de l’allocation permettrait l’amélioration des pratiques  ; plus de temps permettrait de s’adapter aux temps respectifs des élèves (influence du modèle d’apprentissage de Carroll) mais redonnerait
aussi aux professeurs le temps d’enseigner, etc. Une alternative à cette acception
provisionnelle est néanmoins présente dans un certain nombre de travaux francophones présentés. Le temps n’y est plus considéré comme un input dont il faudrait parvenir à saisir l’influence sur l’enseignement, mais plutôt comme l’une des
composantes et par conséquent l’une des clés d’analyse de cet enseignement.
Quelle que soit la focalisation des recherches (sur l’élève ou sur le professeur),
ces approches considèrent le temps sous l’aspect d’une construction et même
d’une co-construction du temps du savoir dans la classe, de la dynamique inhérente aux pratiques étudiées. Il est possible de contextualiser l’émergence de ce
type d’approche au sein de ce que Doyle (1986) nomme le «  paradigme écologique  » des recherches en éducation (21). Comme le soulignent également des
auteurs français, les aspects contextuels et dynamiques des pratiques d’enseignement sont devenus l’un des enjeux majeurs des recherches en éducation (Bru,
Altet & Blanchard-Laville, 2004). Le temps est une variable tout à fait sensible à
ce changement. Plus que toute autre en effet, elle peut revêtir tour à tour le rôle
d’objet à part entière de l’étude et d’instrument d’analyse pour l’étude  : le
«  temps  » passe alors du statut de variable observable parmi les phénomènes
considérés à celui de concept opératoire pour l’étude de ces phénomènes (22).
La temporalité des pratiques d’enseignement, au sens quasiment anthropologique
du terme, est au cœur des approches dynamiques et contextualisées de l’ensei104 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
gnement, au cœur de la genèse de pratiques complexes et co-construites, au sein
desquelles on sait désormais que se jouent des phénomènes très fins et néanmoins déterminants dans l’acquisition de connaissances nouvelles pour les ­élèves.
Bien que d’autres champs disciplinaires puissent solliciter le temps sous cet
aspect opératoire à propos des phénomènes d’enseignement — en particulier
l’ethnographie et la sociologie (23) –, la prégnance des approches didactiques sur
ce point ne surprend pas (24). Dès sa genèse (Chevallard, 1991  ; Chevallard
& Mercier, 1987), le concept de temps didactique possède un caractère opératoire
avéré  : il est le temps de la construction du savoir et non simplement le temps au
cours duquel se construit le savoir. Les auteurs du récent dictionnaire des concepts
fondamentaux des didactiques (Reuter et al., 2007) soulignent d’ailleurs que la
notion de chronogénèse, associée à celle de temps didactique, est aujourd’hui
fortement «  convoquée de façon méthodologique pour repérer les décisions du
professeur concernant l’articulation des temps de l’enseignement et de l’apprentissage  » (p. 26). Son usage «  a notamment pour but la construction de modèles
destinés à rendre compte des actions des enseignants  » (25) (p. 26).
Conclusion sur les usages du « temps »
dans les recherches sur l’enseignement
Le nombre important de travaux consacrés au temps de l’enseignement donne
un aperçu de la densité et de la complexité d’une telle thématique. Si le temps
paraît étroitement chevillé aux questions d’enseignement, il reste difficile à saisir,
du fait notamment de son double statut d’objet et de concept opératoire  :
«  Comme un cercle plus grand que les autres, rapporte le philosophe Gonord, le
temps hante toutes les notions et toutes les dimensions  » (Gonord, 2001, p. 39).
Cela en fait même, toujours d’après l’auteur, «  un savoir incapable  ». Son incapacité tiendrait à son incroyable faculté d’échapper à une appréhension rigoureuse,
de se recomposer toujours un peu plus loin que là où l’on entend le penser,
jusqu’à revenir parfois au point de départ  : variations et recommencement du
même caractérisent la manière dont le temps surgit dans les discours en édu­
cation. À l’issue de cette revue de la question, deux axes permettant de
baliser l’espace des questionnements peuvent être dégagés  : l’un que nous nommerons «  économique  »  ; l’autre «  critique  ». Nous poserons que ces deux axes
­s’interpellent l’un l’autre et que chacun traverse différemment les approches
­provisionnelles et processuelles que nous venons de recenser.
Pour commencer, nul doute que le temps continue à être considéré comme
une ressource dont les effets en termes de bénéfice scolaire doivent être examinés. Ceci est vrai dans le cadre de politiques d’évaluation et de régulation financière du système bien sûr, mais aussi d’un point de vue strictement pédagogique,
puisqu’il n’est pas déraisonnable de vouloir permettre aux élèves d’apprendre
«  autant  » et «  aussi bien  » en un temps plus réduit. Ainsi la perspective économique ne doit pas opposer approches provisionnelle et processuelle du temps de
l’enseignement, mais les réunir. Comment en effet envisager la mise en lien d’une
quantité de temps avec des effets obtenus pour les élèves, sans comprendre la
manière dont le temps de l’acquisition de connaissances nouvelles pour ces derniers peut effectivement être généré via les dispositifs et les actions des professeurs au cours de l’enseignement  ? À l’inverse, il semble difficile de comprendre
les modalités de l’avancée du temps didactique dans le cadre d’une leçon (la
distribution des interactions maître-élèves, la nature des dispositifs mis en place)
Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 105
sans prendre en compte deux variables capitales de l’équation que le professeur
doit quotidiennement résoudre  : celle du temps légal dont il dispose pour enseigner et celle des résultats attendus par la société (les parents, les instances académiques, etc.). Pour ne prendre qu’un exemple, la pratique d’une différenciation
de la pédagogie (aujourd’hui présentée comme une réponse aux difficultés des
élèves les plus faibles) pourra être fortement contrainte par l’impératif, pour le
professeur, de satisfaire dans le temps imparti aux attentes minimales d’efficacité
scolaire pour l’ensemble de sa classe et le conduisant en priorité à tenter de faire
avancer «  le gros de la troupe  ». C’est sur ce type d’économie didactique que
repose l’enseignement. Concernant maintenant l’axe critique à propos des études
consacrées au temps de l’enseignement, il s’apparenterait ici à un effort de clarification nécessaire et continu à propos de la manière dont la variable « temps  »
est utilisée dans la recherche en éducation. Dans les travaux présentés, la perspective critique aura largement consisté en une remise en question de la dimension provisionnelle du temps. Loin de s’y opposer strictement, elle souhaitait différer la question  : «  combien faut-il de temps  ?  », pour s’atteler à la nature même
de la temporalité en jeu dans les débats sur l’école  : «  comment se fait le temps
de l’enseignement  ?  ». Une telle perspective permet de reformuler un certain
nombre de questions posées habituellement sur l’axe économique (et d’élargir
conséquemment le sens du terme économie)  : en quoi par exemple plus de temps
alloué à l’enseignement permet-il (ou non) des acquisitions plus pérennes et
consistantes chez les élèves  ? En quoi le fait de gagner ou de perdre du temps à
telle ou telle étape de la scolarité risque-t-il d’entraîner quelques années plus tard
un frein insoupçonné à l’avancée du temps didactique sur un nouveau domaine
de connaissances  ? On le constate, le débat auquel de telles questions aboutissent concerne in fine la nature du temps vécu par les élèves d’une classe ou
d’une génération donnée, c’est-à-dire le type et la forme des connaissances que
la société cherche à leur inculquer. La réflexion sur le temps de l’enseignement,
habituellement menée dans l’optique de la réalisation des objectifs dits «  d’efficacité  » et «  d’équité  » scolaire (aussi peu définis qu’omniprésents dans la sphère
éducative), conduit en fait à un retour questionnant sur les finalités pédagogiques
mais aussi politiques de l’école. Elle donne ainsi quelques raisons d’accueillir
avec une vigilance légitime et non sceptique toute proposition d’amélioration de
l’école qui se fonderait sur un remaniement superficiel du temps scolaire.
Marie-Pierre Chopin
[email protected]
DAESL, LACES, université Victor-Segalen-Bordeaux 2
notes
(1) L’emprunt à Delhaxhe sera avant tout d’ordre structurel. Le
­lecteur pourra trouver, à l’intérieur de chaque partie, des développements différents entre les deux notes de synthèse.
2) Selon Mann (1926, cité par Borg, 1980) par exemple, le temps
accordé à la lecture était 12 fois plus important dans certaines
classes que dans d’autres. Beaucoup de travaux ultérieurs pointeront à nouveau cette variabilité.
(3) Dans les années 1920, des études associées au courant dit du
« scientific management » étaient menées sur l’attention des élèves, mesurée sur la base du mouvement de leurs yeux et de la
position de leur corps pendant les leçons (Morrison, 1927). Cette
mesure de l’attention devint ainsi un critère d’évaluation des
­maîtres en permettant de distinguer ceux dont l’enseignement
intéressait les élèves et les autres.
106 (4) Smyth adapte lui-même son modèle de celui de Harnischfeger
et Wiley (1976).
(5) Le choix de ce titre (« Does more time make a difference? », pour
la version originale) renvoie à l’un des principaux résultats du
célèbre rapport Coleman (Coleman et al., 1966), paru dans le
contexte des grandes enquêtes corrélationnelles des années
1960 aux États-Unis. La mise en évidence par le rapport Coleman, à une échelle jusque-là jamais atteinte, du phénomène
d’inégalités scolaires dont souffre le système scolaire américain,
s’accompagne en effet du constat selon lequel ce ne sont pas les
écoles qui « font la différence » dans la réussite des élèves : les
variations de réussite inter-écoles sont bien moins importantes
que les variations intra-école. En 1975, Hodson publie ce résultat
dans un article intitulé « Do schools make a difference? », dont
Husén s’inspire très directement.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
(6) Plus exactement, on pourrait dire qu’il « redevient » l’enjeu des
recherches en éducation, plus de cinquante ans après les travaux de Morrison (1927) sur l’attention des élèves que nous
avons évoqués plus haut.
(7) Les meilleurs élèves sont ceux qui restent le plus longtemps
engagés dans la tâche. Ceci permet d’expliquer que, comme le
rapporte Delhaxhe, « la corrélation [entre temps d’engagement
et réussite à un post-test] est d’autant plus forte lorsque les
chercheurs ont choisi pour unité de mesure l’élève (0,48) plutôt
que la classe (0,26) » (Delhaxhe, 1997, p. 112).
(8) Les auteurs montrent par exemple que les enseignants peuvent
être entraînés à faire varier leurs styles d’enseignement de façon
à augmenter l’engagement des élèves.
(9) Pour donner un aperçu de l’importance de cet objet de recherche, citons-en quelques travaux : Arlin (1979) ; Bell & Davidson
(1976) ; Bettencourt et al. (1983) ; Borg & Ascione (1979).
(10) ERIC (Education resources information center) est une base de
données gérée par l’Institut des sciences de l’éducation des
États-Unis. Le département de l’éducation qui collecte, crée et
diffuse la base de données bibliographiques et les textes en
version intégrale, quand ils sont disponibles, couvre l’ensemble
de la littérature scientifique en éducation. Nous avons effectué
notre recherche sur la base des critères suivants : le terme
« time » est contenu dans le titre et les termes « education »,
« school », « student » associés soit aux déclinaisons de
« learn » soit à celles de « teach », figurent dans la notice
­complète.
(11) Pour une note de synthèse sur la question, cf. Metsker (2003).
(12) Les considérations relatives à l’allongement du temps de
­l’enseignement conduisent également à envisager des temps
d’instruction hors de l’école. Les études récentes (à partir de
2000 notamment) portent sur ce temps d’apprentissage extrascolaire (cf. Lauer et al., 2004 ; Miller & Snow, 2004 ; American
youth policy forum, 2003…).
(13) Ce phénomène se retrouve aussi dans des publications en langue anglaise. Nous pensons notamment à l’ouvrage collectif
dirigé par Perret-Clermond (2005) : Thinking time. A multi­
disciplinary perpective on time.
(14) Suite à un appel lancé en 2008 par Prost relativement à la restructuration du temps scolaire (traduit dans une pétition largement diffusée), le Cercle de recherche et d’action pédagogique
(CRAP) et les Cahiers pédagogiques ont réuni dans un numéro
spécial toutes les contributions réalisées sur la question du
temps scolaire au fil des années d’existence de la revue. Le
sommaire de ce numéro permet de se rendre compte du nombre de disciplines contribuant à nourrir la question de la structuration du temps scolaire et fait apparaître les liens étroits entre
recherches scientifiques et propositions d’action pour l’amélioration de l’École.
(15) Ces travaux établissent l’existence de périodes critiques chez
l’être humain au cours d’une journée, du point de vue de sa vigilance ou de ses performances intellectuelles : « Il s’agit de
déterminer des profils de fluctuations journalières (surtout) de
performance et d’étudier l’influence sur la rythmicité psychologique des facteurs liés à la situation, à la tâche ainsi qu’aux
individus. » (Fotinos & Testu, 1996, p. 47).
(16) Dans son célèbre ouvrage, La grande didactique, Comenius
propose une réflexion poussée sur les liens entre durée scolaire
et contenu des enseignements. Il préfigure en ce sens les travaux menés plus tard sur les phénomènes de linéarisation des
objets de savoir sur l’axe du temps, notamment ceux liés à la
transposition didactique (cf. Chevallard, 1991).
(17) Selon Carroll en effet, dans le cas où l’on enseigne la même
chose à des élèves dans des conditions totalement équiva­
lentes, la quantité de temps nécessaire pour que ces derniers
apprennent varie largement. Cette quantité est censée permettre de mesurer l’aptitude de l’élève pour une tâche donnée.
(18) Sur cette même idée, cf. aussi l’étude de Maurice, Berthon
et Vignon (2000) sur l’utilisation des marqueurs de temps en
français, ou encore les travaux de Rogalski (2003), se situant
eux aussi au croisement de l’approche didactique et de la psychologie ergonomique, en considérant l’activité de l’enseignant
comme un cas spécifique de la gestion d’un environnement
dynamique.
(19) On pourrait mettre en lien ce concept d’emblématisation avec
celui de « double sémiotisation » développé par Schneuwly
(2000) en didactique du français.
(20) D’autres constats de ce type avaient déjà été faits, par exemple
par Perret (1980), qui montrait que plus les professeurs prenaient de temps pour enseigner les mathématiques, plus ils
affirmaient manquer de temps pour finir le programme.
(21) Le paradigme écologique succède d’après Doyle à celui des
« processus-produits », où « les questions à se poser par le
chercheur doivent porter sur la relation entre le comportement
des enseignants et les résultats de l’apprentissage des élèves »
(Doyle, 1986, p. 437), et celui des processus-médiateurs où les
travaux ont pour objet « les processus humains implicites qui
s’interposent entre les stimuli pédagogiques et les résultats de
l’apprentissage » (Levie & Dickie, cités par Doyle, 1986, p. 445).
(22) Ce phénomène apparaît dans le domaine plus général des
sciences humaines et sociales, à travers le développement de la
sociologie des temps sociaux par exemple (Sue, 1994) ou de
celui des approches transversales du temps dans les phénomènes humains et sociaux (cf. par exemple la fondation du bulletin
Temporalistes en 1984 par Grossin, destiné à l’étude des temporalités spécifiques à chaque milieu de vie et à l’analyse de
leurs effets).
(23) Nous pensons par exemple aux recherches, inspirées des
célèbres études sur la proxémique de l’américain Hall (1971,
1984), de Vasquez et Xavier De Brito (1996), où les auteurs
mettent en évidence les difficultés susceptibles d’être générées par des manières de vivre le temps différentes selon la
culture des élèves. Citons également, dans le cadre de l’université, les travaux de Verret (1975) sur le temps des études,
mettant l’accent sur les pratiques du temps des étudiants,
ceux de Barrère (1997) concernant le lycée, ou encore ceux de
Beaud (1997) sur le « temps élastique » des jeunes de banlieue
poursuivant des études universitaires déconnectées du rythme
de la cité.
(24) On pourrait préciser que la didactique des mathématiques y est
pour le moment la plus représentée. Ceci s’explique en grande
partie par le fait que les concepts utilisés pour l’étude du temps
didactique (chronogénèse, mésogénèse, transposition didactique, milieu et contrat didactiques) sont principalement issus du
champ de cette discipline.
(25) Sur ce point on pourra renvoyer le lecteur au travail de Leutenegger à propos de la constitution d’une approche clinique du
temps didactique, qui permettrait l’observation de l’enseignement dans les classes dites « ordinaires » (Leutenegger, 2000).
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Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
NOTES CRITIQUES
Alexander Robin. Essays on pedagogy. Londres :
Routledge, 2008, 212 p.
Le constat qui fonde ce recueil d’essais est l’hésitation,
si ce n’est la méfiance britannique à parler de pédagogie
et le caractère mal compris de ce concept. Dans un
ouvrage au titre provocateur, Brian Simon demandait
en 1981 pourquoi il n’existait pas de pédagogie en Angleterre
(Why no pedagogy in England?). Dans un contexte très
différent, où la pédagogie est devenue un enjeu politique
du fait de l’intervention directe du gouvernement pour
prescrire des façons d’enseigner, Robin Alexander, sans
doute le plus grand spécialiste britannique actuel de l’enseignement primaire, retravaille la question. Dans une
série d’essais qui rappelle la culture, la compétence et
l’engagement de cet universitaire de renom, les éléments
pratiques côtoient la théorie, et si l’auteur se réfère en
premier lieu à l’enseignement primaire britannique,
l’ouvrage est nourri de son expérience comparative internationale et pertinent de ce fait pour un lectorat au-delà
de la Manche. Dans le monde éducatif britannique il est
volontiers question d’enseignement, de programmes, de
savoirs, d’apprentissages et de l’apprenant. Mais la pédagogie tend à être confondue avec le simple acte d’enseigner, ce qui, d’après l’auteur, consiste à l’amputer « des
idées, des valeurs et des croyances qui nourrissent cet
acte » (1) (p. 4) et à réduire l’enjeu éducatif à un processus technique. Il propose donc la définition suivante : « La
pédagogie est l’acte d’enseigner considéré en même
temps que le discours qui l’accompagne en matière de
théories éducatives, de valeurs, de recherches et de légitimations. C’est tout les savoirs et les savoir-faire qu’il
faut maîtriser afin de prendre et de justifier la myriade de
décisions d’ordres si divers dont l’enseignement se
­compose » (p. 47).
L’ouvrage s’organise comme un tissage dense de
réflexions autour de la trame que constitue cette définition : six essais initialement conçus entre 1997 et 2007
offrent des entrées et des éclairages aussi divers que
complé­mentaires des enjeux politiques jusqu’aux pratiques de classe ; des interactions langagières les plus anodines en apparence, qui font le quotidien de la classe,
jusqu’à l’analyse du sens que revêtent ces interactions
dans un contexte culturel donné. Chaque essai peut être
pris séparément, et l’auteur nous invite à ne pas traiter
l’ouvrage comme une séquence unitaire de chapitres.
Chaque composante conserve effectivement une tonalité
et un caractère propres, mais il se dégage de l’ensemble
une cohérence et une progression interne au-delà de la
diversité initiale. Ceci tient en partie à la révision et à la
réactualisation des essais pour la publication, ainsi qu’aux
chapitres d’introduction et de conclusion qui mettent en
perspective le tout, mais surtout au fait même de la pensée cumulative de Robin Alexander qui, tout au long de
sa carrière, a retravaillé et approfondi la question centrale
de la pédagogie, avec autant de détermination que d’inventivité dans les angles par lesquels il l’aborde. Le recueil
inclut par exemple le démantèlement systématique de la
rhétorique gouvernementale lors de la publication d’une
ènième stratégie pour l’enseignement primaire, à l’occasion de laquelle Robin Alexander manie une plume
acerbe avec ironie et virulence, aux antipodes de l’essai
final qui constitue un tribut émouvant à un enseignant
hors pair et hors normes, Douglas Brown, dont l’enseignement tout au long de la scolarité secondaire de l’auteur
a marqué la construction intellectuelle, professionnelle et
humaine de ce dernier.
Le premier essai réagit à la publication par le corps
d’inspection (OFSTED) d’une analyse des implications
pédagogiques des comparaisons internationales des résultats d’élèves (Reynolds & Farrell, 1996). À la lumière
d’études internationales, le corps d’inspection recommandait l’adoption de « l’enseignement interactif en classe
entière » supposé contribuer à la réussite éducative de
pays comme Taïwan ou la Suisse, contre la tradition britannique de pédagogie différenciée qui s’était développée
à partir des années 1960. Robin Alexander procède à une
vigoureuse mise en garde vis-à-vis de « l’emprunt » de
politiques et de pratiques et de la tentation sous-jacente
d’établir un lien causal entre la pédagogie, les résultats
scolaires et les performances économiques d’un pays.
Les « nouveaux comparatistes », ardents défenseurs de
« l’amélioration de l’École », ont pour mission assumée
de changer l’École plutôt que de la comprendre. Robin
Alexander souligne les dangers épistémologiques d’une
telle approche résolument « quantitative, quasi-scientifique
et pragmatique » (p. 15) et insiste particulièrement sur
l’erreur fondamentale consistant à séparer les dimensions
culturelle, éducative et sociale : « La vie dans les écoles et
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 111-135
les classes est un aspect de la société plus large, elle n’en
est pas séparée : la culture ne s’arrête pas à la grille d’entrée de l’école » (p. 16). Les risques consistent à ignorer
des questions aussi fondamentales que celles des infra­
structures et des ressources, et à divorcer la pédagogie des
valeurs pour y voir un simple outil neutre. L’auteur propose une typologie des études internationales suivant
qu’elles sont en quête de faits, d’indicateurs ou d’efficacité et propose un panorama critique de travaux relevant
de chaque catégorie. Puis il se penche plus particulièrement sur l’injonction faite aux enseignants dans les années
1990 d’adopter l’enseignement en classe entière. En
­quelques vignettes il démontre le caractère simpliste et
illusoire d’une telle injonction car, en effet, quels critères
caractérisent l’enseignement interactif en classe entière ?
Est-ce l’enseignant qui pose les questions ou les élèves ?
Interroge-t-on longuement un élève ou plusieurs à tour
de rôle ? Donne-t-on la parole à un volontaire ou ­désignet-on celui qui répondra ? Les questions posées sont-elles
ouvertes, appelant à une réflexion autonome, ou s’agit-il
d’une quête de la réponse attendue d’avance par l’enseignant ? Les élèves sont-ils assis en rangées, en groupes ou
en fer à cheval ? Et, de tous ces critères, quels sont ceux
dont dépendrait le succès supposé de la méthode ?
maire. Cet essai est moins pertinent pour le lecteur français, si ce n’est qu’il est l’occasion d’aborder le style
prescriptif et normatif d’un gouvernement qui s’est progressivement approprié non seulement le contenu de
l’enseignement (formulation des programmes scolaires),
mais aussi la pédagogie (imposition de méthodes d’enseigner la « littéracie » et la « numéracie »). Dans une
­critique sans merci mais non dénuée d’humour, Robin
Alexander souligne les contradictions internes du
­document et, plus fondamentalement, le manque d’un
cadre théorique de référence, du fait du refus du gouvernement de mobiliser les résultats de la recherche indépendante. Par ailleurs, l’auteur note que la moindre utilisation de la notion de pedagogy en Angleterre par rapport
à la pédagogie en France ou die Pädagogik en Allemagne
n’est pas un simple problème de terminologie. En effet la
tradition de gestion décentralisée d’un système éducatif
sans programmes nationaux a contribué en Angleterre à
une mobilisation théorique et pratique autour de l’enjeu
des programmes et du curriculum. À l’inverse, dans les
pays centralisés où les programmes étaient aux mains des
pouvoirs centraux, la marge de manœuvre restant aux
enseignants concernait plutôt la nature des disciplines et
la façon de les enseigner.
Après avoir ainsi remis en question l’idée d’une quelconque homogénéité de l’enseignement interactif en
classe entière en mobilisant ses propres travaux empiriques internationaux, Robin Alexander procède à une
reconstruction analytique des paramètres étudiés, à savoir
les facteurs organisationnels, la nature de la langue
employée en classe et le sens des pratiques pédagogiques
observées. Il montre comment la diversité constatée dans
les arrangements organisationnels est finalement mineure
comparée à la subtile variation dans le discours et le sens.
Or ces trois éléments doivent être pris en considération
en un seul mouvement car les méthodes pédagogiques
sont des « manifestations de valeurs culturelles » et non
des réactions à ces dernières, d’où l’enjeu foncièrement
moral de l’emprunt en pédagogie : « Souhaitons-nous
importer, aux côtés de la méthode, tout ce qu’elle véhicule aux élèves qui en font l’expérience, à savoir des messages concernant le caractère ouvert ou délimité, provisoire ou incontestable du savoir ; la façon dont les idées
doivent être maniées ; le type d’autorité que les enseignants et les programmes représentent ; la nature des
relations entre les individus et les groupes ; l’équilibre de
l’autonomie individuelle et de la responsabilité collective ;
ce qui compte comme apprentissage réussi ; ce que signifie être une personne éduquée ? » (p. 39). Suit un essai
qui procède à une attaque en règle d’une publication officielle intitulée Excellence and enjoyment (DFES, 2003),
destinée aux enseignants et parue à l’occasion du lancement d’une nouvelle stratégie pour l’enseignement pri-
Dans le troisième essai, Robin Alexander mobilise les
résultats de sa grande comparaison internationale de l’enseignement primaire en Angleterre, en France, aux ÉtatsUnis, en Russie et en Inde (Alexander, 2001) pour proposer un cadre analytique de la pédagogie qui dépasse les
dichotomies stériles opposant par exemple l’enseignement et l’apprentissage, les savoirs et les savoir-faire, etc.
Il n’était pas réaliste de rendre justice aux résultats d’une
étude de si grande envergure en quelques pages, et l’essai
fait référence au cadre analytique développé dans
l’ouvrage de 2001 plus qu’il n’essaie de le restituer, ce qui
peut s’avérer inconfortable par moments pour un lecteur
qui n’aurait aucune connaissance préalable des travaux
de Robin Alexander. Les points développés ici sont une
cartographie de versions de l’enseignement et des valeurs
cardinales qui les sous-tendent. Six « constellations » ressortent de l’étude internationale : l’enseignement comme
transmission d’informations ; comme initiation au savoir
et aux disciplines ; comme négociation dans un processus
démocratique faisant de l’enfant un agent ; comme facilitation du développement individuel ; comme accélération
cognitive ; et comme technologie fondée sur des procédures et des matériaux standardisés (2) (p. 79). Si ces modes
d’enseignement n’existent nulle part à l’état pur et constituent un continuum au sein duquel les enseignants puisent, la ligne de démarcation majeure qui ressort de
l’étude est la Manche plutôt que l’océan Atlantique : d’un
côté une tradition anglo-saxonne de valeurs et de pratiques fondées sur le développement de l’enfant et les
112 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
valeurs démocratiques ; de l’autre une tradition continentale plus formelle, structurée et fondée sur l’épistémologie des disciplines, trouvant ses racines chez Comenius.
Fidèle à son postulat de départ suivant lequel la pédagogie ne prend son sens qu’en tenant compte des valeurs qui
la fondent, Robin Alexander dégage les trois grandes
orientations sous-jacentes à ces modes d’enseignement :
« L’individualisme, la communauté et la collectivité – ou
encore l’enfant, le groupe et la classe – sont les pôles organisationnels de la pédagogie, pas seulement du fait d’exigences pratiques, mais parce que ce sont les pôles sociaux
et politiques autour desquels se structurent les relations
humaines » (p. 83). Il est vrai que certaines enquêtes internationales, réagissant à la critique qui leur avait été faite
de ne pas tenir compte du contexte social et culturel, ont
tenté de prendre en compte cette dimension de l’éducation. Ainsi les études TIMSS ont développé l’idée de
« scripts d’enseignement » enracinés dans la culture
(Stigler & Hiebert, 1999). D’après Robin Alexander, leur
approche suggère une homogénéité culturelle illusoire et
perd de vue les tensions et les processus permanents de
négociation auxquels les enseignants sont soumis. Les
enseignants nord-américains par exemple tentent de promouvoir des valeurs qui coexistent difficilement, telles
que la réalisation de soi en même temps que le souci du
bien commun, ou encore le partage et l’esprit de compétition (p. 85). De même, les salles de classe dans ce pays
dénotent des finalités multiples et ambiguës : « Avec leurs
bureaux, tableaux noirs, fauteuils, lampes de bureau, tapis
et drapeaux, il n’était pas évident de savoir s’il s’agissait
de lieux de travail, de récréation, de repos, de détente ou
de prière » (p. 85). La comparaison internationale permet
ainsi de rappeler un message central de l’ouvrage : « Il est
erroné de supposer qu’il est possible d’extraire une politique ou une pratique de son contexte de valeurs pour la
transplanter telle quelle, ou de croire qu’on peut modifier
l’enseignement sans prêter attention aux valeurs qui soustendent la pratique qu’on essaie de transformer » (p. 88).
À la suite de ce panorama international de pratiques
pédagogiques et du rappel de l’influence centrale des
valeurs à tous les niveaux de l’organisation de l’espace, du
temps, des savoirs et des interactions dans la classe, le
quatrième essai expose une méthode pédagogique développée par l’auteur et qu’il nomme « enseignement dialogique » (Alexander, 2006). Cette pédagogie est axée sur
la parole et repose sur la relation indissociable entre
­langue, structuration de la pensée et nature des relations
­humaines (3). Sa genèse doit beaucoup à l’analyse faite
par l’auteur des pratiques observées en Russie et
en France. Robin Alexander contraste ainsi l’approche
britannique de la « littéracie » comme compétence de
base à l’approche française de la parole qu’il décrit
comme « traduisant une plus grande confiance en un fais
ceau complexe de compétences linguistiques, de connaissances littéraires, de valeurs républicaines et de vertus
civiques. Le citoyen est quelqu’un qui parle, raisonne et
argumente en s’appuyant sur une culture générale, pas
seulement quelqu’un qui lit et écrit avec un degré tolérable de compétence et qui accepte sans la mettre en question l’affirmation selon laquelle la Grande-Bretagne est
une démocratie » (p. 99). Dans les classes anglaises,
l’auteur observe une tradition d’échanges courts reposant
sur des questions fermées incitant peu à une réflexion
autonome et clos par des félicitations plutôt que par un
prolongement factuel ou une incitation à approfondir la
réflexion. Il s’agit donc d’évoluer vers un réel dialogue au
sens de Bakhtin, grâce à des échanges plus approfondis
qui stimulent la réflexion, afin de permettre une parole
(et un apprentissage) qui soit collective, réciproque,
cumulative, fondée sur l’encouragement et guidée par des
objectifs éducatifs. L’essai a le mérite de ne pas en rester à
de grandes déclarations de principes, mais de décliner
cette pédagogie en plusieurs « répertoires » dans lesquels
les enseignants peuvent puiser. Ces répertoires concernent les modes possibles d’organisation des interactions,
la nature de la parole de l’enseignant ainsi que celle de
l’élève. Par ailleurs, l’auteur rend compte de deux
­expériences pilotes en cours au Royaume-Uni pour faire
le constat honnête des réussites mais aussi des limites
actuellement rencontrées.
L’essai suivant replace la question pédagogique dans le
contexte de la mondialisation pour esquisser quelques
directions que pourrait emprunter un « curriculum dialogique pour le xxie siècle ». L’avenir est envisagé sous un
jour apocalyptique où les menaces vont du réchauffement
climatique à l’effondrement du tissu social. Après le
caractère extrêmement précis et constructif du chapitre
précédent, il est quelque peu décevant, mais inévitable, de
ne trouver ici que de grandes orientations. Ces dernières
reprennent les principes de dialogue et de réciprocité et
l’auteur insiste par ailleurs sur le caractère fondateur des
savoirs, en plus des inévitables compétences et savoirfaire car sans savoirs, la pensée tourne à vide et il n’est
pas d’éducation au sens fort du terme. Le dernier essai
tranche par son caractère plus personnel et (auto)biographique, mais constitue un apport tout aussi enrichissant.
Douglas Brown, qui fut le professeur d’anglais et de littérature de Robin Alexander pendant son cursus secondaire, en plus d’avoir contribué à son initiation musicale,
est une figure totalement atypique. Par son activité simultanée dans un établissement secondaire élitiste et à l’Université, puis son engagement en faveur de l’enseignement
de masse et de l’École unique, la carrière de ce professeur
est en elle-même une étude de cas passionnante des évolutions historiques d’un enseignement britannique traversé par de profondes divisions de classes sociales et de
Notes critiques 113
puissantes querelles pédagogiques dans les années 1960.
L’auteur se sert par ailleurs de cet exemple pour appeler
à la liberté et à la responsabilisation pédagogique des
enseignants contre des initiatives gouvernementales qui,
sous le New Labour (de 1997 à ce jour), ont contribué à
réduire la conception de l’enseignement à la mise en
œuvre de techniques centralement prescrites. Dans un
contexte où le contenu de la formation initiale, les programmes et même les méthodes pédagogiques sont aux
mains d’instances gouvernementales, Robin Alexander
suggère que le carcan de prescriptions renforcé par le
­système d’inspection exclut les enseignants hors normes
mais excellents, et que c’est là une perte aussi bien pour le
­système scolaire que pour la démocratie.
Le choix du format de recueil d’essais laisse à l’auteur
la liberté de varier ses points d’entrée et le ton de son
écriture, mais la rigueur si caractéristique de sa pensée
donne une unité à l’ensemble. Les deux points forts de
l’ouvrage et, plus fondamentalement, de la carrière de
Robin Alexander, sont d’une part la comparaison inter­
nationale, soumise comme elle l’est à un traitement empirique, analytique et théorique si approfondi, et d’autre
part la capacité à proposer une approche cohérente et
complète des questions éducatives couvrant l’intégralité
du champ, depuis la formulation des politiques qui les
encadrent jusqu’au détail des interactions dans la salle de
classe. Depuis la parution de ce recueil, l’auteur a présidé
et dirigé la plus grande enquête publique sur l’enseignement primaire britannique entreprise depuis 40 ans ; si la
Cambridge primary review (Alexander, 2010) est une
entreprise collective, il est éclairant de faire la rencontre,
grâce à ces Essays, des convictions de Robin Alexander
comme universitaire, comme pédagogue, et même d’y
entrevoir l’homme.
Maroussia Raveaud
Université du Maine et University of Bristol
notes
(1) Citations de l’ouvrage traduites de l’anglais par l’auteur de cette
note.
(2) Pour un article en français développant ces questions, voir Alexander
(2003).
(3) Pour un article à ce sujet en français, voir Alexander (2009).
Bibliographie
Alexander R. (2001). Culture and pedagogy: international comparisons in primary education. Londres : Routledge.
Alexander R. (2003). « Pédagogie, culture et comparaison : visions et
versions de l’école élémentaire ». Revue française de pédagogie, n° 142,
p. 5-21.
114 Alexander R. (2006). Towards dialogic teaching: rethinking classroom
talk. York : Dialogos.
Alexander R. (2009). « De l’usage de la parole en classe. Une comparaison internationale ». Revue internationale d’éducation de Sèvres,
n° 50, p. 35-47.
Alexander R. (2010). Children, their world, their education: the final
report and recommendations of the Cambridge primary review.
Abingdon : Routledge.
DFES (2003). Excellence and enjoyment: a strategy for primary schools.
Londres : HMSO.
Reynolds D. & Farrell S. (1996). Worlds apart? A review of international surveys of educational achievement involving England. Londres :
OFSTED.
Stigler J. & Hiebert J. (1999). The teaching gap: best ideas from the
world’s teachers for improving education in the classroom. New York :
The Free Press.
Audigier François & Tutiaux-Guillon Nicole (dir.).
Compétences et contenus. Les curriculums en questions.
Bruxelles : De Boeck, 2008, 224 p.
Les mots du titre, compétences, contenus et curriculum
situent la préoccupation de cet ouvrage collectif qui rassemble des textes discutés lors d’un symposium du réseau
international en recherche et formation (REF) en 2003.
Centrés sur la tension entre rupture et continuité, ces
­textes analysent les rapports entre curriculum par contenus et curriculum par compétences, discutent la forme
scolaire et la compartimentation disciplinaire et rendent
compte des innovations institutionnelles, de leur appropriation et mise en œuvre locales. Dans la préface, Philippe
Perrenoud situe sur le plan politique les enjeux actuels et
les contraintes de la redéfinition des projets éducatifs qui
s’avèrent particulièrement flous, mouvants ou incertains,
hésitant entre pluralisme et individualisme, tolérant les
pressions de tous ordres, laissant échapper à l’école nombre de jeunes et ne posant pas « la question simple et
­terrible du rapport entre ce qu’on apprend à l’école et ce
qu’on peut en faire dans la vie » (p. 9). Avec une pré­
occupation éducative majeure et l’ambition d’un humanisme substantiel, il analyse les écarts entre les plans
d’étude et « la vie des gens » et discute ainsi les missions
de l’école, qui devrait nantir les élèves des moyens de
pensée et d’action, nécessairement en permanente actualisation. Autant dire que l’enjeu des réformes curriculaires largement engagées dans la plupart des pays exige une
grande vigilance et une nouvelle expertise pour dépasser
leurs premiers balbutiements et penser à la fois leurs
­principes et leurs conditions d’opérationnalité.
À un moment historique de reconfiguration curri­culaire
liée aux mutations équivalentes à celles de la modernité
des années 1950-1960 avec les mots-clés que sont désormais mondialisation, nanotechnologies, numérisation
et formation tout au long de la vie, les recherches à
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
l’échelle des curriculums sont les bienvenues. Le rayon
des ouvrages disponibles en langue française sur ces problématiques s’étend ainsi pour répondre aux multiples
questionnements suscités notamment par le pilotage des
plans d’étude et par l’estimation de l’efficacité des systèmes éducatifs par les outputs ou les outcomes qui bous­
culent les repères, notamment dans les organisations curriculaires compartimentées selon des disciplines distinctes.
L’ébranlement contemporain de ces « forteresses » dont
l’orientation sélective, le positionnement en termes de
statut dans un ensemble concurrentiel, la force de leur
organisation sociale et de leur structuration pédagogique,
administrative et institutionnelle… est ainsi souligné par
de nombreux travaux internationaux qui constatent à la
fois la résistance de cet enracinement historique de la
forme et de l’ordre scolaire mais aussi l’inadaptation de
cette structure à la fois aux exigences, aux défis et aux
conditions contemporaines tant économiques que sociales et culturelles et aux attentes des élèves. Les recherches
sur et pour les curriculums, engagées dans l’espace francophone depuis une vingtaine d’années examinent ces
objets selon des perspectives historiques, sociologiques et
didactiques en ne se limitant pas aux programmes ou aux
plans d’étude mais selon la définition qu’en donnait
de Landsheere au début des années 1970, en prenant
­l’ensemble de leurs composantes que sont les prescriptions, les ressources, l’organisation des établissements,
les équipements, la formation des maîtres, l’évaluation,
les méthodes pédagogiques…
C’est dans cette perspective que ce recueil de textes
s’inscrit. Comme le mentionnent les directeurs de l’ouvrage,
les chapitres constituent des contributions complé­men­
taires et distinctes par leur focale, leur contexte national
(dont l’organisation centralisée ou non) et les enseignements examinés. Des études de cas (mise en œuvre de la
réforme par compétences en Belgique francophone ;
organisation de la scolarité en cycles et mise en question
du redoublement dans la même région ; dispositifs interdisciplinaires au collège en France) confirment le rôle
central des praticiens qui donnent vie aux curriculums
mais qui sont confrontés aux problèmes d’opérationnalisation délégués au niveau local et donc laissés à leur
appréciation, à leur jugement, à leur responsabilité dans
des contextes humains et sociaux. Ainsi Jacqueline
Beckers et Catherine Voos discutent le problème majeur
des risques de disjonction entre le pilotage de la politique
éducative, les prescriptions intermédiaires et les outils
d’évaluation, c’est-à-dire le problème du rapport entre les
fins et les moyens, les fondements d’ordre éthique et politique de la réforme et les actions quotidiennes, les orientations et les outils d’opérationnalisation, les prescriptions
et les acteurs. Vincent Dupriez complète cette analyse en
mettant en évidence la co-présence de plusieurs formes
de coordination (l’État, l’établissement, les associations,
la communauté éducative et le marché), ce qui conduit à
des montages composites contextualisés et à des régulations, c’est-à-dire des productions de règles, qui résultent
des contextes locaux et des représentations de l’ensemble
des acteurs et de leurs relations sociales. François Baluteau
confirme également les appuis et les obstacles du travail
collectif dans les itinéraires de découverte. La focalisation
exclusive sur ces dispositifs et non pas sur le curriculum,
ainsi que l’usage de la notion d’interdisciplinarité dans
son acception commune, ne permettent pas vraiment de
discuter les aménagements curriculaires, les assouplissements de la forme scolaire, les fonctions et les enjeux de
ces aménagements, ni les contradictions et les contro­
verses que cette innovation institutionnelle recouvre et
engendre.
Trois autres études de cas (l’histoire-géographie dans
l’enseignement secondaire en France, l’innovation expérimentée dans un projet européen de l’éveil aux langues
dans l’enseignement élémentaire, l’éducation citoyenne)
s’attachent davantage aux questions de changement et de
structure du curriculum. Nicole Tutiaux-Guillon souligne
le paradigme pédagogique qui semble figer la discipline
avec ses savoirs vrais, ses pratiques d’exposition, ses finalités visant comme autrefois une citoyenneté d’obéissance
et son refus du politique. La double relation entre cette
inertie et la forme scolaire est alors mise en question afin
d’éclairer la stabilité face aux bouleversements du monde,
des sciences historiques et géographiques et des théories
de l’apprentissage, et les quelques bougés récents. Michel
Candelier et Jean-François de Pietro abordent trois points
centraux : les implications d’une nouvelle approche des
langues sur l’économie générale des enseignements linguistiques ; les différentes options ou formats possibles et
leurs conditions d’insertion dans chacun des contextes
institutionnels et sociaux, selon leur « culture pédagogique dominante » ; l’existence de cet enseignement, par
juxtaposition/distinction d’une discipline nouvelle ou bien
par intégration/absorption dans les autres enseignements ;
ses configurations variables et différenciées au fil des
cours. François Audigier souligne les spécificités de l’éducation citoyenne, les multiples ambitions qu’elle recouvre,
ses figures très variables liées aux cultures politiques des
pays européens et la difficulté réelle de penser vraiment
l’avenir tout en précisant l’enjeu majeur de détermination
d’une vision partagée de cet avenir.
Deux textes constituent des contributions importantes
pour l’examen des curriculums par compétences. Le chapitre d’ouverture signé par Marie-Françoise Legendre
constitue un apport décisif. La notion de compétence estelle en effet une marque de l’esprit du temps ou plus
­fondamentalement le levier des réformes curriculaires ?
Notes critiques 115
Dans un texte très documenté qui contextualise l’origine
et les extensions des usages de la notion de compétences
et qui fait un point synthétique de ses caractéristiques,
l’auteur examine méticuleusement la fonction de cette
idée pour les changements curriculaires. À cet effet, la
distinction entre principe organisateur des plans d’études
et expression du renouvellement de la conception de l’enseignement apprentissage est particulièrement féconde.
L’auteur fait ainsi perdre toute illusion du caractère opératoire des « compétences » en raison des multiples
constats de leurs décompositions analytiques qui en dénaturent la perspective globale et potentielle. En revanche,
avec l’exigence contemporaine de ne pas réduire l’enseignement apprentissage à une restitution de faits ou
une reproduction de procédures, elle souligne le levier
que cette notion constitue pour penser les apprentissages
et simultanément la professionnalité requise des enseignants. C’est dans cette rigoureuse analyse que la
­complexité, la pertinence et la responsabilité des acteurs
sont ainsi mises au cœur de la problématique curriculaire.
La notion de compétences est alors susceptible de fonder
les changements en profondeur des curriculums et ainsi
de retrouver son acception originelle dans le milieu du
travail.
Le chapitre 3 est une analyse plus technologique pour
la conception des curriculums. Fort de son expérience de
concepteur et de responsable du plan d’études cadre en
Suisse romande, Olivier Maradan précise « l’espace curriculaire » qu’il structure grâce à la notion de « balise », un
concept opératoire pour penser la progressivité des curriculums entre ce qu’il désigne par « l’effet plancher » exigible pour tous et « l’effet horizon » de développement,
de perfectionnement, voire de différenciation. L’auteur
attire simultanément l’attention sur la nécessaire prudence, sur la difficulté de construction d’une telle architecture de formation et aussi sur les spécificités des enjeux
éducatifs des enseignements et donc des nuances à prendre en charge. Il souligne avec justesse que le pilotage par
les compétences ne peut se substituer à la perspective des
finalités éducatives des curriculums.
L’ouvrage complète ainsi la littérature sur les perspectives curriculaires des recherches en éducation. Présentant
à la fois des outils et des concepts pour l’examen distancié
ou pour la conception des curriculums, c’est ainsi une ressource pour l’ensemble des acteurs des réformes. Il
appelle d’autres confrontations avec d’autres champs disciplinaires et d’autres actions éducatives, avec des systèmes éducatifs de culture anglophone et avec des études
de cas d’enseignements marqués par leur enracinement
dans les ordres primaire, secondaire et technique. À cet
égard, la distinction entre les curriculums pilotés par les
connaissances, par les compétences ou par les expériences
116 permettrait de clarifier les approches « produit » (par
contenus ou par compétences) des approches « pro­
cessus » et ainsi d’articuler les différents temps des
actions d’éducation et d’enseignement. L’ouvrage est
aussi un encouragement pour de nouvelles publications
clarifiant dans l’espace francophone les problématiques
de « ­curriculum design », « curriculum implementation »
et « curriculum assessment ».
Joël Lebeaume
Éducation et apprentissages, université Paris-Descartes-Paris 5
Bermejo Berros Jesús. Génération télévision. La relation
controversée de l’enfant avec la télévision. Bruxelles :
De Boeck, 2007, 424 p.
Bermejo Berros Jesús. Mon enfant et la télévision.
­Bruxelles : De Boeck, 2008, 160 p.
Jesús Bermejo Berros s’est lancé dans une entreprise
risquée : donner une réponse scientifique à des questions
majoritairement idéologiques, soit les relations de l’enfant
avec la télévision, « sujet d’inquiétude et de recherche »
(chapitre 1). On avait connu la même controverse avec le
cinéma, pour certains « divertissement d’ilote » quand
d’autres le qualifiaient d’« éducateur ». Mais il le fait
avec lucidité, constance et détermination. Lucidité car il
­reconnaît qu’il s’agit, une fois de plus, « de ne pas mener
l’analyse de façon manichéenne… les données complexes
et variées indiquant que ce n’est pas tant la télévision
comme média mais son utilisation et le type de contenus
programmés, qui donneront lieu à un type ou un autre
d’effets qui pourront être aussi bien positifs que négatifs ». Avec constance et détermination car, à travers les
quatre parties de son livre volumineux, il arrive tout à la
fois à dresser un bilan des « processus cognitifs, affectifs
et comportementaux de l’enfant face à l’écran » (cha­
pitre 2), à introduire ce qu’il appelle « une nouvelle
conception [de la télévision] pour une nouvelle époque »
en intégrant d’autres dimensions fondamentales de la
personne affectant cette relation entre l’enfant et la télévision (chapitre 3), à rendre compte d’une expérimentation en classe primaire des plus sophistiquée sur les effets
comparés de deux types de séries télévisuelles (chapitres 4, 5 et 6), pour finalement expliciter le rôle du petit
écran dans la pensée de l’enfant (chapitre 7) et terminer
sur des recommandations en direction aussi bien des
parents que des éducateurs (chapitre 8) qui, pour reprendre des choses déjà bien connues, n’en passent pas moins
par une intéressante classification des émissions par
« genre » (voir la figure 8.1) avec – plus contestables –
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
La partie la plus intéressante est sans aucun doute
l’expé­rimentation à laquelle s’est livré le chercheur auprès
de 246 écoliers répartis en trois niveaux d’âge (6, 8 et
10 ans) et en 12 groupes expérimentaux. Ces écoliers sont
soumis à un prétest et un post-test qui consistent en des
entretiens et qui sont séparés par quatre séances de
visionnement réparties sur quinze jours.
qui ne prend pas en compte le sujet en chair et en os et
l’approche « psychologisante » qui, d’inspiration behavioriste ou cognitiviste, « ne peut rendre compte du point de
vue évolutif et adaptatif du sens de l’acte de voir la télévision », il propose une troisième voie. Celle-ci consiste à
« situer l’analyse expérimentale à l’intersection entre le
texte et le sujet, entre la structure formelle et de contenu
du récit audiovisuel et les effets au sens large (réponses
attentionnelles, comportementales et cognitives), tout
cela inscrit dans un tissu social, historique et culturel ».
Cette approche requiert une méthodologie spécifique qui
prend en compte trois choses : « l’analyse détaillée du
texte (concernant ses aspects sémiotiques et narratifs
dans un sens large), l’analyse du spectateur empirique, et
enfin ce qu’il y a de plus important, l’analyse de l’inter­
action du texte et du sujet empirique ». Le lecteur peut
alors suivre dans le détail le processus à l’œuvre dans ce
« nouveau regard expérimental » sur l’étude des effets
comparés de deux dessins animés, David le gnome et
Dragon ball Z, soit deux types très différents de structure
de contenu audiovisuel : le chercheur fait l’hypothèse que
cette étude « provoque des processus comportementaux
et cognitifs différentiels… et des structures représentationnelles également différentes » – hypothèse que nous
avions nous-même formulée dans Image et pédagogie
(PUF, 1977) sans l’avoir mise à l’épreuve de l’expérimentation. Sont successivement analysées les réactions et
changements attentionnels (moteurs, visuels et sonores)
durant le visionnement, le jeu de tension distension musculaire ou viscérale en relation avec les émotions, produisant le « zigzag chargé de sens » du massage corporel et
aboutissant à un sentiment de plaisir ou de déplaisir. Sont
mis en évidence, comme on pouvait s’y attendre, le rôle
des variables âge et sexe dans les préférences des enfants,
les différences attentionnelles pendant le visionnement
selon les deux séries, mais aussi, grâce à des questionnements très détaillés, ce qui est plus rarement démontré,
les interactions différentielles (sur la compréhension de
l’intrigue, de l’argument, des relations spatiales et du sens
et des valeurs qu’il implique) après le visionnement (indicateurs post-attentionnels), selon la structure (analysée
de près, en référence à la théorie « narratologique ») de
chacun des deux récits audiovisuels. La recherche a ainsi
permis de mettre en relation les faits de « regarder », de
« prêter attention », de « préférer » et de « comprendre »
et confirme entre autres que cela ne gêne guère les enfants
de ne pas comprendre ce qu’ils regardent et ne les
­empêche pas d’aimer ces programmes.
Partant du constat que la plupart des recherches expérimentales se limitent à la prise en charge de quelques
variables et que d’autres approches s’intéressent soit au
texte, soit au spectateur, il tente une approche plus englobante. Dépassant à la fois la perspective « sémiotisante »
Comme toujours dans ce genre de recherche expérimentale, même « plus ample (moins atomisée) », on peut
regretter que ne soient pas prises en compte d’autres
variables comme, dans le cas présent, la variable socio­
culturelle et surtout se demander si, avec d’autres enfants
leurs avantages et leurs inconvénients respectifs, sans
­parler de l’imposante bibliographie finale (majoritai­
rement anglophone) suivie de « quelques repères bibliographiques en français ».
L’ensemble est assez disparate, on en conviendra volontiers, mais chaque chapitre heureusement comporte un
résumé qui en dresse les principaux acquis. L’auteur élabore chemin faisant tel ou tel nouveau concept – comme
« le massage pendant le message » pour rendre compte
« de l’action sur le corps et pas seulement sur l’esprit du
texte audiovisuel », ou encore la « catharsis fruictitionnelle ou non » (de l’espagnol fruicion, délectation et
­fricción, friction) pour expliquer l’issue plaisante ou
déplaisante, pour le téléspectateur, des deux types de
­processus de « tension distension » pendant le massage :
­finalement il faut au lecteur, même averti, une grande disponibilité pour dégager, de tout cet ensemble, les vrais
acquis.
Le panorama des recherches majoritairement nordaméricaines et expérimentales se situe tout entier sous le
paradigme des « effets » – « immédiats et massifs », « limités », puis « complexes » selon l’avancée chronologique –
avec ses différentes théories, méthodes et résultats
(d’ailleurs souvent contradictoires on le sait) : il reprend
les thèmes de la violence, de l’alcool, du sexe et de la pornographie mais aborde aussi, soutenu par les apports de
la psychologie, les différents types de recherche sur les
processus d’attention, de compréhension et d’apprentissage (incident ou programmé), l’émotion et le comportement qui y est lié. Le chercheur regrette, à juste titre, que
lesdits effets aient presque toujours été mesurés immédiatement après le visionnement et non sur le long terme.
Les travaux cités renvoient à des périodes forcément
extrêmement diverses, dans des contextes hétérogènes
pas toujours explicités, à partir d’une télévision conçue
par émission et non comme un flux, et l’on ne peut s’empêcher de penser que ce n’est jamais ni le même enfant, ni
la même télévision dont il est question à travers ce regard
rétrospectif.
Notes critiques 117
et d’autres récits audiovisuels contrastés, on arriverait aux
mêmes résultats. Par ailleurs encore, étant donné la rapidité des évolutions de l’environnement médiatique et
technologique, il n’est pas certain que la préférence marquée constatée chez les enfants plus jeunes pour le « récit
séquentiel linéaire classique » de David le gnome par rapport à celle plus complexe, moins linéaire, au schéma
actanciel non explicite de Dragon ball Z serait toujours
encore observée. Mais l’important est le saut fait par
l’auteur, dans la quatrième partie de son ouvrage pour, à
partir des résultats de sa recherche comme d’autres l’ont
fait depuis longtemps ou d’autre manière, insister sur « le
rôle de la télévision dans la pensée de l’enfant et dans son
éducation ». Il souligne notamment chez les enfants « la
détérioration progressive de l’attention en relation avec
la télévision », la grande préoccupation « qui se réfère à la
nécessité de réaliser des études sur le processus de
construction de l’attention au cours du développement de
l’enfant » et « la nécessité d’une régulation politique et
sociale de la télévision qui s’adresse aux enfants et que
doivent mener ensemble les pouvoirs publics et les agents
sociaux ». On pense à Bernard Stiegler qui considère que
l’usage des écrans par la jeunesse pose désormais « un
véritable problème de santé publique » et particulièrement à ses Considérations (sur la crise systémique de
l’éducation), principalement « Destruction et formation
de l’attention ».
Deux remarques encore. L’une concerne ce que l’on a
coutume d’appeler maintenant l’éducation aux médias
dont la pertinence se trouve renforcée par un certain
nombre des constats faits en chemin. En même temps,
Jesús Bermejo Berros semble avoir une perception bien
négative de ce secteur d’intervention puisqu’il déclare
que « la lecture de l’image avec l’enfant », variable formative qu’il a introduite dans son expérimentation « n’a rien
à voir avec le type d’éducation audiovisuelle qui a été
introduit dans les écoles et qui a plus à voir avec l’apprentissage de compétences et d’analyse de codes audiovisuels » – ce qui correspond à l’évidence à une version fort
dépassée. Et finalement, dans son dernier chapitre, il suggère des exercices qui correspondent très précisément à
ce type d’action éducative faisant actuellement officiellement partie des programmes scolaires de nombreux pays,
dont la France.
Quant à la nouveauté de la conception de la télévision
qu’inaugurerait sa référence à la pensée narrative « qui
permet des emprunts mutuels entre la réalité et la fiction,
entre la vie de l’enfant et le monde qui apparaît à l’écran »,
elle est à relativiser : ne serait-ce qu’en pensant aux travaux, d’ailleurs non cités, de Dominique Pasquier qui a
montré notamment, avec d’autres méthodes et d’autres
outils, comment les séries télévisuelles contribuent à la
118 Culture des sentiments (Éd. de la Maison des sciences
de l’homme, 1999). Mais cela n’enlève rien à l’importance
et au sérieux de ce livre, chose trop rare dans ce domaine.
Notons simplement que l’auteur a repris, dans son second
ouvrage, d’une façon réduite et plus opérationnelle – ce
qui en renforce quelque peu la teneur déterministe –
­l’essentiel de ce travail sous forme d’informations et
de conseils fort utiles à l’intention des parents et des
­éducateurs.
Geneviève Jacquinot-Delaunay
Laboratoire Communication et politique, CNRS et CEMTI,
université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis
Bréhon Jean & Chovaux Olivier. Études sur l’EPS du
Second Vingtième Siècle (1945-2005). Arras : Artois
presses université, 2009, 246 p.
Cet ouvrage rassemble les contributions de neuf auteurs
des universités du Nord de la France à propos de l’éducation physique et sportive (EPS) de la seconde moitié du
xxe siècle. Le thème de l’ouvrage correspond au programme d’un des deux écrits du concours de recrutement
des futurs professeurs d’EPS. Cet ouvrage apporte donc
sa contribution à la préparation des étudiants au concours.
Il est divisé en trois parties d’inégale importance. Le premier chapitre développe des réflexions autour de l’identité de la discipline et regroupe deux contributions. La
seconde partie cerne les aspects idéologiques de l’EPS ;
quatre auteurs présentent des articles. La dernière partie
porte sur les changements d’échelle de l’EPS ; trois
auteurs participent à ce chapitre. L’ouvrage est introduit
par Gougeon qui, après avoir rappelé, en suivant les programmes du concours, l’importance de penser l’évolution
de l’EPS française en rapport avec les EPS européennes,
assure une présentation de chacun des articles dans
­l’ordre où ils apparaissent dans l’ouvrage.
Dans la première partie une contribution de Gibout
pose la question de l’identité de l’EPS. En s’appuyant sur
l’approche transactionnelle, l’auteur cherche non pas à
définir de manière fixée ce qu’est l’EPS, mais à saisir les
mouvements de l’EPS, entre construit et reconstruit. Pour
justifier sa position, l’auteur s’appuie sur ce que perçoivent de cette discipline les enseignants et les élèves. Il
conclut son article en affirmant que l’identité de l’EPS est
la rencontre sans cesse renouvelée entre diverses perceptions et que c’est en fait ce qui la qualifie à un moment
donné. Vincent centre son étude sur une période récente
(1981-2002) et pose la question de l’identité de l’EPS
comme lien permanent entre équilibre et instabilité.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
L’idée développée par cet auteur est que différents éléments de la discipline n’évoluent ni de manière identique,
ni dans la même temporalité. Ainsi les acteurs de l’EPS
sont dans une dynamique perpétuelle d’équilibration face
aux contraintes institutionnelles, corporatistes ou sociales
qui s’imposent à la discipline. Les dynamiques engagées
contribuent à la production d’une identité plus ou moins
stable, avec des logiques d’identification oscillant entre
culture scolaire et culture sociale. L’auteur détermine
ensuite un certain nombre de périodes bornées par des
événements significatifs. Il conclut son article en précisant
que l’histoire de l’EPS se construit dans une dynamique
mettant en évidence des compromis intérieurs entre les
différents acteurs, ainsi que des négociations entre divers
groupements institutionnels.
Bréhon ouvre la seconde partie de l’ouvrage en proposant un article intitulé « Une histoire sous surveillance »,
en référence à un ouvrage de Ferro. L’idée défendue est
que plus la diffusion des savoirs est large, plus le contrôle
sur la production historique est étroit. Ce contrôle émane
de l’état ou de ses organismes mais également de la
société qui ne souhaite pas que son image soit compromise. Il s’agit d’établir les rapports existants entre l’histoire de l’EPS et les clichés et tabous véhiculés sur celle-ci.
L’auteur engage une réflexion critique sur la pensée et les
systèmes de croyance qui se jouent de la réalité de l’EPS.
Il estime que la scientifisation de l’EPS constitue un véritable enjeu pour affirmer la légitimité d’une discipline
d’enseignement et établit une démonstration en ce sens.
La didactique est ensuite interrogée et posée comme l’expression d’un compromis éducatif entre des savoir-faire
sportifs développés en EPS de manière multiple et ­parfois
désordonnée et des orientations scolaires.
Brogialli consacre quant à lui une étude intitulée « Idéal
éducatif, institution et EPS de 1945 à nos jours » à l’affirmation que la discipline scolaire EPS obéit avant tout à
des choix philosophiques et politiques reflétant la conception que se fait la société à un moment donné de son histoire et de l’homme à venir. Il établit ensuite un lien entre
orientations philosophiques nécessaires à tout acte éducatif, savoirs à transmettre et identité de cette discipline
scolaire. L’auteur présente ensuite quatre modèles d’idéal
éducatif inspirés par Kant, Rousseau, Condorcet et les
partisans de « l’éducation nationale ». Enfin l’auteur illustre ses propos en isolant trois périodes : « 1945-1958 :
Une ère nouvelle ou la persistance du passé » ; « 19581974 : La France de l’expansion : du temps des espérances
à celui du désenchantement » ; « De 1975 à nos
jours : “L’égalité” : une notion qui présente quelques
­“fractures” ».
Piwinski s’intéresse à « L’institutionnalisation de la
conception matérialiste dialectique du sport (1939
1979) ». En appui sur les théories du champ de Bourdieu
et sur celles de Moscovici sur la psychologie des minorités
actives, l’auteur cherche à comprendre comment les propositions du courant sportif éducatif, représenté par
Baquet et Mérand en faveur d’un sport démocratique, et
les innovations pédagogiques construites en ce sens, ont
pu intéresser le pouvoir politique gaulliste. L’auteur
démontre que les responsables de la FSGT (Fédération
sportive et gymnique du travail), et particulièrement
Mérand, ont progressivement substitué au modèle existant (exercices de formation, exercices d’application) une
démarche privilégiant l’idée que le mouvement réalisé
n’est que la partie émergée d’un mécanisme complexe
impliquant l’homme en totalité. Il s’attache donc à former
les joueurs à la résolution des problèmes qu’ils vivent en
situation de match. Cette réflexion pédagogique se double d’une réflexion axiologique plaçant l’individu dans
une dynamique sociale. En l’absence de recherche institutionnelle en EPS, les théories présentées par la FSGT
vont faire florès chez les enseignants d’EPS et intéresser
les politiques en quête de renouvellement de la formation
aux pratiques sportives. Ces regroupements entre les
­politiques et la FSGT se construisent cependant sur un
malentendu idéologique qui entraînera à terme une vive
dégradation des relations établies.
Doeuff s’attache de son côté à lier conceptions et pra­
tiques pédagogiques en EPS. Il propose une tentative de
compréhension des problématiques disciplinaires par leur
intégration dans les conjonctures sociopolitiques. L’objet
de l’article est de montrer que les grandes problématiques
sociales se retrouvent dans le quotidien des pratiques et
des conceptions des enseignants. L’auteur estime que
l’exercice, le plan de la leçon et d’une façon plus générale
les pratiques pédagogiques peuvent être compris comme
une véritable mise en forme des corps contribuant à la
pérennisation de la société. Pour mener sa démonstration,
Doeuff instruit quatre périodes successives de l’histoire
de l’EPS : « 1945-1959, trajectoire scolaire d’une éducation physique hésitante entre maintien et dépassement » ;
« 1959-1969, l’éducation physique et sportive dans la
modernité » ; « 1969-1981, l’éducation physique et sportive du libéralisme avancé : entre sport pour tous et sport
de l’enfant » ; et enfin « De 1981 à nos jours, la didactique
pour tenter d’individualiser les parcours et permettre la
réussite de tous dans un contexte de crise économique de
longue durée ».
La troisième partie de l’ouvrage nommée : « Réflexions
sur les changements d’échelle de l’EPS », présente trois
articles situant l’EPS française dans les EPS européennes.
Chovaux ouvre cette partie en proposant un article intitulé : « Vers une éducation physique scolaire “de l’Atlantique à l’Oural ?” » à propos de la nouvelle question du
Notes critiques 119
programme du CAPEPS externe. Dans cet article l’auteur
discute l’intérêt du rajout d’une dimension européenne
dans l’intitulé de l’épreuve du CAPEPS et s’inquiète, au
travers de cet ajout au programme de l’épreuve, d’une
volonté sensible d’imposer une éducation européenne de
type libéral qui, à terme, pourrait bien se traduire en
France par la fin « de l’Éducation nationale ». La seconde
partie de l’article développe les réflexions menées par les
organismes internationaux sur l’éducation physique (ou
EP) et le sport depuis les années 1950. Ainsi l’UNESCO
ouvre en 1952 une série de négociations sur « les propositions précises à entreprendre […] pour contribuer au
développement et à la promotion des sports athlétiques à
des fins éducatives ». Les différentes institutions mondiales et européennes restent hélas bien souvent au stade des
déclarations d’intention. L’UNESCO déclare par exemple l’année 2005 année internationale du sport et de l’éducation physique, sans que des effets concrets aient pu être
identifiés. L’auteur clôt son article de manière positive, en
réfléchissant aux conditions à créer pour approcher une
« euro-éducation physique ».
Bréhon aborde la question des rapports de l’EPS française aux autres EP voisines en précisant les influences
étrangères que l’EPS française a connues lors de ses premiers pas. L’article est intitulé « Européanisation et singularités nationales : une éducation physique à la française ou “France étrangère” (1952-2006) ». L’auteur
montre avec justesse que, de 1806 à 1891, soit au cours
du xixe siècle, des enquêtes officielles ont été diligentées
dans de nombreux pays européens (Suisse, Belgique,
Scandinavie, Angleterre, Suède) pour étudier les éducations physiques existantes et promouvoir celle de chacun
des pays. Cette démarche conduit les décideurs à proposer une éducation physique intégrative incluant ce qui est
jugé efficace dans les éducations physiques ou gymnas­
tiques des pays voisins. L’éclectisme qui a dominé pendant
des décennies l’EPS française trouve, pour partie, sa
source dans cet assemblage des doctrines européennes.
L’auteur défend également l’idée que de 1952 à 1978 des
liens assez forts rassemblaient l’Allemagne et la France
dans les réflexions sur le sport de haut niveau et sur le
sport pour tous. Enfin l’auteur montre les difficiles questions que l’« européanisation » de l’enseignement de
l’EPS pose actuellement, et en particulier celle du maintien d’un équilibre entre renforcement du processus
d’« européanisation » et singularité nationale.
Niedzwialowska s’interroge sur l’éducation physique
française et son rapport aux sports. Elle place en exergue
une citation de Klein (responsable de l’élaboration des
programmes lycées en EPS) qui estime que l’EPS française est terriblement sportive. L’auteur analyse ensuite
les principales éducations physiques européennes pour
120 juger de la pertinence de cette citation. En Allemagne,
précise-t-elle, l’éducation physique a connu une orientation sportive puis s’est infléchie vers une éducation phy­
sique et sportive en valorisant les expériences corporelles
à partir d’une programmation d’activités diversifiées.
En Suède, l’éducation physique se centre sur la santé et
l’adaptation au milieu naturel. Au Royaume-Uni, l’effort
porte sur le développement de compétences transversales
pour une éducation permanente. Dans les pays latins
(Espagne, Italie, Portugal), le corps et la motricité sont
privilégiés. L’auteur affirme donc qu’il est délicat de
répondre à la question : l’EPS française est-elle trop sportive ? Les textes officiels tentent une inflexion de cette
discipline scolaire vers une EP moins dépendante du
sport mais les enseignants, dans leur majorité, restent très
attachés à la pratique sportive en EPS.
Cet ouvrage regroupe neuf productions. Il est bien difficile de lui trouver une unité. Les cadres d’analyse sont
différents. Les modes d’approches ne se ressemblent pas.
La façon de traiter l’histoire ne les réunit pas non plus.
L’ouvrage apparaît donc comme un recueil de différents
cours distribués aux étudiants, dans le cadre de la préparation d’une épreuve écrite du CAPEPS. La circulation
de ces cours vers d’autres étudiants et d’autres lieux de
préparation est une entreprise à encourager. Les étudiants
français liront cet ouvrage comme un complément des
enseignements reçus dans leur université et comme une
entrée dans l’étude de l’EPS. Ils pourront ainsi s’enrichir
d’analyses différentes, de positionnements particuliers sur
les thèmes de leur programme. Cet ouvrage, nous l’espérons, incitera également les étudiants à lire des articles et
ouvrages sur l’histoire de l’EPS en France, afin d’affiner
leur culture historique sur cette discipline d’enseignement
riche d’événements et de débats.
Yvon Léziart
CREAD, université de Haute Bretagne-Rennes 2
Brossard Michel & Fijalkow Jacques (dir.). Vygotski et
les recherches en éducation et en didactiques. Pessac :
Presses universitaires de Bordeaux, 2008, 256 p.
Fût-il unifié par un thème, en l’occurrence « la nature
des rapports entre la théorie historico-culturelle de
Vygotski et la mise en œuvre de certain(e)s de ses
concepts et de ses problématiques dans les recherches en
éducation », un ouvrage collectif est souvent foisonnant,
parfois choral mais toujours polyphonique. Rassemblant
une partie (1) des contributions au colloque « Vygotski et
les recherches en éducation et en didactiques » (Albi,
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
23-24 avril 2007), cet ouvrage ne fait pas exception et pose
de surcroît quelques questions. Et d’abord celle de son
découpage en thématiques (la petite enfance, les premiers
apprentissages scolaires et les didactiques – du français
langue maternelle, des mathématiques et de l’histoire).
S’il permet d’assigner l’envergure et la fécondité de l’élaboration vygotskienne, il encourt le risque de la figer en
provinces de recherches avec un déséquilibre (majorant ?) en faveur des didactiques (huit contributions sur
treize). Celle de la place de certaines contributions
ensuite, dont le propos généraliste renforce, paradoxalement, cette fixation académique, comme une exception
peut confirmer une règle.
Emblématique à cet égard, la contribution de Reuter,
« Penser Vygotksi dans l’espace des didactiques », qui, de
par sa disposition, et peut-être parce qu’elle déclare se
nourrir des trois contributions qui la précèdent, se trouve
comme rivée au champ de la didactique du français langue maternelle, alors qu’elle se situe en fait à un plus haut
niveau de généralité. Il eut assurément mieux valu la joindre à celles de Schneuwly, « Éléments d’histoire des vingt
dernières années passées et propositions conceptuelles
pour la suite », et Bronckart, « Retour nécessaire sur la
question du développement », lesquelles, respectivement
situées en introduction et conclusion du recueil, donnent
l’impression, saisissante bien qu’étrange, de deux caria­
tides ceignant le cadre interprétatif de l’élaboration
­vygotskienne.
Ces remarques liminaires ne démentent toutefois nullement l’intérêt des contributions de ce recueil, qui soulignent au contraire, dans leur diversité, la puissance de la
théorie historico-culturelle de Vygotski. Ce foisonnement
précisément, ainsi que les limites imparties à cette note,
nous ont contraint à faire des choix et à porter notre
attention sur quelques-unes de ces contributions qui insistent, de manière critique, sur la dimension heuristique,
c’est-à-dire ouverte, de la théorie vygotskienne.
Ainsi, dans « Appropriation précoce des systèmes
externes de représentation : apprentissage et développement », Martí rappelle d’abord combien le concept de
médiation sémiotique permet à Vygotski d’expliquer la
formation des fonctions psychiques supérieures, irréductibles aux fonctions élémentaires issues du développement
biologique, laquelle formation est précisément le fait de
l’éducation. Or, selon Martí, et alors que le point essentiel
pour Vygotski « est de comprendre comment l’enfant
incorpore ces signes utilisés socialement […] et les utilise
pour contrôler sa conduite », ce dernier ne discrimine pas
suffisamment les usages de ces « instruments psychologiques ». Ce qui fait défaut, ce sont « les mécanismes psychologiques qui rendent compte de cette intériorisation ».
Car si l’imitation est un mécanisme important, elle ne
peut être, comme Vygotski y insiste lui-même, « une simple répétition ni un transfert mécanique » mais suppose,
au contraire, « une certaine compréhension de la situation, de la signification de l’action de l’autre » (p. 68).
Même si l’enfant doit partir de l’aide des adultes pour
savoir comprendre et utiliser l’écriture par exemple, il
demeure « le protagoniste principal » de son appropriation. Le plus important à cet égard réside dans le caractère « re-constructif de cette appropriation », c’est-à-dire
dans la « marge de création de l’enfant dans le processus
de re-construction des systèmes de signes, dans le but de
s’approcher des mécanismes individuels de développement » (p. 68). Plus exactement, c’est à la distinction précise entre développement et apprentissage (dont « la
frontière très diffuse » peut conduire à penser que « n’importe quel changement chez l’enfant est directement lié à
une intervention externe, instructionnelle ») qu’il faut travailler. Martí conclut à la nécessité de réintroduire le sujet
dans l’explication vygotskienne, « en spécifiant les mécanismes internes de nature individuelle qui sont en jeu
dans le développement cognitif » (p. 69).
Moro et Rodríguez en revanche, dans « Production de
signes et émergence de la conscience à l’étape prélinguistique du développement », insistent sur la puissance heuristique de Vygotski et s’attachent à montrer, dans la
continuité de leurs travaux antérieurs, que l’émergence
de la conscience ne se circonscrit pas à l’usage du medium
langagier par les jeunes enfants. S’appuyant sur des travaux réalisés à l’étape préverbale du développement, elles
posent l’idée que les « prémices d’une conscience sociale
et historique adviennent dans cette période où le medium
langagier n’est pas encore présent mais où des signes
autres, non langagiers, médiatisent l’action humaine exercée sur le monde social et culturel environnant » (p. 37).
Les auteurs s’appuient tout particulièrement sur le signe
de l’ostension (2) « méconnu par la recherche aujour­
d’hui », insistent-elles, alors qu’il est l’un des tout premiers
à apparaître dans le répertoire enfantin et qu’il permet à
ce titre « de remonter le plus loin possible dans la genèse
de formes initiales de conscience humaine à l’étape préverbale » (p. 53). L’ostention atteste en effet du caractère
d’abord « social » de la conscience (que, comme elles le
rappellent, Vygotski définissait comme un « contact social
avec soi-même », un « cas particulier de l’expérience
sociale » (3)), dans la mesure où il ne s’agit pas d’un signe
« gratuit » mais bien d’un signe adressé, d’une production
intentionnelle, qui n’est évidemment pas sans lien avec le
degré de maturation biologique de l’enfant.
Dans « La construction de l’élève à l’école maternelle :
regards croisés et apports de Vygotski, Bernstein
et Goody », Joigneaux et Rochex montrent combien le
Notes critiques 121
vocable de théorie historico-culturelle n’est pas qu’une
simple étiquette. Ils développent ainsi une perspective
socio-anthropologique, visant la description et la compréhension de ce qu’ils nomment « les processus de développement inégal selon les milieux sociaux », les « modalités
de socialisation » et les « expériences de scolarisation »
(p. 73). Ils insistent en premier lieu sur la référence critique de Bernstein à Vygotski, en prenant appui sur sa
thèse de la genèse sociale du psychisme et de la conscience
par la médiation d’instruments sémiotiques. Ceci amène
d’abord Bernstein à s’intéresser à la manière dont « des
modes de socialisation socialement différenciés » produisent chez les enfants des « dispositions socio-cognitives et
socio-langagières qui les préparent et les disposent de
manière fort inégale à faire face aux réquisits des situations et des apprentissages scolaires ». Cela le conduit
ensuite à s’intéresser aux formes de classification, de
découpage et de transmission des savoirs et disciplines
scolaires et, naturellement, au caractère visible ou invisible des modes de travail pédagogiques. En second lieu, ils
insistent sur l’un des caractères fondamentaux du travail
scolaire, qui exige des élèves qu’ils s’émancipent du flux
de l’expérience ordinaire immédiate et qu’ils construisent
une « posture d’exotopie propre à la skholè » (p. 76).
Autrement dit, il s’agit de construire et développer une
relation de second degré au monde, au langage et à soi
selon un processus, fondamentalement dialectique, de
médiatisation de l’expérience ordinaire immédiate. Et ce
travail, insistent-ils en troisième lieu, passe par l’appropriation de la culture écrite, dont ils indiquent qu’elle ne
commence pas à l’école mais bien avant. À cet égard, les
travaux de Goody sur l’écriture convergent avec les
remarques de Vygotski quant à la « spécificité inter­
actionnelle propre aux “situations verbales” » impliquées
par les pratiques de l’écrit, exigeant du sujet un travail
d’abstraction et de représentation, de décontextualisation/
recontextualisation en somme.
Les contributions relatives aux recherches en didactiques des disciplines, dont nous avons dit qu’elles occupent
la suite et la majeure partie du recueil, n’ignorent pas les
questions relatives à l’acte d’enseignement et à la sémiotisation non plus que celle, moins didactique en apparence,
du moteur du développement. De ce vaste ensemble dont,
encore une fois, nous ne pouvons pas rendre compte de
manière exhaustive, retenons d’abord la contribution
de Nonnon, « Travail des mots, travail de la culture et
migration des émotions : les activités de français comme
techniques sociales du sentiment ». Elle rappelle d’abord
cette idée forte que l’outil n’est jamais totalement extérieur à ce qu’il médiatise mais qu’il se trouve, en tant
qu’objet historico-culturel, approprié par le sujet. Elle
insiste également sur le fait que pour Vygotski la notion
de développement ne se restreint pas à la seule sphère
122 cognitive mais recouvre le sujet dans sa globalité, avec ses
dimensions affectives, psychiques, émotionnelles. C’est
pourquoi elle s’attache alors à l’analyse vygotskienne de
l’expérience esthétique et au rôle très important qui lui
est donné dans le développement, dans la mesure où
« c’est une dimension qui intervient spécifiquement,
même si c’est de façon ambiguë, dans le travail en français ». L’accent mis par Vygotski sur « la dimension proprement sémiotique des “instruments psychologiques”
qui médiatisent l’activité psychique » repose fondamen­
talement sur l’analyse du rôle de ces outils ; autrement
dit, c’est « une théorie du signe lui-même et de l’inter­
prétation, qui rend possible la mobilité dynamique des
significations. »
Aussi, la réflexion vygotskienne est-elle centrée « sur
l’objet par excellence de la discipline du français, le langage lui-même, ses propriétés et son fonctionnement, et
pas seulement sur l’interaction sociale » (p. 92). C’est la
raison pour laquelle elle se ressaisit magistralement de la
Psychologie de l’art de Vygotski (La Dispute, 2005),
ouvrage en apparence éloigné du champ didactique, en
ceci que l’intérêt vygotskien pour l’art comme instrument
majeur du développement du psychisme est en définitive
indissociable d’un « développement social de la subjectivité de la personne, dans laquelle l’élaboration affective et
émotionnelle du psychisme nourrit le développement
cognitif, tout en étant nourri par lui » (p. 93). Et l’on est
alors en mesure d’appréhender les raisons pour lesquelles
la réflexion sur l’art touche aussi à un objet central de
­l’enseignement du français, lequel n’est pas seulement
apprentissage mais aussi et surtout, construction de
­pratiques.
Retenons ensuite les deux contributions relatives aux
recherches en didactique de l’histoire et qui, a priori éloignées des considérations vygotskiennes, renforcent le
jugement émis par Vergnaud : Vygotski est « un penseur
dont toutes les leçons n’ont pas encore été tirées ».
S’appuyant sur la question des apprentissages, et plus particulièrement sur celle de l’articulation entre concepts
scientifiques et concepts quotidiens, Heimberg dans
« Grammaire de l’histoire et contenus épistémologiques
de son enseignement-apprentissage » puis Tartas dans
« Psychologie du développement et didactique de l’histoire » reviennent sur la question centrale de l’articulation entre apprentissages et développement (la ZPD).
Cette articulation est redoublée par cette difficulté spécifique à l’histoire, qui est tout à la fois une discipline scolaire particulière, puisque ses contenus de savoirs sont
très fortement investis au plan socioculturel, mais aussi
une dimension psycho-anthropologique fondamentale,
par rapport à la construction du sens de la temporalité
pour le sujet, sans oublier la question de la langue, vecteur
linguistique et idiome forcément national.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Quelques mots, enfin, de la contribution déjà évoquée
de Schneuwly, relativement aux filons de lecture, « socioconstructiviste » et « historico-culturelle », de l’élaboration vygotskienne. Si chacune de ces lectures porte préférentiellement l’accent sur une dimension, l’interaction
pour la première et la construction des outils pour la
seconde, elles ne sont pas antagoniques pour autant. Leur
inflexion sur une dimension plutôt qu’une autre les relie
dialectiquement, en ceci que le développement des fonctions psychiques supérieures, dont la création d’outils
sémiotiques est le vecteur, n’est pas pensable en dehors
d’une interaction socioculturelle du sujet apprenant.
Deux remarques pour finir. La « Note de conjoncture », rédigée par Fijalkow et qui ouvre le recueil, pose
la question de sa place dans l’économie du recueil.
Nonobstant son intérêt, elle eut été mieux disposée à la
fin, en véritable conclusion, lui permettant ainsi de véritablement s’appuyer sur la qualité des travaux, plutôt
que l’invoquer par prétérition pour le lecteur. La carence
ensuite d’une bibliographie générale et finale, laquelle
aurait permis de gagner un peu de place, évitant la
redondance inutile de références partagées d’un texte à
l’autre et surtout permis d’unifier les références aux travaux de Vygotski, en particulier Pensée et langage, dont
la 3e édition française (La Dispute, 1997) est la seule
accessible désormais. En dépit de ces réserves matérielles, qui témoignent aussi des fortes pressions sur l’édition
scientifique inclinant à publier (trop ?) rapidement des
actes de colloque, il demeure, comme l’écrit Vergnaud,
que Vygotski est un « auteur prodigieux » mais dont il
faut reconnaître « que le temps lui a manqué pour fournir et développer les exemples concrets ». Cet ouvrage
est une contribution possible à ce temps qui lui a manqué et c’est là toute sa valeur. « Hommes de demain,
soufflez sur les cendres, à vous de dire ce que je vois. »
(Aragon)
Vincent Charbonnier
Sciences de l’éducation, université Jean-Monnet-Saint-Étienne
notes
(1) Les autres contributions, mettant l’accent sur l’opérationnalisation
des concepts dans des travaux empiriques, ont été publiées dans le
n° 21 des Dossiers des sciences de l’éducation : « Didactique : une
approche vygotskienne ».
(2) Quoiqu’ils procèdent d’une perspective plus spéculative, les travaux
du philosophe vietnamien Trân Duc Thao, notamment ses
Recherches sur l’origine du langage et de la conscience (Éd. Sociales,
1973), mériteraient une réévaluation critique.
(3) Cf. « La conscience comme problème de la psychologie du comportement ». In L. Vygotski (2003), Conscience, inconscient, émotions.
Paris : La Dispute, p. 91-92.
Butlen Max. Les politiques de lecture et leurs acteurs,
1980-2000. Lyon : INRP, 2008, 614 p.
Proposant une vaste synthèse problématisée et remarquablement informée des diverses politiques de lecture
élaborées et mises en œuvre en France au long des vingt
dernières années du xxe siècle, l’ouvrage de Max Butlen
– actuellement maître de conférences à l’université de
Cergy-Pontoise et directeur adjoint de l’IUFM de
Versailles – fera date à plusieurs titres. En effet, malgré
l’importance des travaux récents dans le domaine des
sciences de l’éducation, de la sociologie de la culture et de
la lecture, de l’analyse des politiques publiques comme de
la théorie littéraire, on ne disposait pas jusqu’ici d’une
telle somme sur ce sujet et cette période. Parallèlement,
c’est la quantité, la clarté, l’actualité et la qualité des informations rassemblées et mises en perspective par Max
Butlen qui retiendront évidemment l’attention des chercheurs comme des acteurs relevant de la variété des
domaines évoqués ci-dessus. Ceci vaut tout particulièrement pour les quelque 60 pages de la bibliographie très
dense et ouverte qui ne se limite pas à la documentation
imprimée ou disponible sur Internet, mais rappelle un
nombre remarquable de « sources », liées notamment à
des entretiens avec nombre des principaux acteurs qui
nourrissent et donnent chair à l’ouvrage.
Dans des limites temporelles qui semblent s’imposer
d’elles-mêmes, et qui correspondent pour l’essentiel aux
« années Mitterrand » sans se confondre avec elles, l’originalité du travail de Max Butlen vient en grande partie
de la problématique adoptée et de l’angle sous lequel il a
construit son propos. Car cet ouvrage ne se contente pas
d’une description et d’une somme informative : il est
constamment sous-tendu par deux idées forces : un problème social (et justement la lecture en est devenu un) se
« construit » jusqu’à devenir l’objet d’un « nouveau paradigme » discursif et de nouvelles politiques ; et cette
construction met en relation, souvent conflictuelle, des
types d’acteurs aux objectifs, aux rythmes et aux intérêts
distincts, ainsi que des ordres et des niveaux de discours
eux-mêmes entrecroisés et, selon les circonstances,
convergents ou divergents. C’est ainsi que Max Butlen n’a
de cesse de monter la dialectique de la complémentarité
et de la concurrence qui est à l’œuvre dans les politiques
de lecture, leurs acteurs et leurs modes de pensée au cours
de la période étudiée.
Ce sont donc ici les diverses facettes de l’offre de lecture, et les différents ordres d’acteurs (bénévoles, militants, pédagogues, bibliothécaires, agents institutionnels
et privés) impliqués dans ces politiques qui occupent le
premier plan. Ce qui permet à l’auteur de mettre en évidence les différentes logiques qui les meuvent, la manière
Notes critiques 123
dont ces logiques oscillent entre autonomie et interdépendance jusqu’à finir par créer un ensemble de dispositifs dynamiques au terme desquels on voit émerger des
vainqueurs plus ou moins attendus (les éditeurs contre les
bibliothécaires) et où l’on observe des relations complexes entre les différentes institutions concernées. C’est
notamment le cas des rapports entre les ministères de la
Culture et de l’Éducation nationale, dont la relation
confrontation pourrait bien, en définitive, selon Max
Butlen et contrairement au discours le plus répandu, se
révéler plus favorable à l’Éducation qu’à la Culture et à
sa Direction du livre et de la lecture (DLL).
En se fixant d’emblée le but de comprendre comment
et pourquoi l’offre de lecture a été perçue comme « un
problème de société prioritaire » au début des années
1980 (p. 11) et le but de fixer la nature et les limites
du « consensus » sur cette question, l’auteur, tout en
reconnais­sant sa dette envers des travaux antérieurs (et
tout particulièrement les Discours sur la lecture d’AnneMarie Chartier et Jean Hébrard), marque sa volonté de
produire une analyse complémentaire et originale, qui ne
s’arrête pas au champ désormais bien balisé des « discours ». Après avoir défini ses objectifs, l’auteur dresse
tout d’abord un tableau synthétique d’une grande clarté
sur l’offre et son élargissement constant (« État des lieux,
les évolutions de l’offre en France entre 1980 et 2000 »,
p. 25-116) avant de montrer dans les quatre parties suivantes comment les acteurs des politiques de l’offre de
lecture ont constitué, au long des deux décennies écoulées, un tissu complexe d’interventions, de conceptualisations, de manières de faire et de « manières d’offrir ».
On suit donc successivement ces professionnels de
­l’offre que sont, aux yeux de Max Butlen, les bibliothécaires, les éditeurs et les libraires (« Créer, publier, diffuser : les professionnels du livre et de la lecture »,
p. 119-210) puis trois ordres de théoriciens de l’offre
définis comme les militants de la littérature de jeunesse, les militants de la pédagogie de la lecture puis
les chercheurs (« Dire les fins et les moyens : les théoriciens de l’offre », p. 213-294). Vient le tour des différents ministères et acteurs en charge de la définition
des politiques gouvernementales : tout d’abord ceux
que les non-spécialistes connaissent le moins et dont la
seule énumération témoigne du fait que la lecture est
bien devenue un « problème social » (voire une affaire
d’État) au cours de la période étudiée : Affaires étrangères, Défense, Justice, Jeunesse et sports, Santé, Travail
(« Insérer la lecture dans chaque secteur de l’action
gouvernementale », p. 297-381). Par la suite, et très
logiquement, un accent tout particulier est mis sur
les deux « ministères de la lecture » que représentent
aux yeux de l’auteur les ministères de la Culture et
de l’Éducation nationale, de la maternelle à la fin du
124 c­ ollège (« Le ministère de la Culture, le ministère de la
lecture ? », p. 387-432 ; « Le ministère de l’Éducation
nationale, le ministère de l’apprentissage de la lecture ? », p. 435-528). Quant à la conclusion (p. 531-507),
elle rappelle avec fermeté et nuance que la réussite de
l’intervention collective dans le domaine de la lecture,
et tout particulièrement celle de l’État devenu, au-delà
de son rôle régulateur, incitatif et organisateur, « un
acheteur essentiel pour les bibliothèques publiques
comme pour les publics scolaires » (p. 533), s’est soldée
par une relégation au second plan de la réflexion et des
contenus. Un tel glissement risque de déboucher sur
une « perte de sens » puisque le primat revient aux
annonces des résultats quantitatifs plus qu’aux acquis
qualitatifs. C’est, pour partie, ce qui conduit l’auteur à
souhaiter dans l’avenir un développement de politiques de la lecture décentralisées et enracinées au plan
local.
Enfin Max Butlen tient à souligner le caractère
ambigu des politiques de l’offre. À ses yeux en effet,
ces dernières relèvent, de manière indissoluble, d’un
« geste collectif symbolique structurellement ambi­
valent antinomique, tout à la fois archaïque et réno­
vateur » (p. 545). Peur de la disparition de la culture
­lettrée d’un côté, volonté d’anticipation, d’élargissement, de rénovation et de modernisation de la lecture
et de l’accès à l’information et à la culture de l’autre :
les deux faces de ce Janus sont indissociables aux yeux
de Max Butlen. Ce survol suffit à marquer l’ambition,
l’ampleur et l’intérêt de son propos. C’est le propre des
sciences humaines que de conduire constamment
l’obser­vateur d’un objet donné à devenir acteur et à
penser le sens de sa propre action. De ce point de vue,
l’utilisation qu’il fait des cadres théoriques que lui
fournissent notamment Max Weber et Pierre Bourdieu
est parfaitement et constamment pertinente. C’est sans
aucun doute puisqu’il fut, à diverses époques de sa vie
et de manière souvent concomitante, pédagogue
engagé, acteur institutionnel et spécialiste de la lecture
comme de la recherche en éducation et en littérature
de jeunesse que Max Butlen parvient à saisir quels ont
été les enjeux, résultats et apories des politiques de
­lecture de 1980 à 2000. Tout au long de cette enquête
passionnante, on voit Max Butlen allier le recul
­intellectuel nécessaire et la connaissance intime et la
compré­hension souvent chaleureuse des hommes et
des femmes qu’il évoque. Autant de raisons qui font de
ce travail un véritable ouvrage de référence.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Emmanuel Fraisse
Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3
Chervel André. L’orthographe en crise à l’école. Et si
l’histoire montrait le chemin ? Paris : Retz, 2008, 80 p.
c­ ourants d’opinion, mais plutôt avec la transformation de
l’école primaire.
Deux ans après sa monumentale Histoire de l’enseignement du français du xviie au xxe siècle, publiée chez le
même éditeur en 2006 en 832 pages (1), André Chervel
livre un opuscule de 80 pages centré sur l’unique question
de l’orthographe ou plutôt, comme le titre l’indique, sur
l’orthographe en crise à l’école. Une brève introduction de
deux pages pose le dilemme dans lequel, selon l’historien
des disciplines scolaires, la société se trouve ; l’ouvrage se
compose ensuite de six chapitres et d’une courte bibliographie. Des encadrés (tableaux, citations, synthèses)
ponctuent le livre. « Peut-on encore enseigner l’orthographe ? », « Le niveau général en orthographe est-il irrémédiablement condamné à baisser ? » : ces deux questions
incisives ouvrent la réflexion à laquelle André Chervel
nous convie. Et c’est bien sûr par l’éclairage de l’histoire
qu’il va chercher à y répondre : celle des réformes de
­l’orthographe, celle de son enseignement, celle du niveau
orthographique des maîtres et des élèves.
La seconde évolution qui a conduit à la discipline orthographe concerne la mutation de l’écriture. Sous l’Ancien
Régime, celle-ci n’est qu’une activité secondaire et se
réduit à la calligraphie d’un texte que l’on a sous les yeux.
Les besoins économiques augmentant, le futur commis ou
l’employé doit pouvoir prendre une lettre sous la dictée,
un particulier rédiger un message, sans l’appui d’un
modèle. La reconnaissance passive des formes ne suffit
plus ; l’orthographe active devient nécessaire. Les élèves
vont devoir l’apprendre, même ceux des collèges classiques qui rédigent en français leurs cours et leurs versions
latines. Mais ils l’apprennent à partir des formes latines
déjà familières. Selon André Chervel, une des sources du
blocage des réformes se situerait là : terminaisons et
­lettres étymologiques ne posent aucun problème à l’élite
nourrie de latin.
Les quatre premiers chapitres retracent la lente constitution de l’orthographe comme discipline scolaire. Il aura
fallu plus de trois siècles et deux évolutions majeures,
l’une du côté de la lecture, l’autre de l’écriture. L’auteur
examine tout d’abord les rapports entre orthographe et
lecture, toutes deux liées à l’histoire religieuse à partir du
xvie siècle. En effet la Réforme, puis la Contre-Réforme,
impose la lecture en français de la Bible ou des prières.
Mais l’orthographe française est alors si difficile qu’il
faut passer par le latin qui permet d’oraliser assez vite.
La comparaison des mêmes dix mots au xviie et xixexxie siècles est des plus instructives (voir le tableau p. 10).
Pour André Chervel, si l’orthographe du français évolue
de façon continue du milieu du xviie siècle à 1835, c’est
pour répondre aux besoins d’alphabétisation de la population et de l’expansion du français devenu langue de
culture en Europe. Il retrace la chronologie des principales mutations en étudiant très soigneusement les choix
des éditeurs (voir les tableaux p. 20 et p. 24). Ces mutations concernent pour l’essentiel trois domaines : la suppression de lettres muettes inutiles ; la recherche d’une
relation univoque, qui installe par exemple la distinction
entre i et j d’une part et u et v d’autre part ; la régula­
risation des séries morphologiques (enfans/enfants). En
reconstituant cette chronologie, André Chervel montre
que les modifications, une quinzaine environ, suivent un
rythme qui leur est propre. Il attribue d’ailleurs l’interruption des simplifications de l’orthographe en 1835 à un
apprentissage de la lecture devenu suffisamment efficace.
Selon lui, la volonté de réforme a eu peu de chose à voir
avec des décisions de grandes institutions (telle l’Aca­
démie française), des évènements historiques ou des
Ébauchée au xvie siècle, une nouvelle didactique va
naître. André Chervel retient comme date symbolique
1732, quand Restaut introduit la distinction fondamentale
entre « orthographe de principe » et « orthographe
d’usage » (grammaticale vs lexicale) et ouvre la voie à la
grammaire scolaire que nous connaissons (2). À partir du
début du xixe siècle, la demande orthographique explose
et plusieurs mesures décisives sont prises : le brevet et la
connaissance de l’orthographe sont exigés pour enseigner,
ce qui n’était pas le cas auparavant ; les lois Guizot
de 1833 instituent un enseignement de la langue à l’école
primaire et créent les écoles normales ; la dictée devient
épreuve obligatoire dans les recrutements aux emplois
publics en 1835. Extension de la scolarisation, développement de la formation initiale et continue des maîtres,
expansion de la dictée, participent du même mouvement,
au point que le brevet des instituteurs se réduit à un
­examen d’orthographe et que la dictée devient l’exercice
emblématique de l’école, solidement ancré dans le
­paysage français.
Pourtant, la suprématie de la discipline orthographe est
remise en cause après la défaite de 1870 : celle-ci est
imputée à l’inculture de la population française dont l’instruction à l’école primaire est trop centrée sur l’ortho­
graphe. Jules Ferry et Ferdinand Buisson s’efforcent de
limiter la place exorbitante des exercices consacrés à la
langue et de renouveler l’enseignement du français par
une ouverture à la littérature et à l’expression écrite. Mais,
par ses mesures, Ferdinand Buisson suscite un front hostile qui l’accuse de faire baisser le niveau en orthographe :
acquise de haute lutte, la connaissance orthographique
est devenue un signe identitaire pour les instituteurs et
l’ensemble des acteurs de l’école primaire (directeurs
Notes critiques 125
d’école normale, corps d’inspection primaire, revues) : ils
s’opposent désormais à toute réforme. Le conflit ne va
pas cesser, tout comme vont échouer les projets de
réforme de l’orthographe qui se succèdent durant un siècle. Le cinquième chapitre offre une nouvelle vue sur
cette histoire mouvementée. À partir des grandes enquêtes disponibles depuis le xixe siècle, André Chervel montre tout d’abord la formidable élévation du niveau des
maîtres et maîtresses (respectivement 69 % et 90 % ignorent l’orthographe en 1829). Il s’attache ensuite à établir
de façon rigoureuse l’évolution du niveau orthographique
des élèves (enquêtes de 1873-1877, 1987, 1995 et 2005) : la
courbe ascendante s’est inversée après 1920, avec une
accélération de la baisse de niveau depuis deux décennies ; mais l’auteur souligne que le niveau des élèves en
rédaction s’est nettement accru.
Le dernier chapitre sert de conclusion : André Chervel
y propose sa vision concernant la crise et les moyens d’en
sortir. Pour l’historien, les transformations profondes de
la société et de l’école, la baisse rapide de niveau constatée au début du xxie siècle interdisent tout retour à l’état
antérieur ; fort de sa connaissance intime de quatre siècles d’invention pédagogique au service d’une nouvelle
discipline, il exclut toute solution consistant en un nouveau procédé didactique. Or, si on ne fait rien, on entérine
l’effondrement de l’orthographe normée. Reste une seule
voie : une réforme de l’orthographe continue jusqu’à ce
que l’enseignement redevienne efficace pour toute la
population, comme on avait su le faire pour l’apprentissage de la lecture entre 1650 et 1835. André Chervel y
ajoute une condition essentielle à ses yeux, à savoir que
l’orthographe reprenne le statut de discipline scolaire.
L’ouvrage se clôt sur des tableaux rapprochant mali­
cieusement les formes simplifiées qu’il propose avec les
formes existant dans les langues de l’Europe.
On le voit, ce petit livre ne manque pas de souffle. Si
l’on est sensible à l’inanité des arguments en faveur de
l’immobilisme ou du retour en arrière, on sera volontiers
d’accord avec ses propositions. Cependant, on pourra ne
pas suivre l’auteur sur deux points, son évaluation des
rectifications orthographiques de 1990 et sa position à
l’égard de la didactique. Rappelons tout d’abord quelques
faits : la Communauté française de Belgique a institué la
réforme de 1990 de la maternelle à l’université ; les dictionnaires et les correcteurs orthographiques ont peu à
peu intégré les nouvelles formes à côté des anciennes ; et,
surtout, « l’orthographe révisée » est désormais inscrite
dans les programmes de l’école et du collège en France
depuis 2007. La petite simplification de 1990 a donc joué
son rôle en remettant en mouvement l’idée même de
réforme : c’était un de ses enjeux forts pour ses artisans,
au premier rang desquels se trouve Nina Catach (3). On
126 peut ensuite regretter que les perspectives ouvertes par
les recherches cognitives, linguistiques et didactiques
depuis une quinzaine d’années ne soient pas évoquées (4),
notamment celles qui ont permis d’appréhender, comme
dans d’autres disciplines, l’écart entre ce qui est enseigné
et ce que les jeunes élèves en comprennent. Des recherches commencent à évaluer l’impact de nouveaux dispositifs didactiques qui prennent en compte cet écart. On peut
cependant rejoindre aisément André Chervel. Pour ne
pas laisser l’orthographe devenir l’apanage des classes
aisées, une « discipline de luxe » destinée à sélectionner
les élites comme le latin autrefois, il faut promouvoir une
vraie réforme, et de l’orthographe et des pratiques d’enseignement – ce qui implique bien sûr aussi que la for­
mation des maîtres inclue enfin une véritable formation
linguistique et didactique. On avait bien su le faire au
xixe siècle…
Danièle Cogis
IUFM de l’Académie de Paris, université Paris-Sorbonne-Paris 4
notes
(1) Voir la note critique de Pierre Boutan (en 2008) dans la Revue
­française de pédagogie, n° 162, p. 138-141.
(2) Chervel A. (1977). Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits
Français : histoire de la grammaire scolaire. Paris : Éd. Payot.
(3) Cet article applique les rectifications orthographiques.
(4) Pour une revue récente, voir Brissaud C., Jaffré J.-P. & Pellat J.-C.
(dir.) (2008). « L’orthographe aujourd’hui : regards croisés ».
Nouvelles recherches en orthographe. Actes des journées d’études
des 14 et 15 juin 2007, Université de Strasbourg. Limoges : LambertLucas.
Dumay Xavier & Dupriez Vincent (dir.). L’efficacité dans
l’enseignement. Promesses et zones d’ombre. Bruxelles :
De Boeck, 2009, 292 p.
Le livre de Xavier Dumay et Vincent Dupriez est une
synthèse et discussion des travaux de l’Educational effectiveness research (EER), accompagnées par une présentation des études conduites en Belgique et en France. Les
recherches sur l’école efficace ne se résument pas à l’identification des pratiques et des dispositifs pédagogiques
qui améliorent les résultats des élèves. Elles visent aussi à
comprendre et à expliquer les variations des perfor­
mances scolaires selon les environnements d’apprentissage, qu’ils concernent la classe ou l’établissement scolaire. L’ouvrage fait une place particulière à l’effet de
composition (school mix effect), objet de débats à l’échelle
internationale : il s’agit de prendre en compte l’effet des
caractéristiques sociales des élèves sur leur performance
scolaire, lequel tend à relativiser l’effet des pratiques
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
pédagogiques des enseignants. L’autre dimension du livre
est de situer les usages des résultats de la recherche sur
l’efficacité de l’école dans la conduite des politiques
d’éducation.
Dans la première partie sont présentés les fondements
et les principaux résultats de ce paradigme de recherche.
Jan Van Damme et ses collègues de l’Université catho­
lique de Lewen introduisent le lecteur aux modèles d’analyse de l’école efficace en montrant que les premières
modélisations de type « input output » ont été remplacées
par des structures plus complexes de repérage de la causalité, notamment à travers les analyses multiniveau.
Celles-ci, en facilitant le traitement hiérarchique et longitudinal des données, ainsi que les décompositions de la
variance totale, permettent de faire émerger des effets
bruts et des effets nets afin de séparer les effets de l’enseignant, de la classe, ou de l’établissement scolaire de ceux
comme le statut socio-économique des familles d’élèves,
le sexe, l’appartenance à une minorité ethnique, l’intelligence ou la performance scolaire à un moment antérieur
de la scolarité. Ces études ont permis de mettre en évidence l’influence positive de facteurs d’efficacité sur la
performance des élèves, tels que les attentes des enseignants, un leadership éducatif, un climat d’école ordonné,
un enseignement structuré possédant un feedback régulier, une coopération entre élèves. Ses résultats sont
aujourd’hui confirmés par des méta-analyses et synthèses
de la littérature sur l’école efficace. Le chapitre suivant
est consacré à une présentation détaillée par Maryse
Bianco et Pascal Bressoux des travaux conduits sur les
effets-classes et effets-maître dans l’enseignement primaire. Alors qu’en général un enseignement direct, c’està-dire une décomposition des tâches selon des objectifs
précis, est favorable à l’acquisition des élèves, il n’en est
pas de même pour la compréhension de l’écrit, parce
qu’il s’agit d’activités complexes nécessitant d’autres stratégies cognitives. À partir de recherches longitudinales et
d’obser­vations de classe sur des activités de langages oral
et écrit, les auteurs montrent qu’un enseignement explicite et régulier, centré sur les capacités spécifiques de la
­compréhension et dirigé par l’enseignant, a plus d’efficacité sur les performances des élèves que des méthodes
d’apprentissage donnant davantage de place à la coopération entre élèves. Dans la même veine, Marie-Christine
Opdenakker et Jan Van Damme rendent compte des travaux sur l’efficacité des classes dans l’enseignement
secondaire, en s’intéressant à l’effet de composition sur
les pratiques enseignantes et les performances des élèves.
Passant en revue les principaux facteurs déterminants
d’un enseignement efficace tels qu’ils sont mis en évidence par la littérature internationale (opportunités
­d’apprentissage, temps effectif, enseignement structuré,
coopération, éthos et climat), ils s’interrogent sur les effets
de la composition du groupe d’élèves sur la performance
tout en exposant une étude empirique réalisée dans le
système éducatif secondaire de la Communauté flamande
de Belgique. D’après leurs résultats, les différences
­d’environnement d’apprentissage, de climat de classe et
de composition de groupe expliquent une part importante
des différences de performance entre élèves, même s’il
reste à étudier les interactions entre pratiques de classe et
composition du groupe. Le chapitre rédigé par Xavier
Dumay s’intéresse à la littérature de recherche consacrée
à l’efficacité du leadership de la direction de l’établissement sur les apprentissages des élèves. Il montre que le
leadership n’a pas d’effet direct et qu’il agit essentiellement sur des variables médiatrices comme la culture des
établissements, l’engagement des enseignants et leur satisfaction professionnelle. Si la promotion de la coopération
entre enseignants a des effets indirects, elle est quand
même susceptible d’améliorer les performances quand les
décisions collectives sont centrées sur les pratiques
­d’enseignement. Il semble toutefois, d’après l’auteur, que
le leadership « instructionnel », c’est-à-dire celui où la
direction participe à la gestion directe de la tâche d’enseignement, ait plus d’impact sur la performance que le
­leadership « transformationnel », lequel vise à stimuler la
vie collective au sein de l’établissement.
La deuxième partie du livre aborde la question centrale
de l’effet de composition qui, rappelons-le, est une des
critiques adressées au paradigme de l’école efficace, en
même temps qu’il pose des problèmes méthodologiques
et statistiques nombreux. Pour estimer cet effet sur la performance des élèves, Xavier Dumay et Vincent Dupriez
ont conduit une enquête auprès de 52 écoles primaires du
réseau libre catholique de la Communauté française de
Belgique, en s’inspirant de méthodologies déjà éprouvées
dans la littérature internationale de recherche. En
construisant des indicateurs spécifiques de composition,
et en procédant à une analyse multiniveau, ils montrent
un effet net sur la performance des élèves en langue à la
fin de l’enseignement primaire. Celui-ci s’explique par
une ségrégation sociale, une différenciation et une polarisation des publics et la présence d’un système de quasimarché au sein de ce réseau d’écoles. Dans le chapitre
suivant, à partir de la même recherche, les deux auteurs,
avec Anne Vause, évaluent quelles sont parmi les pra­
tiques pédagogiques celles qui, indépendamment de
­l’effet de composition, ont des effets réels sur les apprentissages des élèves en mathématiques. Ils en concluent
que trois variables ont un effet net, quoiqu’assez faible,
indépendamment des caractéristiques individuelles des
élèves : un climat de discipline positif, un rythme de travail soutenu, un niveau socioculturel élevé dans la classe.
En testant les interactions entre la variable composition
et les variables caractérisant la classe et l’enseignant,
Notes critiques 127
l­’enquête montre l’influence positive d’un rythme de travail soutenu et d’une mobilisation des représentations des
élèves des milieux défavorisés. Cette enquête au sein du
système éducatif belge est suivie par une étude inter­
nationale conduite par Christian Monseur et Dominique
Lafontaine à partir des données PISA. Partant du constat
que tous les systèmes éducatifs peuvent être à la fois efficaces et équitables, et que ceux à faible sélection sont plus
équitables que ceux présentant un degré de sélection
élevé, les deux auteurs s’intéressent à l’impact de l’organisation du système éducatif sur les différences de performance entre élèves, en étudiant les relations entre agrégation académique (regroupement des élèves en fonction
de leurs aptitudes) et agrégation sociale (regroupement
des élèves en fonction de leur origine socioculturelle).
Leurs résultats démontrent que les pays de l’Europe
du Nord et les pays anglo-saxons présentent une ségrégation sociale et académique plus faible que des pays comme
l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, et que ces derniers sont moins efficaces en lecture. Toutefois les données montrent que ces mécanismes ségrégatifs doivent
être analysés pays par pays parce que la diversité des
contextes nationaux influence les mécanismes de différenciation et de ségrégation, selon que l’accent est mis
sur le redoublement ou la différenciation en filières.
Dans le cas de la Belgique, l’effet du recrutement social
de l’établissement apparaît assez nettement, l’agrégation
académique se confondant avec l’agrégation sociale.
Le pilotage des systèmes éducatifs lorsque sont utilisés
des indicateurs d’efficacité constitue le thème de la troisième partie. L’objectif est de discuter des usages des travaux de recherche de l’Educational effectiveness research
dans les politiques éducatives et la prise de décision. Davy
Laveault dresse le bilan des indicateurs mis en œuvre
dans la province de l’Ontario pour améliorer l’efficacité
du système éducatif. Il souligne l’imperfection des mesures de valeur ajoutée sur lesquelles s’appuient les décideurs et insiste sur la nécessité de disposer d’indicateurs
diversifiés mais aussi compréhensibles par les enseignants
et les chefs d’établissement, en remplissant des fonctions
formatives facilitant l’adaptation et le changement de
l’organisation scolaire à son environnement. En comparant la situation française à celle des États-Unis, Denis
Meuret explique les difficultés à développer des recherches sur l’école efficace dans le contexte français, l’une
des explications tenant à la différence des modèles politiques de l’école (Dewey vs Durkheim) entre les deux pays.
En abordant ensuite la régulation par les résultats
(accountability), il engage le débat avec Martin Thrupp et
les critiques de l’école efficace pour considérer que ces
politiques d’obligation de résultats ont contribué à améliorer le sort des élèves les plus défavorisés sans renoncer
pour autant au projet de démocratisation. Enfin Christian
128 Maroy adopte une position plus critique des formes de
rationalisation qu’implique la quête d’efficacité de l’école.
Pour lui, l’évaluation des résultats dans les activités de
services comme l’éducation se heurte à un certain nombre de difficultés : l’impossibilité d’évaluer des objectifs
multiples et diversifiés, l’absence de neutralité et d’objectivité de la mesure, les biais créés par des effets de
contexte, les problèmes posés par la définition de la qualité. Il y voit une approche fonctionnaliste du professionnalisme enseignant, cette rationalisation par les résultats
conduisant à une déprofessionnalisation, alors qu’il faudrait proposer aux enseignants plus de réflexivité et les
conditions d’un vrai développement professionnel.
Chaque partie est accompagnée par une discussion distanciée des différentes contributions pour revenir, comme
l’indique le titre de l’ouvrage, sur les promesses et les
zones d’ombre. C’est ainsi que Jean-Marie De Ketele
­présente des limites méthodologiques des outils et des
méthodes utilisées par le courant de recherche sur l’efficacité de l’école selon que l’on cherche à mesurer un
savoir, un savoir-faire, ou un savoir-être dans l’évaluation
de la performance. De même qu’il est difficile pour lui de
mesurer les pratiques pédagogiques parce qu’elles varient
en fonction des situations et des objets d’apprentissage.
Marc Demeuse, en conclusion de la deuxième partie,
satisfait du développement des enquêtes internationales
sur l’efficacité et l’équité des systèmes éducatifs, invite les
auteurs à une vigilance méthodologique dans le choix et
l’analyse des variables en considérant malgré tout que ces
études apportent une contribution utile au champ de
recherche sur l’efficacité de l’école. Enfin Marie
Verhoeven tente de trouver un point d’équilibre dans le
débat sur les usages politiques de la school effectiveness
en mettant en perspective les différents arguments
­avancés par les contributeurs de la troisième partie. Elle
interroge successivement la dimension finalisée et instrumentale de ce type de recherches, les problèmes méthodologiques que ces dernières posent, la nature du débat
technique ou démocratique qu’elles suscitent, les effets
positifs ou pervers qu’elles génèrent auprès des acteurs
de l’éducation.
À la lecture de l’ensemble des contributions, l’ouvrage
s’apparente plutôt à un plaidoyer en faveur du mouvement de recherche sur l’efficacité de l’école et les zones
d’ombre, mis à part l’article critique de Christian Maroy,
relèvent surtout de critiques endogènes au paradigm.
Malgré tout, certains auteurs, comme Denis Meuret, cherchent à discuter les positions de Martin Thrupp, ce sociologue néo-zélandais qui a cherché à établir un dialogue
constructif avec les principaux représentants de ce courant de recherche. On s’étonnera quand même que, malgré l’investissement réalisé dans des études de grande
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
ampleur aux méthodologies sophistiquées, il demeure si
difficile de caractériser une pratique pédagogique efficace, si ce n’est selon un cadre structurant et ordonné qui
n’informe guère sur la façon dont l’enseignant peut prendre en charge la diversité des compétences cognitives et
des attitudes des élèves. De même, si l’effet de composition était amené à jouer un rôle décisif sur les apprentissages et la réussite scolaire, l’effet-enseignant en serait
singulièrement diminué, ce qui relativiserait un certain
nombre de postulats du paradigme de l’école efficace, un
paradoxe que ne semblent pas avoir relevé les coordonnateurs du livre. Le récit de la genèse de la school effectiveness apparaît lui aussi assez sommaire parce qu’il tend à
sous-estimer les contextes sociaux et politiques ayant
donné naissance à ce mouvement de recherche. Au-delà
de ces critiques, le livre constitue une référence importante pour appréhender les nouvelles problématiques de
la mesure de l’efficacité et de l’équité des systèmes éducatifs et des organisations scolaires. Il permettra au lecteur
de se faire une idée beaucoup plus précise des problématiques et des nouveaux défis que cherchent à relever un
paradigme incontournable dans l’analyse des politiques
d’éducation et des systèmes éducatifs.
Romuald Normand
Éducation et politiques, INRP
Dupriez Vincent, Orianne Jean-François & Verhoeven
Marie (dir.). De l’école au marché du travail, l’égalité des
chances en question. Berne : Peter Lang, 2008, 411 p.
Égalité des chances : on ne cesse d’affirmer ce principe
dans les sociétés démocratiques modernes. Mais au-delà
de son caractère récurrent, tant dans la formulation de
nouveaux projets pour l’école démocratique que dans les
politiques publiques d’intervention auprès des personnes
sans emploi, ce concept polysémique recouvre des réalités
bien distinctes. Dans cet ouvrage collectif nourri d’une
réflexion pluridisciplinaire conduite au sein du GIRSEF
(Université catholique de Louvain), les auteurs nous
­invitent à interroger un certain nombre d’évidences
­qu’essaime le discours politique.
En ce sens, la première partie de l’ouvrage constitue un
front théorique contre les positions qui se disent simplement descriptives, mais qui sont toujours susceptibles de
manipulation idéologique. En réalité, ne pas définir ce
principe d’égalité des chances ne peut entraîner que plus
de confusion et d’opacité dans l’analyse et l’interprétation
des infléchissements contemporains de l’intervention
publique, tant en matière d’éducation que de formation.
Car, à y regarder de plus près, ce qui compte et ce qui doit
entrer dans la convention d’évaluation quand il s’agit de
penser l’égalité des chances, à la fois dans le système scolaire et dans le système de formation continue, est tributaire d’un jugement de valeur, que celui-ci soit revendiqué
ou passé sous silence. Le lecteur découvrira dans cette
première partie les principales théories de la justice auxquelles ces jugements de valeur en appellent. Il faut ici
louer le travail des auteurs qui rendent intelligibles ces
principales théories souvent perçues par le profane
comme difficilement compréhensibles. De l’utilitarisme à
l’égalitarisme de résultats, en passant par le libertarisme
et l’égalitarisme libéral de Rawls, Waltenberg illustre les
quatre principales écoles de la philosophie politique. Si
ces quatre écoles constituent les référents de départ, les
théories de la justice ne sauraient s’y limiter. Dans ce
domaine fertile de la recherche actuelle émergent des
concepts très divers dont l’originalité renouvelle sensiblement les problématiques habituelles. Ces avancées très
importantes bénéficient des travaux de Walzer, à l’aune
duquel Pourtois envisage l’égalité des chances de manière
irréductiblement multidimensionnelle. Enfin Farvaque
reprend la proposition de Sen, qui est largement destinée
à offrir une alternative à la position défendue par Rawls.
Il aborde ce qui fait le cœur de l’approche par les capacités, à savoir le lien entre l’accès aux ressources éducatives
et l’augmentation des libertés.
La clarification des théories de la justice permet
d’ouvrir sur une analyse de l’évolution des politiques éducatives et d’accès à l’emploi dans la deuxième partie de
l’ouvrage. Ce changement de perspective conduit
Verhoeven et Dupriez à analyser les politiques éducatives
menées en Communauté française de Belgique dans le
courant du xxe siècle. On y trouve non seulement un
exposé très clair des trois déclinaisons historiquement
situées du même principe d’égalité des chances – égalité
d’accès, de traitement et politique compensatoire –, mais
aussi une illustration de la ligne de rupture depuis l’adoption en 1997 du décret dit « mission », dont l’ambition
égalitariste est appréhendée à travers les « résultats
e­ffectifs » de l’action éducative. Poursuivant une analyse
­socio-historique, Grootaers décode deux siècles du projet
­politique et culturel de démocratisation scolaire. Si la première période correspond à la méritocratie et la seconde
à « l’égalité des chances généralisées », l’auteur envisage
la troisième période, à l’échelle des 25 dernières années,
comme une rupture du postulat méritocratique. Changeant
d’échelle et de focale, Bonvin et Moachon puisent eux
aussi dans les théories de la justice pour offrir un chapitre
particulièrement réussi s’ouvrant à l’analyse des politiques d’intervention auprès des personnes sans emploi
en Europe. Les auteurs décryptent six conceptions de
l’égalité des chances – approche néolibérale, allocation
Notes critiques 129
universelle, workfare, employabilité d’initiative, employabilité interactive et approche par les capacités – qui sont
autant d’approches concurrentes de l’égalité ou de la
­justice.
Dans la troisième partie de l’ouvrage, les auteurs abordent un niveau plus opératoire de l’analyse, celui du diagnostic empirique dans les deux champs de l’éducation et
de la formation. Trois questions structurent le débat : Quel
est l’état des inégalités ? Quels en sont les processus producteurs ? Au regard de quelle conception de la justice
ces inégalités posent-elles problème ? À partir de données chiffrées de l’enquête PISA comparant la situation
des 15 pays membres de l’UE en 2004, Dupriez
et Vanderberghe montrent que les positions respectives
des pays changent, de manière parfois importante, selon
la convention d’évaluation utilisée. Ce qui implique du
même élan la nécessité de se positionner, d’un point de
vue normatif, par rapport à l’éventail des théories de la
justice. Et les auteurs en concluent ce qui, dans la perspective de l’approche par les capacités de Sen, mériterait
d’être pris en considération. Les deux contributions suivantes se concentrent sur le rôle des établissements dans
la production des inégalités de traitement et de résultats
en Communauté française de Belgique. Le travail
de Dumay et Galand éclaire le rôle de l’établissement
scolaire dans les inégalités de traitement observées, là où
Delvaux et Maroy permettent un approfondissement de
ce diagnostic à partir d’une analyse fine de trois établissements scolaires. Ils montrent à quel point les orientations
éducatives de l’école sont lourdement affectées par la
composition de l’école et le type de public que l’école
souhaite attirer avant de s’interroger, à partir de l’approche de Sen, sur les libertés réelles qu’ont les élèves « de
choisir la vie qu’ils ont des raisons de vouloir valoriser »
dans le système scolaire belge, lourdement structuré par
une logique de marché et le principe de libre choix de
l’école. Enfin Conter conclut cette partie en scrutant à
la loupe l’égalité d’accès à la formation continue des
­travailleurs et demandeurs d’emploi en Belgique.
Quels sont les infléchissements contemporains des politiques d’éducation et de formation ? C’est à la formulation de réponses à cette question que les auteurs de cette
quatrième partie s’attachent, en livrant une description
précise des dynamiques repérables, de façon transversale,
sous l’étiquette de « politique de l’autocontrainte ». Deux
politiques publiques sont retenues et examinées comme
figure emblématique de ces transformations : le décret
« Missions » adopté en Communauté française de Belgique
dans le champ de l’enseignement obligatoire ; la politique
européenne du parcours d’insertion menée en région
­wallonne dans le champ des politiques d’emploi et de formation professionnelle. Orianne, Draelants et Donnay
130 proposent une lecture transversale aux deux champs étudiés (en matière d’éducation et de formation) des mutations de l’intervention publique. Individualisation, conditionnalisation et territorialisation constituent selon eux
les trois lignes de force d’un mouvement à l’œuvre qui
épouse les limites d’une conception « ressourciste » – certes renouvelée – de la justice sociale. La contribution de
Draelants, Giraldo et Orianne traite de la mise en œuvre
des politiques de l’autocontrainte sous l’angle, bien particulier, des intermédiaires chargés d’en traduire les énoncés en action sur autrui. Enfin les deux dernières communications se situent dans le champ de l’éducation. Elles
traitent de la mise en œuvre du décret « Missions » en
Belgique francophone, à travers le développement de la
pédagogie par « compétences » ou d’une pédagogie centrée sur le « projet individuel de l’élève », nées toutes
deux de nouvelles modalités de gestion de la main-­
d’œuvre des actifs. Letor et Mangez examinent, à partir
de l’approche par les capacités, l’introduction d’une pédagogie des compétences où les savoirs perdent leur statut
de fins en soi pour devenir des moyens à mobiliser en
situation. Pour leur part, Paul et Frenay pointent et éclairent, sous un angle nouveau, une série de tensions inhérentes à l’individualisation des politiques publiques dans
le champ de l’éducation. Pour les auteurs, la mise en pratique d’une approche plus individualisée du parcours scolaire, à travers la notion de projet personnel de l’élève,
interroge de façon directe les théories de la justice.
Bien qu’un des enjeux de l’ouvrage soit de penser
ensemble l’éducation et la formation continue, le contenu
de l’ouvrage n’est pas toujours en phase avec cette ambition. On peut regretter que les auteurs, toujours rigoureux
sur le fond, ne se risquent pas davantage à une « analyse
conjointe, de deux champs à la fois distincts et pourtant
connexes ». Comment s’articulent éducation et formation
continue selon les diverses conceptions de l’égalité des
chances à l’œuvre ? Quelles conceptions de la formation
tout au long de la vie les différentes théories de la justice
appellent-elles ? L’ouvrage est très discret sur ces questions, sans que l’on puisse deviner ce que serait une articulation souhaitée de ces deux champs qui relèvent de
logiques institutionnelles distinctes et qui sont aussi étudiés par des branches différentes des sciences sociales.
Mais finalement cette remarque ne remet en cause ni la
qualité intrinsèque de l’ouvrage, ni l’intérêt à le mettre
entre les mains de toute personne curieuse de comprendre la pluralité des conceptions au fondement de la notion
d’égalité des chances et déçue de l’insuffisante rigueur
qui lui est trop souvent réservée.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Josiane Vero
CEREQ
Lautrey Jacques, Rémi-Giraud Sylvianne, Sander
Emmanuel & Tiberghien Andrée. Les connaissances
naïves. Paris : Armand Colin, 2008, 223 p.
Il a toujours existé un décalage temporel plus ou moins
important entre les avancées de la recherche en sciences
humaines et leur traduction dans le champ de la pédagogie. L’ouvrage Les connaissances naïves devrait contribuer à réduire ce décalage, les auteurs manifestant le
souci de lier eux-mêmes les deux domaines. L’objet de
l’ouvrage est d’étudier le rôle que jouent dans l’apprentissage scolaire des connaissances scientifiques les
connaissances acquises spontanément par l’expérience
de chacun dans la vie quotidienne. La question est abordée sous trois angles. Le premier concerne l’acquisition
des connais­sances naïves chez l’enfant : Lautrey, après
avoir opposé l’approche piagétienne à celle de la psychologie cognitive actuelle, aborde à l’aide d’exemples
concrets les processus de changement de connaissances
en distinguant le changement par révision des présuppositions d’une part et par changement de catégorie d’autre
part. Le second angle est celui de deux domaines d’enseignement : Sander explore le rôle des connaissances naïves dans l’apprentissage des connaissances mathématiques. Il présente les principales théories qui ont tenté de
rendre compte de l’existence de connaissances tacites
dans le champ des mathématiques puis analyse de façon
détaillée leurs manifestations dans le cas des opérations
arithmétiques : soustraction, multiplication et division. Il
propose, à partir d’exemples détaillés, une interprétation
intéressante des effets du contenu en distinguant structure de représentation induite par l’interprétation de
l’énoncé et structure profonde correspondant à sa structure formelle, avant d’en dégager les implications pédagogiques. C’est à la didactique de la physique au collège
que s’intéresse Tiberghien. À partir de situations concrètes (le chauffage et l’isolation, la mécanique), elle analyse les écarts entre les connaissances naïves et les
connaissances scientifiques. Elle propose, à partir de
l’exemple de la chaleur, une suite d’étapes pour réduire
cet écart ainsi que des principes pour l’élaboration de
situations d’enseignement destinées à introduire un
concept (l’énergie) à partir des connaissances de la vie
quotidienne des élèves. Le dernier angle sous lequel est
abordée la thématique de l’ouvrage est linguistique.
Rémi-Giraud analyse le rôle du langage, plus particulièrement du lexique, dans la construction des connaissances. Elle montre de façon détaillée et avec de nombreux
exemples les difficultés provoquées par la polysémie des
mots courants de la langue. Elle argumente le point de
vue selon lequel une approche sémantique lexicale permet d’établir des ponts entre connaissances naïves et
concepts scientifiques.
Les approches multiples qui font l’intérêt de l’ouvrage
convergent pour argumenter plusieurs points communs
importants. Les auteurs insistent en effet sur le changement de point de vue qui caractérise la psychologie cognitive aujourd’hui. On est passé d’une conception logicienne
et généraliste à une conception privilégiant les aspects
sémantiques de la cognition (cognition « située » ou
« incarnée »). Ainsi pour Lautrey les capacités de l’enfant
sont les mêmes que celles des adultes, les différences
­proviennent des connaissances (décalage identique au
décalage entre novice et expert). Sander met l’accent sur
l’importance cruciale de l’interprétation de la situation.
Pour Tiberghien les connaissances sont contextualisées
par les situations dans lesquelles elles ont été acquises
et qui leur donnent du sens. L’exemple des opérations
­arithmétiques analysé par Sander et repris par Tiberghien
et Rémi-Giraud illustre cette conception. Par exemple la
représentation « diviser, c’est partager » explique que
pour les élèves diviser, c’est rendre plus petit, à refuser
que le résultat puisse être supérieur à la valeur de départ
(cas de la division par un nombre compris entre 0 et 1).
On trouve la même réaction à propos de la multiplication
(multiplier, c’est augmenter) : les élèves ne peuvent
concevoir que le résultat puisse être inférieur à la valeur
multipliée. Un deuxième point, lié au précédent, concerne
le rôle de la catégorisation. Lautrey fait du changement
de catégorie un des deux processus d’évolution des
connaissances. Il rejoint ainsi Rémi-Giraud pour laquelle
l’acquisition de concepts passe par la nouvelle catégo­
risation des mots pour les faire entrer dans d’autres
champs sémantiques. De même pour Sander, les ­structures
­induites constituent des catégories.
Toute la problématique de l’ouvrage repose sur l’assertion selon laquelle toute connaissance nouvelle prend
nécessairement appui sur une connaissance antérieure.
Les connaissances naïves constituent donc le socle nécessaire des acquisitions scolaires. Cette filiation des connaissances rend compte du fait, souligné par les auteurs, que
l’analogie qui consiste à évoquer et utiliser une situation
connue pour comprendre et traiter une situation nouvelle
constitue un processus tout à fait privilégié d’acquisition.
Les auteurs s’accordent également pour souligner le rôle
du langage. De même que l’analogie, la métaphore est un
outil puissant d’acquisition. Sander comme Rémi-Giraud
insistent sur les rapports entre lexique (mot utilisé) et
concept. Le fait qu’un mot soit connu ne signifie pas
que le concept correspondant soit acquis. La clarifi­
cation du sens des mots est une condition essentielle de
­l’apprentissage du concept.
Les connaissances naïves disparaissent-elles avec
l­ ’acqui­sition des connaissances scientifiques ? La réponse
des auteurs est clairement non. Sander, Tiberghien
Notes critiques 131
et Rémi-Giraud montrent de façon convaincante que les
connaissances naïves persistent chez l’adulte et coexistent
avec les connaissances scientifiques. La question centrale
devient alors : les connaissances naïves constituent-elles
un obstacle ou une aide à l’apprentissage des connais­
sances scientifiques ? Les premières sont efficaces dans la
vie quotidienne, mais leur validité est limitée. Les connaissances scientifiques visent à l’universalité. Le problème
fondamental est de définir leurs champs de validité respectifs. Il est parfois nécessaire de mettre l’élève en face
d’un problème pour lequel les connaissances naïves sont
en échec. Il ne s’agit donc pas d’éliminer les connais­sances
naïves mais de les connaître et de les faire évoluer.
Certains développements des quatre auteurs ne sont pas
toujours d’un accès très facile pour un public non spécialisé. Mais cet aspect est très largement compensé par
l’abondance des exemples précis et bien détaillés. Le psychologue y trouvera des analyses novatrices. Le praticien
de la pédagogie y trouvera un grand nombre de suggestions bien argumentées. On ne peut que souhaiter que cet
ouvrage multidisciplinaire ait l’impact qu’il mérite auprès
de tous ceux qui s’intéressent aux apprentissages.
Claude Bastien
Parole et langage, université de Provence-Aix-Marseille 1
Lawn Martin. An Atlantic crossing? The work of the
International examination inquiry, its researchers, methods
and influence. Oxford : Symposium books, 2008, 206 p.
Dans un domaine où l’expérimentation est difficile, les
comparaisons internationales des systèmes éducatifs et
des compétences des élèves sont un outil indispensable
des chercheurs et des décideurs politiques pour juger de
l’efficacité des méthodes et des curricula. De plus, les
enquêtes internationales sur les comparaisons des compétences des élèves conduites par l’IEA et l’OCDE ont eu
un impact médiatique et politique important et les politiques éducatives de nombreux pays s’en sont trouvées
sinon modifiées, du moins remises en question. On sait
moins que ces enquêtes ont une longue histoire puisque
la réflexion sur leur mise en place date des années 1950 et
que ces projets sont, en partie, redevables des travaux de
l’International examination inquiry (IEI) souvent désignée sous le nom de commission Carnegie. L’ouvrage
dirigé par Martin Lawn présente pour la première fois de
manière synthétique et détaillée les travaux de cette
­commission dans les principaux pays européens qui y ont
participé. Cet ouvrage étudie son incidence sur la recherche en éducation et sur les systèmes éducatifs nationaux
et surtout son impact sur la naissance d’une véritable
132 commu­nauté internationale de chercheurs en éducation.
La plupart des historiens de l’éducation s’attachent à
l’étude de systèmes nationaux, ce qui les empêche d’identifier les échanges d’idées au niveau international. Il s’agit,
dans ce livre, moins de mettre en avant l’impact des travaux de la commission sur tel ou tel pays que de montrer
que cette commission a permis la construction d’un cadre
inter­national (ou plutôt supranational) pour la recherche
en éducation.
Rappelons que le but de cette commission était de faire
le point sur le fonctionnement des examens dans différents pays et de promouvoir et suivre des projets nouveaux – en partie inspirés de ceux qui étaient en train de
se développer aux États-Unis – pour aboutir à un système
d’examen plus fiable et plus équitable. Ce projet était
financé par une organisation philanthropique américaine :
la fondation Carnegie. Pour reprendre les propos de
Martin Lawn, « International examination inquiry est un
travail presqu’oublié aujourd’hui et pourtant c’était un
projet international et scientifiquement bien fondé, dont
l’exploitation a duré sept années, qui a attiré des figures
éminentes de la recherche en éducation et qui a entrepris
des échanges significatifs de données et d’expériences ».
La question centrale posée était le développement de
l’éducation secondaire et des méthodes les plus efficaces
pour faire passer un examen aux élèves afin de décider de
leur entrée dans l’enseignement secondaire. Le projet
comprenait à l’origine les États-Unis, l’Écosse, l’Angleterre, la France, l’Allemagne et la Suisse puis a intégré au
fil du temps la Suède, la Finlande et la Norvège. Le noyau
du groupe de recherche s’est rencontré à trois reprises
en 1931, 1936 et 1938.
L’ouvrage s’ouvre sur une présentation générale du
projet, de son déroulement par Martin Lawn. Puis les travaux menés par les comités nationaux, la réception de ces
travaux et leurs conséquences à court et à long terme sont
présentés pour chacun des pays par des chercheurs du
pays considéré : Floria Waldow pour l’Angleterre, Rita
Hofstetter et Bernard Schneuwly pour la Suisse, Marc
Zarrouati pour la France, Martin Lawn, Ian Deary et
David Bartholomew pour l’Écosse, Minna Vuorio-Lehti
et Annuka Jauhiainen pour la Finlande, Christian Lundahl
pour la Suède et enfin Harald Jarning et Gro Hanne Aas
pour la Norvège. Cet ouvrage est très bien documenté et
les témoignages et les archives présentés sont pour la plupart sinon inédits du moins peu accessibles (les ­rapports
et les documents des comités n’ont souvent été déposés
que dans les bibliothèques des institutions ­d’appartenance
des membres du comité).
Cet ensemble de textes met bien en évidence la constitution de réseaux de chercheurs et de politiques parta-
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
geant des valeurs communes, dans le but de faire évoluer
les systèmes éducatifs à partir de cette impulsion de
départ venue des États-Unis, ainsi que sa réception plus
ou moins favorable et durable dans les pays européens.
Comme le signifie le point d’interrogation par lequel se
termine le titre, cette « traversée de l’Atlantique » a été
plus ou moins réussie selon les pays. Il n’en reste pas
moins que l’importance du projet se mesure également à
l’aune de ses réalisations. Il a rassemblé de nombreux
chercheurs et décideurs politiques, bien dotés, publiant
bien au-delà d’un recueil de contributions puisque le projet a duré presqu’une dizaine d’années. On note parmi les
protagonistes des spécialistes d’au moins trois domaines
en pleine expansion : l’étude des tests d’intelligence
(Spearman et Thorndike), les comparaisons entre systèmes nationaux (Monroe, Kandel, Sadler et Ulich) et la
nouvelle pédagogie centrée sur l’enfant (Zilliacus, Bovet,
Mc Clelland et Boyd).
Comme nous venons de le souligner, cet ouvrage porte
sur une histoire internationale et non sur une approche
basée sur une comparaison d’histoires nationales. Cepen­
dant il nous a paru utile d’approfondir cette recension en
nous centrant sur l’histoire du comité français, dont
­l’intérêt apparaît plus direct pour le lectorat de la Revue
­française de pédagogie. Le chapitre sur le comité français
a été rédigé par Marc Zarrouati de l’Université de
Toulouse. La France a participé dès le départ aux travaux
de l’IEI et son comité a assisté à toutes les réunions, le
président étant Auguste Desclos. Cependant, pour Marc
Zarrouati, on doit malheureusement conclure que
­l’apport de la France a été faible et les Français n’ont pas
été convaincus par l’adoption des nouvelles méthodes.
L’intérêt de l’histoire du comité est qu’il permet de
compren­dre pourquoi les enseignants français étaient
opposés à de nouvelles méthodes d’examen. En fait le
comité était partagé entre les tenants de la culture générale et les partisans de nouvelles méthodes. Bien que le
nombre de membres favorables à chacune des options
ait été à peu près équivalent, ce sont les voix des tradi­
tionalistes qui se sont fait le mieux entendre lors des
­réunions. Comme l’écrit Marc Zarrouati : « This latent
­conflict was detrimental both to scientific exchanges
between French experimental psychologists and foreign
scholars and to the introduction of experimental methods
and psychometric views on examination within the French
education system, as well. » (p. 99) L’accent mis sur
l’impor­tance de la culture générale semble lié au fait que
coexistaient en France trois systèmes d’enseignement : le
secondaire issu de la tradition la plus ancienne du lycée
et de l’université, le primaire et le technique. Pour une
partie des membres du comité, comme pour la plupart
des éducateurs de l’époque, le secondaire était le modèle
à suivre.
Lors de la première réunion, le comité français a lancé
plusieurs projets sur l’étude des examens, comme un atlas
de l’enseignement en France (1933), et l’étude de différents examens comme le certificat d’études et surtout le
baccalauréat. Une recherche sur « La correction des
épreuves écrites dans les examens » sera confiée à Henri
Laugier qui rejoindra le comité en 1932. Il est étonnant de
voir que les membres du comité n’avaient pas mentionné
aux membres des autres délégations que des chercheurs
français travaillaient depuis plusieurs années dans ces
domaines. Des travaux sur la fiabilité de la notation
avaient déjà été entrepris par Laugier et Weinberg
dès 1927. Curieusement, ces chercheurs avaient été écartés du comité lors de sa construction. Les conclusions de
la recherche conduite par Henri Laugier et Dagmar
Weinberg (publiée dans les travaux du comité français
en 1936) démontrent abondamment l’absence de fiabilité
de la correction des épreuves du baccalauréat et ce dans
les dix matières étudiées. Ces résultats auraient pu et dû
conduire à remettre en question les examens tels qu’ils
étaient organisés, mais cela n’a pas été le cas. Bien que ce
travail ait été présenté lors de la dernière réunion de la
commission, sa portée en a été fortement minimisée, en
particulier par le président Desclos qui, lui, en tirait la
conclusion qu’il fallait non pas réformer le baccalauréat
mais davantage améliorer le système de notation existant.
La postérité de cette étude se retrouvera, par contre, dans
les publications d’Henri Piéron sur la docimologie (en
particulier son ouvrage de 1963) et dans différents travaux conduits à l’INOP (devenu ensuite l’INETOP),
comme les grandes enquêtes sur le niveau des élèves.
L’histoire du comité français, est, selon nous, un bon
témoignage de la pérennité de l’absence de débat sur la
fiabilité de la notation et le peu de valorisation des méthodes psychométriques en France. Dans le débat international sur objectivité et authenticité dans l’évaluation, la
préférence française reste toujours fixée sur l’authenticité, quelles que soient les limites identifiées de ce type
d’approche des examens et quels que soient les choix faits
par d’autres pays. De même, les positions du comité français permettent d’expliquer pourquoi la France n’a pas eu
de rôle moteur dans des travaux comme les enquêtes
internationales sur l’évaluation des compétences des
­élèves.
Il est certain que, comme le souligne Martin Lawn, cette
idée de chercheurs américains financés par une société
philanthropique américaine venant apporter leurs méthodes et standards à des pays encore dans les « ténèbres »
peut selon le sociologue van Strien être perçue comme
« l’américanisation des traditions intellectuelles nationales et donc une “colonisation scientifique”, une “domination intellectuelle d’une culture existante par une culture
étrangère plus puissante” ». A contrario, la lecture du livre
Notes critiques 133
de Martin Lawn montre que cette réception a pu pour
certains pays être une opportunité formidable de développer une recherche en éducation (par exemple les fonds
reçus de la commission ont permis au comité écossais de
développer de nombreuses recherches et de constituer
une organisation solide) et à d’autres pays de faire évoluer leurs systèmes d’examen (par exemple les pays scandinaves). On peut ici regretter que l’ouvrage ne présente
pas les positions américaines de manière aussi détaillée
que les positions des différents pays européens. Une telle
présentation aurait permis de mieux identifier les méthodes qu’on souhaitait voir traverser l’Atlantique et de
savoir dans quelle mesure elles étaient également l’objet
de débat dans la société nord-américaine.
Comme il s’agissait de construire des outils permettant
la comparaison de différents systèmes éducatifs nationaux, on peut faire l’hypothèse que les travaux de la commission ont préfiguré les perspectives internationales en
éducation, comme l’écrit Martin Lawn : la fondation de
l’UNESCO peut être considérée comme un effet de
­l’action de la commission. Et ajouterons-nous, au sein de
l’UNESCO, l’Institut international de l’éducation – the
International association for the evaluation of educational
achievement (IEA) – créé à Hambourg en 1952, qui a été
à l’origine des premières enquêtes internationales sur les
compétences des élèves à la fin des années 1950.
L’intérêt de connaître l’histoire est, comme on le dit
souvent, d’éviter de la répéter, c’est pourquoi, selon nous,
il est urgent pour les chercheurs et décideurs des politiques de l’éducation de lire le livre de Martin Lawn. Une
des leçons que l’on peut tirer des positions du comité
français et de leur destin est que l’attachement frileux à
une tradition nationale comme la « culture générale » a
certainement retardé l’évolution du système éducatif
français et nous a isolés du développement de la ­recherche
internationale en éducation.
Pierre Vrignaud
SPSE, université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
Vinatier Isabelle & Altet Marguerite (dir.). Analyser
et comprendre la pratique enseignante. Rennes : PUR,
2008, 192 p.
Les ouvrages qui traitent d’analyses des pratiques et de
l’activité des enseignants sont peu nombreux. Les recherches dans ce domaine se centrent généralement sur le
­discours des enseignants, sur leurs représentations et
rares sont celles qui portent effectivement sur les pro­
cessus d’enseignement apprentissage observés in situ.
134 L’originalité supplémentaire de ce livre collectif dirigé
par Isabelle Vinatier et Marguerite Altet est de regrouper
une série de dix articles, articulés autour de quatre parties
qui étudient une même séance de classe animée par un
professeur des écoles, Pierre L. Les regards portés par les
auteurs proviennent d’horizons différents, et c’est là toute
la richesse de cette publication : l’analyse plurielle développée articule différentes dimensions épistémiques,
didactiques, pédagogiques, psychologiques et sociales.
Toutefois les approches s’inscrivent, comme le précisent
les auteurs principales dans l’introduction, dans un même
paradigme de recherche « interactionniste et écologique », celui partagé par les enseignants-chercheurs appartenant au laboratoire de recherche CREN de Nantes. Les
travaux présentés ici étudient les pratiques d’enseignement et d’apprentissage comme un processus interactif
situé. Cet élément assure aux contributions une cohérence
d’ensemble qu’il n’est pas toujours aisé de mettre en place
dans un ouvrage collectif.
La séquence analysée est menée au cycle des approfondissements (cycle 3, CM1-CM2) de l’école élémentaire. Il
s’agit d’un débat scientifique encadré par un professeur
des écoles expérimenté (maître formateur). Le thème de
la nutrition humaine y est abordé à partir de la question
princeps posée au tout début de séquence : « Comment ce
que nous mangeons peut-il nous donner des forces ? » Il
s’agit là de la deuxième séance d’un module de six qui a
été filmée (puis transcrite) ainsi que l’entretien de coexplicitation (entre le professeur et le chercheur) réalisé
plus tard, ces deux corpus (débat et transcription puis
entretien) servant de matériau de base aux différentes
études menées.
La première partie est composée de quatre chapitres.
Le premier, écrit par Christian Orange, donne des précisions sur la séance analysée. Certaines informations manquent peut-être toutefois : caractéristiques précises de
l’école, de la classe, des élèves, de l’enseignant par exemple. Elles auraient permis au lecteur de mieux situer la
séquence. L’enjeu du deuxième chapitre rédigé par le
même auteur est de comprendre ce qui se joue du point
de vue didactique sous l’angle de l’articulation entre
savoirs et problématisation notamment. Marguerite Altet,
dans le troisième, analyse les interactions maître élèves
observées durant la séquence : quels sont les tensions, les
régulations et les ajustements opérés par l’enseignant tout
au long du débat, engagent-ils de façon identique les élèves de la classe dans la construction de sens, du savoir et
du problème ? Dans le quatrième chapitre, Christiane
Morin reprend les points de tensions observés entre les
processus d’enseignement et d’apprentissage et les analyse à travers les verbalisations du professeur dans le
cadre de l’entretien.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
La deuxième partie est constituée de trois contri­butions.
Celle d’Isabelle Vinatier s’attache à essayer de compren­
dre le sens que donne le maître de son activité. On
apprend là (p. 71) que l’entretien n’a pas été réalisé juste
après la séance de classe comme c’est habituellement le
cas dans ce type de recherche, mais bien plus tard puisque
le professeur des écoles, maître formateur au moment de
la séquence de classe, est devenu conseiller pédagogique
lors de l’entretien. On lira ensuite (p. 153) que le « dialogue a lieu plusieurs mois après la conduite de la séance ».
Cette précision (tardive ?) donnée, tout l’intérêt de ce
cinquième chapitre est justement de nous interroger, dans
la perspective du courant de la didactique professionnelle,
sur la méthodologie de la conduite d’entretien, l’élucidation des savoirs professionnels, la production de savoirs
partagés (entre le chercheur et l’enseignant) à partir du
thème central choisi : le rôle de l’activité gestuelle du maître qui accompagne sa communication verbale. Le sixième
chapitre s’appuie également sur les deux corpus de la
vidéo de la séance et de l’entretien de co-explication.
Antonietta Specogna et Sylvie Caens-Martin y explorent
la conduite du débat par le maître à travers ce qu’on y
voit de la situation et de ce qu’on y entend lors de l’entretien à l’aide d’un ancrage dans deux champs théoriques
distincts : la didactique professionnelle et la logique interlocutoire. Thérèse Pérez-Roux, dans le dernier chapitre
de cette deuxième partie, souhaite compléter les deux
précédents. Les deux corpus sont également utilisés et
l’auteur se centre très spécifiquement sur les interactions
dans la classe et leur impact éventuel sur les ­apprentissages
à plus ou moins long terme.
Deux chapitres supplémentaires composent la troisième partie qui se centre spécifiquement sur l’analyse de
la pratique d’enseignement de Pierre L. lors de l’entretien
de co-explicitation qui a été mené par Isabelle Vinatier.
Magali Hersant, en utilisant les outils de l’anthropologie
didactique développés initialement par Yves Chevallard
en didactique des mathématiques, essaie de repérer l’identification d’enjeux didactiques forts pour le maître. Elle
montre la complexité de la pratique du professeur qui
repose sur un nombre important d’éléments d’ordres
technique, technologique ou théorique et qui par ailleurs
révèle un certain nombre de stabilités et de routines tout
en soulevant un point d’importance (p. 137) : « Au cours
de l’entretien, l’enseignant évoque différentes postures
qui correspondent à différents stades de sa carrière : jeune
instituteur, instituteur plus chevronné, maître formateur,
conseiller pédagogique et aussi enseignant associé à une
recherche INRP […] ; ce passage de la position de maître
formateur associé à une recherche INRP à la position de
conseiller pédagogique peut modifier son point de vue au
cours de l’entretien d’autoconfrontation ». Effectivement,
une des critiques émises sur la technique d’entretien de
co-explication post-séance est le risque pour le professionnel de commenter en fait une nouvelle séance, de
reconstruire de nouveaux enjeux grâce à un nouveau
contexte, offrant ainsi un point de vue inhabituel de sa
propre pratique (Yinger), de rationnaliser en développant
une méta-analyse. Ce risque (peu discuté dans l’ouvrage)
est accru ici par le fait que l’entretien s’est déroulé plusieurs mois après la séquence proprement dite. De plus,
Pierre L. a changé de fonction, ceci pouvant entraîner
un changement de regard et de posture plus important
encore. Le neuvième chapitre, rédigé par Michel
Perraudeau dans une perspective psychologique, tente de
comprendre et d’expliquer comment l’enseignant analyse
son activité d’interaction avec les élèves à travers deux
postures principales, la médiation (Vygotsky) et le tutorat
(Bruner).
La quatrième et dernière partie de l’ouvrage est constitué du dixième et dernier chapitre. Il s’agit d’un article de
synthèse rédigé par Marguerite Altet et Isabelle Vinatier.
Il articule la visée épistémique de la séance observée et
filmée avec les modes d’interaction et de collaboration
entre les chercheurs et le praticien ante-séance (préparation) et post-séance (entretien). Gérard Vergnaud, dans la
conclusion de l’ouvrage, apporte un point de vue analytique et critique des différents articles à travers trois des
fonctions didactiques (pédagogiques ?) dans l’activité du
maître : la dévolution (voir là encore Guy Brousseau), la
transposition et la conduite des activités des élèves. Il note
que l’on ne peut effectivement étudier l’activité d’un
­professionnel sans accéder à son discours, justifiant ici
l’entretien de co-explication entre le chercheur (Isabelle
Vinatier en l’occurrence) et l’enseignant qui vise à mieux
comprendre l’activité déployée par le maître. De fait, la
pratique (ou les pratiques) comporte trois dimensions en
interrelation (Bandura) : les facteurs personnels (saisis
dans l’ouvrage grâce à l’entretien), le comportement
(repéré grâce au film vidéo) et le contexte (décrit notamment dans le premier chapitre par Christian Orange).
L’analyse des pratiques d’enseignement en lien avec les
apprentissages des élèves ne peut faire l’économie de
l’étude de ces trois dimensions qui sont effectivement
étudiées dans le livre. En ce sens, ce dernier contribue à
mieux comprendre et expliquer les pratiques d’enseignement d’une manière générale.
Laurent Talbot
CREFI-T, Université de Toulouse
Notes critiques 135
La revue a reçu…
BARDINTZEFF Jacques-Marie & STRICKLEER ­Benjamin.
Les volcans et leurs éruptions. Paris : Éd. du Pommier, 2010, 64 p.
Cahiers de psychologie et éducation, n° 45.
CAUVIN Sylvie & LEROUVILLOIS Gilles. Le pétrole de
ses origines à son utilisation. Paris : Éd. du Pommier, 2010, 64 p.
CORRIVEAU Lise, LETOR Caroline, PÉRISSET
BAGNOUD Danièle & SAVOIE-ZAJC Lorraine (dir.).
Travailler ensemble dans les établissements scolaires et de formation. Bruxelles : De Boeck, 2010,
198 p.
COUTURE Christine & DIONNE Liliane (dir.). La formation et le développement professionnel des
enseignants en sciences, technologie et mathématiques. Ottawa : presses de l’université ­d’Ottawa,
2010, 370 p.
FABLET Dominique. De la suppléance familiale au
soutien à la parentalité. Paris : L’Harmattan, 2010,
145 p.
GHELIM Nora, INGRES Marie-Élisabeth & MOREAU
Jennifer. Les métiers de l’humanitaire, du développement et de la diplomatie. Paris : Ellipse, 2009,
351 p.
JUTRAS France. L’éducation à la citoyenneté. Enjeux
socioéducatifs et pédagogiques. Québec : presses de l’Université du Québec, 241 p.
LANI-BAYLE Martine & MALLET Marie-Anne (coord.).
Événements et formation de la personne. Écarts
internationaux et intergénérationnels, tome III :
Vers de nouveaux horizons. Paris : L’Harmattan,
2010, 318 p.
LAPOSTOLLE Guy & MABILON-BONFILS Béatrice.
Fiches de sciences de l’éducation. Paris : Ellipse,
2010, 217 p.
LESCURE Emmanuel de & FRÉTIGNÉ Cédric. Les
métiers de la formation. Approches sociologiques.
Rennes : PUR, 2010, 236 p.
LOEFFEL Laurence. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2009, 136 p.
MOUNIER-KUHN Pierre-Éric. L’informatique en France
de la seconde guerre mondiale au Plan Calcul.
L’émergence d’une science. Paris : Presses de
l’université Paris-Sorbonne, 2010, 718 p.
POULLAOUEC Tristan. Le diplôme, arme des faibles.
Les familles ouvrières et l’école. Paris : La Dispute,
2010, 147 p.
Revista ibero-americana de educaçaõ, n° 51.
ROBBES Bruno. L’autorité éducative dans la classe.
Douze situations pour apprendre à l’exercer. Issyles-Moulineaux : ESF, 2010, 265 p.
SAUVÉ Louise & KAUFMAN David (dir.). Jeux et
­simulations éducatifs. Études de cas et leçons
apprises. Québec : presses de l’Université du
Québec, 600 p.
TRÉPANIER Nathalie & PARÉ Mélanie. Des modèles
de service pour favoriser l’intégration scolaire.
Québec : presses de l’Université du Québec,
363 p.
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 137
Summaries
Laurent Cosnefroy – Getting to work and keeping on working: Troubles with
self-regulation
p. 5
Keywords (TESE): homework, learning strategy, autonomy, motivation, secondary
school.
This article tackles the issue of high-school students’ homework based on the
theory of self-regulated learning. For our study, 202 ten-graders have
answered an open question asked to better know the strategies they use to
regulate their effort. Identifying the goals that give sense to the work;
protecting themselves from being distracted; and planning the work to be
done are three key-skills to self-regulation. Comparing low achievers with
good students shows that the latter have developed far more work planning
and organizing skills in their work.
Carine Guérandel & Fabien Beyria – Mixed-sex PE class in a junior high
school in a deprived area: The two genders getting further away and
closer together
p. 17
Keywords (TESE): physical education, disadvantaged background, gender,
teaching practice.
This article analyses the construction process of coeducation in PE class based
on an ethnographic-type survey (observations and interviews) that was
conducted in a junior high school in a deprived area (ZEP) situated in the
middle of council-flat buildings. The results show that the two genders
separately appropriate space and sounds as well as sport equipment and
practices. Generally the teachers’ teaching practices tend to confirm the
distance and hierarchy between boys and girls. Nevertheless the study
presents some ways to pass on information that would moderate the hierarchy
within the group, as well as the differentiated involvements of girls and
boys.
Samuel Julhe & Stéphanie Mirouse – Join the dance: Differences of “relevance
systems” between children, parents and teachers
p. 31
Keywords (TESE): sociology of education, adult-child relation, leisure education,
physical education.
The picture of “the young ballerina” or the young “opera ballet student” is
widely mentioned in the works focusing on dancers. Yet little focus specifically
on the first years of learning dance. This article reports a long-term
ethnographic work done on two groups of young beginner dancers aged 4
to 11. It aims more precisely to use Alfred Schütz’s conceptualizations to get
to the meaning that children, parents and teachers give to dancing. The
notion of “relevance systems” and its correlatives allow to better grasp the
tension and negotiation fields that derive from their different ways of
conceiving it.
Revue Française de Pédagogie | n°  170 | janvier-février-mars  2010
Céline Piquée – Teaching practices on low achievers in classes getting
contrasting results
p. 43
Keywords (TESE): teacher, teaching practice, learning difficulty, primary
education.
When analyzing school inequalities, numerous works denounce the
perverse effects of aids given to low achievers: Stigmatization
processes, impoverished contents, less numerous learning opportunities,
etc. And yet in some classes low-achieving students progress a lot more
than in other classes. To understand the differences in those classes,
we have looked into the teaching practices on those students. This
article reports analyses based on the link between a quantitative
approach – allowing to measure the efficiency of a sample of onehundred first-grade classes (first year of compulsory schooling) – and a
qualitative approach allowing the characterization of teaching
practices, on a subsample of eight classes with contrasting results. The
findings confirm previous works’ findings and highlight the lowachievers’ essential integration into the group of students, thanks to a
conception of teaching that tightly links socialization and learning.
Alexis Spire – The effects in politics of the changes in the teaching
profession
p. 61
Keywords (TESE): sociology of education, career advancement, teacher
status, teacher salary, political party.
Based on a statistical survey conducted in primary and secondary
schools, this article analyses the relationship that today’s teachers have
with their jobs and politics. Focusing on the gender as well as social
and educational background differences, the author shows that a
generation gap exits and it is so for this entire social group. On the
one hand the teachers who started at the end of the 1970’s are less
pleased with their income, more critical towards the actual level of
their students and more left-wing oriented. On the other hand those
who started teaching in the 1990’s and later are more satisfied with
their status, not nostalgic for the students of yesteryear and have less
definite political orientation than their older colleagues.
Pierre Merle – Structure and dynamics of social segregation in the
junior high schools of Paris
Keywords (TESE): social exclusion, school distribution, equal opportunity,
public education, private education.
This article studies the changes in social segregation in the Parisian
private and state junior high schools from 2005 to 2008. It is based
on a secondary analysis of IPES (Indicators for running comprehensive
schools) data base. The three following conclusions can be drawn from
this analysis: A minority of junior-high schools, which have no problem
recruiting or are very popular, highly contribute to the overall
segregation. The interschool social segregation was stable between
2005 and 2006 but increased in the beginning of the 2007 and 2008
school years as school boundaries were being more flexible. The
private schools – which have no boundaries – have higher social
segregation and contribute a lot more to increasing this social
segregation in state schools. Those findings show the increasing
influence of the norm of mingling with your own kind at school and at
the same time a decline of the principles and practices of social mixing
in the junior-high schools of Paris.
140 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
p. 73
Marie-Pierre Chopin – The uses of “time” in teaching research
programmes
Keywords (TESE): taught time, learning pace, taught time effectiveness,
arrangement of school time, teaching practice.
There are numerous and disparate praxeological, even prescriptive
perspectives that are drawn from the question of time at school: Longer
or shorter school-days; rationalizing the teachers’ work-time;
individualizing the students’ learning periods, etc. The time issue is a
tenacious leitmotif and regularly comes back in debates over schools.
Each time it raises intense hope of change. Inventorying the works on
this subject has revealed its repetition/reconstructing element. It is also
a necessary step to clarify the basis and limits for initiatives aiming at
setting time as a key-element to the betterment of the teaching system.
p. 87
Summaries 141
Resúmenes
Laurent Cosnefroy – Ponerse a trabajar y permanecer en ello: los tormentos
de la autorregulación
p. 5
Palabras clave (TESE): deberes, estrategia de aprendizaje, autonomía,
motivación, centro de educación secundaria.
Este artículo estudia el trabajo en casa de los alumnos de instituto refiriéndose a
la teoría del aprendizaje autorregulado. Durante nuestro estudio, 202 alumnos
de cuarto de ESO respondieron a una pregunta abierta con el fin de conocer
mejor las estrategias utilizadas para regular el esfuerzo. Identificar metas
que dan un sentido al trabajo, protegerse de la distracción y planificar el
trabajo que se debe hacer constituyen tres competencias clave para
autorregularse. La comparación entre alumnos en dificultad y buenos alumnos
pone de manifiesto que los segundos desarrollaron muchas más competencias
de planificación y de organización del trabajo.
Carine Guérandel & Fabien Beyria – La mixidad en las clases de educación
física en un colegio en ZEP (zona de educación prioritaria): entre distancia
y acercamiento de los sexos
p. 17
Palabras clave (TESE): educación física, contexto desfavorecido, sexo, práctica
docente.
Este artículo analiza los procesos de construcción de la mixidad en las clases de
Educación física a partir de una encuesta de tipo etnográfico (observaciones
y entrevistas), realizada en un colegio ubicado en Zona de educación
prioritaria (ZEP), en el corazón de un barrio de viviendas sociales. Los
resultados muestran una apropiación sexuada por los alumnos del espacio
físico y sonoro, de las prácticas y del material. Generalmente, las prácticas
pedagógicas de los profesores tienden a reforzar la distancia y la jerarquía
entre los chicos y las chicas: se adaptan las consignas, las actividades y las
expectativas al sexo del alumno. Sin embargo el estudio presenta algunos
modos de transmisión que llevan a matizar las jerarquías en la clase, así
como el empeño diferenciado de chicas y chicos.
Samuel Julhe & Stéphanie Mirouse – Entrar en el baile: divergencia de los
“sistemas de pertinencia” entre niños, padres y profesores
p. 31
Palabras clave (TESE): sociología de la educación, relación niño-adulto,
educación para el ocio, educación física.
La imagen de la “joven bailarina” o del “pequeño ‘rat’ de la ópera” se evoca
de manera amplia en el conjunto de trabajos que se refieren a los bailarines.
Sin embargo pocos se interesaron por los primeros años de aprendizaje del
baile. Este artículo presenta específicamente un trabajo etnográfico que duró
años observando a dos grupos de jóvenes bailarinas principiantes, de 4
a 11 años de edad. El artículo recurre más particularmente a las
conceptualizaciones de Alfred Schütz para estudiar el sentido que niños,
padres y profesores dan a la práctica del baile. En particular, la noción de
“sistema de pertinencia” y sus correlatos permiten aprehender mejor los
espacios de tensión y de negociación que pueden nacer de las diferencias
de concepción entre dichos actores.
Revue Française de Pédagogie | n°  170 | janvier-février-mars  2010
Céline Piquée – Prácticas docentes respecto a los alumnos en dificultad
en las clases con eficacia contrastada
Palabras clave (TESE): profesor, práctica docente, dificultades de
aprendizaje, educación primaria.
En el análisis de las desigualdades escolares, numerosos trabajos
denuncian los efectos perversos de la ayuda a los alumnos en
dificultad: proceso de estigmatización, contenidos pobres,
oportunidades de aprendizaje menos numerosas, etc. Sin embargo,
en algunas clases, los alumnos en dificultad progresan mucho más
que en otras. Para entender lo que diferencia dichas clases, estudiamos
las prácticas docentes respecto a esos alumnos. Este artículo presenta
análisis fundados en la articulación de un enfoque cuantitativo,
permitiendo una medida de la eficacia respecto a una muestra de
cien clases de primer año de educación primaria (primer año de
enseñanza obligatoria) y de un enfoque cualitativo que permite la
caracterización de las prácticas docentes, con una sub-muestra de
ocho clases con eficacia contrastada. Los resultados confirman los
trabajos anteriores y ponen de manifiesto la integración esencial de
los alumnos en dificultad en el grupo clase, gracias a una concepción
de la enseñanza que asocia estrechamente socialización y
aprendizaje.
Alexis Spire – Los efectos políticos de las transformaciones del cuerpo
docente
Palabras clave (TESE): sociología de la educación, desarrollo profesional,
estatus del profesor, salario del profesor, partido politico.
A partir de una encuesta estadística realizada en la enseñanza primaria
y secundaria, este artículo analiza la relación que los docentes de hoy
establecen con su oficio y con la política. Al interesarse por las
diferencias de género, de origen social y de trayectoria, el autor
muestra la existencia de un clivaje generacional que atraviesa todo
este grupo social. Por una parte, los docentes reclutados a finales de
los años 1970 son los que están menos satisfechos de su sueldo, los
más críticos respecto al nivel actual de los alumnos y los que se
posicionan más a la izquierda. Por otra parte, los que tuvieron un
puesto a partir de los años 1990 se muestran más satisfechos con su
estatuto, no echan de menos a los alumnos de antaño y se inclinan
menos que sus mayores por la elección de un campo político.
Pierre Merle – Estructura y dinámica de la segregación social en los
colegios parisinos
Palabras clave (TESE): exclusión social, mapa escolar, igualdad de
oportunidades, educación pública, educación privada.
Este artículo estudia la evolución de la segregación social en los colegios
parisinos públicos y privados de 2005 a 2008, a partir de un estudio
secundario de la base IPES (Indicadores para el pilotaje de los
establecimientos secundarios). El análisis confirma los tres resultados
siguientes: una minoría de colegios, con un reclutamiento en las clases
muy acomodadas o en las clases muy populares, participa de forma
fuerte en la segregación global. Estable entre 2005 y 2006, la
segregación social inter-colegios está en crecimiento durante las
vueltas al colegio ulteriores (2007 y 2008), paralelamente a la
aplicación de la flexibilidad de la carta escolar. El sector privado, que
no se somete a la carta escolar, se caracteriza por una segregación
social más fuerte y participa de manera más amplia que el sector
p. 43
p. 61
p. 73
Resúmenes 143
público en el aumento de dicha segregación. Estos resultados revelan
la influencia creciente de una norma del entre-si escolar y, de forma
concomitante, un retroceso de los principios y prácticas de mixidad
social en los colegios parisinos.
Marie-Pierre Chopin – Las usanzas del “tiempo” en las investigaciones
sobre la enseñanza
Palabras clave (TESE): horario lectivo, ritmo de aprendizaje, eficacia del
horario lectivo, organización del horario escolar, práctica docente.
Las perspectivas praxeológicas, incluso prescriptivas, que se esbozan a
partir de la cuestión temporal en el campo escolar son numerosas y
heteróclitas: tiempo de enseñanza que se alarga o se acorta,
racionalización del tiempo laboral de los docentes, individualización
de los tiempos de aprendizaje de los alumnos, etc. Leitmotiv tenaz, la
temática del tiempo surge de manera regular en los discursos sobre
la escuela y suscita cada vez intensas esperanzas de cambio. El
inventario de los trabajos realizados a su propósito hace aparecer ese
fenómeno de repetición/recomposición. Asimismo constituye una
etapa imprescindible para la clarificación de los fundamentos y de los
límites de la empresa que trata de instituir el tiempo como una variable
clave del mejoramiento del sistema de enseñanza.
144 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
p. 87
Zusammenfassungen
Laurent Cosnefroy – Sich an die Arbeit machen und dabei bleiben: die
Qualen der Selbstregulierung
p. 5
Schlüsselwort (TESE): Hausaufgabe, Lernstrategie, Autonomie, Motivation,
Sekundarschule.
Dieser Artikel befasst sich mit der Hausarbeit der Gymnasiasten und bezieht sich
dabei auf die Theorie des sebstregulierten Lernens. Bei unserer Studie haben
202 Gymnasiasten eine offene Frage beantwortet, damit wir die Strategien
besser kennen, die sie benutzen, um ihre Anstrengungen zu regulieren. Die
Ziele erkennen, die der Arbeit einen Sinn geben, sich vor Zerstreuungen
schützen, und die zu bewältigende Arbeit planen sind drei Schlüssel­
kompetenzen, um sich selbst zu regulieren. Ein Vergleich zwischen Schülern
mit Schwierigkeiten und guten Schülern zeigt, dass Letztere die Fähigkeiten
zur Planung und Organisierung viel weiter entwickelt haben.
Carine Guérandel & Fabien Beyria – Koedukation im Sportunterricht in einer
ZEP: zwischen Abstand und Annäherung der Geschlechter
p. 17
Schlüsselwort (TESE): Leibeserziehung, herkunftsbedingte Schlechterstellung,
Geschlecht, Unterrichtspraxis.
Dieser Artikel analysiert den Prozess des Aufbaus der Koedukation im
Sportunterricht durch eine ethnographisch-ähnliche Untersuchung (Beobachtung
und Gespräche). Diese Untersuchung wurde in einer Zone d’Education
Prioritaire (schulpolitischen Förderzone) mitten in einem Sozialbau-Viertel
geführt. Die Ergebnisse zeigen eine geschlechtlich-orientierte Aneignung des
physischen Raums, der Geräuschkulisse, der Praktiken und des Materials
durch die Schüler. Im Allgemeinen tendieren die pädagogischen Lehrpraktiken
dazu, den Abstand und die Hierarchie zwischen Jungen und Mädchen zu
bestärken: Aufgaben, Aktivitäten und Erwartungen sind dem Geschlecht der
Schüler angepasst. Dennoch zeigt die Untersuchung einige Vermittlungsmodi,
die die Klassenhierarchie sowie das unterschiedliche Engagement zwischen
Jungen und Mädchen nuancieren.
Samuel Julhe & Stéphanie Mirouse – Mit Tanzen anfangen: Diskrepanz
zwischen „Relevanzsystemen“ bei Kindern, Eltern und Lehrern
p. 31
Schlüsselwort (TESE): Bildungssoziologie, Erwachsener-Kind-Beziehung, Freizeit­
pädagogik, Leibeserziehung.
Das Bild der „jungen Balletttänzerin“ oder des „petit rat de l’opéra“ ist in
sämtlichen Arbeiten über Tänzer sehr verbreitet. Dennoch haben sich wenige
Arbeiten spezifisch für die ersten Tanzlehrjahre interessiert. Dieser Artikel
berichtet über eine langjährige ethnographische Arbeit bei zweier Gruppen
junger Anfängerinnen (4- bis 11-jährige Tänzerinnen). Der Artikel nimmt sich
vor, insbesondere die Auffassungen des Alfred Schütz in Betracht zu ziehen,
um die Bedeutung zu erfassen, die Kinder, Eltern und Lehrer dem Tanzen
beimessen. Der Begriff des „Relevanzsystems“ und seine Korrelate erlauben
uns, die Anspannungen und Verhandlungen besser zu erfassen, die sich aus
den Auffassungsunterschieden zwischen diesen drei Gruppen ergeben
können.
Revue Française de Pédagogie | n°  170 | janvier-février-mars  2010
Céline Piquée – Lehrpraktiken gegenüber Schüler mit Schwierigkeiten in
Klassen mit unterschiedlicher Effizienz
Schlüsselwort (TESE): Lehrer, Unterrichtspraxis, Lernschwierigkeit,
Primarbildung.
Bei der Analyse der schulischen Ungleichheiten prangern mehrere
Arbeiten die unerwünschten Wirkungen von der Hilfe für Schüler mit
Schwierigkeiten an: Stigmatisierung, Reduzierung des Lernstoffs,
seltenere Lerngelegenheiten usw. Wie dem auch sei, in gewissen
Klassen machen Schüler mit Schwierigkeiten mehr Fortschritte als in
anderen. Um zu verstehen, wodurch sich diese Klassen auszeichnen,
haben wir die Lehrpraktiken gegenüber den Schülern näher betrachtet.
Der Artikel berichtet über Analysen, die auf dem Zusammenspiel
zwischen einer quantitativen Vorgehensweise beruhen, die die
Effizienz einer Probegruppe von hundert 1er Klassen messen will, und
einer qualitativen Vorgehensweise bei einer kleineren Probegruppe
von 8 Klassen mit unterschiedlicher Effizienz. Die Ergebnisse bestätigen
vorherige Arbeiten und heben die unentbehrliche Integration der
Schüler mit Schwierigkeiten in die Klasse hervor, dank einer
Lehrauffassung, die Sozialisierung und Lernen eng miteinander
verbindet.
Alexis Spire – Politische Auswirkungen des Wandels des Lehrkörpers
Schlüsselwort (TESE): Bildungssoziologie, beruflicher Aufstieg,
Lehrerstatus, Lehrergehalt, politische Partei.
Aus einer statistischen Untersuchung heraus, die im Primar- und
Sekundarbereich geführt wurde, analysiert dieser Artikel das Verhältnis,
das Lehrer heutzutage zum eigenen Beruf und zur Politik haben. Durch
die Geschlechtsunterschiede, die Unterschiede in der sozialen Herkunft
und in der beruflichen Laufbahn beweist der Autor die Existenz einer
Generationenspaltung, die sich durch diese gesamte soziale Gruppe
einreißt. Einerseits sind die Lehrer, die am Ende der 70er Jahre
eingestellt wurden, am wenigsten mit ihrem Lohn zufrieden, am
kritischsten gegenüber dem aktuellen Niveau der Schüler und am
häufigsten linksorientiert. Andererseits geben sich die Lehrer, die ab
den 90er Jahren angefangen haben, mit ihrem Status eher zufrieden,
haben keinerlei Nostalgie nach dem ehemaligen Musterschüler und
neigen weniger dazu als ihre älteren Kollegen, Partei für ein politisches
Lager zu ergreifen.
Pierre Merle – Struktur und Dynamik der sozialen Segregation an
Pariser Mittelschulen (Collèges)
Schlüsselwort (TESE): soziale Ausgrenzung, Schuldichte, Chancengleichheit,
öffentliches Bildungswesen, privates Bildungswesen.
Dieser Artikel analysiert die Entwicklung der sozialen Segregation an den
öffentlichen und privaten Pariser Mittelschulen (Collèges) von 2005
bis 2008 auf Grund einer Sekundärauswertung der IPES Datenbank
(Indikatoren zur Leitung der Lehranstalten im Sekundarbereich). Die
Analyse führt zu folgenden Ergebnissen: eine Minderheit von Collèges
die entweder sehr wohlhabende Schüler oder Schüler aus sehr
bescheidenen Verhältnissen rekrutieren, beteiligt sich sehr stark an der
globalen Segregation. Zwischen 2005 und 2006 ist die soziale
Segregation zwischen Collèges stabil aber sie wächst bei den nächsten
Schulanfängen (2007 und 2008) parallel zur Lockerung der Carte
146
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
p. 43
p. 61
p. 73
Scolaire*. Die privaten Schulen, die der Carte Scolaire nicht
unterliegen, werden durch eine stärkere soziale Segregation
charakterisiert und beteiligen sich mehr an dieser Segregation als die
öffentlichen Schulen. Diese Ergebnisse zeigen den wachsenden Einfluss
einer Norm der Nicht-Vermischung in der Schule und gleichzeitig ein
Verschwinden der Prinzipien und Praktiken der sozialen Vermischung
an Pariser Collèges.
Marie-Pierre Chopin – Der Gebrauch der „Zeit“ in Forschungen übers
Unterrichtswesen
Schlüsselwort (TESE): Unterrichtszeit, Lerntempo, Wirksamkeit der
Unterrichtszeit, Regelung der Schulzeit, Unterrichtspraxis.
Die praxeologischen, ja sogar vorschriftsmäßigen Perspektiven, die man
aus der Zeitfrage im schulischen Rahmen herleiten kann, sind zahlreich
und vielförmig: Verlängerung oder Verkürzung der Lehrzeit,
Rationalisierung der Arbeitszeit der Lehrer, Individualisierung der
Lernzeit der Schüler, usw. Die Thematik der Zeit ist ein hartnäckiges
Leitmotiv, taucht oft in Reden über die Schule auf und schürt dabei
jedes Mal erneut große Hoffnungen auf Veränderung. Ein Überblick
über diesbezügliche Forschungsarbeiten lässt dieses Phänomen der
Wiederholung/Neugestaltung erscheinen. Es stellt ebenso eine
unentbehrliche Etappe in der Klärung der Grundlagen und Grenzen
des Unternehmens dar, das dazu tendiert, die Zeit als eine
Schlüsselvariable in der Verbesserung des Schulsystems einzurichten.
p. 87
*Die Carte dient der Verteilung von Schülern und Lehrern in einem gewissen
geographischen Bereich. Seit der Einführung des Collège unique 1990, alle
Schüler sind zusammen bis einschließlich der neunten Klasse, sorgt die Carte
Scolaire theoretisch zusätzlich für eine soziale Vermischung der Schüler.
Zusammenfassungen 147
La Revue française de pédagogie présente ses plus vifs remerciements à tous les collègues, membres du
comité de rédaction ou du comité scientifique, ou extérieurs à la revue, qui ont accepté de collaborer aux
travaux d’expertise qui leur ont été soumis pendant l’année 2009.
Virginie Albe, Chantal Amade-Escot, René Amigues, Anne Barrère, Stéphane Beaud, Ania Beaumatin,
­ aymond Bourdoncle, Pascal Bressoux, Gilles Brougère, Olivier Broussouloux, Marc Bru, Sylvie Cadolle,
R
Cécile Carra, Saint-Cyr Chardon, Jean-Émile Charlier, Anne-Marie Chartier, Élisabeth Chatel, Pierre
Clément, Laurent Cosnefroy, Marcel Crahay, Jacques Crinon, Céline Darnon, Jacques David, Bertrand
Daunay, Jean-Marie De Ketele, Jean-Manuel De Queiroz, Jérôme Deauvieau, Isabelle Delcambre, Philippe
Dessus, Christine Détrez, Xavier Dumay, Vincent Dupriez, Marie Duru-Bellat, Yves Dutercq, Jean Écalle,
Valérie Erlich, Dominique Épiphane, Georges Felouzis, Agnès Florin, Cédric Fluckiger, Daniel Gaonac’h,
Jacqueline Gautherin, Yves Girault, Hélène Gispert, Florence Giust-Desprairies, Dominique Glasman, Gaële
Goastellec, Zohra Guerraoui, Denis Hauw, Viviane Isambert-Jamati, Yveline Jaboin, Jean-Pierre Jaffré, Prisca
Kergoat, Lucile Lafont, Marceline Laparra, Joël Lebeaume, Claudine Leleux, Yvon Léziart, Catherine Louveau,
Danièle Manesse, Éric Mangez, Annie Mansy, Claire Margolinas, Jean-Louis Martinand, Patrick Mayen, Alain
Mercier, Michèle Métoudi, Benjamin Moignard, Christian Nidegger, Élisabeth Nonnon, Marco Oberti, Tania
Ogay, Dominique Ottavi, Pierre Périer, Christiane Perregaux, Marie-Jeanne Perrin-Glorian, Henri Peyronie,
Éric Plaisance, Marie-Paule Poggi-Combaz, Patrick Rayou, Maryse Rebière, Martine Rémond, Bernard Rey,
Luc Ria, Thierry Rocher, Marc Romainville, José Rose, Claire Safont-Mottay, Emmanuel Sander, Bruno
Suchaut, Maurice Tardif, Valérie Tartas, Catherine Tauveron, Thierry Terret, Daniel Thin, Nicole TutiauxGuillon, Aliette Vérillon, Cécile Vigneron, Isabelle Vinatier, Jacques Wallet, Annick Weil-Barais.
Table des articles, notes de synthèse et notes critiques paru(e)s
dans la Revue française de pédagogie en 2009 (nos 166, 167, 168 & 169)
ARTICLES
Albero Brigitte
& Thibault Françoise
La recherche française en sciences
humaines et sociales sur les technologies
en éducation
169
p. 53-66
Bézu Pascale
Construction des premières compétences
orthographiques : proposition d’un schéma
explicatif
168
p. 5-17
Bonnéry Stéphane
Scénarisation des dispositifs pédagogiques
et inégalités d’apprentissage
167
p. 13-23
Brisset Christine,
Berzin Christine,
Villers Alain
& Volck Annie
Améliorer la réussite des élèves en difficulté
par les aides spécialisées
167
p. 73-83
Chardon Saint-Cyr
Soutien en lecture en troisième année de
cycle 2 : évaluation de deux dispositifs
contrastés
168
p. 19-37
Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 149-153
François Jean-Christophe
& Poupeau Franck
Le sens du placement scolaire : la dimension
spatiale des inégalités sociales
169
p. 77-97
Garnier Pascale
Préscolarisation ou scolarisation ?
L’évolution institutionnelle et curriculaire
de l’école maternelle
169
p. 5-15
Gasparini Rachel,
Joly-Rissoan Odile
& Dalud-Vincent Monique
Variations sociales des représentations
de l’autonomie dans le travail scolaire
chez les collégiens et lycéens
168
p. 93-109
Giuliani Frédérique
Éduquer les parents ? Les pratiques
de soutien à la parentalité auprès
des familles socialement disqualifiées
168
p. 83-92
Guibert Pascal
& Michaut Christophe
Les facteurs individuels et contextuels
de la fraude aux examens universitaires
169
p. 43-52
Hugrée Cédric
Les classes populaires et l’université :
la licence… et après ?
167
p. 47-58
Joigneaux Christophe
La construction de l’inégalité scolaire
dès l’école maternelle
169
p. 17-28
Kamunzinzi Masengesho,
De Ketele Jean-Marie
& Bonami Michel
Les visées de l’action de planification
en éducation
167
p. 85-100
Larré Françoise
La mise en incitation des enseignants :
solution théorique ou réponse pragmatique ?
166
p. 27-43
Leleux Claudine
La discussion à visée philosophique pour
développer le jugement moral et citoyen ?
166
p. 71-87
Lemaître Denis
Le curriculum des grandes écoles en
France : un modèle d’analyse inspiré
de Basil Bernstein
166
p. 17-26
Misset Séverine
Proximité professionnelle et distance
scolaire : les jeunes ouvriers qualifiés
et leurs trajectoires
167
p. 59-71
Monnier Nathalie
& Amade-Escot Chantal
L’activité didactique empêchée : outil
d’intelligibilité de la pratique enseignante
en milieu difficile
168
p. 59-73
Moussay Sylvie,
Étienne Richard
& Méard Jacques
Le tutorat en formation initiale
des enseignants : orientations récentes
et perspectives méthodologiques
166
p. 59-69
Orange Sophie
Un « petit supérieur » : pratiques d’orientation
en sections de technicien supérieur
167
p. 37-45
Poullaouec Tristan
& Lemêtre Claire
Retours sur la seconde explosion scolaire
167
p. 5-11
150 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Power Sally
Le New Labour et la troisième voie :
une évolution de la politique de l’éducation
pour une évolution de la classe moyenne
166
p. 5-16
Renard Fanny
Des lectures lycéennes inopportunes
en contexte scolaire
167
p. 25-36
Roques Pierre,
Strayer Floyd Francis,
Jeunier Benoît
& Talbot Laurent
Gestion de l’espace interpersonnel
chez les enfants de petite section
de maternelle
169
p. 29-42
Sensevy Gérard
Étude d’un enseignement de la lecture
au CP : esquisse d’articulation de divers
types d’analyse
168
p. 39-58
Venturini Patrice
& Cappiello Pascale
Comparaison des rapports aux savoirs
de la physique et des SVT
166
p. 45-58
Veyrunes Philippe
& Saury Jacques
Stabilité et auto-organisation de l’activité
collective en classe : exemple d’un cours
dialogué à l’école primaire
169
p. 67-76
Vincent Guy
Les types sociologiques d’éducation
selon Max Weber
168
p. 75-82
NOTES DE SYNTHÈSE
Dumay Xavier
Efficacité des modes locaux de coordination
et de gestion des établissements
167
p. 101-128
Mons Nathalie
Effets théoriques et réels des politiques
d’évaluation standardisée
169
p. 99-140
Saussez Frédéric
& Lessard Claude
Entre orthodoxie et pluralisme, les enjeux
de l’éducation basée sur la preuve
168
p. 111-136
Wanlin Philippe
La pensée des enseignants lors
de la planification de leur enseignement
166
p. 89-128
NOTES CRITIQUES
Abécassis Frédéric,
Boyer Gilles,
Falaize Benoit,
Meynier Gilbert,
Zancarini-Fournel Michelle
/ Bonafoux Corinne,
De Cock-Pierrepont
Laurence, Falaize Benoit /
Bossy Jean-François
La France et l’Algérie : leçon d’histoire.
De l’école en situation coloniale
à l’enseignement du fait colonial /
Mémoires et histoire à l’École
de la République. Quels enjeux ? /
Enseigner la Shoah à l’âge démocratique.
Quels enjeux ?
(C. Heimberg)
168
p. 139-140
Tables 151
Astolfi Jean-Pierre
La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir
d’apprendre
(A.-M. DrouinHans)
167
p. 129-130
Bantigny Ludivine
Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en
France de l’aube des « Trente Glorieuses »
à la guerre d’Algérie
(A. Prost)
166
p. 129-130
Blandin Bernard
Les environnements d’apprentissage
(É. Sanchez)
168
p. 137-138
Breviglieri Marc
& Cicchelli Vincenzo (dir.)
Adolescences méditerranéennes. L’espace
public à petits pas
(B. Fondeville)
166
p. 130-131
Bulle Nathalie
L’école et son double. Essai sur l’évolution
pédagogique en France
(D. Ottavi)
169
p. 141-143
Butlen Denis
Le calcul mental entre sens et technique
(É. Roditi)
166
p. 131-133
Calenge Bertrand
Bibliothèques et politiques documentaires
à l’heure d’Internet
(C. Étévé)
169
p. 143-144
Carlier Michèle
& Ayoun Catherine
Déficiences intellectuelles et intégration
sociale
(D. Mellier)
168
p. 138-139
Chabrol Claude
& Radu Miruna
Psychologie de la communication
et persuasion
(P. Vrignaud)
166
p. 133-136
Demeuse Marc,
Frandji Daniel,
Greger David
& Rochex Jean-Yves
Les politiques d’éducation prioritaires
en Europe. Conceptions, mises en œuvre,
débats
(R. Gasparini)
167
p. 130-131
Derouet Jean-Louis
& Normand Romuald
L’Europe de l’éducation : entre management
et politique
(X. Pons)
167
p. 131-133
Draelants Hugues
Réforme pédagogique et légitimation.
Le cas d’une politique de lutte
contre le redoublement
(J.-J. Paul)
169
p. 145-146
Ernst Sophie
Quand les mémoires déstabilisent l’école.
Mémoire de la Shoah et enseignement
(B. Rey)
168
p. 140-143
Foray Philippe
La laïcité scolaire. Autonomie individuelle
et apprentissage du monde commun
(L. Loeffel)
169
p. 146-147
Forquin Jean-Claude
Sociologie du curriculum
(É. Mangez)
168
p. 143-145
Frandji Daniel
& Vitale Philippe
Actualité de Basil Bernstein.
Savoir, pédagogie et société
(J.-C. Forquin)
167
p. 134-139
Garnier Bruno /
Les Compagnons
Les combattants de l’école unique /
L’Université nouvelle [édition critique
par Bruno Garnier]
(P. Kahn)
168
p. 145-147
Gonnin-Bolo Annette
Parcours professionnels. Des métiers
pour autrui entre contraintes et plaisir
(F. Lantheaume)
168
p. 147-149
152 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010
Guibert Pascal,
Lazuech Gilles
& Rimbert Franck
Enseignants débutants. « Faire ses classes ».
L’insertion professionnelle des professeurs
du second degré
(A. Barrère)
169
p. 147-149
Lahire Bernard
La raison scolaire. École et pratiques
d’écriture, entre savoir et pouvoir
(E. Rockwell)
166
p. 136-138
Lantheaume Françoise
& Hélou Christophe
La souffrance des enseignants. Une sociologie
pragmatique du travail enseignant
(P. Guibert)
169
p. 149-150
Lenoir Yves
& Pastré Pierre
Didactique professionnelle et didactiques
disciplinaires en débat
(É. Nonnon)
169
p. 150-153
Lessard Claude
& Meirieu Philippe (dir.)
L’obligation de résultats en éducation.
Évolutions, perspectives et enjeux
internationaux
(R. Normand)
166
p. 138-141
Maillard Fabienne (dir.)
Des diplômes aux certifications
professionnelles
(T. Poullaouec)
167
p. 139-141
Mangez Éric
Réformer les contenus d’enseignement.
Une sociologie du curriculum
(P. Vitale)
169
p. 153-156
Merri Maryvonne
Activité humaine et conceptualisation.
Questions à Gérard Vergnaud
(M.-J. PerrinGlorian)
168
p. 149-154
Mohammed Marwan
& Mucchielli Laurent
Les bandes de jeunes. Des « blousons
noirs » à nos jours
(V. Bordes)
169
p. 156-158
Perrenoud Philippe,
Altet Marguerite,
Lessard Claude
& Paquay Léopold (dir.)
Conflits de savoirs en formation
des enseignants. Entre savoirs issus
de la recherche et savoirs issus de
l’expérience
(L. Talbot)
166
p. 141-143
Roger Jean-Luc
Refaire son métier. Essai clinique
de l’activité
(F. Lantheaume)
167
p. 141-142
Savidan Patrick
Repenser l’égalité des chances
(J.-C. Forquin)
167
p. 142-146
Schärer Michèle
Friedrich Fröbel et l’éducation préscolaire
en Suisse romande : 1860-1925
(L. Chalmel)
167
p. 146-148
Testu François
Rythmes de vie et rythmes scolaires : aspects
chronobiologiques et chronopsychologiques
(C. Leconte)
166
p. 143-144
Devenir adulte. Sociologie comparée
de la jeunesse en Europe
(V. Becquet)
169
p. 158-160
Les manuels scolaires, miroirs de la nation ?
(B. Dancel)
166
p. 144-146
Van
de
Velde Cécile
Verdelhan-Bourgade
Michèle, Bakhouche
Béatrice, Boutan Pierre
& Étienne Richard (coord.)
Tables 153
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de référence : ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, direction de la comptabilité
publique, instruction n° 90-122-B1-M0-M9 du 7 novembre 1990, relative au paiement à la commande
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