Toute culture véritable est prospective. Elle n’est point la stérile évocation des choses mortes, mais la découverte d’un élan créateur qui se transmet à travers les générations et qui, à la fois réchauffe et éclaire. C’est ce feu, d’abord, que l’Éducation doit entretenir. Gaston Berger « L’Homme moderne et son éducation » I N S T I T U T N A T I O N A L D E R E C H E R C H E P É D A G O G I Q U E Vous pouvez adresser vos réactions, propositions, interventions diverses aux rédacteurs en chef par courriel aux adresses suivantes : [email protected] [email protected] Cet espace de dialogue permet d’informer la rédaction des attentes et des vœux du lectorat de la Revue française de pédagogie. Une note aux auteurs, comportant les orientations éditoriales, les consignes bibliographiques et typographiques ainsi que les conditions de soumission est disponible au format PDF sur Internet à l’adresse suivante : <www.inrp.fr/editions/revues/revue-francaise-de-pedagogie/consignes-aux-auteurs> ou par courriel sur simple demande à l’adresse suivante : [email protected] Les articles de la Revue française de pédagogie sont désormais indexés à l’aide du Thésaurus européen des systèmes éducatifs (TESE). La Revue française de pédagogie est référencée dans la base de données FRANCIS produite par l’Institut de l’information scientifique et technique (INIST-CNRS). © INRP, 2010 — Tous droits réservés ISBN : 978-2-7342-1186-0 Institut national de recherche pédagogique Service des publications 19, allée de Fontenay — BP 17424 — F-69347 Lyon CEDEX 07 Tél. +33 (0) 4 72 76 61 58 — Fax +33 (0) 4 72 76 61 68 Rédaction de la revue : Tél. +33 (0) 4 72 76 61 59 — [email protected] Page Internet de la revue : <www.inrp.fr/editions/rfp> Sommaire Varia Laurent Cosnefroy – Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation p. 5 Carine Guérandel & Fabien Beyria – La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP : entre distance et rapprochement des sexes p. 17 Samuel Julhe & Stéphanie Mirouse – Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants p. 31 Céline Piquée – Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée p. 43 Alexis Spire – Les effets politiques des transformations du corps enseignant p. 61 Pierre Merle – Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens p. 73 NOTE DE SYNTHÈSE Marie-Pierre Chopin – Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement p. 87 NOTES CRITIQUES Robin Alexander – Essays on pedagogy (Maroussia Raveaud) p. 111 François Audigier & Nicole Tutiaux-Guillon – Compétences et contenus. Les curriculums en questions (Joël Lebeaume) p. 114 Jesús Bermejo Berros – Génération télévision. La relation controversée de l’enfant avec la télévision / Mon enfant et la télévision (Geneviève Jacquinot-Delaunay) p. 116 Jean Bréhon & Olivier Chovaux – Études sur l’EPS du Second Vingtième Siècle (1945-2005) (Yvon Léziart) p. 118 Michel Brossard & Jacques Fijalkow – Vygotski et les recherches en éducation et en didactiques (Vincent Charbonnier) p. 120 Max Butlen – Les politiques de lecture et leurs acteurs, 1980-2000 (Emmanuel Fraisse) p. 123 André Chervel – L’orthographe en crise à l’école. Et si l’histoire montrait le chemin ? (Danièle Cogis) p. 125 Xavier Dumay & Vincent Dupriez – L’efficacité dans l’enseignement. Promesses et zones d’ombre (Romuald Normand) p. 126 Vincent Dupriez, Jean-François Orianne & Marie Verhoeven – De l’école au marché du travail, l’égalité des chances en question (Josiane Vero) p. 129 Jacques Lautrey, Sylvianne Rémi-Giraud, Emmanuel Sander Tiberghien – Les connaissances naïves (Claude Bastien) p. 131 & Andrée Martin Lawn – An Atlantic crossing? The work of the International examination inquiry, its researchers, methods and influence (Pierre Vrignaud) p. 132 Isabelle Vinatier & Marguerite Altet – Analyser et comprendre la pratique enseignante (Laurent Talbot) p. 134 Revue Française de Pédagogie | n° 170 | janvier-février-mars 2010 Sommaire LA REVUE A REÇU p. 137 SUMMARIES p. 139 RESÚMENES p. 142 ZUSAMMENFASSUNGEN p. 145 TABLE DES ARTICLES, NOTES DE SYNTHÈSE ET NOTES CRITIQUES PARUS EN 2009 p. 149 Revue Française de Pédagogie | n° 170 | janvier-février-mars 2010 Varia Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation Laurent Cosnefroy Cet article aborde le travail à la maison des lycéens en se référant à la théorie de l’apprentissage autorégulé. Lors de notre étude, 202 élèves de seconde ont répondu à une question ouverte destinée à mieux connaître les stratégies utilisées pour réguler leur effort. Identifier des buts qui donnent sens au travail, se protéger de la distraction et planifier le travail à faire constituent trois compétences-clés pour s’autoréguler. La comparaison entre élèves en difficulté et bons élèves montre que ces derniers ont beaucoup plus développé de compétences de planification et d’organisation du travail. Descripteurs (TESE) : devoirs, stratégie d’apprentissage, autonomie, motivation, école secondaire. L e travail scolaire se présente sous la forme d’une alternance régulière entre le travail en classe et le travail à la maison. Si le second s’inscrit dans la continuité du premier, ces deux lieux de l’étude n’en constituent pas moins deux univers distincts. Le ­travail à la maison impose des tâches spécifiques (apprendre une leçon, réviser un contrôle), de même qu’il requiert un mode de fonctionnement à bien des égards différent de celui qui est mobilisé en classe. La liberté de s’organiser comme on l’entend et de définir soi-même la quantité de travail à effectuer s’oppose au rythme contraint de la classe et à la tutelle exercée par le professeur (Barrère, 1997). Ce dernier soutient l’élève dans son travail en l’aidant à maintenir l’effort, à focaliser son attention sur les informations importantes et à mettre en œuvre des conduites d’auto-évaluation. À la maison, le professeur n’est plus là pour porter assistance, empêcher la dispersion et prodiguer des encouragements. Il revient à l’élève de prendre en charge l’ensemble de ces processus et de trouver en lui-même des ­ressources pour se mettre au travail et y rester. Ces caractéristiques font du travail à la maison une forme particulière d’apprentissage autorégulé, c’està-dire un ensemble de « processus par lesquels les sujets activent et maintiennent des cognitions, des affects et des conduites systématiquement orientés vers l’atteinte d’un but » (Schunk, 1994, p. 75). L’appren­tissage autorégulé se traduit par un fonctionnement autonome, le sujet trouvant en lui-même des ressources pour entrer dans le travail, résister aux Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 5-15 distractions et adapter son fonctionnement en fonction des situations, en particulier lorsque des diffi­ cultés surviennent. Zimmerman et Martinez-Pons (1986) ont établi une typologie de stratégies d’auto­ régulation à partir d’entretiens avec des élèves âgés de 14 à 16 ans, à qui il était demandé d’expliciter leurs méthodes de travail dans différents contextes d’appren­tissage. La plupart des quatorze stratégies répertoriées concerne le traitement de l’information, qu’il s’agisse de stratégies cognitives (revoir les cours, organiser l’information, mémoriser), méta­cognitives (s’auto-évaluer, planifier) ou de recherche d’infor­ mations complémentaires (s’aider de ressources documentaires, demander de l’aide à autrui). Cer­ taines de ces stratégies différencient les bons élèves des élèves en difficulté : les premiers recourent plus largement à la recherche d’aide (questions aux professeurs, échanges avec d’autres élèves), font davantage de liens avec les cours antérieurs ainsi que des résumés de ce qui est appris, et anticipent sur les questions possibles (Cleary, 2006 ; Zimmerman & Martinez-Pons, 1990). Disposer d’un répertoire de stratégies efficaces pour apprendre n’est toutefois qu’une des conditions requises pour s’autoréguler. En effet, le maintien de l’attention et de l’effort est constamment menacé par des activités concurrentes plus attractives ou par les difficultés rencontrées au cours du travail. Une autre face de l’autorégulation consiste donc à protéger ­l’intention d’apprendre en régulant la motivation, l’émotion et l’attention. On désigne par volition l’ensemble des processus de contrôle de l’action qui permettent de maintenir l’effort et la concentration face aux obstacles (Corno, 2001). L’apprentissage autorégulé requiert la mise en œuvre conjointe de stratégies cognitives et métacognitives d’une part et volitionnelles d’autre part. Contrairement aux pre­ mières, les secondes ont pour fonction de garantir un cadre propice pour permettre la poursuite du traitement de l’information, mais elles n’interviennent pas directement sur ce dernier. C’est au début des années 1980 que deux psychologues allemands, Julius Kuhl et Heinz Heckhausen, ont relancé l’intérêt pour le concept de volition en partant du constat que les sujets ne font pas toujours ce qu’ils ont l’intention de faire. Avoir un but, se donner une intention, en d’autres termes être motivé ne garantit pas l’efficacité de l’action. Des processus volitionnels doivent prendre le relais des processus motivationnels pour soutenir activement l’effort et la mise en œuvre effective de l’intention formée. Les stratégies volitionnelles demeurent moins bien connues et, contrairement aux stratégies cognitives et métacognitives, la comparai6 son des modes de régulation de l’effort en fonction du niveau de réussite scolaire n’a pas fait l’objet de recherches spécifiques jusqu’à présent. C’est à tenter d’éclairer ces processus qu’est consacrée la recherche présentée dans cet article. Elle poursuit un triple objectif : présenter une typo­ logie des stratégies volitionnelles à partir d’une synthèse des travaux existants, la tester auprès d’élèves afin de vérifier si la taxonomie construite permet de rendre compte de façon satisfaisante des moyens mis en œuvre pour réguler l’effort, enfin identifier les ­différences entre les bons élèves et les élèves en difficulté concernant l’usage de ces stratégies. Compte tenu de l’importance du travail à la maison, on peut penser que les performances des bons élèves tiennent en partie à leur capacité à produire à la maison un travail plus efficace les préparant mieux aux contrôles en classe, ce qui devrait se manifester dans un usage différencié des stratégies volitionnelles par rapport aux élèves en difficulté. Cette recherche s’inscrit dans le prolongement des travaux français, peu nombreux, qui souhaitent contribuer à une meilleure connaissance du travail au quotidien des élèves et des difficultés qu’ils rencontrent. Sa spécificité réside dans le choix du cadre théorique qui se réfère principalement à la psychologie sociale cognitive plutôt qu’à la sociologie (Barrère, 1997 ; Glasman & Besson, 2004 ; Rayou & Ripoche, 2008) ou à la didactique (Félix, 2002). Une typologie des stratégies volitionnelles Les recherches sur les stratégies volitionnelles dans les contextes d’apprentissage sont peu nombreuses et ne fournissent pas une vue d’ensemble satisfaisante de ces processus. D’une typologie à l’autre, des processus identiques peuvent être dénommés différemment ou des désaccords apparaître dans la façon de classer certaines stratégies. Corno (2001), s’appuyant sur les travaux pionniers de Kuhl (1987) en matière de volition, a établi une typologie structurée autour de l’opposition entre régulation des processus internes et régulation des processus externes. Les premiers concernent l’attention, la motivation et l’émotion, les seconds le contrôle de l’environnement. Réguler la motivation consiste à renforcer soit la valeur de l’activité en cours, soit le sentiment d’efficacité personnelle (par des auto-encouragements notamment). Le contrôle de l’environnement a pour Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 objet d’intervenir sur le contexte de l’apprentissage, par exemple en modifiant le moment choisi ou les caractéristiques du lieu de travail (éteindre la radio, changer de pièce, ranger son bureau). Le contrôle peut aussi s’exercer en direction des personnes qui participent de l’environnement immédiat de la tâche. L’objectif est alors d’induire un changement dans la conduite d’autrui, en l’amenant par exemple à apporter une aide. À partir de la typologie établie par Corno, Mc Cann (Mc Cann & Garcia, 1999) a construit un questionnaire destiné à mieux connaître les stratégies de régulation de la motivation et de l’émotion. Il ­comporte un ensemble de stratégies reposant sur un mécanisme d’activation d’un but d’évitement. La mise au travail s’effectue pour éviter les conséquences négatives d’un échec, que ce soit décevoir un proche ou compromettre le passage dans l’année supérieure. Les stratégies de régulation de l’émotion occupent un rôle déterminant dans le modèle de l’adaptable learning de Boekaerts (1996 ; Boekaerts & Niemivirta, 2000). Pour cette auteure, l’expérience répétée d’émotions négatives est incompatible avec la poursuite d’un apprentissage efficace car celles-ci ont une influence défavorable sur les processus de traitement de l’information. Ainsi l’anxiété perturbe-t-elle le traitement de l’information par des pensées intrusives parasitant le choix des stratégies cognitives. ­Boekaerts insiste également sur la recherche d’aide, considérée par Zimmerman et Martinez-Pons (1986) comme une stratégie cognitive permettant d’obtenir des informations sur la tâche à accomplir. Le soutien d’autrui apaise également la tension créée par la confrontation solitaire à la difficulté. En ce sens, il s’agit aussi d’une forme spécifique de régulation de l’émotion passant par l’interaction sociale. Cette stratégie est classée dans le contrôle de l’environnement par Corno (2001) et Pintrich (1999). Wolters (1998, 1999, 2003) a inventorié minutieusement les procédures qu’utilisent des lycéens et des étudiants pour soutenir leur motivation lorsqu’ils sont confrontés à des tâches difficiles ou peu intéressantes. La stratégie la plus utilisée consiste à se tenir un discours intérieur qui renforce les buts de performance (obtenir de bonnes notes, faire mieux que certains élèves). Parmi les autres stratégies utilisées, trouver des raisons extrinsèques pour finir le travail, par exemple en se donnant des récompenses, contrôler l’environnement afin de réduire les sources de distraction, modifier quelque peu la tâche pour qu’elle devienne plus intéressante. La taxonomie la plus aboutie est probablement celle de Pintrich (1999) puisqu’elle ébauche déjà une synthèse entre les travaux de l’auteur et ceux de Mc Cann et Garcia (1999) et de Wolters (1998, 1999). Par rapport aux typologies de Corno et de Wolters, Pintrich introduit une nouvelle catégorie : le contrôle de l’utilisation du temps grâce à une planification judicieuse. Par ailleurs il réorganise les stratégies de régulation de la motivation et de l’émotion à partir de concepts bien établis dans la recherche sur la motivation. C’est ainsi qu’il distingue les stratégies renforçant les buts de performance, de maîtrise, l’intérêt, la valeur de la tâche, la motivation extrinsèque (se récompenser), le sentiment d’efficacité personnelle. Enfin dans les quatorze stratégies identifiées par ­Zimmerman figurent également deux stratégies volitionnelles : le contrôle de l’environnement et l’autorécompense (Zimmerman & Martinez-Pons, 1986). Le tableau 1 s’efforce de rendre compte de façon synthétique de l’apport de ces différents travaux. Son organisation s’inspire des structures proposées par Pintrich (1999) et Corno (2001). Le contrôle des états internes porte sur la motivation et l’émotion. Les représentations concernant les buts et le sentiment de compétence constituent les deux piliers qui soutiennent la motivation (Eccles & Wigfield, 2002). La plupart des stratégies agissant directement sur les états internes vise à renforcer ces représentations. Les trois dernières stratégies (11 à 13) agissent indirectement sur l’effort en intervenant sur le contexte d’apprentissage : organisation de l’espace de travail, choix du moment optimal pour travailler, recherche du soutien d’autrui. Les stratégies de régulation de l’effort s’ordonnent ainsi en deux groupes complémentaires : des stratégies de contrôle de soi (processus internes d’autorégulation), destinées à renforcer les croyances motivationnelles et à contrôler l’expérience émotionnelle, et des stratégies de contrôle du contexte d’apprentissage (processus externes d’autorégulation) caractérisées par l’anticipation et la mise en place d’actions destinées à créer et à maintenir un contexte favorable à ­l’apprentissage. Méthode utilisée Population et procédure Afin d’identifier les stratégies utilisées pour réguler l’effort, 202 élèves de seconde (76 garçons et 126 filles), suivant tous l’option sciences économiques et sociales, ont été interrogés. Ils sont issus de quatre lycées : un lycée de centre-ville prestigieux (n = 23), un lycée classé en ZEP (n = 63) et deux Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 7 Tableau 1. – Taxonomie des stratégies de régulation de l’effort I Processus internes d’autorégulation ou contrôle de soi Fonction Stratégie Trouver des raisons pour poursuivre le travail Soutenir le sentiment d’efficacité personnelle Contrôler les émotions Mécanisme par lequel l’effort est soutenu 1 Se récompenser Se promettre une récompense (par exemple jouer à la console) si le travail est achevé 2 R echerche de la performance Désir de progresser ou de faire mieux que les autres 3 Évitement de l’échec Conséquences négatives associées à l’abandon du ­t ravail 4 R enforcer l’instrumentalité perçue Importance pour réaliser un projet personnel ou professionnel 5 Renforcer l’intérêt Augmenter l’intérêt de la tâche en la rendant plus ­ludique ou plus complexe 6 P enser aux réactions des proches Effet de la réussite ou de l’échec chez les personnes proches : plaisir, fierté, peine 7 Fractionner la tâche Diviser une tâche difficile en sous-tâches qui, prises séparément, apparaissent plus maniables 8 S’encourager Se tenir un discours positif : « Tu peux le faire, vas-y ! » 9 Évoquer des réussites Activer des souvenirs de succès qui permettent de réduire l’impact de la situation présente 10 Réduction de la tension Évacuer la tension par différents procédés : se relaxer, marcher, manger II Processus externes d’autorégulation ou contrôle du contexte d’apprentissage Favoriser la concentration 11 S tructuration de l’environnement Aménager le lieu de travail pour empêcher l’irruption de distractions (s’isoler, couper la radio) Rechercher de l’aide 12 Soutien social La collaboration avec autrui aide à contenir la tentation d’arrêter ou de ne pas travailler Gérer le temps 13 Planification Choisir le moment favorable et allouer des ressources de temps lycées de zone rurale (n = 116). Les données ont été recueillies en classe par l’auteur, après avoir obtenu le consentement écrit des parents, au cours du second trimestre de l’année 2004-2005. Les élèves devaient répondre à une question ouverte ainsi ­libellée : « En plus des heures de cours au lycée, vous avez régulièrement du travail à la maison : leçons à apprendre, devoirs ou exercices à faire, contrôles à réviser. Comment faites-vous, quand vous êtes chez vous, pour vous mettre au travail, rester concentré et résister aux distractions ? Quelles difficultés rencontrez8 vous ? Avez-vous des stratégies, des “trucs”, pour vous aider à vous motiver ? Écrivez, en donnant le plus de détails possible, tout ce qui vous semble important par rapport à cela. » Les élèves ont été répartis en trois niveaux de réussite après analyse des bulletins scolaires des deux premiers trimestres. Sept disciplines ont été prises en compte : le français, l’anglais, la seconde langue vivante, l’histoire et la géographie, les mathématiques, les sciences physiques et chimiques et les sciences Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 de la vie et de la terre. Le niveau 1 (que nous appellerons N1, comprenant 35 élèves, soit 17,3 % de l’échantillon) caractérise les élèves en grande réussite, dont la moyenne est supérieure ou égale à 13 à chacun des trimestres. Le niveau 3 (appelé N3, 64 élèves, 31,7 % de l’échantillon) correspond à des élèves en difficulté, dont la moyenne est inférieure à 10 aux deux trimestres. Le niveau 2 (appelé N2, 103 élèves, 51,0 % de l’échantillon) représente un groupe d’élèves de niveau intermédiaire n’entrant dans aucun des deux précédents groupes. Les tests du khi 2 effectués montrent qu’il n’y a pas d’association entre niveau scolaire, genre et lycée fréquenté. Analyse des données Les données ont été analysées à l’aide du logiciel Alceste, qui permet une analyse exploratoire de l’ensemble des données (Reinert, 1986). Cette procédure est un garde-fou contre un tri prématuré des données qu’engendrerait une analyse thématique du contenu. De surcroît la constitution des catégories n’est pas entravée par la subjectivité du chercheur. Alceste découpe l’ensemble du texte représenté par les 202 réponses en segments de texte appelés unités de contexte élémentaires (UCE dans la suite du texte). L’objectif est d’obtenir une catégorisation des UCE en fonction de la distribution de leur vocabulaire (1). Ainsi le texte d’un élève va-t-il être fractionné en plusieurs UCE entrant dans différentes classes. C’est donc à une partition des énoncés, et non des individus, qu’aboutit le logiciel. Toutes les UCE ne sont pas classables dans les catégories constituées. Pour être satisfaisante, une analyse doit classer entre 70 et 80 % du discours analysé. L’interprétation de la signification des classes se construit à l’aide de trois outils. Pour chaque classe de discours constituée, Alceste calcule un khi 2 d’association des mots et des classes grammaticales à cette classe, ce qui permet de caractériser cette dernière à partir des profils des présences et des absences significatives. Alceste produit également une liste des UCE constituant chacune des classes ordonnées en fonction de leur représentativité. Enfin, pour chaque classe de discours, Alceste fournit une classification ascendante hiérarchique qui permet de visualiser les associations les plus fréquentes entre les mots d’une classe. En outre, ce logiciel permet de croiser une variable par rapport à l’ensemble du corpus et de voir quel est le vocabulaire spécifique associé à chacune des modalités de la variable (sexe, niveau scolaire). Résultats : Partition réalisée par Alceste L’analyse du corpus produit 5 classes de discours rendant compte de 84 % des UCE. Pour chaque classe, nous donnons les présences significatives classées par ordre décroissant du khi 2, les présences ou absences significatives de la variable niveau de réussite scolaire lorsqu’elles apparaissent et quelques exemples d’UCE représentatives de la classe (voir les tableaux 2 et 3). La référence constante dans la classe 1 à la motivation sous des formes lexicales variées (motive, motiver, motivation, pour me motiver, pour m’aider à me motiver) indique que cette catégorie consiste pour l’essentiel en une description des stratégies utilisées pour soutenir la motivation. La présence significative des syntagmes « je pense » et « je me dis » souligne que cette régulation s’exerce par un contrôle des pensées. Il s’agit d’activer un discours où sont réaffirmées les raisons de s’investir dans le travail. Les présences significatives ainsi que les agrégats de mots identifiés par la classification hiérarchique ascendante font apparaître quatre des stratégies de la taxonomie : faire plaisir aux parents, activer des buts à long terme centrés sur l’avenir, avoir des bonnes notes, éviter de redoubler. Ces stratégies sont activées pour lutter contre la difficulté (« difficultés » est associé à « rencontre » : « Je rencontre des diffi­ cultés »). Le discours de la classe 2 différencie les disciplines en fonction de l’intérêt ou des difficultés qu’elles suscitent. Certaines UCE font état de stratégies d’aide (cf. exemple du tableau 3). La classification ascendante hiérarchique sur les formes caractéristiques met en évidence l’opposition entre « comprendre » d’une part, agrégé à des mots comme « arriver », « maths », « physique », « anglais » et « espagnol » (comme dans : « des matières qu’on n’arrive pas à comprendre : maths, physique, langues ») et « intéressant » d’autre part, agrégé à un autre ensemble de formes linguistiques : « matières », « français », « histoire » (comme dans : « des matières intéressantes, le français et l’histoire »). Les bons élèves sont naturellement peu représentés dans cette classe centrée sur les difficultés rencontrées. Dans le processus de constitution des classes de discours, les classes 1 et 2 sont issues d’un même sous-ensemble qui n’est différencié qu’à la dernière itération du programme. Cela confirme l’association entre la confrontation à la difficulté et l’utilisation de stratégies de renforcement de la motivation. Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 9 Tableau 2. – Profil des classes de discours Vocabulaire significatif de la classe de discours Classe 1 (30,7 % des UCE classées) Classe 2 (11,5 %) Classe 3 (27,5 %) Motiver Vouloir Avenir Motivation Métier Je pense Je me dis Parent Réussir Bonnes notes Redoubler Difficultés Matière Maths Anglais Histoire Espagnol Français Comprendre Intéresser/intéressant Exercices J’ai des difficultés Rester concentré Musique Bruit Chambre Résister aux distractions Écouter Arrêter Télévision Calme Seul Classe 4 (8,9 %) Leçon Apprendre Contrôles Relire/lire Cours Réviser Commencer Demander Aide Présence significative Absence significative Classe 5 (21,5 %) Heure Semaine Minutes Soir Week-end Tôt Pendant Fatigue Journée Distraire Avancer Souvent N1 : 28,2 % N1 : 3,0 % N3 : 15,5 % Lecture : 28,2 % des UCE classées produites par le groupe N1 appartiennent à la classe 5. Tableau 3. – Exemple d’UCE significatives pour chacune des classes Classe 1 Pour me motiver je regarde mon dernier bulletin de notes et je me dis qu’il faut que je m’améliore, que je réussisse le prochain contrôle pour pouvoir passer dans la classe supérieure Classe 2 J’ai des difficultés en maths cette année car je n’arrive pas à comprendre la méthode de mon prof, en anglais j’ai un peu de mal mais dans ma famille j’ai une prof d’anglais donc elle m’aide pour ce que je comprends pas Classe 3 Pour me mettre au travail, j’éteins la télé et travaille sur mon lit. Pour résister aux distractions, je ferme la porte de ma chambre à clé pour que personne ne me dérange Classe 4 Pour apprendre une leçon je lis plusieurs fois la première phrase, puis la deuxième, etc. Arrivée au milieu de la leçon, je récite tout puis je continue avec la fin Classe 5 Les jours en semaine quand je rentre, je fais une pause de quinze minutes puis je fais mes devoirs. Les week-ends je fais les devoirs le plus souvent le vendredi soir et les finis le samedi matin, et après je peux profiter du week-end La classe 3, caractérisée grammaticalement par la fréquence des verbes, décrit les moyens employés pour se protéger des distractions et rester concentré. Le geste de base consiste à aller s’isoler dans sa chambre, mot significativement associé au groupe N3. La musique est omniprésente dans les textes, mais son action sur la mise au travail s’effectue de deux façons opposées. Dans la classification hiérarchique ascendante, « se mettre au travail » 10 v­ oisine avec « éteindre », « écouter » et « musique », indiquant que deux stratégies opposées sont à ­l’œuvre concernant la musique : travailler en silence ou ­mettre de la musique, celle-ci fonctionnant alors comme une barrière contre les autres distractions. De plus, « fond » (musical) voisine avec « détendre », indiquant que la musique a également une autre ­fonction d’apaisement émotionnel : « Je mets de la musique et à ce moment-là je suis dans une bonne Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Tableau 4. – Modes de régulation de la motivation Élèves en grande réussite (niveau N1) Élèves intermédiaires (niveau N2) Élèves en difficulté (niveau N3) Total des UCE Activation de buts à long terme 6 (14,6 %) 21 (51,2 %) 14 (34,2 %) 41 Rechercher la performance (bonnes notes) 3 (20,0 %) 8 (53,3 %) 4 (26,7 %) 15 Éviter l’échec (ne pas redoubler) 4 (30,8 %) 6 (46,1 %) 3 (23,1 %) 13 Auto-récompense 5 (41,7 %) 5 (41,7 %) 2 (16,6 %) 12 Réaction des proches 2 (18,2 %) 6 (54,5 %) 3 (27,3 %) 11 Renforcement du sentiment de compétence 1 (20,0 %) 2 (40,0 %) 2 (40,0 %) 5 Autres 3 (25,0 %) 8 (66,7 %) 1 (8,3 %) 12 24 (22,0 %) 56 (51,4 %) 29 (26,6 %) 109 Stratégie utilisée Total des UCE ambiance pour faire mes devoirs tout en restant seul dans ma chambre ». Les sources de distraction ne sont pas les mêmes pour les garçons et les filles : les mots « télé » et « Internet » sont associés aux filles, « console » et « jouer » aux garçons (tris croisés sur la variable sexe). La classe 4, caractérisée grammaticalement par une présence significative de verbes, est constituée d’UCE décrivant les méthodes utilisées pour apprendre les leçons et réviser les contrôles. C’est un discours plus décontextualisé que celui de la classe 2 axé sur les disciplines. On y retrouve également la recherche d’aide repérable par la forme caractéristique « demander ». L’univers de la classe 5 est celui de la structuration du temps. Les marqueurs de temps (« quand », « pendant », « après »), les jours de la semaine, les nombres (qui servent à caractériser des durées) ainsi que les marqueurs de fréquence (« en général », « souvent ») s’y rencontrent de façon significativement plus importante que dans les autres classes, témoignant d’une régularité de l’action. Les discours décrivent l’emploi du temps le soir en rentrant à la maison et tout au long de la semaine. L’analyse du vocabulaire spécifique et des UCE les plus significatives de la catégorie indique en fait une double thématique : se détendre pour lutter contre la fatigue due à la journée de travail, répartir au mieux la masse de travail à effectuer afin d’éviter d’être débordé (« s’avancer ») et de préserver des temps de loisirs (« week-end », « distraire »). Les UCE de cette classe sont significati vement plus présentes chez les élèves de bon niveau. Elles concernent surtout la seconde thématique puisque le croisement de la variable niveau scolaire avec le corpus indique que « week-end », « avancer », « travail » et « finir » sont significativement associés au groupe N1. Le mot « fatigue » n’est associé à aucune modalité de la variable niveau scolaire. On retrouve dans les classes 3 à 5 les stratégies de structuration de l’environnement, de recherche d’aide et de planification. Les formes caractéristiques et la classification ascendante hiérarchique de la classe 1 ont permis d’identifier quelques stratégies de régulation de la motivation, mais il est probable que d’autres stratégies de régulation s’expriment dans ces UCE sans qu’elles soient repérables par des mots-clés spécifiques. Afin de mieux les identifier, nous avons soumis l’ensemble des 169 UCE de cette classe à une analyse de contenu thématique (voir le tableau 4). Elles ont été produites par 113 élèves (26 en grande réussite, de niveau N1, 57 de niveau intermédiaire N2, et 30 en difficulté, de niveau N3). Douze UCE n’étant pas en rapport avec quelque stratégie que ce soit ont été éliminées. Une partie des UCE signale l’absence d’autorégulation soit parce qu’elle n’est pas nécessaire, la motivation de départ étant suffisante (14 UCE dont 10 provenant du groupe N1), soit parce qu’aucune stratégie ne semble efficace (25 UCE dont 12 provenant du groupe N3). D’autre part, la régu­ lation peut être déclenchée de l’extérieur par les parents qui contrôlent la mise au travail et la durée de l’effort (10 UCE), ou sans contrôle volontaire par le Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 11 sentiment de culpabilité qui s’empare des élèves s’ils ne font pas le travail demandé (5 UCE). Au total ­l’analyse porte sur 109 UCE (2). Le recours à des projets à long terme pour soutenir la motivation est la stratégie la plus fréquente. Elle s’exprime par des projets précis (13 UCE sur 41, dont 7 dans le groupe N3) ou une référence vague à un avenir non médiatisé par des buts spécifiques (28 UCE). Elle est d’autant plus employée que l’élève rencontre des difficultés : 48 % des UCE appar­ tiennent à cette catégorie chez les élèves en difficulté contre 25 % pour les élèves en grande réussite. À l’inverse, l’auto-récompense définit un but à très court terme. Elle revient souvent à différer une activité désirée et à la rendre contingente au travail réalisé, par exemple : « Pour me motiver je me donne un truc que je veux faire pour respirer un peu, comme la télé, la musique, les sorties… Et je me dis une fois que ce sera fait, tu pourras le faire ». Contrairement à la précédente, cette stratégie semble plus accessible aux élèves en grande réussite (3). Penser aux réactions des proches se traduit par exemple par : « Le truc qui me motive est ma mamie car je sais qu’elle a confiance en moi, en plus c’est une mamie géniale donc je fais tout mon possible pour pouvoir satisfaire ses désirs » et le renforcement du sentiment de compé­tence par des auto-encouragements tels que : « Je me dis que si je suis en seconde, c’est que je peux ». La catégorie « autres » enfin est composée en grande partie d’UCE renvoyant au contrôle de la ­distraction. Discussion Afin de mieux connaître les stratégies volitionnelles de régulation de l’effort, il a été demandé à des élèves de seconde de décrire les difficultés rencontrées pour se mettre au travail, rester concentré et résister aux distractions. Le découpage opéré par le logiciel Alceste révèle que, quel que soit leur niveau de réussite, c’est d’abord en contrôlant l’environnement que les élèves se régulent (classe 3, soit 27,5 % des UCE classées). Les stratégies de contrôle de l’environnement ne se limitent pas à maintenir la concentration en empêchant l’irruption de distractions, elles ont aussi pour fonction de créer un climat émotionnel propice pour faciliter la mise au travail. Ainsi mettre de la musique sert à la fois à protéger d’autres distractions plus dangereuses et à installer un climat de détente. Ceci pourrait expliquer l’absence dans 12 le tableau 4 des stratégies de régulation de l’émo­ tion, pour le moins surprenante puisque les activités d’appren­tissage s’accompagnent en général d’une variété d’expériences émotionnelles (Pekrun, 2006). La régulation de l’émotion s’effectuerait indirectement par l’intermédiaire de stratégies assurant plusieurs fonctions, le contrôle de l’environnement et l’aide d’autrui notamment. Une autre explication à prendre en compte est de considérer que cette absence relève plus d’un artefact, le discours sur les émotions étant peu accessible dans une tâche qui focalise l’attention sur les méthodes de travail. Les stratégies de régulation de la motivation (classe 1, soit 30,7 % des UCE classées) sont plutôt activées dans les situations de difficulté que dans les situations de distraction. L’analyse thématique complé­mentaire pratiquée sur cette classe aboutit à une configuration similaire à celle obtenue par ­Wolters (1998) : les élèves essaient de renforcer la valeur attribuée à la tâche, peu d’entre eux ont recours au soutien du sentiment d’efficacité personnelle. Il est vraisemblable que deux des stratégies utilisables sont d’un accès difficile parce qu’elles nécessitent des prérequis. L’activation de souvenirs se heurte au fait que « les connaissances de soi de réussite », sans être absentes, sont moins bien organisées en mémoire à long terme, et donc moins accessibles, chez les élèves en difficulté qui ne disposent pas d’un schéma « de soi de réussite scolaire » (Martinot, 2004). La stratégie du fractionnement du travail nécessite une anticipation, elle est donc subordonnée à des compé­tences de planification. En ce qui concerne la régulation de la valeur du travail en cours, on observe que le renforcement de l’intérêt, stratégie destinée à lutter contre l’ennui, n’est jamais mentionné contrairement à ce que l’on observe avec des élèves américains du même âge (Wolters, 1999). On peut supposer que les élèves recourent avant tout à des stratégies de protection contre la distraction pour lutter contre l’ennui. Un autre objectif de cette recherche était de ­ omparer l’usage des stratégies volitionnelles chez c les bons élèves et les élèves en difficulté. La seule différence significative se manifeste sur la classe 5 relative à la structuration du temps. Cette catégorie conjugue deux thématiques, la gestion de la fatigue et la planification du temps de travail, dont la dernière seulement explique la part plus importante accordée à cette catégorie dans le discours des élèves de bon niveau. Tous les élèves en effet, quel que soit leur niveau, ont à gérer la fatigue due à la double journée de travail (Barrère, 1997). En revanche, le vocabulaire Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 spécifique associé aux élèves de bon niveau montre que les stratégies de planification sont significativement plus présentes dans le discours de ces derniers, qui semblent manifester en ce domaine une compétence spécifique également soulignée par Félix (2002). Ces stratégies se manifestent par des emplois du temps qui permettent à la fois une organisation interne des activités de travail et une répartition du temps entre les activités de travail et de loisirs. ­L’organisation temporelle des tâches à accomplir implique de définir des objectifs (« Que faire ? »), des priorités entre ces objectifs (« Dans quel ordre ? ») et d’allouer des ressources de temps pour leur réalisation (Richard, 1990). Elle traduit une préoccupation qui est le reflet d’un engagement de l’élève dans les études. En ce sens il n’est pas surprenant que les stratégies de planification soient un signe distinctif des élèves de bon niveau. L’engagement initial des élèves est une condition nécessaire mais sans doute non suffisante. Son impact est médiatisé par des stratégies spécifiques qui font l’objet d’un apprentissage, par exemple les intentions d’exécution qui consistent à imaginer concrètement des opportunités d’agir. La création d’un lien mental entre une action spécifique (commencer tel travail) et une situation spécifique (une heure de la journée, une configuration d’événements) facilite le passage à l’action, lorsque la situation anticipée mentalement est rencontrée (Gollwitzer, 1999). Les stratégies de planification permettent une organisation efficace du temps de travail, à l’instar d’autres mécanismes tels que la longueur des phases de travail. Wagner, Scholer et Spiel (2008) ont montré avec des élèves de 3e qu’il existait des doses de travail optimales : à quantité de travail égale, les élèves travaillant par cycles d’une demiheure à une heure ont de meilleurs résultats que ceux travaillant par cycles d’une heure et plus. Pour le reste, l’absence de différences significatives selon le niveau scolaire tend à montrer que tous les élèves tentent de s’autoréguler, mais que chez les élèves en difficulté l’autorégulation demeure inefficace. Il ne suffit pas de neutraliser les distractions pour soutenir l’effort. Le cadre propice ainsi créé restera inopérant sans l’adjonction de mobiles (buts) et de moyens (méthodes de travail), ce qui suggère deux hypothèses complémentaires pour expliquer l’inefficacité de l’autorégulation. Il est possible que certains élèves en difficulté développent une conception réductrice de l’effort misant essentiellement sur la création d’un environnement favorable pour susciter durablement l’envie de travailler. Privilégiant la lutte contre la distraction, peu de stratégies sont mises en œuvre pour lutter contre la difficulté ou, quand elles le sont, demeurent inefficaces. L’analyse des modes de régulation de la motivation (voir le tableau 4) suggère quelques arguments en ce sens. Évoquer des projets professionnels est certes plus précis qu’évoquer l’avenir, mais dans les deux cas cette stratégie, plus fréquente chez les élèves en difficulté, repose sur l’activation d’un but à long terme peu efficace s’il n’est pas relayé, au sein d’une hiérarchie de buts, par un but à court terme précis. La force motivationnelle d’un but dépend en effet de sa proximité et de sa spécificité. Les buts proches, tels que l’auto-­récompense, procurent des feedback plus immédiats qui permettent de juger des progrès accomplis et qui soutiennent le sentiment d’efficacité personnelle (Zimmerman, 2008). L’évocation d’un avenir lointain non rattaché précisément à la situation présente ne peut soutenir efficacement l’effort. L’horizon temporel des buts activés pour réguler la motivation pourrait être une autre caractéristique distinguant les élèves selon leur niveau scolaire, que des recherches ultérieures devront examiner. Une seconde hypothèse est de penser que c’est sur le registre des méthodes de travail que se différencient les élèves. Lorsqu’un élève se tient un ­discours mettant en relief toutes les bonnes raisons d’effectuer le travail demandé, il protège grâce à cette stratégie un temps consacré au travail. Il s’agit là ­toutefois d’une mobilisation purement quantitative qui laisse dans l’ombre la façon dont le travail est abordé, or Zimmerman et Martinez-Pons (1990) et Cleary (2006) ont mis en évidence des différences significatives entre bons élèves et élèves en difficulté dans l’utilisation des stratégies d’apprentissage. Cette hypothèse nous paraît particulièrement per­ tinente car elle confirme la nécessité de la double régulation cognitive et volitionnelle présentée en introduction. L’efficacité de l’autorégulation résulterait de la coordination de différents sous-systèmes : à un premier niveau, le maintien de l’effort dépendrait d’une combinaison de stratégies volitionnelles, certaines comme le contrôle de l’environnement ou la structuration du temps étant plus adaptées pour créer un climat favorable et neutraliser les distractions, tandis que les stratégies de renforcement des croyances motivationnelles seraient mobilisées préférentiellement pour affronter la difficulté. Mais cette efficacité resterait potentielle tant que cette combinaison de stratégies n’est pas associée à des stratégies cognitives et métacognitives elles-mêmes efficaces. In fine, l’efficacité de l’autorégulation résiderait dans la mobilisation conjointe des deux familles de compétences, ni l’une ni l’autre n’étant décisives à elles seules. Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 13 Conclusion La taxonomie construite et testée dans cette recherche fournit un cadre satisfaisant pour rendre compte des stratégies de contrôle de l’effort : toutes les ­stratégies agissant sur le contexte d’apprentissage ainsi que six des neuf stratégies visant à soutenir les croyances motivationnelles ont été retrouvées dans les témoignages des élèves interrogés, tandis qu’aucune stratégie nouvelle n’a été identifiée. Les stratégies de soutien du sentiment d’efficacité personnelle sont rarement mises en œuvre. Ce déficit mérite d’autant plus d’être souligné que cette variable joue un rôle décisif dans le soutien de la motivation et la poursuite de l’effort (cf. Schunk & Pajarès, 2005, pour une revue de la littérature sur la question). Il paraît donc essentiel d’aider les élèves à développer des stratégies efficaces en ce domaine. Mais l’intérêt principal de cette recherche est de montrer le rôle-clé de l’organisation du temps de travail. C’est vraisemblablement le découpage du temps de travail en épisodes, dont le contenu et la durée ont été calibrés, qui influence la qualité de la performance bien davantage que le temps passé au travail, dont on sait qu’il ne suffit pas à expliquer les différences de performance entre élèves (Barrère, 1997 ; Félix, 2002 ; ­Trautwein & Lüdtke, 2007). Les recherches sur l’organisation du temps de travail demeurent rares néanmoins. Il convien­ drait de les développer afin de mieux compren­dre les mécanismes de la régulation temporelle. Trois mécanismes semblent au moins impliqués : les intentions d’exécution (Gollwitzer, 1999), les doses de travail optimales (Wagner, Scholer & Spiel, 2008) et la parcimonie de la planification (Kuhl, 1987), c’est-à-dire la définition de règles ­d’arrêt qui évitent de prolonger indéfiniment la recherche d’informations. Les principales limites de cette recherche découlent de l’approche décontextualisée adoptée pour étudier le travail à la maison. Trautwein a récemment développé un modèle du travail à la maison dans lequel les caractéristiques de l’environnement scolaire, telles qu’elles sont perçues par les élèves, influencent l’effort déployé à la maison. Les élèves interrogés par l’auteur devaient donner leur avis sur la qualité du travail demandé à la maison dans une discipline donnée (réutilisation effective en classe du travail fait à la maison, clarté des consignes données pour effectuer les exercices, articulation cours/ exercices). Plus la qualité du travail demandé est perçue comme élevée, plus les élèves déploient des efforts pour accomplir ledit travail. Le consensus entre les élèves issus d’une même classe est important, ce qui signifie que ces différences ne renvoient pas uniquement à des perceptions isolées mais à des pratiques effectives (Trautwein & Lüdtke, 2007 ; ­Trautwein, Lüdtke, Schnyder et al., 2006). Ce résultat est d’autant plus intéressant que le travail donné à la maison obéit parfois à une logique faiblement didactique lorsqu’il est guidé avant tout par un souci ­d’asseoir la respectabilité de l’enseignant ou de la discipline par rapport aux pairs et aux attentes des parents (Glasman & Besson, 2004). L’intégration des travaux de Trautwein au cadre théorique de ­l’appren­tissage autorégulé permettrait de construire un modèle du travail à la maison qui tiendrait compte à la fois de variables psychologiques (stratégies d’appren­tissage et de régulation de l’effort de l’élève) et de variables didactiques. Laurent Cosnefroy [email protected] IUFM de Haute-Normandie, université de Rouen notes (1) Le logiciel opère une réduction du vocabulaire (appelée lemmatisation). Par exemple, toutes les formes d’un même verbe sont regroupées sur l’infinitif. (2) Six UCE exprimant deux stratégies sont comptées deux fois. (3) Étant donné que certains effectifs sont trop faibles et que les observations ne sont pas toujours indépendantes (les UCE provenant d’un même discours pouvant être réparties dans différentes catégories), nous n’avons pas procédé à des tests statistiques à partir des résultats du tableau 4. Bibliographie BARRÈRE A. (1997). Les lycéens au travail. 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Se mettre au travail et y rester : les tourments de l’autorégulation 15 La Revue française de pédagogie sur Internet Vous trouverez à l’adresse <www.inrp.fr/editions/rfp> un aperçu du dernier numéro paru avec… son texte de présentation son sommaire ses notes critiques en téléchargement libre la rubrique « RFP pratique » pour proposer un article l’édition électronique de la revue comportant… les articles pour les numéros de plus de quatre ans les résumés en langue étrangère de tous les numéros de la revue depuis sa création en 1967 les notes critiques de tous les numéros de la revue et bientôt en accès libre… des articles en langue étrangère Pour nous contacter : [email protected] La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP : entre distance et rapprochement des sexes Carine Guérandel et Fabien Beyria Cet article analyse les processus de construction de la mixité dans les cours d’EPS à partir d’une enquête de type ethnographique (observations et entretiens), menée dans un collège situé en Zone d’éducation prioritaire (ZEP), au cœur d’un quartier d’habitat social. Les résultats révèlent une appropriation sexuée par les élèves de l’espace physique et sonore, des pratiques et du matériel. Généralement, les pratiques pédagogiques des enseignants tendent à conforter la distance et la hiérarchie entre les garçons et les filles : les consignes, les activités et les attentes sont adaptées au sexe de l’élève. Néanmoins l’étude présente certains modes de transmission conduisant à nuancer les hiérarchies au sein de la classe, ainsi que l’investissement différencié des filles et des garçons. Descripteurs (TESE) : éducation physique, milieu défavorisé, sexe, pratique pédagogique. INTRODUCTION La problématique de la mixité à l’école n’est pas une question nouvelle. Les sociologues de l’éducation s’intéressent dès la fin des années 1980 à la « variable sexe » lorsqu’ils constatent que la réussite scolaire des filles rattrape puis dépasse celle des garçons, tant dans l’enseignement secondaire que dans le supérieur, bien que le succès scolaire des filles ne se traduise pas en termes d’orientation et d’insertion professionnelle (Duru-Bellat, Kieffer & Marry, 2001). En EPS, le débat sur la mixité se généralise à la fin des années 1960. En tant que matière scolaire travaillant explicitement sur le corps, la co-présence des filles et des garçons ne va pas de soi. Dans les activités physiques, la confrontation des corps soulève en effet la question des différences sexuées, voire celle du désir sexuel (1) (Louveau & Davisse, 1998). Le corps se situant au cœur des processus de construction du genre, les cours d’EPS constituent donc un lieu privilégié d’expression et de production des ­différences entre les sexes. Dans cette perspective, nous proposons d’analyser les rapports sociaux de sexe entre élèves au sein des cours d’Éducation physique et sportive (EPS) d’un collège classé en Zone d’éducation prioritaire (ZEP) et situé au cœur d’un quartier populaire urbain. À partir du paradigme inter­ actionniste d’Erving Goffman, l’étude vise à montrer Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 17-30 les manières dont la séparation filles/garçons et les hiérarchies sexuées se perpétuent, se renforcent ou s’atténuent au cours des interactions liées à la situation éducative. Basée essentiellement sur un travail d’observation, l’enquête intègre néanmoins des entretiens destinés à repérer les dispositions sexuées incorporées par les élèves et les enseignants au cours de leur trajectoire sociale, l’histoire des acteurs constituant l’un des éléments qui surdétermine l’ordre des interactions (Castel, 1989). CADRE D’ANALYSE Arrangement des sexes et construction sociale du corps Les approches sociologiques sur la différence des sexes montrent que les rôles « féminins » et « mas­ culins » ne sont pas le produit d’un destin biologique mais des construits sociaux incorporés. Le concept de genre, caractéristique des travaux féministes nordaméricains (Delphy, 1991 ; Scott, 1988 ; Butler, 2005), renvoie aux processus de construction sociale des systèmes de valeurs et des comportements des hommes et des femmes. Dans cette perspective, l’ordre de genre se caractérise par la différenciation et la hiérarchisation du féminin et du masculin. Le concept de rapports sociaux de sexe, préféré par les féministes françaises (Kergoat, 2005) permet plus spécifiquement de penser les relations antagonistes entre les catégories de sexe et l’articulation des rapports sociaux (de sexe et de classe). La domination mas­ culine, en tant que caractéristique fondamentale des rapports sociaux de sexe, structure ainsi l’ensemble de l’organisation sociale et s’inscrit dans les corps (Delphy, 1991 ; Guillaumin, 1992 ; Bourdieu, 1998). Selon Goffman (2002), les interactions quotidiennes mixtes mettent en scène le fonctionnement asymé­ trique des catégories sexuées, les hommes et les ­femmes exprimant des comportements distincts de genre dans les situations sociales. Le travail de socialisation des hommes et des f­ emmes, qui tend à la formation de dispositions de genre à l’état incorporé (Mc Call, 1992), débute dès l’enfance, au sein de la famille (Belotti, 1974 ; Court, 2008) puis entre pairs à l’école (Zaidman, 1996). Les pratiques sportives jouent également un rôle central dans la construction de la masculinité, notamment à l’adolescence (Thorne, 1993 ; Messner, 1992). En revanche, le rapport au corps des adolescentes se 18 construit souvent hors des milieux et des références sportives (Mennesson, 2005). Le sport apparaît donc comme un lieu privilégié de formation des hommes (Elias & Dunning, 1994), même si l’expérience sportive est source de frustration et de déception pour certains d’entre eux (Messner, 1992). Genre, interactions et socialisation Ce travail analyse les rapports sociaux de sexe en combinant une sociologie des dispositions avec ­l’approche interactionniste de Goffman. Pour ce ­dernier, les acteurs en interaction s’engagent cor­ porellement et verbalement dans un processus de ­communication dialogique où l’expression de soi ­s’effectue « d’une manière suffisamment automatique et ­inconsciente » et devient une impression pour l’autre ­(Goffman, 1988, p. 65). En d’autres termes, la présentation de soi (Goffman, 1973a) implique un travail figuratif, régi par le principe de garder la face, et un ensemble d’échanges rituels. Ces échanges, affirmatifs ou confirmatifs, précisent la nature de la relation entre deux protagonistes. L’analyse des inter­ actions entre les filles et les garçons dans des espaces mixtes permet ainsi de repérer l’ordre souvent « invisible » qui organise la dimension sexuée de la vie sociale (Guérandel & Mennesson, 2007). Cependant, comme le souligne Bourdieu (2000), les inter­ actions cachent les structures qui s’y réalisent. ­Goffman (1988) admet également que ce sont bien des individus avec « leur biographie singulière qui entrent en interaction ». En ce sens, les variations des compor­tements des individus d’un même sexe se comprennent au regard des dispositions sexuées incorporées. Production des rapports sociaux de sexe entre jeunes des quartiers populaires Les relations entre les sexes semblent particulièrement difficiles et distantes dans les quartiers populaires urbains (Beaud & Pialoux, 2003 ; Lepoutre, 1997). Les valeurs de virilité façonnent l’univers quotidien des jeunes garçons (Mauger, 1998 ; Duret, 1999) qui valorisent une socialisation de l’entre-soi, ainsi qu’une appropriation de l’espace résidentiel du quartier (Faure, 2008). Les filles, en quête d’invisibilité, adoptent quant à elles des rituels d’effacement de leur présence dans la cité en entretenant leur discrétion par la mobilité (Faure, 2008 ; Guénif Souilamas, 2003). De même, si la majorité des filles délaisse les acti­ vités sportives qu’elles associent au monde des Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 ­ ommes, la plupart des garçons pratique une activité h physique au sein d’institutions, la performance phy­ sique participant à la construction de la virilité (2) (Guérandel, 2008). Les séances d’EPS obligatoires et mixtes apparaissent alors comme des situations d’interactions particulièrement intéressantes à analyser pour rendre compte des normes de genre régissant les comportements des adolescents des cités. Dans cette perspective, deux hypothèses ont orienté notre réflexion. Tout d’abord, les différences entre les sexes se réalisent dans et par les interactions lors des séances d’EPS. Néanmoins, les comportements de genre ne peuvent pas être considérés comme bipolaires. Plusieurs formes de masculinité ou de féminité peuvent s’exprimer au cours des inter­actions. De même, les pratiques et les modes d’intervention pédagogique de la majorité des enseignants participent à la reproduction des rapports sociaux de sexe. Cependant certains intervenants peuvent également proposer des modalités d’apprentissage permettant le renouvellement partiel des relations entre les filles et les garçons. MÉTHODOLOGIE L’analyse porte sur des données issues d’une étude ethnographique menée dans un collège d’un quartier populaire urbain (cf. encadré ci-dessous et tableau 1) et complétée par des entretiens avec certains acteurs observés (3). L’enquête s’est déroulée pendant six mois dans un collège classé en ZEP et situé au cœur d’un quartier d’habitat social d’une grande agglomération française. Cet ­établissement accueille des élèves issus à 82 % des catégories socioprofessionnelles défavorisées (4). 73 % des familles sont au chômage ou exercent des emplois précaires et mal rémunérés. Au niveau scolaire, 46 % des élèves ont un retard d’un an et 25 % de deux ans et plus. Concernant les rapports sociaux de sexe, le projet d’établissement met en évidence les tensions existant entre les filles et les garçons et auxquelles sont confrontés les professionnels. Par ailleurs, la principale accordant à l’EPS une place importante dans l’espace des disciplines, ces enseignants disposent de moyens financiers, ainsi que d’une liberté d’action et d’initiative considérable. Même si le taux de mutation des enseignants est deux fois plus important que le taux moyen académique, l’équipe pédagogique d’EPS se stabilise malgré tout depuis plusieurs années. Exclusivement masculine, cette dernière compte six professeurs d’EPS qui s’emploient à enseigner à des classes mixtes. Tableau 1. – Les terrains de l’observation Christophe et Paul (stagiaire IUFM sous sa responsabilité) 6 e : 1 classe 5 e : 2 classes 4 e : 2 classes (dont l’option sport) 3 e : 1 classe Éric Boris 5 e : 1 classe 3 e : 2 classes (dont une SEGPA) classe 5 e : 1 SEGPA 4 e : 2 classes (dont une SEGPA) La phase d’observation porte sur 12 classes à raison de 16 heures par semaine. Les enseignants, qui connaissent le statut de la chercheuse menant l’enquête, présentent cette dernière aux élèves comme une stagiaire, étudiante en STAPS et préparant le concours du professorat d’EPS sous la tutelle du coordonnateur, Christophe (5) (qui a également sous sa responsabilité un « vrai » stagiaire, Paul). Ce statut a notamment permis la prise de notes durant les séances, sans que cela paraisse incongru aux yeux des élèves. Un journal de terrain a été réalisé relatant pour chaque classe, chronologiquement et de manière exhaustive, les interactions corporelles, les formes de regroupement, les postures et les propos émis par les individus. Les entretiens permettent, dans un second temps, de rendre compte du sens que donnent les acteurs à leur pratique et aux interactions, en reconstituant la trajectoire sociale des individus. Des entretiens ont été recueillis auprès de onze élèves, cinq filles et six garçons, aux positions variées dans l’espace de genre. Concernant les enseignants, les données recueillies sont issues d’entretiens (6) et de discussions informelles (7). Les résultats de l’enquête et leur analyse s’articulent en deux parties. La première partie correspond à l’étude de l’ordre de genre en cours lors des séances d’EPS ; la seconde analyse les effets des choix pédagogiques des enseignants sur les comportements de genre des élèves et leur investissement dans l’activité. RÉSULTATS : Des filles et des garçons à distance Quel que soit le niveau de la classe et son profil d’options, l’observation des cours d’EPS témoigne de rapports sociaux de sexe structurés autour du principe de séparation, résumé par la formule La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP : entre distance et rapprochement des sexes 19 « ensemble-séparé » empruntée à Goffman (2002). Les interactions entre filles et garçons sont en effet réduites par une appropriation sexuée des espaces physique et sonore, du matériel et des pratiques. Les garçons et les filles forment ainsi deux équipes de représentation qui se conforment aux stéréotypes sexués. Goffman (1973a, p. 81) définit une équipe de représentation comme « un ensemble de personnes coopérant à la mise en scène d’une routine parti­ culière ». Cette coopération étroite « est indispen­ sable au maintien d’une définition donnée de la ­situation » (p. 102). Appropriation sexuée des espaces, du matériel et des pratiques Avant que le cours débute, les filles et les garçons se dirigent vers les installations sportives par petits groupes non mixtes. Quand le professeur expose les consignes, les élèves s’assoient sur les bancs dans les vestiaires ou dans le gymnase par groupe de sexe. Lorsqu’ils sont en activité, les jeunes adoptent des comportements différenciés et différenciateurs qui tendent à imposer les garçons comme dominants dans l’ordre sexué. Lors du travail en duo, par exemple, les pratiquants se positionnent au centre des espaces de pratique, laissant à leurs camarades féminines la périphérie. Comme le soulignent les études sur l’analyse des interactions dans les cours de récréation (Zaidman, 1996 ; Delalande, 2001 ; Thorne, 1993 ; Gayet, 2003), les élèves s’approprient l’espace de manière différenciée selon leur groupe de sexe d’appartenance. Par exemple, lors d’un cycle baseball, les élèves doivent s’échauffer par deux : l’un lance la balle, l’autre la rattrape avec le gant. Les garçons se dirigent vers le centre du terrain et occupent l’espace, obligeant les filles à s’entraîner près du grillage ou sur les bords de la pelouse (classe de 3e section européenne). Les garçons s’orientent également toujours vers les espaces associés aux niveaux de difficulté les plus élevés. Ils s’approprient les tables de tennis de table et les terrains de badminton n° 1, 2 et 3 (8) ou les voies les plus difficiles sur le mur d’escalade. Les filles se dirigent spontanément vers les niveaux les plus faibles, exprimant ainsi l’incorporation du principe de la domination masculine. Dans ces situations, les élèves introduisent une catégorie de genre dans la hiérarchisation spatiale des niveaux de performance définis par l’enseignant. De même, quand l’enseignant amène le caddie avec le matériel de base-ball, les filles restent assises et les garçons s’empressent 20 d’aller se servir en balles, battes et gants en choi­ sissant les plus neufs. L’appropriation sexuée de ­l’espace de pratique et du matériel, notamment dans des activités où prévalent la compétitivité et la performance, peut ainsi être comparée à un échange confirmatif destiné à mettre en scène la hiérarchisation entre les sexes (Goffman, 1973b). Les filles se révèlent aussi relativement plus discrètes que les garçons dans les interactions en classe. La plupart d’entre elles parlent moins fort et sollicitent moins les enseignants que leurs homologues masculins. En revanche, les garçons déploient des stratégies spécifiques pour attirer l’attention des professeurs (French & French, 1984). Ils tentent ainsi de monopoliser ­l’espace didactique et sonore de la classe pour se « faire remarquer » (Mosconi & Loudet-Verdier, 1997 ; ­Jarlégan, 1999 ; Felouzis, 1993 ; Marro, 1995). Lors d’un cycle de badminton en classe de 3e, les garçons les plus performants jouent sur le terrain n° 1. Au cours d’un exercice, ils vont jouer sur le terrain d’un groupe de filles, les empêchant ainsi de travailler. L’enseignant les oblige alors à revenir sur leur terrain. Puis, quand ils changent la consigne de l’exercice, le professeur leur explique à nouveau les objectifs de la situation. Certains gardent la main libre (qui ne tient pas la raquette) dans la poche du pantalon, en dépit des remarques de leur enseignant. Finalement ce dernier se focalise sur le groupe de garçons perturbateurs et néglige de manière involontaire les autres élèves (c’est-à-dire l’ensemble des filles et les garçons investis dans l’activité et qui respectent les règles scolaires). Les garçons et les filles s’engagent également de manière différenciée dans la pratique. La majorité des filles exécutent les exercices en respectant les consignes de coopération, tandis que les garçons se focalisent sur leur exploit physique et la compétition, sous le regard de certaines filles spectatrices, non spor­tives, en position de faire-valoir (Faure & Garcia, 2005). En cycle escalade, en classe de 3e, quand l’enseignant donne pour consigne de s’entraîner à grimper de manière libre, la majorité des garçons finit par faire des courses de vitesse. À l’inverse, si deux duos de filles continuent de s’entraîner sans esprit de compétition (arrivées en haut du mur, elles appellent leurs camarades restées en bas et leur font un geste de salut avec la main), la plupart des filles s’arrêtent et s’assoient sur les bancs pour regarder les garçons, en prétextant une grande fatigue. Un garçon, Fadel, grimpe sur le mur d’escalade en ­s’assurant lui-même sous le regard amusé des filles. En tennis de table, en classe de 5e, aucun duo de garçons ne respecte les consignes des exercices destinés à les faire travailler en coopération. Ils font tous des matchs, à l’inverse des filles qui exécutent l’exercice. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Ainsi, lors des cours d’EPS qui exigent une discipline du corps, les collégiens de milieux populaires rechignent à effectuer les exercices au profit de la compétition (Millet & Thin, 2005). Les filles adoptent des attitudes plus scolaires dans leur manière d’appréhender les temps d’activité et acceptent davantage les situations de coopération. Cependant, au-delà de cette différenciation sexuée relativement fréquente des modes d’appropriation des consignes, certains élèves adoptent des comportements atypiques. Certaines filles s’engagent dans la compétition quand l’enseignant valorise la collaboration. Ce sont en général des filles sportives et/ou dotées en capital guerrier (9) (Sauvadet, 2006). D’autres, non sportives et faiblement pourvues en capital scolaire, élaborent des stratégies d’évitement de la pratique. De même, dans certaines classes, des garçons dotés en capital scolaire et dont les comportements s’éloignent des codes de « la culture de rue » (Lepoutre, 1997) pratiquent les exercices conformément aux exigences du professeur. Il s’agit d’élèves souvent isolés dans leur groupe de pairs, parfois même victimes de violence. On peut alors distinguer plusieurs formes de masculinité plus ou moins dominantes (être sportif et doté en capital guerrier) et dominées (être dépourvu de capital guerrier et se conformer aux normes scolaires, voir Connell, 1990). Les stratégies d’évitement ou de contournement des consignes ou des exercices diffèrent aussi selon le sexe des élèves. Ces derniers font parfois semblant de pratiquer les exercices, mais de manière distincte, en exprimant des comportements de genre stéréotypés dits « gender display » ­(Goffman, 2002). Les filles misent sur la discrétion : elles demandent à aller aux toilettes et y restent jusqu’à ce que l’enseignant remarque leur absence, elles discutent et simulent un investissement dans les situations d’apprentissage quand le professeur vient les voir, elles s’arrêtent avant les garçons quand il s’agit de courir ou faire des abdominaux à l’échauffement. Si l’enseignant les regarde, elles sourient et reprennent l’exercice. Davisse (1999) montre bien que l’invisibilité des filles en difficulté passe par la mise en œuvre de « simulacres » accentuant en retour l’impression de la faiblesse de leur niveau en EPS. Les garçons, au contraire, proposent une performance très bruyante, appellent le professeur pour qu’il valide l’exploit puis arrêtent de pratiquer l’exercice. Ils peuvent aussi simuler des fatigues comme Sofiane qui ne fait rien depuis un certain temps : « Monsieur, j’arrête, je suis mort là ! ». Par ailleurs, quand les filles ne réussissent pas un exercice, elles l’abandonnent assez rapidement ou demandent conseil au professeur. Les garçons vont plutôt avoir tendance à tricher et à montrer qu’ils ont réussi : avouer une contre-performance sportive serait prendre le risque de perdre la face (Goffman, 1974) devant les pairs, la démonstration de la force et de la compétence dans l’activité étant un gage de virilité. En cycle escalade, lors de l’exercice « traverser le mur dans sa largeur à un mètre du sol, sans tomber », la majorité des filles qui tombent arrête et ne revient pas au départ pour réessayer (10), comme le demande l’enseignant. Certains garçons qui chutent avancent de quelques mètres et remontent sur le mur. Dans le cas d’un exercice perçu par les élèves comme trop complexe techniquement, les garçons détournent les consignes afin d’éviter la situation d’échec, tandis que les filles visent l’évitement de la pratique. Lors d’un cycle de gymnastique, l’enseignant demande aux élèves d’exécuter une rondade par-dessus le cheval d’arçon. Alignés les uns derrière les autres, ils passent chacun leur tour. Certaines filles rétives parviennent à passer leur tour en se laissant doubler par leurs camarades. De leur côté, les garçons peu rassurés réalisent systématiquement de grands sauts spectaculaires se terminant par des chutes sans danger faisant rire toute la classe. Ils répètent ce genre d’action sans jamais prendre en compte les remarques du professeur. En mettant à ­distance le risque d’échec, ils « préservent leur face » ­(Goffman, 1974) : ils masquent leur appréhension en affichant leur détachement à l’égard de leur devoir d’apprendre et en endossant le rôle de boute-en-train (classe de 5e). Finalement, la différenciation selon le sexe du mode et de l’intensité de l’engagement s’explique par les normes de genre intériorisées par les filles et les garçons. Les filles, sportives ou non sportives, ont incorporé les stéréotypes sociaux et sexués relatifs à la domination masculine qui ne les assignent pas à la performance sportive. Contrairement aux garçons, elles ne risquent donc pas de perdre la face en reconnais­sant leur échec ou en évitant de s’investir. En revanche, l’injonction de compétence sportive pour les garçons les contraint à adopter des stratégies leur permettant de faire illusion dans le cas d’un goût peu prononcé pour l’activité physique ou d’une contre-performance. Ainsi, la plupart du temps, la mixité semble ne poser aucun problème, pour la ­simple raison que les filles et les garçons s’ignorent et entrent rarement en interaction, même lorsqu’ils ­pratiquent ensemble les mêmes exercices. Rejeter les filles pour sauver la face Lorsque les jeunes filles et garçons se trouvent en situation d’interaction, les comportements de chacun révèlent la nécessité de préserver l’ordre sexué La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP : entre distance et rapprochement des sexes 21 ­ aractéristique de la socialisation au sein d’un quarc tier d’habitat social. En effet, alors que la performance physique et la compétition constituent des modes de valorisation de soi pour les garçons des quartiers populaires urbains, stigmatisés parfois dans les autres espaces de leur socialisation (Lepoutre, 1997), la présence des filles, voire la confrontation sportive avec des filles jugées inférieures physiquement, met en jeu la face des garçons. Ils jouent leur ­réputation d’hommes forts et performants. Néanmoins, selon la position du garçon dans la hiérarchie du groupe de pairs, la régulation des interactions sportives mixtes diffère. Lorsqu’un garçon se trouve en situation d’échec dans la pratique, il peut adopter des compor­tements violents à l’encontre d’une fille qu’il considère comme responsable de sa contre-­ performance. Fadel est un garçon aux bons résultats scolaires. Sa mère, femme de ménage dans une institution publique, et son père, maçon, suivent de très près sa scolarité. Ils ont notamment refusé que Fadel s’inscrive dans un club de boxe pour qu’il réserve la majorité de son temps libre aux devoirs. Un contrôle parental important s’exerce également sur les permissions de sortie, les heures de coucher et ses fréquentations. Il est très proche de sa grande sœur, lycéenne en terminale littéraire : « Elle s’est beaucoup occupée de moi quand j’étais petit ». Il s’engage discrètement dans des relations de séduction avec une fille de sa classe. Sa tenue vestimentaire est assez éloignée du look des cités « sportwear ». Il porte des joggings près du corps et des débardeurs en EPS, des jeans avec des chemises ou des polos le reste du temps. Concernant les filles les plus sportives, il insiste sur leur comportement, trop éloigné selon lui des normes de la féminité. Fadel, un élève de 3 e d’un bon niveau en escalade, ne présente aucune attitude « viriliste » au cours de ce cycle. En revanche, en base-ball, une activité qu’il maîtrise moins, il insulte Saoussane, une adversaire qui rattrape la balle d’un de ses coéquipiers et qui fait ainsi perdre son équipe : « C’est la pute qui nous a éliminés ! » Par la suite, Fadel élimine Saoussane qui arrive en courant sur la base. Afin de l’empêcher de toucher la base, il lui met un coup d’épaule et lui dit : « Allez, casse-toi ! » Enfin, il double un de ses coéquipiers qui a une base d’avance sur lui. Tout le monde se moque de lui car il ne savait pas qu’il n’avait pas le droit. Il se vexe et s’exclame : « Nique ta grand-mère la grosse pute ! » Au cours de sa socialisation enfantine, Fadel semble avoir incorporé des dispositions sexuées et scolaires qui l’amènent à prendre partiellement de la distance avec la culture de rue et les normes de genre dominantes définissant les rapports sociaux de sexe au sein du quartier. En ce sens, il court le risque de ne pas se faire accepter au sein du groupe des garçons. Il accorde donc de l’importance à la performance sportive, en tant que ressource mobilisable pour affirmer sa virilité et justifier sa place dans le groupe de pairs. Ainsi les comportements violents de Fadel face à une fille qui le met en échec se comprennent au regard de sa position de genre, vulnérable dans ­l’espace social qui s’actualise au sein de la classe. La situation (cf. encadré ci-dessus) présente une fille (Saoussane) dont l’équipe domine à un moment donné l’équipe de Fadel. Ce dernier tente alors de reprendre l’ascendant sur son adversaire féminine en réagissant violemment (insultes et bousculade). Il s’agit donc d’une procédure de réparation ­(Goffman, 1973b) en deux temps : Fadel fait acte d’autorité masculine, Saoussane s’y soumet. Il tente par la suite d’affirmer son statut d’homme par la performance sportive quand c’est à son tour de jouer. Néanmoins sa méconnaissance des règles du base-ball le discrédite devant ses pairs, ce qui l’amène de nouveau à insulter la jeune fille. Cette attitude apparaît comme un moyen de faire diversion. En effet le professeur qui réprimande vivement l’élève se focalise sur son comportement visà-vis de la fille et non sur sa contre-performance. Le comportement de Fadel s’explique en partie par sa socialisation sexuée et sa position de genre dans l’espace des pratiquants (voir le prochain encadré). De même, lors de la séance d’évaluation en badminton avec une classe de 3e, un garçon qui joue sur le terrain n° 1 perd tous ses matchs et « descend » de deux terrains en une séance. À la fin du cours, il se retrouve face à une fille. Suite à sa défaite, il lance violemment sa raquette par terre et quitte le gymnase sans l’autorisation de l’enseignant, les larmes aux yeux. Dans la cour de récréation, il reste très énervé, adossé à un mur, le regard fixé par terre. À la question : « ça va ? », il répond : « J’ai les nerfs. La pute, elle peut pas me gagner, je suis plus fort qu’elle. […] Si je partais pas, je la défonçais la chienne ». Les propos de ce garçon révèlent l’importance accordée à la victoire face à une fille. La défaite déshonore, fait perdre la face devant les pairs et prouve l’incompétence sportive du pratiquant qui s’incline devant une joueuse dont la performance sportive n’équivaut pas celle d’un homme (11). Néanmoins ces deux élèves entretiennent à l’ordinaire des relations cordiales, voire amicales. La semaine suivante, ils discutent ensemble en se dirigeant vers le gymnase. En ce 22 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 sens, quitter le gymnase après la défaite apparaît comme un moyen d’éviter les remarques ou remontrances de l’enseignant, ainsi que les paroles moqueuses et humiliantes de la part des autres élèves qui l’ont vu perdre et s’énerver à la limite d’en pleurer. Autrement dit, il tente de sauver la face car sa défaite le déchoit de sa place de leader sportif. En échec dans la plupart des autres disciplines scolaires, l’EPS constitue pour ce garçon un lieu de valorisation de soi, en adéquation avec les normes de la masculinité relative à la culture de rue. Ainsi les interactions ­mixtes et les comportements de genre observés au cours des situations sportives en EPS témoignent de la prégnance des normes du quartier, qui prônent la distance entre les filles et les garçons. Dans le cadre de l’enquête, l’action et les discours des enseignants tendent souvent à maintenir la ségrégation sexuée et la hiérarchie entre les sexes. CONSTRUCTION DE LA MIXITÉ PAR LES ENSEIGNANTS : ENTRE RENFORCEMEMENT ET REMISE EN QUESTION DES NORMES SEXUÉES Les professionnels mobilisent souvent de manière involontaire des stéréotypes de genre, dans leurs discours mais également dans leurs pratiques d’enseignement, maintenant ou renforçant la distance entre les filles et les garçons ainsi que l’inégalité de traitement selon leur sexe. Cette partie analyse donc les effets des choix pédagogiques des professionnels sur la gestion de la mixité et la construction du genre au cours des séances d’EPS. Une équipe masculine d’enseignants d’EPS Le décalage social entre l’appartenance à la classe moyenne des enseignants et l’origine populaire des élèves se traduit par des discours relativement misérabilistes sur les jeunes, marqués en partie par les stéréotypes liés au genre : Christophe : Dans l’ensemble, les élèves de ce collège ne sont pas scolaires, ils préfèrent plus jouer qu’apprendre. […] Ils ne sont pas très débrouillards sauf en foot mais là, c’est normal car ils font que ça en dehors de l’école. Éric : Eux, c’est très macho, c’est-à-dire en plus de l’adolescence et de la période con, il y a le côté maghrébin et la culture musulmane et le rapport à la femme qui est différent. […] Plus le phénomène de groupe en bande, c’est pas des relations très sereines qu’on peut avoir comme dans d’autres établissements. Boris : Les filles de SEGPA sont bêtes, intellectuellement faibles et mariées dans trois ans. [Il décrit notamment une jeune fille qui a tout d’une « crapuleuse » (Rubi, 2003)] On peut rien en faire, c’est une sournoise doublée d’une idiote. Avec un peu de chance, on l’a plus l’année prochaine, elle part faire des shampooings en CAP coiffure. [En revanche, pour les garçons,] c’est plus un problème de comportement, s’ils se calment, qu’ils grandissent dans leur tête, ils peuvent s’en sortir. [À propos d’un élève, l’enseignant explique qu’]il est dur, on arrive à rien avec lui. C’est dommage, c’est un bon gars. Des fois il pète les plombs mais quoi, tu sais, c’est pas facile chez lui. Avec les collègues on le pousse à faire un stage dans le bâtiment, si ça se trouve, il reprendra confiance en lui par ça ! Si l’échec scolaire des filles s’explique par leur défaut de capacité intellectuelle, les garçons restent intelligents et leur déficience s’analyse au regard de leur manque de maturité et de sérieux (Dweck, ­Davidson, Nelson et al., 1978 ; Mosconi, 1999) et d’éléments contextuels, comme par exemple l’influence de la famille. De même, les professeurs insistent sur les différences de comportement et de rapport à l’activité physique des filles et des garçons au cours des séances d’EPS. Et ils justifient leurs choix pédagogiques par ces différences. Il semble néanmoins que la mise en œuvre des pratiques relève davantage d’une adaptation aux différences observées entre les sexes, afin d’enseigner à la jeunesse populaire dans un climat pacifié, que d’une réelle démarche de transformation des rapports sociaux de sexe : Éric : L’intérêt d’avoir des classes mixtes en ZEP, c’est que les filles font tampon avec les garçons. […] Une classe que de mecs, dans l’absolu on a essayé de le faire, notamment en base-ball parce que les filles déjà n’attrapent pas les balles, ensuite elles vont pas chercher forcément les balles donc ça énerve les garçons […]. Donc on a essayé en 3e de faire que des garçons et que des filles : les filles moi je les avais en badminton, j’avais 37 filles et mon collègue 18 garçons. Il arrivait pas à faire quoi que ce soit avec les garçons. […] Moi les 37 filles […], ça se passait tout à fait convenablement alors que les mecs c’était le bordel. Le discours d’Éric renvoie aux stéréotypes sexués qui divisent le groupe des filles, calmes et non ­spor­tives, et le groupe des garçons, turbulents mais compé­titeurs et performants. Ainsi, si la mixité demeure une modalité organisationnelle valorisée par les intervenants, elle se justifie souvent par l’intérêt de construire un groupe à la fois calme et tempéré par la présence des filles exerçant leur « métier d’élève » avec sérieux et docilité (Perrenoud, 1984 ; Sirota, 1988) et d’un bon niveau sportif grâce aux La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP : entre distance et rapprochement des sexes 23 garçons, plus stimulants, avec lesquels les ­enseignants reconnaissent prendre plus de plaisir à ­enseigner (Spender, 1982 ; Mosconi, 1989). Par ailleurs, la passivité des garçons est difficilement tolérée par les enseignants. À l’inverse, le caractère masculin du monde sportif rend plus acceptable celle des filles. En ce sens, les professeurs vont avoir tendance à choisir des activités masculines afin d’encourager l’investissement des garçons, ce qui permet dans le même temps de construire un espace d’apprentissage plus calme et cadré. La non-participation des filles ne pose pas vraiment problème aux enseignants tant qu’elles restent dociles, en position de ­spectatrice : Christophe : Bon, les gars, faut qu’ils bougent, ils aiment ça. Et quand ils se donnent sur le terrain, ben, ils sont sous contrôle… c’est une séance qui roule. Bon, alors forcément tu vas pas leur proposer danse ou GR [gymnastique rythmique] parce que là t’as le feu ! Après les filles… oui les filles, c’est différent. Elles aiment pas trop le sport dans l’ensemble. Elles sont pas motivées pour bouger. […] En même temps, on peut pas toujours être derrière elles ! Alors, je fais semblant de pas les voir quand elles s’arrêtent de pratiquer les exercices. Tant qu’elles restent ­correctes, je leur prends pas la tête. Les discours trouvent donc souvent leurs prolongements dans les pratiques d’enseignement. Quand l’action du professeur renforce la ségrégation sexuée en cours Avec certains enseignants (deux sur six professeurs), les élèves peuvent choisir les activités qu’ils souhaitent pratiquer. Si la majorité des garçons demande à jouer à un sport collectif et prioritairement au football (12), les filles choisissent le tennis (13). Comme l’enseignant reste avec les garçons dans le gymnase, les filles s’assoient sur les terrains de tennis (situés à l’extérieur, à environ 200 m du gymnase), discutent, passent des appels avec leur téléphone portable ou écoutent de la musique sur leur MP3. Ce mode de fonctionnement de « libre choix » accentue les différences sexuées entre les deux groupes de sexe (14). Les filles en quête d’invisibilité lors de leurs déplacements dans le quartier se font également discrètes en cours d’EPS, une discipline réservée aux garçons. Elles recherchent alors des lieux éloignés du regard des garçons et du contrôle de l’enseignant leur permettant d’éviter l’engagement physique. À l’inverse, les garçons s’approprient l’espace légitime de la pratique, le gymnase, de la même manière qu’ils occupent l’espace public du quartier. Ils peuvent ainsi faire la démonstration de leurs performan24 ces sportives auprès du professeur d’EPS et de certaines filles dans le rôle de spectatrice. La visibilité des garçons dans le cours et l’invisibilité des filles renforcent le caractère masculin de la pratique ­sportive. Par ailleurs, certaines situations de co-présence filles/garçons renforcent les processus de différenciation sexuée (Mosconi, 1989). Les stratégies des filles et des garçons pour éviter l’autre groupe de sexe dans la constitution des équipes et des groupes d’acti­vité illustrent ce processus. La majorité des filles refuse d’être séparées les unes des autres et cherche à préserver un groupe de même sexe en revendiquant l’importance d’une sociabilité entre filles. Elles tolèrent l’intrusion d’un garçon dans leur équipe si elles restent groupées par affinité. Quant aux garçons, la plupart d’entre eux expriment de manière plus ou moins violente leur refus de se mettre avec les filles. Ils rejettent explicitement l’autre groupe de sexe et acceptent éventuellement d’être séparés de leurs copains à condition que leur équipe demeure exclusivement masculine. Ces deux logiques de fonctionnement, favorisées par la libre constitution des équipes, aboutissent au même ­résultat, une ségrégation sexuée quasi systématique ­pendant les temps de pratique. De même, quand l’enseignant demande aux deux garçons les plus performants dans la pratique de faire les équipes (dans un souci d’équité sportive), ces derniers constituent les groupes en appelant en premier leurs homologues masculins considérés comme les plus compétents, puis leurs camarades en fonction des affinités et enfin les filles. Les garçons les moins performants et rejetés par leurs pairs (souvent des garçons timides, non sportifs, parfois en surpoids et qui ne maîtrisent pas les codes de la culture de rue) sont choisis les derniers (souvent après intervention de l’enseignant qui oblige les équipes à les accueillir) et font l’objet d’insultes ou de railleries. Ainsi, si la hiérarchie sexuée est respectée et renforcée, la domination masculine, qui s’exerce aux dépens de l’ensemble des filles, affecte également certains garçons. Ceux qui ne jouent pas le jeu de la virilité (passant notamment par la valorisation de la force physique, la performance sportive et la maîtrise de la culture de rue) servent de boucs émissaires afin de montrer aux garçons le prix qu’il en coûte de ne pas vouloir être viril comme les autres (Welzer-Lang, 2006). De fait, la domination masculine ne se réduit pas à un rapport de domination des ­hommes sur les femmes. Elle contraint également les garçons pris au piège de la virilité ou à l’inverse qui ne se reconnaissent pas dans la « culture de rue ». Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Concernant le rangement du matériel organisé par les enseignants (15), les filles s’occupent systématiquement du petit matériel alors que les garçons rangent les éléments les plus lourds. En escalade, l’enseignant demande aux filles d’enrouler les cordes et les baudriers tandis que les garçons doivent empiler les tapis disposés devant le mur et remettre en place la cage de handball enlevée en début de séance pour agrandir l’espace de pratique. Les enseignants proposent également des modalités d’apprentissage différenciées selon le sexe des élèves. Les consignes et les remarques varient, par exemple, pour les filles et les garçons. À l’échauffement, les filles sont tenues de faire moins de pompes ou d’abdominaux, conformément aux représentations de genre qui leur confèrent une force physique inférieure à celle des garçons. En revanche, la souplesse étant supposée constituer un attribut féminin, l’enseignant n’hésite pas à se moquer des filles quand elles peinent au moment des étirements : « C’est pas la souplesse qui t’étouffe, toi ! Allez, tends la jambe et tête sur le genou… [rires] Arrête va, tu vas te faire une déchirure ! » La jeune fille répond : « Ah oui, ça m’a déchiré monsieur ! » Le professeur surenchérit alors : « Quoi ? Le muscle ou le cerveau ? », ce qui fait beaucoup rire les autres élèves. En cycle football (classe de 6e, de 5e et de 4e), les enseignants comptabilisent un but marqué par une fille comme valant deux points. Par ailleurs, les buts marqués par les garçons ne comptent que s’ils font au préalable une passe à une fille. Les consignes différenciées selon le sexe de l’élève s’apparentent d’après Davisse (Louveau & Davisse, 1998) à des « prescriptions de compensation » renforçant les stéréotypes sur les rôles sociaux sexués. Elles visent, selon les propos des enseignants, la mise en place de la mixité : Christophe : Si tu dis pas, faites la passe aux filles sinon je compte pas le but ou si tu valorises pas la marque pour les filles, elles ne jouent pas, c’est comme ça. C’est des machos qui se croient forts. Pour eux, une fille ça ne joue pas au foot, alors leur faire une passe c’est perdre la balle ou une occasion de marquer. Je sais que ça les énerve quand je mets des contraintes, mais au moins les filles qui se donnent, celles qui veulent jouer… En fait, c’est mieux pour elles. Imposer des phases de jeu avec l’obligation de faire des passes à une joueuse permet surtout de faire jouer celle(s) qui possède(nt) le meilleur niveau de jeu parmi le groupe des filles. Les garçons repèrent en effet celles qui se démarquent, qui appellent oralement la balle et qui font la démonstration d’une maîtrise technique « footballistique ». Les autres filles de l’équipe voulant jouer mais ne possédant pas un niveau de jeu reconnu par les garçons n’arrivent donc pas à s’imposer au sein de l’équipe. Celles qui n’aiment pas cette activité, ou l’EPS en général, restent en retrait, ne courent pas et ne touchent pas le ballon. Concernant la consigne du point qui compte double quand une joueuse marque un but, elle reste relativement peu efficace. Elle confirme l’idée qu’une « fille correspond à un demi-joueur » (Louveau & Davisse, 1998), renforçant les stéréotypes sexués, mais n’augmente pas de manière effective les occasions de tir pour ces dernières. Au cours du cycle observé en 5e, une seule élève, reconnue comme une bonne joueuse au sein de la classe (les élèves savent qu’elle a pratiqué le football durant deux ans au sein d’un club), marque des buts au cours des séances d’EPS observées sur le cycle football. Sur cinq séances d’une heure et une vingtaine de matchs mixtes, seule cette élève aura l’opportunité de tirer face au but suite à des interceptions de ballon ou des passes de ses partenaires de jeu masculin : L’enquêtrice : Pourquoi tu n’as pas fait la passe à Salma tout à l’heure ? Elle était démarquée devant les buts et toi tu as préféré tirer et tu as raté ? Hassan : C’est parce qu’elle est nulle, Salma, madame ! Elle aurait raté c’est sûr ! Je préfère tenter moi, même si je suis goal j’ai plus de chance de le marquer qu’elle, le but [rire]. Hein, Salma, dis-le à la prof que t’es nulle ! Les garçons considèrent finalement qu’il vaut mieux ne marquer qu’un seul point plutôt que de perdre le ballon en faisant la passe à une fille pour tenter les deux points. Ce type de consigne ne permet pas de déconstruire les représentations des élèves sur le niveau de jeu et les capacités en sport des pratiquantes. Les savoir-faire des pratiquants relèvent éga­ lement d’une différenciation sexuée. Certaines techniques ou modalités de pratique semblent plus destinées à l’un ou l’autre des deux groupes de sexe. L’enseignant propose de diviser les élèves en deux groupes sur un créneau d’une heure de pratique. Il organise un cycle football pour les garçons dans le gymnase et un cycle danse pour les filles dans la salle d’arts martiaux. Néanmoins, sous prétexte que les garçons sont perçus comme plus dissipés que les filles, l’enseignant reste avec eux afin de les surveiller, laissant ces dernières en autonomie. Seules dans la salle, les filles ont pour consigne de préparer une chorégraphie qui fera l’objet d’une évaluation en fin de cycle. À l’inverse, les garçons disposent des régulations de l’enseignant qui met en place des situations d’apprentissage à chaque séance. Contrairement aux garçons, les filles restent donc sur leurs acquis, ne bénéficiant pas d’un apport de connaissances (classe de 4e). La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP : entre distance et rapprochement des sexes 25 Dans l’exemple présenté ci-dessus, l’organisation de la séance se fait au détriment de l’apprentissage des filles. Au-delà de la répartition sexuée des élèves sur les pratiques (la danse pour les filles, les sports collectifs pour les garçons), les garçons, sous couvert d’une moindre capacité à travailler en autonomie, font l’objet de toutes les attentions de l’enseignant. Ainsi, au cours des interactions, du fait de ses représentations et de ses comportements, les enseignants d’EPS confortent, voire renforcent, la différence et la hiérarchie entre les garçons et les filles en adaptant les consignes, les techniques, les activités et leurs attentes au sexe de l’élève. Dans la lignée des nombreux travaux de recherche en éducation (Duru-­Bellat, 1990 ; Delamont, 1990 ; Mosconi, 1989), l’enquête montre que les enseignants d’EPS recourent fréquemment, de manière spontanée et inconsciente, aux oppositions entre les deux groupes de sexe comme technique de « management » de la classe, en mobilisant ce qu’ils supposent typique des uns et des autres, leur rappelant ainsi qu’ils sont avant tout des garçons ou des filles. Néanmoins certains modes de transmission peuvent dans quelques cas déplacer « les lignes de tensions » (Kergoat, 2005) constitutives des rapports sociaux de sexe. Choix pédagogiques et pluralité des modèles de genre : entre renforcement et atténuation de la ségrégation sexuée Les modalités de pratique mises en œuvre par l’ensei­gnant tendent à accentuer ou diminuer la ségrégation sexuée. Par exemple, éric enseigne le rugby à une classe de 3e en privilégiant le combat et le jeu groupé. Au fur et à mesure du cycle, il enregistre beaucoup plus de dispenses de complaisance que d’habitude du côté du groupe des filles. La plupart d’entre elles refusent de pratiquer les exercices demandés et simulent des blessures. À l’inverse les garçons tentent d’affirmer leur supériorité physique dans l’engagement. Ainsi certains garçons au gabarit atypique (par exemple des garçons obèses) gagnent temporairement en capital symbolique au sein de la classe par la démonstration de leur puissance dans le jeu. À l’inverse, un stagiaire IUFM, non expert en rugby et peu confiant sur l’application des règles de sécurité inhérentes à cette activité, privilégie le jeu déployé et limite les contacts au toucher à deux mains pour simuler le placage. Ce professeur n’enregistre pas de recrudescence des dispenses lors de ce cycle. La mise à distance des corps et du défi physique direct se traduit par des comportements de genre moins marqués. En contrepartie, basée sur l’évite26 ment, la vitesse et l’agilité, cette modalité de pratique empêche certains élèves (les filles comme les ­garçons) peu sportifs et en surcharge pondérale de s’exprimer. Cet exemple met en évidence la difficulté pour l­’enseignant de prendre en compte l’hétérogénéité des élèves dans une situation d’apprentissage. Le sexe de l’élève et son capital corporel (présence ou défaut de force physique et de compétence sportive, corpulence plus ou moins atypique) influencent simultanément les interactions et les engagements. Ainsi, une modalité de pratique qui atténue la ségrégation sexuée dans l’activité, notamment par la valorisation de capacités motrices détenues par certaines filles, peut renforcer dans le même temps la hiérarchie au sein de chaque groupe de sexe. De même, les compor­tements des élèves varient selon les modalités d’enseignement mises en œuvre (voir encadré). Paul organise une séance de gymnastique autour de cinq ateliers. À chaque étape, les élèves disposent d’une fiche sur laquelle sont indiqués le mouvement à effectuer, les critères de réussite de la figure gymnique ainsi que quelques indicateurs corporels et sensoriels leur permettant de s’auto-évaluer. Lors de la première séance, il fait la démonstration de toutes les figures à réaliser en plus de la fiche. Les groupes d’élèves qui tournent sur les différents ateliers ne sont pas mixtes. La majorité des filles reprend la fiche et relit les exigences avant de commencer la pratique des exercices. En revanche, la plupart des garçons font des essais de mémoire, sans consulter les indications écrites. L’enseignant reste au milieu de la salle et regarde l’ensemble des groupes pratiquer les différents ateliers. Il intervient quand il repère un élève perturbateur, en difficulté ou qui met son intégrité physique en danger. À la fin du cycle, les filles ont une marge de progression plus importante que les garçons. Leur moyenne est légèrement plus haute alors que, selon le discours du professeur tenu lors de la première séance, elles avaient un moins bon niveau que les garçons. Par exemple, Djamila n’arrive pas à faire une roulade arrière au début du cycle. Elle obtient au bout des six séances la note maximale sur l’élément. À chaque fois qu’elle passe sur l’atelier, elle lit attentivement les indications, fait des commentaires à voix haute sur les indicateurs et demande des conseils ou des retours à ses copines du groupe. Boris organise sa séance de gymnastique de manière « militaire ». Tous les élèves alignés face à lui (sur trois rangées décalées afin de les avoir tous dans son champ de vision) disposent d’un tapis de gym. Le professeur leur demande d’exécuter une roulade avant. Après avoir expliqué oralement le mouvement, il souffle dans un sifflet pour donner le départ. Tous les élèves s’exécutent en même temps. Sans bouger de sa place, il donne des retours correctifs personnalisés à un ou deux élèves, qu’il repère en échec sur l’essai, devant l’ensemble de la Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 classe. Souvent il s’adresse essentiellement aux garçons et notamment aux plus bruyants. Quand il entend souffler Rédah qui n’arrive pas à faire un ATR (16), il lui demande d’arrêter son cinéma et lui conseille de gainer son corps : « Serre les fesses et rentre le ventre, t’es tout mou là, c’est pour ça que ça marche pas ! » À la fin du cycle, les filles ont une moyenne bien plus basse que les garçons. Celles repérées en difficulté le restent jusqu’à la fin. Ainsi, à l’instar des travaux de Coupey (1995) qui analyse les effets des exigences des maîtres sur les différences de performance entre filles et garçons lors des séances d’EPS au cours préparatoire, ces exemples révèlent l’importance des modes de transmission privilégiés par les enseignants sur les apprentissages des élèves des deux groupes de sexe. Selon Lahire (1998), les pratiques d’écriture sont fortement féminisées au sein de l’espace domestique, les incitations à lire et à écrire émanant le plus souvent des mères. De fait, les explications avec support écrit sollicitent des compétences plutôt détenues par les filles ou les garçons dotés en capital scolaire. Dans cette perspective, l’utilisation de fiches apparaît comme un moyen possible de limiter les effets de production et de reproduction des différences de genre lors des inter­ actions enseignants/élèves. En effet, les travaux en sociologie de l’éducation montrent que les pro­ fesseurs, sans en avoir conscience, interagissent plus avec les garçons qu’avec les filles (Kelly, 1988 ; ­Zaidman, 1996) et ce, quel que soit leur sexe ­(Mosconi, 1999 ; Brophy, 1985). Mettre par écrit les indications principales concernant la figure à effectuer permet donc aux filles de situer leur performance et de corriger leur pratique. Cependant l’usage de cet outil pédagogique ne semble pas adapté aux garçons en échec scolaire, peu sportifs et en position de bouc émissaire dans la classe. En effet, les enseignants prodiguent peu de feedback à ces élèves en raison de leur discrétion. De même, les observations mettent en évidence leur difficulté à utiliser la fiche comme support d’apprentissage (ils ne la lisent pas). L’EPS constitue donc pour eux une double contrainte relative à la logique « scolaire » d’une part et à la logique « sportive » d’autre part. Enfin, dans un contexte atypique comme la classe « option sport » (17), ­l’influence de l’enseignant, combinée à « l’effetclasse » (Bressoux, 1995), construit un espace de pratique au sein duquel la hiérarchie sexuée s’inverse partiellement. En effet l’élève considéré comme le leader incontesté de la classe est une fille, Flora. L’autorité de Flora repose sur trois éléments : sa compé­tence sportive, sa maîtrise de la culture de rue et la reconnaissance octroyée par l’enseignant. Ses dispositions sexuées inversées s’expliquent notam ment par sa socialisation familiale (voir détails dans l’encadré ci-dessous). Sa mère, auxiliaire de vie dans une école maternelle, et son père, ouvrier dans le bâtiment, ont trois filles, dont Flora et sa sœur jumelle Linda, âgées de 16 ans. Flora considère qu’elle est plus proche de son père que de sa mère, à l’inverse de sa sœur. Elle se définit comme un « garçon manqué » et considère sa sœur comme une fille beaucoup plus « calme » et « fille » (18). Elle explique que très jeune, elle préférait jouer avec son père au foot, regarder les matchs avec lui à la télévision, le suivre pour aller faire les courses plutôt que de rester enfermée chez elle avec sa mère, sa grande sœur et Linda à faire le ménage, le repas ou regarder « des émissions débiles toute la journée ». Elle semble ainsi endosser le rôle du « garçon manquant » (Daune-Richard & Marry, 1990) dans sa famille. En effet, les parents de Flora s’occupent chacun, de manière spécifique, d’une des deux jumelles. En l’absence d’un fils, le père de Flora transmet à sa fille la plupart de ses goûts culturels et notamment celui pour la pratique physique et la socialisation du dehors. Ce type de configuration familiale explique l’engagement de certaines filles dans des activités masculines (Mennesson, 2005). Les dispositions et le rapport au corps de Flora, construits au cours de sa socialisation familiale et sportive, s’actualisent lors des situations de face-à-face au sein de la classe « option sport ». Repérée par Christophe, son professeur d’EPS, elle intègre sur ses conseils cette classe, ainsi que le club de boxe (situé à l’extérieur du quartier) dans lequel il entraîne un groupe d’adolescents. En valorisant les compétences sportives de la jeune fille par ses choix pédagogiques, il amplifie voire légitime la position dominante de Flora au sein du groupe classe. Par exemple, il la présente aux autres élèves comme la plus performante de la classe et lui donne souvent la responsabilité de l’échauffement ou la surveillance du groupe lorsqu’il s’absente. L’hétéro­ généité des dispositions de Flora incorporées au cours de sa socialisation familiale, sportive, scolaire et au sein du quartier lui permet donc de s’adapter aux différentes situations d’interaction et de bénéficier d’une double reconnaissance : celle des élèves et celle de l’institution. Néanmoins, en dépit de ses performances sportives, Flora considère que les filles sont « physiquement moins fortes » que les garçons. En se définissant comme une fille dotée de qualités exceptionnelles, elle confirme la hiérarchie entre les sexes et conforte sa position de dominante en tant que femme atypique. Ainsi l’analyse des pratiques professionnelles des enseignants, combinée à celle des caractéristiques (morphologiques, scolaires, sociales) des élèves en interaction, permet de La mixité dans les cours d’EPS d’un collège en ZEP : entre distance et rapprochement des sexes 27 ­ omprendre les comportements de genre à l’œuvre c au cours des séances d’EPS. Par leurs choix pédagogiques qui s’actualisent dans les situations de faceà-face, les enseignants influencent l’investissement des filles et des garçons dans les activités, leurs résultats scolaires et leur position au sein du groupe classe. CONCLUSION Même si les cours d’EPS mettent les filles et les garçons en situation de co-présence, le regroupement des élèves par sexe structure la plupart des situations. Les observations mettent en effet en évidence un ordre des interactions largement sexué, qui s’impose aux adolescents comme aux enseignants. Les élèves interagissent de manière privilégiée avec leurs camarades du même sexe et conservent une certaine distance avec ceux du sexe opposé. Si ces modes de groupement par sexe précèdent l’activité de l’enseignant, la question de la construction de la mixité ne fait pas pour autant l’objet d’une réflexion pédagogique de la part de l’équipe d’EPS. De fait, les représentations des professeurs et leurs pratiques pédagogiques participent à maintenir les différences entre les filles et les garçons, ainsi que la hiérarchie sexuée. Cependant certaines modalités de pratique et d’enseignement mises en place peuvent parfois nuancer les hiérarchies au sein de la classe et l’investissement différencié des filles et des garçons. Par ailleurs, l’enquête tente d’articuler une approche inter­actionniste à une sociologie des dispositions, en analysant conjointement les interactions et les propos des enquêtés. Cette posture théorique et méthodologique nous paraît importante à développer dans l’étude des rapports sociaux de sexe, l’observation permettant dans un premier temps de repérer l’ordre sexué du contexte étudié, les entretiens venant par la suite éclairer les différences de comportement observées. Ainsi les interactions entre élèves sont assimilables à des matrices de socialisation dans lesquelles les acteurs, porteurs d’une histoire, expriment et construisent leur identité sexuée par et pour le regard des autres. Carine Guérandel [email protected] Centre de recherche Individus, épreuves, sociétés, université Charles-de-Gaulle-Lille 3 Fabien Beyria Collège Anatole-France de Montataire notes (1) Dans cette perspective, les résistances à la mixité entre élèves, qui perdurent jusqu’à la fin des années 1960 (Arnaud & Terret, 1996), mais également à la mixité entre élèves et enseignants, apparaissaient comme un moyen d’éluder le problème. Le maintien, jusqu’à la fin des années 1980, des concours séparés pour les hommes et les femmes pour l’obtention du certificat au professorat d’EPS témoigne de l’importance des résistances de la profession à l’égard de la mixité. (2) À partir d’une enquête par questionnaire (auprès de 378 collégiens) portant sur la pratique sportive de collégiens issus des milieux populaires urbains, une des auteurs montre que 30 % des filles interrogées pratiquent une activité sportive institutionnelle, contre 60 % des garçons. (3) Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une thèse portant sur la socialisation sexuée des adolescents des quartiers populaires urbains au cours des situations sportives (Guérandel, 2008). (4) Toutes les données chiffrées sont tirées du diagnostic figurant dans le projet d’établissement du collège de l’année scolaire 2004-2005. (5) Tous les noms des enseignants et des élèves cités au fil du texte sont des pseudonymes. Le choix de nommer les enquêtés par le prénom marque le degré d’affinité construit au cours du travail de terrain. (6) Seul Christophe évite la situation d’entretien en reportant régulièrement les dates des rendez-vous fixés. Cependant la prise de notes de nos conversations pouvait s’effectuer quasiment en temps réel dans le journal de terrain. (7) Les discussions avec les enseignants observés sont nombreuses durant les séances d’EPS (en se rendant au gymnase, durant les 28 moments de pause, pendant que les élèves pratiquent leur activité, en revenant au collège). Les échanges avec les autres professeurs ont lieu durant la récréation dans la salle des professeurs, lors de rencontres fortuites au gymnase ou lors de soirées. (8) Il s’agit d’une hiérarchie définie par l’enseignant : s’il y a 8 terrains de badminton dans le gymnase, l’enseignant désigne le ­t errain n° 1 comme celui à atteindre (représentant le meilleur niveau de jeu) et le terrain n° 8 où joueront les joueurs les moins performants. C’est le principe de la « montante descendante », bien connue et utilisé par les enseignants d’EPS : les élèves se répartissent de manière aléatoire pour le 1 er match sur les différents terrains, celui qui perd « descend » d’un terrain (et celui qui gagne « monte » d’un terrain, et ainsi de suite). (9) Le capital guerrier renvoie à l’accumulation du capital social, c’est-à-dire le réseau relationnel (il faut éviter la solitude apparentée à de la faiblesse et maîtriser le « vice »), à la force physique symbolisée par un corps d’athlète musclé et passe également par la discipline morale axée sur la surveillance de son honneur (savoir réagir devant une provocation par la violence ou la maîtrise de la « tchatche »). (10) Au cours de l’exercice, une seule fille reprend là où elle a chuté et se fait, de fait, moquer par ses camarades féminines pour son sérieux et son manque de ruse. (11) L’analyse de la casuistique de l’affrontement mixte renvoie à l’étude réalisée par Bourdieu (2000) sur la préservation de ­l’honneur chez les kabyles, résumée par le proverbe : « L’homme qui défie un homme incapable de relever le défi se déshonore Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 lui-même ». Dans le cas du judo, l’asymétrie des échanges repérée lors des combats mixtes révèle l’inégale valeur des combattants (Guérandel & Mennesson, 2007). Les garçons considèrent être plus puissants que les filles et ne souhaitent pas leur faire mal. Les filles interrogées évoquent également la supériorité physique des garçons dans le combat. (16) L’Appui tendu renversé (ATR) consiste à maintenir le corps aligné (tête, bras et jambes tendus à la verticale) en équilibre sur les deux mains. (14) Davisse (Louveau & Davisse, 1998) montre également que les groupes laissés à l’initiative des élèves par l’enseignant d’EPS se construisent selon l’appartenance de sexe. (17) La 4e « option sport » permet la confrontation de filles sportives avec des garçons en réussite scolaire. Le profil atypique de cette classe (considérée comme la meilleure du collège par les professeurs) s’explique essentiellement au regard des critères de sélection « élitiste » des élèves. Le critère objectif de niveau scolaire associé au critère subjectif de l’attitude, c’est-à-dire l’« acceptabilité morale » de l’élève, permet à l’enseignant de « fabriquer » non seulement une classe de niveau, mais également une « classe d’ambiance » (Payet, 1997). Les résultats scolaires et les comportements des élèves dépendent en partie de leurs caractéristiques sociales : sont ainsi recrutés les élèves les moins démunis socialement, pour qui le respect des normes scolaires prévaut sur celui des codes de la culture de rue. (15) Quand les élèves organisent de manière autonome le rangement du matériel, ils reproduisent cette division sexuée des tâches. (18) Elle veut dire par là plus « féminine » relativement à l’apparence corporelle et aux attitudes. (12) Dans certaines classes, quelques garçons préfèrent le basketball au football. (13) Les filles qui émettent l’envie de jouer au football avec les garçons sont vite découragées (elles ne sont pas sélectionnées par les chefs d’équipe lors de la constitution des groupes). BIBLIOGRAPHIE Arnaud P. & Terret T. (1996). Histoire du sport féminin, tome 2 : Sport masculin-sport féminin : éducation et société. Paris : L’Harmattan. Beaud S. & Pialoux M. (2003). Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classes dange­ reuses. Paris : Fayard. Belotti E. (1974). Du côté des petites filles. Paris : Éd. des Femmes. Bourdieu P. (1998). La domination masculine. Paris : Éd. du Seuil. Bourdieu P. (2000). Esquisse d’une théorie de la pratique. Paris : Éd. du Seuil. Bressoux P. 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Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants Samuel Julhe et Stéphanie Mirouse L’image de la « jeune ballerine » ou du « petit rat de l’Opéra » est très largement évoquée dans l’ensemble des travaux portant sur les danseurs. Cependant peu d’entre eux se sont spécifiquement intéressés aux premières années d’apprentissage de la danse. Cet article rend compte d’un travail ethnographique de longue durée auprès de deux groupes de jeunes danseuses débutantes, âgées de 4 à 11 ans. L’article se propose plus particulièrement de recourir aux conceptualisations d’Alfred Schütz afin d’aborder le sens qu’enfants, parents et enseignants donnent à la pratique de la danse. En particulier, la notion de « système de pertinence » et ses corrélats permettent de mieux appréhender les espaces de tension et de négociation qui peuvent résulter des différences de conception entre ces acteurs. Descripteurs (TESE) : sociologie de l’éducation, relation adulte-enfant, éducation des loisirs, éducation physique. Introduction À travers l’image stéréotypée de la « jeune ballerine » ou du « petit rat de l’Opéra », de nombreux travaux consacrés aux danseurs, notamment professionnels, insistent sur la période de l’enfance et sur l’importance des premières années de pratique pour décrire la force de dispositions sociales construites précocement à travers un engagement « corps et âme » (Perreault, 1988 ; Sorignet, 2001 ; Valentin, 2005). Ces recherches ont un grand intérêt pour ­comprendre la construction des carrières propres au monde de la danse (1). Toutefois les discours recueillis auprès de danseurs qui ont « réussi » sont par définition des reconstructions a posteriori, qui nous en apprennent finalement assez peu sur ce qui se déroule réellement durant les premières années de formation. Force est de constater que les travaux portant spécifiquement sur des enfants pratiquant la danse sont rares, hormis lorsque cette activité se déroule dans un cadre scolaire (Bruneau, 1993 ; Lord, 1998 ; Lacince, 2000 ; Leijen, Lam, Simons et al., 2008). Le travail particulièrement éclairant réalisé par Faure (2000) sur les modalités d’apprentissage des techniques de danse ne fait pas exception, dans la mesure où la grande majorité de ses observations porte sur de jeunes danseuses, collégiennes ou lycéennes, voire plus âgées, ayant déjà plusieurs années de pratique derrières elles ou étant inscrites dans des filières d’excellence. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 31-41 Partant de ce constat, la recherche dont nous présentons les résultats (2) s’intéresse à la période d’initiation à la danse classique ou contemporaine de ­jeunes filles âgées de 4 à 11 ans et pratiquant la danse dans deux structures associatives (cf. l’encadré ci-dessous et en annexe). Le questionnement général se situe au croisement d’une sociologie de la sociali­sation (3) (Darmon, 2006) et d’une sociologie de l’enfance (4) (Sirota, 2006). Plus précisément, cet article aborde la manière dont se différencie le rapport à l’activité entre enfants, parents et enseignants. En effet on peut faire l’hypothèse que ces trois types d’acteurs n’entretiennent pas un rapport strictement identique à la danse, à ce qu’elle signifie, à ce qui doit être enseigné, aux perspectives qu’elle offre pour l’avenir, etc., conduisant à des usages différenciés des cours de danse. Pour établir cette analyse, qui adopte résolument un point de vue compréhensif, nous proposons de recourir aux travaux d’Alfred Schütz (1899-1959), dont les conceptualisations des formes de connaissance et leur confrontation à des objets empiriques ne semblent pas encore avoir été pleinement exploitées (Schrecker, 2009). Celles-ci permettent notamment de penser la manière dont se constituent les « systèmes de pertinence » individuels, définis comme l’ensemble des « éléments de la structure ontologique du monde pré-donné et du stock de connaissances […] pertinents pour l’individu, lorsqu’il définit par la pensée, par l’action, émotionnellement, sa situation, afin d’y établir sa voie, et d’y faire face » (Schütz, 2007, p. 123). Autrement dit, on cherche ici à savoir ce qui structure le sens que les individus (enfants, parents, enseignants) donnent à un objet du monde social, ici faire de la danse quand on est enfant. Trois éléments sont pris en compte : les motifs qui orientent l’action, avec une distinction entre « motifs parce que » (« because ­motives ») et « motifs en vue de » (« in order to ­motives ») ; les modes de connaissances construits vis-à-vis de l’objet considéré, polarisés autour de « savoirs vagues » (« knowledge about ») et de « savoirs directs » (« knowledge by acquintance » (5)) ; enfin les références aux personnes qui entourent ­l’individu, classées en quatre groupes (les « sem­ blables », les « contemporains », les « prédécesseurs » et les « successeurs »). culturelle envisagée sur le long terme. Cette différenciation dans la définition et les usages de l’activité permet de repérer des systèmes de pertinence en partie divergents, qui ouvrent des espaces de négociation, voire de tension et de résistance, lors des interactions entre enfants et enseignants ou encore entre enseignants et parents. En définitive, ce travail vise à rendre compte de la construction et de la modification progressive du rapport à une activité lors des premiers temps d’initiation, approche qui dépasse le seul cadre de la danse et qui pourrait être étendue à d’autres pratiques sociales, ainsi qu’à l’ensemble du processus de socialisation. Abordant tour à tour le point de vue des enfants, des parents et des enseignants, l’analyse montre notamment que les enfants se réfèrent avant tout à des aspects techniques immédiatement perceptibles, qui peuvent être rapportés aux dimensions les plus médiatisées de la pratique, tandis que les adultes sont davantage tournés vers une finalité d’ouverture « Mouvements dansés » est une structure associative créée en 2006 par Fleur Holzer, une ancienne danseuse professionnelle reconvertie à l’enseignement. Âgée d’une quarantaine d’années, elle est à la fois directrice artistique et unique enseignante de la structure. Elle propose depuis plus de dix ans des cours de danse contemporaine à un public âgé de 4 à 25 ans et compte une cinquantaine d’élèves réguliers, répartis en différents ateliers 32 Les résultats de ce travail proviennent d’une enquête réalisée auprès de deux structures d’éducation chorégraphique. Pour chacun des deux terrains, l’objectif était de combiner données d’observation et recueil d’entretiens semi-directifs. Une centaine d’heures d’observation ont été réalisées, complétées par des entretiens avec les deux enseignantes et dix parents (cf. en annexe). Lors des observations, nous avons cherché à saisir un vaste ensemble d’éléments saillants, portant aussi bien sur les aspects sexués que sur la sociabilité, la description des autres pratiques de loisirs, ou encore l’affirmation de goûts et de dégoûts. Les deux structures sont implantées dans une grande agglomération française. Elles sont exclusivement ouvertes à un public amateur, aucun objectif de professionnalisation ou de préparation à d’éventuels concours n’étant développé. L’« Académie de danse (6) » est une école de danse associative implantée en centre-ville depuis 27 ans. La structure est propriétaire de ses studios et compte 5 professeurs pour 110 élèves réguliers. Les styles de danse proposés sont le classique, le jazz, le hip-hop et le moderne. Chacune de ces techniques est déclinée en différents niveaux, allant de la petite enfance à l’âge adulte. Les séances d’observation ont été effectuées dans un cours hebdomadaire d’initiation à la danse classique où sont inscrites huit filles, âgées de 4 à 6 ans, débutantes dans l’activité. L’enseignante, Astrid Coenne, âgée d’une trentaine d’années, est principalement employée comme danseuse dans une compagnie professionnelle. Au moment de l’observation, elle réalise ses premières expériences d’enseignement et y voit à la fois une manière de « s’ouvrir de nouvelles perspectives » en cas de reconversion et surtout une façon de « faire ­goûter la danse aux petites ». Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 et dont elle cherche à développer la « créativité ». L’association n’est pas propriétaire des locaux et loue des studios dans le centre-ville. Il s’agit de l’une des très rares structures de l’agglomération à proposer des cours de danse contemporaine à des enfants. Les observations ont été réalisées en situation de « stage », c’est-à-dire lors de périodes de pratique intensive organisées à ­l’occasion des vacances scolaires. S’y rencontrent des élèves prenant déjà des cours hebdomadaires dans ­l’association, mais aussi de jeunes danseuses plus occasionnelles qui viennent s’essayer à la danse. Ce public, exclusivement féminin, est très hétérogène en termes d’âge (de 4 à 11 ans). Pendant ces stages, hormis le contemporain qui est prépondérant, plusieurs autres ­styles de danse sont proposés (classique, hip-hop, danse indienne). L’emplacement géographique de ces deux structures permet de comprendre les caractéristiques sociales du public observé. Comme le rappelle Michèle Métoudi (1987) : « Un cours de danse classique, ouvert aux enfants dans une MJC de banlieue défavorisée, contraste sans doute fortement avec un cours, tout aussi classique, tout aussi ouvert aux enfants, donné en école privée dans un quartier chic de Paris. » Dans notre cas, les zones de recrutement des élèves se limitent à l’hypercentre de l’agglomération. La population enfantine observée provient ainsi très majoritairement de catégories sociales favorisées, à la fois sur le plan économique et culturel. La plupart des parents exercent un métier de cadre ou de profession libérale. Ces enfants cumulent par ailleurs un ensemble d’activités fortement connotées socialement : danse, piano, violon, équitation, chant, etc. De même, toutes les jeunes filles observées sont en bonne réussite scolaire, lisent beaucoup, fréquentent assidûment les salles de spectacle et les musées (cf. en annexe). Des enfants à la recherche de la « vraie danse » Malgré le très jeune âge des petites danseuses au moment d’entrer dans la pratique (cinq ou six ans, voire quatre ans pour certaines), ces enfants ne débutent pas l’activité ex abrupto, en étant dépourvues d’images sur le monde de la danse. Elles entretiennent déjà avec lui une certaine familiarité, qui peut constituer le motif subjectif de l’entrée dans l’activité. À un premier niveau, on fait ici référence au rôle joué par toute une série de films ou d’ouvrages qui assurent la médiatisation de la danse auprès des jeunes enfants (7) et qui s’intègrent plus largement dans un univers de consommation dit de « petites princesses », constituant actuellement un axe éditorial parti culièrement développé (Monnot, 2009 ; Glévarec, 2010). Les entretiens avec les parents indiquent fréquemment le rôle déclencheur joué par ces différents médias : « Pour l’anecdote, Sophie a commencé la danse [à 4 ans et demi] en voyant Barbie Casse-noisette. Elle a décidé qu’elle voulait danser comme Casse-noisette. […] Après, elle m’a tannée pendant six mois pour que je l’inscrive au cours de danse. Donc, au bout de six mois, je craque et je l’ai inscrite » [mère de Sophie, 10 ans, CM2, père ingénieur, mère responsable d’études marketing]. « Elle avait très envie de faire de la danse, parce qu’en fait elle avait plein de Barbie danseuses […] On allait dans un vidéo-club et on avait un abonnement pour enfant, donc on a loué tout ce qui existait, qui était à peu près de son âge […] : les DVD Barbie Lac des cygnes, Barbie Casse-noisette. […] On a découvert par hasard, parce que moi je connaissais pas. Ça lui a plu, donc après on a acheté » [mère d’Amy, 6 ans, CP, père cadre dans un CHU, mère professeure de lettres]. Les séances d’observations montrent à quel point ces références sont profondément ancrées dans l’esprit des jeunes débutantes et comment elles sont mobilisées dans la relation établie avec l’enseignante ou encore avec les parents : Amandine explique à l’enseignante qu’elle a un gros livre de danse à la maison « avec que des barres », et que sa mère lui « lit tous les soirs, parce que sinon elle dit que je vais pas savoir faire » [cours d’Astrid, septembre]. Astrid profite de la fin du cours pour montrer au groupe quelques pages du « livre de danse » apporté par Marguerite. Elle montre notamment des photos d’une représentation du Lac des cygnes. Plusieurs filles commentent alors : « Mais oui, Le Lac des cygnes c’est de la danse. Il y a Barbie dedans ! » [cours d’Astrid, octobre]. À un second niveau, la pré-connaissance de la danse peut également être rattachée à des relations avec des camarades d’école, elles-mêmes pratiquantes et dont les discours peuvent, par mimétisme, entraîner d’autres enfants dans l’activité : « Lise a commencé la danse à cinq ans, en grande section de maternelle, en milieu d’année. […] Elle voulait avoir une activité comme les copines de l’école qui faisaient de la danse à un autre endroit, qui lui parlaient de la danse. Ça a commencé comme ça » [père de Lise, 9 ans, CM1, père cadre informaticien, mère responsable commercial]. « Au départ c’était beaucoup de copinage. Retrouver les copines. Il y avait déjà un trio créé à l’école. […] Elle avait une de ses copines qui disait : “Je fais de la danse”, donc elle s’est dit pourquoi pas moi… » [père de Sarah, 10 ans, CM2, père conseiller en GRH, mère chargée de communication]. Dans ces deux types de situation, l’entrée dans l’activité prend sens pour l’enfant à partir d’une même Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 33 catégorie de motifs, qualifiés de « motifs parce que ». L’action, définie comme une « conduite motivée en termes de projet préconçu » (Schütz, 1994, p. 103), y est référée aux expériences passées, incorporées à la « réserve de connaissances » (Schütz, 2007, p. 73-77). De plus, dans les deux cas, le savoir sur l’activité dont disposent les enfants prend la forme d’un « savoir vague », imprécis et partiel, mais suffisant pour se forger un point de vue sur l’objet et orienter l’action « jusqu’à l’apparition de la contre-évidence » (Schütz, 2008, p. 206). Concrètement, ce savoir tourne principalement autour de la danse classique et se cristallise de deux manières distinctes : à travers l’usage d’objets et d’accessoires, relativement fétichisés, tels la barre, les pointes, le justaucorps ; par l’intermédiaire de figures et de formes corporelles emblématiques, comme les grands jetés, les pirouettes, les bras en couronne. Lors des toutes premières séances d’initiation, les attentes sont nombreuses sur ces points : Première séance : avant même l’entrée de l’enseignante dans le studio, les filles déjà présentes s’approchent des barres pour les regarder et les toucher. Elles esquissent des semblants de grands jetés ou mettent maladroitement les bras en couronne en montant sur les demi-pointes [cours d’Astrid, septembre]. Troisième séance : Olivia demande : « Quand est-ce qu’on va faire des barres ? » Astrid répond que le « travail à la barre » débutera autour de la période de Noël. De façon unanime dans le groupe, l’annonce est accueillie avec beaucoup de déception et de protestations [cours d’Astrid, septembre]. Pour les jeunes débutantes, ce savoir et ces ­ ttentes sont des « allant de soi » (« taken for a ­granted »), difficiles à remettre en question, qui constituent ce qu’elles nomment elles-mêmes la « vraie danse ». Elles ne manquent d’ailleurs jamais de relever les décalages qui peuvent apparaître entre leur définition de la pratique et ce que propose l’enseignante : Le cours de danse contemporaine a débuté depuis 25 minutes. Les filles sont amenées à manipuler des coussins pour ensuite retrouver cette « qualité de contact et de mouvement » dans une improvisation tournant autour de l’idée de « moelleux ». Marine, 6 ans, qui fait ici son premier stage, demande : « C’est quand la danse ? » L’enseignante, troublée, répond avec une légère gêne : « C’est déjà de la danse… Tu sais, c’est bizarre la danse contemporaine » [cours de Fleur, octobre]. Lors du cours de hip-hop, les enfants sont amenés à apprendre « le robot » (série de mouvements saccadés visant à imiter un déplacement mécanique). Émilie, 4 ans, sort du groupe pour aller s’agripper et se suspendre aux barres qui longent le mur du studio. Pensant que per- 34 sonne ne l’entend, elle s’exclame : « Moi, je veux faire de la vraie danse ! » [cours de Fleur, octobre]. Faire de la « vraie danse », c’est également pour les débutantes adopter une attitude corporelle conforme à ce qu’elles attendent de l’activité : Lors des exercices d’étirement qui débutent le cours, Olivia exagère très nettement les ports de bras. Après coup, elle indique : « Quand je l’ai fait, je me serais cru une vraie danseuse. » Elle surenchérit afin de capter ­l’attention de l’enseignante : « Hein, je l’ai fait comme si j’étais une vraie danseuse » [cours d’Astrid, septembre]. Dans ce cadre, on retrouve bien l’idée selon laquelle « toute action se réfère par son être projeté à des préexpériences organisées dans ce que l’on peut appeler le “stock de connaissances”, réellement disponible, qui est donc la sédimentation des actes préalablement expérimentés avec leurs généralisations, formalisations et idéalisations » (Schütz, 1994, p. 103), projection qui « comme toute autre anticipation comporte ses horizons vides qui ne seront remplis que par la matérialisation de l’événement anticipé » (Schütz, 2007, p. 72). Nous verrons par la suite comment les enseignantes sont amenées à déconstruire ces « savoirs vagues » pour établir chez l’enfant un « savoir direct » de l’activité, c’est-à-dire une activité vécue, et surtout étendre l’« horizon interne » des jeunes pratiquantes (8). Finalement, lors des premiers temps d’initiation, ces jeunes danseuses entretiennent moins un rapport technique à l’activité qu’une forme de projection dans un imaginaire largement partagé par une grande partie de leur groupe de pairs, que l’on subdivisera en semblables (« consociates »), individus avec qui nous partageons le même environnement lors de la situation de référence, autrement dit ici d’autres enfants pratiquant la danse, et contemporains, qui ne sont pas directement présents lors de la situation de référence, c’est-à-dire ici l’ensemble des enfants ne pratiquant pas la danse, avec lesquels le partage d’expérience ne peut être qu’indirect (Schutz, 2009 ; Noschis & Caprona, 2008, p. 253-257). Des parents aux motifs diversifiés Aux yeux des parents, la danse apparaît de prime abord comme un désir « bien naturel » propre à « toutes les petites filles », ce qui correspond à la description de l’imaginaire de la « princesse » décrit précédemment. Il s’agit plus particulièrement pour eux d’insister sur le plaisir pris par l’enfant à effectuer l’activité : Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 « La danse, c’est à la fois le plaisir de pratiquer une activité sportive et aussi artistique. C’est le fait d’associer les deux qui me plaît. Je trouve ça très joli, je trouve que c’est féminin. C’est cliché, mais j’ai un peu l’impression que toutes les petites filles ont envie d’en faire » [mère d’Amy, 6 ans, CP, père cadre dans un CHU, mère professeure de lettres]. « Nous, on l’a inscrite dans cette activité plus comme à un moment de plaisir… Dans mon esprit, il n’y avait pas l’idée de faire quelque chose d’assez rigide. Je voulais qu’elle fasse un peu de danse, qu’elle ait une activité tranquille […], que ce soit plutôt un moment de plaisir […], un lieu où elle puisse s’éveiller, quelque chose d’agréable » [mère d’Inès, 10 ans, CM2, père artiste chanteur, mère psychologue clinicienne]. La conception de l’individu qui entre en jeu ici est celle d’un sujet qu’il s’agirait de laisser s’exprimer librement, la technique n’étant finalement qu’un outil au service d’une « capacité créatrice » et d’une « nature intérieure ». La danse est présentée comme une manière pour l’enfant de développer des qualités corporelles et de s’épanouir à l’intérieur d’un univers qui lui est propre. Au-delà de cet aspect, les entretiens et les échanges informels effectués avec les parents nous renseignent plus en détail sur les systèmes de pertinence parentaux, et notamment sur les motifs présidant à l’inscription de leur fille dans un cours de danse. L’activité apparaît comme l’une des pièces d’un dispositif éducatif visant à favoriser un style de vie qualifié d’« ouvert sur le monde ». Bien que diversifiés, ces motifs renvoient précisément aux catégories schützéennes distinguant « motifs parce que » et « motifs en vue de » (voir Schütz, 2007, p. 73-77). Lorsque des parents évoquent des « motifs parce que », ils donnent sens à la pratique de leur fille au regard de leur propre « réserve d’expérience ». L’inscription de l’enfant en danse peut ainsi relever d’une tentative de transmission d’un héritage culturel familial, plus particulièrement maternel. Entre autres exemples, citons la mère de Marguerite qui dispose d’un savoir direct sur l’activité, ayant pratiqué la danse classique pendant quinze ans. Inscrire sa fille en danse est pour elle une manière de lui faire goûter aux plaisirs qu’elle dit avoir connus étant enfant : « J’ai un peu, je pense, orienté ses choix, le fait qu’elle choisisse le classique, parce que j’aimais bien. […] Moi ça m’a redressée physiquement […] le classique a une ­rigueur sur le port, le maintien, qui est bien… Et puis la souplesse… » [mère de Marguerite, 5 ans et demi, ­maternelle, père directeur commercial, mère responsable commercial]. Cette volonté de transmission s’objective également à travers le don de ses anciens « chaussons de pointe », alors que sa fille n’est pas encore en âge de les porter. Plusieurs ouvrages volumineux sur la danse lui ayant appartenu ornent également la bibliothèque de sa fille (cf. supra). Marguerite est explicitement investie d’une injonction à « bien » pratiquer, à se conformer aux codes, à la discipline et à la rigueur attendue en danse classique et ainsi à devenir une « vraie danseuse ». Cela se perçoit dans son comportement lors des séances observées. Il diffère nettement de celui des autres petites filles : elle se montre beaucoup plus calme, attentive et appliquée que ses camarades, elle est aussi la seule à venir systé­ matiquement coiffée d’un chignon ou vêtue d’un ­justaucorps blanc. Dans d’autres cas, l’inscription dans la pratique de la danse apparaît comme une tentative d’acquisition d’un capital manquant ou tout du moins perçu comme faisant défaut. L’exemple de la mère de Tania, une infirmière faisant partie des parents les moins socialement favorisés de notre échantillon, est particulièrement éclairant sur ce point. Pour elle, l’intérêt de la danse, dont elle n’a qu’un savoir vague, se conçoit avant tout à travers sa dimension d’éducation corporelle. En conduisant sa fille vers cette activité, elle indique faire en quelque sorte double emploi : d’une part, elle renoue avec l’esthétique populaire du « patinage artistique », activité qu’elle apprécie particulièrement et qu’elle regrette de ne pas avoir pu pratiquer étant enfant ; d’autre part, elle cherche à épargner à sa fille les problèmes de surpoids et les complexes physiques qui la touchent. Elle indique : « Moi j’ai toujours eu des problèmes de poids et je voulais pas que ma fille en ait. […] Je me suis dit : “Nous allons faire de la prévention.” […] Donc voilà, j’ai dit : “Si elle commence à faire du sport tôt elle aura les muscles élancés et tout ça, elle n’aura pas les soucis que moi j’ai” » [mère de Tania, 10 ans, CM2, mère ­infirmière]. Dans cette situation, la danse apparaît essentiellement comme une pratique « sportive » visant aussi bien la dépense énergétique que la formation du corps, l’objectif étant d’offrir à l’enfant une chance de ne pas reproduire ce qui est considéré comme un « manque » ou un « défaut » dans le parcours biographique parental. Dans les deux cas qui viennent d’être décrits, la pratique enfantine de la danse est rattachée à un passé incorporé et, dans une bien moindre mesure, à une dimension prospective définie par des horizons d’attente clairement délimités. De plus, les enfants sont ici inscrits dans une temporalité et un rapport inter-générationnel qui les situent entre les prédécesseurs que constituent les parents et les ­successeurs qu’ils sont en capacité de devenir. Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 35 Une tout autre mise en forme des discours parentaux correspond aux « motifs en vue de ». Le sens de l’action y est donné en rapport à l’avenir, vis-à-vis d’un projet ou d’un but (Schütz, 2007). Pour nombre de parents, la pratique de la danse est interprétée comme une manière pour leur fille d’acquérir un ­capital corporel qui pourra être valorisé par la suite : « À l’école, quand il y a des jeux de groupe où c’est le premier qui termine… Et ben, ça commence à faire des petits clans, des groupes qui s’entendent plus : “Ouais, c’est de ta faute si on a perdu, tu cours pas assez vite”, etc. Et Lise, c’est vrai qu’elle était pas très dégourdie. […] Et je lui expliquais à Lise : “Par le sport, la danse, tout ça, par la suite, quand tu vas rentrer au collège, tu seras beaucoup plus respectée que si tu restes la petite fille qui reste dans son coin”. La danse, c’est vrai que ça l’aide, ça la pousse. Et je suis persuadé que ça l’aidera par la suite. C’est un élément qui permet un peu de ­s’affirmer » [père de Lise, 9 ans, CM1, père cadre en informatique, mère responsable commercial]. « La danse ça représentait pour moi une petite fille, vraiment. La vraie danseuse. Et aussi pour le maintien. Le maintien du corps. Pour une future femme je trouve que c’est important. Donc… Ça sera important pour elle. […] Je me dis que j’essaierais de l’initier à la danse de salon, mais elle a le temps. Une dizaine d’années quoi. […] J’aimerais bien qu’elle aille voir ailleurs, vers le rock ou la salsa. J’aimerais l’amener à ça. Je me dis, si tu sais danser un bon rock, heu… tu vas en appâter des gars [rires] » [mère d’Inès, 10 ans, CM2, père artiste intermittent du spectacle, mère psychologue clinicienne]. Il s’agit également de cultiver une forme de capital social. Sur les deux terrains observés, l’inscription en danse permet à un noyau de jeunes filles de prolonger et de maintenir leur sociabilité scolaire, dans le sens où plusieurs camarades de classe pratiquent la danse ensemble (cf. supra). Dans le cours de danse contemporaine, on compte un trio et un duo de filles venant d’une même classe, tandis que dans le cours de danse classique cinq des huit filles viennent de la même école. Par ailleurs, au fil de l’année, les filles d’un même groupe s’invitent mutuellement pour des goûters, des anniversaires, voire pour dormir les unes chez les autres, telles Sarah et Sophie qui se disent « meilleures amies ». La constitution ou le renforcement d’un tel réseau amical contribue à maintenir l’engagement dans l’activité. Par ailleurs, les parents valorisent et favorisent cette sociabilité enfantine, qui leur permet d’entretenir leur propre réseau de sociabilité et d’entraide. Par exemple, certains parents profitent du temps de la séance pour ­discuter ou échanger conseils et services : La maman de Tania indique au père de Lise qu’elle a un souci pour samedi car elle est occupée toute la journée. Elle lui demande s’il peut venir chercher sa fille chez la grand-mère de Tania pour l’amener à la danse. Il est 36 ­ ’accord. On note qu’il sait déjà où habite la grand-mère d et qu’il connaît également son numéro de téléphone [dans les vestiaires, avant le cours de Fleur, décembre]. Dans le cadre des « motifs en vue de », il serait également possible de considérer le cas de parents envisageant la professionnalisation de l’enfant dans le monde de la danse, même en termes hypo­thétiques et d’horizon lointain. Néanmoins rappelons que les deux terrains observés sont des structures ama­ teures, au sens où il n’y a pas d’ambition liée à la professionnalisation des élèves ou au passage des concours d’entrée du Conservatoire de danse ou de l’Opéra de Paris. Ce type de perspective n’a donc pas été rencontré parmi les parents interviewés. Sur le plan analytique, contrairement aux « motifs parce que », où les enfants étaient placés dans un ­rapport inter-générationnel, les « motifs en vue de » les positionnent davantage dans un rapport intra-­ générationnel. Les parents concernés tendent ainsi à distinguer le groupe des semblables, qui rassemble les pratiquants de la danse dans une sorte d’entre-soi et le reste des contemporains, n’ayant pas accès aux bénéfices de ce type de pratique. Dans ce cadre, la danse est également envisagée du point de vue de son horizon externe, c’est-à-dire mise en relation avec d’autres activités de loisirs relativement ­légi­times, comme la pratique instrumentale (piano, ­violon, etc.), l’équitation, les arts plastiques, etc. (cf. en annexe). Bien entendu, ces deux types de motifs ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et doivent être considérés comme des formes idéal-typiques. De façon générale, quels que soient les cas ren­contrés, l’inscription en danse procède d’une injonction parentale au travail de soi sur soi. On retrouve chez ces parents l’idée développée par François de Singly (1993, 2006) selon laquelle l’éducation dans les classes sociales favorisées vise actuellement à donner à l’enfant un maximum d’« atouts », où la seule injonction est de chercher à devenir « soi-même » en développant des goûts ou des talents qui lui seraient inhérents. Il s’agit en ­quelque sorte de ­proposer à l’enfant l’éventail d’activités le plus large possible, en lui laissant le soin d’y piocher et de faire ses choix en fonction de sa personnalité. Des enseignants en recherche de compromis Avant toute chose, rappelons que les deux professeures de danse observées sont professionnelles. Même si elles ne se placent pas sur un registre pure- Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 ment « commercial » où il s’agirait de satisfaire à tout prix une « clientèle » (Le Dantec, 1998), ces enseignantes sont en grande partie tenues par des enjeux économiques qui leur imposent d’avoir un maximum d’élèves et de les fidéliser afin de pérenniser leur situation. Elles ne peuvent donc pleinement user de l’arme d’imposition de la définition légitime de la pratique, qui peut conduire à exclure les élèves non conformes aux canons de la discipline. Leur système de pertinence et le sens qu’elles donnent à la pratique enfantine sont à ce titre le fruit d’un compromis, périodiquement renégocié, entre les attentes parentales, celles des jeunes danseuses et leur propre rapport à l’activité. Les enseignantes doivent parfois transiger avec des parents, notamment ceux disposant d’un savoir direct sur l’activité, d’autant plus s’ils sont marqués par une représentation de la danse érigée en modèle de discipline et de rigueur. De légers conflits d’expertise surviennent lorsque ce qu’ils perçoivent de l’enseignement ­n ’entre pas ou plus en adéquation avec leurs expériences et leurs attentes. Cela peut conduire à des remises en question, voire des remises en cause, soit auprès des autres parents, soit directement auprès des enseignantes ou des ­responsables de la ­s tructure : La grand-mère de Coralie, qui a assisté à l’ensemble du cours, paraît consternée de ce qu’elle a vu. Le groupe était aujourd’hui particulièrement dissipé. Dans les vestiaires, devant les autres parents et les filles, elle fait des commentaires à voix haute sur le manque de discipline. Elle cherche le regard et l’attention des autres adultes, sans grand succès [cours d’Astrid, novembre]. [La semaine suivante,] c’est au tour de la mère de ­ oralie d’évoquer les problèmes de discipline, auprès de C la directrice et de l’enseignante. Elle indique : « La semaine dernière elles ont dansé que cinq minutes, le reste c’est de la police. […] Il faudrait que les parents disent à leur enfant de se tenir sage, moi à chaque fois je le fais avant le cours ». Sur ce, la maman de Marguerite passe et acquiesce, péremptoire : « Faut tenir ses enfants, il faut éduquer les enfants, c’est le rôle des parents ». La directrice récuse l’ensemble du propos en expliquant qu’il est normal que les filles jouent entre les exercices et précise : « La danse, c’est aussi un lieu où il faut exprimer sa personnalité, on n’est pas des gardeschiourmes ». À bout d’arguments elle ajoute que les parents ne doivent pas assister au cours, « mais vous serez surpris à la fin de l’année quand il y aura le spectacle de tout ce qu’elles auront appris » [cours d’Astrid, décembre]. Bien entendu, l’atteinte à la légitimité de l’enseignante ne porte jamais sur les aspects les plus techniques ou sur le contenu enseigné, mais plutôt sur la méthode, voire sur la « mauvaise éducation » que donneraient les autres parents. Vis-à-vis des enfants, les enseignantes peuvent difficilement rejeter en bloc leur image de la « vraie danse » et sont plutôt amenées à les prendre en considération. En effet, lorsque l’exercice proposé n’entre pas en adéquation avec leur imaginaire, les débutantes n’ont pas l’impression de « danser » et peuvent rapidement se désintéresser de l’exercice. Les enseignantes mettent en place un double processus de déconstruction et de reconstruction des savoirs vagues dont disposent les jeunes filles à leur entrée dans l’activité. Les images erronées doivent être déconstruites avec délicatesse, notamment lorsque cela met en jeu la rudesse du traitement que la danse fait subir au corps : Lors d’une pause entre deux exercices, Amy [6 ans] annonce fièrement à Astrid que « dans les chaussons il faut du bois au bout, pour avoir moins mal aux pieds. » L’enseignante retient un sourire, se penche vers l’enfant pour lui saisir le pied et lui montrer la manière dont les pointes viennent l’enserrer. Elle lui explique que le bois est là pour supporter son poids et que l’élément permettant d’avoir moins mal serait plutôt une pièce de cuir, « comme un coussin » [cours d’Astrid, septembre]. Les enseignantes s’appuient également sur le contenu de ces savoirs vagues, par exemple en mêlant ce qui est présenté comme du « travail » et des phases plus ludiques où le mouvement se débride et correspond davantage à l’image que les élèves ont de la « vraie danse ». En cours de danse classique, Astrid procède de la sorte lorsqu’elle argumente : « Quand vous ferez bien cet exercice, vous pourrez le faire à la barre » ou plus encore lorsqu’elle prend appui sur l’imaginaire des enfants : Au début du cours, les filles sont appelées à former un arc de cercle devant Astrid, Laura dit qu’elle « veut faire Cendrillon ». Par la suite, lorsqu’un exercice technique passe mal, l’enseignante revient sur cet échange et précise : « Tu vas apprendre à danser et après tu pourras jouer Cendrillon » [cours d’Astrid, novembre]. Cette mise en tension entre la représentation initiale de la danse et la manière dont elle est retravaillée par l’enseignante est d’une grande importance pour la poursuite dans l’activité, dans la mesure où un décalage trop important peut conduire à la déprise, voire à l’arrêt de l’activité. Maintenir la juste distance entre imaginaire et réalité de l’enseignement permet, d’une part, le passage des savoirs vagues aux savoirs directs, fondés sur un vécu corporel ; d’autre part, l’élargissement de l’horizon interne et donc des points de vue que l’enfant peut avoir sur la danse. Cet élargissement passe de manière simple par des anticipations d’expériences qui touchent par exemple la présentation de soi auprès des proches Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 37 (« La semaine prochaine, c’est portes ouvertes, vos parents vont pouvoir venir vous voir pendant le cours ») ; l’apprentissage de techniques nouvelles, fortement valorisées (« Dans quelques temps, après les vacances, on pourra faire de la barre ») ; la préparation de spectacles (« Au mois de juin, c’est le gala de fin d’année »). Ces horizons constituent tout simplement des projets, des objectifs à plus ou moins brève échéance, emboîtés les uns dans les autres, pour lesquels les jeunes filles éprouvent de l’envie, envie qui les pousse à s’investir. Au final, cela peut aller jusqu’à l’expression, par l’enfant lui-même, d’un avenir potentiel dans la danse, par exemple en indiquant son souhait ­d’entrer au conservatoire national de région : « Le choix du collège pour l’année prochaine, c’est la grosse discussion du moment. […] Elle se voit au conservatoire, faire de la danse tous les jours, parce qu’elle veut en faire de plus en plus. […] Bon, pour l’instant au niveau de l’école ça se passe bien, au niveau de la danse, très bien aussi. Donc… à voir. On n’écarte pas l’option » [mère de Sophie, 10 ans, CM2, père ingénieur, mère respon­sable d’étude marketing]. On touche ici aux phases de construction d’une vocation. Par ailleurs, l’élargissement de l’horizon interne par les enseignantes se réalise par la mise en relation de l’enfant avec des prédécesseurs propres au monde de la danse. C’est par exemple le cas lorsqu’elles donnent à voir une vidéo présentant « le Bolchoï, une très grande compagnie », lorsqu’elles racontent brièvement le parcours d’interprètes ou de chorégraphes renommés, lorsqu’elles invitent les jeunes élèves à assister à un spectacle ou, mieux encore, à une lecture démonstration (9). Ce sont là autant de moyens permettant la projection dans un avenir potentiel et la poursuite du déplacement de l’horizon interne, dans le sens où « mon expérience de ces horizons me convainc que chaque monde poten­ tiellement à ma portée, une fois atteint, sera entouré d’horizons nouveaux, et ainsi de suite. » (Schütz, 2009, p. 100). Enfin les enseignantes sont toujours à la recherche d’une sorte de compromis entre ce qu’elles perçoivent comme une pratique « authentique » (une certaine rigueur technique, l’acquisition de formes de corps, l’élaboration d’un processus de création, etc.) et le fait de proposer quelque chose qui soit « adapté » aux enfants, aussi bien à leurs désirs qu’à leurs capacités motrices. Cette tension est d’autant plus forte chez les deux enseignantes observées qu’elles ont elles-mêmes eu de longs parcours d’interprètes professionnelles. Pour elles, la priorité n’est en aucun cas la progression technique ou le repérage 38 de talents potentiels qu’il s’agirait d’aider à éclore et développer. Sachant bien que le type de structure dans lequel elles évoluent et le public auquel elles sont confrontées ne leur permettent pas d’entrer dans une logique d’expertise et d’élitisme, elles trouvent un compromis autour de l’idée d’ouverture culturelle et artistique, de formation d’un goût pour le monde de la danse. Pour Fleur (10), il s’agit de développer la « créativité » ou « l’inventivité », en pré­ supposant « qu’elles [les] retrouveront partout » et que cela a une forme ­d’utilité sociale dans « la vie de tous les jours ». Elle précise : « Pour moi c’est plus une découverte, un jeu, qu’une progression technique. […] Je veux faire une sorte de laboratoire de recherche. […] Le fait de faire des progrès techniques ou pas, ce n’est pas très grave si on n’en fait pas. Mais par contre, le fait de communiquer avec les autres, de s’ouvrir à autre chose… Elles vont avoir de nouveaux univers, de nouvelles manières de réfléchir peut-être… Ça ouvre. […] Le but c’est de les ouvrir à plein de choses différentes » [Fleur, 39 ans, professeure de danse contemporaine]. Pendant ses stages, elle souhaite faire découvrir plusieurs styles de danse, de manière à ce que les élèves identifient les différentes techniques, qu’elles prennent conscience de la variété des styles, et ­trouvent ce qui peut « leur correspondre ». Elle se situe ainsi dans un espace entre « découverte culturelle », « travail technique » et « amusement ». Pour Astrid (11), il ne s’agit pas de former de « futures ­étoiles », mais de faire en sorte que les petites filles s’amusent, prennent plaisir à venir, tout « en ­apprenant quelque chose » : « L’enseignement, c’est juste un petit plus par rapport au travail dans la compagnie… au moins pour l’instant […] Les filles d’ici, je sais qu’elles n’iront pas dans un grand ballet, mais c’est pas grave… L’important c’est qu’elles goûtent à la danse, qu’elles se fassent plaisir, mais quand même, je tiens à ce que ce soit juste au niveau des positions, des postures » [Astrid, 29 ans, professeure de danse classique]. Elle tente d’allier la recherche d’une rigueur tech­ nique, l’acquisition de « formes de corps », en proposant quelque chose qui soit adapté aux enfants, aussi bien à leurs désirs qu’à leurs capacités motrices, mais encore répondant aux attentes des parents. On retrouve ici tout le paradoxe que décrit Pascale ­Garnier (2004, 2006) au sujet des pratiques sportives enfantines, qui oscillent toujours entre activité spécifique, distincte de celle des adultes, et activité adaptée, propédeutique, devant conduire à la forme adulte. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Conclusion Cet article s’est attaché à mettre en évidence les différences de structuration des systèmes de pertinence des enfants, parents et enseignants vis-à-vis du sens qu’ils donnent à la pratique enfantine de la danse. S’observe ainsi la façon dont les enseignantes doivent en quelque sorte négocier entre leurs propres conceptions de la pratique et les attentes, souvent contradictoires, des enfants dont elles ont la charge et de leurs parents. Or, dans le cadre d’une pratique professionnelle de l’enseignement, décrypter ces attentes, généralement fondées sur des savoirs partiels et imprécis, parvenir à les satisfaire au mieux ou à les déconstruire s’avère indispensable pour capter et conserver un public de plus en plus exigeant. Pour les enseignants, quels qu’ils soient, effectuer un retour réflexif sur leurs conceptions de l’activité, ainsi que sur celles de leur public, peut s’avérer très utile, notamment dans le cadre du développement d’une didactique cherchant à favoriser l’autonomie et la responsabilisation de l’apprenant (Tousignant & ­Brunelle, 1993). En effet cette recherche de références partagées et d’une forme de compréhension mutuelle entre interactants, que Schütz nomme « relation de syntonie », est au fond de tout processus de transmission (Schütz, 2006). Plus largement, nous avons cherché à montrer empiriquement le caractère toujours fécond et heuristique de l’approche schützéenne de la connaissance et de l’action. La pertinence et l’intérêt de cette conceptualisation pour l’analyse des processus de socialisation apparaissent réels et significatifs. En effet le programme d’une sociologie de la socialisation, principalement fondé sur une mise en perspective des caractéristiques sociales des familles et des propriétés sociales des contextes d’interactions (pris comme matrices génératrices de représentations et de comportements, voir Darmon, 2006 ; Court, 2008), ne peut faire l’économie du sens que les acteurs don- nent à leurs actions, sans se priver d’éléments essentiels à la compréhension. Comme cela a pu être montré, enseigner une activité telle que la danse, c’est bien évidemment conduire à l’expérimentation d’un savoir direct, à l’acquisition de dispositions corporelles, par la transmission de techniques et de « formes de corps », mais c’est également ouvrir les jeunes pratiquantes à des horizons (internes et externes) qui leur étaient jusque-là invisibles, ou plutôt « appré­ sentés » pour reprendre la terminologie husserlienne. C’est aussi les inscrire dans tout un rapport au monde et aux autres, en les distinguant du reste de leurs contemporains et en les situant dans un domaine spécifique du monde social, sur une ligne séparant prédécesseurs et successeurs. C’est en cela qu’il est possible de poursuivre avec toujours plus de finesse une sociologie de la socialisation soucieuse de descendre encore davantage dans les plis les plus singuliers et les plus individualisés du social (Lahire, 1998). Cette perspective peut permettre d’observer au plus près ce qui est « sélectionné » parmi le flot d’informations parvenant à l’individu, mais aussi la manière dont certains éléments peuvent être « déformés » ou « hybridés » à partir des dispositions déjà incorporées (la réserve d’expérience décrite par Schütz) et des effets des multiples instances de socialisation dans lesquels il se trouve. En effet tout processus de socialisation, aussi contrôlé soit-il, est toujours sujet à des appropriations variées, difficilement prévisibles a priori. En somme, il s’agit d’aller toujours plus avant dans la compréhension du degré de plasticité des dispositions sociales construites durant l’enfance. Samuel Julhe [email protected] Sports, organisations, identités, université Paul-Sabatier-Toulouse 3 Stéphanie Mirouse Sports, organisations, identités, université Paul-Sabatier-Toulouse 3 notes (1) Cette appellation générique recouvre dans les faits un ensemble de styles techniques, de modalités de pratique et de publics fortement différenciés qui font de la danse un espace social à part entière (Métoudi, 1987). Évoquer « la danse », et non pas un type particulier de pratique parmi d’autres, est donc toujours un abus de langage, dont nous ferons cependant usage afin d’éviter d’alourdir le propos. (2) La présente recherche s’intègre dans le cadre d’un contrat établi avec le ministère de la Culture et de la Communication, portant sur le « rôle des loisirs culturels et sportifs dans la socialisation enfantine ». Que tous les partenaires de ce projet soient chaleureusement remerciés, plus particulièrement Christine Mennesson et Gérard Neyrand qui en ont été les initiateurs et les directeurs. (3) Parmi un très vaste ensemble d’approches, nous faisons avant tout référence aux travaux développés au sein du groupe de recherche sur la socialisation de l’université Lumière-Lyon 2, avec des auteurs tels que Martine Court, Muriel Darmon, Christine Detrez, Sylvia Faure et Bernard Lahire. (4) Dans ce domaine de recherche désormais clairement identifié, on peut par exemple citer parmi les auteurs francophones : Julie Delalande, Cléopâtre Montandon, Patrick Rayou ou encore Régine Sirota. (5) Schütz emprunte cette distinction à William James (1842-1910). Certains traducteurs de l’œuvre jamesienne utilisent plutôt les termes de « connaissance sur » (« knowledge about ») et Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 39 « connaissance par contact » ou « par familiarité » (« knowledge by acquaintance »). Nous avons ici employé la terminologie usuelle aux traductions des travaux d’Alfred Schütz, en men­ tionnant néanmoins les locutions anglaises. (9) Une lecture démonstration se définit comme la présentation ­d’extraits d’un spectacle par les danseurs d’une compagnie, ­précédée ou suivie par une discussion du public avec le (ou la) chorégraphe et les interprètes. (6) Tous les noms de structure, les noms de famille et les prénoms utilisés dans le texte sont des pseudonymes. (10) Fleur, âgée de 39 ans lors de l’enquête, a débuté la danse à l’âge de 7 ans. Elle intègre un conservatoire régional de danse et obtient un baccalauréat « option danse ». Elle est ensuite acceptée à l’école du Ballet de Maurice Béjart à Lausanne et débute une carrière de danseuse professionnelle auprès de ­différents chorégraphes. Depuis plus de douze ans, elle s’est progressivement reconvertie à l’enseignement. Pour cela, elle a créé sa propre structure d’enseignement mais donne également des cours au conservatoire régional, ainsi que dans une autre école de renom. (7) Peuvent être cités, parmi bien d’autres, des films reprenant les thèmes de ballets classiques, comme : Barbie Le Lac des cygnes, Barbie Le bal des 12 princesses, Barbie Casse-noisette, Mes ­premiers pas de danseuse-étoile, Dora danse, etc. Il existe également des livres documentaires variés comme La danse classique, Une année de danse, Je danse avec Angelina Ballerina, Copain de la danse, Dansez les filles, etc. (8) La phénoménologie husserlienne distingue horizons externe et interne. Pour le dire vite, le premier correspond à l’arrière-plan sur lequel un objet se détache, tandis que le second renvoie à l’objet lui-même et à la totalité des perceptions qu’il est possible d’en avoir. Ces deux types d’horizon forment donc un ensemble de « potentialités esquissées » (Husserl, 1994, p. 90). (11) Astrid, âgée de 29 ans lors de l’enquête, a débuté la danse à l’âge de 7 ans à l’Académie de Ballet du Brabant (Belgique). Suite à ses études, elle intègre le Ballet royal des Flandres où elle danse jusqu’à l’âge de 26 ans. Elle entame ensuite une ­carrière d’interprète professionnelle en danse contemporaine. Parallèlement, elle donne des cours de danse classique dans la structure qui accueille les répétitions de sa compagnie. Bibliographie Bruneau M. (1993). « L’évaluation des apprentissages en danse : une utopie ? ». Revue des sciences de l’éducation, vol. 19, n° 4, p. 695-713. Court M. (2008). 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Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Annexe. – Caractéristiques de la population observée au moment de l’enquête Prénom Année de (anonymat) naissance Alice 2000 Audrey 1998 Émilie 2004 Inès 1998 Lise 1998 Louise 2000 Maeva 2001 Nathalie 1996 Sarah 1998 Sophie 1998 Tania 1999 Tiphaine 1997 Prénom Année de (anonymat) naissance Amy 2002 Anne 2002 Coralie 2004 Laura 2002 Maëlle 2002 Marguerite 2003 Olivia 2002 Victoria 2004 Cours de Fleur de danse contemporaine Ancienneté Profession Loisirs connus en danse du père Danse contemporaine Équitation 4 e année Cadre ingénieur Piano Danse contemporaine Gymnastique 2 e année Chef d’entreprise PME Natation Enseignant Danse contemporaine 1 re année à l’université Danse contemporaine Artiste intermittent Équitation 6 e année du spectacle Piano Danse contemporaine Badminton 4 e année Cadre informatique Poterie Danse contemporaine Enseignant dans Danse classique 4 e année le secondaire Violon Technicien ; intermittent Danse contemporaine 1 re année du spectacle Cadre administratif Danse contemporaine re 1 année dans l’administration Danse hip-hop publique Danse contemporaine Danse flamenco Conseiller 6 e année Gymnastique en entreprise et GRH Piano Danse contemporaine Équitation 5 e année Cadre ingénieur Piano Danse contemporaine 4 e année Non connue Danse contemporaine Violon 2 e année Non connue Flûte Cours d’Astrid de danse classique Ancienneté Profession Loisirs connus en danse du père Cadre administratif Danse classique 1 re année dans un centre Arts plastiques ­h ospitalier Danse classique re 1 année Non connue Piano Chargée d’étude ­m arketing OUI Assistante de direction NON Cadre commercial en PME NON Psychologue OUI Responsable ­c ommercial OUI Professeure des écoles NON Danseuse ; intermittente du spectacle Cadre administratif dans l’administration publique Chargée de communication ; intermittente du spectacle NON NON OUI Chargée d’étude ­m arketing OUI Infirmière OUI Cadre ingénieur NON Profession de la mère Enseignante dans le secondaire Entretien parents OUI année Non connue Cadre dans année une grande entreprise Directeur logistique 2 e année dans une grande ­e ntreprise 1 re année Médecin Médecin NON 1 re année Écrivain Avocate OUI 1 re année Cadre Danse classique Danse classique Violon 1 re Danse classique Arts plastiques Violon Danse classique Baby gym Entretien parents Enseignante dans le secondaire Directrice de clientèle en agence de publicité Directrice SSII Chef d’entreprise en PME Cadre responsable d’achat dans une grande entreprise Danse classique Danse classique Profession de la mère 1 re NON NON NON OUI OUI Entrer dans la danse : divergence des « systèmes de pertinence » entre enfants, parents et enseignants 41 Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée Céline Piquée Dans l’analyse des inégalités scolaires, de nombreux travaux dénoncent les effets pervers de l’aide aux élèves en difficulté : processus de stigmatisation, contenus appauvris, occasions d’apprentissage moins nombreuses, etc. Pour autant, dans certaines classes, les élèves en difficulté y progressent nettement plus que dans d’autres. Pour comprendre ce qui différencie ces classes, nous nous sommes penchée sur les pratiques enseignantes à l’égard de ces élèves. Cet article rend compte d’analyses fondées sur l’articulation d’une approche quantitative, permettant une mesure de l’efficacité d’un échantillon de cent classes de cours préparatoire (1re année de l’enseignement obligatoire), et d’une approche qualitative permettant la caractérisation des pratiques enseignantes, sur un sous-échantillon de huit classes à efficacité contrastée. Les résultats confirment les travaux antérieurs et mettent en évidence l’essentielle intégration des élèves en difficulté au groupe classe, grâce à une conception de l’enseignement qui associe étroitement socialisation et apprentissage. Descripteurs (TESE) : enseignant, pratique pédagogique, difficulté d’apprentissage, enseignement primaire. Introduction Dans l’analyse sociologique des inégalités sco­ laires, l’influence du contexte est un objet d’étude majeur. L’étude de l’influence du contexte familial est un classique sociologique pour expliquer les inégalités de réussite entre élèves. Non moins classique, même si plus récente, l’étude de l’influence du contexte scolaire fait également l’objet de nombreux travaux (Bressoux, 1993, 1994 ; Duru-Bellat & Mingat, 1985, 1988 ; Grisay, 1993a) : les différences de conditions de travail dans lesquelles sont placés les élèves sont sources de différence de réussite. En termes de politique éducative, la mise en évidence d’effets du contexte scolaire sur les performances des élèves rend légitime l’organisation de dispositifs d’aide aux élèves les plus fragiles. Depuis le début des années 1980, de nombreux dispositifs ayant pour principe de modifier les conditions de travail des élèves, à travers leur environnement scolaire et périscolaire, ont vu le jour. Le premier dispositif, et sans doute le plus emblématique de notre problématique, est l’éducation prioritaire, dont le leitmotiv est de donner plus (de ressources scolaires) à ceux qui ont le moins (de Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 43-60 ressources familiales). Mais on peut également évoquer les dispositifs d’accompagnement à la scolarité, les aides extérieures à la classe, la scolarisation à deux ans, les expérimentations relatives à la ­réduction de la taille des classes, etc. Pour autant, les résultats sont mitigés, voire décevants. Certains dispositifs ont pu démontrer une relative efficacité, en particulier auprès des élèves les plus faibles, comme les dispositifs d’accompagnement à la scolarité (Mc Beath et al., 2001 ; Piquée, 2003 ; Piquée & Suchaut, 2002), la réduction de la taille des classes (Meuret, 2001 ; Piketty & Valdenaire, 2006) ou la scolarisation précoce lorsqu’elle est réservée aux publics de l’éducation prioritaire (Caille, 2001). Néanmoins, dans bien des cas, au mieux les effets sont nuls, au pire, ces dispositifs s’avèrent contre-productifs (Mingat & Richard, 1991 ; Reynolds & Wolfe, 1999). Le bilan des ZEP est des plus mitigés (Mingat, 1983 ; Meuret, 1994 ; Moisan & Simon, 1997 ; Rochex, 1997). Une part d’explication réside sans doute dans le fait que les apprentissages se réalisent et les difficultés d’apprentissage se résolvent avant tout dans le cadre de la classe, avec l’enseignant. On sait en effet (Bressoux, 1995) que les effets de contexte décelés au niveau de l’école primaire tiennent surtout à un effet-maître. Selon les travaux, les conditions d’organisation scolaire expliqueraient entre 2 % et 5 % des différences de progression entre les élèves au cours d’une année, alors que l’efficacité du maître expliquerait entre 15 % et 20 % de ces écarts. En matière de réduction des inégalités de réussite, c’est donc la boîte noire de l’effet-maître qu’il convient d’ouvrir et ses pratiques qu’il convient d’analyser. Certaines caractéristiques d’enseignants et ­certaines pratiques de classe ont été identifiées par la recherche comme propices à la réussite scolaire. Pour les détails, nous renvoyons le lecteur à l’importante note de synthèse publiée à ce sujet par Bressoux (1994). Globalement, les pratiques pour lesquelles la recherche démontre des effets positifs sont plutôt des pratiques que l’on pourrait qualifier de générales ou globales (le temps d’apprentissage, le niveau d’exigence, l’importance des activités écrites, le niveau de directivité, etc.). Cela dit, on manque encore de travaux qui permettraient de savoir si ces pratiques ont davantage d’effets sur les élèves en difficulté que sur les autres. En revanche, de la même manière que pour les dispositifs qui se détachent du quotidien de la classe, les effets des pratiques de classe spécifiquement mises en place à l’égard des élèves en difficulté sont décevants. Les regroupements d’élèves 44 faibles entre eux (groupes de niveau ou classes de niveau) n’ont pas démontré leur efficacité auprès des élèves faibles, mais plutôt auprès des élèves forts (Duru-Bellat & Mingat, 1997 ; Ireson, Hallam & Hurley, 2005 ; Piquée, 2007a ; Slavin, 1987). Gamoran (1993) montre que l’enseignement reçu dans une classe homogène faible est nettement différent de celui reçu dans une classe homogène forte : centration sur les savoirs de base et couverture du programme moins accomplie, en partie dues à des exigences moins élevées, moindre recours à de la documentation pédagogique, faible esprit de compétition. Les pratiques d’individualisation (Bautier, 2005 ; Butlen, Peltier-­ Barbier & Pézard, 2002 ; Peltier-Barbier, 2004 ; Piquée & Suchaut, 2004) semblent elles aussi s’accompagner d’un abaissement net des exigences des enseignants à l’égard des élèves en difficulté. Qu’il s’agisse de travaux à orientation qualitative ou quantitative, la recherche tend donc à s’accorder pour démontrer que les effets pervers des pratiques spécifiquement mises en place pour aider les élèves en difficulté tiendraient à deux mécanismes étroitement liés : des exigences amoindries et des occasions d’apprentissage moins nombreuses. En bref, des pratiques diffé­ renciatrices favorisant une « dérive du curriculum » ­(Grisay, 1993b) et une moindre qualité de l’environnement scolaire pourraient être les facteurs véritablement déterminants de l’inefficacité d’un certain nombre de pratiques destinées aux élèves en difficulté. À l’instar de Crahay (auteur de l’ouvrage Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? paru en 1996) et devant le désarroi des enseignants qui réceptionnent ces résultats, une question certes provocante mais qui mérite d’être posée pourrait être : « Faut-il ne pas aider les élèves en difficulté ? » L’examen des progressions des élèves en difficulté selon la classe qu’ils fréquentent révèle des situations très diversifiées. Certains élèves ont des progressions nettement meilleures que la moyenne, d’autres nettement plus faibles. Que se passe-t-il donc dans ces classes ? Peut-on penser que, dans les premières, les élèves sont peu aidés, ce qui limite les effets pervers des pratiques différenciées ? Peut-on penser que dans les secondes les enseignants prêtent très, trop attention aux élèves en difficulté, augmentant les risques de perversion de l’aide ? Nous proposons dans cet article (1) de progresser dans la connaissance des pratiques enseignantes propices aux progrès des élèves en difficulté, à partir d’un dispositif méthodologique articulant une approche quantitative de mesure des progrès des élèves et une approche qualitative de caractérisation des pratiques enseignantes, suivant en cela une méthodologie fréquente dans le Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 ­ ourant de recherche « school effectiveness » ou c « teacher effectiveness » (Teddlie, Kirby & Stringfield, 1989). Notre question de recherche initialement provocante peut être reformulée de la façon suivante : si certaines classes se distinguent entre elles dans leur capacité à faire plus ou moins progresser les élèves en difficulté, les pratiques observées en classe à l’égard de ces élèves sont-elles à même d’expliquer ces écarts ? Un premier temps de l’article présentera le dispositif méthodologique et les données d’enquête recueillies. Un second temps exposera les pratiques observées dans des classes dont l’efficacité auprès des élèves en difficulté est contrastée. Les données recueillies et les analyses associées sont nombreuses et nous tenterons en conclusion d’en faire émerger le principe général. Méthodologie et données d’enquête La recherche nécessite à la fois de décrire les pratiques enseignantes et d’en apprécier les effets auprès des élèves en difficulté. L’articulation de ces deux nécessités constitue la principale difficulté de notre travail. En effet quantifier les effets du contexte scolaire, ici les pratiques enseignantes, sur les progrès des élèves suppose de respecter au moins deux principes fondamentaux (Duru-Bellat & Mingat, 1993, 1998 ; Bressoux, Coustère & Leroy-Audouin, 1997 ; Bressoux, 2007) : raisonner en termes de valeur ­ajoutée (2) et recourir à des modélisations statistiques (3). Le respect du second principe oblige à travailler sur de vastes échantillons et rend difficile une caractérisation fine des pratiques enseignantes, au moyen d’observations de classes par exemple. Le dispositif empirique retenu qui permet de contourner cet écueil est exposé dans la section suivante. favorisé (à ce niveau, c’est la profession de la mère qui se révèle plus déterminante que la profession du père) et de ne pas être en retard scolaire. Concernant les caractéristiques des classes, nous n’avons pas estimé d’effet significatif de la tonalité sociale (pourcentage d’élèves dont la mère est de milieu social favorisé) ou de son degré d’hétérogénéité sociale ou scolaire initial. En revanche, moins les élèves sont nombreux dans la classe, plus ils progressent. De même, plus le niveau moyen initial de la classe est élevé, plus les élèves progressent. Les caractéristiques structurelles des classes exercent toutefois un effet très modéré, environ 4 % des effets-classes. Reste donc un solde inexpliqué important dont on peut supposer qu’il s’explique en partie par un effetmaître. Dans chacune des 100 classes, nous avons mesuré les progressions des élèves en contrôlant à la fois l’influence des caractéristiques socio-démographiques et scolaires de ces élèves et les caractéristiques structurelles des classes identifiées comme influentes (taille de la classe et niveau initial moyen). Nous disposons ainsi d’une mesure de l’efficacité pédagogique des classes de l’échantillon. Une mesure identique a été effectuée sur un sous-échantillon d’élèves plus faibles (ceux dont le score de début de CP est inférieur au score médian de l’échantillon). Nous avons ensuite sélectionné trente classes issues de l’échantillon initial : quinze dont l’efficacité pédago­gique était la plus basse et quinze dont l’efficacité pédagogique était la plus haute. Puis nous avons examiné de plus près la structure des progressions de chacune de ces trente classes, pour n’en retenir que dix qui présentaient des structures contrastées en termes de progrès des élèves en difficulté. Les ­graphiques 1 et 2 (6) illustrent deux situations o ­ pposées. Graphique 1. – Classe du profil « basse efficacité » Le dispositif retenu L’échantillon initial se compose de 1 300 élèves répartis dans 100 classes de cours préparatoire, évalués en lecture et en mathématiques (4) en début et en fin d’année scolaire. Des analyses statistiques antérieures (Piquée, 2007b) ont permis d’estimer que les caractéristiques socio-démographiques et scolaires des élèves exercent un impact sur leurs performances de fin d’année scolaire (5) : d’une façon classique, on observe une corrélation positive avec le niveau scolaire en début d’année et des effets positifs du fait d’être une fille, d’être issu d’un milieu social Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 45 Graphique 2. – Classe du profil « haute efficacité » Dans la classe représentée sur le graphique 1, le niveau des élèves est très hétérogène en début ­d’année (environ 40 points d’écart entre l’élève le plus faible et le meilleur) et le rang des élèves n’est pas modifié entre le début et la fin de l’année : les élèves dont le score initial est faible en début d’année restent les plus faibles en fin d’année et les élèves initialement les meilleurs conservent leur statut. Mais surtout, si trois élèves se situaient en début d’année au-dessus de la moyenne de l’échantillon, en fin ­d’année, tous ont un score inférieur. Le graphique 2 présente une classe initialement relativement hétérogène, les scores s’échelonnant sur l’axe des abscisses de 85 points environ à près de 110, et assez faible car la quasi-totalité des élèves se situe en dessous de la moyenne de l’échantillon. En fin d’année, l’écart entre les élèves les plus faibles et les meilleurs est du même ordre, mais tous les élèves (sauf trois) se situent au moins au niveau de la moyenne de l’échantillon. On observe dans cette classe une progression particulièrement nette des élèves les plus faibles. Les données recueillies et les instruments de l’enquête Dans les dix classes sélectionnées, l’objectif était de caractériser les pratiques des enseignants à l’égard des élèves en difficulté, à partir d’observations réalisées au cours des années 2005 et 2006. Avant de présenter concrètement les instruments d’enquête et les données recueillies, la formulation « pratiques à l’égard des élèves en difficulté » mérite d’être définie. En effet, si l’on observe qu’un enseignant n’organise rien de spécifique pour les élèves en difficulté, cela constitue aussi une pratique à l’égard de ces élèves. Par ailleurs, un élève en difficulté n’est pas seulement un élève en difficulté, il est aussi un élève tout simple46 ment, membre d’un groupe classe auquel s’adresse l’enseignant. Parce qu’il est élève au sens large, tout ce qui se passe en classe peut donc le concerner. Face à la complexité des phénomènes scolaires, toute recherche est conduite à réduire cette complexité, à examiner un objet sous un certain angle, forcément réducteur. En ce sens, nous choisissons ici, pour décrire ces pratiques, de nous placer du point de vue de l’élève en difficulté. C’est lui le sujet observé et non l’enseignant, l’objectif étant de savoir ce que vit cet élève. Avant l’observation, les enseignants ont indiqué le niveau de chaque élève de la classe afin de pouvoir identifier les trois élèves les plus en difficulté qui allaient faire l’objet de l’observation (7). Au total, seulement huit classes parmi les dix prévues ont été observées. Des relances ont été effectuées auprès des deux derniers enseignants, tous deux situés dans le groupe des classes les moins ­efficaces, mais ont abouti à un refus définitif. Neuf élèves observés le sont dans les classes les moins efficaces, 14 dans les classes les plus effi­caces (dans une classe, l’enseignante n’a pu iden­tifier que deux élèves en difficulté). Dans chaque classe, deux observateurs, membres de l’équipe de recherche, devaient assister à une séance de trois heures. L’équipe était composée de 6 membres, de statut divers (cf. note 1), qui ont participé à toutes les phases de la recherche, de l’élaboration de la problématique jusqu’aux conclusions, en passant notamment par la construction des instruments d’enquête. Chaque membre a été amené à se familiariser avec les instruments, lors de la phase de prétest réalisée dans trois classes de CP non concernées par la recherche. Cette phase de prétest a permis l’amélioration des instruments et l’homogénéité de leur utilisation par chacun des observateurs. Pendant l’observation, un des deux observateurs était muni d’une grille d’observation portant sur les interactions maître-élèves. Nous avons choisi d’obser­ ver cette dimension pour deux raisons principales. D’une part, les interactions maître-élèves sont une dimension des pratiques enseignantes identifiées comme relativement stables d’une année à l’autre (nous reviendrons ultérieurement sur la question de la stabilité des pratiques). D’autre part, la littérature montre nettement leurs effets sur les élèves, notamment en ce qui concerne la nature des feedback (Bressoux, 1994). Cette grille devait donc permettre à la fois de recueillir quantitativement les interactions entre l’enseignant et les trois élèves en difficulté observés et de caractériser la nature de ces échanges. Dans la mesure où nous n’avons pas eu l’autorisation de filmer la période observée et qu’il était diffi- Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 cile de construire des catégories a priori, nous avons choisi de retranscrire les propos échangés, sauf lors des phases d’aide individuelle pendant lesquelles les propos n’étaient pas audibles. L’ensemble des indicateurs construits a posteriori à partir de cette grille et leur opérationnalisation sont donnés en annexe. Le second observateur était muni d’une grille portant sur l’intégration des élèves en difficulté dans le groupe classe. En effet les résultats présentés en amont semblent nous indiquer que ce qui s’adresse au groupe classe aurait des effets plus positifs que ce qui s’adresse spécifiquement aux élèves en difficulté. Nous avons donc cherché à appréhender le degré de « collectif » et le degré de « différenciation » au cours d’une séance type de classe, en notant pour chaque élève en difficulté le temps passé sur une tâche identique à celle du reste du groupe classe et le temps passé sur une tâche différente. Nous avons également comptabilisé le temps passé par les trois élèves observés à travailler au sein d’un petit groupe d’élèves en difficulté, ainsi que le temps passé à travailler sur des contenus ou avec des conditions différentes de ceux du reste du groupe classe (matériel supplémentaire par exemple). Enfin, un entretien semi-­ directif avec chaque enseignant a été conduit immédiatement après l’observation dans la classe de l’enseignant. Cet entretien avait pour objectif parti­ culier d’identifier les modes de prise en charge et les représentations que l’enseignant a de ses élèves en difficulté (la fréquence et la régularité de ce qui a été observé, les critères qui amènent à choisir une forme de travail plutôt qu’une autre, ce qui n’a pas été observé, la nature des difficultés des élèves, etc.). Précautions d’interprétation Deux limites principales sont à souligner afin d’éviter les surinterprétations des résultats présentés dans la suite de cet article. Les analyses statistiques conduites sur l’échantillon initial de 100 classes ont permis de mesurer l’efficacité pédagogique des classes et non pas celle des enseignants. Certes nous avons cherché à contrôler les effets des caractéris­ tiques structurelles des classes (taille et niveau moyen initial), mais rien ne nous assure complètement que nous avons contrôlé l’ensemble des facteurs contextuels du niveau classe qui ne sont pas liés à l’enseignant. Nous ne pouvons donc pas affirmer que les différences d’efficacité restantes entre les classes s’expliquent uniquement par l’enseignant. D’ailleurs, les deux graphiques présentés précédemment montrent bien que les deux classes ne sont pas strictement comparables : dans la classe de profil « basse efficacité », quatre élèves ont un score initial inférieur à 80 et sont donc considérés comme très faibles, dans la classe « haute efficacité », aucun élève n’est aussi faible. Dans le même sens, lors de la phase d’observation, nous devons rappeler que ce sont les enseignants qui ont identifié leurs élèves en difficulté dans leur classe. Cette caractérisation du niveau des élèves n’est donc pas objective. Si l’on sait que les enseignants ont une capacité de discrimination généralement bien corrélée à celle obtenue à partir de tests standardisés (Crahay, 1996), il est néanmoins tout à fait probable que certains élèves dans certaines classes soient davantage en difficulté que d’autres élèves dans d’autres classes, ce qui pourrait expliquer les différences de pratique entre les classes. D’autre part, les mesures d’efficacité des classes ont été opérées au cours de l’année scolaire 20042005, alors que les observations se sont effectuées pendant les années 2005 et 2006. Bien entendu, ce sont les mêmes enseignants qui ont fait l’objet de la première et de la seconde étude, et ce sur le même niveau de classe, le cours préparatoire. Mais nous devons insister sur le fait que ce procédé repose sur deux hypothèses : celle de la stabilité des pratiques enseignantes d’une année à l’autre et celle de la stabilité des effets de ces pratiques sur les progrès des élèves. Notre dispositif de recherche ne permet pas de valider ces hypothèses sur nos données. Toutefois, elles peuvent être argumentées par des travaux antérieurs. Arrêtons-nous sur ces deux hypothèses un instant. Les résultats des travaux antérieurs, pour leur grande majorité anglo-saxons, méritent un examen attentif. En effet, les premiers travaux sur les effetsmaîtres attestaient d’une certaine stabilité de l’efficacité des enseignants (Acland, 1976 ; Mandeville, 1988 ; Raudenbush, 1989, cités par Bressoux, 2001). Les travaux plus récents sont moins affirmatifs. Par exemple, pour Sammons et ses collègues (2007), l’effi­ cacité des enseignants est jugée relativement stable dans le temps, en ce sens que le passage du statut « enseignant efficace » au statut « enseignant inefficace » est très exceptionnel. À l’inverse, Sass (2008) ou Koedel et Betts (2007) soulignent une relative instabilité. Ayant classé les enseignants en cinq catégories, des 20 % les moins efficaces aux 20 % les plus efficaces, ils reconnaissent que le passage d’un extrême à l’autre est effectivement faible (mais pas exceptionnel). Toutefois, seulement un tiers environ des enseignants qui auraient été classés dans la catégorie des 20 % les moins efficaces le sont encore l’année suivante. Les deux tiers restant sont passés dans les catégories supérieures et ont donc gagné en Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 47 efficacité. Parmi les enseignants classés dans la catégorie des 20 % les plus efficaces une année, les deux tiers sont classés dans une catégorie inférieure l’année suivante et ont donc perdu en efficacité. Cependant ces auteurs nuancent fortement leurs propos en insistant sur le fait que cette instabilité est davantage due à des modifications des caractéristiques scolaires du groupe d’élèves auquel s’adresse l’enseignant d’une année sur l’autre qu’à l’enseignant lui-même : il suffit qu’un ou deux élèves soient particulièrement en difficulté une année pour que la mesure de la valeur ajoutée associée à l’enseignant soit différente de celle de l’année précédente. Lorsque les recherches ont cherché à contrôler ces variations (Mc Caffrey, Sass & Lockwood, 2009), les corrélations entre les mesures d’efficacité d’une année à l’autre augmentent nettement, passant de 0,2 ou 0,3 à 0,5 voire 0,8 (Sass, 2008). En ce qui concerne la stabilité des pratiques enseignantes dans le temps, là aussi les résultats font controverse. Encore que le terme de controverse paraît trop fort. Disons plutôt que les chercheurs, en particulier en France au sein du réseau OPEN (Observation des pratiques enseignantes), s’accor­ dent sur l’aspect paradoxal des pratiques enseignantes, à la fois stables et variables (Altet, 2003). Elles ne sont pas suffisamment stables pour que l’on puisse les décrire en termes de méthode, pour que l’on puisse s’installer dans un « fixisme » typologique (Bru, 1997). Des travaux (Bru, 1992 ; Altet et al., 1996) montrent clairement qu’il existe des variations dans les profils d’action des enseignants d’une année sur l’autre, mais aussi au cours d’une même année scolaire. Mais ces mêmes travaux montrent également une certaine stabilité de ces pratiques en ce qui concerne l’organisation temporelle, les conditions de passation des consignes et les interactions maîtreélèves. De nombreux travaux récents cherchent désormais à caractériser les pratiques enseignantes non plus à partir de pratiques isolées, mais plutôt à partir de configurations relati­vement stables (Butlen, Masselot & Pézard, 2003 ; Clanet, 2005, 2007 ; Pariès, Robert & Rogalski, 2008 ; Robert & Rogalski, 2002). ont plus de 10 ans d’ancienneté en CP, contre un enseignant sur trois dans le groupe des classes les moins efficaces. Tous les autres ont entre deux et cinq ans d’ancienneté en CP. Les enseignants sont tous des femmes. Le nombre d’élèves par classe est légèrement moins élevé dans les classes les plus efficaces, qui comptent en moyenne 19,4 élèves, contre 21,6 dans les classes les moins efficaces. Dans le groupe des classes les moins efficaces, deux sur trois sont des cours doubles, seulement une sur cinq dans le groupe des classes les plus efficaces. La relation enseignant-élève : les contacts verbaux La relation maître-élève est appréhendée par l’impor­tance et la nature de leurs contacts verbaux. Nous préférons ici les termes de contacts verbaux ou d’actions verbales à celui d’interactions, fréquemment utilisé, mais qui renvoie implicitement à l’idée d’échange. Or l’enseignant peut délivrer un message sans que l’élève soit amené à répondre, ou i­nversement. Initiateur et intensité des contacts verbaux L’intensité de la relation maître-élève a été appréhendée à travers deux indicateurs : le nombre moyen d’actions verbales relevées en une heure (témoignant de l’intensité de la relation) et la durée écoulée entre le début de la classe et la première interaction avec l’élève (témoignant de la rapidité de la prise de contact). Un premier constat concerne la forte dispersion observée pour ces deux indicateurs. On compte entre 2 et 12 contacts par heure selon les élèves et ceux-ci peuvent attendre entre moins d’une minute et plus de quarante avant leur premier contact verbal avec l’enseignant. Mais l’analyse des distributions en fonction de l’efficacité des classes ne laisse pas apparaître de différences significatives. Les données recueillies ne révèlent pas non plus de différence quant à l’initiateur de l’action verbale qui, dans les deux groupes de classe, est l’enseignant pour un peu plus de 80 % des actions verbales (voir le tableau 1). Contenu des actions verbales Résultats d’observation dans des classes à efficacité contrastée Données de contexte des classes observées L’ancienneté des enseignants ne diffère pas sensiblement entre les deux groupes. Dans le groupe des classes les plus efficaces, deux enseignants sur cinq 48 Le contenu des actions verbales relevées a pu être classé en trois grandes catégories (voir le tableau 2). La première, comportant les actions verbales rela­ tives au comportement des élèves (actions verbales ayant pour but de placer l’élève dans sa posture d’écolier), ne diffère pas significativement selon le type de classe (en moyenne (8), entre 10 % et 15 % des actions verbales). La deuxième, comportant les Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Tableau 1. – Intensité des contacts verbaux (N = 23) Moyenne Écart type Nombre de contacts par heure pour les classes les moins efficaces 5,7 3,0 Nombre de contacts par heure pour les classes les plus efficaces 5,8 1,6 Temps écoulé entre l’entrée en classe et le premier contact pour les classes les moins efficaces (en min.) 17,9 8,5 Temps écoulé entre l’entrée en classe et le premier contact pour les classes les plus efficaces (en min.) 12,7 11,1 Tableau 2. – Nature des contacts verbaux (N = 23) Pourcentage moyen d’actions verbales portant sur Le comportement de l’élève La personne de l’élève La tâche Total Classes les moins efficaces 14,6 % 21,4 % 64,0 % 100,0 % Classes les plus efficaces 10,0 % 15,8 % 74,2 % 100,0 % Test du F de Fisher-Snedecor 0,90 1,37 3,96 Tableau 3. – Nature du guidage (N = 23) Pourcentage moyen de guidage de nature explicative Pourcentage moyen de guidage de nature réflexive Total Classes les moins efficaces 71,9 % 28,1 % 100,0 % Classes les plus efficaces 93,5 % 6,5 % 100,0 % actions verbales centrées sur la personne de l’élève, ne se trouve pas non plus en quantité plus importante dans un des deux groupes de classe. En revanche la troisième, comportant les actions verbales centrées sur la tâche, est nettement plus importante dans les classes les plus efficaces (en moyenne, près des trois quarts des actions verbales) que dans les autres (moins des deux tiers), avec une différence significative cette fois au seuil de 0,06 (test du F de FisherSnedecor). Parmi ces actions verbales centrées sur la tâche, soit l’enseignant procède à une vérification du travail en cours (compréhension des consignes, de l’état d’avancement de la tâche), soit il procède à un guidage de l’élève dans la réalisation de cette tâche : dans les deux groupes de classe, environ 40,0 % des actions verbales centrées sur la tâche consistent à guider l’élève. En moyenne, parmi les actions qui relèvent du guidage, 86,0 % sont à dominante expli cative (apports complémentaires de la part de l’enseignant sur la tâche et sur les conditions de réali­ sation). À l’inverse, 14,0 % des actions verbales de guidage sur la tâche sont à dominante réflexive (l’objectif est de faire réfléchir et verbaliser l’élève sur la (ou les) opération(s) qu’il utilise ou doit utiliser). Dans les deux groupes de classe, le guidage à dominante explicative est nettement plus fréquent que celui à dominante réflexive (voir le tableau 3). De plus, dans les classes les plus efficaces, le guidage de type réflexif est très peu présent (6,5 % des actions verbales) alors qu’il représente plus du quart des actions verbales dans les classes les moins efficaces. Ces différences sont significatives au seuil de 0,05 (test du F de Fisher-Snedecor). L’ensemble des résultats converge pour nous i­ndiquer qu’il ne semble pas exister de différence ­particulière en matière d’intensité de la relation dans les deux groupes de classe étudiés. Les analyses Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 49 ­ ontrent clairement en revanche que la nature des m contacts est différente : les contacts verbaux sont davantage centrés sur la tâche dans les classes les plus efficaces et leurs objectifs visent davantage ­l’explication et la réalisation de la tâche que la ­compréhension des processus et la réflexivité. L’organisation du travail des élèves en difficulté Indicateurs quantitatifs de différenciation du travail Le temps de travail en petit groupe d’élèves en difficulté n’est pas statistiquement différent selon le type de classe (voir le tableau 4). Le temps passé par les élèves en difficulté sur des tâches différentes de celles données au reste du groupe classe, que ce soit du point de vue de leur contenu ou de leurs conditions de réalisation (temps ou matériel supplémentaire, longueur réduite…), ne varie pas : dans les deux groupes, les élèves ont passé en moyenne un quart de leur temps sur des tâches différenciées. Mais on observe aussi que les élèves peuvent être placés dans des situations différentes : sur une tâche ­commune à l’ensemble des élèves ou sur une tâche différenciée, ils peuvent travailler au sein d’un regroupement d’élèves de faible niveau ou non. Au total, quatre situations différentes sont possibles. Or cette diversité de configuration s’observe seulement dans le groupe des classes les plus efficaces. Dans les classes les moins efficaces, le temps de travail sur une tâche différenciée se fait quasiment toujours au sein d’un regroupement et, à l’inverse, une tâche commune donne rarement lieu à un regroupement. La comparaison entre les deux groupes de classe a également porté sur la différenciation des tâches confiées aux élèves en difficulté, selon les contenus ou plutôt sur les conditions de réalisation des tâches. Aucun des élèves observés, sauf un dans une des classes les moins efficaces, n’a travaillé sur une tâche totalement différenciée dans ses contenus. La proportion de moments (cf. définition en annexe) pendant lesquels les élèves ont pu travailler avec des conditions de réalisation différentes de celles autori- sées pour le reste du groupe classe est à peu près équivalente selon le type de classes (40,2 % des moments dans les classes les plus efficaces contre 36,6 % dans les classes les moins efficaces). Ces indicateurs quantitatifs ne nous révèlent donc pas de différence particulière, en termes de différenciation au sein de la classe, entre les classes les plus ou les moins efficaces. Nous percevons néanmoins que l’aide aux élèves en difficulté se fait de façon plus variée dans les classes les plus efficaces que dans les autres. Pour progresser dans l’analyse, il convient dorénavant d’entrer dans une perspective qualitative nous permettant d’examiner concrètement ce qui est fait, en classe, en direction des élèves en difficulté. Pratiques observées en classe en direction des élèves en difficulté : analyse qualitative Les comportements des enseignants à l’égard des élèves en difficulté ont pu être catégorisés a posteriori en trois rubriques : les comportements destinés à favoriser la concentration et la mise au travail des élèves, la variation des niveaux de difficulté des tâches proposées et l’aide apportée. Le tableau 5 récapitule tous les items qui ont été observés dans au moins une des classes de chaque groupe étudié. Cet inventaire nous permet d’identifier un certain nombre de points convergents entre les deux groupes de classe. Les enseignants cherchent à être davantage présents aux côtés des élèves en difficulté et sont attentifs au positionnement physique des ­élèves (être bien assis, se retourner, etc.). Tous ­cherchent à aider les élèves grâce à des supports ­méthodologiques (affichage dans la classe, dés pour compter, frise des jours, etc.) ou en les guidant par des questions. Tous également ont posé, à l’oral, des questions différenciées en fonction du niveau des élèves (9). Mais des divergences se révèlent également. Dans les classes les plus efficaces, les consignes de travail sont passées seulement une fois collectivement, puis les enseignants les répètent ou les reformulent individuellement aux élèves en difficulté. Dans l’autre groupe, il est arrivé que les consignes soient répétées Tableau 4. – Intensité du temps de travail en groupe (N = 23) Temps moyen de travail dans le collectif classe Temps moyen de travail dans un groupe d’élèves en difficulté Total Classes les moins efficaces 84,9 % 15,1 % 100,0 % Classes les plus efficaces 78,6 % 21,4 % 100,0 % 50 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Tableau 5. – Récapitulatif des conditions de travail des élèves en difficulté relevées lors des observations Classes les plus efficaces Classes les moins efficaces Concentration et mise au travail La présence des enseignants aux côtés de certains ­é lèves est importante (5) La présence des enseignants aux côtés de certains ­é lèves est importante (3) Les consignes sont toujours reformulées ­individuellement (4) Les consignes peuvent être formulées ou répétées ­c ollectivement (2) Les consignes sont relues par les élèves (1) Les enseignants sont attentifs au positionnement ­p hysique des élèves (4) Les enseignants sont attentifs au positionnement ­p hysique des élèves (3) Les élèves peuvent être déplacés de façon appropriée à la tâche (placement devant le tableau, devant la maîtresse) (3) Les élèves peuvent être isolés pour favoriser leur concentration (3) L’exigence d’implication des élèves dans la tâche est forte dans la première partie de la matinée. Elle peut s’atténuer en fin de demi-journée (2) Les enseignants peuvent jouer le rôle « d’assistant matériel » (gomme, ciseaux, taille-crayon…) (3) Variation des niveaux de difficulté des tâches Les interrogations orales portent sur des questions plus faciles que celles posées aux autres élèves (4) Les interrogations orales portent sur des questions plus faciles que celles posées aux autres élèves (3) Les tâches différenciées peuvent être prévues à l’avance et les élèves reçoivent un polycopié ­p ersonnel ou une activité prévue dans leur cahier (2) Les tâches différenciées peuvent être prévues à l’avance et les élèves reçoivent un polycopié ­p ersonnel ou une activité prévue dans leur cahier (1) La longueur de la tâche est réduite (par exemple en enlevant une phase de l’exercice à réaliser) (4) La longueur de la tâche est réduite (par exemple en enlevant une phase de l’exercice à réaliser) (1) Le vocabulaire est simplifié (3) L’enseignant découpe la tâche en étapes successives et suit la réalisation de chacune (3) L’enseignant peut commencer le travail (en écriture par exemple) et demander à l’élève de continuer (1) L’aide aux élèves en difficulté L’enseignant propose une aide méthodologique ­(étiquettes, dés, gestes guides, frise numérique…), comme par exemple en phonologie, où il a recours à la vue (affichage classe), à l’audition, à des gestes, etc. (5) L’enseignant propose une aide méthodologique ­(étiquettes, frise des jours, gestes guides) (3) Guidage par questions (5) Guidage par questions (3) Les supports méthodologiques peuvent être multiples pour un même élève sur une seule tache : présence de l’enseignant, aide gestuelle, aide méthodologique (cubes, frise numérique, affichage dans la classe, ­q uestions intermédiaires posées par l’enseignant) (4) Très peu d’élèves ont plusieurs aides en même temps (3) Note : le chiffre entre parenthèses indique le nombre d’enseignants pour lesquels les faits ont été observés. Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 51 collectivement de nombreuses fois. Dans le groupe des classes efficaces, un élève en difficulté peut bénéficier de plusieurs types d’aide en même temps, alors que dans le groupe des classes les moins efficaces, la grande majorité des élèves ne bénéficie que d’un seul type d’aide en même temps : huit élèves sur neuf ne bénéficient que d’une seule aide à la fois, soit la présence de l’enseignant (qui permet le plus souvent un guidage par questions ou une reformulation de consignes), soit une aide méthodologique. Enfin un certain nombre de comportements a été observé dans les classes les plus efficaces, jamais dans les classes les moins efficaces : les élèves peuvent être déplacés plusieurs fois de façon appropriée à la tâche (placement devant le tableau, devant la maîtresse, les élèves peuvent être isolés pour favoriser leur concentration), l’exigence d’implication des élèves dans la tâche est forte dans la première partie de la matinée et peut s’atténuer en fin de demi-journée, les enseignants peuvent jouer le rôle d’assistant matériel (gomme, chiffon, ciseaux, dés pour compter…), découpent la tâche en étapes successives et suivent la réalisation de chacune. Au total, on observe des stratégies centrées sur les élèves en difficulté plus variées dans les classes les plus efficaces. Tout se passe comme si ces enseignants cherchaient à mobiliser toutes les stratégies possibles au même moment (guidage par questions de l’enseignant, qui joue aussi le rôle d’assistant matériel, supports méthodologiques, temps supplémentaire, niveau de difficulté de la tâche adapté, etc.). Dans les autres classes, les élèves ne bénéficient souvent que d’un seul type d’aide, deux au maximum si l’on compte l’adaptation du niveau de difficulté des tâches. Pratiques déclarées en direction des élèves en difficulté : analyse qualitative Les informations livrées dans les paragraphes suivants doivent être prises pour ce qu’elles sont, c’està-dire des discours qui ne reflètent pas assurément la réalité de la classe. De nombreux travaux montrent en effet la distance parfois très forte qui existe entre les pratiques déclarées et les pratiques observées (Clanet, 1998 ; Lescouarch, 2007). Néanmoins s’intéresser aux discours des enseignants, aux justifications qu’ils proposent, à la mise en œuvre de telle ou telle pratique peut donner un éclairage supplémentaire à ce qui vient d’être présenté en termes factuels, notamment pour comprendre la conception globale dans laquelle les enseignants inscrivent les pratiques observées. Chaque entretien a été dépouillé en extrayant tous les propos qui touchaient aux élèves en difficulté. Puis ces propos ont été classés en deux 52 catégories : les faits (c’est-à-dire ce que l’enseignant dit faire et comment faire avec ses élèves en difficulté) et les représentations (les diagnostics des difficultés, les pronostics scolaires, les évaluations du comportement, perceptions, jugements, etc.). L’analyse qui suit ne porte que sur les faits déclarés. Le tableau 6 récapitule tous les items qui ont été déclarés dans au moins une des classes de chaque groupe étudié. À nouveau, des points communs sont mis en évidence. Les enseignants de chaque groupe disent différencier la longueur de la tâche (« Soit je leur donne quelque chose de plus simple, soit je leur donne quelque chose de plus court », « Je donne la même chose qu’aux autres, mais ils n’ont pas le plus »), être conscients qu’ils doivent être plus attentifs aux élèves en difficulté, solliciter les élèves à l’oral pour les maintenir dans l’activité, s’assurer de la compréhension des consignes, faire attention à leur placement dans la classe, accorder une importance forte aux encouragements, être sensible à la stigmatisation et reconnaître le droit à l’erreur (« L’erreur est normale, la maîtresse aussi elle se trompe, heureusement pas tout le temps »). En fait, il semble y avoir comme un discours général qui rassemble tous les enseignants (être présent pour les élèves, les maintenir dans la tâche, les encourager, ne pas les stigmatiser en les mettant en difficulté devant le groupe), mais qui se traduit parfois concrètement de façon tout à fait ­différente dans la classe. Une première différence tient au discours tenu sur la difficulté des tâches allouées aux élèves en difficulté. Si tous les enseignants disent moduler la ­difficulté des tâches, seuls ceux des classes les moins efficaces disent donner des tâches pour lesquelles ils sont sûrs que les élèves vont réussir. Ils pratiquent ici une certaine forme de « pédagogie de la réussite » qui a pour but de valoriser l’élève, de lui donner confiance. Plus qu’une différenciation du niveau de difficulté de la tâche, nous assistons à une différenciation des objectifs. Pour certaines tâches, les objectifs d’apprentissage sont absents, laissant place à des objectifs sociaux ou psychologiques (« Et E., toujours la mettre en confiance, lui donner aussi des choses qu’elle sait faire, pas que des choses qui sont des fois limites. Il faut lui donner des choses qu’elle sait faire pour la mettre en confiance »). Pour certains, varier le niveau de difficulté d’une tâche consiste aussi à proposer ce qu’ils appellent « le concret » aux élèves les plus faibles et « l’abstrait » aux meilleurs (« Pour lui, pas d’abstrait, non, c’est un choix »). Toujours en termes d’objectifs, les enseignants des classes les moins efficaces ­expliquent Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Tableau 6. – Récapitulatif des conditions de travail des élèves en difficulté relevées lors des entretiens Classes les plus efficaces Classes les moins efficaces La différenciation des activités selon les élèves porte sur La longueur de la tâche (5) La longueur de la tâche (3) La difficulté de la tâche : le vocabulaire peut être moins étoffé par exemple (3) La difficulté de la tâche : donner des choses que les élèves savent faire pour les mettre en confiance (2) ou encore éviter les tâches d’abstraction pour leur préférer du concret (2) Une présence plus forte auprès d’élèves en difficulté (5) Une présence plus forte auprès d’élèves en difficulté (2) Le contenu est choisi en fonction des difficultés des élèves, du travail qu’il leur reste à faire sur telle notion. Les objectifs peuvent être intermédiaires (texte lu en partie seulement par exemple) mais permettent à tous les élèves de participer à la phase collective (3) Certains élèves n’ont presque jamais les mêmes tâches que les autres, que la différenciation se fasse par petits groupes d’élèves ou en groupe classe (1) Les objectifs : importance du « comment » plus forte que celle du « quoi » (la compréhension des procédures est plus importante que la réalisation de la tâche) (2) Les modalités de travail : des temps sont ménagés pour un travail spécifique avec des groupes d’élèves en difficulté qui ne constituent pas réellement des groupes de besoin et sont pensés plutôt pour permettre à l’enseignant de consacrer plus de temps à un petit groupe d’élèves en difficulté (4) Les modalités de travail : mise en place de groupes de soutien, de besoin, tutorat (les meilleurs aident les plus faibles) (3) Les lieux d’aide et d’apprentissage : recours aux aides extérieures (RASED, psychologue scolaire, CMPP, CPEA, etc.) (1) Les lieux d’aide et d’apprentissage : recours aux aides extérieures (RASED, psychologue scolaire, CMPP, CPEA, etc.) (2) L’aide matérielle (bande numérique, dés pour compter, supports écrits, auditifs, visuels…) (3) La préparation aux activités nouvelles qui vont être introduites (3) Concentration et mise au travail Solliciter les élèves à l’oral sur la tâche en cours (5), parfois en leur annonçant qu’ils vont être interrogés pour les inciter à formuler une réponse (2) Solliciter les élèves à l’oral, les faire répéter pour les stimuler (2) En phase individuelle, s’assurer d’abord de la bonne compréhension des consignes pour les faibles, avant de passer aux autres élèves (4) En phase individuelle, s’assurer d’abord de la bonne compréhension des consignes pour les faibles, avant de passer aux autres élèves (3) Écrire les consignes au tableau (repères visuels pour les inattentifs) (3) Appeler les élèves au tableau (2) Avoir recours à des contacts physiques leur rappelant que l’enseignant est attentif à ce qu’ils font (2) Isoler les élèves (3) Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 53 Tableau 6. – Récapitulatif des conditions de travail des élèves en difficulté relevées lors des entretiens (suite) L’aide aux élèves en difficulté Guider les élèves par des questions (sur les procédures : comment tu fais cela ?, où peux-tu trouver la réponse ?…) (2) Interroger un autre élève sur une question proche dont la réponse pourra aider le premier élève (2) Aider dans la manipulation (3) Certains enseignants font le point sur le travail des élèves en difficulté à l’issue de chaque demijournée ou journée pour prévoir une réaction rapide et organisée dans la demi-journée suivante ou dans la semaine (3) Ne pas abandonner, ne pas baisser les bras (3) : le groupe classe peut attendre longtemps avant que l’élève en difficulté n’ait répondu correctement (2) L’organisation spatiale de la classe Le placement des élèves en difficulté est pensé pour qu’ils soient toujours à proximité de l’enseignant ou pour faciliter le déplacement de ces élèves à des emplacements isolés (4) Les élèves en difficulté sont assis auprès d’élèves meilleurs dans certains cas (2), devant le bureau de l’enseignant dans d’autres (1) Autre Importance des encouragements (4) Importance des encouragements (2) Les enseignants se disent sensibles aux effets pervers de la différenciation (stigmatisation) (4) Les enseignants se disent sensibles aux effets pervers de la différenciation (stigmatisation) (3) Les erreurs sont considérées comme normales, avec la volonté de ne pas les pointer publiquement mais de les reprendre ultérieurement (4) Reconnaissance du droit à l’erreur (3) Donner des responsabilités aux élèves en difficulté (porte-parole) (3) Ce qui n’est pas fait Interroger les élèves pour qui la tâche semble trop ­d ifficile (4) Interroger les élèves pour qui la tâche semble trop difficile (3) Le tutorat ou les groupes de besoin qui stigmatisent les élèves (3) Note : le chiffre entre parenthèses indique le nombre d’enseignants ayant mentionné chaque item. que, pour les élèves en difficulté, la compréhension des procédures peut être plus importante que la réalisation de la tâche. Ces élèves sont là aussi placés devant des objectifs (comprendre comment il aurait fallu réaliser la tâche) différents de ceux fixés au reste du groupe classe (réaliser la tâche) comme en témoignent les trois enseignants de ce groupe : « J’essaie de les guider par un jeu de questions-réponses, mais surtout en essayant de leur faire ­comprendre le problème […] : comment tu peux faire pour t’améliorer, comment tu vas faire ? », « Je leur demande : qu’estce qui va t’aider ? Où peux-tu chercher les outils ? » ou encore « Quand je suis avec eux, c’est moins ce à 54 quoi on va aboutir qui compte que comment on fait quand on a des étiquettes ». Cette différenciation des objectifs, dans les classes les moins efficaces, peut rendre difficile l’intégration des élèves au sein du groupe classe (« S., dans le petit groupe encore, elle y arrive, mais dans le grand groupe… C’est pas pour tout de suite. Mais je pense qu’il faut aller vers ça… On va essayer »). À l’inverse, les enseignants des classes les plus efficaces ont souvent insisté sur cette intégration dans le groupe (« Je m’assure que chaque élève a travaillé sur au moins une partie du texte […] pour que l’on partage Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 tous le texte dans sa globalité », « Ma conception de la classe, c’est apprendre ensemble à faire tout seul » ou encore « On n’est pas tout seul dans la galère. Il y a la notion de groupe à laquelle je tiens toujours »). Tous les enseignants s’accordent pour dire « qu’il ne faut pas baisser les bras », « ne jamais aban­donner en leur donnant la bonne réponse ». Mais, deuxième différence, du côté des classes efficaces, certains enseignants expliquent qu’ils font le point sur le travail des élèves et leurs erreurs à l’issue de chaque demi-journée ou journée, pour prévoir une réaction organisée dans la demi-journée suivante ou dans la semaine (« Je prends du temps avec chaque élève, lui et moi, en aparté, et on discute de ses difficultés. J’aime bien ces moments, surtout le samedi matin, on fait le point, on boucle les choses, on prend du temps pour les élèves en difficulté », « Je reste manger à l’école le midi pour pouvoir faire le point sur ce qu’ont fait les élèves le matin » ou encore « J’ai bien repéré les erreurs que H. a faites en calcul mental. J’ai rien dit mais je prendrai un moment demain avec lui pour revoir ça »). Dans le groupe des classes moins efficaces, les enseignants expriment la volonté de prendre du temps au moment où se présente la difficulté (« Il ne faut rien laisser passer », « réagir tout de suite »), quitte à ce que le reste du groupe classe attende relativement longtemps avant que l’élève n’ait répondu correctement. Une troisième différence tient aux modalités de travail en groupe. Si on note à nouveau un certain degré d’accord puisque tous les enseignants disent ménager des temps pendant lesquels les élèves en difficulté sont regroupés, le sens donné à cette modalité de travail varie entre les deux groupes de classe. Les enseignants des classes les moins efficaces parlent clairement de groupes de besoin, de groupes de ­soutien, de tutorat entre élèves permettant aux plus faibles d’être aidés par les meilleurs : « Je demande aux autres copains de venir l’aider. C’est quelque chose […] que j’utilise assez fréquemment parce que je trouve que le savoir ou la méthode, elle ne vient pas que de moi, elle passe aussi par les autres parce que c’est valorisant pour ceux qui savent déjà, c’est difficile pour eux d’apporter une aide sans faire à la place de… » ou encore « Ils sont presque tous assis à côté d’enfants qui fonctionnent bien ; il faut qu’ils aient une béquille. » Les enseignants de l’autre groupe n’utilisent jamais ces termes et soulignent explicitement qu’il ne « s’agit pas vraiment de groupe de besoin car les élèves sont différents », qu’ils « n’aime[nt] pas que des équipes travaillent différemment » ou que « le tutorat, […] j’ai plus de mal à le mettre en place car c’est moins bien accepté, moins bien vécu par certains enfants et ça me gêne ». Ils parlent plutôt de « travail en petit groupe » qui permet à l’enseignant de distribuer son temps d’une façon qu’il juge plus efficace, d’être aux côtés de tous les élèves les plus fragiles en même temps : « J’ai pris quelques enfants pour un travail en maths pour être plus près d’eux, et les autres peuvent faire en autonomie », « Je peux faire soit des équipes très hétérogènes, soit au contraire je fais une équipe avec des enfants qui ont plus de difficultés et je reste avec eux. C’est pour pouvoir m’attarder avec ceux qui avancent à un rythme différent » ou « Je préfère des binômes de niveau identique pour lesquels je vais être plus présente ». Enfin certains comportements ont été mentionnés seulement par les enseignants des classes les plus efficaces, comme la préparation en amont aux activités nouvelles ou l’aide méthodologique donnée à certains élèves et non à d’autres (bande numérique, frise, dés, etc.). Pour maintenir les élèves concentrés, ils les appellent au tableau, ils ont recours à des contacts physiques (une main sur l’épaule les invitant à se placer droit devant leur table, une main sur la tête les invitant à se pencher, au sens propre comme figuré, sur leur travail), rappelant ainsi discrètement aux ­élèves qu’ils sont attentifs à ce qu’ils font, ils les isolent momentanément (« A. et H., je les ai mis devant moi parce que je voulais bien suivre ce qu’ils faisaient pour le calcul ; ils sont loin et je voulais vérifier ») ou encore se transforment en « assistant matériel » (« Je les aide dans la manipulation, ben oui, pour aller plus vite, pour arriver à quelque chose »). À l’issue de l’analyse de ces entretiens, il ressort d’une part que le fonctionnement des classes les moins efficaces semble plus stigmatisant à l’égard des élèves en difficulté, plus différenciateur en ­termes d’objectifs d’apprentissage et in fine moins exigeant. Même si ces enseignants disent être conscients des risques de stigmatisation, de nombreuses situations affichent clairement le statut des élèves : ne pas avoir la même tâche que les autres, ne pas avoir à la réaliser, faire partie d’un groupe de besoin, avoir besoin de l’aide des meilleurs, avoir besoin de l’aide d’un dispositif extérieur, faire attendre tout le groupe parce qu’on n’a pas trouvé la bonne réponse sont autant de situations qui, cumulées, montrent à tous les élèves le statut de chacun, en particulier le statut d’élève en difficulté. Au contraire, dans les classes les plus efficaces, les enseignants déclarent que « le tutorat évoque encore une situation qui crée des différences, Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 55 alors j’évite au maximum » ou qu’ils ne font « pas de groupes de besoin car […] je ne voudrais pas qu’ils soient montrés du doigt ». D’autre part, dans les ­classes les plus efficaces, les aides données aux ­élèves en difficulté sont variées (« Je développe ­toutes les stratégies possibles et inimaginables », « Je lui ai donné des cubes, je lui ai expliqué, posé des questions… J’essaie tout ») mais sont essen­ tiellement centrées sur une différenciation des moyens, des conditions de réalisation des tâches et du temps de présence de l’enseignant à leurs côtés (« J’ai découpé, j’ai collé, sinon le travail n’aurait pas pu se faire »). À l’inverse, dans les classes les moins efficaces, la différenciation des moyens se révèle moins variée et se double de contenus appauvris (« Les exigences avec M., ma volonté aujourd’hui, c’est qu’elle apprenne à lire, au moins un apprentissage de base. Mais au-delà de ça, on ne sait pas où on va ») qui rendent difficile l’intégration dans le ­collectif classe. Conclusion Si certaines classes se distinguent entre elles dans leur capacité à faire plus ou moins progresser les ­élèves en difficulté, les pratiques observées en classe à l’égard de ces élèves sont-elles à même d’expliquer ces écarts ? Répondre à cette question a nécessité l’articulation d’une approche quantitative permettant une mesure d’efficacité sur un échantillon de cent classes de CP et d’une approche qualitative permettant la caractérisation des pratiques enseignantes sur un sous-échantillon de huit classes à efficacité contrastée. Les données recueillies montrent à la fois des points communs et des divergences entre les deux groupes de classe considérés. Les analyses révèlent que l’attention que les enseignants portent à leurs élèves en difficulté est de quantité équivalente dans les deux groupes de classe. Des indicateurs relatifs à la fréquence des contacts verbaux ou au volume de différenciation ne révèlent pas de différence significative entre ces deux groupes. Une première conclusion est donc que les effets de ces aides ne semblent pas liés à une question de quantité. En revanche, c’est la nature de l’aide qui paraît déter­ minante. En effet l’ensemble des divergences identifiées entre les deux groupes nous semblent révéler que, dans les classes les plus efficaces, l’aide aux élèves en difficulté est intégrée à un fonctionnement plus 56 global de la classe, fondé sur la recherche d’une véritable articulation entre les objectifs d’apprentissage et de socialisation de l’école. L’école doit « apprendre à vivre ensemble » et cela passe par « apprendre ensemble ». Ces valeurs semblent piloter fortement les pratiques des enseignants dans leurs classes, l’absence de différenciation des contenus et la réduction effective des processus de stigmatisation en témoignent. Si différenciation il y a, c’est au service de ces valeurs basées sur le collectif, l’égalité de réussite à laquelle on doit aboutir avec des élèves qui, de façon évidente et normale, utilisent des procédures différentes pour apprendre. Cette conception explique sans doute la variété des aides constatée dans ces classes. Dans les classes les moins efficaces, l’accumulation de processus de stigmatisation et de contenus appauvris rend difficile une intégration des élèves en difficulté au groupe classe et fait apparaître des logiques de socialisation et d’apprentissage davantage dissociées. Comme nous l’avons explicité en amont, ces résultats peuvent être discutés en raison des limites méthodologiques de l’enquête. Un premier problème concerne le décalage temporel existant entre la mesure de l’efficacité pédagogique des classes et les observations des pratiques enseignantes. Ce décalage nous oblige à poser une hypothèse de stabilité des effets-maîtres et une hypothèse de stabilité des pratiques enseignantes, qu’il convient bien de considérer comme tel. Un second problème concerne le faible nombre d’enseignants observés et interrogés dans chaque catégorie, qui limite la solidité des ­comparaisons. Ces deux limites principales rendent nécessaire une confirmation des résultats, avec un dispositif empirique plus adapté, sur un échantillon plus large et des observations répétées dans chacune des classes. Toutefois nos résultats sont concordants avec les quelques travaux qui avaient déjà attiré ­l’attention sur les effets pervers, en matière d’apprentissage, d’un surinvestissement des activités visant la socialisation (dont Bouveau & Rochex, 1997). Notre article précise, à l’instar de Butlen et Pézard (1991) et plus récemment Jellab (2005), que ce type d’activité est indispensable, pour autant qu’il ne soit pas simplement juxtaposé ni envisagé comme un préalable, mais véritablement articulé, pensé conjointement aux activités d’apprentissage. Céline Piquée [email protected] CREAD, université de Haute Bretagne-Rennes 2 et IUFM de Bretagne, université de Bretagne-Occidentale Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 notes (1) Cet article est issu d’un rapport de recherche financé par le rectorat de l’académie de Rennes. L’enquête a été réalisée en collaboration avec Hervé Kérivel (formateur IUFM), Daniel Le Beuan (formateur IUFM), Géraldine Le Gaouyat (maître formateur IUFM et enseignante en CP), Gilles Ribet (conseiller pédagogique) et Patricia Vélagas (conseiller pédagogique). La qualité de ce travail dépend incontestablement de leur engagement actif. Nous tenons à les en remercier vivement. (2) Il s’agit de prendre en compte le caractère cumulatif des apprentissages et donc de distinguer dans le niveau des élèves, à un moment donné, ce qui résulte de l’influence du contexte scolaire auquel ils ont été soumis pendant l’année écoulée de ce qui résulte des années antérieures de scolarisation. Pour ce faire, il convient de borner temporellement l’analyse en procédant à une mesure des acquisitions des élèves en début (octobre 2004 pour nos données) et en fin de période étudiée (juin 2005). (3) L’estimation des effets de contexte doit tenir compte du fait que la réussite scolaire est liée à des facteurs contextuels mais aussi individuels (le milieu social des élèves par exemple). Pour démêler les liens entre les différents facteurs susceptibles d’intervenir dans l’explication des différences de réussite entre élèves, et en l’absence de possibilité de réaliser de véritables expérimentations, les modélisations statistiques multivariées constituent une alternative pertinente et désormais classique dans le champ de la sociologie quantitative. (4) Les épreuves standardisées sont construites sur la base des programmes scolaires à ce niveau. Elles sont disponibles, et leurs propriétés métriques consultables, dans Piquée (2007b). (5) Dans l’ensemble des analyses présentées, nous travaillons sur un score global (lecture et mathématiques confondues). Si l’on peut penser que des analyses spécifiques à la lecture et aux mathématiques auraient pu être conduites, ce score moyen a été choisi afin de ne pas alourdir la présentation des résultats et se justifie par la corrélation positive observée entre les deux disciplines en début comme en fin d’année (les coefficients de corrélation de Bravais-Pearson valent respectivement + 0,71 et + 0,67, significatifs au seuil de 0,001). (6) En début comme en fin d’année, après avoir centré et réduit les distributions (moyenne = 0 et écart type = 1), la moyenne des élèves de l’échantillon total a été ramenée par convention à 100 et l’écart type à 15. Les scores donnés sont à interpréter en fonction des scores obtenus par l’ensemble des classes constituant l’échantillon initial (soit 100 classes). (7) Demander le classement de l’ensemble de la classe avait pour but de ne pas attirer l’attention de l’enseignant sur le fait que nous allions observer les seuls élèves les plus en difficulté, ce qui aurait pu orienter son comportement à leur égard pendant la séance. (8) Dans chaque groupe de classe, efficaces vs inefficaces, nous opérons la moyenne des pourcentages associés à chaque élève, car un faible nombre de contacts d’un certain type pour un élève peut néanmoins représenter un pourcentage élevé au regard du nombre total de contacts dont il est l’objet. (9) Cette évaluation du niveau de difficulté des questions est relativement subjective au moment de l’observation. La confirmation a été demandée lors de l’entretien. Bibliographie ACLAND H. (1976). « Stability of teacher effectiveness: a replication ». The journal of educational research, vol. 69, n° 8, p. 289-292. ALTET M. 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Pratiques enseignantes envers les élèves en difficulté dans des classes à efficacité contrastée 59 Annexe. – Liste des différents indicateurs utilisés lors de l’étude Indicateurs de contacts verbaux entre enseignants et élèves –– Nombre d’actions verbales dont l’auteur initial est l’enseignant ; –– nombre d’actions verbales dont l’auteur initial est l’élève ; –– nombre moyen d’actions verbales par heure ; –– temps écoulé entre le début de classe et la première interaction ; –– nombre d’actions verbales relatives au comportement de l’élève : il s’agit d’actions verbales ayant pour but de rappeler les règles de comportement et d’attitude en classe, de placer l’élève dans sa posture d’écolier ; –– nombre d’actions verbales centrées sur l’élève : il s’agit d’actions verbales à effet positif ou négatif centrées sur la personne de l’élève, son estime de soi, son bien-être (félicitations, encouragements, valorisation, bien-être physique, discussions sans rapport avec la tâche, etc.) ; –– nombre d’actions verbales centrées sur la tâche : toutes les actions verbales (qu’il y ait feedback ou pas) centrées sur le contenu des tâches prescrites. Parmi les actions verbales centrées sur la tâche, certaines, à l’initiative de l’enseignant, ont pour objectif de guider l’élève dans la réalisation de la tâche. Ce guidage est caractérisé selon qu’il est à dominante explicative ou à dominante réflexive : –– nombre d’actions verbales à dominante expli­ cative : apports complémentaires de la part de l’enseignant sur la tâche et sur les conditions de 60 réalisation (opérations, matériels, reformulation de consignes…) ; –– nombre d’actions verbales à dominante réflexive : toutes les types d’actions verbales qui ont pour objectif de faire réfléchir et verbaliser l’élève sur la (ou les) opération(s) qu’il utilise ou doit utiliser pour avancer dans la tâche. Indicateurs de l’organisation du travail des élèves en difficulté –– Nombre total de « moments » d’activité (un moment est identifié par une tâche ou une activité donnée aux élèves, par exemple : calcul mental, problèmes, lecture, dictée de mots, chant, etc.) ; –– temps total de moments d’activité (somme des durées imparties par l’enseignant à chaque moment d’activité) ; –– temps passé sur une tâche différenciée (la tâche proposée est différente de celle du reste du groupe classe), en pourcentage du temps total de moments d’activité ; –– nombre de moments différenciés dans leurs objectifs, en pourcentage du nombre total de moments ; –– nombre de moments différenciés dans leurs conditions de réalisation, en pourcentage du nombre total de moments ; –– temps passé en groupe classe, en pourcentage du temps total ; –– temps passé en groupe d’élèves en difficulté, en pourcentage du temps total. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Les effets politiques des transformations du corps enseignant Alexis Spire À partir d’une enquête statistique menée dans les enseignements primaire et secondaire, cet article analyse le rapport que les enseignants d’aujourd’hui entretiennent à l’égard de leur métier et de la politique. En s’intéressant aux différences de genre, d’origine sociale et de trajectoire, l’auteur démontre l’existence d’un clivage générationnel qui traverse l’ensemble de ce groupe social. D’un côté, les enseignants recrutés à la fin des années 1970 sont les moins satisfaits de leur salaire, les plus critiques à l’égard du niveau actuel des élèves et les plus ancrés à gauche. De l’autre côté, ceux arrivés en poste à partir des années 1990 se satisfont davantage de leur statut, n’ont aucune nostalgie des élèves d’antan et sont moins enclins que leurs aînés à choisir un camp politique. Descripteurs (TESE) : sociologie de l’éducation, déroulement de carrière, statut de l’enseignant, salaire d’enseignant, parti politique. L es transformations de la condition enseignante sont souvent perçues en France à l’aune exclusive de la massification scolaire qui, à partir du milieu des années 1980, a largement ouvert l’enseignement secondaire à la jeunesse populaire. Parallèlement à cette « seconde explosion scolaire » — en référence à la première survenue entre 1960 et 1970 — s’est développé tout un discours sur le « malaise » des enseignants, qui renvoie à la fois à une minimisation de leur rôle éducatif, une dégradation de leurs conditions de travail et une dévalorisation de leur statut. Mais le corps enseignant a aussi connu de profondes mutations internes, en termes de recrutement notamment, qui n’ont pas été sans conséquences sur les représentations de celles et ceux qui ont pour mission de transmettre des savoirs (Viguier, 2006). Plusieurs enquêtes sociologiques ont souligné le renouvellement des pratiques professionnelles que cette nouvelle configuration a engendré (Barrère, 2002 ; van Zanten, 2001). L’analyse proposée ici met ­l’accent sur les effets que ces transformations propres au corps enseignant ont eus sur la vision du statut et du positionnement politique de ces enseignants. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 61-72 On s’appuiera sur une enquête statistique menée en 2007 auprès de 2 600 enseignants en poste et centrée sur les formes de leur engagement dans la vie de la cité (voir encadré ci-dessous). Nous étudions ici les enseignants qui exercent dans le primaire ou le secondaire, en englobant tous ceux qui doivent transmettre des connaissances au sein de l’école. Le monde des instituteurs du primaire et celui des professeurs du secondaire ont longtemps été considérés comme deux univers séparés (1). Cette hétérogénéité des corps doit beaucoup à l’histoire longue de ­l’institution scolaire qui a entretenu la reproduction d’identités professionnelles très différentes (Girault, 1996). Néanmoins la modification des caractéristiques sociologiques des publics scolaires et l’évolution des statuts des enseignants ont eu pour effet de réduire la distance symbolique entre ces deux ordres d’enseignement. Dans notre enquête, nous avons choisi de poser les mêmes questions à ceux du primaire et du secondaire, de façon à considérer les enseignants comme une catégorie sociale à part entière, tout en gardant à l’esprit que chacun des deux niveaux conserve certaines particularités. Ce choix permet d’étudier les transformations que cette catégorie a connues non seulement au regard de ses différences internes (liées au mode de recrutement ou à l’appartenance à un corps), mais aussi du point de vue de sa position et de sa trajectoire dans l’espace social global. Les effets des transformations du recrutement sur le positionnement politique seront donc saisis à ces deux niveaux. L’enjeu de cette contribution n’est pas de fournir un état des lieux statistique du positionnement politique des enseignants ou de leur opinion sur l’école. Les représentations des enseignants ne nous intéressent ici que sous l’angle des logiques sociales qui contribuent à les produire. La démarche qu’on se propose de suivre consiste à analyser conjointement, d’un côté le rapport que les enseignants entretiennent à l’égard de l’institution scolaire et de leur métier et, de l’autre, les représentations qu’ils entretiennent à l’égard de leur positionnement politique. L’enquête statistique Cet article s’appuie sur les résultats d’une enquête quantitative consacrée à « l’engagement des enseignants » et conduite dans le cadre d’un projet collectif financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et réalisé au sein du Centre d’études et de recherches administratives politiques et sociales (CERAPS), sous la direction de Frédéric Sawicki. En juin 2007, 6 300 questionnaires ont été adressés par voie postale à des ­enseignants en poste dans le Nord-Pas-de-Calais, sur 62 la base d’un échantillon stratifié composé de 58 % d’enseignants du second degré et de 42 % du premier degré. Le taux de retour a été d’environ 40 %, ce qui nous a permis d’exploiter un peu plus de 2 550 réponses, soit un échantillon représentatif en termes de ­répartition hommes/femmes, tranches d’âge et taille de l’établissement. Chaque questionnaire comporte 65 questions dont quelques-unes sont spécifiques au primaire et d’autres au secondaire mais la très grande majorité porte sur le rapport au métier, le rapport aux collègues, l’implication dans les dispositifs pédagogiques, la participation aux mouvements sociaux, les identifications partisanes et les affiliations syndicales. On a choisi ici de n’exploiter qu’une petite partie des variables disponibles dans cette base de données. La population des enseignants du Nord-Pas-de-Calais présente certaines spécificités qu’il convient de souligner : les enseignants y sont plus jeunes, moins diplômés que sur le reste du territoire et la région est très marquée par l’importance des formations professionnelles ; ils sont également plus syndiqués et plus souvent marqués à gauche. Toutes ces caractéristiques contribuent à faire de la région une sorte de « miroir grossissant » pour l’analyse de l’institution scolaire et de ses transfor­mations (Demailly, 1991, p. 73). Les effets des changements de statut sur le rapport au métier des enseignants Durant les trois dernières décennies, le statut institutionnel des enseignants s’est plutôt amélioré. Dans le premier degré, la création des Instituts universi­ taires de formation des maîtres (IUFM) et du corps des professeurs des écoles en 1989 a marqué une étape importante dans le processus d’égalisation des corps d’enseignement primaire et secondaire : le passage par l’université est devenu la règle et la très grande majorité des professeurs des écoles sont désormais recrutés au niveau de la licence, après un passage en IUFM (Geay, 1999, p. 209). Dans le second degré, l’extinction des catégories d’adjoint d’enseignement et de professeurs d’enseignement général de collège (2) (PEGC) s’est traduite par une homogénéisation du corps enseignant autour des certifiés. Cette relative amélioration du statut intervient pourtant au moment même où les enseignants sont de plus en plus nombreux à éprouver le sentiment d’occuper une place dévalorisée dans la société : dans notre enquête, ils sont, tous niveaux confondus, 62 % à estimer que l’image des enseignants est plutôt négative. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Tableau 1. – Satisfaction des enseignants par rapport à leur salaire, en fonction de leur âge Âge en 2007 Très satisfait(e) Assez satisfait(e) Moyennement satisfait(e) Peu satisfait(e) Pas du tout satisfait(e) NSP Total Moins de 30 ans 4,7 % 38,2 % 42,1 % 10,5 % 4,5 % 0,0 % 100,0 % 30-40 ans 2,7 % 35,2 % 40,0 % 15,3 % 6,0 % 0,8 % 100,0 % 40-50 ans 1,7 % 28,5 % 38,3 % 21,0 % 9,6 % 0,9 % 100,0 % Plus de 50 ans 2,4 % 27,5 % 39,2 % 21,0 % 9,1 % 0,8 % 100,0 % Ensemble 2,7 % 32,2 % 39,6 % 17,4 % 7,4 % 0,7 % 100,0 % Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité » (n = 2 585). Lecture : « NSP » signifie « ne se prononcent pas » ; khi 2 = 66 ; ddl = 15 ; p < 0,0 001. Plus les enseignants vieillissent, moins ils se satisfont de leur statut Pour mesurer de façon plus individuelle et concrète le rapport que les enseignants entretiennent avec leur statut, on a choisi de s’intéresser à l’appréciation qu’ils portent à leur salaire, celui-ci n’étant rien d’autre que le prix qu’une institution est prête à payer pour rémunérer des compétences à la hauteur de l’estime qu’elle leur attribue. À cet égard, il existe d’importantes disparités entre les niveaux d’enseignement et les corps d’appartenance. Dans le primaire, ceux qui sont restés instituteurs ont vu leur salaire réel baisser de l’ordre de 9 % (Bouzidi, ­Jaaidane & Gary-Bobo, 2007) mais ceux qui ont été reclassés dans le corps des professeurs des écoles ont bénéficié d’une nette revalorisation. D’ailleurs, ce clivage se retrouve dans leurs appréciations respectives : les professeurs des écoles se déclarent plus satisfaits de leur salaire que leurs collègues instituteurs. Dans le secondaire, les agrégés sont ceux qui se montrent les plus satisfaits de leur salaire (ils sont environ 54 % dans ce cas). On pourrait donc penser que les enseignants les plus satisfaits de leur ­rémunération sont ceux qui sont les mieux payés, mais cette appréciation n’est plus vérifiée lorsqu’on l’applique aux différentes tranches d’âge (voir le tableau 1). Dans l’Éducation nationale comme dans l’ensemble de la fonction publique, la rémunération augmente mécaniquement à mesure qu’on avance dans la ­carrière : en 2005 par exemple, un enseignant âgé de 30-40 ans gagne en moyenne 22 % de plus que ne gagne un enseignant de moins de 30 ans, tandis qu’un enseignant de 40-50 ans gagne environ 17 % de plus qu’un enseignant de 30-40 ans (Goux & Maurin, 2008). Or il est frappant de constater que la satisfaction par rapport au salaire diminue à mesure que l’âge augmente (voir le tableau 1) : les ensei gnants âgés de moins de 30 ans se déclarent à 43 % assez satisfaits ou très satisfaits de leur salaire, tandis que leurs collègues de plus de 50 ans ne sont que 30 % à le penser (3). Des enseignantes plus souvent satisfaites de leur salaire L’appréciation de son salaire n’est donc pas uniquement la traduction de l’échelle des rémunérations mais renvoie à d’autres déterminations, au premier rang desquelles se trouve le sexe. Parmi l’ensemble de la population active, si les salaires des femmes sont en moyenne inférieurs de 25 % à ceux des ­hommes, les jugements portés par les deux sexes sur leurs salaires respectifs n’offrent quasiment aucune différence (Baudelot & Serre, 2006). Dans le cas des enseignants, la question se pose différemment puisqu’il n’existe, à poste et statut équivalent, aucune différence de rémunération entre hommes et femmes. Dès lors, c’est le jugement porté par les unes et les autres sur un même niveau de rémunération qui varie (voir le tableau 2). Tous corps confondus, les femmes se déclarent toujours plus souvent satisfaites de leur salaire que leurs collègues masculins. Un tel résultat pourrait s’expliquer par le fait qu’hommes et femmes ne se répartissent pas exactement de la même manière dans la hiérarchie des rémunérations propre à l’Éducation nationale, notamment du point de vue des corps d’appartenance. Or, même lorsqu’on croise les appréciations sur le niveau de salaire avec l’appartenance à tel ou tel corps, des différences significatives d’appréciation persistent (voir le tableau 2). C’est parmi les professeurs des écoles que les écarts sont les plus importants : 16,5 % des professeurs des écoles sont très satisfaits ou assez satisfaits de leur Les effets politiques des transformations du corps enseignant 63 Tableau 2. ­– Les variations de satisfaction des enseignants par rapport à leur salaire, à statut égal et sexe différent Statut Instituteur Très satisfait(e) Assez satisfait(e) Moyennement satisfait(e) Peu satisfait(e) Pas du tout satisfait(e) 0,0 + 8,4 + 9,9 – 1,1 – 13,2 Professeur des écoles + 1,8 + 16,7 + 4,2 – 11,8 – 10,1 Agrégé + 3,8 + 12,1 – 8,2 – 6,2 – 1,6 Certifié + 1,3 + 8,2 + 5,6 – 11,7 – 3,6 Professeur de lycée professionnel (PLP 1 et 2) – 1,4 + 19,4 – 8,6 – 3,8 – 4,3 0,0 + 6,2 + 11,3 – 3,3 0,0 + 0,7 + 9,5 + 4,7 – 9,5 – 5,2 Professeur d’enseignement général de collège (PEGC) Ensemble Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité » (n = 2 585). Lecture : chaque chiffre du tableau ci-dessus est le résultat d’une ­différence de pourcentage entre femmes et hommes pour un même niveau de satisfaction. Par exemple pour les instituteurs, l'écart entre le pourcentage de femmes assez satisfaites et le pourcentage d’hommes assez satisfaits est de 8,4 points : 28,4 % des institutrices sont assez satisfaites de leur salaire tandis que 20,0 % des instituteurs le sont. salaire, alors que leurs collègues femmes le sont à 35 %, soit un différentiel de 18,5 points. Les écarts sont également substantiels entre hommes et femmes qui enseignent en lycée professionnel. L’explication est sans doute à chercher du côté des origines sociales. Les répondantes évaluent le plus souvent leur rémunération à l’aune de la situation sociale de leur mère (Baudelot & Serre, 2006). Or les femmes professeurs des écoles et professeurs en lycée professionnel ont aussi pour particularité d’être issues de milieux modestes : leur mère était respectivement à 25,2 % et à 35,0 % sans profession. Leurs homologues masculins sont également de milieu modeste mais leur père, jamais sans profession, était le plus souvent soit ouvrier, soit profession intermédiaire. Dans ces deux exemples et de façon atténuée pour les autres cas, les enseignantes se montrent donc, à statut égal, plus satisfaites que les enseignants de leur salaire, en partie car elles se comparent à leur mère. En somme, les variations dans le rapport des enseignants à leur salaire ne dépendent pas seulement du niveau de leur rémunération mais aussi de leur trajectoire sociale et surtout de la représentation qu’ils s’en font. Les enseignants au statut élevé sont les moins alarmistes sur le niveau des élèves Le rapport des enseignants à leur métier renvoie à de multiples dimensions qu’ils conçoivent en comparaison avec un état passé dudit métier tel qu’ils se le 64 représentent. À ce titre, la question de l’évolution du niveau des élèves a acquis une place centrale dans l’économie des jugements portés sur l’école ­(Baudelot & Establet, 1990). Parmi les enseignants que nous avons interrogés, ils sont 63 % à trouver le niveau des élèves plus faible qu’il ne l’était il y a dix ans. Un tel résultat est cependant très difficile à interpréter en raison de la diversité des points de vue que les enseignants ont du système scolaire : ils s’expriment à la fois en tant qu’acteurs de l’institution, mais aussi en tant qu’anciens élèves, voire pour certains en tant que parents d’élèves. Les réponses à la question sur le niveau des élèves reflètent donc tout autant une appréciation portée sur les conditions actuelles d’exercice du métier d’enseignant que la représentation que les enseignants se font de leur propre trajectoire individuelle. Les variables susceptibles d’intervenir sont donc à la fois celles relatives à la position sociale (origine sociale, sexe, diplôme, profession du conjoint) et celles renvoyant à la position professionnelle (ancienneté dans le poste, corps d’appartenance, type d’établissement). Si l’on teste la significativité de ces variables dans un modèle de régression logistique, il ressort que l’appartenance à tel ou tel corps d’enseignant et l’ancienneté dans le poste sont déterminantes pour expliquer le sentiment d’une baisse de niveau (voir le tableau 3). Les différences mises en lumière dans le tableau 3 reflètent en partie des variations selon le niveau d’enseignement : l’appréciation sur le niveau des élèves ne prend pas le même sens selon que l’on enseigne Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Tableau 3. – Opinion des enseignants sur l’évolution du niveau des élèves, selon l’appartenance aux corps d’enseignement Meilleur Identique Plus faible Sans opinion Total Professeur des lycées professionnels (PLP 1 et 2) 2,2 % 11,7 % 82,5 % 3,6 % 100,0 % Professeur d’enseignement général de collège (PEGC) 2,0 % 9,8 % 84,3 % 3,9 % 100,0 % Instituteur 4,5 % 38,2 % 49,4 % 7,9 % 100,0 % Professeur des écoles 9,4 % 31,9 % 49,0 % 9,7 % 100,0 % Certifié 3,2 % 21,5 % 70,5 % 4,8 % 100,0 % Agrégé 6,4 % 27,3 % 55,4 % 10,9 % 100,0 % Autres* 5,1 % 23,7 % 67,8 % 3,4 % 100,0 % Ensemble 5,4 % 24,5 % 63,5 % 6,6 % 100,0 % *Adjoints d’enseignement, chargés d’enseignement ou autres corps du second degré. Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants ayant commencé à exercer avant 1998 (n = 1 735) ; khi 2 = 132 ; ddl = 18 ; p < 0,0 001. Tableau 4. – Opinion des enseignants sur l’évolution du niveau des élèves, selon leur ancienneté Année d’entrée en poste Meilleur Identique Plus faible Sans opinion Total Avant 1979 6,4 % 18,1 % 68,9 % 6,6 % 100,0 % De 1979 à 1988 6,7 % 22,9 % 62,9 % 7,5 % 100,0 % De 1989 à 1995 3,0 % 30,9 % 59,6 % 6,5 % 100,0 % De 1996 à 2000 5,0 % 31,7 % 59,0 % 4,3 % 100,0 % Ensemble 5,4 % 24,5 % 63,5 % 6,6 % 100,0 % Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants ayant commencé à exercer avant 1998 (n = 1 735) ; khi 2 = 38 ; ddl = 12 ; p < 0,0 002. dans le primaire ou le secondaire. Dans l’ensemble, les enseignants du premier degré sont moins massivement convaincus que leurs collègues du secondaire que le niveau baisse. Mais au-delà de cette partition, l’appréciation sur le niveau des élèves semble surtout corrélée à l’appartenance au corps. Les plus nostalgiques du niveau des élèves d’antan sont ceux qui relèvent du corps des PEGC et des professeurs de lycée professionnel ; viennent ensuite les certifiés, les agrégés, puis les instituteurs et enfin les professeurs des écoles. On pourrait penser que ces différences ne sont que le reflet de l’hétérogénéité des conditions d’enseignement, mais il n’en est rien : les agrégés exerçant en collège partagent approximativement le même jugement que leurs collègues de lycée (un peu plus de la moitié juge le niveau des élèves plus faible qu’il y a dix ans) ; de même, les certi fiés exerçant en lycée professionnel sont 68,1 % à estimer que le niveau des élèves a baissé, ce qui les situe à un niveau comparable à celui des autres certifiés et les place très loin des enseignants du corps des professeurs de lycée professionnel. Autrement dit, la conviction que le niveau des élèves a baissé en l’espace de dix ans apparaît fortement corrélée au corps auquel on appartient : dans le secondaire, elle est de plus en plus partagée à mesure que l’on descend dans la hiérarchie, et ce indépendamment du type d’établissement (collège, lycée ou lycée professionnel) dans lequel on enseigne. Mais elle est aussi fortement dépendante de l’ancienneté dans le poste (voir le tableau 4). Il existe un lien complexe entre l’ancienneté dans le poste et la conviction que le niveau des élèves baisse. Les effets politiques des transformations du corps enseignant 65 Les plus anciens dans l’enseignement, ceux qui ont été recrutés avant 1988, apparaissent comme un groupe clivé. Collectivement, ils sont les plus nombreux à penser que le niveau baisse : les enseignants recrutés avant 1979 sont près de 69 % à considérer le niveau des élèves plus faible qu’il y a dix ans, tandis que leurs collègues entrés dans l’Éducation nationale entre 1996 et 2000 ne sont que 59 % à partager ce diagnostic. Ce résultat est en réalité le produit de deux tendances distinctes : un effet d’âge et un effet de trajectoire. L’effet d’âge renvoie au fait que l’attachement au passé de l’institution scolaire tend à s’accentuer à mesure du vieillissement, ce qui contribue à expliquer que, dans l’ensemble, les plus anciens dans l’institution sont les plus nombreux à penser que le niveau des élèves est plus faible. Mais cet effet d’âge se combine à un effet de trajectoire qui tient à la forme prise par la progression des carrières dans l’Éducation nationale : plus on avance en âge, plus on accroît ses chances de pouvoir choisir l’établissement dans lequel on va exercer. Pour les enseignants entrés en poste dans les années 1970 et 1980 qui ont réussi à obtenir un établissement de centre-ville, où les conditions de travail sont moins difficiles et où le niveau des élèves est plus élevé en raison d’un recrutement plus sélectif qu’ailleurs, le niveau des élèves peut apparaître meilleur que celui auquel ils étaient confrontés en début de carrière. La variable relative à l’ancienneté dans le poste peut ainsi produire des effets opposés, ce qui incite à construire une variable qui tienne également compte de la progression dans la carrière. Quand la promotion professionnelle rend plus optimiste sur l’évolution du niveau des élèves Pour rendre compte des effets liés à la trajectoire, il faut s’intéresser à la succession des positions professionnelles occupées par chaque enseignant au cours de sa carrière. En associant la question du statut en début de carrière et celle du statut actuel, on peut construire une variable reflétant le degré de mobilité dans la trajectoire, de façon à expliquer les différents rapports que les enseignants entretiennent à l’égard de l’institution scolaire. Trois types de trajectoires peuvent alors être distingués. Tout d’abord les titularisés, c’est-à-dire ceux qui ont commencé comme vacataire, contractuel ou maître auxiliaire et qui sont devenus instituteur, professeur des écoles ou titulaire dans le secondaire (PLP, PEGC, certifiés ou agrégés) ; ils représentent plus d’un tiers (38,2 %) des enseignants présents dans l’échantillon. Viennent ensuite ceux qu’on pourrait qualifier de promus, c’est-à-dire 66 ceux qui ont commencé leur carrière comme titulaire et qui sont parvenus à un statut plus élevé, le plus souvent passant d’instituteur à professeur des écoles et parfois directeur, de PEGC à certifié ou encore de certifié à agrégé (4). Obtenues soit par concours interne ou externe, soit par liste d’aptitude statutaire pour les plus âgés, ces promotions restent peu fréquentes : elles ont bénéficié à seulement 16,4 % des enseignants de l’échantillon. Tous les autres peuvent être qualifiés de stables dans le sens où soit ils ont conservé le même statut de titulaire tout au long de leur carrière (43,0 %), soit ils sont restés avec un statut de temporaire (2,5 %). Ces différentes trajectoires sont susceptibles d’influer sur le rapport à l’institution scolaire des enseignants mais elles sont également conditionnées à certaines variables de position : les enseignants du primaire ont par exemple plus de chances d’avoir connu une promotion, en raison de la création en 1989 du statut de professeur des écoles, que leurs collègues du secondaire. De même, les enseignants plus âgés ont logiquement plus de chance d’avoir bénéficié d’une promotion que leurs collègues plus jeunes. Enfin la variable de genre intervient également : les enseignantes ont plus de chances que leurs collègues masculins de connaître une carrière stable sans aucune promotion, notamment en raison des sollicitations auxquelles elles doivent répondre dans la sphère domestique (CacouaultBitaud, 2007). L’introduction d’un critère relatif à la mobilité professionnelle permet de mieux cerner le profil de ceux qui restent attachés à un état antérieur de l’institution scolaire. Le groupe des titularisés, composé à 75 % d’enseignants de plus de 40 ans, est de loin celui qui se montre le plus attaché au passé de l’institution scolaire. Dans leur majorité, ils ont commencé à enseigner à la fin des années 1970 et au début des années 1980 et ont été associés à une sorte de ­compromis scellé par l’administration de l’époque : en contrepartie des concessions accordées en matière de titularisation et de progression dans la carrière, ces enseignants acceptaient d’enseigner à des élèves moins sélectionnés scolairement ­(Chapoulie, 1987, p. 42). Mais une fois leur nouveau statut acquis, certains d’entre eux ont été contraints de constater que le processus de massification se poursuivait, sans qu’il s’accompagne pour eux de nouvelles contreparties, et ils ont pu ressentir amèrement l’évolution du recrutement social des publics scolaires. Le groupe des stables, composé quant à lui aux trois quarts d’enseignants de moins de 40 ans, est plus hétérogène : il comprend d’un côté des agrégés et des professeurs des écoles qui ne peuvent, du fait Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Tableau 5. – Opinion des enseignants sur l’évolution du niveau des élèves, selon leur trajectoire professionnelle Type de trajectoire Meilleur Identique Plus faible Sans opinion Total Titularisés 2,8 % 17,8 % 76,6 % 2,8 % 100,0 % Promus 9,5 % 30,5 % 52,0 % 8,0 % 100,0 % Stables 4,3 % 27,3 % 62,6 % 5,8 % 100,0 % Ensemble 5,4 % 24,7 % 64,5 % 5,4 % 100,0 % Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants ayant commencé à exercer avant 1998 et dont on peut restituer la trajectoire (n = 1 682) ; khi 2 = 87,5 ; ddl = 6 ; p < 0,0 001. de leur position, bénéficier d’aucune promotion au sens où on l’a défini précédemment et de l’autre des enseignants qui sont restés depuis leur recrutement dans un statut temporaire. Le caractère composite de ce groupe rend donc fragile toute tentative d’interprétation. En revanche, l’appréciation portée par les promus mérite qu’on s’y arrête : ils sont à peine plus de la moitié à estimer que le niveau baisse et près de 10 % d’entre eux le trouvent même meilleur qu’il y a dix ans (voir le tableau 5). Composé pour l’essentiel d’enseignantes (73 %), exerçant très majoritairement dans le primaire (à 85 %), ce groupe a sans doute été moins exposé que les autres aux effets de la massification (plus perceptible dans le secondaire) ; il se caractérise également par des trajectoires d’ascension qui doivent beaucoup à l’institution scolaire, ce qui explique peut-être que ces enseignants ressentent moins durement l’évolution du recrutement social de leurs publics. On voit donc se dégager un certain « conservatisme scolaire » qui semble davantage émaner d’enseignants entrés en poste avant 1979 et ayant eu une carrière stable, tandis que les jeunes du secondaire et les enseignants du primaire ayant bénéficié d’une promotion par le statut de professeurs des écoles se montrent moins nostalgiques des élèves d’antan. Il reste maintenant à se demander comment ce conservatisme scolaire qui divise la population des enseignants s’articule plus ou moins directement avec les orientations politiques. Le positionnement politique des enseignants Dans notre enquête statistique, les enseignants interrogés se réclament à une courte majorité (52,6 %) de la gauche et de l’extrême-gauche, 20 % se ­déclarent au centre et 20,7 % à droite (5). L’auto-­ positionnement sur un axe gauche-droite renvoie à des dimensions à la fois économiques, politiques et ­symboliques (Michelat, 1990) mais on se propose de ­l’appréhender ici comme le produit de variables sociologiques. Si l’on teste la significativité des variables dont on dispose dans un modèle de régression logistique, le sexe, l’appartenance à tel ou tel corps (agrégé, certifié, professeur des écoles…), le type d’établissement ou encore la situation matrimoniale ne semblent pas influencer significativement l’orientation politique, tandis que l’âge, l’origine sociale et la profession du conjoint apparaissent déterminants. Vieillissement et ancrage à gauche Suite à l’élection présidentielle de 2007, plusieurs observateurs ont souligné le lien entre vieillissement et ancrage à droite de l’électorat (Michelat & Tiberj, 2007, p. 373), mais cette corrélation ne se retrouve pas parmi les enseignants : ceux-ci se déclarent d’autant plus souvent à gauche qu’ils avancent en âge (voir les tableaux 6a et 6b). Pour expliquer un tel résultat, il faut distinguer le positionnement politique des enseignants du primaire et du secondaire, de façon à rapporter ces prises de position à l’histoire des recrutements et des évolutions sociales propres à chacun de ces deux groupes. Au sein du primaire, la catégorie des moins de 30 ans constitue l’exception à la règle selon laquelle plus les enseignants sont jeunes et moins ils s’identifient à la gauche. L’explication vient sans doute du fait qu’il s’agit de jeunes recrues qui sont un peu moins de 60 % seulement à être titulaires de leur poste, alors que leurs aînés le sont à 85 %. On peut faire l’hypothèse que leur statut incertain les incline davantage à s’orienter à gauche. Hormis cette tranche d’âge, il se dégage une opposition entre les plus de 40 ans d’un côté, qui se déclarent plus souvent à Les effets politiques des transformations du corps enseignant 67 Tableau 6a. – L’orientation politique des enseignants du primaire en fonction de leur âge Très à gauche À gauche Au centre À droite NSP Total Moins de 30 ans 4,1 % 48,2 % 16,7 % 21,8 % 9,0 % 100,0 % 30-40 ans 4,7 % 38,6 % 21,5 % 26,3 % 8,9 % 100,0 % 40-50 ans 9,0 % 52,3 % 18,6 % 14,0 % 6,1 % 100,0 % Plus de 50 ans 13,7 % 48,4 % 15,3 % 17,9 % 4,7 % 100,0 % Ensemble des enseignants du primaire 7,3 % 45,9 % 18,7 % 20,7 % 7,4 % 100,0 % Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants affectés dans un établissement primaire (n = 1 057) ; khi 2 = 47,7 ; ddl = 12 ; p < 0,0 001. Tableau 6b. – L’orientation politique des enseignants du secondaire en fonction de leur âge Très à gauche À gauche Au centre À droite NSP Total Moins de 30 ans 9,3 % 39,9 % 26,8 % 17,5 % 6,6 % 100,0 % 30-40 ans 10,8 % 40,2 % 21,4 % 20,8 % 6,9 % 100,0 % 40-50 ans 7,8 % 40,0 % 21,4 % 23,1 % 7,8 % 100,0 % Plus de 50 ans 7,9 % 50,7 % 16,8 % 20,6 % 4,0 % 100,0 % Ensemble des enseignants du secondaire 9,1 % 43,0 % 20,7 % 20,7 % 6,4 % 100,0 % Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants affectés dans un établissement secondaire (n = 1 528) ; khi 2 = 32,8 ; ddl = 12 ; p = 0,0 079 (significatif au seuil de 1 %). gauche ou très à gauche, et les moins de 40 ans de l’autre, qui sont à la fois plus à droite mais aussi plus nombreux à refuser de se positionner. Les plus de 40 ans qui s’identifient à la gauche sont pour beaucoup des instituteurs entrés dans l’enseignement dans les années 1970 et 1980, à une époque où la volonté de faire baisser le nombre d’élèves par classe obligeait à recruter sans concours des instituteurs remplaçants (6). De plus, en 1985, l’ouverture de concours spéciaux destinés aux titulaires d’un DEUG ou d’un diplôme équivalent a permis à un certain nombre d’accéder à des postes d’instituteurs, sans passer par les concours traditionnels. En revanche, les plus marqués à droite sont ceux qui ont débuté leur carrière dans les années 1990 et 2000 et qui ont donc dû, dans leur très grande majorité, passer par le concours de professeur des écoles pour être recrutés. On peut donc faire l’hypothèse que ce clivage générationnel sépare en réalité d’un côté ceux qui ont été recrutés par des voies transversales et qui ont vu leur situation s’améliorer grâce à la création du statut de professeur des écoles et, de l’autre, ceux qui ont été sélectionnés par le concours dès leur entrée dans 68 la profession et qui ont plutôt le sentiment d’une stagnation. Dans le secondaire, l’effet d’âge et de génération ne joue pas de la même façon en raison de l’histoire spécifique des recrutements à ce niveau (voir le tableau 6b). Au sein du secondaire, le clivage le plus marqué sépare les plus de 50 ans qui se déclarent à gauche à 58 % et les moins de 50 ans qui sont plus souvent que leurs aînés au centre ou à droite. Cette coupure générationnelle renvoie à des différences de traitement au sein de l’institution. Les premiers ont pour beaucoup bénéficié du plan de liquidation de l’auxiliariat mis en œuvre entre 1975 et 1978 et de la facilitation de l’accès au statut de certifié pour les PEGC et maîtres auxiliaires (Chapoulie, 1987, p. 40). En revanche, chez ceux qui sont trop jeunes pour avoir connu cette période, ce sont les enseignants qui ont entre 40 et 50 ans qui se déclarent le moins souvent à l’extrême-gauche, le plus souvent à droite ou qui sont aussi les plus nombreux à refuser de se positionner. Ainsi, dans le primaire comme dans le secondaire, les générations qui se déclarent le plus à gauche sont Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 celles qui regroupent les plus de 50 ans et qui, dans leur majorité, ont bénéficié d’une promotion collective : dans le primaire, ce sont ceux qui ont pu passer d’instituteur à professeur des écoles et, dans le secondaire, ce sont ceux qui ont connu le plan massif de résorption de l’auxiliariat. Ce clivage générationnel s’explique également par des considérations extérieures à l’univers de l’enseignement : d’une manière générale, la cohorte de citoyens arrivés à maturité sous le premier septennat de Mitterrand a pu être plus marquée par l’ancrage à gauche que celles qui lui ont succédé ; de même, l’évolution des structures syndicales (qu’on a choisi de ne pas traiter dans le présent article) a aussi pu jouer un rôle dans le creusement de ce clivage, au point de faire émerger un « nouveau rapport à la chose syndicale » (Robert, 1999). Quoi qu’il en soit, si l’on rapproche ce résultat de celui précédemment énoncé, on constate une disjonction entre conservatisme scolaire et positionnement politique : les enseignants les plus âgés sont à la fois ceux qui sont le plus attachés au passé de l’institution scolaire et ceux qui se déclarent le plus souvent à gauche. Ce profil d’enseignants à la fois nostalgiques du passé et ancrés à gauche apparaissait déjà dans de précédentes enquêtes (Demailly, 1985 ; Chapoulie, 1987) mais, alors que ce groupe était présenté comme minoritaire, il semble aujourd’hui représenter une part beaucoup plus importante du monde enseignant. Une telle proposition doit néanmoins être nuancée en fonction de l’évolution du recrutement social, susceptible de peser sur les ­différentes générations d’enseignants. Les effets de la mobilité sociale sur les représentations politiques Depuis la fin des années 1970, le recrutement social des enseignants s’est beaucoup élevé : entre 1977 et 1997, la part des enfants d’agriculteurs et des enfants d’ouvriers a baissé (passant respectivement de 12,5 % à 9,8 % et de 28,7 % à 23,5 %), celle des enfants d’employés est passée de 11,3 % à 15,4 % et la proportion des enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures a augmenté de 12,4 % à 17,2 % (Vallet & Degenne, 2000, p. 35). Dans le même temps, la part des enfants d’enseignants est passée de 8 % à 10 %, alors que les enseignants ont continué à ne représenter qu’environ 4 % de la population active totale. Certes cette élévation de l’origine sociale des enseignants est à peine plus importante que celle qu’a connue l’ensemble de la population active occupée, mais elle reflète un ­profond changement des conditions d’accès à cette profession. Pour ceux qui ont été recrutés le plus récemment, l’accès au métier d’enseignant n’est plus nécessairement synonyme de promotion sociale et culturelle mais peut signifier stagnation, reproduction ou déclin. Il en découle un clivage générationnel qui prend des formes un peu différentes selon le degré d’enseignement. L’augmentation de la part des enfants issus des catégories moyennes et supérieures est plus saillante dans le primaire que dans le secondaire : dans le premier degré, la proportion d’enseignants de parents cadres est passée de 11,3 % à 13,0 % entre 1977 et 1997 (alors qu’elle a baissé dans le second degré de 21,5 % à 19,7 %) et celle d’enfants de profession intermédiaire a bondi de 13,9 % à 18,0 % (tandis qu’elle augmentait de 16,7 % à 18,6 % dans le second degré, voir Vallet & Degenne, 2000, p. 37). Dans le même temps, la part des enfants d’ouvriers a reculé dans le primaire alors qu’elle est restée stable dans le secondaire. En l’espace de vingt ans, l’écart qui existait du point de vue des origines sociales entre enseignants du premier et du second degrés s’est donc considérablement réduit. Cette évolution nous conduit à relativiser le clivage longtemps considéré comme structurant entre les deux corps professionnels et à prendre en compte les différences de générations qui les traversent, notamment pour analyser les représentations politiques. Le codage de l’origine sociale Tous les questionnaires que nous avons recueillis comportent des indications sur la profession du père et de la mère des répondants. Pour ne pas restreindre l’origine sociale à la profession du père, on a choisi une méthode combinant les deux informations : –– lorsque l’un des deux parents est enseignant, l’origine sociale a été codée « enseignant », quelle que soit la profession du conjoint, pour rendre compte des particularités que cette forme d’hérédité ­engendre ; –– lorsque la profession d’un seul parent est renseignée ou que l’un des deux parents est inactif, l’origine sociale retenue est celle du parent actif ; –– lorsque les deux parents exercent des professions relevant de la même catégorie sociale, l’origine sociale retenue est celle commune aux deux ; –– lorsque la profession du père renvoie à une catégorie sociale différente de celle de la mère (par exemple père « ouvrier » et mère « employée »), l’origine sociale retenue est celle du père lorsque le répondant est un homme et celle de la mère lorsqu’il s’agit d’une femme. Ce dispositif nous a permis de tenir compte de la profession du père et de la mère, sans privilégier l’une par rapport à l’autre. Pour plus de lisibilité, on a choisi de Les effets politiques des transformations du corps enseignant 69 regrouper les professions ainsi codées dans des catégories plus larges. Les enfants d’employés ont été regroupés avec les enfants d’ouvriers parmi les catégories populaires. Les enfants d’exploitants agricoles, à défaut de connaître la taille de l’exploitation, ont été rangés parmi les catégories supérieures car, dans le Nord-Pasde-Calais, les gros exploitants agricoles l’emportent ­largement sur les petits propriétaires (le terme « supérieures » renvoie ici au fait de détenir un certain capital économique). Lorsqu’on croise l’origine sociale avec le positionnement politique, on voit se dessiner plusieurs types de trajectoires (voir le tableau 7). Le premier groupe se compose de ceux pour qui l’accès à la condition enseignante représente une promotion sociale : issus de parents ouvriers et employés, ils se disent nettement plus souvent à gauche que l’ensemble de leurs collègues. Cette correspondance entre origine populaire et ancrage à gauche masque néanmoins une différence entre, d’un côté, les enfants d’ouvriers, très significativement marqués à gauche et, de l’autre, les enfants d’employés qui, eux, sont plus proches de la moyenne des autres enseignants. Le deuxième pôle rassemble ceux qui sont issus de catégories supé­rieures : qu’ils soient enfants de cadres supérieurs, d’exploitants agricoles ou de chefs d’entreprise, ils se positionnent toujours plus à droite que leurs collègues. Pour eux, l’accès à l’enseignement représente une forme de mobilité possiblement vécue comme descendante, dans le sens où elle correspond à un déclin au regard de la réussite économique. Le troisième pôle regroupe les trajectoires relativement stables parmi lesquelles on peut déceler deux types de parcours. D’un côté, les enseignants eux-mêmes enfants d’enseignants sont ceux qui se déclarent le plus souvent à gauche, voire très à gauche ; on peut voir là l’héritage d’une identité sociale et politique qui se reproduit d’autant plus sûrement qu’elle est portée par des parents dont la profession réside dans la transmission. De l’autre, ceux qui sont issus des classes moyennes non enseignantes (c’est-à-dire cadres moyens ou professions intermédiaires) affichent un positionnement politique à peu près identique à celui des autres. En somme, l’élévation de l’origine sociale des enseignants a sans doute contribué à modifier les représentations politiques de ce corps professionnel ancré à gauche. L’augmentation de la part de ceux pour qui l’accès à l’enseignement ne représente pas une promotion est allée de pair avec un plus grand éclectisme politique. L’impact de l’hétérogamie Si l’origine sociale constitue un marqueur de socialisation primaire susceptible de se transformer tout au long de la trajectoire, l’appartenance sociale du (de la) conjoint(e) influence plus directement, et parfois dans un sens opposé, les orientations politiques des enseignants (voir le tableau 8). Tandis que l’origine populaire des parents fait plutôt pencher à gauche, le fait d’être en couple avec un conjoint de catégorie populaire oriente plutôt vers la droite. Cette divergence s’explique en partie par une différence de composition du groupe des catégories populaires : les conjoints d’enseignants appartenant aux catégories populaires sont à 70 % employés, alors que cette proportion n’est que de 58 % parmi la génération des parents. De plus, la catégorie des employés ne recouvre pas les mêmes professions d’une génération à l’autre. Dans la génération des parents, elle renvoie le plus souvent à des petits fonctionnaires ruraux ou à des employés d’administration tandis que, parmi les conjoints, il s’agit davantage de professions liées au commerce ou à la comptabilité lorsque ce sont des femmes, et des métiers d’ordre lorsque ce sont des hommes (policiers ou militaires). En revanche, la proximité avec les catégories supérieures influence toujours dans le même sens l’orien- Tableau 7. – L’influence de l’origine sociale des enseignants sur leur positionnement politique Très à gauche À gauche Au centre À droite NSP Total Catégories populaires* 7,1 % 47,0 % 19,6 % 18,6 % 7,7 % 100,0 % Catégories supérieures** 6,2 % 38,5 % 20,3 % 28,2 % 6,8 % 100,0 % Professions intermédiaires 8,6 % 43,2 % 21,0 % 21,6 % 5,4 % 100,0 % Enseignants 12,8 % 47,6 % 20,0 % 15,5 % 4,1 % 100,0 % Ensemble 8,4 % 44,2 % 19,9 % 20,7 % 6,8 % 100,0 % *Regroupant les enseignants de parents ouvriers et employés ; **regroupant les enfants de cadres supérieurs, chefs d’entreprise, petits patrons et exploitants agricoles. Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité » (n = 2 585) ; khi 2 = 56 ; ddl = 12 ; p < 0,0 001. 70 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Tableau 8. – L’influence de la profession du (de la) conjoint(e) des enseignants sur leur positionnement politique Très à gauche À gauche Au centre À droite NSP Total Catégories populaires* 6,9 % 44,8 % 16,3 % 23,7 % 8,3 % 100,0 % Catégories supérieures** 4,5 % 32,9 % 24,8 % 30,7 % 7,1 % 100,0 % Professions intermédiaires 7,2 % 43,4 % 23,2 % 19,7 % 6,5 % 100,0 % Enseignants 11,0 % 50,4 % 16,8 % 16,8 % 5,0 % 100,0 % Ensemble 8,4 % 44,2 % 19,9 % 20,7 % 6,8 % 100,0 % *Regroupant les conjoints d’ouvriers et d’employés ; **regroupant les conjoints de cadres supérieurs, chefs d’entreprise, petits patrons et exploitants agricoles. Source : enquête ANR sur « Les enseignants dans la cité ». Champ : les enseignants vivant ou ayant vécu en couple (n = 2 095) ; khi 2 = 79,6 ; ddl = 12 ; p < 0,0 001. tation politique : lorsque le conjoint est cadre supérieur, chef d’entreprise ou petit patron, l’ancrage à droite est beaucoup plus net et les sympathies à gauche ou très à gauche font figure d’exception. Cette forme d’hétérogamie concerne d’ailleurs principalement les femmes : dans 82 % des cas, les enseignants vivant avec des cadres supérieurs ou avec des chefs d’entreprise sont des femmes. Dans ce type de configuration, l’enseignement représente davantage une profession d’appoint pour le ménage, à la fois en termes de salaire et d’identité symbolique. Cette façon d’envisager le métier est propice au temps partiel et peut même conduire à abandonner l’enseignement lorsque les obligations sociales et matrimoniales découlant d’un « beau mariage » ­l’emportent sur le projet professionnel (Cacouault-Bitaud, 2007, p. 71). Enfin, le fait d’avoir un conjoint enseignant favorise l’ancrage à gauche, dans des proportions plus importantes encore que si l’un des parents est enseignant. Cette forme d’homogamie semble garantir là encore la reproduction d’une orientation politique d’autant plus stable qu’elle s’effectue dans un univers social homogène. Le positionnement politique des enseignants est donc déterminé par d’autres variables que celles qui conditionnent le rapport au métier et au statut. L’élévation du recrutement social des enseignants a contribué à atténuer le fort ancrage à gauche au sein de cette catégorie parti­culière de fonctionnaires. De même, la progression de la féminisation a sans aucun doute eu des effets sur le recrutement social des conjoints : dans les années 1960, le modèle qui prévalait était celui d’un enseignant marié avec une femme de statut égal ou inférieur au sien ; l’arrivée dans le métier de nouvelles générations de femmes, souvent en couple avec des hommes dont la situation professionnelle est supérieure à la leur, a également contribué à un plus grand éclectisme politique. Conclusion L’enquête statistique menée auprès des enseignants du primaire et du secondaire éclaire d’un jour différent la crise de reproduction que traverse actuellement le corps enseignant (Poupeau, 2004). Pour cerner les transformations de ce groupe social dans sa globalité, on s’est efforcé de dresser un tableau qui rende compte à la fois du rapport au statut et au niveau des élèves et du positionnement à l’égard de la politique. Tandis que de nombreux travaux ont ­analysé le rapprochement du primaire et du secondaire comme l’émergence d’une identité collective ­commune à l’ensemble des enseignants (Hirschhorn, 1993), l’attention portée aux différences de genre, d’origine sociale, de trajectoire et d’âge fait apparaître d’autres clivages que celui qui sépare les personnels en fonction de leur niveau d’enseignement. Bien sûr, l’histoire propre à chacun de ces deux univers pèse sur le rapport au métier et les orientations poli­ tiques de chaque groupe. Mais, au-delà de cette partition, on assiste à l’émergence de clivages qui condensent des formes différentes d’accès au métier et de déroulement de carrière. D’un côté, ceux qui sont en poste depuis plus de vingt ans et qui ont vu leur carrière stagner sont ceux qui se montrent les moins satisfaits de leur salaire et les plus critiques à l’égard du niveau actuel des élèves. Cette forme de conservatisme scolaire s’accompagne d’un très fort ancrage à gauche : en raison de leur origine sociale et du rôle qu’a joué l’école dans leur trajectoire, ils s’identifient aux candidats et aux partis marqués à gauche. De l’autre côté, ceux qui sont arrivés en poste à partir des années 1990 sont issus de milieux plus favorisés ; ils n’ont aucune nostalgie des élèves d’antan et s’accommodent mieux des publics ­auxquels Les effets politiques des transformations du corps enseignant 71 ils sont confrontés, mais ils sont moins enclins que leurs aînés à choisir un camp politique : ils semblent faire preuve d’un désinvestissement à l’égard de l’institution scolaire et à l’égard des identifications partisanes. Cette relation établie entre les évolutions d’un groupe professionnel et ses représentations politiques fait apparaître une dimension rarement prise en compte dans les études sur l’institution scolaire : elle révèle la façon dont les transformations de la condition enseignante peuvent se répercuter sur le positionnement politique de ce groupe social, éclairant ainsi les composantes d’un ancrage à gauche moins marqué que par le passé. Alexis Spire [email protected] CERAPS, université du droit et de la santé-Lille 2 notes (1) Cette césure se retrouve encore aujourd’hui dans la nomenclature des catégories socioprofessionnelles : agrégés et certifiés sont rangés parmi les cadres et professions intellectuelles du supérieur (PCS n° 34) tandis que les professeurs des écoles et instituteurs sont parmi les professions intermédiaires (PCS n° 42). (4) Il faudrait ajouter le cas des enseignants du secondaire devenus chefs d’établissement (Barrère, 2006, p. 12-20). (2) Il s’agit d’anciens instituteurs ayant effectué des études supérieures et sollicités pour enseigner deux, voire trois disciplines. (5) Les catégories utilisées ici et dans la suite de l’article corres­ pondent aux intitulés d’une question formulée en ces termes : « Pouvez-vous nous dire où vous vous situez : très à gauche, à gauche, au centre, à droite, très à droite ? » En raison de leur nombre très faible, les enseignants se déclarant « très à droite » ont été regroupés avec ceux se reconnaissant « à droite ». (3) Ici comme dans la suite du texte, les écarts de pourcentage mentionnés sont significativement différents de 0 au seuil de 0,1 point. (6) Entre 1971 et 1980, 52 % des instituteurs recrutés l’ont été sans concours, mais cette proportion tend à baisser par la suite (Migeon, 2000, p. 30-31). Bibliographie BARRÈRE A. (2002). Les enseignants au travail : routines incertaines. Paris : L’Harmattan. BARRÈRE A. (2006). Sociologie des chefs d’établissement. 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Enfin le secteur privé, non soumis à la carte scolaire, se caractérise par une ségrégation sociale plus forte et participe plus largement à la croissance de la ségrégation sociale que le secteur public. Ces résultats révèlent l’emprise croissante d’une norme de l’entre-soi scolaire et, de façon concomitante, un recul des principes et pratiques de mixité sociale dans les collèges parisiens. Descripteurs (TESE) : exclusion sociale, carte scolaire, égalité des chances, enseignement public, enseignement privé. L e thème de la ségrégation sociale est central dans les recherches sur l’école, pour au moins trois raisons. Premièrement, les chercheurs ont montré que la ségrégation sociale inter-établissements est globalement d’autant plus élevée que le choix de l’établissement est libre (Hirtt, 2007 ; Mons, 2007). Deuxièmement, de nombreuses recherches, tant inter­nationales (Vandenberghes, 2001 ; Monseur & Crahay, 2008) que nationales (Piketty & Valdenaire, 2006 ; Duru-Bellat & Suchaut, 2005), ont mis en évidence que les contextes de scolarisation, tout parti culièrement le niveau de ségrégation sociale, participent à la construction des inégalités des trajectoires scolaires. Enfin la France fait partie des pays de l’OCDE dans lesquels la proportion d’écoles socialement mixtes est l’une des plus basses, de l’ordre de 40 % (Monseur & Crahay, 2008). Pour ces raisons, il devrait exister une vigilance spécifique à l’égard de l’évolution du recrutement social des établissements scolaires et des politiques à mettre en œuvre pour limiter la proportion d’établissements socialement défavorisés. Si les études internationales, type PISA Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 73-85 (Program for international student assessment), autorisent une quantification du niveau de ségrégation sociale des élèves selon les pays, il s’agit de mesures produites par échantillonnage qui ne permettent pas d’appréhender le niveau de ségrégation sociale à une échelle régionale ou communale. La présente recherche a pour objet de combler en partie cette lacune, en s’attachant à l’analyse de la situation des collèges parisiens publics et privés étudiés de façon diachronique (de 2005 à 2008). La connaissance diachronique de la ségrégation sociale présente l’avantage d’étudier les effets de la politique d’assouplissement de la carte scolaire mise en œuvre à la rentrée 2007. Cette modification des modalités d’affectation des élèves a-t-elle permis d’atteindre un des objectifs poursuivis : l’amélioration de la mixité sociale, source d’efficacité et d’équité ? La ségrégation sociale : un processus scolaire récurrent La ségrégation sociale n’est nullement un phénomène nouveau. Toutes les recherches sur le système éducatif français montrent que l’organisation des enseignements au cours des siècles précédents était principalement fondée sur la séparation des populations scolaires selon leur genre (Lelièvre & Lelièvre, 1991) et leur statut social (1) (Lelièvre, 1990). Au xixe et au début du xxe siècle, dès les classes élémen­ taires, des cursus distincts quasiment étanches étaient expressément conçus pour les enfants du peuple et ceux des notables. Seuls ces derniers avaient d’ailleurs quelques chances de parvenir au baccalauréat. Il a fallu les réformes de l’entre-deuxguerres et la période gaulliste (la scolarisation obligatoire portée à 16 ans et la réforme Fouchet de 1963), ainsi que la création du collège unique en 1975, pour réunir dans la même structure éducative les enfants que leurs origines sociales distinguaient. Ce grand mouvement d’homogénéisation structurelle du premier cycle du second degré a permis une diffusion considérable de l’accès au lycée et aux études supérieures. Les deux tiers d’une génération des sortants du système éducatif ont désormais un baccalauréat et un quart est titulaire d’une licence. Paradoxalement, alors que ce mouvement d’unification a soulevé l’espoir d’une démocratisation de l’enseignement, les recherches ont montré la prégnance des fractures scolaires (Oberti, 2007), une ségrégation ­ethnique marquée (Felouzis, Liot & Perroton, 2005), 74 l’accroissement de la différenciation sociale des ­filières du second cycle (Merle, 2000 ; Duru-Bellat & Kieffer, 2008), l’embourgeoisement du recrutement des grandes écoles telles que l’ENS, HEC, l’École polytech­ nique, l’ENA (Albouy & Wanecq, 2003). La démocratisation est finalement discutée, voire en trompe-l’œil, avec depuis vingt ans, un accroissement continu des inégalités des durées des études entre les élèves les plus et les moins scolarisés (Merle, 2009a). Les ségrégations sociales et scolaires, celles qui semblaient avoir été vaincues par les volontés réformatrices successives, ont renouvelé leur forme. Elles sont moins présentes dans les organigrammes mais se sont réincar­ nées dans la différenciation des établissements via la multiplication des options et cursus dits adaptés. Cette récurrence de la ségrégation sociale des populations scolaires est peu quantifiée. Le niveau d’homogénéité ou de ségrégation sociale des publics scolaires est certes connu par les études sur le recrutement des différentes filières de scolarisation des enseignements secondaire ou supérieur. L’exploitation des sources statistiques a notamment permis de montrer l’existence d’une démocratisation ségré­ gative (Merle, 2000), mais a occulté des inégalités plus opaques, celles résultant des conditions de scolarisation au niveau du collège. La connaissance concrète de cette nouvelle ségrégation, liée notamment à la multiplication des options, constitue un champ de recherche déjà balisé par les investigations qualitatives (van Zanten, 2001), mais en grande partie délaissé par les approches quantitatives. La recherche : choix de la commune et problèmes de mesure Le choix de Paris Pour l’étude de la ségrégation sociale, la commune de Paris, qui correspond à l’académie du même nom, présente des intérêts spécifiques. Premièrement, sa taille. Avec 2,2 millions d’habitants (INSEE, 2009), la commune scolarise la plus importante population de collégiens, répartis en 176 collèges en 2008. À titre de comparaison, les capitales régionales (Bordeaux, Lille, Rennes…) comptent seulement une grosse vingtaine de collèges. Deuxièmement, la diversité sociale. La proportion de ménages parisiens imposés à ­l’impôt de solidarité sur la fortune est particulièrement élevée (supérieure à 4 %, contre moins de 1 % pour les ménages français) et, à l’autre bout de l’échelle Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 sociale, les bénéficiaires du RMI sont légèrement plus nombreux que la moyenne nationale (3,36 % contre 3,12 % pour la France). Troisièmement, l’organisation des enseignements dans la commune de Paris se caractérise par une part importante de collégiens et lycéens scolarisés dans les établissements privés. Seuls les secteurs privés des académies de Rennes et de Nantes scolarisent une proportion plus forte d’élèves (Maetz, 2004). Enfin la politique d’assouplissement de la carte scolaire s’est donnée notamment pour objectif d’assurer une plus grande mixité sociale. La capitale, par son importance, est un bon test de la pertinence de cette politique scolaire afin de savoir si cette dernière a, même partiellement, atteint son but. Les problèmes de mesure de la ségrégation sociale Comme toute question relativement nouvelle, la connaissance de la ségrégation sociale inter-­ établissements pose des problèmes de mesure : que mesure-t-on et comment ? Pour les communes importantes, a fortiori pour Paris, il est nécessaire d’avoir recours au minimum à deux échelles d’observation : les évolutions globales, relatives à la totalité des collèges ; les évolutions particulières, par établissement, éventuellement regroupés par arrondissement. La ségrégation sociale inter-collèges est aussi potentiellement dépendante d’une structure scolaire distinguant les enseignements public et privé. Dans le secteur public, l’affectation des élèves dépend de la carte scolaire avec possibilité de dérogation. Dans le secteur privé, le choix des parents est libre, bien que soumis à l’accord du chef d’établissement. Cette politique d’affectation des élèves est-elle favorable à la mixité sociale ? La question est d’autant plus sensible que, lors des rentrées scolaires 2007 et 2008, la politique d’assouplissement de la carte scolaire a considéré que l’objectif de mixité sociale relevait de mesures d’affectation des élèves relatives au seul secteur public et a souhaité que ce secteur puisse, à terme, être régulé par le principe du libre choix de l’établissement, en vigueur dans le secteur privé. La mesure d’un phénomène social est indissociable des sources statistiques disponibles. La base IPES du ministère de l’Éducation nationale fournit sur chaque établissement un certain nombre d’informations : proportion de redoublants, part des élèves étrangers, sections d’adaptation, sex-ratio, origine sociale… Cette base permet toutefois une perspective historique limitée car les données ne sont accessibles que depuis la rentrée scolaire 2004, et seulement depuis 2005 de façon homogène. L’analyse a été menée sur quatre années scolaires, de 2005 à 2008. Cette période est suffisante pour mettre en évidence une évolution possible de la ségrégation sociale et un effet de la politique d’assouplissement de la carte scolaire à partir de la rentrée 2007. Il existe plusieurs façons de mesurer la ségrégation sociale. La seule connaissance de la proportion des élèves favorisés ou défavorisés scolarisés dans chacun des 176 collèges de la capitale constitue un indicateur global, mais pertinent, des concentrations des populations scolaires selon leur origine sociale. Cette première mesure de la dispersion, robuste mais limitée, est complétée par le calcul de l’indice de dissimilarité ID (voir ­l’annexe 1). Il permet de connaître la proportion d’indi­vidus discriminés – plus précisément ayant une caractéristique sociale spécifique telle que le sexe, l’origine sociale, l’âge – qui devraient changer de quartier ou de banlieue (dans le cas présent, de ­collège) afin de parvenir à une répartition spatiale non discriminatoire de la population selon le critère c ­ onsidéré. Analyse gobale de la ségrégation sociale inter-collèges à Paris Données globales Une première approche de la ségrégation sociale inter-collèges est de connaître la distribution des élèves d’origines défavorisée et favorisée. La part de ces deux populations est spécifique dans l’académie de Paris. La proportion d’élèves d’origine aisée est en effet presque deux fois supérieure à la moyenne nationale (44,5 % à Paris ; 23,0 % pour l’ensemble des collèges en 2008) et les élèves d’origine défavorisée sont deux fois moins présents (16,9 % à Paris ; 33,9 % pour la moyenne nationale). Cette proportion réduite d’élèves d’origine défavorisée pourrait limiter les phénomènes de ghetto scolaire. Il n’en est rien. La distribution des élèves défavorisés est très dispersée : dans 10 % des collèges (soit 17 collèges), la part des élèves scolarisés d’origine défavorisée est inférieure à 2,5 % alors que dans 6,2 % des collèges les plus populaires (soit 11 collèges), cette part dépasse 50 % (voir le graphique 1). Une façon complé­mentaire de saisir globalement la ségrégation sociale des ­collèges parisiens est de connaître la répartition des élèves d’origine favorisée. La distribution est marquée par une dispersion encore plus sensible. La pro­ portion d’élèves d’origine favorisée varie de 3,2 % (collège public Utrillo dans le 18e ­arrondissement de Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 75 Paris) à 95,2 % (collège privé St-Louis Gonzague dans le 16e arrondissement) et 18 collèges, soit 10,2 % du total, accueillent plus de 75 % ­d’élèves d’origine favorisée (voir le graphique 2). De 2005 Graphique 1. – Répartition des 176 collèges parisiens publics et privés selon leur part d’élèves scolarisés d’origine défavorisée en 2008 Lecture : dans 76 collèges parisiens, la part d’élèves scolarisés ­ ’origine défavorisée est inférieure à 10%. d Graphique 2. – Répartition des 176 collèges parisiens publics et privés selon leur part d’élèves scolarisés d’origine favorisée en 2008 Lecture : dans 106 collèges parisiens, la part d’élèves scolarisés d’origine favorisée est inférieure à 50%. à 2008, ces deux distributions sont grosso modo comparables. Les représentations graphiques permettent de saisir l’importance des écarts de recrutement social sans autoriser une analyse diachronique. La mesure diachronique de la ségrégation sociale inter-collèges Le calcul de l’indice de dissimilarité permet de connaître le niveau et l’évolution de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens sur la période étudiée. L’indice est de 43,8 % en 2008 (voir le tableau 1). À cette date, il faudrait intervertir 5 105 élèves d’origine populaire (soit 36,4 % d’entre eux) inscrits dans les collèges populaires avec 5 105 élèves d’autres origines sociales (soit 7,4 % d’entre eux), scolarisés dans les établissements au recrutement social moyen et supérieur, pour assurer, quel que soit le collège, une répartition équivalente entre les élèves défavorisés et les élèves des autres catégories sociales. À titre de comparaison, pour une commune comme Rennes, l’indice de dissimilarité est de 29 % en 2006 (Merle, 2009b). L’indice de dissimilarité parisien est donc élevé (2). L’indice baisse très légèrement de 2005 à 2006 (de 42,3 à 42,2 %, soit – 0,1 point) et est passé de 42,2 % en 2006 à 43,8 % en 2008, soit une hausse de 1,6 point en deux ans (voir le tableau 1). Une hausse de 0,8 point annuel doit être considérée comme soutenue (3). On observe une hausse de la ségrégation sociale alors que, sur la période 20052008, la proportion d’élèves d’origine défavorisée a baissé dans les collèges parisiens, faiblement de 2005 à 2006 (– 0,2 point), nettement dans les deux années suivantes (– 1,5 point, soit – 0,75 point par an). Cette baisse aurait été un facteur favorable à la baisse de la ségrégation sociale si elle avait concerné davantage les établissements au recrutement populaire. La hausse de l’indice de dissimilarité indique globalement des mouvements inverses : une baisse des catégories populaires dans les collèges où elles Tableau 1. – Indice de dissimilarité et proportion d’élèves d’origine défavorisée dans les collèges parisiens de la rentrée 2005 à la rentrée 2008 2005 2006 Écart entre 2005 et 2006 2008 Écart entre 2006 et 2008 Proportion d’élèves défavorisés 20,0 % 19,2 % – 0,2 17,7 % – 1,5 Indice de dissimilarité 42,3 % 42,2 % – 0,1 43,8 % + 1,6 Lecture : dans les collèges parisiens, l’indice de dissimilarité est de 42,3 % en 2005. De 2005 à 2006, l’indice de dissimilarité a baissé de 0,1 point. 76 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 étaient déjà sous-représentées et une hausse dans les collèges populaires. Une question centrale est l’explication de la stabilité de l’indice de dissimilarité de 2005 à 2006 et sa croissance à partir de 2007. Soit la croissance de l’indice de dissimilarité reflète la croissance de la ségrégation urbaine, soit elle résulte de l’assouplissement de la carte scolaire mis en œuvre à la rentrée 2007 dans le secteur public, soit enfin elle provient d’une croissance de la ségrégation dans le secteur privé, hypothèse étudiée ultérieurement. Ces trois explications ne sont pas exclusives et chacune doit être envisagée. Croissance de la ségrégation inter-collèges et ségrégation urbaine : quelle relation ? De 1990 à 1999, la ségrégation urbaine dans Paris et sa métropole est marquée par des mouvements contraires de ségrégation et de « déségrégation ». La ségrégation est croissante pour environ 60 % des effectifs des catégories sociales aisées, décroissante pour la quasi-totalité des effectifs des professions intermédiaires et contrastée pour les catégories populaires. La tendance est à la ségrégation sociale pour les ouvriers et à la « déségrégation » parmi les employés, bien que la ségrégation domine pour les employés administratifs d’entreprise (Préteceille, 2006). Cette dynamique socio-spatiale relative à la période 1990-1999 présente deux limites : elle concerne la métropole parisienne et non Paris seul ; les évolutions les plus récentes ne sont pas connues. Le recours aux recensements de 1999 et 2006, en se limitant à la ville de Paris, permet d’actualiser ces résultats. Les cadres, déjà fortement surreprésentés à Paris, connaissent une croissance forte de leurs effectifs (+ 23,4 %), notamment dans les arrondissements moyens-populaires (4) (+ 33,8 %). Il en est de même des professions intermédiaires. Parallèlement, les employés et ouvriers, déjà sous-représentés, quittent la capitale. Il existe un double mouvement de déprolétarisation globale de la capitale et d’appropriation des quartiers populaires par les catégories moyennes et supérieures (voir le tableau 2). La déprolétarisation de la capitale et la gentrifi­ cation des quartiers moyens et populaires sont structurellement un facteur de baisse de la ségrégation Tableau 2. – Évolution des catégories socioprofessionnelles à Paris par type d’arrondissement, entre 1999 et 2006 Artisans, commerçants, chefs d’entreprise Cadres Professions intermédiaires Employés Ouvriers Retraités Effectif total en 1999 68 806 393 871 259 408 275 446 116 504 330 151 Effectif total en 2006 58 435 486 203 282 656 258 446 98 499 331 531 Évolution des catégories socioprofessionnelles à Paris – 15,1 % + 23,4 % + 9,0 % – 6,2 % – 15,5 % + 0,4 % Évolution des catégories socioprofessionnelles dans les arrondissements aisés – 16,2 % + 16,4 % + 5,3 % – 8,4 % – 18,6 % + 0,3 % Évolution des catégories socioprofessionnelles dans les arrondissements moyens-supérieurs – 13,9 % + 27,9 % + 8,7 % – 6,5 % – 16,6 % + 0,9 % Évolution des catégories socioprofessionnelles dans les arrondissements moyens-populaires – 14,3 % + 33,8 % + 14,0 % – 3,4 % – 12,4 % – 0,1 % Lecture : le nombre de cadres a augmenté de 33,8 % dans les arrondissements moyens-populaires (de 1999 à 2006). Source : recensements INSEE (exploitations secondaires, voir INSEE, 2009). Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 77 sociale. Toutefois une mesure de celle-ci a été réalisée car les variations des effectifs de chaque caté­ gorie socioprofessionnelle par arrondissement ou groupe d’arrondissements sont susceptibles de n’exercer que des effets à la marge sur la ségrégation urbaine. Sur les vingt arrondissements parisiens et pour les quatre catégories sociales les plus nombreuses (voir le tableau 2), la ségrégation urbaine, mesurée par l’indice de dissimilarité, est soit stable (pour les employés, l’indice de dissimilarité est égal à 9,3 % en 1999 et 2006), soit en légère baisse. De 1999 à 2006, l’indice passe de 10,6 % à 10,0 % (– 0,6 point) pour les cadres ; de 7,2 % à 7,1 % (– 0,1 point) pour les professions intermédiaires et de 20,6 % à 19,1 % pour les ouvriers (– 1,5 point), population nettement plus discriminée et pour laquelle la baisse est aussi plus sensible. Pour autant qu’une analyse plus approfondie de la ségrégation urbaine puisse mettre en évidence une croissance de la ségrégation pour des catégories sociales plus détaillées, les éventuelles hausses, comme dans la période 1990-1999 (Préteceille, 2006), seraient d’une ampleur annuelle faible par rapport à l’augmentation de la ségrégation sociale inter-collèges (5). Les variations de la ségrégation sociale inter-collèges, soit une baisse de 0,1 point de 2005 à 2006 et une hausse de 1,6 point de 2006 à 2008 (voir le tableau 1), indiquent aussi un découplage par rapport à la ségrégation urbaine. à la carte scolaire ont essentiellement pour objet la scolarisation dans un collège du groupe « urbain favorisé » afin d’éviter l’inscription dans le collège du secteur classé « urbain défavorisé » ou « mixte socialement, plutôt défavorisé » (Gilotte & Girard, 2005). Dans quelle mesure la politique d’assouplissement de la carte scolaire mise en œuvre depuis 2007 a-t-elle pu favoriser la ségrégation sociale ? Cette politique a permis une croissance du nombre de dérogations mais celles-ci émanent de façon très minoritaire des élèves boursiers (Obin & Peyroux, 2007). À Paris, le rectorat indique que 82 % des élèves boursiers ayant fait une demande de dérogation l’ont obtenue en 2007 et 74 % en 2008. Cette proportion élevée de dérogations accordées aux boursiers ne représente toutefois que 170 dérogations en 2008, soit une proportion inférieure à 10 % des demandes de dérogation ­accordées (6). La grande majorité des dérogations ­accordées, sollicitées principalement au titre d’un « parcours scolaire particulier », c’est-à-dire une demande d’options socialement distinctives, provient donc des élèves d’origines sociales moyenne et aisée et a favorisé, conformément aux recherches antérieures (Gilotte & Girard, 2005), une augmentation de la ségrégation sociale inter-collèges. Assouplissement de la carte scolaire et ­croissance de la ségrégation sociale inter-collèges Pour expliquer ce phénomène, notamment depuis l’assouplissement de la carte scolaire à partir de 2007, il faut faire l’hypothèse d’une norme d’entre-soi scolaire croissante favorisée par le nouveau processus de dérogation. Cette norme est à la fois construite et subie par les acteurs de l’école. La croissance de la ségrégation sociale résulte en effet des décisions prises lors de la journée de dérogation où sont étudiées les demandes d’affectation des parents (Visier & Zoïa, 2008). Des demandes de dérogation croissantes indiquent des stratégies d’évitement parentales plus fréquentes et une partie d’entre elles débouche, si elles sont satisfaites par les autorités administratives, sur une hausse de l’indice de dissimilarité. Si l’inspection académique et les demandes parentales participent à la définition d’une norme scolaire de l’entre-soi, d’autres acteurs y contribuent, notamment les rectorats et les chefs d’établissement, par la constitution d’une offre pédagogique plus ou moins différenciée, qui oriente le choix des parents. Les affectations des élèves hors secteur suivent une logique sociale identifiée de longue date par la littérature : les demandes de dérogation et les affectations hors secteur sont sensiblement plus fréquentes pour les catégories aisées (Ballion & Œuvrard, 1987 ; Chausseron, 2001 ; François & Poupeau, 2008 ; van Zanten, 2009). Sur Paris, les demandes de dérogation La croissance même modérée de la ségrégation urbaine « ethno-raciale » (Préteceille, 2009), associée à l’assouplissement de la carte scolaire, a probablement contribué aussi à l’emprise de la norme scolaire de l’entre-soi et à la croissance de la ségrégation sociale inter-collèges observée sur la période 20062008. Les populations étrangères ont en effet une Si l’augmentation de la ségrégation sociale intercollèges ne peut être globalement reliée à la ségrégation urbaine, elle est susceptible d’être en rapport avec les nouvelles modalités de dérogation des élèves, mises en œuvre en 2007 et 2008. Celles-ci sont guidées par deux principes officiellement affichés : accroître la mixité sociale et accepter toutes les demandes de dérogation, sous réserve de places disponibles dans les établissements les plus demandés. L’acceptation des demandes de dérogation est favorisée par une baisse de la pression démographique entraînant une baisse des effectifs des collégiens de 6,1 % de 2000 à 2008 (MEN, 2006, 2009). 78 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 visibilité sociale et scolaire dépendante de leur visibilité médiatique, plutôt en hausse sur les dernières années, et elles sont une des raisons des comportements d’évitement des établissements populaires aux réputations scolaires et sociales dégradées. La Cour des comptes (2009) indique que sur un total de 254 collèges « ambition réussite », qui scolarisent ­fréquemment une forte proportion d’élèves d’origine étrangère, 186 ont perdu des élèves. La ségrégation sociale inter-collèges : l’analyse par établissement Il est nécessaire d’approfondir l’analyse en cherchant à connaître les collèges qui contribuent le plus à la ségrégation sociale. L’investigation a été menée dans trois groupements d’arrondissement précédemment définis afin d’éviter un émiettement des données, certains arrondissements comptant moins de cinq collèges. La contribution d’un collège à la ségrégation sociale est en hausse (ou en baisse) si sa proportion d’élèves défavorisés s’éloigne (ou se rapproche) de la moyenne des élèves défavorisés dans le groupement d’arrondissement considéré, respec­ tivement 8,8 %, 18,8 % et 32,8 % en 2008, pour les arrondissements aisés, moyens-supérieurs et moyens-populaires. Une contribution très inégale des établissements à la ségrégation sociale Dans les arrondissements aisés, la contribution théorique de chacun des 75 collèges à l’indice de dissimilarité est de 1/75 (soit 1,3 %). Or 10 % de ces établissements (8 sur 75) expliquent plus du tiers de la ségrégation sociale. Ces établissements présentent deux profils sociaux opposés. Les premiers se caractérisent par une proportion très faible d’élèves défavorisés, inférieure à 2 %, tels que les collèges privés Fénélon dans le 8e arrondissement et Stanislas dans le 6e arrondissement. Les seconds scolarisent une proportion élevée de collégiens d’origine populaire pour des arrondissements aisés, plus de 20 %, voire plus de 35 % (voir le tableau 3) comme les ­collèges publics Turgot (3e arrondissement), Balzac (17e arrondissement) et Vian (17e arrondissement). Les établissements qui contribuent fortement à la ségrégation sociale ne constituent pas une hiérarchie stable. De 2006 à 2008, certains ont un recrutement Tableau 3. – Proportion d’élèves défavorisés et contribution de collèges situés dans les arrondissements aisés à l’indice de dissimilarité (2006-2008) Proportion d’élèves défavorisés en 2006 Arrondissements aisés Contribution à l’ID en 2006 Proportion d’élèves défavorisés en 2008 Contribution à l’ID en 2008 Écart de contribution à l’ID entre 2006 et 2008 Effectif des collèges en 2006 (écart 2006-2008) Baisse de la contribution à l’ID Collège Balzac (17 e) Collège Mallarmé Collège Fénelon (17 e) (8 e) Collège Stanislas (6 e) PU 27,8 % 6,0 % 21,4 % 5,0 % – 0,99 810 (+ 88) PU 26,6 % 5,1 % 23,4 % 4,5 % – 0,58 744 (– 39) PV 0,9 % 4,0 % 1,6 % 3,7 % – 0,34 1 056 (+ 16) PV 1,1 % 3,9 % 1,3 % 3,5 % – 0,33 1 073 (+ 89) Hausse de la contribution à l’ID Collège Blomet (15 e) PV 18,4 % 2,5 % 20,0 % 3,6 % + 1,08 722 (+ 8) Collège Vian (17 e) PU 26,0 % 4,1 % 31,3 % 5,3 % + 1,19 627 (– 87) Collège Say (16 e) PU 8,2 % 0,5 % 6,3 % 0,8 % + 0,30 656 (+ 30) Collège Turgot (3 e, ZEP) PU 34,3 % 5,2 % 35,7 % 5,5 % + 0,30 519 (– 57) Lecture : le collège public Balzac scolarise 27,8 % d’élèves défavorisés. Sa contribution à la ségrégation sociale inter-collèges (l’indice de ­ issimilarité) dans les arrondissements aisés est de 6,0 % en 2006. Cette contribution baisse de 0,99 point de 2006 à 2008. Son effectif est de d 810 élèves en 2006 et a augmenté de 88 élèves de 2006 à 2008. Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 79 qui se rapproche de la moyenne des arrondissements aisés. Leur contribution à la ségrégation sociale diminue. Il en est ainsi des collèges Balzac, Mallarmé, Fénelon et Stanislas. Les deux premiers, établissements populaires, ont un recrutement qui devient un peu moins populaire ; les deux derniers, établissements d’excellence, un recrutement légèrement plus populaire. Les écarts de recrutement social entre ces deux profils de collèges demeurent toutefois considérables (voir le tableau 3). Si certains établissements se rapprochent de la moyenne, d’autres, au recrutement très populaire, s’en éloignent. Il en est ainsi des collèges Blomet, Vian ou Turgot. Ce dernier présente trois caractéristiques (voir le tableau 3). D’une part, il est classé en zone d’éducation prioritaire, classement qui ne favorise pas une bonne réputation ; d’autre part, il est le collège dont le recrutement est le plus populaire de tous les collèges des arrondissements aisés et, à ce titre, sa contribution à la ségrégation sociale est la plus élevée ; enfin ses effectifs ont baissé de 10 % de 2006 à 2008, alors que ceux-ci avaient augmenté de 6 % de 2005 à 2006, avant l’assouplissement de la carte scolaire. Ces spécificités sont en partie liées. La forte surreprésentation des élèves d’origine populaire diminue son attractivité et favorise la perte d’effec­tif, dès que les dérogations à la carte scolaire sont assouplies. Cette spirale du déclin est en œuvre de façon encore plus marquée dans le collège Vian. Depuis l’assouplissement de la carte scolaire, son recrutement s’est prolétarisé et parallèlement son effectif a baissé. La diminution de son effectif ­avoisine 15 % en deux ans alors qu’il était en légère augmentation auparavant (617 élèves en 2005, 627 en 2006 et 540 en 2008). Les quatre collèges « ambition ­réussite » des 18e et 19e arrondissements (collèges ­Philippe, Rouault, Utrillo, Clémenceau) connaissent la même dynamique : perte d’effectif et prolétarisation. Parallèlement aux évolutions qui ont marqué ces collèges populaires, des établissements au recrutement aisé, tels celui de Say, ont gagné 30 élèves, leur recrutement est devenu plus aisé et leur contribution à la ségrégation sociale inter-collèges a augmenté. Comment rendre compte de ces dynamiques démographiques et sociales ? Des dynamiques d’établissement à la fois ­typiques et diverses Il est possible de distinguer deux dynamiques d’établissements, typiques et opposées : perte d’effectif et prolétarisation vs gain d’effectif et embour80 geoisement. Toutefois les contre-exemples sont loin d’être exceptionnels (par exemple les collèges ­Stanislas, Fénelon, Beaumarchais), si bien que les évolutions typiques coexistent avec une diversité certaine : les pertes et gains d’élèves ne se réduisent pas à des phénomènes de prolétarisation et d’embourgeoisement. Ainsi des collèges peuvent se prolétariser en gagnant des élèves (collèges Blomet et Beaumarchais) ; d’autres devenir moins populaires tout en en perdant (collège Blaise), même si cette situation est peu fréquente (voir l’annexe 2). Il existe des « effets établissements », des spécificités de quartier et d’arrondissement, des particularités urbaines locales (avec, par exemple, l’ouverture de ­nouveaux logements sociaux), des espaces de concurrence spécifique et des politiques de chefs d’établissement qui favorisent ou ralentissent le processus général de ségrégation sociale inter-collèges et la variation des effectifs (7). Ces variations d’effectifs inter-collèges ne sont pas à somme nulle. Outre un accroissement global de la ségrégation sociale, les collèges des arrondissements aisés gagnent 223 élèves entre 2006 et 2008 ; ceux des collèges situés dans les arrondissements moyens-supérieurs en gagnent 150 et les collèges situés dans les arrondissements moyens-populaires en perdent plus de 1 100. Or ces évolutions sont à l’inverse des évolutions démographiques : les arrondissements moyens-populaires ont la démographie la plus dynamique (+ 54 % des gains de population de 1999 à 2006) et les arrondissements aisés, où l’immobilier de bureau concurrence un habitat au prix particulièrement élevé, connaissent une croissance démographique réduite (+ 7 % de la croissance démographique de 1999 à 2006). Ces déplacements de population d’élèves inter-arrondissements, contraires aux évolutions démographiques, constituent une mesure des stratégies de fuite des arrondissements et des collèges moyens et populaires. L’analyse de la ségrégation sociale par collège permet de dégager deux types de résultats. D’abord la ségrégation sociale des collèges résulte, pour une bonne part, d’un phénomène de concentration des élèves défavorisés et favorisés dans un nombre restreint d’établissements. Ce résultat vaut pour les trois groupements d’arrondissement réalisés. Il ne va nullement de soi et présente un intérêt pratique. Dans les décisions d’affectation ou de dérogation des élèves, la connaissance précise et quantifiée des établissements participant le plus à la ségrégation sociale pourrait susciter une vigilance particulière pour ne pas déplorer globalement ce qui est par Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 ailleurs accentué localement, par exemple dans les collèges Turgot, Vian, Beaumarchais, Fournier (voir le tableau 3 et l’annexe 2). Ensuite, pour les établissements situés en ZEP-REP, s’ils bénéficient d’aides spécifiques dans le cadre d’une politique de discrimination positive, ils subissent aussi, lorsque leur contribution à l’indice de dissimilarité s’accroît, un contexte de scolarisation de plus en plus défavorable aux progrès scolaires de leurs élèves, c’est-à-dire une réelle discrimination, à l’opposé de la discrimination positive dont ils sont censés bénéficier. L’analyse a pour l’instant étudié l’évolution de la ségrégation sociale à un niveau global et au niveau des collèges. Une analyse de la ségrégation sociale inter-collèges doit aussi distinguer les collèges privés des collèges publics, seuls concernés par la politique d’assouplissement de la carte scolaire. Graphique 3. – Part des élèves d’origine défavorisée scolarisés dans les 176 collèges parisiens publics (PU) et privés (PV) en 2008 tion sociale propre à chaque secteur. Celle-ci pourrait même être plus limitée dans le secteur privé que dans le secteur public, pour autant que les élèves d’origine populaire, moins nombreux, seraient répartis de façon moins inégale dans les différents collèges. La ségrégation sociale inter-collèges : l’effet du secteur d’enseignement Les secteurs public et privé scolarisent des populations d’élèves nettement différenciées socialement. Dans le secteur public, un gros tiers des collégiens (37 %) est d’origine aisée. Cette proportion se monte à 66 % dans le secteur privé. La différence entre les deux secteurs d’enseignement est encore plus nette si on compare les proportions respectives d’élèves d’origine défavorisée : 5 % dans le secteur privé et 24 % dans le secteur public. La disproportion numérique est considérable (voir le graphique 3). Il faut conclure à une spécialisation sociale de l’enseignement privé dans la scolarisation des enfants des catégories aisées. Cette spécialisation de chaque secteur d’enseignement n’informe pas du niveau de ségréga- La comparaison des indices de dissimilarité de chaque secteur d’enseignement autorise trois constats. D’abord, quelle que soit l’année considérée, l’indice de dissimilarité global est plus élevé que l’indice de chaque secteur (voir le tableau 4). Ce résultat tient aux différences du recrutement social de chaque type d’enseignement : proportion faible d’élèves défavorisés dans le privé (5,2 % en 2008), proportion plus forte dans le public (24,1 % en 2008). En calculant l’indice de dissimilarité sur l’ensemble des collèges, la dispersion des collèges par rapport à la moyenne des élèves d’origine défavorisée est plus grande et l’indice s’accroît. Ensuite, de 2005 à 2008, la ségrégation sociale est plus forte dans le secteur privé que dans le secteur Tableau 4. – Évolution de l’indice de dissimilarité dans les collèges publics et privés entre 2005 et 2008 2005 2006 Écart entre 2005 et 2006 2008 Écart entre 2006 et 2008 Collèges publics 33,4 % 33,4 % + 0,0 34,5 % + 1,1 Collèges privés 35,2 % 35,7 % + 0,5 38,8 % + 3,1 1,8 2,3 42,3 % 42,2 % Indice de dissimilarité Écart entre les collèges publics et privés Ensemble des collèges 4,3 – 0,1 43,8 % + 1,6 Lecture : dans les collèges privés, l’indice de dissimilarité est de 35,2 % en 2005. De 2005 à 2006, l’indice de dissimilarité dans le secteur privé a augmenté de 0,5 point. Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 81 public. Si la spécialisation bourgeoise des établissements privés est connue depuis longtemps, à la fois dans la région parisienne (Oberti, 2007) et au niveau européen (Delvaux, 2006), la diversité des profils sociaux des établissements privés est peu quantifiée. À Paris, le niveau de spécialisation sociale du secteur privé est généralement sous-estimé. Ainsi, sur les douze collèges scolarisant moins de 2 % d’élèves d’origine défavorisée, onze sont privés. Ces établissements contribuent de façon forte au caractère ségrégatif du secteur privé, car les collèges privés au recrutement moyen sont également fréquents. Dans le secteur public, la distribution des établissements selon la proportion d’élèves d’origine populaire est un peu moins inégale. Certains collèges de la capitale ont certes un recrutement très aisé et d’autres très populaire, mais le profil majoritaire est davantage moyen et mixte. Ces profils de recrutements sociaux, différents pour les collèges publics et les collèges privés, expliquent une ségrégation sociale un peu plus forte dans les collèges du secteur privé. Enfin la ségrégation sociale inter-collèges, plus élevée dans le secteur privé, connaît une croissance plus soutenue que celle du secteur public. En 2005, l’indice de ségrégation est de 33,4 % dans le public et de 35,2 % dans le privé. L’écart est de 1,8 point. En 2008, l’écart a plus que doublé et atteint 4,3 point (voir le tableau 4). Comment expliquer une telle ­évolution ? Pour le secteur public, avant la politique d’assouplissement de la carte scolaire, la limitation des demandes de dérogation permettait une stabilité de la ségrégation sociale. L’augmentation des dérogations acceptées a entraîné une hausse de cette ségrégation (+ 1,1 point lors des rentrées scolaires 2007 et 2008). Cette augmentation reste toutefois limitée par rapport au secteur privé pour au moins une raison. À Paris, le nombre de parents dont les demandes sont satisfaites reste faible (49 % seulement, à comparer à un taux de satisfaction national proche des 80 %) et a limité le potentiel de ségré­ gation sociale lié à l’assouplissement de la carte ­scolaire. En revanche, pour le secteur privé, la ségrégation sociale inter-collèges augmente avant l’assouplissement de la carte scolaire (l’indice de dissimilarité augmente de 0,5 point de 2005 à 2006) et encore davantage depuis l’assouplissement. De 2006 à 2008, l’indice de dissimilarité augmente de 3,1 point (voir le tableau 4). La norme de l’entre-soi scolaire s’exerce continûment, de façon croissante et sans contrôle. La politique d’assouplissement de la carte scolaire est même susceptible d’avoir produit des effets pervers en raison de l’interdépendance systémique des secteurs public et privé, déjà analysée dans les capitales 82 régionales (Barthon & Monfroy, 2006 ; Merle, 2009b). Les annonces présidentielles et ministérielles d’assouplissement de la carte scolaire ont suscité des espoirs et, tout autant, provoqué la déception de parents parisiens éconduits et la fuite d’une partie des élèves du secteur public vers les collèges privés. Ainsi, de 2005 à 2008, le nombre de collégiens scolarisés dans le privé passe de 32,5 % à 34,0 % (soit + 1,5 point) et plus de la moitié de cette hausse (+ 0,8 point) a eu lieu à la rentrée 2007. Cette croissance des effectifs du secteur privé par rapport au secteur public est concomitante de l’augmentation globale de la ségrégation sociale interne des collèges privés. Conclusion Dans l’académie de Paris, la stabilité de la ségrégation sociale inter-collèges de 2005 à 2006 et sa croissance à partir de 2007 constituent un premier bilan de la politique d’assouplissement de la carte scolaire. L’objectif annoncé d’une plus grande mixité sociale n’a pas été atteint. Au contraire, l’assouplissement de la carte scolaire a favorisé une emprise croissante de la norme scolaire de l’entre-soi et, de façon concomitante, un recul des principes et pratiques de la mixité sociale. Cette recherche permet de dégager un second résultat tout aussi essentiel. À Paris, la ségrégation sociale inter-collèges est plus forte dans le secteur privé que dans le secteur public. De 2005 à 2008, cette ségrégation sociale s’accroît aussi plus fortement dans le secteur privé. Il faut en tirer deux conclusions. Si l’objectif poursuivi est celui de la mixité sociale, le modèle du libre choix, en vigueur dans le secteur privé, ne peut être pris comme modèle de gestion des flux d’élèves pour le secteur public – horizon actuel de la politique d’assouplissement de la carte scolaire – puisqu’il s’agit du modèle le moins performant en termes de mixité sociale. Ensuite une politique d’affectation des élèves qui se donne pour objectif d’augmenter la mixité sociale doit, de façon prioritaire, modifier la gestion actuelle des flux d’élèves dans le secteur privé, dans lequel la ségrégation sociale est la plus élevée et connaît une croissance plus soutenue. Si l’assouplissement de la carte scolaire a plus favorisé la ségrégation sociale que la mixité, faut-il pour autant revenir à la sectorisation antérieure, voire la renforcer, pour contenir la ségrégation sociale ? Nullement. Ce système d’affectation favorisait la Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 ségrégation urbaine (Oberti, 2007), l’élévation du prix des logements dans les secteurs scolaires recherchés (Fack & Grenet, 2009) et n’a pas empêché un niveau élevé de ségrégation sociale, comme l’atteste la situation de l’académie de Paris. Encore que, à Paris et dans d’autres grandes villes françaises, la ségrégation sociale est parfois plus élevée dans les collèges privés non soumis à la carte scolaire. En ce sens, il est erroné de considérer que la carte scolaire est à l’origine de la ségrégation scolaire ou urbaine alors que, sans carte scolaire, ces deux phénomènes sont autant, voire davantage, présents. Pour favoriser la mixité sociale, il reste à inventer de nouvelles formes de régulation des demandes parentales et de gestion de l’offre pédagogique des établissements publics et privés. Deux pistes pourraient être explorées. D’une part, un rééquilibrage de l’offre pédagogique entre secteurs public et privé. La concurrence entre établissements n’a de sens que si leurs contraintes pédagogiques sont sembla- bles, tout particulièrement en matière d’accueil des élèves en difficulté, actuellement massivement scolarisés dans l’enseignement public. D’autre part, des objectifs de mixité sociale pourraient être assignés aux établissements publics et privés. Des progrès sensibles pourraient être obtenus dans ce domaine si les collèges qui contribuent le plus fortement à la ségrégation sociale se rapprochaient progressivement du recrutement social moyen. Une telle politique a été menée avec succès pour la réduction des taux de redoublement. Au regard de l’intégration scolaire des populations d’élèves marginalisés, enjeu éducatif et social de première importance, une telle politique, ciblée sur les collèges les plus éloignés de la mixité sociale moyenne, mériterait d’être tentée. Pierre Merle [email protected] Université de Haute Bretagne-Rennes 2 et IUFM de Bretagne, université de Bretagne-Occidentale notes (1) Seuls les collèges communaux situés dans les petites communes, en l’absence d’une école primaire supérieure et d’un enseignement catholique concurrents, présentent une mixité sociale non négligeable (Prost, 2008). (2) Les comparaisons internationales de l’indice de dissimilarité ne sont pas pertinentes. L’indice est dépendant des constructions statistiques nationales des catégories sociales et celles-ci sont variables selon les pays. pements ont ainsi été définis : les arrondissements aisés (1er à 8e et 15e à 17e) ; moyens-supérieurs (9e à 14e) ; moyens-populaires (18e à 20e). (5) Pour les cadres administratifs d’entreprise, pour lesquels l’autoségrégation a le plus augmenté parmi les cadres de 1990 à 1999, l’indice de ségrégation est passé de 29,2 % à 31,5 %, soit une hausse de 0,25 point annuel (Préteceille, 2006). (3) Voir les variations de l’indice de dissimilarité présentées à la note 5. (6) Ces données chiffrées et les données ultérieures proviennent du rectorat de Paris et de l’agence de presse AEF (AEF, 2007, 2009). (4) L’investigation a été menée dans trois groupements d’arrondissement afin d’éviter un émiettement des données (par exemple, le premier arrondissement de Paris ne compte que deux collèges alors que le 13e en compte seize). Pour permettre des comparaisons pertinentes, les vingt arrondissements parisiens ont fait l’objet de regroupements en fonction des proportions des élèves défavorisés scolarisés dans chaque arrondissement. Trois grou- (7) Situations typiques et diversité valent aussi pour les 21 collèges « ambition réussite » de Marseille. À la rentrée 2009, ceux-ci ont perdu en moyenne 8 % de leur effectif en raison des dérogations accordées dans le cadre de l’assouplissement de la carte scolaire. Sur les 21 collèges, quatre sont attractifs, deux sont à l’équilibre et quinze sont fuis, spécialement le collège Jean Moulin qui a perdu 30 % de son effectif (AEF, 2010). Bibliographie AEF (2007). « Bilan carte scolaire : à Paris, les élèves handicapés ont davantage profité de l’assouplissement de la carte scolaire que les boursiers ». Dépêche n° 83418 du 13 septembre 2007. Disponible sur Internet à l’adresse : <ht tp://www. a e f . inf o/ p ub lic / f r / a b onne / d e p e c h e / depeche_detail.php?id=83418> (consulté le 6 avril 2010). AEF (2009). « Bilan de Xavier Darcos : la suppression de la carte scolaire doit être encadrée pour garantir la mixité scolaire ». Dépêche n° 116092 du 24 juin 2009. Disponible sur Internet à l’adresse : <http://www.aef.info/ public/fr/abonne/depeche/depeche_detail. php?id=116092> (consulté le 6 avril 2010). 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Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Annexe 1. – Définition de l’indice de dissimilarité ID ID = 1 n xi yi ∑ − 2 i =1 X Y xi : population du groupe d’élèves défavorisés dans le collège i yi : population du groupe d’élèves d’une autre origine sociale dans le collège i X : population totale d’élèves défavorisés dans les collèges parisiens Y : population totale d’élèves d’une autre origine sociale dans les collèges parisiens n : nombre de collèges parisiens Annexe 2. – Proportion d’élèves défavorisés et contribution des collèges à l’indice de dissimilarité entre 2006 et 2008 Collèges situés dans les arrondissements moyens-supérieurs Arrondissements moyens-supérieurs Proportion d’élèves défavorisés en 2006 Contribution à l’ID en 2006 Proportion d’élèves défavorisés en 2008 Contribution à l’ID en 2008 Écart de contribution à l’ID entre 2006 et 2008 Effectif des collèges en 2006 (écart 20062008) Baisse de la contribution à l’ID Franck (11 e) PU 32,4 % 1,8 % 20,0 % 0,2 % – 1,6 414 (– 3) Vilon (14 e) PU 35,9 % 2,6 % 24,4 % 1,0 % – 1,6 454 (+ 25) PV 2,9 % 7,0 % 2,2 % 8,3 % – 0,7 569 (– 18) Peguy (11 e) Hausse de la contribution à l’ID Beaumarchais (11 e) PU 39,5 % 2,2 % 42,9 % 3,4 % + 1,2 309 (+ 50) Fournier (11 e) PU 28,0 % 1,7 % 35,5 % 3,6 % + 1,9 596 (– 41) St-Michel (12 e) PV 12,1 % 3,4 % 2,6 % 6,6 % + 3,2 1 050 (+ 6) Lecture : le collège public Anne Franck scolarise 32,4 % d’élèves d’origine défavorisée. Sa contribution à l’indice de dissimilarité (ID) est de 1,8 % en 2006. Cette contribution baisse de 1,6 point de 2006 à 2008. Son effectif, 414 élèves en 2006, a baissé de 3 élèves de 2006 à 2008. Collèges situés dans les arrondissements moyens-populaires Arrondissements moyens-populaires Proportion d’élèves défavorisés en 2006 Contribution à l’ID en 2006 Proportion d’élèves défavorisés en 2008 Contribution à l’ID en 2008 Écart de contribution à l’ID entre 2006 et 2008 Effectif des collèges en 2006 (écart 20062008) Baisse de la contribution à l’ID Ravel (20 e) PU (20 e ) Blaise Menahem (20 e) 17,5 % 2,2 % 25,8 % 1,1 % – 1,1 365 (– 12) PU 53,1 % 3,3 % 47,4 % PV 9,5 % 1,5 % 10,0 % 2,2 % – 1,1 550 (– 63) 1,1 % – 0,4 168 (– 38) Hausse de la contribution à l’ID St-Georges (19 e) PV 12,5 % 3,1 % 11,5 % 3,7 % + 0,6 401 (+ 59) Curie (18 e) PU 64,1 % 3,8 % 69,8 % 4,9 % + 1,0 393 (+ 143) Le Tac (18 e) Mozart (19 e ) PU 14,6 % 2,8 % 10,8 % 3,9 % + 1,1 403 (+ 68) PU 34,4 % 0,1 % 50,9 % 1,7 % + 1,6 288 (+ 1) Lecture : le collège public Ravel scolarise 17,5 % d’élèves d’origine défavorisée en 2006. Sa contribution à l’indice de dissimilarité (ID) est de 2,2 % en 2006. Cette contribution baisse de 1,1 point de 2006 à 2008. Son effectif, 365 élèves en 2006, a baissé de 12 élèves de 2006 à 2008. Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens 85 RDST | Recherches en didactiques des sciences et des technologies Aster et Didaskalia deviennent la revue Recherches en didactiques des sciences et des technologies (deux numéros par an) Cette nouvelle revue de l’INRP, fruit de la fusion des revues Aster et Didaskalia, devient, avec ses deux numéros par an composés d’un dossier et de varia, une revue francophone de référence de recherches en didactiques des sciences et des technologies. Son objectif est de participer à la production de connaissances didactiques en proposant un espace de débat scientifique portant à la fois sur l’enseignement et l’apprentissage des sciences et des technologies (de la maternelle à l’université), sur la diffusion des savoirs scientifiques et technologiques, et sur la formation à l’enseignement de ces domaines. Cette revue s’adresse aux chercheurs qui y trouveront un lieu d’expression et d’échange. Soucieuse de la nécessité d’un dialogue entre la recherche et l’enseignement, elle s’adresse également aux enseignants et aux formateurs en leur permettant d’être en prise avec les questions didactiques. Plus largement, cette publication offrira une matière propre à alimenter la réflexion des acteurs de la culture scientifique et technologique. • Rédacteurs en chef : Yves GIRAULT, Ludovic MORGE & Christian ORANGE • Premiers numéros : Opinions & savoirs (juillet 2010) Sciences des scientifiques et sciences scolaires (décembre 2010) Recherche en didactiques des sciences et histoire des sciences (juillet 2011) • Abonnement RDST (imprimé) : 40 € TTC (France) • Prix au numéro : 25 € TTC (France) • Commande en ligne : <www.inrp.fr/publications/catalogue/web/> Note de synthÈse Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement Marie-Pierre Chopin Les perspectives praxéologiques, voire prescriptives, s’esquissant à partir de la question temporelle dans le champ scolaire sont nombreuses et hétéroclites : allongement ou raccourcissement du temps d’enseignement, rationalisation du temps de travail des professeurs, individualisation des temps d’apprentissage des élèves, etc. Leitmotiv tenace, la thématique du temps surgit régulièrement dans les discours sur l’école, suscitant à chaque fois d’intenses espoirs de changement. Le recensement des travaux menés à son propos fait apparaître ce phénomène de répétition/recomposition. Il constitue également une étape indispensable à la clarification des fondements et des limites de l’entreprise visant à instituer le temps comme une variable-clé de l’amélioration du système d’enseignement. Descripteurs (TESE) : temps d’enseignement, rythme d’apprentissage, efficacité du temps d’enseignement, aménagement du temps scolaire, pratique pédagogique. L’erreur la plus grave, concernant le temps, est de le considérer comme une réalité simple. Loin d’être une constante immuable, comme le supposait Newton, le temps est un agrégat de concepts, de phénomènes et de rythmes recouvrant une très large réalité. Ainsi, mettre en ordre cette réalité représente une « tâche hérissée de difficultés », selon les termes de l’africaniste E. Evans-Pritchard. Hall H. (1984). La danse de la vie. Temps culturel, temps vécu, p. 23. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 87-110 introduction La mise en ordre à laquelle nous nous livrons ici ne concerne pas la définition du temps stricto sensu mais plutôt la manière dont les chercheurs en éducation ont fait usage de ce concept : plus circonscrite en apparence, la tâche n’en demeure pas moins « hérissée de difficultés », pour reprendre à notre tour ­l’anthropologue Evans-Pritchard. La question du lien entre temps et enseignement rebondit et se répète en empruntant toujours de nouvelles figures. Aujourd’hui par exemple, alors que certains dénoncent l’accroissement du contrôle du temps de travail des professeurs comme le signe de l’amenuisement de leur reconnaissance sociale (Waaub, 2006), le temps d’apprentissage des élèves semble progressivement soumis à une logique de rentabilisation. En 2007, Le Monde de l’éducation titrait l’un de ses dossiers en des termes fort explicites : « Travailler moins pour apprendre mieux : peut-on faire réussir les élèves avec moins de temps ? » (Le Monde de l’éducation, 2007). Malgré leur caractère conjoncturel, ces formulations de la question du lien entre temps et enseignement ont déjà surgi depuis plus d’un siècle dans les débats éducatifs, chevillées à des enjeux pédagogiques, scientifiques mais aussi politiques variés. Plusieurs synthèses en français ont déjà été consacrées à ce thème, et en particulier celle de Delhaxhe, parue en 1997 dans la Revue française de péda­ gogie : « Le temps comme unité d’analyse dans la recherche sur l’enseignement » (Delhaxhe, 1997 ; voir aussi Crahay, 2000). Elles recensent une masse importante de travaux, menés pour la plupart aux États-Unis depuis le début du xx e siècle, dont font également état des synthèses en langue anglaise (voir entre autres Bloom, 1974 ; Borg, 1980 ; Cotton, 1989 ; Smyth, 1985). Plusieurs raisons nous conduisent néanmoins à proposer d’actualiser ce recensement. D’un point de vue chronologique d’une part, le thème du temps de l’enseignement a connu une évolution notoire au cours des quinze dernières années aux États-Unis, période absente des synthèses précédentes pour des raisons chronologiques évidentes. Nous proposerons d’en rendre compte dans la première partie de ce texte. D’autre part, il apparaît important d’inclure à une revue de la question sur le temps de l’enseignement un ensemble de travaux menés plus récemment dans les pays francophones et qui n’ont encore jamais fait l’objet, à notre connaissance, de présentation synthétique. Au-delà de leurs emprunts à la tradition américaine, ils apportent des éclairages originaux sur les rapports entre temps et enseignement. Nous leur consacrerons pour cette raison la deuxième partie de cette note de synthèse. Les travaux américains sur le temps de l’enseignement : une tradition de recherche C’est parce que les études américaines sur le temps de l’enseignement constituent une véritable tradition de recherche en éducation qu’elles sont généralement considérées de manière autonome. À la suite des synthèses évoquées précédemment, nous reprendrons et poursuivrons leur présentation en nous appuyant sur l’organisation chronologique et thématique réalisée par Delhaxhe (1997), particulièrement utile selon nous à la clarification de ce corpus épais de recherches (1). 88 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Les premières études sur le lien entre temps et efficacité de l’enseignement Dès la fin du xixe siècle aux États-Unis, les chercheurs s’interrogent sur l’existence d’un lien entre la quantité de temps consacrée à un enseignement et l’efficacité de ce dernier. Smyth (1985) présente l’une des plus anciennes études sur cette question. Menée en 1897, elle montre que le fait de passer dix minutes ou bien une heure d’enseignement sur un exercice de lecture n’a pas d’impact significatif sur la capacité des élèves à épeler les mots qu’on leur présente. Ce résultat est singulier pour l’époque. La plupart des travaux de la fin du xixe siècle et du début du xxe avancent en effet l’idée d’un lien automatique et positif entre temps et efficacité pédagogique. Une association qui, comme le rapporte Husén, marquera profondément les esprits dans les décennies suivantes : « L’une des idées les plus largement acceptées en éducation a été le fait que l’exposition à l’enseignement est fortement liée à l’apprentissage des élèves — et ce sur le mode linéaire. C’est-à-dire que nous avons admis qu’une augmentation de 50 % de la durée de scolarisation totale, par exemple, se traduirait par une augmentation de 50 % du savoir retenu par les élèves. » (Husén, 1972, p. 11 [traduction libre]) Les premières études consacrées au temps de l’enseignement s’inscrivent dans une perspective comparative et évaluative. Elles s’attachent à révéler les écarts entre la distribution faite par les professeurs du temps dont ils disposent et celle recommandée officiellement et mettent en évidence d’importantes différences quant à l’utilisation du temps scolaire selon les districts et les écoles (2) (Payne, 1904 ; Holmes, 1915 ; Mann, 1926, cités par Borg, 1980). Le constat de cette variabilité interpelle les autorités éducatives. Ainsi par exemple, selon Borg (1980), Thompson aurait proposé, dès 1915, que l’on forme les futurs maîtres à la gestion du temps, de façon à rendre l’enseignement plus efficace. On peut conclure de ces premières études que le temps de l’enseignement est d’abord appréhendé comme une ressource pouvant être dépensée dans un souci d’optimisation du rendement pédagogique. Nous parlerons de « dimension provisionnelle » de la variable temps. Non seulement les professeurs sont incités à respecter les prescriptions horaires, mais on leur demande également d’améliorer leurs pratiques en maximisant le temps de participation des élèves et en évitant les temps de distraction (3). Ainsi, à côté de l’importance accordée à la quantité de temps d’enseignement dispensée, on commence à pointer que la manière de l’utiliser l’est également. Les prémisses de cette distinction entre plusieurs types de temps dans l’enseignement préfigurent une partie des nombreuses études menées au cours du xxe siècle. Deux axes caractéristiques des traitements futurs de la question du temps de l’enseignement aux États-Unis peuvent être ­dégagés : –– l’étude de l’impact de la quantité de temps d’enseignement sur l’apprentissage des élèves (dimension provisionnelle du temps appelant la recherche de corrélations statistiques) ; –– la spécification de la qualité du temps consacré à l’enseignement, associée à un affinement sémantique de la notion de temps (le temps est-il un temps d’attention, un temps de distraction, etc. ?). Ces deux axes sont étroitement liés. Chaque fois qu’une nouvelle « qualité » de temps est déterminée, on cherche à mesurer ses effets sur l’apprentissage des élèves. Il paraît de ce fait utile, comme le fait par ailleurs Delhaxhe (1997), d’identifier ces différentes qualités de temps à travers le modèle proposé par Smyth (4) (1985), distinguant cinq niveaux d’analyse (voir la figure 1). Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 89 Figure 1. – Modèle d’analyse du temps dans l’enseignement selon Smyth (1985) À partir de 1960, des études du lien entre temps et niveau atteint par les élèves Les trois premiers niveaux du modèle d’analyse du temps portent sur le lien entre la durée consacrée à l’instruction et le niveau atteint par les élèves, dans la lignée des approches provisionnelles. La quantité officielle d’instruction (niveau 1) La quantité officielle d’instruction correspond au nombre de jours ou d’heures consacrés à la scolarité, sur une période déterminée (l’intégralité du cursus scolaire, une année, une journée…). La question qui se pose est la suivante : cette première mesure du temps d’enseignement est-elle liée à la réussite scolaire des élèves ? Ou encore, pour reprendre le titre de l’article de Husén (1972), « Plus de temps fait-il la différence ? » (5). Ce dernier recense plusieurs études internationales qui remettent en cause l’idée selon laquelle plus de temps passé à l’école accroît la réussite des élèves. L’une se déroule en Norvège dans les années 1950 auprès de deux cohortes d’élèves de 12 à 14 ans recevant, pendant deux ans, des quantités d’instruction différentes (du simple au double). Lors des épreuves de test, le groupe ayant reçu le moins d’enseignement présente seulement une légère infériorité de résultats par rapport à l’autre. La seconde, menée par l’International association for the evaluation of educational achievement sur 12 pays 90 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 différents, a paru sous la forme d’un rapport en 1967. Plusieurs dimensions relatives aux effets du temps sur les performances d’élèves de 13 ans en mathématiques sont évaluées. Les résultats montrent que le fait d’entrer plus précocement à l’école n’est pas lié de manière significative à la réussite, ou encore que le temps consacré à l’enseignement des mathématiques, pris isolément, n’entretient quasiment aucun lien avec la réussite des élèves. Husén note toutefois que certaines exploitations des données de la même étude rétablissent l’existence de ce lien. Il cite notamment les travaux de Keeves, qui analyse les données des cinq états australiens présents dans l’échantillon et trouve que la quantité de temps totale consacrée à l’enseignement des mathématiques dans les écoles y est liée à la moyenne des élèves dans la discipline. Les conclusions concernant le lien entre la quantité officielle d’instruction et la réussite scolaire ne sont donc absolument pas stables. Une explication possible tiendrait au fait que, dans la mesure de la quantité officielle d’instruction, les absences du maître ou des ­élèves, ou encore les jours de grève, ne sont pas décomptés. Le niveau d’analyse du temps doit être affiné. La quantité d’instruction par élève (niveau 2) La « quantité d’instruction par élève » est calculée en tenant compte des variations dues, par exemple, aux absences des professeurs ou à celles des ­élèves. Fogelman (1978) montre que le temps de présence à l’école affecte les apprentissages des élèves. Selon Summers et Wolfe (1975), ce phénomène est d’autant plus manifeste que l’on monte dans les niveaux scolaires. Du côté des professeurs, Fredrick (1977) établit que le temps perdu par les enseignants du fait de leurs absences varie de 25 % à 49 % et que les classes où la perte de temps est moindre obtiennent le meilleur score de réussite aux épreuves d’évaluation. Bref, ce premier affinement du niveau d’analyse du temps, visant à se rapprocher du temps effectivement consacré à l’instruction, paraît rétablir le lien statistique entre temps et apprentissage. Pour autant, de nombreuses analyses du temps de l’enseignement ont été menées à un niveau encore plus fin. Le temps passé sur le contenu (niveau 3) Pour évaluer l’influence du temps sur le niveau atteint par les élèves, il est en effet possible de considérer spécifiquement le temps passé sur le contenu enseigné en recueillant, auprès des professeurs, des données concernant la quantité de temps allouée à telle ou telle discipline. Stallings et Kaskowitz (1974) ou encore Harnischfeger et Wiley (1977) montrent des différences existant entre les professeurs du point de vue du nombre d’heures d’enseignement dispensées pour les différentes matières et établissent que la moyenne annuelle de ce nombre ­d’heures est positivement liée au niveau atteint par les élèves en mathématiques et en lecture. Pourtant, dans une étude similaire (Lee et al., 1981), ce résultat n’est pas confirmé. Aux travaux qui établissent un lien statistique entre la réussite des élèves sur une discipline donnée et la quantité de temps effectivement consacrée à son enseignement (Fisher et al., 1980 ; Kidder, O’Reilly & Kiesling, 1975 ; Vivars, 1976), répondent ceux qui rejettent l’existence d’un tel lien (Guthrie, Martuza & Seiffert, 1976 ; Welch & Bridgham, 1968). De fortes contradictions subsistent donc à propos de l’automaticité des effets du temps sur la réussite des élèves. Voilà comment Smyth (1985) interprète ces contradictions : l’affinement du niveau d’analyse entre le niveau 1 et le niveau 3 n’aurait pas suffi à atteindre un degré d’observation suffisamment pertinent. Des problèmes méthodologiques subsistent dans le fait, par exemple, de mesurer le temps consacré à telle ou telle discipline sur la base des seules déclarations des professeurs (et non sur leurs Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 91 pratiques effectives). Selon Smyth, le temps effectivement consacré à l’enseignement ne correspond pas à la durée déclarée par le professeur mais à celle au cours de laquelle l’élève est en train d’apprendre. Un élément important apparaît ici. C’est en termes d’apprentissage (« learning ») et non plus d’instruction (« schooling ») que commence à être posée la question du temps en éducation. Avec ce basculement, le domaine de la psychologie s’impose comme source privilégiée des nouvelles études sur le temps. Les deux derniers niveaux du modèle d’analyse du temps (niveaux 4 et 5) sont d’ailleurs basés sur un apport majeur de la psychologie de l’éducation américaine : le modèle d’apprentissage de Carroll (1963). Les apports du modèle de Carroll : le temps d’apprentissage au centre des réflexions Carroll entreprend, au début des années 1960, de produire « un modèle conceptuel des facteurs affectant la réussite dans l’apprentissage scolaire et de la manière dont ils interagissent » (Carroll, 1963, p. 723). La particularité de son modèle tient à sa formulation en termes de temps. Selon le psychologue, un « apprenant réussira son apprentissage d’une tâche donnée dans la mesure où il passe la quantité de temps dont il a besoin pour apprendre la tâche » (Carroll, 1963, p. 724). Carroll appuie ainsi son modèle sur deux notions : –– le temps nécessaire à l’apprentissage (basé sur la qualité de l’instruction, la capacité de l’élève à comprendre l’instruction et l’aptitude de l’élève) ; –– le temps passé à l’apprentissage (défini par le temps alloué par le professeur pour l’enseignement et la persévérance de l’élève). Le modèle de Carroll est ainsi présenté par « une formule exprimant le degré d’apprentissage pour un individu i et une tâche t, sous la forme d’une fonction du rapport de la quantité de temps que l’apprenant consacre réellement à la tâche sur la quantité totale dont il a besoin » (Carroll, 1963, p. 730, voir figure 2). La dimension provisionnelle du temps caractéristique des niveaux d’analyse supérieurs semble toujours présente dans le modèle de Carroll, mais sous une forme assouplie. En effet, si la formulation « mathématique » indique encore une sorte d’automaticité entre des variables d’entrée et de sortie, le modèle repose sur plusieurs variables d’action pour le professeur (la qualité de l’instruction et le temps passé à l’apprentissage), qui complexifient le processus et confèrent au professeur une responsabilité plus grande dans la gestion du temps. Les orientations pédagogiques esquissées dans le modèle de Carroll seront d’ailleurs reprises quelques années plus tard dans la pédagogie de maîtrise de Bloom sur la base suivante : « S’il était possible de donner le temps et l’aide nécessaire et d’être en mesure de motiver l’élève pour utiliser le temps disponible, la plupart des élèves atteindraient le niveau de réussite attendu » (Bloom, 1974, p. 684). Ces Figure 2. – Formulation du modèle de Carroll (Carroll, 1963, p. 730) 92 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 apports de la psychologie de l’éducation confèrent à la variable temps une dimension beaucoup plus qualitative que jusqu’alors : le professeur peut agir sur la nature du temps dans son enseignement. À partir de 1975, des études sur la qualité du temps de l’enseignement Les thèses de Carroll et de Bloom apparaissent en filigrane dans les deux derniers niveaux d’analyse : le temps d’engagement (niveau 4) et l’Academic ­learning time (dit ALT, niveau 5). Le temps d’engagement de l’élève (niveau 4) D’après Carroll, « le degré d’apprentissage, toutes choses égales par ailleurs, est une simple fonction de la quantité de temps durant laquelle l’élève s’engage activement dans l’apprentissage » (Carroll, 1963, p. 732). Ce « temps d’engagement » devient l’enjeu des recherches en éducation (6). Fisher et ses collègues (1980), ou encore Lee et ses collègues (1981), établissent une relation positive entre le temps d’engagement et le niveau atteint en lecture et en mathématiques à l’école élémentaire. Face à de tels résultats, on tente de déterminer les variables susceptibles d’être associées à un temps d’engagement important. Parmi les plus significatives se trouvent le niveau scolaire de l’élève (7) (Rusnock & Brandler, 1979 ; Smyth, 1979) ou encore le comportement du professeur (8) (Borg & Ascione, 1979). La prise en compte de ces éléments relatifs à l’influence de l’enseignement sur l’accroissement du temps d’engagement conduit au dernier niveau d’analyse du temps : le temps d’apprentissage académique. Le temps d’apprentissage académique (niveau 5) Le temps d’apprentissage académique (ALT) correspond « au temps durant lequel l’élève s’est impliqué dans une tâche d’apprentissage dont les objectifs coïncident avec des items de l’épreuve d’évaluation et dont le degré de difficulté permet à l’élève de produire un maximum (90 %) de bonnes réponses » ­(Delhaxhe, 1997, p. 114). D’après Fisher et ses collègues (1980, cités par Smyth, 1985, p. 5270), il repose sur plusieurs composantes : –– le temps alloué (« allocated time ») : il correspond à la quantité de temps pendant lequel l’élève peut travailler, une sorte d’opportunité d’apprentissage ; –– le taux d’engagement (« engagement rate ») : il équivaut au pourcentage du temps alloué pendant lequel l’élève est engagé dans la tâche (l’influence du modèle de Carroll est perceptible à travers la mise en regard de ces deux premières composantes) ; –– et enfin le taux de succès (« success rate ») : le taux de succès est défini comme le pourcentage de temps que les élèves passent à faire l’expérience de niveaux de réussite élevés sur des tâches d’apprentissage concordantes avec celles qui seront évaluées (l’influence de la pédagogie de maîtrise est ici manifeste). L’intérêt porté à l’ALT marque l’évolution de l’acception du temps dans le processus d’enseignement/apprentissage. Jusqu’alors, le temps était considéré comme une donnée d’entrée du système ; il devient maintenant un temps produit par certaines actions engageant professeur et élèves. Avec ce cinquième niveau d’analyse, la dimension provisionnelle du temps s’estompe et laisse la place à une dimension que nous qualifierons de « processuelle » : le temps est une construction dont les chercheurs entendent fournir les plans et le matériau. Plusieurs ­études tentent ainsi de mettre au jour des variables agissant sur l’ALT (9) : la Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 93 clarté des informations et des consignes, l’importance donnée aux buts académiques dans la classe, la capacité du professeur à identifier le niveau de ses élèves, à leur soumettre des tâches de difficulté appropriée, ou encore le fait de faire travailler les élèves en groupe. On notera en particulier l’émergence de certaines variables liées à la gestion dynamique in situ des situations d’enseignement, telles que l’évaluation régulière des résultats des élèves, un volume important d’inter­ actions ou encore le nombre de rétroactions correctives du professeur. Les deux derniers niveaux d’analyse du temps (le temps d’engagement et l’ALT) ont dominé la recherche américaine sur le temps en éducation dans les années 1980. Une investigation sur la base de données ERIC (10) montre qu’ils représentent plus de la moitié des études sur la question entre 1980 et 1990. Leur impact semble avoir dépassé le strict champ scientifique. En 1991, une Commission de l’Éducation nationale sur le temps et l’apprentissage, dite CENTA, fut mise en place par l’admi­nistration américaine, avec pour objectif « d’explorer la relation entre le temps et l’apprentissage et de proposer des recommandations à propos de la manière dont les écoles de la nation pouvaient restructurer leur utilisation du temps pour développer l’apprentissage des élèves » (Aronson, 1995, p. 6). Avec ce ressaisissement politique de la question, le type de recherche menée sur le temps en éducation va considérablement évoluer. À partir de 1990, le constat du manque de temps pour les professeurs La thématique du temps est toujours présente dans les recherches américaines en éducation au cours des années 1990 (11) : la base de données ERIC recense près de 60 références entre 1990 et 2004. Toutefois les études sur les niveaux d’analyse inférieurs (temps d’engagement et ALT) sont beaucoup moins nombreuses : elles ne constituent plus qu’un sixième des travaux au cours de cette quinzaine d’années. Une évolution thématique semble donc s’être opérée. Le titre du rapport publié par la CENTA en 1994 pourrait caractériser les nouvelles orientations des études réalisées : Prisoners of time. Les professeurs sont maintenant envisagés comme des prisonniers du temps. Plusieurs titres d’articles recensés soulignent cet aspect : « Stop the clock » (Aronson, 1995), « Breaking the tyranny of time » (Livingston, 1994), « Racing with the clock » (Adelman, ­Walking Eagle & Hargreaves, 1997), « So much to do, so little time » (Rose, 1998)… Consubstantiellement, les travaux plébiscitent un allongement général des modules d’enseignement. En témoignent là encore les expressions composant les titres de certains articles : « More time to learn » (Moore & Funkhouser, 1990), « ­Enhancing effective instructional time » (12) (Suarez, 1991). Ainsi, aux États-Unis, les années 1990 marquent un retour à des considérations du temps relatives aux niveaux plus élevés du modèle d’analyse du temps (la quantité de temps d’instruction allouée), c’est-à-dire à une dimension provisionnelle du temps. S’agit-il pour autant d’un retour en arrière ? Pas vraiment, car si les études paraissent avoir « remonté » les niveaux du modèle d’analyse du temps, elles semblent également s’être décentrées de l’apprentissage (« learning »), pour s’intéresser maintenant de plus près à l’enseignement (« teaching »). Les recherches ne sont plus seulement focalisées sur le lien entre temps et réussite des élèves mais portent sur les conditions de faisabilité de l’activité d’enseignement dans le temps imparti. Une perspective générale sur les travaux américains Très tôt, les travaux américains ont porté l’attention sur le lien statistique entre le temps consacré à l’enseignement et le niveau de réussite atteint par les 94 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 élèves. Les résultats contradictoires obtenus ont incité les chercheurs, non pas à remettre en cause l’idée de l’existence d’un tel lien, mais à affiner leur mesure du temps dans les phénomènes scolaires de façon à rétablir des corrélations significatives. Cette perspective est le reflet d’une dimension provisionnelle du temps excessivement prégnante, dominant la quasi-totalité des recherches : le temps est considéré comme une ressource dont l’allocation pour l’enseignement pourrait être efficacement gérée. Certaines variations apparaissent toutefois quant aux usages du temps dans les différents travaux. Les études des années 1960 portent essentiellement sur la « quantité d’instruction », traduction du terme anglais « ­s chooling ». La perspective est administrative, voire économique. Comme le pointe Husén, « puisque les salaires du personnel scolaire atteignent les deux tiers voire plus du coût de fonctionnement des écoles, ces résultats ont des implications politiques fortes pour les pays » (Husén, 1972, p. 11). Avec l’affinement du niveau d’analyse du temps, le « schooling » cède la place au « learning ». C’est en termes d’apprentissage que l’on aborde à présent la question temporelle, mêlant les apports de la psychologie (Carroll) aux questions pédagogiques (Bloom). Il s’agit, pour le dire très rapidement, de donner aux élèves le temps d’apprendre selon leur propre rythme. Le retentissement de ces travaux est manifeste, aux États-Unis, mais aussi outre-Atlantique, comme nous le verrons dans la deuxième partie. Non seulement ils constituent la base de méthodes pédagogiques très influentes prônant l’adaptation de l’enseignement aux élèves mais, de manière beaucoup plus diffuse, ils établissent l’idée de l’existence d’un temps d’apprentissage qui serait propre à chaque élève. Enfin les recherches plus récentes s’éloignent (sans s’y opposer) de la notion d’apprentissage (« learning ») pour se focaliser sur celle d’enseignement (« teaching »), insistant particulièrement sur l’idée du manque de temps. Le temps apparaît de nouveau comme une condition nécessaire et quasiment suffisante pour améliorer l’enseignement (Duis, 1995). Le titre de la communication de Collinson et Cook en 2001 pour le rassemblement annuel de l’American educational research association est très évocateur : « “I don’t have enough time”: teachers interpretations of time as a key to learning and school change » (Collinson & Cook, 2001). C’est cette dimension pratique attachée au temps de l’enseignement qui tend à ­s’imposer aujourd’hui. Les travaux francophones : entre emprunts et nouvelles perspectives Alors qu’elle fédère un ensemble de travaux relativement homogène aux États-Unis, la question du temps de l’enseignement apparaît plus composite dans les travaux francophones, comme le soulignent les intitulés des ouvrages qui lui sont consacrés : Le temps en éducation. Regards multiples (Saint-Jarre & DupuyWalker, 2001), ou encore Temporalités éducatives. Approches plurielles (13) (Lesourd, 2006). Pour présenter les travaux qui suivent, nous distinguerons trois catégories de recherches selon qu’elles proposent de présenter le temps scolaire comme un levier d’action sur le système d’enseignement ; de mesurer les effets du temps sur les acquisitions des élèves ; ou enfin de développer une approche du temps de l’enseignement en termes de temps didactique où le temps n’est plus un donné (comme dans les approches provisionnelles), mais un construit (rejoignant ainsi une perspective processuelle). Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 95 La structuration du temps scolaire comme levier de changement pour l’école Ce premier ensemble d’études réunit les contributions de disciplines variées : la sociologie, l’histoire, la chronopsychologie ou encore la pédagogie. Leur point commun est d’articuler des approches spécifiques de la question du temps de l’enseignement à des orientations possibles pour un changement de l’école. Cette entreprise ne va pas sans poser de sérieux défis scientifiques et sociétaux, ni sans lever des controverses, comme en témoigne un numéro hors-série des Cahiers pédagogiques paru en 2009, consacré aux rythmes scolaires et dont le message se formulait clairement : « Évitons la catastrophe ! » (14) (Bride, 2009). Plus que d’examiner le détail des débats menés sur ce point, il importera ici d’examiner comment chaque discipline porte un regard particulier sur la question du temps scolaire et de sa structuration. Pour commencer, le temps de la scolarité constitue un élément important de tout projet social. C’est ce que retracent bien les approches historiques de la question du temps scolaire (cf. par exemple l’ouvrage collectif Histoire du temps scolaire en Europe, dirigé par Compère, 1997). En France, on constatera que ­l’allongement de la scolarité jusqu’à 16 ans (loi Berthoin de 1959), l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au niveau baccalauréat (loi Chevènement de 1985), ou encore l’effacement du niveau bac + 2 au profit du grade de licencié (réforme LMD des universités) sont autant de manifestations temporelles des objectifs poursuivis au cours de ces 50 dernières années : démocratiser l’enseignement, élever le niveau général d’instruction, donner aux universités un visage européen… De la même façon, la remise en question de cet allongement du temps de la scolarité, symptôme d’une Inflation scolaire aujourd’hui dénoncée (Duru-Bellat, 2006), apparaît dans le contexte d’un ensemble de transformations nouvelles : effritement du modèle de l’ascenseur social, professionnalisation des filières, omniprésence de la question du chômage, etc. Ainsi, pour le dire en quelques mots, l’école est pensée en adéquation avec son « temps social dominant » (Sue, 1993), dans son contexte socio-économique et idéologique. Elle est en outre examinée en référence à des temps sociaux plus spécifiques tels que le temps des loisirs, celui de l’informatique (Sue & Caccia, 2005 ; Sue, 2006). Bref, une multitude de rythmes auxquels on lui demande de s’accorder pour être « en prise avec son temps ». Mais le thème du temps de l’enseignement est également lié à un autre domaine de questionnement, relativement important d’un point de vue social mais aussi scientifique : celui des rythmes scolaires. Dans une perspective historique, Gerbod (1999) montre que la construction du système d’enseignement français fut particulièrement marquée par la subordination totale des élèves au temps scolaire et que c’est très tardivement (à partir des années 1960) que l’idée d’un « temps au service des élèves » (Gerbod, 1999, p. 470) apparaît, sous l’influence de la médecine. Émerge alors une nouvelle discipline : la chronobiologie, qui met en lumière le rôle des rythmes biologiques sur l’attention et les performances scolaires des élèves. Les années 1960 sont ainsi marquées par un ensemble de considérations sur la fatigue des écoliers imputable aux horaires auxquels les astreint l’école (Bataillon & Berge, 1967). Elles aboutissent, au cours de la vingtaine d’années suivantes, à un grand nombre de réformes des horaires scolaires dont la semaine de quatre jours est l’exemple le plus marquant (sans être paradoxalement concordant avec les résultats de la chronobiologie, ce qui vaudra à cette mesure de vives critiques dans le champ scientifique). Aujourd’hui, ce sont les travaux de la chronopsychologie (15) (Fraisse, 1980 ; Testu, 1988…) qui attirent l’attention sur la nécessité de considérer la manière dont les élèves à la fois investissent et subissent le temps scolaire (Blomart & Delvigne, 1994 ; Poussin & Megevand, 1990). 96 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Pour substantielles qu’aient été les influences de ces diverses disciplines sur la structuration du temps de l’enseignement, elles n’épuisent pas l’ensemble des questions qui se posent à son propos, et notamment celles relatives à la dimension proprement pédagogique du temps scolaire. Dès les années 1960, Freinet s’était par exemple positionné contre la façon simpliste de poser le problème de la fatigue et du temps à l’école. Dans Les invariants pédagogiques (Freinet, 1964), il avançait ainsi que « la fatigue des enfants est le test qui permet de déceler la qualité d’une pédagogie ». Plusieurs approches pédagogiques sont par ailleurs disponibles à propos de la structuration du temps scolaire. Parmi elles, celle de Meirieu (2009) postule que plus de temps serait la condition d’un changement efficace de la pédagogie ; il favoriserait l’adoption, par les professeurs, de nouvelles formes d’enseignement proches de l’éducation dite « active ». Dans la même veine, Husti pense qu’il est possible d’« améliorer l’efficacité de l’enseignement par une utilisation plus adéquate du temps » (Husti, 1994, p. 13). Selon elle, la « rigidité » de l’heure de cours nuirait en effet à toute tentative d’évolution de l’enseignement vers la mise en œuvre de nouvelles formes pédagogiques telles que le travail de groupe, la pédagogie différenciée, etc. Il serait nécessaire de proposer une alternative à ce qu’elle n’hésite pas à appeler un « taylorisme ­intellectuel » (Husti, 2001, p. 120). C’est précisément la fonction du dispositif de structuration du temps scolaire qu’elle souhaite instituer, le « temps mobile » : –– l’heure de cours doit laisser la place à une plage horaire allant de 1 à 4 heures selon les besoins spécifiques à l’objet enseigné ou aux élèves ; –– les professeurs doivent augmenter ou abaisser le débit de leur enseignement au cours de l’année en pensant leur curriculum respectif en adéquation avec ceux de leurs collègues, de façon à jouer au maximum la carte de la transversalité des connaissances ; –– 15 % du temps d’enseignement d’une discipline doivent être consacrés au « travail à rythme individuel », où les élèves peuvent choisir de travailler seuls ou en groupe (cette idée peut être liée à l’apport de Carroll à propos du « temps nécessaire pour apprendre ») ; –– l’élève construit l’emploi du temps des disciplines qu’il travaillera dans la journée pour être maître de son temps et être plus investi dans ses apprentissages (un lien avec le « temps d’engagement » développé dans les études américaines peut ici être fait). Le dispositif du temps mobile a été expérimenté dans une vingtaine d’établissements secondaires entre 1980 et 1984, puis de 1985 à 1989. Son évaluation a porté sur les changements « perçus » par les professeurs, les élèves et les chefs d’établissement à propos de la modification de l’emploi du temps (Husti, 1992), plus que sur les effets de ces changements sur les acquisitions scolaires des élèves. Le fait qu’il existe un lien entre la structure du temps et la réussite des élèves était pourtant présenté comme l’une des motivations de l’expérimentation. Cette dimension apparaît également dans d’autres travaux français, tels que ceux d’Altet et ses collègues (1996) qui montrent une variabilité inter-classes importante du point de vue de l’utilisation de temps de l’enseignement. En référence explicite aux thèses de Carroll, les auteurs rappellent que le temps est « une dimension fondamentale des acquisitions » (Altet et al., 1996, p. 73) et que la « détermination d’une fonction d’efficience du temps consacré à chaque discipline serait probablement riche d’informations, tant sur le plan théorique que pratique » (Altet et al., 1996, p. 75). C’est à la recherche de cette fonction d’efficience que se consacrent en effet un second ensemble d’études que nous présentons maintenant. Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 97 Les études sur « l’efficacité du temps scolaire » L’expression « efficacité du temps scolaire » est empruntée à Morlaix (2006). Elle est associée à une conception du temps comme « input essentiel de la production de la valeur scolaire » (Morlaix, 2000, p. 122). Sur la base d’une étude portant sur 70 professeurs de CM2, et après avoir établi la variabilité des durées consacrées à chaque matière scolaire par les enseignants, Morlaix entreprend d’en mesurer les corrélations avec le niveau des élèves à court terme (niveau à l’entrée de la 6e) et à long terme (capacité des élèves à s’insérer dans l’enseignement secondaire). L’auteur montre que le niveau des élèves au début de la 6e s’explique largement (au sens statistique) par la répartition et l’usage du temps en CM2 : ce qui tient à ces dimensions « s’avère trois fois plus important que ce qui tient au contexte d’enseignement (caractéristiques agrégées de la classe et ­caractéristiques du maître) » (Morlaix, 2000, p. 123). On pourrait pourtant poser la question suivante : en admettant que, pour certaines matières scolaires, le temps alloué en plus au CM2 soit positivement corrélé aux performances des élèves à l’entrée en 6e, cette durée doit-elle être considérée comme la cause des performances réalisées par les élèves ou bien comme le signe d’un attrait particulier des professeurs de CM2 pour ces disciplines, agissant comme variable intermédiaire dans les relations entre temps et niveau des élèves ? Les données présentées par Morlaix ne permettent pas de préciser le sens de la liaison. Ceci peut paraître regrettable, eu égard aux ambitions prescriptives de tels travaux. Morlaix propose en effet des directions à prendre en termes d’allocation de temps pour les différentes matières scolaires. Des accroissements ou réductions de temps seraient censés permettre de maximiser le dévelop­pement de « compétences transversales » favorisant la réussite des élèves au collège, selon le schéma présenté dans le tableau 1. Ainsi Morlaix tente d’établir le meilleur rapport « qualité/prix » entre le temps investi dans l’enseignement et la réussite des élèves (le coût d’opportunité). Mais Tableau 1. – « Ordre de classement des préférences du décideur dans l’allocation du temps » (Morlaix, 2000) Ordre Discipline Moyenne observée dans l’échantillon Direction 1 Sciences/technologie 1,6 + + + 2 Mathématiques 5,0 + + 3 Histoire-géographie/éducation civique 2,3 + 4 Français 8,8 – 5 Éducation artistique 1,6 – 6 Langues vivantes et autres activités 1,3 – – 7 Sport 2,5 – – – Légende [c’est nous qui l’ajoutons] : par « moyenne observée dans l’échantillon », Morlaix désigne le « temps hebdomadaire moyen alloué à chaque discipline, en heures » (Morlaix, 2000, p. 125). Des grilles de budget temps ont permis de collecter ces renseignements auprès de 70 professeurs de CM2. La « direction » correspond aux « variations à envisager dans l’allocation du temps scolaire en primaire » (Morlaix, 2000, p. 130). Les « + » renvoient à une nécessité d’augmenter le temps scolaire, les « – » de le diminuer, dans le but d’optimiser le rapport entre temps investi et compétences transversales développées par les élèves (dont Morlaix propose une mesure) et censées favoriser leur insertion en 6e (d’après les résultats de l’auteur). 98 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 elle n’examine pas réellement le rôle du facteur temps dans cette réussite. Sur la base des corrélations établies entre une certaine posologie du temps scolaire d’un côté et des différences de maîtrise d’un certain nombre de compétences chez les élèves de l’autre, l’auteur postule un lien de causalité entre le premier élément et le second qui n’est pourtant pas attesté. Les travaux de Berzin et Carpentier (2000) cherchent eux aussi à évaluer l’effet de la structuration temporelle sur ­l’efficacité de l’enseignement. Ils portent sur l’évaluation d’un dispositif ARVEJ (Aménagement des rythmes de vie des enfants et des jeunes) mis en place à Amiens au milieu des années 1990. Le dispositif vise la modification du rapport des élèves au savoir pour favoriser leur réussite scolaire. Il se décline en deux objectifs : –– adapter les rythmes scolaires aux variations des rythmes de l’activité de ­l’enfant (dans la mouvance des travaux de la chronobiologie et de la chrono­ psychologie) ; –– permettre la participation des enfants à la vie de la cité par la pratique de l’informatique, les pratiques sportives ou artistiques (en lien avec les thèses de la sociologie des temps sociaux évoquées plus haut). Le compte rendu de l’étude dévoile certaines difficultés rencontrées dans l’évaluation du dispositif, du point de vue des progressions scolaires réalisées : faute de données suffisantes, les auteurs établissent, sur un groupe expérimental de 18 élèves qualifiés de « faibles », l’absence d’effets significatifs du dispositif sur les progressions. Est alors privilégiée une évaluation (par entretiens et questionnaires) des « changements perçus [c’est nous qui soulignons] au plan des apprentissages, des relations interpersonnelles et de l’épanouissement personnel » (Berzin & Carpentier, 2000, p. 80) : les auteurs mettent ainsi en évidence « l’implication des élèves pour un dispositif qui leur permet de s’ouvrir à de ­n ouveaux savoirs et d’appréhender différemment leur vie d’écolier » (Berzin & Carpentier, 2000, p. 87). Bien entendu, cette dimension liée à la manière de pratiquer son « métier d’élève » revêt une importance avérée. Les travaux sur le temps ont d’ailleurs montré, en particulier avec Grossin (1974), que la qualité du temps vécu est une dimension essentielle de nos pratiques quotidiennes. Il pourrait en aller de même pour les pratiques scolaires. Toutefois, dans les travaux de Berzin et Carpentier, l’appréhension plus approfondie des effets du dispositif d’aménagement du temps en termes de rendement scolaire reste peu opérante. Ceux de Suchaut (1996) sont plus consistants sur cet aspect. Ils font écho aux études américaines répertoriées dans la première partie, cherchant à établir des corrélations entre le temps consacré à l’enseignement et la réussite des ­élèves. À partir d’un traitement statistique de grilles budget temps remplies par les professeurs et de tests soumis à leurs élèves, Suchaut évalue l’impact de l’utilisation du temps scolaire sur les acquisitions en grande section maternelle et en cours préparatoire (CP). Les résultats montrent que, en maternelle, le temps consacré aux apprentissages formels (mathématiques, langage, lecture) est bénéfique aux élèves, et particulièrement aux plus faibles (c’est-à-dire qu’une quantité plus importante de temps permet aux élèves de progresser davantage). De ce point de vue, l’utilisation du temps scolaire peut donc avoir une « visée égalisatrice » selon l’auteur (Suchaut, 1996, p. 150). Ce n’est plus le cas au CP où « le temps passé dans les différentes disciplines, et plus particulièrement en français, est surtout bénéfique pour les élèves initialement forts » (Suchaut, 1996, p. 150). En résumé, le lien entre la quantité de temps consacré à tel ou tel enseignement et les effets en termes d’apprentissage pour les élèves n’est pas stable entre les deux échantillons (classe de maternelle et classe de CP). Plus fondamentalement, notons que ces résultats appellent la même réserve que précédemment : ­comment Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 99 interpréter les corrélations entre le temps consacré à l’enseignement et le niveau atteint par les élèves de maternelle ? Le temps supplémentaire est-il la cause directe des performances ou bien l’indicateur d’un investissement didactique du professeur plus important ? Ce recentrage vers les pratiques d’enseignement est d’ailleurs opéré par Suchaut pour les classes de CP où le lien entre temps et effets de l’enseignement n’a pas été établi. L’auteur pointe la nécessité de mettre l’accent sur les aspects pédagogiques plus que sur le temps stricto sensu, en soulignant la nécessité de « développer des modes d’organisation pédagogiques internes à la classe qui permettent à la majorité des élèves (pas seulement aux plus forts) de profiter pleinement du temps dispensé dans les classes » (Suchaut, 1996, p. 150). Comme dans les recherches américaines, il faudrait, selon Suchaut, s’intéresser au temps « profitable » plus qu’au temps d’instruction proprement dit, et l’on retrouverait des corrélations significatives entre temps et apprentissage. Le fait que le temps puisse être un instrument de régulation des difficultés de certains élèves est pourtant contredit par d’autres études, dont celle de Gabriel (1993), portant sur l’effet des dotations en temps dans l’enseignement des mathématiques sur la réussite d’élèves. Bien que, selon l’auteur, les acteurs du système éducatif considèrent l’allocation de temps d’apprentissage supplémentaire comme un instrument primordial de gestion de l’hétérogénéité, les résultats de son étude menée auprès de 45 classes (soit 1 140 élèves de 6e) montrent que les heures de renforcement et de remédiation allouées pour l’enseignement n’exercent qu’une très faible influence sur les progressions des élèves (bien sûr, il conviendrait d’examiner de plus près la nature des pratiques mises en place au cours de ces moments de renforcement et de remédiation). Gabriel montre en revanche que les pratiques éducatives, pour leur part, sont plus explicatives de la réussite des plus faibles. Cet ensemble de travaux consacrés à l’efficacité du temps scolaire indique que la dimension provisionnelle du temps de l’enseignement, typique des approches américaines, est également présente dans les travaux français. Dans les études que nous présenterons maintenant, cette acception est mise de côté. Le temps comme un processus Si la critique d’une conception du temps réduite au seul temps de l’horloge existait déjà depuis les travaux de Fraisse (1957), ou plus tard ceux de Verret (1975), si la question des liens entre temps alloué à l’enseignement et contenu avait déjà été posée depuis plus de trois siècles par Comenius (16) (2002), les études sont aujourd’hui plus nombreuses à proposer une approche du temps de l’enseignement qui prenne en compte sa pleine dimension processuelle. Temps d’enseignement et temps d’apprentissage s’en trouvent considérés sous de ­nouveaux aspects. Pour un « temps de l’élève » non réifié Concernant le temps de l’élève, les travaux menés par Carroll dans les années 1960 (et après lui ceux de Bloom) constituent une référence essentielle dans la littérature scientifique. Déjà présentés dans la première partie de cette note de synthèse, ils postulent l’existence d’un temps d’apprentissage propre à chaque élève, déterminant les conditions de son apprentissage. C’est à un renversement de perspective que conduisent les travaux présentés maintenant. Dans son étude de la dynamique des acquisitions à l’école élémentaire, Mingat (1987) montrait déjà que les progrès réalisés au cours de l’année de cours préparatoire par les élèves de son échantillon instituaient un écart qui se maintenait par la suite dans le déroulement de leur scolarité. Il en concluait que les acquisitions scolaires 100 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 auraient un caractère cumulatif et dépendraient davantage de variables pédagogiques (l’enseignement) que de variables cognitives liées à des traits personnels des élèves, tels que leur maturation intellectuelle. La temporalité des appren­ tissages posséderait ainsi un caractère didactique, et non « naturel » comme le suggère Carroll. Mercier (1992, 1995) fournit des éléments supplémentaires pour abonder en ce sens. Selon l’auteur, « le temps propre de l’enseigné ne peut être produit indépendamment du temps didactique auquel il s’articule » (Mercier, 1992, p. 57). Fort de cette position, il propose d’examiner ce qu’il nomme la « biographie didac­ tique » d’élèves, c’est-à-dire « la suite des incidents constitutifs de [leur] histoire d’élève » (Mercier, 1992, p. 5). Ceci lui permet de montrer que, si l’enseignement permet à l’élève d’acquérir des connaissances nouvelles, le fonctionnement temporel de l’enseignement crée de facto pour l’élève de l’ignorance, laquelle constitue d’ailleurs son caractère premier : « L’ignorance, dit-il, ou plutôt la succession des ignorances dépassées est le déterminant principal de la biographie didactique de l’élève. » (Mercier, 1992, p. 79) Très clairement, la temporalité de l’enseigné est définie par rapport aux processus didactiques qui la génèrent. Nos travaux (Chopin, 2007) poursuivent cette critique des thèses de Carroll en dénonçant la conception naturalisée du temps d’apprentissage des élèves qui leur est associée. L’idée que chaque écolier pourrait être caractérisé par un temps d’apprentissage propre ne résiste pas à l’analyse. Nous montrons que, dans les travaux de Carroll, c’est la notion d’aptitude de l’élève qui soutient la définition du temps nécessaire à l’apprentissage (l’un des deux éléments centraux du modèle d’apprentissage du psychologue), et que simultanément ce temps nécessaire à l’apprentissage est lui-même défini comme « le temps nécessaire pour ­apprendre » (17). Nous soulignons le caractère tautologique du modèle ainsi que le risque auquel il conduit d’entretenir une conception réifiée du temps d’apprentissage, comme si chaque élève était caractérisé par un temps d’apprentissage indépendant de toute dimension pédagogique, préexistant à toute situation d’ensei­gnement : le temps de l’enseigné ne peut être considéré indépendamment du temps de l’enseignement. Le temps de l’enseignement : de la planification à la gestion in situ Le thème du temps de l’enseignement est aujourd’hui largement traité par des travaux en didactique, pour des raisons que nous proposerons d’analyser plus tard. Loin de se cantonner aux seuls aspects de la planification, c’est sur la gestion du temps in situ, dans le cœur de la classe, que portent ces approches. La planification des séquences d’enseignement (Dessus, 2000) équivaut en quelque sorte à une écriture anticipée du temps qui va réellement s’ouvrir avec le début de l’enseignement. Une fois ce temps ouvert, le professeur se retrouve en position de gestion immédiate du temps. Tochon avance que la capacité à gérer ce temps déterminerait la qualité du pédagogue. Dans ses travaux menés sur l’enseignement du français (Tochon, 1989), il affirme que la planification du temps serait l’affaire du didacticien, quand la « science de la gestion » comme il la nomme, c’est-à-dire l’enseignement in situ, concernerait le pédagogue. Cette dimension de gestion du temps serait même ce qui distinguerait l’enseignant expert (pensant la synchronie) du simple novice (pensant la seule diachronie, voir Tochon & Munby, 1993). Bref, selon Tochon, la gestion du temps en classe relèverait d’un savoirfaire qu’il considère être le point aveugle des approches didactiques. Certains didacticiens proposent pourtant des résultats sur cet aspect. Assude (2004), par exemple, s’intéresse à la manière dont l’enseignant peut gérer le temps dans sa classe. Elle montre que les conditions de cette gestion sont en partie contenues Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 101 dans la nature des dispositifs mis en place par les professeurs, conditions que le regard didactique permet d’analyser. Sa recherche porte sur l’intégration d’un logiciel de géométrie (Cabri-géomètre) dans la classe, outil permettant au professeur de modifier son enseignement sur les quadrilatères. Elle se déroule sur trois années scolaires, correspondant à la transition entre un enseignement sans le logiciel (1re année) et un enseignement avec le logiciel (2e et 3e années). La ­comparaison entre les différentes années permet d’examiner l’importance de la maîtrise des conditions didactiques de l’enseignement sur la gestion in situ du temps dans la classe. L’auteur montre par exemple que l’introduction du logiciel provoque une perturbation chez le professeur, qui éprouve des difficultés à anticiper les comportements d’élèves face aux situations proposées et donc à maîtriser le rythme de la leçon. La prise de contrôle revient à partir de la seconde année d’utilisation du logiciel, avec une modification du rythme des activités, une modification de la communication dans la classe et une augmentation de l’utilisation des traces de l’activité des élèves qui serviront de support aux institution­ nalisations. Dans la même perspective, les travaux de Maurice et Allègre (2002) sollicitent les cadres de l’ergonomie et de la didactique des mathématiques pour mettre en évidence l’invariance temporelle des pratiques enseignantes du point de vue de ce qu’ils appellent « le temps donné aux élèves pour chercher ». Selon eux, ce temps « serait lié au temps global de la résolution du problème par une relation dont on peut mathématiquement rendre compte » (Maurice & Allègre, 2002, p. 120). En effet, tout se passe comme si les professeurs maintenaient un rapport constant, dans chacune de leurs leçons, entre le temps de recherche accordé aux élèves et le temps dont ils disposent pour mener à bien leur enseignement. Pour désigner ces régularités dans la manière de gérer le temps, le concept d’« habiletés implicites » est avancé (18). On retrouve cette dimension praxique dans la définition que donne Perrenoud (2001) de la tâche principale du professeur : « gérer le temps qui reste ». L’auteur précise aussitôt que ce que le professeur doit gérer dans ce temps, ce sont les connaissances des élèves : « Faut-il “laisser du temps au temps” ou exercer une pression de chaque instant sur les élèves ? Dans le premier cas, on laisse les écarts s’agrandir, dans le second, on entrave l’apprentissage et on engendre des souffrances inutiles. Quel est le juste équilibre entre la persécution et l’attentisme ? » (Perrenoud, 2001, p. 287). Cet extrait montre comment les considérations sur le temps du professeur rejoignent finalement celles relatives au temps d’apprentissage des élèves. Plus globalement, les études que nous venons de répertorier, basées sur une acception processuelle du temps, laissent apparaître l’interdépendance, pour ne pas dire la consubstantialité, de ces deux temporalités. Le temps d’apprentissage (du côté de l’élève) n’est pas isolé du temps de l’enseignement (du côté du professeur). En retour, le temps d’enseignement est lié aux temporalités propres de la classe et des élèves. L’imbri­cation de ces deux types de temporalité apparaît plus nettement à travers l’étude du temps didactique. Le temps didactique : une dialectique des temps de l’enseignement et de l’apprentissage Les travaux de Sensevy (1996, 1997), proches à certains égards de ceux de Mercier, s’attachent à rendre compte de la temporalité spécifique de la construction des connaissances : le temps didactique. La mise en place de l’ingénierie du « journal des fractions » (Sensevy, 1996) permet à Sensevy d’examiner les « conditions temporelles qui peuvent amener l’élève à construire une activité réflexive dans un travail de type épistémologique » (Sensevy, 1996, p. 8). Deux concepts 102 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 sont définis comme des outils de construction du temps didactique : la « chronogénéité » et l’« emblématisation ». Pour que l’activité de l’élève puisse être chronogène, c’est-à-dire productrice de l’avancée du temps didactique, le professeur devrait, selon Sensevy, lui dévoluer une part importante de la mémoire didactique de la classe. Le journal des fractions est présenté comme un outil possible de cette dévolution en permettant de mettre en acte un processus d’emblématisation, c’est-à-dire d’extraire des signes produits par les élèves à propos des connaissances développées à partir de leur activité, qui viendront ensuite soutenir l’institutionnalisation (19). Les temporalités respectives du professeur et des ­élèves sont ici reliées de manière dynamique par rapport au savoir en jeu, à travers la notion de temps didactique. Dans la même perspective, les travaux de Favre (2003) portent sur le fonctionnement du temps didactique dans des classes d’enseignement spécialisé (ES) et des classes ordinaires (EO) en Suisse romande. Les classes ES sont doublement caractérisées : d’abord par le faible niveau scolaire des élèves qui les compo­sent ; ensuite par la structuration du temps alloué pour l’enseignement des mathématiques (plus discontinu que celui des classes ordinaires et extensible à loisir du fait de l’absence de programme et d’évaluation). Favre établit que le temps d’enseignement en classe ES a tendance à s’étendre de manière importante, sous l’effet de deux processus : les activités et leur enchaînement ne sont pas établis à l’avance ; la rencontre de l’échec par les élèves entraîne une extension très importante du temps consacré à une activité (20). Pour expliquer cela, il montre que « la progression du temps didactique en classe ES s’effectue sur la base d’autres repères qu’en classe EO et que la nature même de ces repères constitue un frein d’importance à cette progression » (Favre, 2003, p. 55). Selon lui, plus les conditions « socio-pédagogiques » de l’enseignement (telles que la « spécificité » scolaire des élèves « faibles » et l’extensibilité du temps d’enseignement) autorisent la recherche d’une adaptation du temps de l’enseignement au temps des élèves (symptomatique de l’illusion de leur autonomie respective), moins le temps didactique avance ; les élèves progressent peu et le programme n’est pas parcouru. En d’autres termes, le fait de dissocier temps de l’enseignement et temps de l’apprentissage a des conséquences négatives sur l’avancée du temps didactique. Les travaux de Giroux et René De Cotret (2001, 2003) soulignent eux aussi la nécessité de ne pas penser le temps de l’élève indépendamment du temps de l’enseignement. Les auteurs étudient les modalités de l’avancée du temps didactique au sein de deux classes caractérisées par des niveaux scolaires différents : une classe de doubleurs et une classe dite « régulière ». Deux indicateurs sont retenus : la structuration des séquences d’un côté, la nature des interactions ­professeur-élève(s) de l’autre. Giroux et René De Cotret établissent ainsi que « sous la contrainte de faire progresser le savoir de manière à faire “rattraper” aux élèves ce qui leur aurait “échappé” au cours de l’année passée, l’enseignement en classe de doubleurs (CD) est réalisé selon un découpage d’unités temporelles étanches au plan du contenu » (Giroux & René De Cotret, 2001, p. 71). Dans la classe de doubleurs en effet, l’enseignement s’organise selon l’enchaînement ordonné des trois types d’activité (« théorie », « devoirs » puis « correction des tâches »), alors que l’organisation apparaît plus souple pour la classe régulière, laissant plus de possibilités aux allers-retours, aux reprises et aux questionnements pour les élèves, c’est-à-dire aux conditions nécessaires à la construction de connaissances nouvelles. C’est au contraire le défilement qui prévaut dans le cas des doubleurs, instituant une rigidité dans la diffusion des connaissances à laquelle s’associe, d’après l’analyse des interactions, une contextualisation des Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 103 situations plus ­prononcée, un taux élevé d’institutionnalisations et une limitation substantielle de l’introduction de nouveautés. Enfin, à propos de l’étude du temps didactique, nos travaux (Chopin, 2006, 2007) proposent d’examiner le lien entre le temps de l’enseignement dans sa dimension provisionnelle (en parlant de « temps légal ») et le temps didactique (dimension processuelle). Nous soulignons les relations d’interdépendance entre ces différents temps. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les modalités de l’avancée du temps didactique ne sont pas strictement assujetties au temps disponible pour enseigner, mais possèdent une autonomie propre. Dans une étude portant sur quatre classes de CM2 en 2006, éprouvée ensuite sur un échantillon plus important (soit huit classes, voir Chopin, 2007), nous établissons que, pour un même projet d’enseignement et toutes choses égales par ailleurs, des professeurs disposant de 2 heures d’enseignement ne font pas davantage progresser leurs élèves que des professeurs disposant de 4 heures : l’efficacité et l’équité de l’enseignement ne sont pas liées à la variable temps légal. Loin de plaider en faveur de l’idée selon laquelle un raccourcissement du temps alloué leur permettrait d’améliorer la pratique des enseignants, nous pointons la nécessité de suspendre les considérations provisionnelles du temps en faveur d’une étude des modes d’avancée du temps didactique. Nous montrons que ces modes sont bien moins dépendants du temps légal de l’enseignement que de conditions strictement didactiques, liées à la possibilité donnée au professeur de contrôler le processus de création et de déplacement d’hétérogénéité didactique par lequel se réalise l’enseignement (Chopin, 2008). Quels apports des travaux francophones ? Loin de prétendre à l’exhaustivité, le recensement des travaux francophones réalisé ici fait apparaître une certaine continuité avec les approches américaines du point de vue de l’acception provisionnelle du temps : le temps est considéré comme une ressource dont la gestion efficace de l’allocation permettrait l’amélioration des pratiques ; plus de temps permettrait de s’adapter aux temps respectifs des élèves (influence du modèle d’apprentissage de Carroll) mais redonnerait aussi aux professeurs le temps d’enseigner, etc. Une alternative à cette acception provisionnelle est néanmoins présente dans un certain nombre de travaux francophones présentés. Le temps n’y est plus considéré comme un input dont il faudrait parvenir à saisir l’influence sur l’enseignement, mais plutôt comme l’une des composantes et par conséquent l’une des clés d’analyse de cet enseignement. Quelle que soit la focalisation des recherches (sur l’élève ou sur le professeur), ces approches considèrent le temps sous l’aspect d’une construction et même d’une co-construction du temps du savoir dans la classe, de la dynamique inhérente aux pratiques étudiées. Il est possible de contextualiser l’émergence de ce type d’approche au sein de ce que Doyle (1986) nomme le « paradigme écologique » des recherches en éducation (21). Comme le soulignent également des auteurs français, les aspects contextuels et dynamiques des pratiques d’enseignement sont devenus l’un des enjeux majeurs des recherches en éducation (Bru, Altet & Blanchard-Laville, 2004). Le temps est une variable tout à fait sensible à ce changement. Plus que toute autre en effet, elle peut revêtir tour à tour le rôle d’objet à part entière de l’étude et d’instrument d’analyse pour l’étude : le « temps » passe alors du statut de variable observable parmi les phénomènes considérés à celui de concept opératoire pour l’étude de ces phénomènes (22). La temporalité des pratiques d’enseignement, au sens quasiment anthropologique du terme, est au cœur des approches dynamiques et contextualisées de l’ensei104 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 gnement, au cœur de la genèse de pratiques complexes et co-construites, au sein desquelles on sait désormais que se jouent des phénomènes très fins et néanmoins déterminants dans l’acquisition de connaissances nouvelles pour les ­élèves. Bien que d’autres champs disciplinaires puissent solliciter le temps sous cet aspect opératoire à propos des phénomènes d’enseignement — en particulier l’ethnographie et la sociologie (23) –, la prégnance des approches didactiques sur ce point ne surprend pas (24). Dès sa genèse (Chevallard, 1991 ; Chevallard & Mercier, 1987), le concept de temps didactique possède un caractère opératoire avéré : il est le temps de la construction du savoir et non simplement le temps au cours duquel se construit le savoir. Les auteurs du récent dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques (Reuter et al., 2007) soulignent d’ailleurs que la notion de chronogénèse, associée à celle de temps didactique, est aujourd’hui fortement « convoquée de façon méthodologique pour repérer les décisions du professeur concernant l’articulation des temps de l’enseignement et de l’apprentissage » (p. 26). Son usage « a notamment pour but la construction de modèles destinés à rendre compte des actions des enseignants » (25) (p. 26). Conclusion sur les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement Le nombre important de travaux consacrés au temps de l’enseignement donne un aperçu de la densité et de la complexité d’une telle thématique. Si le temps paraît étroitement chevillé aux questions d’enseignement, il reste difficile à saisir, du fait notamment de son double statut d’objet et de concept opératoire : « Comme un cercle plus grand que les autres, rapporte le philosophe Gonord, le temps hante toutes les notions et toutes les dimensions » (Gonord, 2001, p. 39). Cela en fait même, toujours d’après l’auteur, « un savoir incapable ». Son incapacité tiendrait à son incroyable faculté d’échapper à une appréhension rigoureuse, de se recomposer toujours un peu plus loin que là où l’on entend le penser, jusqu’à revenir parfois au point de départ : variations et recommencement du même caractérisent la manière dont le temps surgit dans les discours en édu­ cation. À l’issue de cette revue de la question, deux axes permettant de baliser l’espace des questionnements peuvent être dégagés : l’un que nous nommerons « économique » ; l’autre « critique ». Nous poserons que ces deux axes ­s’interpellent l’un l’autre et que chacun traverse différemment les approches ­provisionnelles et processuelles que nous venons de recenser. Pour commencer, nul doute que le temps continue à être considéré comme une ressource dont les effets en termes de bénéfice scolaire doivent être examinés. Ceci est vrai dans le cadre de politiques d’évaluation et de régulation financière du système bien sûr, mais aussi d’un point de vue strictement pédagogique, puisqu’il n’est pas déraisonnable de vouloir permettre aux élèves d’apprendre « autant » et « aussi bien » en un temps plus réduit. Ainsi la perspective économique ne doit pas opposer approches provisionnelle et processuelle du temps de l’enseignement, mais les réunir. Comment en effet envisager la mise en lien d’une quantité de temps avec des effets obtenus pour les élèves, sans comprendre la manière dont le temps de l’acquisition de connaissances nouvelles pour ces derniers peut effectivement être généré via les dispositifs et les actions des professeurs au cours de l’enseignement ? À l’inverse, il semble difficile de comprendre les modalités de l’avancée du temps didactique dans le cadre d’une leçon (la distribution des interactions maître-élèves, la nature des dispositifs mis en place) Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement 105 sans prendre en compte deux variables capitales de l’équation que le professeur doit quotidiennement résoudre : celle du temps légal dont il dispose pour enseigner et celle des résultats attendus par la société (les parents, les instances académiques, etc.). Pour ne prendre qu’un exemple, la pratique d’une différenciation de la pédagogie (aujourd’hui présentée comme une réponse aux difficultés des élèves les plus faibles) pourra être fortement contrainte par l’impératif, pour le professeur, de satisfaire dans le temps imparti aux attentes minimales d’efficacité scolaire pour l’ensemble de sa classe et le conduisant en priorité à tenter de faire avancer « le gros de la troupe ». C’est sur ce type d’économie didactique que repose l’enseignement. Concernant maintenant l’axe critique à propos des études consacrées au temps de l’enseignement, il s’apparenterait ici à un effort de clarification nécessaire et continu à propos de la manière dont la variable « temps » est utilisée dans la recherche en éducation. Dans les travaux présentés, la perspective critique aura largement consisté en une remise en question de la dimension provisionnelle du temps. Loin de s’y opposer strictement, elle souhaitait différer la question : « combien faut-il de temps ? », pour s’atteler à la nature même de la temporalité en jeu dans les débats sur l’école : « comment se fait le temps de l’enseignement ? ». Une telle perspective permet de reformuler un certain nombre de questions posées habituellement sur l’axe économique (et d’élargir conséquemment le sens du terme économie) : en quoi par exemple plus de temps alloué à l’enseignement permet-il (ou non) des acquisitions plus pérennes et consistantes chez les élèves ? En quoi le fait de gagner ou de perdre du temps à telle ou telle étape de la scolarité risque-t-il d’entraîner quelques années plus tard un frein insoupçonné à l’avancée du temps didactique sur un nouveau domaine de connaissances ? On le constate, le débat auquel de telles questions aboutissent concerne in fine la nature du temps vécu par les élèves d’une classe ou d’une génération donnée, c’est-à-dire le type et la forme des connaissances que la société cherche à leur inculquer. La réflexion sur le temps de l’enseignement, habituellement menée dans l’optique de la réalisation des objectifs dits « d’efficacité » et « d’équité » scolaire (aussi peu définis qu’omniprésents dans la sphère éducative), conduit en fait à un retour questionnant sur les finalités pédagogiques mais aussi politiques de l’école. Elle donne ainsi quelques raisons d’accueillir avec une vigilance légitime et non sceptique toute proposition d’amélioration de l’école qui se fonderait sur un remaniement superficiel du temps scolaire. Marie-Pierre Chopin [email protected] DAESL, LACES, université Victor-Segalen-Bordeaux 2 notes (1) L’emprunt à Delhaxhe sera avant tout d’ordre structurel. Le ­lecteur pourra trouver, à l’intérieur de chaque partie, des développements différents entre les deux notes de synthèse. 2) Selon Mann (1926, cité par Borg, 1980) par exemple, le temps accordé à la lecture était 12 fois plus important dans certaines classes que dans d’autres. Beaucoup de travaux ultérieurs pointeront à nouveau cette variabilité. (3) Dans les années 1920, des études associées au courant dit du « scientific management » étaient menées sur l’attention des élèves, mesurée sur la base du mouvement de leurs yeux et de la position de leur corps pendant les leçons (Morrison, 1927). Cette mesure de l’attention devint ainsi un critère d’évaluation des ­maîtres en permettant de distinguer ceux dont l’enseignement intéressait les élèves et les autres. 106 (4) Smyth adapte lui-même son modèle de celui de Harnischfeger et Wiley (1976). (5) Le choix de ce titre (« Does more time make a difference? », pour la version originale) renvoie à l’un des principaux résultats du célèbre rapport Coleman (Coleman et al., 1966), paru dans le contexte des grandes enquêtes corrélationnelles des années 1960 aux États-Unis. La mise en évidence par le rapport Coleman, à une échelle jusque-là jamais atteinte, du phénomène d’inégalités scolaires dont souffre le système scolaire américain, s’accompagne en effet du constat selon lequel ce ne sont pas les écoles qui « font la différence » dans la réussite des élèves : les variations de réussite inter-écoles sont bien moins importantes que les variations intra-école. En 1975, Hodson publie ce résultat dans un article intitulé « Do schools make a difference? », dont Husén s’inspire très directement. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 (6) Plus exactement, on pourrait dire qu’il « redevient » l’enjeu des recherches en éducation, plus de cinquante ans après les travaux de Morrison (1927) sur l’attention des élèves que nous avons évoqués plus haut. (7) Les meilleurs élèves sont ceux qui restent le plus longtemps engagés dans la tâche. Ceci permet d’expliquer que, comme le rapporte Delhaxhe, « la corrélation [entre temps d’engagement et réussite à un post-test] est d’autant plus forte lorsque les chercheurs ont choisi pour unité de mesure l’élève (0,48) plutôt que la classe (0,26) » (Delhaxhe, 1997, p. 112). (8) Les auteurs montrent par exemple que les enseignants peuvent être entraînés à faire varier leurs styles d’enseignement de façon à augmenter l’engagement des élèves. (9) Pour donner un aperçu de l’importance de cet objet de recherche, citons-en quelques travaux : Arlin (1979) ; Bell & Davidson (1976) ; Bettencourt et al. (1983) ; Borg & Ascione (1979). (10) ERIC (Education resources information center) est une base de données gérée par l’Institut des sciences de l’éducation des États-Unis. Le département de l’éducation qui collecte, crée et diffuse la base de données bibliographiques et les textes en version intégrale, quand ils sont disponibles, couvre l’ensemble de la littérature scientifique en éducation. Nous avons effectué notre recherche sur la base des critères suivants : le terme « time » est contenu dans le titre et les termes « education », « school », « student » associés soit aux déclinaisons de « learn » soit à celles de « teach », figurent dans la notice ­complète. (11) Pour une note de synthèse sur la question, cf. Metsker (2003). (12) Les considérations relatives à l’allongement du temps de ­l’enseignement conduisent également à envisager des temps d’instruction hors de l’école. Les études récentes (à partir de 2000 notamment) portent sur ce temps d’apprentissage extrascolaire (cf. Lauer et al., 2004 ; Miller & Snow, 2004 ; American youth policy forum, 2003…). (13) Ce phénomène se retrouve aussi dans des publications en langue anglaise. Nous pensons notamment à l’ouvrage collectif dirigé par Perret-Clermond (2005) : Thinking time. A multi­ disciplinary perpective on time. (14) Suite à un appel lancé en 2008 par Prost relativement à la restructuration du temps scolaire (traduit dans une pétition largement diffusée), le Cercle de recherche et d’action pédagogique (CRAP) et les Cahiers pédagogiques ont réuni dans un numéro spécial toutes les contributions réalisées sur la question du temps scolaire au fil des années d’existence de la revue. Le sommaire de ce numéro permet de se rendre compte du nombre de disciplines contribuant à nourrir la question de la structuration du temps scolaire et fait apparaître les liens étroits entre recherches scientifiques et propositions d’action pour l’amélioration de l’École. (15) Ces travaux établissent l’existence de périodes critiques chez l’être humain au cours d’une journée, du point de vue de sa vigilance ou de ses performances intellectuelles : « Il s’agit de déterminer des profils de fluctuations journalières (surtout) de performance et d’étudier l’influence sur la rythmicité psychologique des facteurs liés à la situation, à la tâche ainsi qu’aux individus. » (Fotinos & Testu, 1996, p. 47). (16) Dans son célèbre ouvrage, La grande didactique, Comenius propose une réflexion poussée sur les liens entre durée scolaire et contenu des enseignements. Il préfigure en ce sens les travaux menés plus tard sur les phénomènes de linéarisation des objets de savoir sur l’axe du temps, notamment ceux liés à la transposition didactique (cf. Chevallard, 1991). (17) Selon Carroll en effet, dans le cas où l’on enseigne la même chose à des élèves dans des conditions totalement équiva­ lentes, la quantité de temps nécessaire pour que ces derniers apprennent varie largement. Cette quantité est censée permettre de mesurer l’aptitude de l’élève pour une tâche donnée. (18) Sur cette même idée, cf. aussi l’étude de Maurice, Berthon et Vignon (2000) sur l’utilisation des marqueurs de temps en français, ou encore les travaux de Rogalski (2003), se situant eux aussi au croisement de l’approche didactique et de la psychologie ergonomique, en considérant l’activité de l’enseignant comme un cas spécifique de la gestion d’un environnement dynamique. (19) On pourrait mettre en lien ce concept d’emblématisation avec celui de « double sémiotisation » développé par Schneuwly (2000) en didactique du français. (20) D’autres constats de ce type avaient déjà été faits, par exemple par Perret (1980), qui montrait que plus les professeurs prenaient de temps pour enseigner les mathématiques, plus ils affirmaient manquer de temps pour finir le programme. (21) Le paradigme écologique succède d’après Doyle à celui des « processus-produits », où « les questions à se poser par le chercheur doivent porter sur la relation entre le comportement des enseignants et les résultats de l’apprentissage des élèves » (Doyle, 1986, p. 437), et celui des processus-médiateurs où les travaux ont pour objet « les processus humains implicites qui s’interposent entre les stimuli pédagogiques et les résultats de l’apprentissage » (Levie & Dickie, cités par Doyle, 1986, p. 445). (22) Ce phénomène apparaît dans le domaine plus général des sciences humaines et sociales, à travers le développement de la sociologie des temps sociaux par exemple (Sue, 1994) ou de celui des approches transversales du temps dans les phénomènes humains et sociaux (cf. par exemple la fondation du bulletin Temporalistes en 1984 par Grossin, destiné à l’étude des temporalités spécifiques à chaque milieu de vie et à l’analyse de leurs effets). (23) Nous pensons par exemple aux recherches, inspirées des célèbres études sur la proxémique de l’américain Hall (1971, 1984), de Vasquez et Xavier De Brito (1996), où les auteurs mettent en évidence les difficultés susceptibles d’être générées par des manières de vivre le temps différentes selon la culture des élèves. Citons également, dans le cadre de l’université, les travaux de Verret (1975) sur le temps des études, mettant l’accent sur les pratiques du temps des étudiants, ceux de Barrère (1997) concernant le lycée, ou encore ceux de Beaud (1997) sur le « temps élastique » des jeunes de banlieue poursuivant des études universitaires déconnectées du rythme de la cité. (24) On pourrait préciser que la didactique des mathématiques y est pour le moment la plus représentée. Ceci s’explique en grande partie par le fait que les concepts utilisés pour l’étude du temps didactique (chronogénèse, mésogénèse, transposition didactique, milieu et contrat didactiques) sont principalement issus du champ de cette discipline. (25) Sur ce point on pourra renvoyer le lecteur au travail de Leutenegger à propos de la constitution d’une approche clinique du temps didactique, qui permettrait l’observation de l’enseignement dans les classes dites « ordinaires » (Leutenegger, 2000). 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Dans une série d’essais qui rappelle la culture, la compétence et l’engagement de cet universitaire de renom, les éléments pratiques côtoient la théorie, et si l’auteur se réfère en premier lieu à l’enseignement primaire britannique, l’ouvrage est nourri de son expérience comparative internationale et pertinent de ce fait pour un lectorat au-delà de la Manche. Dans le monde éducatif britannique il est volontiers question d’enseignement, de programmes, de savoirs, d’apprentissages et de l’apprenant. Mais la pédagogie tend à être confondue avec le simple acte d’enseigner, ce qui, d’après l’auteur, consiste à l’amputer « des idées, des valeurs et des croyances qui nourrissent cet acte » (1) (p. 4) et à réduire l’enjeu éducatif à un processus technique. Il propose donc la définition suivante : « La pédagogie est l’acte d’enseigner considéré en même temps que le discours qui l’accompagne en matière de théories éducatives, de valeurs, de recherches et de légitimations. C’est tout les savoirs et les savoir-faire qu’il faut maîtriser afin de prendre et de justifier la myriade de décisions d’ordres si divers dont l’enseignement se ­compose » (p. 47). L’ouvrage s’organise comme un tissage dense de réflexions autour de la trame que constitue cette définition : six essais initialement conçus entre 1997 et 2007 offrent des entrées et des éclairages aussi divers que complé­mentaires des enjeux politiques jusqu’aux pratiques de classe ; des interactions langagières les plus anodines en apparence, qui font le quotidien de la classe, jusqu’à l’analyse du sens que revêtent ces interactions dans un contexte culturel donné. Chaque essai peut être pris séparément, et l’auteur nous invite à ne pas traiter l’ouvrage comme une séquence unitaire de chapitres. Chaque composante conserve effectivement une tonalité et un caractère propres, mais il se dégage de l’ensemble une cohérence et une progression interne au-delà de la diversité initiale. Ceci tient en partie à la révision et à la réactualisation des essais pour la publication, ainsi qu’aux chapitres d’introduction et de conclusion qui mettent en perspective le tout, mais surtout au fait même de la pensée cumulative de Robin Alexander qui, tout au long de sa carrière, a retravaillé et approfondi la question centrale de la pédagogie, avec autant de détermination que d’inventivité dans les angles par lesquels il l’aborde. Le recueil inclut par exemple le démantèlement systématique de la rhétorique gouvernementale lors de la publication d’une ènième stratégie pour l’enseignement primaire, à l’occasion de laquelle Robin Alexander manie une plume acerbe avec ironie et virulence, aux antipodes de l’essai final qui constitue un tribut émouvant à un enseignant hors pair et hors normes, Douglas Brown, dont l’enseignement tout au long de la scolarité secondaire de l’auteur a marqué la construction intellectuelle, professionnelle et humaine de ce dernier. Le premier essai réagit à la publication par le corps d’inspection (OFSTED) d’une analyse des implications pédagogiques des comparaisons internationales des résultats d’élèves (Reynolds & Farrell, 1996). À la lumière d’études internationales, le corps d’inspection recommandait l’adoption de « l’enseignement interactif en classe entière » supposé contribuer à la réussite éducative de pays comme Taïwan ou la Suisse, contre la tradition britannique de pédagogie différenciée qui s’était développée à partir des années 1960. Robin Alexander procède à une vigoureuse mise en garde vis-à-vis de « l’emprunt » de politiques et de pratiques et de la tentation sous-jacente d’établir un lien causal entre la pédagogie, les résultats scolaires et les performances économiques d’un pays. Les « nouveaux comparatistes », ardents défenseurs de « l’amélioration de l’École », ont pour mission assumée de changer l’École plutôt que de la comprendre. Robin Alexander souligne les dangers épistémologiques d’une telle approche résolument « quantitative, quasi-scientifique et pragmatique » (p. 15) et insiste particulièrement sur l’erreur fondamentale consistant à séparer les dimensions culturelle, éducative et sociale : « La vie dans les écoles et Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 111-135 les classes est un aspect de la société plus large, elle n’en est pas séparée : la culture ne s’arrête pas à la grille d’entrée de l’école » (p. 16). Les risques consistent à ignorer des questions aussi fondamentales que celles des infra­ structures et des ressources, et à divorcer la pédagogie des valeurs pour y voir un simple outil neutre. L’auteur propose une typologie des études internationales suivant qu’elles sont en quête de faits, d’indicateurs ou d’efficacité et propose un panorama critique de travaux relevant de chaque catégorie. Puis il se penche plus particulièrement sur l’injonction faite aux enseignants dans les années 1990 d’adopter l’enseignement en classe entière. En ­quelques vignettes il démontre le caractère simpliste et illusoire d’une telle injonction car, en effet, quels critères caractérisent l’enseignement interactif en classe entière ? Est-ce l’enseignant qui pose les questions ou les élèves ? Interroge-t-on longuement un élève ou plusieurs à tour de rôle ? Donne-t-on la parole à un volontaire ou ­désignet-on celui qui répondra ? Les questions posées sont-elles ouvertes, appelant à une réflexion autonome, ou s’agit-il d’une quête de la réponse attendue d’avance par l’enseignant ? Les élèves sont-ils assis en rangées, en groupes ou en fer à cheval ? Et, de tous ces critères, quels sont ceux dont dépendrait le succès supposé de la méthode ? maire. Cet essai est moins pertinent pour le lecteur français, si ce n’est qu’il est l’occasion d’aborder le style prescriptif et normatif d’un gouvernement qui s’est progressivement approprié non seulement le contenu de l’enseignement (formulation des programmes scolaires), mais aussi la pédagogie (imposition de méthodes d’enseigner la « littéracie » et la « numéracie »). Dans une ­critique sans merci mais non dénuée d’humour, Robin Alexander souligne les contradictions internes du ­document et, plus fondamentalement, le manque d’un cadre théorique de référence, du fait du refus du gouvernement de mobiliser les résultats de la recherche indépendante. Par ailleurs, l’auteur note que la moindre utilisation de la notion de pedagogy en Angleterre par rapport à la pédagogie en France ou die Pädagogik en Allemagne n’est pas un simple problème de terminologie. En effet la tradition de gestion décentralisée d’un système éducatif sans programmes nationaux a contribué en Angleterre à une mobilisation théorique et pratique autour de l’enjeu des programmes et du curriculum. À l’inverse, dans les pays centralisés où les programmes étaient aux mains des pouvoirs centraux, la marge de manœuvre restant aux enseignants concernait plutôt la nature des disciplines et la façon de les enseigner. Après avoir ainsi remis en question l’idée d’une quelconque homogénéité de l’enseignement interactif en classe entière en mobilisant ses propres travaux empiriques internationaux, Robin Alexander procède à une reconstruction analytique des paramètres étudiés, à savoir les facteurs organisationnels, la nature de la langue employée en classe et le sens des pratiques pédagogiques observées. Il montre comment la diversité constatée dans les arrangements organisationnels est finalement mineure comparée à la subtile variation dans le discours et le sens. Or ces trois éléments doivent être pris en considération en un seul mouvement car les méthodes pédagogiques sont des « manifestations de valeurs culturelles » et non des réactions à ces dernières, d’où l’enjeu foncièrement moral de l’emprunt en pédagogie : « Souhaitons-nous importer, aux côtés de la méthode, tout ce qu’elle véhicule aux élèves qui en font l’expérience, à savoir des messages concernant le caractère ouvert ou délimité, provisoire ou incontestable du savoir ; la façon dont les idées doivent être maniées ; le type d’autorité que les enseignants et les programmes représentent ; la nature des relations entre les individus et les groupes ; l’équilibre de l’autonomie individuelle et de la responsabilité collective ; ce qui compte comme apprentissage réussi ; ce que signifie être une personne éduquée ? » (p. 39). Suit un essai qui procède à une attaque en règle d’une publication officielle intitulée Excellence and enjoyment (DFES, 2003), destinée aux enseignants et parue à l’occasion du lancement d’une nouvelle stratégie pour l’enseignement pri- Dans le troisième essai, Robin Alexander mobilise les résultats de sa grande comparaison internationale de l’enseignement primaire en Angleterre, en France, aux ÉtatsUnis, en Russie et en Inde (Alexander, 2001) pour proposer un cadre analytique de la pédagogie qui dépasse les dichotomies stériles opposant par exemple l’enseignement et l’apprentissage, les savoirs et les savoir-faire, etc. Il n’était pas réaliste de rendre justice aux résultats d’une étude de si grande envergure en quelques pages, et l’essai fait référence au cadre analytique développé dans l’ouvrage de 2001 plus qu’il n’essaie de le restituer, ce qui peut s’avérer inconfortable par moments pour un lecteur qui n’aurait aucune connaissance préalable des travaux de Robin Alexander. Les points développés ici sont une cartographie de versions de l’enseignement et des valeurs cardinales qui les sous-tendent. Six « constellations » ressortent de l’étude internationale : l’enseignement comme transmission d’informations ; comme initiation au savoir et aux disciplines ; comme négociation dans un processus démocratique faisant de l’enfant un agent ; comme facilitation du développement individuel ; comme accélération cognitive ; et comme technologie fondée sur des procédures et des matériaux standardisés (2) (p. 79). Si ces modes d’enseignement n’existent nulle part à l’état pur et constituent un continuum au sein duquel les enseignants puisent, la ligne de démarcation majeure qui ressort de l’étude est la Manche plutôt que l’océan Atlantique : d’un côté une tradition anglo-saxonne de valeurs et de pratiques fondées sur le développement de l’enfant et les 112 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 valeurs démocratiques ; de l’autre une tradition continentale plus formelle, structurée et fondée sur l’épistémologie des disciplines, trouvant ses racines chez Comenius. Fidèle à son postulat de départ suivant lequel la pédagogie ne prend son sens qu’en tenant compte des valeurs qui la fondent, Robin Alexander dégage les trois grandes orientations sous-jacentes à ces modes d’enseignement : « L’individualisme, la communauté et la collectivité – ou encore l’enfant, le groupe et la classe – sont les pôles organisationnels de la pédagogie, pas seulement du fait d’exigences pratiques, mais parce que ce sont les pôles sociaux et politiques autour desquels se structurent les relations humaines » (p. 83). Il est vrai que certaines enquêtes internationales, réagissant à la critique qui leur avait été faite de ne pas tenir compte du contexte social et culturel, ont tenté de prendre en compte cette dimension de l’éducation. Ainsi les études TIMSS ont développé l’idée de « scripts d’enseignement » enracinés dans la culture (Stigler & Hiebert, 1999). D’après Robin Alexander, leur approche suggère une homogénéité culturelle illusoire et perd de vue les tensions et les processus permanents de négociation auxquels les enseignants sont soumis. Les enseignants nord-américains par exemple tentent de promouvoir des valeurs qui coexistent difficilement, telles que la réalisation de soi en même temps que le souci du bien commun, ou encore le partage et l’esprit de compétition (p. 85). De même, les salles de classe dans ce pays dénotent des finalités multiples et ambiguës : « Avec leurs bureaux, tableaux noirs, fauteuils, lampes de bureau, tapis et drapeaux, il n’était pas évident de savoir s’il s’agissait de lieux de travail, de récréation, de repos, de détente ou de prière » (p. 85). La comparaison internationale permet ainsi de rappeler un message central de l’ouvrage : « Il est erroné de supposer qu’il est possible d’extraire une politique ou une pratique de son contexte de valeurs pour la transplanter telle quelle, ou de croire qu’on peut modifier l’enseignement sans prêter attention aux valeurs qui soustendent la pratique qu’on essaie de transformer » (p. 88). À la suite de ce panorama international de pratiques pédagogiques et du rappel de l’influence centrale des valeurs à tous les niveaux de l’organisation de l’espace, du temps, des savoirs et des interactions dans la classe, le quatrième essai expose une méthode pédagogique développée par l’auteur et qu’il nomme « enseignement dialogique » (Alexander, 2006). Cette pédagogie est axée sur la parole et repose sur la relation indissociable entre ­langue, structuration de la pensée et nature des relations ­humaines (3). Sa genèse doit beaucoup à l’analyse faite par l’auteur des pratiques observées en Russie et en France. Robin Alexander contraste ainsi l’approche britannique de la « littéracie » comme compétence de base à l’approche française de la parole qu’il décrit comme « traduisant une plus grande confiance en un fais ceau complexe de compétences linguistiques, de connaissances littéraires, de valeurs républicaines et de vertus civiques. Le citoyen est quelqu’un qui parle, raisonne et argumente en s’appuyant sur une culture générale, pas seulement quelqu’un qui lit et écrit avec un degré tolérable de compétence et qui accepte sans la mettre en question l’affirmation selon laquelle la Grande-Bretagne est une démocratie » (p. 99). Dans les classes anglaises, l’auteur observe une tradition d’échanges courts reposant sur des questions fermées incitant peu à une réflexion autonome et clos par des félicitations plutôt que par un prolongement factuel ou une incitation à approfondir la réflexion. Il s’agit donc d’évoluer vers un réel dialogue au sens de Bakhtin, grâce à des échanges plus approfondis qui stimulent la réflexion, afin de permettre une parole (et un apprentissage) qui soit collective, réciproque, cumulative, fondée sur l’encouragement et guidée par des objectifs éducatifs. L’essai a le mérite de ne pas en rester à de grandes déclarations de principes, mais de décliner cette pédagogie en plusieurs « répertoires » dans lesquels les enseignants peuvent puiser. Ces répertoires concernent les modes possibles d’organisation des interactions, la nature de la parole de l’enseignant ainsi que celle de l’élève. Par ailleurs, l’auteur rend compte de deux ­expériences pilotes en cours au Royaume-Uni pour faire le constat honnête des réussites mais aussi des limites actuellement rencontrées. L’essai suivant replace la question pédagogique dans le contexte de la mondialisation pour esquisser quelques directions que pourrait emprunter un « curriculum dialogique pour le xxie siècle ». L’avenir est envisagé sous un jour apocalyptique où les menaces vont du réchauffement climatique à l’effondrement du tissu social. Après le caractère extrêmement précis et constructif du chapitre précédent, il est quelque peu décevant, mais inévitable, de ne trouver ici que de grandes orientations. Ces dernières reprennent les principes de dialogue et de réciprocité et l’auteur insiste par ailleurs sur le caractère fondateur des savoirs, en plus des inévitables compétences et savoirfaire car sans savoirs, la pensée tourne à vide et il n’est pas d’éducation au sens fort du terme. Le dernier essai tranche par son caractère plus personnel et (auto)biographique, mais constitue un apport tout aussi enrichissant. Douglas Brown, qui fut le professeur d’anglais et de littérature de Robin Alexander pendant son cursus secondaire, en plus d’avoir contribué à son initiation musicale, est une figure totalement atypique. Par son activité simultanée dans un établissement secondaire élitiste et à l’Université, puis son engagement en faveur de l’enseignement de masse et de l’École unique, la carrière de ce professeur est en elle-même une étude de cas passionnante des évolutions historiques d’un enseignement britannique traversé par de profondes divisions de classes sociales et de Notes critiques 113 puissantes querelles pédagogiques dans les années 1960. L’auteur se sert par ailleurs de cet exemple pour appeler à la liberté et à la responsabilisation pédagogique des enseignants contre des initiatives gouvernementales qui, sous le New Labour (de 1997 à ce jour), ont contribué à réduire la conception de l’enseignement à la mise en œuvre de techniques centralement prescrites. Dans un contexte où le contenu de la formation initiale, les programmes et même les méthodes pédagogiques sont aux mains d’instances gouvernementales, Robin Alexander suggère que le carcan de prescriptions renforcé par le ­système d’inspection exclut les enseignants hors normes mais excellents, et que c’est là une perte aussi bien pour le ­système scolaire que pour la démocratie. Le choix du format de recueil d’essais laisse à l’auteur la liberté de varier ses points d’entrée et le ton de son écriture, mais la rigueur si caractéristique de sa pensée donne une unité à l’ensemble. Les deux points forts de l’ouvrage et, plus fondamentalement, de la carrière de Robin Alexander, sont d’une part la comparaison inter­ nationale, soumise comme elle l’est à un traitement empirique, analytique et théorique si approfondi, et d’autre part la capacité à proposer une approche cohérente et complète des questions éducatives couvrant l’intégralité du champ, depuis la formulation des politiques qui les encadrent jusqu’au détail des interactions dans la salle de classe. Depuis la parution de ce recueil, l’auteur a présidé et dirigé la plus grande enquête publique sur l’enseignement primaire britannique entreprise depuis 40 ans ; si la Cambridge primary review (Alexander, 2010) est une entreprise collective, il est éclairant de faire la rencontre, grâce à ces Essays, des convictions de Robin Alexander comme universitaire, comme pédagogue, et même d’y entrevoir l’homme. Maroussia Raveaud Université du Maine et University of Bristol notes (1) Citations de l’ouvrage traduites de l’anglais par l’auteur de cette note. (2) Pour un article en français développant ces questions, voir Alexander (2003). (3) Pour un article à ce sujet en français, voir Alexander (2009). Bibliographie Alexander R. (2001). Culture and pedagogy: international comparisons in primary education. Londres : Routledge. Alexander R. (2003). « Pédagogie, culture et comparaison : visions et versions de l’école élémentaire ». Revue française de pédagogie, n° 142, p. 5-21. 114 Alexander R. (2006). Towards dialogic teaching: rethinking classroom talk. York : Dialogos. Alexander R. (2009). « De l’usage de la parole en classe. Une comparaison internationale ». Revue internationale d’éducation de Sèvres, n° 50, p. 35-47. Alexander R. (2010). Children, their world, their education: the final report and recommendations of the Cambridge primary review. Abingdon : Routledge. DFES (2003). Excellence and enjoyment: a strategy for primary schools. Londres : HMSO. Reynolds D. & Farrell S. (1996). Worlds apart? A review of international surveys of educational achievement involving England. Londres : OFSTED. Stigler J. & Hiebert J. (1999). The teaching gap: best ideas from the world’s teachers for improving education in the classroom. New York : The Free Press. Audigier François & Tutiaux-Guillon Nicole (dir.). Compétences et contenus. Les curriculums en questions. Bruxelles : De Boeck, 2008, 224 p. Les mots du titre, compétences, contenus et curriculum situent la préoccupation de cet ouvrage collectif qui rassemble des textes discutés lors d’un symposium du réseau international en recherche et formation (REF) en 2003. Centrés sur la tension entre rupture et continuité, ces ­textes analysent les rapports entre curriculum par contenus et curriculum par compétences, discutent la forme scolaire et la compartimentation disciplinaire et rendent compte des innovations institutionnelles, de leur appropriation et mise en œuvre locales. Dans la préface, Philippe Perrenoud situe sur le plan politique les enjeux actuels et les contraintes de la redéfinition des projets éducatifs qui s’avèrent particulièrement flous, mouvants ou incertains, hésitant entre pluralisme et individualisme, tolérant les pressions de tous ordres, laissant échapper à l’école nombre de jeunes et ne posant pas « la question simple et ­terrible du rapport entre ce qu’on apprend à l’école et ce qu’on peut en faire dans la vie » (p. 9). Avec une pré­ occupation éducative majeure et l’ambition d’un humanisme substantiel, il analyse les écarts entre les plans d’étude et « la vie des gens » et discute ainsi les missions de l’école, qui devrait nantir les élèves des moyens de pensée et d’action, nécessairement en permanente actualisation. Autant dire que l’enjeu des réformes curriculaires largement engagées dans la plupart des pays exige une grande vigilance et une nouvelle expertise pour dépasser leurs premiers balbutiements et penser à la fois leurs ­principes et leurs conditions d’opérationnalité. À un moment historique de reconfiguration curri­culaire liée aux mutations équivalentes à celles de la modernité des années 1950-1960 avec les mots-clés que sont désormais mondialisation, nanotechnologies, numérisation et formation tout au long de la vie, les recherches à Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 l’échelle des curriculums sont les bienvenues. Le rayon des ouvrages disponibles en langue française sur ces problématiques s’étend ainsi pour répondre aux multiples questionnements suscités notamment par le pilotage des plans d’étude et par l’estimation de l’efficacité des systèmes éducatifs par les outputs ou les outcomes qui bous­ culent les repères, notamment dans les organisations curriculaires compartimentées selon des disciplines distinctes. L’ébranlement contemporain de ces « forteresses » dont l’orientation sélective, le positionnement en termes de statut dans un ensemble concurrentiel, la force de leur organisation sociale et de leur structuration pédagogique, administrative et institutionnelle… est ainsi souligné par de nombreux travaux internationaux qui constatent à la fois la résistance de cet enracinement historique de la forme et de l’ordre scolaire mais aussi l’inadaptation de cette structure à la fois aux exigences, aux défis et aux conditions contemporaines tant économiques que sociales et culturelles et aux attentes des élèves. Les recherches sur et pour les curriculums, engagées dans l’espace francophone depuis une vingtaine d’années examinent ces objets selon des perspectives historiques, sociologiques et didactiques en ne se limitant pas aux programmes ou aux plans d’étude mais selon la définition qu’en donnait de Landsheere au début des années 1970, en prenant ­l’ensemble de leurs composantes que sont les prescriptions, les ressources, l’organisation des établissements, les équipements, la formation des maîtres, l’évaluation, les méthodes pédagogiques… C’est dans cette perspective que ce recueil de textes s’inscrit. Comme le mentionnent les directeurs de l’ouvrage, les chapitres constituent des contributions complé­men­ taires et distinctes par leur focale, leur contexte national (dont l’organisation centralisée ou non) et les enseignements examinés. Des études de cas (mise en œuvre de la réforme par compétences en Belgique francophone ; organisation de la scolarité en cycles et mise en question du redoublement dans la même région ; dispositifs interdisciplinaires au collège en France) confirment le rôle central des praticiens qui donnent vie aux curriculums mais qui sont confrontés aux problèmes d’opérationnalisation délégués au niveau local et donc laissés à leur appréciation, à leur jugement, à leur responsabilité dans des contextes humains et sociaux. Ainsi Jacqueline Beckers et Catherine Voos discutent le problème majeur des risques de disjonction entre le pilotage de la politique éducative, les prescriptions intermédiaires et les outils d’évaluation, c’est-à-dire le problème du rapport entre les fins et les moyens, les fondements d’ordre éthique et politique de la réforme et les actions quotidiennes, les orientations et les outils d’opérationnalisation, les prescriptions et les acteurs. Vincent Dupriez complète cette analyse en mettant en évidence la co-présence de plusieurs formes de coordination (l’État, l’établissement, les associations, la communauté éducative et le marché), ce qui conduit à des montages composites contextualisés et à des régulations, c’est-à-dire des productions de règles, qui résultent des contextes locaux et des représentations de l’ensemble des acteurs et de leurs relations sociales. François Baluteau confirme également les appuis et les obstacles du travail collectif dans les itinéraires de découverte. La focalisation exclusive sur ces dispositifs et non pas sur le curriculum, ainsi que l’usage de la notion d’interdisciplinarité dans son acception commune, ne permettent pas vraiment de discuter les aménagements curriculaires, les assouplissements de la forme scolaire, les fonctions et les enjeux de ces aménagements, ni les contradictions et les contro­ verses que cette innovation institutionnelle recouvre et engendre. Trois autres études de cas (l’histoire-géographie dans l’enseignement secondaire en France, l’innovation expérimentée dans un projet européen de l’éveil aux langues dans l’enseignement élémentaire, l’éducation citoyenne) s’attachent davantage aux questions de changement et de structure du curriculum. Nicole Tutiaux-Guillon souligne le paradigme pédagogique qui semble figer la discipline avec ses savoirs vrais, ses pratiques d’exposition, ses finalités visant comme autrefois une citoyenneté d’obéissance et son refus du politique. La double relation entre cette inertie et la forme scolaire est alors mise en question afin d’éclairer la stabilité face aux bouleversements du monde, des sciences historiques et géographiques et des théories de l’apprentissage, et les quelques bougés récents. Michel Candelier et Jean-François de Pietro abordent trois points centraux : les implications d’une nouvelle approche des langues sur l’économie générale des enseignements linguistiques ; les différentes options ou formats possibles et leurs conditions d’insertion dans chacun des contextes institutionnels et sociaux, selon leur « culture pédagogique dominante » ; l’existence de cet enseignement, par juxtaposition/distinction d’une discipline nouvelle ou bien par intégration/absorption dans les autres enseignements ; ses configurations variables et différenciées au fil des cours. François Audigier souligne les spécificités de l’éducation citoyenne, les multiples ambitions qu’elle recouvre, ses figures très variables liées aux cultures politiques des pays européens et la difficulté réelle de penser vraiment l’avenir tout en précisant l’enjeu majeur de détermination d’une vision partagée de cet avenir. Deux textes constituent des contributions importantes pour l’examen des curriculums par compétences. Le chapitre d’ouverture signé par Marie-Françoise Legendre constitue un apport décisif. La notion de compétence estelle en effet une marque de l’esprit du temps ou plus ­fondamentalement le levier des réformes curriculaires ? Notes critiques 115 Dans un texte très documenté qui contextualise l’origine et les extensions des usages de la notion de compétences et qui fait un point synthétique de ses caractéristiques, l’auteur examine méticuleusement la fonction de cette idée pour les changements curriculaires. À cet effet, la distinction entre principe organisateur des plans d’études et expression du renouvellement de la conception de l’enseignement apprentissage est particulièrement féconde. L’auteur fait ainsi perdre toute illusion du caractère opératoire des « compétences » en raison des multiples constats de leurs décompositions analytiques qui en dénaturent la perspective globale et potentielle. En revanche, avec l’exigence contemporaine de ne pas réduire l’enseignement apprentissage à une restitution de faits ou une reproduction de procédures, elle souligne le levier que cette notion constitue pour penser les apprentissages et simultanément la professionnalité requise des enseignants. C’est dans cette rigoureuse analyse que la ­complexité, la pertinence et la responsabilité des acteurs sont ainsi mises au cœur de la problématique curriculaire. La notion de compétences est alors susceptible de fonder les changements en profondeur des curriculums et ainsi de retrouver son acception originelle dans le milieu du travail. Le chapitre 3 est une analyse plus technologique pour la conception des curriculums. Fort de son expérience de concepteur et de responsable du plan d’études cadre en Suisse romande, Olivier Maradan précise « l’espace curriculaire » qu’il structure grâce à la notion de « balise », un concept opératoire pour penser la progressivité des curriculums entre ce qu’il désigne par « l’effet plancher » exigible pour tous et « l’effet horizon » de développement, de perfectionnement, voire de différenciation. L’auteur attire simultanément l’attention sur la nécessaire prudence, sur la difficulté de construction d’une telle architecture de formation et aussi sur les spécificités des enjeux éducatifs des enseignements et donc des nuances à prendre en charge. Il souligne avec justesse que le pilotage par les compétences ne peut se substituer à la perspective des finalités éducatives des curriculums. L’ouvrage complète ainsi la littérature sur les perspectives curriculaires des recherches en éducation. Présentant à la fois des outils et des concepts pour l’examen distancié ou pour la conception des curriculums, c’est ainsi une ressource pour l’ensemble des acteurs des réformes. Il appelle d’autres confrontations avec d’autres champs disciplinaires et d’autres actions éducatives, avec des systèmes éducatifs de culture anglophone et avec des études de cas d’enseignements marqués par leur enracinement dans les ordres primaire, secondaire et technique. À cet égard, la distinction entre les curriculums pilotés par les connaissances, par les compétences ou par les expériences 116 permettrait de clarifier les approches « produit » (par contenus ou par compétences) des approches « pro­ cessus » et ainsi d’articuler les différents temps des actions d’éducation et d’enseignement. L’ouvrage est aussi un encouragement pour de nouvelles publications clarifiant dans l’espace francophone les problématiques de « ­curriculum design », « curriculum implementation » et « curriculum assessment ». Joël Lebeaume Éducation et apprentissages, université Paris-Descartes-Paris 5 Bermejo Berros Jesús. Génération télévision. La relation controversée de l’enfant avec la télévision. Bruxelles : De Boeck, 2007, 424 p. Bermejo Berros Jesús. Mon enfant et la télévision. ­Bruxelles : De Boeck, 2008, 160 p. Jesús Bermejo Berros s’est lancé dans une entreprise risquée : donner une réponse scientifique à des questions majoritairement idéologiques, soit les relations de l’enfant avec la télévision, « sujet d’inquiétude et de recherche » (chapitre 1). On avait connu la même controverse avec le cinéma, pour certains « divertissement d’ilote » quand d’autres le qualifiaient d’« éducateur ». Mais il le fait avec lucidité, constance et détermination. Lucidité car il ­reconnaît qu’il s’agit, une fois de plus, « de ne pas mener l’analyse de façon manichéenne… les données complexes et variées indiquant que ce n’est pas tant la télévision comme média mais son utilisation et le type de contenus programmés, qui donneront lieu à un type ou un autre d’effets qui pourront être aussi bien positifs que négatifs ». Avec constance et détermination car, à travers les quatre parties de son livre volumineux, il arrive tout à la fois à dresser un bilan des « processus cognitifs, affectifs et comportementaux de l’enfant face à l’écran » (cha­ pitre 2), à introduire ce qu’il appelle « une nouvelle conception [de la télévision] pour une nouvelle époque » en intégrant d’autres dimensions fondamentales de la personne affectant cette relation entre l’enfant et la télévision (chapitre 3), à rendre compte d’une expérimentation en classe primaire des plus sophistiquée sur les effets comparés de deux types de séries télévisuelles (chapitres 4, 5 et 6), pour finalement expliciter le rôle du petit écran dans la pensée de l’enfant (chapitre 7) et terminer sur des recommandations en direction aussi bien des parents que des éducateurs (chapitre 8) qui, pour reprendre des choses déjà bien connues, n’en passent pas moins par une intéressante classification des émissions par « genre » (voir la figure 8.1) avec – plus contestables – Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 La partie la plus intéressante est sans aucun doute l’expé­rimentation à laquelle s’est livré le chercheur auprès de 246 écoliers répartis en trois niveaux d’âge (6, 8 et 10 ans) et en 12 groupes expérimentaux. Ces écoliers sont soumis à un prétest et un post-test qui consistent en des entretiens et qui sont séparés par quatre séances de visionnement réparties sur quinze jours. qui ne prend pas en compte le sujet en chair et en os et l’approche « psychologisante » qui, d’inspiration behavioriste ou cognitiviste, « ne peut rendre compte du point de vue évolutif et adaptatif du sens de l’acte de voir la télévision », il propose une troisième voie. Celle-ci consiste à « situer l’analyse expérimentale à l’intersection entre le texte et le sujet, entre la structure formelle et de contenu du récit audiovisuel et les effets au sens large (réponses attentionnelles, comportementales et cognitives), tout cela inscrit dans un tissu social, historique et culturel ». Cette approche requiert une méthodologie spécifique qui prend en compte trois choses : « l’analyse détaillée du texte (concernant ses aspects sémiotiques et narratifs dans un sens large), l’analyse du spectateur empirique, et enfin ce qu’il y a de plus important, l’analyse de l’inter­ action du texte et du sujet empirique ». Le lecteur peut alors suivre dans le détail le processus à l’œuvre dans ce « nouveau regard expérimental » sur l’étude des effets comparés de deux dessins animés, David le gnome et Dragon ball Z, soit deux types très différents de structure de contenu audiovisuel : le chercheur fait l’hypothèse que cette étude « provoque des processus comportementaux et cognitifs différentiels… et des structures représentationnelles également différentes » – hypothèse que nous avions nous-même formulée dans Image et pédagogie (PUF, 1977) sans l’avoir mise à l’épreuve de l’expérimentation. Sont successivement analysées les réactions et changements attentionnels (moteurs, visuels et sonores) durant le visionnement, le jeu de tension distension musculaire ou viscérale en relation avec les émotions, produisant le « zigzag chargé de sens » du massage corporel et aboutissant à un sentiment de plaisir ou de déplaisir. Sont mis en évidence, comme on pouvait s’y attendre, le rôle des variables âge et sexe dans les préférences des enfants, les différences attentionnelles pendant le visionnement selon les deux séries, mais aussi, grâce à des questionnements très détaillés, ce qui est plus rarement démontré, les interactions différentielles (sur la compréhension de l’intrigue, de l’argument, des relations spatiales et du sens et des valeurs qu’il implique) après le visionnement (indicateurs post-attentionnels), selon la structure (analysée de près, en référence à la théorie « narratologique ») de chacun des deux récits audiovisuels. La recherche a ainsi permis de mettre en relation les faits de « regarder », de « prêter attention », de « préférer » et de « comprendre » et confirme entre autres que cela ne gêne guère les enfants de ne pas comprendre ce qu’ils regardent et ne les ­empêche pas d’aimer ces programmes. Partant du constat que la plupart des recherches expérimentales se limitent à la prise en charge de quelques variables et que d’autres approches s’intéressent soit au texte, soit au spectateur, il tente une approche plus englobante. Dépassant à la fois la perspective « sémiotisante » Comme toujours dans ce genre de recherche expérimentale, même « plus ample (moins atomisée) », on peut regretter que ne soient pas prises en compte d’autres variables comme, dans le cas présent, la variable socio­ culturelle et surtout se demander si, avec d’autres enfants leurs avantages et leurs inconvénients respectifs, sans ­parler de l’imposante bibliographie finale (majoritai­ rement anglophone) suivie de « quelques repères bibliographiques en français ». L’ensemble est assez disparate, on en conviendra volontiers, mais chaque chapitre heureusement comporte un résumé qui en dresse les principaux acquis. L’auteur élabore chemin faisant tel ou tel nouveau concept – comme « le massage pendant le message » pour rendre compte « de l’action sur le corps et pas seulement sur l’esprit du texte audiovisuel », ou encore la « catharsis fruictitionnelle ou non » (de l’espagnol fruicion, délectation et ­fricción, friction) pour expliquer l’issue plaisante ou déplaisante, pour le téléspectateur, des deux types de ­processus de « tension distension » pendant le massage : ­finalement il faut au lecteur, même averti, une grande disponibilité pour dégager, de tout cet ensemble, les vrais acquis. Le panorama des recherches majoritairement nordaméricaines et expérimentales se situe tout entier sous le paradigme des « effets » – « immédiats et massifs », « limités », puis « complexes » selon l’avancée chronologique – avec ses différentes théories, méthodes et résultats (d’ailleurs souvent contradictoires on le sait) : il reprend les thèmes de la violence, de l’alcool, du sexe et de la pornographie mais aborde aussi, soutenu par les apports de la psychologie, les différents types de recherche sur les processus d’attention, de compréhension et d’apprentissage (incident ou programmé), l’émotion et le comportement qui y est lié. Le chercheur regrette, à juste titre, que lesdits effets aient presque toujours été mesurés immédiatement après le visionnement et non sur le long terme. Les travaux cités renvoient à des périodes forcément extrêmement diverses, dans des contextes hétérogènes pas toujours explicités, à partir d’une télévision conçue par émission et non comme un flux, et l’on ne peut s’empêcher de penser que ce n’est jamais ni le même enfant, ni la même télévision dont il est question à travers ce regard rétrospectif. Notes critiques 117 et d’autres récits audiovisuels contrastés, on arriverait aux mêmes résultats. Par ailleurs encore, étant donné la rapidité des évolutions de l’environnement médiatique et technologique, il n’est pas certain que la préférence marquée constatée chez les enfants plus jeunes pour le « récit séquentiel linéaire classique » de David le gnome par rapport à celle plus complexe, moins linéaire, au schéma actanciel non explicite de Dragon ball Z serait toujours encore observée. Mais l’important est le saut fait par l’auteur, dans la quatrième partie de son ouvrage pour, à partir des résultats de sa recherche comme d’autres l’ont fait depuis longtemps ou d’autre manière, insister sur « le rôle de la télévision dans la pensée de l’enfant et dans son éducation ». Il souligne notamment chez les enfants « la détérioration progressive de l’attention en relation avec la télévision », la grande préoccupation « qui se réfère à la nécessité de réaliser des études sur le processus de construction de l’attention au cours du développement de l’enfant » et « la nécessité d’une régulation politique et sociale de la télévision qui s’adresse aux enfants et que doivent mener ensemble les pouvoirs publics et les agents sociaux ». On pense à Bernard Stiegler qui considère que l’usage des écrans par la jeunesse pose désormais « un véritable problème de santé publique » et particulièrement à ses Considérations (sur la crise systémique de l’éducation), principalement « Destruction et formation de l’attention ». Deux remarques encore. L’une concerne ce que l’on a coutume d’appeler maintenant l’éducation aux médias dont la pertinence se trouve renforcée par un certain nombre des constats faits en chemin. En même temps, Jesús Bermejo Berros semble avoir une perception bien négative de ce secteur d’intervention puisqu’il déclare que « la lecture de l’image avec l’enfant », variable formative qu’il a introduite dans son expérimentation « n’a rien à voir avec le type d’éducation audiovisuelle qui a été introduit dans les écoles et qui a plus à voir avec l’apprentissage de compétences et d’analyse de codes audiovisuels » – ce qui correspond à l’évidence à une version fort dépassée. Et finalement, dans son dernier chapitre, il suggère des exercices qui correspondent très précisément à ce type d’action éducative faisant actuellement officiellement partie des programmes scolaires de nombreux pays, dont la France. Quant à la nouveauté de la conception de la télévision qu’inaugurerait sa référence à la pensée narrative « qui permet des emprunts mutuels entre la réalité et la fiction, entre la vie de l’enfant et le monde qui apparaît à l’écran », elle est à relativiser : ne serait-ce qu’en pensant aux travaux, d’ailleurs non cités, de Dominique Pasquier qui a montré notamment, avec d’autres méthodes et d’autres outils, comment les séries télévisuelles contribuent à la 118 Culture des sentiments (Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1999). Mais cela n’enlève rien à l’importance et au sérieux de ce livre, chose trop rare dans ce domaine. Notons simplement que l’auteur a repris, dans son second ouvrage, d’une façon réduite et plus opérationnelle – ce qui en renforce quelque peu la teneur déterministe – ­l’essentiel de ce travail sous forme d’informations et de conseils fort utiles à l’intention des parents et des ­éducateurs. Geneviève Jacquinot-Delaunay Laboratoire Communication et politique, CNRS et CEMTI, université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis Bréhon Jean & Chovaux Olivier. Études sur l’EPS du Second Vingtième Siècle (1945-2005). Arras : Artois presses université, 2009, 246 p. Cet ouvrage rassemble les contributions de neuf auteurs des universités du Nord de la France à propos de l’éducation physique et sportive (EPS) de la seconde moitié du xxe siècle. Le thème de l’ouvrage correspond au programme d’un des deux écrits du concours de recrutement des futurs professeurs d’EPS. Cet ouvrage apporte donc sa contribution à la préparation des étudiants au concours. Il est divisé en trois parties d’inégale importance. Le premier chapitre développe des réflexions autour de l’identité de la discipline et regroupe deux contributions. La seconde partie cerne les aspects idéologiques de l’EPS ; quatre auteurs présentent des articles. La dernière partie porte sur les changements d’échelle de l’EPS ; trois auteurs participent à ce chapitre. L’ouvrage est introduit par Gougeon qui, après avoir rappelé, en suivant les programmes du concours, l’importance de penser l’évolution de l’EPS française en rapport avec les EPS européennes, assure une présentation de chacun des articles dans ­l’ordre où ils apparaissent dans l’ouvrage. Dans la première partie une contribution de Gibout pose la question de l’identité de l’EPS. En s’appuyant sur l’approche transactionnelle, l’auteur cherche non pas à définir de manière fixée ce qu’est l’EPS, mais à saisir les mouvements de l’EPS, entre construit et reconstruit. Pour justifier sa position, l’auteur s’appuie sur ce que perçoivent de cette discipline les enseignants et les élèves. Il conclut son article en affirmant que l’identité de l’EPS est la rencontre sans cesse renouvelée entre diverses perceptions et que c’est en fait ce qui la qualifie à un moment donné. Vincent centre son étude sur une période récente (1981-2002) et pose la question de l’identité de l’EPS comme lien permanent entre équilibre et instabilité. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 L’idée développée par cet auteur est que différents éléments de la discipline n’évoluent ni de manière identique, ni dans la même temporalité. Ainsi les acteurs de l’EPS sont dans une dynamique perpétuelle d’équilibration face aux contraintes institutionnelles, corporatistes ou sociales qui s’imposent à la discipline. Les dynamiques engagées contribuent à la production d’une identité plus ou moins stable, avec des logiques d’identification oscillant entre culture scolaire et culture sociale. L’auteur détermine ensuite un certain nombre de périodes bornées par des événements significatifs. Il conclut son article en précisant que l’histoire de l’EPS se construit dans une dynamique mettant en évidence des compromis intérieurs entre les différents acteurs, ainsi que des négociations entre divers groupements institutionnels. Bréhon ouvre la seconde partie de l’ouvrage en proposant un article intitulé « Une histoire sous surveillance », en référence à un ouvrage de Ferro. L’idée défendue est que plus la diffusion des savoirs est large, plus le contrôle sur la production historique est étroit. Ce contrôle émane de l’état ou de ses organismes mais également de la société qui ne souhaite pas que son image soit compromise. Il s’agit d’établir les rapports existants entre l’histoire de l’EPS et les clichés et tabous véhiculés sur celle-ci. L’auteur engage une réflexion critique sur la pensée et les systèmes de croyance qui se jouent de la réalité de l’EPS. Il estime que la scientifisation de l’EPS constitue un véritable enjeu pour affirmer la légitimité d’une discipline d’enseignement et établit une démonstration en ce sens. La didactique est ensuite interrogée et posée comme l’expression d’un compromis éducatif entre des savoir-faire sportifs développés en EPS de manière multiple et ­parfois désordonnée et des orientations scolaires. Brogialli consacre quant à lui une étude intitulée « Idéal éducatif, institution et EPS de 1945 à nos jours » à l’affirmation que la discipline scolaire EPS obéit avant tout à des choix philosophiques et politiques reflétant la conception que se fait la société à un moment donné de son histoire et de l’homme à venir. Il établit ensuite un lien entre orientations philosophiques nécessaires à tout acte éducatif, savoirs à transmettre et identité de cette discipline scolaire. L’auteur présente ensuite quatre modèles d’idéal éducatif inspirés par Kant, Rousseau, Condorcet et les partisans de « l’éducation nationale ». Enfin l’auteur illustre ses propos en isolant trois périodes : « 1945-1958 : Une ère nouvelle ou la persistance du passé » ; « 19581974 : La France de l’expansion : du temps des espérances à celui du désenchantement » ; « De 1975 à nos jours : “L’égalité” : une notion qui présente quelques ­“fractures” ». Piwinski s’intéresse à « L’institutionnalisation de la conception matérialiste dialectique du sport (1939 1979) ». En appui sur les théories du champ de Bourdieu et sur celles de Moscovici sur la psychologie des minorités actives, l’auteur cherche à comprendre comment les propositions du courant sportif éducatif, représenté par Baquet et Mérand en faveur d’un sport démocratique, et les innovations pédagogiques construites en ce sens, ont pu intéresser le pouvoir politique gaulliste. L’auteur démontre que les responsables de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), et particulièrement Mérand, ont progressivement substitué au modèle existant (exercices de formation, exercices d’application) une démarche privilégiant l’idée que le mouvement réalisé n’est que la partie émergée d’un mécanisme complexe impliquant l’homme en totalité. Il s’attache donc à former les joueurs à la résolution des problèmes qu’ils vivent en situation de match. Cette réflexion pédagogique se double d’une réflexion axiologique plaçant l’individu dans une dynamique sociale. En l’absence de recherche institutionnelle en EPS, les théories présentées par la FSGT vont faire florès chez les enseignants d’EPS et intéresser les politiques en quête de renouvellement de la formation aux pratiques sportives. Ces regroupements entre les ­politiques et la FSGT se construisent cependant sur un malentendu idéologique qui entraînera à terme une vive dégradation des relations établies. Doeuff s’attache de son côté à lier conceptions et pra­ tiques pédagogiques en EPS. Il propose une tentative de compréhension des problématiques disciplinaires par leur intégration dans les conjonctures sociopolitiques. L’objet de l’article est de montrer que les grandes problématiques sociales se retrouvent dans le quotidien des pratiques et des conceptions des enseignants. L’auteur estime que l’exercice, le plan de la leçon et d’une façon plus générale les pratiques pédagogiques peuvent être compris comme une véritable mise en forme des corps contribuant à la pérennisation de la société. Pour mener sa démonstration, Doeuff instruit quatre périodes successives de l’histoire de l’EPS : « 1945-1959, trajectoire scolaire d’une éducation physique hésitante entre maintien et dépassement » ; « 1959-1969, l’éducation physique et sportive dans la modernité » ; « 1969-1981, l’éducation physique et sportive du libéralisme avancé : entre sport pour tous et sport de l’enfant » ; et enfin « De 1981 à nos jours, la didactique pour tenter d’individualiser les parcours et permettre la réussite de tous dans un contexte de crise économique de longue durée ». La troisième partie de l’ouvrage nommée : « Réflexions sur les changements d’échelle de l’EPS », présente trois articles situant l’EPS française dans les EPS européennes. Chovaux ouvre cette partie en proposant un article intitulé : « Vers une éducation physique scolaire “de l’Atlantique à l’Oural ?” » à propos de la nouvelle question du Notes critiques 119 programme du CAPEPS externe. Dans cet article l’auteur discute l’intérêt du rajout d’une dimension européenne dans l’intitulé de l’épreuve du CAPEPS et s’inquiète, au travers de cet ajout au programme de l’épreuve, d’une volonté sensible d’imposer une éducation européenne de type libéral qui, à terme, pourrait bien se traduire en France par la fin « de l’Éducation nationale ». La seconde partie de l’article développe les réflexions menées par les organismes internationaux sur l’éducation physique (ou EP) et le sport depuis les années 1950. Ainsi l’UNESCO ouvre en 1952 une série de négociations sur « les propositions précises à entreprendre […] pour contribuer au développement et à la promotion des sports athlétiques à des fins éducatives ». Les différentes institutions mondiales et européennes restent hélas bien souvent au stade des déclarations d’intention. L’UNESCO déclare par exemple l’année 2005 année internationale du sport et de l’éducation physique, sans que des effets concrets aient pu être identifiés. L’auteur clôt son article de manière positive, en réfléchissant aux conditions à créer pour approcher une « euro-éducation physique ». Bréhon aborde la question des rapports de l’EPS française aux autres EP voisines en précisant les influences étrangères que l’EPS française a connues lors de ses premiers pas. L’article est intitulé « Européanisation et singularités nationales : une éducation physique à la française ou “France étrangère” (1952-2006) ». L’auteur montre avec justesse que, de 1806 à 1891, soit au cours du xixe siècle, des enquêtes officielles ont été diligentées dans de nombreux pays européens (Suisse, Belgique, Scandinavie, Angleterre, Suède) pour étudier les éducations physiques existantes et promouvoir celle de chacun des pays. Cette démarche conduit les décideurs à proposer une éducation physique intégrative incluant ce qui est jugé efficace dans les éducations physiques ou gymnas­ tiques des pays voisins. L’éclectisme qui a dominé pendant des décennies l’EPS française trouve, pour partie, sa source dans cet assemblage des doctrines européennes. L’auteur défend également l’idée que de 1952 à 1978 des liens assez forts rassemblaient l’Allemagne et la France dans les réflexions sur le sport de haut niveau et sur le sport pour tous. Enfin l’auteur montre les difficiles questions que l’« européanisation » de l’enseignement de l’EPS pose actuellement, et en particulier celle du maintien d’un équilibre entre renforcement du processus d’« européanisation » et singularité nationale. Niedzwialowska s’interroge sur l’éducation physique française et son rapport aux sports. Elle place en exergue une citation de Klein (responsable de l’élaboration des programmes lycées en EPS) qui estime que l’EPS française est terriblement sportive. L’auteur analyse ensuite les principales éducations physiques européennes pour 120 juger de la pertinence de cette citation. En Allemagne, précise-t-elle, l’éducation physique a connu une orientation sportive puis s’est infléchie vers une éducation phy­ sique et sportive en valorisant les expériences corporelles à partir d’une programmation d’activités diversifiées. En Suède, l’éducation physique se centre sur la santé et l’adaptation au milieu naturel. Au Royaume-Uni, l’effort porte sur le développement de compétences transversales pour une éducation permanente. Dans les pays latins (Espagne, Italie, Portugal), le corps et la motricité sont privilégiés. L’auteur affirme donc qu’il est délicat de répondre à la question : l’EPS française est-elle trop sportive ? Les textes officiels tentent une inflexion de cette discipline scolaire vers une EP moins dépendante du sport mais les enseignants, dans leur majorité, restent très attachés à la pratique sportive en EPS. Cet ouvrage regroupe neuf productions. Il est bien difficile de lui trouver une unité. Les cadres d’analyse sont différents. Les modes d’approches ne se ressemblent pas. La façon de traiter l’histoire ne les réunit pas non plus. L’ouvrage apparaît donc comme un recueil de différents cours distribués aux étudiants, dans le cadre de la préparation d’une épreuve écrite du CAPEPS. La circulation de ces cours vers d’autres étudiants et d’autres lieux de préparation est une entreprise à encourager. Les étudiants français liront cet ouvrage comme un complément des enseignements reçus dans leur université et comme une entrée dans l’étude de l’EPS. Ils pourront ainsi s’enrichir d’analyses différentes, de positionnements particuliers sur les thèmes de leur programme. Cet ouvrage, nous l’espérons, incitera également les étudiants à lire des articles et ouvrages sur l’histoire de l’EPS en France, afin d’affiner leur culture historique sur cette discipline d’enseignement riche d’événements et de débats. Yvon Léziart CREAD, université de Haute Bretagne-Rennes 2 Brossard Michel & Fijalkow Jacques (dir.). Vygotski et les recherches en éducation et en didactiques. Pessac : Presses universitaires de Bordeaux, 2008, 256 p. Fût-il unifié par un thème, en l’occurrence « la nature des rapports entre la théorie historico-culturelle de Vygotski et la mise en œuvre de certain(e)s de ses concepts et de ses problématiques dans les recherches en éducation », un ouvrage collectif est souvent foisonnant, parfois choral mais toujours polyphonique. Rassemblant une partie (1) des contributions au colloque « Vygotski et les recherches en éducation et en didactiques » (Albi, Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 23-24 avril 2007), cet ouvrage ne fait pas exception et pose de surcroît quelques questions. Et d’abord celle de son découpage en thématiques (la petite enfance, les premiers apprentissages scolaires et les didactiques – du français langue maternelle, des mathématiques et de l’histoire). S’il permet d’assigner l’envergure et la fécondité de l’élaboration vygotskienne, il encourt le risque de la figer en provinces de recherches avec un déséquilibre (majorant ?) en faveur des didactiques (huit contributions sur treize). Celle de la place de certaines contributions ensuite, dont le propos généraliste renforce, paradoxalement, cette fixation académique, comme une exception peut confirmer une règle. Emblématique à cet égard, la contribution de Reuter, « Penser Vygotksi dans l’espace des didactiques », qui, de par sa disposition, et peut-être parce qu’elle déclare se nourrir des trois contributions qui la précèdent, se trouve comme rivée au champ de la didactique du français langue maternelle, alors qu’elle se situe en fait à un plus haut niveau de généralité. Il eut assurément mieux valu la joindre à celles de Schneuwly, « Éléments d’histoire des vingt dernières années passées et propositions conceptuelles pour la suite », et Bronckart, « Retour nécessaire sur la question du développement », lesquelles, respectivement situées en introduction et conclusion du recueil, donnent l’impression, saisissante bien qu’étrange, de deux caria­ tides ceignant le cadre interprétatif de l’élaboration ­vygotskienne. Ces remarques liminaires ne démentent toutefois nullement l’intérêt des contributions de ce recueil, qui soulignent au contraire, dans leur diversité, la puissance de la théorie historico-culturelle de Vygotski. Ce foisonnement précisément, ainsi que les limites imparties à cette note, nous ont contraint à faire des choix et à porter notre attention sur quelques-unes de ces contributions qui insistent, de manière critique, sur la dimension heuristique, c’est-à-dire ouverte, de la théorie vygotskienne. Ainsi, dans « Appropriation précoce des systèmes externes de représentation : apprentissage et développement », Martí rappelle d’abord combien le concept de médiation sémiotique permet à Vygotski d’expliquer la formation des fonctions psychiques supérieures, irréductibles aux fonctions élémentaires issues du développement biologique, laquelle formation est précisément le fait de l’éducation. Or, selon Martí, et alors que le point essentiel pour Vygotski « est de comprendre comment l’enfant incorpore ces signes utilisés socialement […] et les utilise pour contrôler sa conduite », ce dernier ne discrimine pas suffisamment les usages de ces « instruments psychologiques ». Ce qui fait défaut, ce sont « les mécanismes psychologiques qui rendent compte de cette intériorisation ». Car si l’imitation est un mécanisme important, elle ne peut être, comme Vygotski y insiste lui-même, « une simple répétition ni un transfert mécanique » mais suppose, au contraire, « une certaine compréhension de la situation, de la signification de l’action de l’autre » (p. 68). Même si l’enfant doit partir de l’aide des adultes pour savoir comprendre et utiliser l’écriture par exemple, il demeure « le protagoniste principal » de son appropriation. Le plus important à cet égard réside dans le caractère « re-constructif de cette appropriation », c’est-à-dire dans la « marge de création de l’enfant dans le processus de re-construction des systèmes de signes, dans le but de s’approcher des mécanismes individuels de développement » (p. 68). Plus exactement, c’est à la distinction précise entre développement et apprentissage (dont « la frontière très diffuse » peut conduire à penser que « n’importe quel changement chez l’enfant est directement lié à une intervention externe, instructionnelle ») qu’il faut travailler. Martí conclut à la nécessité de réintroduire le sujet dans l’explication vygotskienne, « en spécifiant les mécanismes internes de nature individuelle qui sont en jeu dans le développement cognitif » (p. 69). Moro et Rodríguez en revanche, dans « Production de signes et émergence de la conscience à l’étape prélinguistique du développement », insistent sur la puissance heuristique de Vygotski et s’attachent à montrer, dans la continuité de leurs travaux antérieurs, que l’émergence de la conscience ne se circonscrit pas à l’usage du medium langagier par les jeunes enfants. S’appuyant sur des travaux réalisés à l’étape préverbale du développement, elles posent l’idée que les « prémices d’une conscience sociale et historique adviennent dans cette période où le medium langagier n’est pas encore présent mais où des signes autres, non langagiers, médiatisent l’action humaine exercée sur le monde social et culturel environnant » (p. 37). Les auteurs s’appuient tout particulièrement sur le signe de l’ostension (2) « méconnu par la recherche aujour­ d’hui », insistent-elles, alors qu’il est l’un des tout premiers à apparaître dans le répertoire enfantin et qu’il permet à ce titre « de remonter le plus loin possible dans la genèse de formes initiales de conscience humaine à l’étape préverbale » (p. 53). L’ostention atteste en effet du caractère d’abord « social » de la conscience (que, comme elles le rappellent, Vygotski définissait comme un « contact social avec soi-même », un « cas particulier de l’expérience sociale » (3)), dans la mesure où il ne s’agit pas d’un signe « gratuit » mais bien d’un signe adressé, d’une production intentionnelle, qui n’est évidemment pas sans lien avec le degré de maturation biologique de l’enfant. Dans « La construction de l’élève à l’école maternelle : regards croisés et apports de Vygotski, Bernstein et Goody », Joigneaux et Rochex montrent combien le Notes critiques 121 vocable de théorie historico-culturelle n’est pas qu’une simple étiquette. Ils développent ainsi une perspective socio-anthropologique, visant la description et la compréhension de ce qu’ils nomment « les processus de développement inégal selon les milieux sociaux », les « modalités de socialisation » et les « expériences de scolarisation » (p. 73). Ils insistent en premier lieu sur la référence critique de Bernstein à Vygotski, en prenant appui sur sa thèse de la genèse sociale du psychisme et de la conscience par la médiation d’instruments sémiotiques. Ceci amène d’abord Bernstein à s’intéresser à la manière dont « des modes de socialisation socialement différenciés » produisent chez les enfants des « dispositions socio-cognitives et socio-langagières qui les préparent et les disposent de manière fort inégale à faire face aux réquisits des situations et des apprentissages scolaires ». Cela le conduit ensuite à s’intéresser aux formes de classification, de découpage et de transmission des savoirs et disciplines scolaires et, naturellement, au caractère visible ou invisible des modes de travail pédagogiques. En second lieu, ils insistent sur l’un des caractères fondamentaux du travail scolaire, qui exige des élèves qu’ils s’émancipent du flux de l’expérience ordinaire immédiate et qu’ils construisent une « posture d’exotopie propre à la skholè » (p. 76). Autrement dit, il s’agit de construire et développer une relation de second degré au monde, au langage et à soi selon un processus, fondamentalement dialectique, de médiatisation de l’expérience ordinaire immédiate. Et ce travail, insistent-ils en troisième lieu, passe par l’appropriation de la culture écrite, dont ils indiquent qu’elle ne commence pas à l’école mais bien avant. À cet égard, les travaux de Goody sur l’écriture convergent avec les remarques de Vygotski quant à la « spécificité inter­ actionnelle propre aux “situations verbales” » impliquées par les pratiques de l’écrit, exigeant du sujet un travail d’abstraction et de représentation, de décontextualisation/ recontextualisation en somme. Les contributions relatives aux recherches en didactiques des disciplines, dont nous avons dit qu’elles occupent la suite et la majeure partie du recueil, n’ignorent pas les questions relatives à l’acte d’enseignement et à la sémiotisation non plus que celle, moins didactique en apparence, du moteur du développement. De ce vaste ensemble dont, encore une fois, nous ne pouvons pas rendre compte de manière exhaustive, retenons d’abord la contribution de Nonnon, « Travail des mots, travail de la culture et migration des émotions : les activités de français comme techniques sociales du sentiment ». Elle rappelle d’abord cette idée forte que l’outil n’est jamais totalement extérieur à ce qu’il médiatise mais qu’il se trouve, en tant qu’objet historico-culturel, approprié par le sujet. Elle insiste également sur le fait que pour Vygotski la notion de développement ne se restreint pas à la seule sphère 122 cognitive mais recouvre le sujet dans sa globalité, avec ses dimensions affectives, psychiques, émotionnelles. C’est pourquoi elle s’attache alors à l’analyse vygotskienne de l’expérience esthétique et au rôle très important qui lui est donné dans le développement, dans la mesure où « c’est une dimension qui intervient spécifiquement, même si c’est de façon ambiguë, dans le travail en français ». L’accent mis par Vygotski sur « la dimension proprement sémiotique des “instruments psychologiques” qui médiatisent l’activité psychique » repose fondamen­ talement sur l’analyse du rôle de ces outils ; autrement dit, c’est « une théorie du signe lui-même et de l’inter­ prétation, qui rend possible la mobilité dynamique des significations. » Aussi, la réflexion vygotskienne est-elle centrée « sur l’objet par excellence de la discipline du français, le langage lui-même, ses propriétés et son fonctionnement, et pas seulement sur l’interaction sociale » (p. 92). C’est la raison pour laquelle elle se ressaisit magistralement de la Psychologie de l’art de Vygotski (La Dispute, 2005), ouvrage en apparence éloigné du champ didactique, en ceci que l’intérêt vygotskien pour l’art comme instrument majeur du développement du psychisme est en définitive indissociable d’un « développement social de la subjectivité de la personne, dans laquelle l’élaboration affective et émotionnelle du psychisme nourrit le développement cognitif, tout en étant nourri par lui » (p. 93). Et l’on est alors en mesure d’appréhender les raisons pour lesquelles la réflexion sur l’art touche aussi à un objet central de ­l’enseignement du français, lequel n’est pas seulement apprentissage mais aussi et surtout, construction de ­pratiques. Retenons ensuite les deux contributions relatives aux recherches en didactique de l’histoire et qui, a priori éloignées des considérations vygotskiennes, renforcent le jugement émis par Vergnaud : Vygotski est « un penseur dont toutes les leçons n’ont pas encore été tirées ». S’appuyant sur la question des apprentissages, et plus particulièrement sur celle de l’articulation entre concepts scientifiques et concepts quotidiens, Heimberg dans « Grammaire de l’histoire et contenus épistémologiques de son enseignement-apprentissage » puis Tartas dans « Psychologie du développement et didactique de l’histoire » reviennent sur la question centrale de l’articulation entre apprentissages et développement (la ZPD). Cette articulation est redoublée par cette difficulté spécifique à l’histoire, qui est tout à la fois une discipline scolaire particulière, puisque ses contenus de savoirs sont très fortement investis au plan socioculturel, mais aussi une dimension psycho-anthropologique fondamentale, par rapport à la construction du sens de la temporalité pour le sujet, sans oublier la question de la langue, vecteur linguistique et idiome forcément national. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Quelques mots, enfin, de la contribution déjà évoquée de Schneuwly, relativement aux filons de lecture, « socioconstructiviste » et « historico-culturelle », de l’élaboration vygotskienne. Si chacune de ces lectures porte préférentiellement l’accent sur une dimension, l’interaction pour la première et la construction des outils pour la seconde, elles ne sont pas antagoniques pour autant. Leur inflexion sur une dimension plutôt qu’une autre les relie dialectiquement, en ceci que le développement des fonctions psychiques supérieures, dont la création d’outils sémiotiques est le vecteur, n’est pas pensable en dehors d’une interaction socioculturelle du sujet apprenant. Deux remarques pour finir. La « Note de conjoncture », rédigée par Fijalkow et qui ouvre le recueil, pose la question de sa place dans l’économie du recueil. Nonobstant son intérêt, elle eut été mieux disposée à la fin, en véritable conclusion, lui permettant ainsi de véritablement s’appuyer sur la qualité des travaux, plutôt que l’invoquer par prétérition pour le lecteur. La carence ensuite d’une bibliographie générale et finale, laquelle aurait permis de gagner un peu de place, évitant la redondance inutile de références partagées d’un texte à l’autre et surtout permis d’unifier les références aux travaux de Vygotski, en particulier Pensée et langage, dont la 3e édition française (La Dispute, 1997) est la seule accessible désormais. En dépit de ces réserves matérielles, qui témoignent aussi des fortes pressions sur l’édition scientifique inclinant à publier (trop ?) rapidement des actes de colloque, il demeure, comme l’écrit Vergnaud, que Vygotski est un « auteur prodigieux » mais dont il faut reconnaître « que le temps lui a manqué pour fournir et développer les exemples concrets ». Cet ouvrage est une contribution possible à ce temps qui lui a manqué et c’est là toute sa valeur. « Hommes de demain, soufflez sur les cendres, à vous de dire ce que je vois. » (Aragon) Vincent Charbonnier Sciences de l’éducation, université Jean-Monnet-Saint-Étienne notes (1) Les autres contributions, mettant l’accent sur l’opérationnalisation des concepts dans des travaux empiriques, ont été publiées dans le n° 21 des Dossiers des sciences de l’éducation : « Didactique : une approche vygotskienne ». (2) Quoiqu’ils procèdent d’une perspective plus spéculative, les travaux du philosophe vietnamien Trân Duc Thao, notamment ses Recherches sur l’origine du langage et de la conscience (Éd. Sociales, 1973), mériteraient une réévaluation critique. (3) Cf. « La conscience comme problème de la psychologie du comportement ». In L. Vygotski (2003), Conscience, inconscient, émotions. Paris : La Dispute, p. 91-92. Butlen Max. Les politiques de lecture et leurs acteurs, 1980-2000. Lyon : INRP, 2008, 614 p. Proposant une vaste synthèse problématisée et remarquablement informée des diverses politiques de lecture élaborées et mises en œuvre en France au long des vingt dernières années du xxe siècle, l’ouvrage de Max Butlen – actuellement maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise et directeur adjoint de l’IUFM de Versailles – fera date à plusieurs titres. En effet, malgré l’importance des travaux récents dans le domaine des sciences de l’éducation, de la sociologie de la culture et de la lecture, de l’analyse des politiques publiques comme de la théorie littéraire, on ne disposait pas jusqu’ici d’une telle somme sur ce sujet et cette période. Parallèlement, c’est la quantité, la clarté, l’actualité et la qualité des informations rassemblées et mises en perspective par Max Butlen qui retiendront évidemment l’attention des chercheurs comme des acteurs relevant de la variété des domaines évoqués ci-dessus. Ceci vaut tout particulièrement pour les quelque 60 pages de la bibliographie très dense et ouverte qui ne se limite pas à la documentation imprimée ou disponible sur Internet, mais rappelle un nombre remarquable de « sources », liées notamment à des entretiens avec nombre des principaux acteurs qui nourrissent et donnent chair à l’ouvrage. Dans des limites temporelles qui semblent s’imposer d’elles-mêmes, et qui correspondent pour l’essentiel aux « années Mitterrand » sans se confondre avec elles, l’originalité du travail de Max Butlen vient en grande partie de la problématique adoptée et de l’angle sous lequel il a construit son propos. Car cet ouvrage ne se contente pas d’une description et d’une somme informative : il est constamment sous-tendu par deux idées forces : un problème social (et justement la lecture en est devenu un) se « construit » jusqu’à devenir l’objet d’un « nouveau paradigme » discursif et de nouvelles politiques ; et cette construction met en relation, souvent conflictuelle, des types d’acteurs aux objectifs, aux rythmes et aux intérêts distincts, ainsi que des ordres et des niveaux de discours eux-mêmes entrecroisés et, selon les circonstances, convergents ou divergents. C’est ainsi que Max Butlen n’a de cesse de monter la dialectique de la complémentarité et de la concurrence qui est à l’œuvre dans les politiques de lecture, leurs acteurs et leurs modes de pensée au cours de la période étudiée. Ce sont donc ici les diverses facettes de l’offre de lecture, et les différents ordres d’acteurs (bénévoles, militants, pédagogues, bibliothécaires, agents institutionnels et privés) impliqués dans ces politiques qui occupent le premier plan. Ce qui permet à l’auteur de mettre en évidence les différentes logiques qui les meuvent, la manière Notes critiques 123 dont ces logiques oscillent entre autonomie et interdépendance jusqu’à finir par créer un ensemble de dispositifs dynamiques au terme desquels on voit émerger des vainqueurs plus ou moins attendus (les éditeurs contre les bibliothécaires) et où l’on observe des relations complexes entre les différentes institutions concernées. C’est notamment le cas des rapports entre les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, dont la relation confrontation pourrait bien, en définitive, selon Max Butlen et contrairement au discours le plus répandu, se révéler plus favorable à l’Éducation qu’à la Culture et à sa Direction du livre et de la lecture (DLL). En se fixant d’emblée le but de comprendre comment et pourquoi l’offre de lecture a été perçue comme « un problème de société prioritaire » au début des années 1980 (p. 11) et le but de fixer la nature et les limites du « consensus » sur cette question, l’auteur, tout en reconnais­sant sa dette envers des travaux antérieurs (et tout particulièrement les Discours sur la lecture d’AnneMarie Chartier et Jean Hébrard), marque sa volonté de produire une analyse complémentaire et originale, qui ne s’arrête pas au champ désormais bien balisé des « discours ». Après avoir défini ses objectifs, l’auteur dresse tout d’abord un tableau synthétique d’une grande clarté sur l’offre et son élargissement constant (« État des lieux, les évolutions de l’offre en France entre 1980 et 2000 », p. 25-116) avant de montrer dans les quatre parties suivantes comment les acteurs des politiques de l’offre de lecture ont constitué, au long des deux décennies écoulées, un tissu complexe d’interventions, de conceptualisations, de manières de faire et de « manières d’offrir ». On suit donc successivement ces professionnels de ­l’offre que sont, aux yeux de Max Butlen, les bibliothécaires, les éditeurs et les libraires (« Créer, publier, diffuser : les professionnels du livre et de la lecture », p. 119-210) puis trois ordres de théoriciens de l’offre définis comme les militants de la littérature de jeunesse, les militants de la pédagogie de la lecture puis les chercheurs (« Dire les fins et les moyens : les théoriciens de l’offre », p. 213-294). Vient le tour des différents ministères et acteurs en charge de la définition des politiques gouvernementales : tout d’abord ceux que les non-spécialistes connaissent le moins et dont la seule énumération témoigne du fait que la lecture est bien devenue un « problème social » (voire une affaire d’État) au cours de la période étudiée : Affaires étrangères, Défense, Justice, Jeunesse et sports, Santé, Travail (« Insérer la lecture dans chaque secteur de l’action gouvernementale », p. 297-381). Par la suite, et très logiquement, un accent tout particulier est mis sur les deux « ministères de la lecture » que représentent aux yeux de l’auteur les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, de la maternelle à la fin du 124 c­ ollège (« Le ministère de la Culture, le ministère de la lecture ? », p. 387-432 ; « Le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de l’apprentissage de la lecture ? », p. 435-528). Quant à la conclusion (p. 531-507), elle rappelle avec fermeté et nuance que la réussite de l’intervention collective dans le domaine de la lecture, et tout particulièrement celle de l’État devenu, au-delà de son rôle régulateur, incitatif et organisateur, « un acheteur essentiel pour les bibliothèques publiques comme pour les publics scolaires » (p. 533), s’est soldée par une relégation au second plan de la réflexion et des contenus. Un tel glissement risque de déboucher sur une « perte de sens » puisque le primat revient aux annonces des résultats quantitatifs plus qu’aux acquis qualitatifs. C’est, pour partie, ce qui conduit l’auteur à souhaiter dans l’avenir un développement de politiques de la lecture décentralisées et enracinées au plan local. Enfin Max Butlen tient à souligner le caractère ambigu des politiques de l’offre. À ses yeux en effet, ces dernières relèvent, de manière indissoluble, d’un « geste collectif symbolique structurellement ambi­ valent antinomique, tout à la fois archaïque et réno­ vateur » (p. 545). Peur de la disparition de la culture ­lettrée d’un côté, volonté d’anticipation, d’élargissement, de rénovation et de modernisation de la lecture et de l’accès à l’information et à la culture de l’autre : les deux faces de ce Janus sont indissociables aux yeux de Max Butlen. Ce survol suffit à marquer l’ambition, l’ampleur et l’intérêt de son propos. C’est le propre des sciences humaines que de conduire constamment l’obser­vateur d’un objet donné à devenir acteur et à penser le sens de sa propre action. De ce point de vue, l’utilisation qu’il fait des cadres théoriques que lui fournissent notamment Max Weber et Pierre Bourdieu est parfaitement et constamment pertinente. C’est sans aucun doute puisqu’il fut, à diverses époques de sa vie et de manière souvent concomitante, pédagogue engagé, acteur institutionnel et spécialiste de la lecture comme de la recherche en éducation et en littérature de jeunesse que Max Butlen parvient à saisir quels ont été les enjeux, résultats et apories des politiques de ­lecture de 1980 à 2000. Tout au long de cette enquête passionnante, on voit Max Butlen allier le recul ­intellectuel nécessaire et la connaissance intime et la compré­hension souvent chaleureuse des hommes et des femmes qu’il évoque. Autant de raisons qui font de ce travail un véritable ouvrage de référence. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Emmanuel Fraisse Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 Chervel André. L’orthographe en crise à l’école. Et si l’histoire montrait le chemin ? Paris : Retz, 2008, 80 p. c­ ourants d’opinion, mais plutôt avec la transformation de l’école primaire. Deux ans après sa monumentale Histoire de l’enseignement du français du xviie au xxe siècle, publiée chez le même éditeur en 2006 en 832 pages (1), André Chervel livre un opuscule de 80 pages centré sur l’unique question de l’orthographe ou plutôt, comme le titre l’indique, sur l’orthographe en crise à l’école. Une brève introduction de deux pages pose le dilemme dans lequel, selon l’historien des disciplines scolaires, la société se trouve ; l’ouvrage se compose ensuite de six chapitres et d’une courte bibliographie. Des encadrés (tableaux, citations, synthèses) ponctuent le livre. « Peut-on encore enseigner l’orthographe ? », « Le niveau général en orthographe est-il irrémédiablement condamné à baisser ? » : ces deux questions incisives ouvrent la réflexion à laquelle André Chervel nous convie. Et c’est bien sûr par l’éclairage de l’histoire qu’il va chercher à y répondre : celle des réformes de ­l’orthographe, celle de son enseignement, celle du niveau orthographique des maîtres et des élèves. La seconde évolution qui a conduit à la discipline orthographe concerne la mutation de l’écriture. Sous l’Ancien Régime, celle-ci n’est qu’une activité secondaire et se réduit à la calligraphie d’un texte que l’on a sous les yeux. Les besoins économiques augmentant, le futur commis ou l’employé doit pouvoir prendre une lettre sous la dictée, un particulier rédiger un message, sans l’appui d’un modèle. La reconnaissance passive des formes ne suffit plus ; l’orthographe active devient nécessaire. Les élèves vont devoir l’apprendre, même ceux des collèges classiques qui rédigent en français leurs cours et leurs versions latines. Mais ils l’apprennent à partir des formes latines déjà familières. Selon André Chervel, une des sources du blocage des réformes se situerait là : terminaisons et ­lettres étymologiques ne posent aucun problème à l’élite nourrie de latin. Les quatre premiers chapitres retracent la lente constitution de l’orthographe comme discipline scolaire. Il aura fallu plus de trois siècles et deux évolutions majeures, l’une du côté de la lecture, l’autre de l’écriture. L’auteur examine tout d’abord les rapports entre orthographe et lecture, toutes deux liées à l’histoire religieuse à partir du xvie siècle. En effet la Réforme, puis la Contre-Réforme, impose la lecture en français de la Bible ou des prières. Mais l’orthographe française est alors si difficile qu’il faut passer par le latin qui permet d’oraliser assez vite. La comparaison des mêmes dix mots au xviie et xixexxie siècles est des plus instructives (voir le tableau p. 10). Pour André Chervel, si l’orthographe du français évolue de façon continue du milieu du xviie siècle à 1835, c’est pour répondre aux besoins d’alphabétisation de la population et de l’expansion du français devenu langue de culture en Europe. Il retrace la chronologie des principales mutations en étudiant très soigneusement les choix des éditeurs (voir les tableaux p. 20 et p. 24). Ces mutations concernent pour l’essentiel trois domaines : la suppression de lettres muettes inutiles ; la recherche d’une relation univoque, qui installe par exemple la distinction entre i et j d’une part et u et v d’autre part ; la régula­ risation des séries morphologiques (enfans/enfants). En reconstituant cette chronologie, André Chervel montre que les modifications, une quinzaine environ, suivent un rythme qui leur est propre. Il attribue d’ailleurs l’interruption des simplifications de l’orthographe en 1835 à un apprentissage de la lecture devenu suffisamment efficace. Selon lui, la volonté de réforme a eu peu de chose à voir avec des décisions de grandes institutions (telle l’Aca­ démie française), des évènements historiques ou des Ébauchée au xvie siècle, une nouvelle didactique va naître. André Chervel retient comme date symbolique 1732, quand Restaut introduit la distinction fondamentale entre « orthographe de principe » et « orthographe d’usage » (grammaticale vs lexicale) et ouvre la voie à la grammaire scolaire que nous connaissons (2). À partir du début du xixe siècle, la demande orthographique explose et plusieurs mesures décisives sont prises : le brevet et la connaissance de l’orthographe sont exigés pour enseigner, ce qui n’était pas le cas auparavant ; les lois Guizot de 1833 instituent un enseignement de la langue à l’école primaire et créent les écoles normales ; la dictée devient épreuve obligatoire dans les recrutements aux emplois publics en 1835. Extension de la scolarisation, développement de la formation initiale et continue des maîtres, expansion de la dictée, participent du même mouvement, au point que le brevet des instituteurs se réduit à un ­examen d’orthographe et que la dictée devient l’exercice emblématique de l’école, solidement ancré dans le ­paysage français. Pourtant, la suprématie de la discipline orthographe est remise en cause après la défaite de 1870 : celle-ci est imputée à l’inculture de la population française dont l’instruction à l’école primaire est trop centrée sur l’ortho­ graphe. Jules Ferry et Ferdinand Buisson s’efforcent de limiter la place exorbitante des exercices consacrés à la langue et de renouveler l’enseignement du français par une ouverture à la littérature et à l’expression écrite. Mais, par ses mesures, Ferdinand Buisson suscite un front hostile qui l’accuse de faire baisser le niveau en orthographe : acquise de haute lutte, la connaissance orthographique est devenue un signe identitaire pour les instituteurs et l’ensemble des acteurs de l’école primaire (directeurs Notes critiques 125 d’école normale, corps d’inspection primaire, revues) : ils s’opposent désormais à toute réforme. Le conflit ne va pas cesser, tout comme vont échouer les projets de réforme de l’orthographe qui se succèdent durant un siècle. Le cinquième chapitre offre une nouvelle vue sur cette histoire mouvementée. À partir des grandes enquêtes disponibles depuis le xixe siècle, André Chervel montre tout d’abord la formidable élévation du niveau des maîtres et maîtresses (respectivement 69 % et 90 % ignorent l’orthographe en 1829). Il s’attache ensuite à établir de façon rigoureuse l’évolution du niveau orthographique des élèves (enquêtes de 1873-1877, 1987, 1995 et 2005) : la courbe ascendante s’est inversée après 1920, avec une accélération de la baisse de niveau depuis deux décennies ; mais l’auteur souligne que le niveau des élèves en rédaction s’est nettement accru. Le dernier chapitre sert de conclusion : André Chervel y propose sa vision concernant la crise et les moyens d’en sortir. Pour l’historien, les transformations profondes de la société et de l’école, la baisse rapide de niveau constatée au début du xxie siècle interdisent tout retour à l’état antérieur ; fort de sa connaissance intime de quatre siècles d’invention pédagogique au service d’une nouvelle discipline, il exclut toute solution consistant en un nouveau procédé didactique. Or, si on ne fait rien, on entérine l’effondrement de l’orthographe normée. Reste une seule voie : une réforme de l’orthographe continue jusqu’à ce que l’enseignement redevienne efficace pour toute la population, comme on avait su le faire pour l’apprentissage de la lecture entre 1650 et 1835. André Chervel y ajoute une condition essentielle à ses yeux, à savoir que l’orthographe reprenne le statut de discipline scolaire. L’ouvrage se clôt sur des tableaux rapprochant mali­ cieusement les formes simplifiées qu’il propose avec les formes existant dans les langues de l’Europe. On le voit, ce petit livre ne manque pas de souffle. Si l’on est sensible à l’inanité des arguments en faveur de l’immobilisme ou du retour en arrière, on sera volontiers d’accord avec ses propositions. Cependant, on pourra ne pas suivre l’auteur sur deux points, son évaluation des rectifications orthographiques de 1990 et sa position à l’égard de la didactique. Rappelons tout d’abord quelques faits : la Communauté française de Belgique a institué la réforme de 1990 de la maternelle à l’université ; les dictionnaires et les correcteurs orthographiques ont peu à peu intégré les nouvelles formes à côté des anciennes ; et, surtout, « l’orthographe révisée » est désormais inscrite dans les programmes de l’école et du collège en France depuis 2007. La petite simplification de 1990 a donc joué son rôle en remettant en mouvement l’idée même de réforme : c’était un de ses enjeux forts pour ses artisans, au premier rang desquels se trouve Nina Catach (3). On 126 peut ensuite regretter que les perspectives ouvertes par les recherches cognitives, linguistiques et didactiques depuis une quinzaine d’années ne soient pas évoquées (4), notamment celles qui ont permis d’appréhender, comme dans d’autres disciplines, l’écart entre ce qui est enseigné et ce que les jeunes élèves en comprennent. Des recherches commencent à évaluer l’impact de nouveaux dispositifs didactiques qui prennent en compte cet écart. On peut cependant rejoindre aisément André Chervel. Pour ne pas laisser l’orthographe devenir l’apanage des classes aisées, une « discipline de luxe » destinée à sélectionner les élites comme le latin autrefois, il faut promouvoir une vraie réforme, et de l’orthographe et des pratiques d’enseignement – ce qui implique bien sûr aussi que la for­ mation des maîtres inclue enfin une véritable formation linguistique et didactique. On avait bien su le faire au xixe siècle… Danièle Cogis IUFM de l’Académie de Paris, université Paris-Sorbonne-Paris 4 notes (1) Voir la note critique de Pierre Boutan (en 2008) dans la Revue ­française de pédagogie, n° 162, p. 138-141. (2) Chervel A. (1977). Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français : histoire de la grammaire scolaire. Paris : Éd. Payot. (3) Cet article applique les rectifications orthographiques. (4) Pour une revue récente, voir Brissaud C., Jaffré J.-P. & Pellat J.-C. (dir.) (2008). « L’orthographe aujourd’hui : regards croisés ». Nouvelles recherches en orthographe. Actes des journées d’études des 14 et 15 juin 2007, Université de Strasbourg. Limoges : LambertLucas. Dumay Xavier & Dupriez Vincent (dir.). L’efficacité dans l’enseignement. Promesses et zones d’ombre. Bruxelles : De Boeck, 2009, 292 p. Le livre de Xavier Dumay et Vincent Dupriez est une synthèse et discussion des travaux de l’Educational effectiveness research (EER), accompagnées par une présentation des études conduites en Belgique et en France. Les recherches sur l’école efficace ne se résument pas à l’identification des pratiques et des dispositifs pédagogiques qui améliorent les résultats des élèves. Elles visent aussi à comprendre et à expliquer les variations des perfor­ mances scolaires selon les environnements d’apprentissage, qu’ils concernent la classe ou l’établissement scolaire. L’ouvrage fait une place particulière à l’effet de composition (school mix effect), objet de débats à l’échelle internationale : il s’agit de prendre en compte l’effet des caractéristiques sociales des élèves sur leur performance scolaire, lequel tend à relativiser l’effet des pratiques Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 pédagogiques des enseignants. L’autre dimension du livre est de situer les usages des résultats de la recherche sur l’efficacité de l’école dans la conduite des politiques d’éducation. Dans la première partie sont présentés les fondements et les principaux résultats de ce paradigme de recherche. Jan Van Damme et ses collègues de l’Université catho­ lique de Lewen introduisent le lecteur aux modèles d’analyse de l’école efficace en montrant que les premières modélisations de type « input output » ont été remplacées par des structures plus complexes de repérage de la causalité, notamment à travers les analyses multiniveau. Celles-ci, en facilitant le traitement hiérarchique et longitudinal des données, ainsi que les décompositions de la variance totale, permettent de faire émerger des effets bruts et des effets nets afin de séparer les effets de l’enseignant, de la classe, ou de l’établissement scolaire de ceux comme le statut socio-économique des familles d’élèves, le sexe, l’appartenance à une minorité ethnique, l’intelligence ou la performance scolaire à un moment antérieur de la scolarité. Ces études ont permis de mettre en évidence l’influence positive de facteurs d’efficacité sur la performance des élèves, tels que les attentes des enseignants, un leadership éducatif, un climat d’école ordonné, un enseignement structuré possédant un feedback régulier, une coopération entre élèves. Ses résultats sont aujourd’hui confirmés par des méta-analyses et synthèses de la littérature sur l’école efficace. Le chapitre suivant est consacré à une présentation détaillée par Maryse Bianco et Pascal Bressoux des travaux conduits sur les effets-classes et effets-maître dans l’enseignement primaire. Alors qu’en général un enseignement direct, c’està-dire une décomposition des tâches selon des objectifs précis, est favorable à l’acquisition des élèves, il n’en est pas de même pour la compréhension de l’écrit, parce qu’il s’agit d’activités complexes nécessitant d’autres stratégies cognitives. À partir de recherches longitudinales et d’obser­vations de classe sur des activités de langages oral et écrit, les auteurs montrent qu’un enseignement explicite et régulier, centré sur les capacités spécifiques de la ­compréhension et dirigé par l’enseignant, a plus d’efficacité sur les performances des élèves que des méthodes d’apprentissage donnant davantage de place à la coopération entre élèves. Dans la même veine, Marie-Christine Opdenakker et Jan Van Damme rendent compte des travaux sur l’efficacité des classes dans l’enseignement secondaire, en s’intéressant à l’effet de composition sur les pratiques enseignantes et les performances des élèves. Passant en revue les principaux facteurs déterminants d’un enseignement efficace tels qu’ils sont mis en évidence par la littérature internationale (opportunités ­d’apprentissage, temps effectif, enseignement structuré, coopération, éthos et climat), ils s’interrogent sur les effets de la composition du groupe d’élèves sur la performance tout en exposant une étude empirique réalisée dans le système éducatif secondaire de la Communauté flamande de Belgique. D’après leurs résultats, les différences ­d’environnement d’apprentissage, de climat de classe et de composition de groupe expliquent une part importante des différences de performance entre élèves, même s’il reste à étudier les interactions entre pratiques de classe et composition du groupe. Le chapitre rédigé par Xavier Dumay s’intéresse à la littérature de recherche consacrée à l’efficacité du leadership de la direction de l’établissement sur les apprentissages des élèves. Il montre que le leadership n’a pas d’effet direct et qu’il agit essentiellement sur des variables médiatrices comme la culture des établissements, l’engagement des enseignants et leur satisfaction professionnelle. Si la promotion de la coopération entre enseignants a des effets indirects, elle est quand même susceptible d’améliorer les performances quand les décisions collectives sont centrées sur les pratiques ­d’enseignement. Il semble toutefois, d’après l’auteur, que le leadership « instructionnel », c’est-à-dire celui où la direction participe à la gestion directe de la tâche d’enseignement, ait plus d’impact sur la performance que le ­leadership « transformationnel », lequel vise à stimuler la vie collective au sein de l’établissement. La deuxième partie du livre aborde la question centrale de l’effet de composition qui, rappelons-le, est une des critiques adressées au paradigme de l’école efficace, en même temps qu’il pose des problèmes méthodologiques et statistiques nombreux. Pour estimer cet effet sur la performance des élèves, Xavier Dumay et Vincent Dupriez ont conduit une enquête auprès de 52 écoles primaires du réseau libre catholique de la Communauté française de Belgique, en s’inspirant de méthodologies déjà éprouvées dans la littérature internationale de recherche. En construisant des indicateurs spécifiques de composition, et en procédant à une analyse multiniveau, ils montrent un effet net sur la performance des élèves en langue à la fin de l’enseignement primaire. Celui-ci s’explique par une ségrégation sociale, une différenciation et une polarisation des publics et la présence d’un système de quasimarché au sein de ce réseau d’écoles. Dans le chapitre suivant, à partir de la même recherche, les deux auteurs, avec Anne Vause, évaluent quelles sont parmi les pra­ tiques pédagogiques celles qui, indépendamment de ­l’effet de composition, ont des effets réels sur les apprentissages des élèves en mathématiques. Ils en concluent que trois variables ont un effet net, quoiqu’assez faible, indépendamment des caractéristiques individuelles des élèves : un climat de discipline positif, un rythme de travail soutenu, un niveau socioculturel élevé dans la classe. En testant les interactions entre la variable composition et les variables caractérisant la classe et l’enseignant, Notes critiques 127 l­’enquête montre l’influence positive d’un rythme de travail soutenu et d’une mobilisation des représentations des élèves des milieux défavorisés. Cette enquête au sein du système éducatif belge est suivie par une étude inter­ nationale conduite par Christian Monseur et Dominique Lafontaine à partir des données PISA. Partant du constat que tous les systèmes éducatifs peuvent être à la fois efficaces et équitables, et que ceux à faible sélection sont plus équitables que ceux présentant un degré de sélection élevé, les deux auteurs s’intéressent à l’impact de l’organisation du système éducatif sur les différences de performance entre élèves, en étudiant les relations entre agrégation académique (regroupement des élèves en fonction de leurs aptitudes) et agrégation sociale (regroupement des élèves en fonction de leur origine socioculturelle). Leurs résultats démontrent que les pays de l’Europe du Nord et les pays anglo-saxons présentent une ségrégation sociale et académique plus faible que des pays comme l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, et que ces derniers sont moins efficaces en lecture. Toutefois les données montrent que ces mécanismes ségrégatifs doivent être analysés pays par pays parce que la diversité des contextes nationaux influence les mécanismes de différenciation et de ségrégation, selon que l’accent est mis sur le redoublement ou la différenciation en filières. Dans le cas de la Belgique, l’effet du recrutement social de l’établissement apparaît assez nettement, l’agrégation académique se confondant avec l’agrégation sociale. Le pilotage des systèmes éducatifs lorsque sont utilisés des indicateurs d’efficacité constitue le thème de la troisième partie. L’objectif est de discuter des usages des travaux de recherche de l’Educational effectiveness research dans les politiques éducatives et la prise de décision. Davy Laveault dresse le bilan des indicateurs mis en œuvre dans la province de l’Ontario pour améliorer l’efficacité du système éducatif. Il souligne l’imperfection des mesures de valeur ajoutée sur lesquelles s’appuient les décideurs et insiste sur la nécessité de disposer d’indicateurs diversifiés mais aussi compréhensibles par les enseignants et les chefs d’établissement, en remplissant des fonctions formatives facilitant l’adaptation et le changement de l’organisation scolaire à son environnement. En comparant la situation française à celle des États-Unis, Denis Meuret explique les difficultés à développer des recherches sur l’école efficace dans le contexte français, l’une des explications tenant à la différence des modèles politiques de l’école (Dewey vs Durkheim) entre les deux pays. En abordant ensuite la régulation par les résultats (accountability), il engage le débat avec Martin Thrupp et les critiques de l’école efficace pour considérer que ces politiques d’obligation de résultats ont contribué à améliorer le sort des élèves les plus défavorisés sans renoncer pour autant au projet de démocratisation. Enfin Christian 128 Maroy adopte une position plus critique des formes de rationalisation qu’implique la quête d’efficacité de l’école. Pour lui, l’évaluation des résultats dans les activités de services comme l’éducation se heurte à un certain nombre de difficultés : l’impossibilité d’évaluer des objectifs multiples et diversifiés, l’absence de neutralité et d’objectivité de la mesure, les biais créés par des effets de contexte, les problèmes posés par la définition de la qualité. Il y voit une approche fonctionnaliste du professionnalisme enseignant, cette rationalisation par les résultats conduisant à une déprofessionnalisation, alors qu’il faudrait proposer aux enseignants plus de réflexivité et les conditions d’un vrai développement professionnel. Chaque partie est accompagnée par une discussion distanciée des différentes contributions pour revenir, comme l’indique le titre de l’ouvrage, sur les promesses et les zones d’ombre. C’est ainsi que Jean-Marie De Ketele ­présente des limites méthodologiques des outils et des méthodes utilisées par le courant de recherche sur l’efficacité de l’école selon que l’on cherche à mesurer un savoir, un savoir-faire, ou un savoir-être dans l’évaluation de la performance. De même qu’il est difficile pour lui de mesurer les pratiques pédagogiques parce qu’elles varient en fonction des situations et des objets d’apprentissage. Marc Demeuse, en conclusion de la deuxième partie, satisfait du développement des enquêtes internationales sur l’efficacité et l’équité des systèmes éducatifs, invite les auteurs à une vigilance méthodologique dans le choix et l’analyse des variables en considérant malgré tout que ces études apportent une contribution utile au champ de recherche sur l’efficacité de l’école. Enfin Marie Verhoeven tente de trouver un point d’équilibre dans le débat sur les usages politiques de la school effectiveness en mettant en perspective les différents arguments ­avancés par les contributeurs de la troisième partie. Elle interroge successivement la dimension finalisée et instrumentale de ce type de recherches, les problèmes méthodologiques que ces dernières posent, la nature du débat technique ou démocratique qu’elles suscitent, les effets positifs ou pervers qu’elles génèrent auprès des acteurs de l’éducation. À la lecture de l’ensemble des contributions, l’ouvrage s’apparente plutôt à un plaidoyer en faveur du mouvement de recherche sur l’efficacité de l’école et les zones d’ombre, mis à part l’article critique de Christian Maroy, relèvent surtout de critiques endogènes au paradigm. Malgré tout, certains auteurs, comme Denis Meuret, cherchent à discuter les positions de Martin Thrupp, ce sociologue néo-zélandais qui a cherché à établir un dialogue constructif avec les principaux représentants de ce courant de recherche. On s’étonnera quand même que, malgré l’investissement réalisé dans des études de grande Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 ampleur aux méthodologies sophistiquées, il demeure si difficile de caractériser une pratique pédagogique efficace, si ce n’est selon un cadre structurant et ordonné qui n’informe guère sur la façon dont l’enseignant peut prendre en charge la diversité des compétences cognitives et des attitudes des élèves. De même, si l’effet de composition était amené à jouer un rôle décisif sur les apprentissages et la réussite scolaire, l’effet-enseignant en serait singulièrement diminué, ce qui relativiserait un certain nombre de postulats du paradigme de l’école efficace, un paradoxe que ne semblent pas avoir relevé les coordonnateurs du livre. Le récit de la genèse de la school effectiveness apparaît lui aussi assez sommaire parce qu’il tend à sous-estimer les contextes sociaux et politiques ayant donné naissance à ce mouvement de recherche. Au-delà de ces critiques, le livre constitue une référence importante pour appréhender les nouvelles problématiques de la mesure de l’efficacité et de l’équité des systèmes éducatifs et des organisations scolaires. Il permettra au lecteur de se faire une idée beaucoup plus précise des problématiques et des nouveaux défis que cherchent à relever un paradigme incontournable dans l’analyse des politiques d’éducation et des systèmes éducatifs. Romuald Normand Éducation et politiques, INRP Dupriez Vincent, Orianne Jean-François & Verhoeven Marie (dir.). De l’école au marché du travail, l’égalité des chances en question. Berne : Peter Lang, 2008, 411 p. Égalité des chances : on ne cesse d’affirmer ce principe dans les sociétés démocratiques modernes. Mais au-delà de son caractère récurrent, tant dans la formulation de nouveaux projets pour l’école démocratique que dans les politiques publiques d’intervention auprès des personnes sans emploi, ce concept polysémique recouvre des réalités bien distinctes. Dans cet ouvrage collectif nourri d’une réflexion pluridisciplinaire conduite au sein du GIRSEF (Université catholique de Louvain), les auteurs nous ­invitent à interroger un certain nombre d’évidences ­qu’essaime le discours politique. En ce sens, la première partie de l’ouvrage constitue un front théorique contre les positions qui se disent simplement descriptives, mais qui sont toujours susceptibles de manipulation idéologique. En réalité, ne pas définir ce principe d’égalité des chances ne peut entraîner que plus de confusion et d’opacité dans l’analyse et l’interprétation des infléchissements contemporains de l’intervention publique, tant en matière d’éducation que de formation. Car, à y regarder de plus près, ce qui compte et ce qui doit entrer dans la convention d’évaluation quand il s’agit de penser l’égalité des chances, à la fois dans le système scolaire et dans le système de formation continue, est tributaire d’un jugement de valeur, que celui-ci soit revendiqué ou passé sous silence. Le lecteur découvrira dans cette première partie les principales théories de la justice auxquelles ces jugements de valeur en appellent. Il faut ici louer le travail des auteurs qui rendent intelligibles ces principales théories souvent perçues par le profane comme difficilement compréhensibles. De l’utilitarisme à l’égalitarisme de résultats, en passant par le libertarisme et l’égalitarisme libéral de Rawls, Waltenberg illustre les quatre principales écoles de la philosophie politique. Si ces quatre écoles constituent les référents de départ, les théories de la justice ne sauraient s’y limiter. Dans ce domaine fertile de la recherche actuelle émergent des concepts très divers dont l’originalité renouvelle sensiblement les problématiques habituelles. Ces avancées très importantes bénéficient des travaux de Walzer, à l’aune duquel Pourtois envisage l’égalité des chances de manière irréductiblement multidimensionnelle. Enfin Farvaque reprend la proposition de Sen, qui est largement destinée à offrir une alternative à la position défendue par Rawls. Il aborde ce qui fait le cœur de l’approche par les capacités, à savoir le lien entre l’accès aux ressources éducatives et l’augmentation des libertés. La clarification des théories de la justice permet d’ouvrir sur une analyse de l’évolution des politiques éducatives et d’accès à l’emploi dans la deuxième partie de l’ouvrage. Ce changement de perspective conduit Verhoeven et Dupriez à analyser les politiques éducatives menées en Communauté française de Belgique dans le courant du xxe siècle. On y trouve non seulement un exposé très clair des trois déclinaisons historiquement situées du même principe d’égalité des chances – égalité d’accès, de traitement et politique compensatoire –, mais aussi une illustration de la ligne de rupture depuis l’adoption en 1997 du décret dit « mission », dont l’ambition égalitariste est appréhendée à travers les « résultats e­ffectifs » de l’action éducative. Poursuivant une analyse ­socio-historique, Grootaers décode deux siècles du projet ­politique et culturel de démocratisation scolaire. Si la première période correspond à la méritocratie et la seconde à « l’égalité des chances généralisées », l’auteur envisage la troisième période, à l’échelle des 25 dernières années, comme une rupture du postulat méritocratique. Changeant d’échelle et de focale, Bonvin et Moachon puisent eux aussi dans les théories de la justice pour offrir un chapitre particulièrement réussi s’ouvrant à l’analyse des politiques d’intervention auprès des personnes sans emploi en Europe. Les auteurs décryptent six conceptions de l’égalité des chances – approche néolibérale, allocation Notes critiques 129 universelle, workfare, employabilité d’initiative, employabilité interactive et approche par les capacités – qui sont autant d’approches concurrentes de l’égalité ou de la ­justice. Dans la troisième partie de l’ouvrage, les auteurs abordent un niveau plus opératoire de l’analyse, celui du diagnostic empirique dans les deux champs de l’éducation et de la formation. Trois questions structurent le débat : Quel est l’état des inégalités ? Quels en sont les processus producteurs ? Au regard de quelle conception de la justice ces inégalités posent-elles problème ? À partir de données chiffrées de l’enquête PISA comparant la situation des 15 pays membres de l’UE en 2004, Dupriez et Vanderberghe montrent que les positions respectives des pays changent, de manière parfois importante, selon la convention d’évaluation utilisée. Ce qui implique du même élan la nécessité de se positionner, d’un point de vue normatif, par rapport à l’éventail des théories de la justice. Et les auteurs en concluent ce qui, dans la perspective de l’approche par les capacités de Sen, mériterait d’être pris en considération. Les deux contributions suivantes se concentrent sur le rôle des établissements dans la production des inégalités de traitement et de résultats en Communauté française de Belgique. Le travail de Dumay et Galand éclaire le rôle de l’établissement scolaire dans les inégalités de traitement observées, là où Delvaux et Maroy permettent un approfondissement de ce diagnostic à partir d’une analyse fine de trois établissements scolaires. Ils montrent à quel point les orientations éducatives de l’école sont lourdement affectées par la composition de l’école et le type de public que l’école souhaite attirer avant de s’interroger, à partir de l’approche de Sen, sur les libertés réelles qu’ont les élèves « de choisir la vie qu’ils ont des raisons de vouloir valoriser » dans le système scolaire belge, lourdement structuré par une logique de marché et le principe de libre choix de l’école. Enfin Conter conclut cette partie en scrutant à la loupe l’égalité d’accès à la formation continue des ­travailleurs et demandeurs d’emploi en Belgique. Quels sont les infléchissements contemporains des politiques d’éducation et de formation ? C’est à la formulation de réponses à cette question que les auteurs de cette quatrième partie s’attachent, en livrant une description précise des dynamiques repérables, de façon transversale, sous l’étiquette de « politique de l’autocontrainte ». Deux politiques publiques sont retenues et examinées comme figure emblématique de ces transformations : le décret « Missions » adopté en Communauté française de Belgique dans le champ de l’enseignement obligatoire ; la politique européenne du parcours d’insertion menée en région ­wallonne dans le champ des politiques d’emploi et de formation professionnelle. Orianne, Draelants et Donnay 130 proposent une lecture transversale aux deux champs étudiés (en matière d’éducation et de formation) des mutations de l’intervention publique. Individualisation, conditionnalisation et territorialisation constituent selon eux les trois lignes de force d’un mouvement à l’œuvre qui épouse les limites d’une conception « ressourciste » – certes renouvelée – de la justice sociale. La contribution de Draelants, Giraldo et Orianne traite de la mise en œuvre des politiques de l’autocontrainte sous l’angle, bien particulier, des intermédiaires chargés d’en traduire les énoncés en action sur autrui. Enfin les deux dernières communications se situent dans le champ de l’éducation. Elles traitent de la mise en œuvre du décret « Missions » en Belgique francophone, à travers le développement de la pédagogie par « compétences » ou d’une pédagogie centrée sur le « projet individuel de l’élève », nées toutes deux de nouvelles modalités de gestion de la main-­ d’œuvre des actifs. Letor et Mangez examinent, à partir de l’approche par les capacités, l’introduction d’une pédagogie des compétences où les savoirs perdent leur statut de fins en soi pour devenir des moyens à mobiliser en situation. Pour leur part, Paul et Frenay pointent et éclairent, sous un angle nouveau, une série de tensions inhérentes à l’individualisation des politiques publiques dans le champ de l’éducation. Pour les auteurs, la mise en pratique d’une approche plus individualisée du parcours scolaire, à travers la notion de projet personnel de l’élève, interroge de façon directe les théories de la justice. Bien qu’un des enjeux de l’ouvrage soit de penser ensemble l’éducation et la formation continue, le contenu de l’ouvrage n’est pas toujours en phase avec cette ambition. On peut regretter que les auteurs, toujours rigoureux sur le fond, ne se risquent pas davantage à une « analyse conjointe, de deux champs à la fois distincts et pourtant connexes ». Comment s’articulent éducation et formation continue selon les diverses conceptions de l’égalité des chances à l’œuvre ? Quelles conceptions de la formation tout au long de la vie les différentes théories de la justice appellent-elles ? L’ouvrage est très discret sur ces questions, sans que l’on puisse deviner ce que serait une articulation souhaitée de ces deux champs qui relèvent de logiques institutionnelles distinctes et qui sont aussi étudiés par des branches différentes des sciences sociales. Mais finalement cette remarque ne remet en cause ni la qualité intrinsèque de l’ouvrage, ni l’intérêt à le mettre entre les mains de toute personne curieuse de comprendre la pluralité des conceptions au fondement de la notion d’égalité des chances et déçue de l’insuffisante rigueur qui lui est trop souvent réservée. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Josiane Vero CEREQ Lautrey Jacques, Rémi-Giraud Sylvianne, Sander Emmanuel & Tiberghien Andrée. Les connaissances naïves. Paris : Armand Colin, 2008, 223 p. Il a toujours existé un décalage temporel plus ou moins important entre les avancées de la recherche en sciences humaines et leur traduction dans le champ de la pédagogie. L’ouvrage Les connaissances naïves devrait contribuer à réduire ce décalage, les auteurs manifestant le souci de lier eux-mêmes les deux domaines. L’objet de l’ouvrage est d’étudier le rôle que jouent dans l’apprentissage scolaire des connaissances scientifiques les connaissances acquises spontanément par l’expérience de chacun dans la vie quotidienne. La question est abordée sous trois angles. Le premier concerne l’acquisition des connais­sances naïves chez l’enfant : Lautrey, après avoir opposé l’approche piagétienne à celle de la psychologie cognitive actuelle, aborde à l’aide d’exemples concrets les processus de changement de connaissances en distinguant le changement par révision des présuppositions d’une part et par changement de catégorie d’autre part. Le second angle est celui de deux domaines d’enseignement : Sander explore le rôle des connaissances naïves dans l’apprentissage des connaissances mathématiques. Il présente les principales théories qui ont tenté de rendre compte de l’existence de connaissances tacites dans le champ des mathématiques puis analyse de façon détaillée leurs manifestations dans le cas des opérations arithmétiques : soustraction, multiplication et division. Il propose, à partir d’exemples détaillés, une interprétation intéressante des effets du contenu en distinguant structure de représentation induite par l’interprétation de l’énoncé et structure profonde correspondant à sa structure formelle, avant d’en dégager les implications pédagogiques. C’est à la didactique de la physique au collège que s’intéresse Tiberghien. À partir de situations concrètes (le chauffage et l’isolation, la mécanique), elle analyse les écarts entre les connaissances naïves et les connaissances scientifiques. Elle propose, à partir de l’exemple de la chaleur, une suite d’étapes pour réduire cet écart ainsi que des principes pour l’élaboration de situations d’enseignement destinées à introduire un concept (l’énergie) à partir des connaissances de la vie quotidienne des élèves. Le dernier angle sous lequel est abordée la thématique de l’ouvrage est linguistique. Rémi-Giraud analyse le rôle du langage, plus particulièrement du lexique, dans la construction des connaissances. Elle montre de façon détaillée et avec de nombreux exemples les difficultés provoquées par la polysémie des mots courants de la langue. Elle argumente le point de vue selon lequel une approche sémantique lexicale permet d’établir des ponts entre connaissances naïves et concepts scientifiques. Les approches multiples qui font l’intérêt de l’ouvrage convergent pour argumenter plusieurs points communs importants. Les auteurs insistent en effet sur le changement de point de vue qui caractérise la psychologie cognitive aujourd’hui. On est passé d’une conception logicienne et généraliste à une conception privilégiant les aspects sémantiques de la cognition (cognition « située » ou « incarnée »). Ainsi pour Lautrey les capacités de l’enfant sont les mêmes que celles des adultes, les différences ­proviennent des connaissances (décalage identique au décalage entre novice et expert). Sander met l’accent sur l’importance cruciale de l’interprétation de la situation. Pour Tiberghien les connaissances sont contextualisées par les situations dans lesquelles elles ont été acquises et qui leur donnent du sens. L’exemple des opérations ­arithmétiques analysé par Sander et repris par Tiberghien et Rémi-Giraud illustre cette conception. Par exemple la représentation « diviser, c’est partager » explique que pour les élèves diviser, c’est rendre plus petit, à refuser que le résultat puisse être supérieur à la valeur de départ (cas de la division par un nombre compris entre 0 et 1). On trouve la même réaction à propos de la multiplication (multiplier, c’est augmenter) : les élèves ne peuvent concevoir que le résultat puisse être inférieur à la valeur multipliée. Un deuxième point, lié au précédent, concerne le rôle de la catégorisation. Lautrey fait du changement de catégorie un des deux processus d’évolution des connaissances. Il rejoint ainsi Rémi-Giraud pour laquelle l’acquisition de concepts passe par la nouvelle catégo­ risation des mots pour les faire entrer dans d’autres champs sémantiques. De même pour Sander, les ­structures ­induites constituent des catégories. Toute la problématique de l’ouvrage repose sur l’assertion selon laquelle toute connaissance nouvelle prend nécessairement appui sur une connaissance antérieure. Les connaissances naïves constituent donc le socle nécessaire des acquisitions scolaires. Cette filiation des connaissances rend compte du fait, souligné par les auteurs, que l’analogie qui consiste à évoquer et utiliser une situation connue pour comprendre et traiter une situation nouvelle constitue un processus tout à fait privilégié d’acquisition. Les auteurs s’accordent également pour souligner le rôle du langage. De même que l’analogie, la métaphore est un outil puissant d’acquisition. Sander comme Rémi-Giraud insistent sur les rapports entre lexique (mot utilisé) et concept. Le fait qu’un mot soit connu ne signifie pas que le concept correspondant soit acquis. La clarifi­ cation du sens des mots est une condition essentielle de ­l’apprentissage du concept. Les connaissances naïves disparaissent-elles avec l­ ’acqui­sition des connaissances scientifiques ? La réponse des auteurs est clairement non. Sander, Tiberghien Notes critiques 131 et Rémi-Giraud montrent de façon convaincante que les connaissances naïves persistent chez l’adulte et coexistent avec les connaissances scientifiques. La question centrale devient alors : les connaissances naïves constituent-elles un obstacle ou une aide à l’apprentissage des connais­ sances scientifiques ? Les premières sont efficaces dans la vie quotidienne, mais leur validité est limitée. Les connaissances scientifiques visent à l’universalité. Le problème fondamental est de définir leurs champs de validité respectifs. Il est parfois nécessaire de mettre l’élève en face d’un problème pour lequel les connaissances naïves sont en échec. Il ne s’agit donc pas d’éliminer les connais­sances naïves mais de les connaître et de les faire évoluer. Certains développements des quatre auteurs ne sont pas toujours d’un accès très facile pour un public non spécialisé. Mais cet aspect est très largement compensé par l’abondance des exemples précis et bien détaillés. Le psychologue y trouvera des analyses novatrices. Le praticien de la pédagogie y trouvera un grand nombre de suggestions bien argumentées. On ne peut que souhaiter que cet ouvrage multidisciplinaire ait l’impact qu’il mérite auprès de tous ceux qui s’intéressent aux apprentissages. Claude Bastien Parole et langage, université de Provence-Aix-Marseille 1 Lawn Martin. An Atlantic crossing? The work of the International examination inquiry, its researchers, methods and influence. Oxford : Symposium books, 2008, 206 p. Dans un domaine où l’expérimentation est difficile, les comparaisons internationales des systèmes éducatifs et des compétences des élèves sont un outil indispensable des chercheurs et des décideurs politiques pour juger de l’efficacité des méthodes et des curricula. De plus, les enquêtes internationales sur les comparaisons des compétences des élèves conduites par l’IEA et l’OCDE ont eu un impact médiatique et politique important et les politiques éducatives de nombreux pays s’en sont trouvées sinon modifiées, du moins remises en question. On sait moins que ces enquêtes ont une longue histoire puisque la réflexion sur leur mise en place date des années 1950 et que ces projets sont, en partie, redevables des travaux de l’International examination inquiry (IEI) souvent désignée sous le nom de commission Carnegie. L’ouvrage dirigé par Martin Lawn présente pour la première fois de manière synthétique et détaillée les travaux de cette ­commission dans les principaux pays européens qui y ont participé. Cet ouvrage étudie son incidence sur la recherche en éducation et sur les systèmes éducatifs nationaux et surtout son impact sur la naissance d’une véritable 132 commu­nauté internationale de chercheurs en éducation. La plupart des historiens de l’éducation s’attachent à l’étude de systèmes nationaux, ce qui les empêche d’identifier les échanges d’idées au niveau international. Il s’agit, dans ce livre, moins de mettre en avant l’impact des travaux de la commission sur tel ou tel pays que de montrer que cette commission a permis la construction d’un cadre inter­national (ou plutôt supranational) pour la recherche en éducation. Rappelons que le but de cette commission était de faire le point sur le fonctionnement des examens dans différents pays et de promouvoir et suivre des projets nouveaux – en partie inspirés de ceux qui étaient en train de se développer aux États-Unis – pour aboutir à un système d’examen plus fiable et plus équitable. Ce projet était financé par une organisation philanthropique américaine : la fondation Carnegie. Pour reprendre les propos de Martin Lawn, « International examination inquiry est un travail presqu’oublié aujourd’hui et pourtant c’était un projet international et scientifiquement bien fondé, dont l’exploitation a duré sept années, qui a attiré des figures éminentes de la recherche en éducation et qui a entrepris des échanges significatifs de données et d’expériences ». La question centrale posée était le développement de l’éducation secondaire et des méthodes les plus efficaces pour faire passer un examen aux élèves afin de décider de leur entrée dans l’enseignement secondaire. Le projet comprenait à l’origine les États-Unis, l’Écosse, l’Angleterre, la France, l’Allemagne et la Suisse puis a intégré au fil du temps la Suède, la Finlande et la Norvège. Le noyau du groupe de recherche s’est rencontré à trois reprises en 1931, 1936 et 1938. L’ouvrage s’ouvre sur une présentation générale du projet, de son déroulement par Martin Lawn. Puis les travaux menés par les comités nationaux, la réception de ces travaux et leurs conséquences à court et à long terme sont présentés pour chacun des pays par des chercheurs du pays considéré : Floria Waldow pour l’Angleterre, Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly pour la Suisse, Marc Zarrouati pour la France, Martin Lawn, Ian Deary et David Bartholomew pour l’Écosse, Minna Vuorio-Lehti et Annuka Jauhiainen pour la Finlande, Christian Lundahl pour la Suède et enfin Harald Jarning et Gro Hanne Aas pour la Norvège. Cet ouvrage est très bien documenté et les témoignages et les archives présentés sont pour la plupart sinon inédits du moins peu accessibles (les ­rapports et les documents des comités n’ont souvent été déposés que dans les bibliothèques des institutions ­d’appartenance des membres du comité). Cet ensemble de textes met bien en évidence la constitution de réseaux de chercheurs et de politiques parta- Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 geant des valeurs communes, dans le but de faire évoluer les systèmes éducatifs à partir de cette impulsion de départ venue des États-Unis, ainsi que sa réception plus ou moins favorable et durable dans les pays européens. Comme le signifie le point d’interrogation par lequel se termine le titre, cette « traversée de l’Atlantique » a été plus ou moins réussie selon les pays. Il n’en reste pas moins que l’importance du projet se mesure également à l’aune de ses réalisations. Il a rassemblé de nombreux chercheurs et décideurs politiques, bien dotés, publiant bien au-delà d’un recueil de contributions puisque le projet a duré presqu’une dizaine d’années. On note parmi les protagonistes des spécialistes d’au moins trois domaines en pleine expansion : l’étude des tests d’intelligence (Spearman et Thorndike), les comparaisons entre systèmes nationaux (Monroe, Kandel, Sadler et Ulich) et la nouvelle pédagogie centrée sur l’enfant (Zilliacus, Bovet, Mc Clelland et Boyd). Comme nous venons de le souligner, cet ouvrage porte sur une histoire internationale et non sur une approche basée sur une comparaison d’histoires nationales. Cepen­ dant il nous a paru utile d’approfondir cette recension en nous centrant sur l’histoire du comité français, dont ­l’intérêt apparaît plus direct pour le lectorat de la Revue ­française de pédagogie. Le chapitre sur le comité français a été rédigé par Marc Zarrouati de l’Université de Toulouse. La France a participé dès le départ aux travaux de l’IEI et son comité a assisté à toutes les réunions, le président étant Auguste Desclos. Cependant, pour Marc Zarrouati, on doit malheureusement conclure que ­l’apport de la France a été faible et les Français n’ont pas été convaincus par l’adoption des nouvelles méthodes. L’intérêt de l’histoire du comité est qu’il permet de compren­dre pourquoi les enseignants français étaient opposés à de nouvelles méthodes d’examen. En fait le comité était partagé entre les tenants de la culture générale et les partisans de nouvelles méthodes. Bien que le nombre de membres favorables à chacune des options ait été à peu près équivalent, ce sont les voix des tradi­ tionalistes qui se sont fait le mieux entendre lors des ­réunions. Comme l’écrit Marc Zarrouati : « This latent ­conflict was detrimental both to scientific exchanges between French experimental psychologists and foreign scholars and to the introduction of experimental methods and psychometric views on examination within the French education system, as well. » (p. 99) L’accent mis sur l’impor­tance de la culture générale semble lié au fait que coexistaient en France trois systèmes d’enseignement : le secondaire issu de la tradition la plus ancienne du lycée et de l’université, le primaire et le technique. Pour une partie des membres du comité, comme pour la plupart des éducateurs de l’époque, le secondaire était le modèle à suivre. Lors de la première réunion, le comité français a lancé plusieurs projets sur l’étude des examens, comme un atlas de l’enseignement en France (1933), et l’étude de différents examens comme le certificat d’études et surtout le baccalauréat. Une recherche sur « La correction des épreuves écrites dans les examens » sera confiée à Henri Laugier qui rejoindra le comité en 1932. Il est étonnant de voir que les membres du comité n’avaient pas mentionné aux membres des autres délégations que des chercheurs français travaillaient depuis plusieurs années dans ces domaines. Des travaux sur la fiabilité de la notation avaient déjà été entrepris par Laugier et Weinberg dès 1927. Curieusement, ces chercheurs avaient été écartés du comité lors de sa construction. Les conclusions de la recherche conduite par Henri Laugier et Dagmar Weinberg (publiée dans les travaux du comité français en 1936) démontrent abondamment l’absence de fiabilité de la correction des épreuves du baccalauréat et ce dans les dix matières étudiées. Ces résultats auraient pu et dû conduire à remettre en question les examens tels qu’ils étaient organisés, mais cela n’a pas été le cas. Bien que ce travail ait été présenté lors de la dernière réunion de la commission, sa portée en a été fortement minimisée, en particulier par le président Desclos qui, lui, en tirait la conclusion qu’il fallait non pas réformer le baccalauréat mais davantage améliorer le système de notation existant. La postérité de cette étude se retrouvera, par contre, dans les publications d’Henri Piéron sur la docimologie (en particulier son ouvrage de 1963) et dans différents travaux conduits à l’INOP (devenu ensuite l’INETOP), comme les grandes enquêtes sur le niveau des élèves. L’histoire du comité français, est, selon nous, un bon témoignage de la pérennité de l’absence de débat sur la fiabilité de la notation et le peu de valorisation des méthodes psychométriques en France. Dans le débat international sur objectivité et authenticité dans l’évaluation, la préférence française reste toujours fixée sur l’authenticité, quelles que soient les limites identifiées de ce type d’approche des examens et quels que soient les choix faits par d’autres pays. De même, les positions du comité français permettent d’expliquer pourquoi la France n’a pas eu de rôle moteur dans des travaux comme les enquêtes internationales sur l’évaluation des compétences des ­élèves. Il est certain que, comme le souligne Martin Lawn, cette idée de chercheurs américains financés par une société philanthropique américaine venant apporter leurs méthodes et standards à des pays encore dans les « ténèbres » peut selon le sociologue van Strien être perçue comme « l’américanisation des traditions intellectuelles nationales et donc une “colonisation scientifique”, une “domination intellectuelle d’une culture existante par une culture étrangère plus puissante” ». A contrario, la lecture du livre Notes critiques 133 de Martin Lawn montre que cette réception a pu pour certains pays être une opportunité formidable de développer une recherche en éducation (par exemple les fonds reçus de la commission ont permis au comité écossais de développer de nombreuses recherches et de constituer une organisation solide) et à d’autres pays de faire évoluer leurs systèmes d’examen (par exemple les pays scandinaves). On peut ici regretter que l’ouvrage ne présente pas les positions américaines de manière aussi détaillée que les positions des différents pays européens. Une telle présentation aurait permis de mieux identifier les méthodes qu’on souhaitait voir traverser l’Atlantique et de savoir dans quelle mesure elles étaient également l’objet de débat dans la société nord-américaine. Comme il s’agissait de construire des outils permettant la comparaison de différents systèmes éducatifs nationaux, on peut faire l’hypothèse que les travaux de la commission ont préfiguré les perspectives internationales en éducation, comme l’écrit Martin Lawn : la fondation de l’UNESCO peut être considérée comme un effet de ­l’action de la commission. Et ajouterons-nous, au sein de l’UNESCO, l’Institut international de l’éducation – the International association for the evaluation of educational achievement (IEA) – créé à Hambourg en 1952, qui a été à l’origine des premières enquêtes internationales sur les compétences des élèves à la fin des années 1950. L’intérêt de connaître l’histoire est, comme on le dit souvent, d’éviter de la répéter, c’est pourquoi, selon nous, il est urgent pour les chercheurs et décideurs des politiques de l’éducation de lire le livre de Martin Lawn. Une des leçons que l’on peut tirer des positions du comité français et de leur destin est que l’attachement frileux à une tradition nationale comme la « culture générale » a certainement retardé l’évolution du système éducatif français et nous a isolés du développement de la ­recherche internationale en éducation. Pierre Vrignaud SPSE, université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense Vinatier Isabelle & Altet Marguerite (dir.). Analyser et comprendre la pratique enseignante. Rennes : PUR, 2008, 192 p. Les ouvrages qui traitent d’analyses des pratiques et de l’activité des enseignants sont peu nombreux. Les recherches dans ce domaine se centrent généralement sur le ­discours des enseignants, sur leurs représentations et rares sont celles qui portent effectivement sur les pro­ cessus d’enseignement apprentissage observés in situ. 134 L’originalité supplémentaire de ce livre collectif dirigé par Isabelle Vinatier et Marguerite Altet est de regrouper une série de dix articles, articulés autour de quatre parties qui étudient une même séance de classe animée par un professeur des écoles, Pierre L. Les regards portés par les auteurs proviennent d’horizons différents, et c’est là toute la richesse de cette publication : l’analyse plurielle développée articule différentes dimensions épistémiques, didactiques, pédagogiques, psychologiques et sociales. Toutefois les approches s’inscrivent, comme le précisent les auteurs principales dans l’introduction, dans un même paradigme de recherche « interactionniste et écologique », celui partagé par les enseignants-chercheurs appartenant au laboratoire de recherche CREN de Nantes. Les travaux présentés ici étudient les pratiques d’enseignement et d’apprentissage comme un processus interactif situé. Cet élément assure aux contributions une cohérence d’ensemble qu’il n’est pas toujours aisé de mettre en place dans un ouvrage collectif. La séquence analysée est menée au cycle des approfondissements (cycle 3, CM1-CM2) de l’école élémentaire. Il s’agit d’un débat scientifique encadré par un professeur des écoles expérimenté (maître formateur). Le thème de la nutrition humaine y est abordé à partir de la question princeps posée au tout début de séquence : « Comment ce que nous mangeons peut-il nous donner des forces ? » Il s’agit là de la deuxième séance d’un module de six qui a été filmée (puis transcrite) ainsi que l’entretien de coexplicitation (entre le professeur et le chercheur) réalisé plus tard, ces deux corpus (débat et transcription puis entretien) servant de matériau de base aux différentes études menées. La première partie est composée de quatre chapitres. Le premier, écrit par Christian Orange, donne des précisions sur la séance analysée. Certaines informations manquent peut-être toutefois : caractéristiques précises de l’école, de la classe, des élèves, de l’enseignant par exemple. Elles auraient permis au lecteur de mieux situer la séquence. L’enjeu du deuxième chapitre rédigé par le même auteur est de comprendre ce qui se joue du point de vue didactique sous l’angle de l’articulation entre savoirs et problématisation notamment. Marguerite Altet, dans le troisième, analyse les interactions maître élèves observées durant la séquence : quels sont les tensions, les régulations et les ajustements opérés par l’enseignant tout au long du débat, engagent-ils de façon identique les élèves de la classe dans la construction de sens, du savoir et du problème ? Dans le quatrième chapitre, Christiane Morin reprend les points de tensions observés entre les processus d’enseignement et d’apprentissage et les analyse à travers les verbalisations du professeur dans le cadre de l’entretien. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 La deuxième partie est constituée de trois contri­butions. Celle d’Isabelle Vinatier s’attache à essayer de compren­ dre le sens que donne le maître de son activité. On apprend là (p. 71) que l’entretien n’a pas été réalisé juste après la séance de classe comme c’est habituellement le cas dans ce type de recherche, mais bien plus tard puisque le professeur des écoles, maître formateur au moment de la séquence de classe, est devenu conseiller pédagogique lors de l’entretien. On lira ensuite (p. 153) que le « dialogue a lieu plusieurs mois après la conduite de la séance ». Cette précision (tardive ?) donnée, tout l’intérêt de ce cinquième chapitre est justement de nous interroger, dans la perspective du courant de la didactique professionnelle, sur la méthodologie de la conduite d’entretien, l’élucidation des savoirs professionnels, la production de savoirs partagés (entre le chercheur et l’enseignant) à partir du thème central choisi : le rôle de l’activité gestuelle du maître qui accompagne sa communication verbale. Le sixième chapitre s’appuie également sur les deux corpus de la vidéo de la séance et de l’entretien de co-explication. Antonietta Specogna et Sylvie Caens-Martin y explorent la conduite du débat par le maître à travers ce qu’on y voit de la situation et de ce qu’on y entend lors de l’entretien à l’aide d’un ancrage dans deux champs théoriques distincts : la didactique professionnelle et la logique interlocutoire. Thérèse Pérez-Roux, dans le dernier chapitre de cette deuxième partie, souhaite compléter les deux précédents. Les deux corpus sont également utilisés et l’auteur se centre très spécifiquement sur les interactions dans la classe et leur impact éventuel sur les ­apprentissages à plus ou moins long terme. Deux chapitres supplémentaires composent la troisième partie qui se centre spécifiquement sur l’analyse de la pratique d’enseignement de Pierre L. lors de l’entretien de co-explicitation qui a été mené par Isabelle Vinatier. Magali Hersant, en utilisant les outils de l’anthropologie didactique développés initialement par Yves Chevallard en didactique des mathématiques, essaie de repérer l’identification d’enjeux didactiques forts pour le maître. Elle montre la complexité de la pratique du professeur qui repose sur un nombre important d’éléments d’ordres technique, technologique ou théorique et qui par ailleurs révèle un certain nombre de stabilités et de routines tout en soulevant un point d’importance (p. 137) : « Au cours de l’entretien, l’enseignant évoque différentes postures qui correspondent à différents stades de sa carrière : jeune instituteur, instituteur plus chevronné, maître formateur, conseiller pédagogique et aussi enseignant associé à une recherche INRP […] ; ce passage de la position de maître formateur associé à une recherche INRP à la position de conseiller pédagogique peut modifier son point de vue au cours de l’entretien d’autoconfrontation ». Effectivement, une des critiques émises sur la technique d’entretien de co-explication post-séance est le risque pour le professionnel de commenter en fait une nouvelle séance, de reconstruire de nouveaux enjeux grâce à un nouveau contexte, offrant ainsi un point de vue inhabituel de sa propre pratique (Yinger), de rationnaliser en développant une méta-analyse. Ce risque (peu discuté dans l’ouvrage) est accru ici par le fait que l’entretien s’est déroulé plusieurs mois après la séquence proprement dite. De plus, Pierre L. a changé de fonction, ceci pouvant entraîner un changement de regard et de posture plus important encore. Le neuvième chapitre, rédigé par Michel Perraudeau dans une perspective psychologique, tente de comprendre et d’expliquer comment l’enseignant analyse son activité d’interaction avec les élèves à travers deux postures principales, la médiation (Vygotsky) et le tutorat (Bruner). La quatrième et dernière partie de l’ouvrage est constitué du dixième et dernier chapitre. Il s’agit d’un article de synthèse rédigé par Marguerite Altet et Isabelle Vinatier. Il articule la visée épistémique de la séance observée et filmée avec les modes d’interaction et de collaboration entre les chercheurs et le praticien ante-séance (préparation) et post-séance (entretien). Gérard Vergnaud, dans la conclusion de l’ouvrage, apporte un point de vue analytique et critique des différents articles à travers trois des fonctions didactiques (pédagogiques ?) dans l’activité du maître : la dévolution (voir là encore Guy Brousseau), la transposition et la conduite des activités des élèves. Il note que l’on ne peut effectivement étudier l’activité d’un ­professionnel sans accéder à son discours, justifiant ici l’entretien de co-explication entre le chercheur (Isabelle Vinatier en l’occurrence) et l’enseignant qui vise à mieux comprendre l’activité déployée par le maître. De fait, la pratique (ou les pratiques) comporte trois dimensions en interrelation (Bandura) : les facteurs personnels (saisis dans l’ouvrage grâce à l’entretien), le comportement (repéré grâce au film vidéo) et le contexte (décrit notamment dans le premier chapitre par Christian Orange). L’analyse des pratiques d’enseignement en lien avec les apprentissages des élèves ne peut faire l’économie de l’étude de ces trois dimensions qui sont effectivement étudiées dans le livre. En ce sens, ce dernier contribue à mieux comprendre et expliquer les pratiques d’enseignement d’une manière générale. Laurent Talbot CREFI-T, Université de Toulouse Notes critiques 135 La revue a reçu… BARDINTZEFF Jacques-Marie & STRICKLEER ­Benjamin. Les volcans et leurs éruptions. Paris : Éd. du Pommier, 2010, 64 p. Cahiers de psychologie et éducation, n° 45. CAUVIN Sylvie & LEROUVILLOIS Gilles. Le pétrole de ses origines à son utilisation. Paris : Éd. du Pommier, 2010, 64 p. CORRIVEAU Lise, LETOR Caroline, PÉRISSET BAGNOUD Danièle & SAVOIE-ZAJC Lorraine (dir.). Travailler ensemble dans les établissements scolaires et de formation. Bruxelles : De Boeck, 2010, 198 p. COUTURE Christine & DIONNE Liliane (dir.). La formation et le développement professionnel des enseignants en sciences, technologie et mathématiques. Ottawa : presses de l’université ­d’Ottawa, 2010, 370 p. FABLET Dominique. De la suppléance familiale au soutien à la parentalité. Paris : L’Harmattan, 2010, 145 p. GHELIM Nora, INGRES Marie-Élisabeth & MOREAU Jennifer. Les métiers de l’humanitaire, du développement et de la diplomatie. Paris : Ellipse, 2009, 351 p. JUTRAS France. L’éducation à la citoyenneté. Enjeux socioéducatifs et pédagogiques. Québec : presses de l’Université du Québec, 241 p. LANI-BAYLE Martine & MALLET Marie-Anne (coord.). Événements et formation de la personne. Écarts internationaux et intergénérationnels, tome III : Vers de nouveaux horizons. Paris : L’Harmattan, 2010, 318 p. LAPOSTOLLE Guy & MABILON-BONFILS Béatrice. Fiches de sciences de l’éducation. Paris : Ellipse, 2010, 217 p. LESCURE Emmanuel de & FRÉTIGNÉ Cédric. Les métiers de la formation. Approches sociologiques. Rennes : PUR, 2010, 236 p. LOEFFEL Laurence. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2009, 136 p. MOUNIER-KUHN Pierre-Éric. L’informatique en France de la seconde guerre mondiale au Plan Calcul. L’émergence d’une science. Paris : Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2010, 718 p. POULLAOUEC Tristan. Le diplôme, arme des faibles. Les familles ouvrières et l’école. Paris : La Dispute, 2010, 147 p. Revista ibero-americana de educaçaõ, n° 51. ROBBES Bruno. L’autorité éducative dans la classe. Douze situations pour apprendre à l’exercer. Issyles-Moulineaux : ESF, 2010, 265 p. SAUVÉ Louise & KAUFMAN David (dir.). Jeux et ­simulations éducatifs. Études de cas et leçons apprises. Québec : presses de l’Université du Québec, 600 p. TRÉPANIER Nathalie & PARÉ Mélanie. Des modèles de service pour favoriser l’intégration scolaire. Québec : presses de l’Université du Québec, 363 p. Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 137 Summaries Laurent Cosnefroy – Getting to work and keeping on working: Troubles with self-regulation p. 5 Keywords (TESE): homework, learning strategy, autonomy, motivation, secondary school. This article tackles the issue of high-school students’ homework based on the theory of self-regulated learning. For our study, 202 ten-graders have answered an open question asked to better know the strategies they use to regulate their effort. Identifying the goals that give sense to the work; protecting themselves from being distracted; and planning the work to be done are three key-skills to self-regulation. Comparing low achievers with good students shows that the latter have developed far more work planning and organizing skills in their work. Carine Guérandel & Fabien Beyria – Mixed-sex PE class in a junior high school in a deprived area: The two genders getting further away and closer together p. 17 Keywords (TESE): physical education, disadvantaged background, gender, teaching practice. This article analyses the construction process of coeducation in PE class based on an ethnographic-type survey (observations and interviews) that was conducted in a junior high school in a deprived area (ZEP) situated in the middle of council-flat buildings. The results show that the two genders separately appropriate space and sounds as well as sport equipment and practices. Generally the teachers’ teaching practices tend to confirm the distance and hierarchy between boys and girls. Nevertheless the study presents some ways to pass on information that would moderate the hierarchy within the group, as well as the differentiated involvements of girls and boys. Samuel Julhe & Stéphanie Mirouse – Join the dance: Differences of “relevance systems” between children, parents and teachers p. 31 Keywords (TESE): sociology of education, adult-child relation, leisure education, physical education. The picture of “the young ballerina” or the young “opera ballet student” is widely mentioned in the works focusing on dancers. Yet little focus specifically on the first years of learning dance. This article reports a long-term ethnographic work done on two groups of young beginner dancers aged 4 to 11. It aims more precisely to use Alfred Schütz’s conceptualizations to get to the meaning that children, parents and teachers give to dancing. The notion of “relevance systems” and its correlatives allow to better grasp the tension and negotiation fields that derive from their different ways of conceiving it. Revue Française de Pédagogie | n° 170 | janvier-février-mars 2010 Céline Piquée – Teaching practices on low achievers in classes getting contrasting results p. 43 Keywords (TESE): teacher, teaching practice, learning difficulty, primary education. When analyzing school inequalities, numerous works denounce the perverse effects of aids given to low achievers: Stigmatization processes, impoverished contents, less numerous learning opportunities, etc. And yet in some classes low-achieving students progress a lot more than in other classes. To understand the differences in those classes, we have looked into the teaching practices on those students. This article reports analyses based on the link between a quantitative approach – allowing to measure the efficiency of a sample of onehundred first-grade classes (first year of compulsory schooling) – and a qualitative approach allowing the characterization of teaching practices, on a subsample of eight classes with contrasting results. The findings confirm previous works’ findings and highlight the lowachievers’ essential integration into the group of students, thanks to a conception of teaching that tightly links socialization and learning. Alexis Spire – The effects in politics of the changes in the teaching profession p. 61 Keywords (TESE): sociology of education, career advancement, teacher status, teacher salary, political party. Based on a statistical survey conducted in primary and secondary schools, this article analyses the relationship that today’s teachers have with their jobs and politics. Focusing on the gender as well as social and educational background differences, the author shows that a generation gap exits and it is so for this entire social group. On the one hand the teachers who started at the end of the 1970’s are less pleased with their income, more critical towards the actual level of their students and more left-wing oriented. On the other hand those who started teaching in the 1990’s and later are more satisfied with their status, not nostalgic for the students of yesteryear and have less definite political orientation than their older colleagues. Pierre Merle – Structure and dynamics of social segregation in the junior high schools of Paris Keywords (TESE): social exclusion, school distribution, equal opportunity, public education, private education. This article studies the changes in social segregation in the Parisian private and state junior high schools from 2005 to 2008. It is based on a secondary analysis of IPES (Indicators for running comprehensive schools) data base. The three following conclusions can be drawn from this analysis: A minority of junior-high schools, which have no problem recruiting or are very popular, highly contribute to the overall segregation. The interschool social segregation was stable between 2005 and 2006 but increased in the beginning of the 2007 and 2008 school years as school boundaries were being more flexible. The private schools – which have no boundaries – have higher social segregation and contribute a lot more to increasing this social segregation in state schools. Those findings show the increasing influence of the norm of mingling with your own kind at school and at the same time a decline of the principles and practices of social mixing in the junior-high schools of Paris. 140 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 p. 73 Marie-Pierre Chopin – The uses of “time” in teaching research programmes Keywords (TESE): taught time, learning pace, taught time effectiveness, arrangement of school time, teaching practice. There are numerous and disparate praxeological, even prescriptive perspectives that are drawn from the question of time at school: Longer or shorter school-days; rationalizing the teachers’ work-time; individualizing the students’ learning periods, etc. The time issue is a tenacious leitmotif and regularly comes back in debates over schools. Each time it raises intense hope of change. Inventorying the works on this subject has revealed its repetition/reconstructing element. It is also a necessary step to clarify the basis and limits for initiatives aiming at setting time as a key-element to the betterment of the teaching system. p. 87 Summaries 141 Resúmenes Laurent Cosnefroy – Ponerse a trabajar y permanecer en ello: los tormentos de la autorregulación p. 5 Palabras clave (TESE): deberes, estrategia de aprendizaje, autonomía, motivación, centro de educación secundaria. Este artículo estudia el trabajo en casa de los alumnos de instituto refiriéndose a la teoría del aprendizaje autorregulado. Durante nuestro estudio, 202 alumnos de cuarto de ESO respondieron a una pregunta abierta con el fin de conocer mejor las estrategias utilizadas para regular el esfuerzo. Identificar metas que dan un sentido al trabajo, protegerse de la distracción y planificar el trabajo que se debe hacer constituyen tres competencias clave para autorregularse. La comparación entre alumnos en dificultad y buenos alumnos pone de manifiesto que los segundos desarrollaron muchas más competencias de planificación y de organización del trabajo. Carine Guérandel & Fabien Beyria – La mixidad en las clases de educación física en un colegio en ZEP (zona de educación prioritaria): entre distancia y acercamiento de los sexos p. 17 Palabras clave (TESE): educación física, contexto desfavorecido, sexo, práctica docente. Este artículo analiza los procesos de construcción de la mixidad en las clases de Educación física a partir de una encuesta de tipo etnográfico (observaciones y entrevistas), realizada en un colegio ubicado en Zona de educación prioritaria (ZEP), en el corazón de un barrio de viviendas sociales. Los resultados muestran una apropiación sexuada por los alumnos del espacio físico y sonoro, de las prácticas y del material. Generalmente, las prácticas pedagógicas de los profesores tienden a reforzar la distancia y la jerarquía entre los chicos y las chicas: se adaptan las consignas, las actividades y las expectativas al sexo del alumno. Sin embargo el estudio presenta algunos modos de transmisión que llevan a matizar las jerarquías en la clase, así como el empeño diferenciado de chicas y chicos. Samuel Julhe & Stéphanie Mirouse – Entrar en el baile: divergencia de los “sistemas de pertinencia” entre niños, padres y profesores p. 31 Palabras clave (TESE): sociología de la educación, relación niño-adulto, educación para el ocio, educación física. La imagen de la “joven bailarina” o del “pequeño ‘rat’ de la ópera” se evoca de manera amplia en el conjunto de trabajos que se refieren a los bailarines. Sin embargo pocos se interesaron por los primeros años de aprendizaje del baile. Este artículo presenta específicamente un trabajo etnográfico que duró años observando a dos grupos de jóvenes bailarinas principiantes, de 4 a 11 años de edad. El artículo recurre más particularmente a las conceptualizaciones de Alfred Schütz para estudiar el sentido que niños, padres y profesores dan a la práctica del baile. En particular, la noción de “sistema de pertinencia” y sus correlatos permiten aprehender mejor los espacios de tensión y de negociación que pueden nacer de las diferencias de concepción entre dichos actores. Revue Française de Pédagogie | n° 170 | janvier-février-mars 2010 Céline Piquée – Prácticas docentes respecto a los alumnos en dificultad en las clases con eficacia contrastada Palabras clave (TESE): profesor, práctica docente, dificultades de aprendizaje, educación primaria. En el análisis de las desigualdades escolares, numerosos trabajos denuncian los efectos perversos de la ayuda a los alumnos en dificultad: proceso de estigmatización, contenidos pobres, oportunidades de aprendizaje menos numerosas, etc. Sin embargo, en algunas clases, los alumnos en dificultad progresan mucho más que en otras. Para entender lo que diferencia dichas clases, estudiamos las prácticas docentes respecto a esos alumnos. Este artículo presenta análisis fundados en la articulación de un enfoque cuantitativo, permitiendo una medida de la eficacia respecto a una muestra de cien clases de primer año de educación primaria (primer año de enseñanza obligatoria) y de un enfoque cualitativo que permite la caracterización de las prácticas docentes, con una sub-muestra de ocho clases con eficacia contrastada. Los resultados confirman los trabajos anteriores y ponen de manifiesto la integración esencial de los alumnos en dificultad en el grupo clase, gracias a una concepción de la enseñanza que asocia estrechamente socialización y aprendizaje. Alexis Spire – Los efectos políticos de las transformaciones del cuerpo docente Palabras clave (TESE): sociología de la educación, desarrollo profesional, estatus del profesor, salario del profesor, partido politico. A partir de una encuesta estadística realizada en la enseñanza primaria y secundaria, este artículo analiza la relación que los docentes de hoy establecen con su oficio y con la política. Al interesarse por las diferencias de género, de origen social y de trayectoria, el autor muestra la existencia de un clivaje generacional que atraviesa todo este grupo social. Por una parte, los docentes reclutados a finales de los años 1970 son los que están menos satisfechos de su sueldo, los más críticos respecto al nivel actual de los alumnos y los que se posicionan más a la izquierda. Por otra parte, los que tuvieron un puesto a partir de los años 1990 se muestran más satisfechos con su estatuto, no echan de menos a los alumnos de antaño y se inclinan menos que sus mayores por la elección de un campo político. Pierre Merle – Estructura y dinámica de la segregación social en los colegios parisinos Palabras clave (TESE): exclusión social, mapa escolar, igualdad de oportunidades, educación pública, educación privada. Este artículo estudia la evolución de la segregación social en los colegios parisinos públicos y privados de 2005 a 2008, a partir de un estudio secundario de la base IPES (Indicadores para el pilotaje de los establecimientos secundarios). El análisis confirma los tres resultados siguientes: una minoría de colegios, con un reclutamiento en las clases muy acomodadas o en las clases muy populares, participa de forma fuerte en la segregación global. Estable entre 2005 y 2006, la segregación social inter-colegios está en crecimiento durante las vueltas al colegio ulteriores (2007 y 2008), paralelamente a la aplicación de la flexibilidad de la carta escolar. El sector privado, que no se somete a la carta escolar, se caracteriza por una segregación social más fuerte y participa de manera más amplia que el sector p. 43 p. 61 p. 73 Resúmenes 143 público en el aumento de dicha segregación. Estos resultados revelan la influencia creciente de una norma del entre-si escolar y, de forma concomitante, un retroceso de los principios y prácticas de mixidad social en los colegios parisinos. Marie-Pierre Chopin – Las usanzas del “tiempo” en las investigaciones sobre la enseñanza Palabras clave (TESE): horario lectivo, ritmo de aprendizaje, eficacia del horario lectivo, organización del horario escolar, práctica docente. Las perspectivas praxeológicas, incluso prescriptivas, que se esbozan a partir de la cuestión temporal en el campo escolar son numerosas y heteróclitas: tiempo de enseñanza que se alarga o se acorta, racionalización del tiempo laboral de los docentes, individualización de los tiempos de aprendizaje de los alumnos, etc. Leitmotiv tenaz, la temática del tiempo surge de manera regular en los discursos sobre la escuela y suscita cada vez intensas esperanzas de cambio. El inventario de los trabajos realizados a su propósito hace aparecer ese fenómeno de repetición/recomposición. Asimismo constituye una etapa imprescindible para la clarificación de los fundamentos y de los límites de la empresa que trata de instituir el tiempo como una variable clave del mejoramiento del sistema de enseñanza. 144 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 p. 87 Zusammenfassungen Laurent Cosnefroy – Sich an die Arbeit machen und dabei bleiben: die Qualen der Selbstregulierung p. 5 Schlüsselwort (TESE): Hausaufgabe, Lernstrategie, Autonomie, Motivation, Sekundarschule. Dieser Artikel befasst sich mit der Hausarbeit der Gymnasiasten und bezieht sich dabei auf die Theorie des sebstregulierten Lernens. Bei unserer Studie haben 202 Gymnasiasten eine offene Frage beantwortet, damit wir die Strategien besser kennen, die sie benutzen, um ihre Anstrengungen zu regulieren. Die Ziele erkennen, die der Arbeit einen Sinn geben, sich vor Zerstreuungen schützen, und die zu bewältigende Arbeit planen sind drei Schlüssel­ kompetenzen, um sich selbst zu regulieren. Ein Vergleich zwischen Schülern mit Schwierigkeiten und guten Schülern zeigt, dass Letztere die Fähigkeiten zur Planung und Organisierung viel weiter entwickelt haben. Carine Guérandel & Fabien Beyria – Koedukation im Sportunterricht in einer ZEP: zwischen Abstand und Annäherung der Geschlechter p. 17 Schlüsselwort (TESE): Leibeserziehung, herkunftsbedingte Schlechterstellung, Geschlecht, Unterrichtspraxis. Dieser Artikel analysiert den Prozess des Aufbaus der Koedukation im Sportunterricht durch eine ethnographisch-ähnliche Untersuchung (Beobachtung und Gespräche). Diese Untersuchung wurde in einer Zone d’Education Prioritaire (schulpolitischen Förderzone) mitten in einem Sozialbau-Viertel geführt. Die Ergebnisse zeigen eine geschlechtlich-orientierte Aneignung des physischen Raums, der Geräuschkulisse, der Praktiken und des Materials durch die Schüler. Im Allgemeinen tendieren die pädagogischen Lehrpraktiken dazu, den Abstand und die Hierarchie zwischen Jungen und Mädchen zu bestärken: Aufgaben, Aktivitäten und Erwartungen sind dem Geschlecht der Schüler angepasst. Dennoch zeigt die Untersuchung einige Vermittlungsmodi, die die Klassenhierarchie sowie das unterschiedliche Engagement zwischen Jungen und Mädchen nuancieren. Samuel Julhe & Stéphanie Mirouse – Mit Tanzen anfangen: Diskrepanz zwischen „Relevanzsystemen“ bei Kindern, Eltern und Lehrern p. 31 Schlüsselwort (TESE): Bildungssoziologie, Erwachsener-Kind-Beziehung, Freizeit­ pädagogik, Leibeserziehung. Das Bild der „jungen Balletttänzerin“ oder des „petit rat de l’opéra“ ist in sämtlichen Arbeiten über Tänzer sehr verbreitet. Dennoch haben sich wenige Arbeiten spezifisch für die ersten Tanzlehrjahre interessiert. Dieser Artikel berichtet über eine langjährige ethnographische Arbeit bei zweier Gruppen junger Anfängerinnen (4- bis 11-jährige Tänzerinnen). Der Artikel nimmt sich vor, insbesondere die Auffassungen des Alfred Schütz in Betracht zu ziehen, um die Bedeutung zu erfassen, die Kinder, Eltern und Lehrer dem Tanzen beimessen. Der Begriff des „Relevanzsystems“ und seine Korrelate erlauben uns, die Anspannungen und Verhandlungen besser zu erfassen, die sich aus den Auffassungsunterschieden zwischen diesen drei Gruppen ergeben können. Revue Française de Pédagogie | n° 170 | janvier-février-mars 2010 Céline Piquée – Lehrpraktiken gegenüber Schüler mit Schwierigkeiten in Klassen mit unterschiedlicher Effizienz Schlüsselwort (TESE): Lehrer, Unterrichtspraxis, Lernschwierigkeit, Primarbildung. Bei der Analyse der schulischen Ungleichheiten prangern mehrere Arbeiten die unerwünschten Wirkungen von der Hilfe für Schüler mit Schwierigkeiten an: Stigmatisierung, Reduzierung des Lernstoffs, seltenere Lerngelegenheiten usw. Wie dem auch sei, in gewissen Klassen machen Schüler mit Schwierigkeiten mehr Fortschritte als in anderen. Um zu verstehen, wodurch sich diese Klassen auszeichnen, haben wir die Lehrpraktiken gegenüber den Schülern näher betrachtet. Der Artikel berichtet über Analysen, die auf dem Zusammenspiel zwischen einer quantitativen Vorgehensweise beruhen, die die Effizienz einer Probegruppe von hundert 1er Klassen messen will, und einer qualitativen Vorgehensweise bei einer kleineren Probegruppe von 8 Klassen mit unterschiedlicher Effizienz. Die Ergebnisse bestätigen vorherige Arbeiten und heben die unentbehrliche Integration der Schüler mit Schwierigkeiten in die Klasse hervor, dank einer Lehrauffassung, die Sozialisierung und Lernen eng miteinander verbindet. Alexis Spire – Politische Auswirkungen des Wandels des Lehrkörpers Schlüsselwort (TESE): Bildungssoziologie, beruflicher Aufstieg, Lehrerstatus, Lehrergehalt, politische Partei. Aus einer statistischen Untersuchung heraus, die im Primar- und Sekundarbereich geführt wurde, analysiert dieser Artikel das Verhältnis, das Lehrer heutzutage zum eigenen Beruf und zur Politik haben. Durch die Geschlechtsunterschiede, die Unterschiede in der sozialen Herkunft und in der beruflichen Laufbahn beweist der Autor die Existenz einer Generationenspaltung, die sich durch diese gesamte soziale Gruppe einreißt. Einerseits sind die Lehrer, die am Ende der 70er Jahre eingestellt wurden, am wenigsten mit ihrem Lohn zufrieden, am kritischsten gegenüber dem aktuellen Niveau der Schüler und am häufigsten linksorientiert. Andererseits geben sich die Lehrer, die ab den 90er Jahren angefangen haben, mit ihrem Status eher zufrieden, haben keinerlei Nostalgie nach dem ehemaligen Musterschüler und neigen weniger dazu als ihre älteren Kollegen, Partei für ein politisches Lager zu ergreifen. Pierre Merle – Struktur und Dynamik der sozialen Segregation an Pariser Mittelschulen (Collèges) Schlüsselwort (TESE): soziale Ausgrenzung, Schuldichte, Chancengleichheit, öffentliches Bildungswesen, privates Bildungswesen. Dieser Artikel analysiert die Entwicklung der sozialen Segregation an den öffentlichen und privaten Pariser Mittelschulen (Collèges) von 2005 bis 2008 auf Grund einer Sekundärauswertung der IPES Datenbank (Indikatoren zur Leitung der Lehranstalten im Sekundarbereich). Die Analyse führt zu folgenden Ergebnissen: eine Minderheit von Collèges die entweder sehr wohlhabende Schüler oder Schüler aus sehr bescheidenen Verhältnissen rekrutieren, beteiligt sich sehr stark an der globalen Segregation. Zwischen 2005 und 2006 ist die soziale Segregation zwischen Collèges stabil aber sie wächst bei den nächsten Schulanfängen (2007 und 2008) parallel zur Lockerung der Carte 146 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 p. 43 p. 61 p. 73 Scolaire*. Die privaten Schulen, die der Carte Scolaire nicht unterliegen, werden durch eine stärkere soziale Segregation charakterisiert und beteiligen sich mehr an dieser Segregation als die öffentlichen Schulen. Diese Ergebnisse zeigen den wachsenden Einfluss einer Norm der Nicht-Vermischung in der Schule und gleichzeitig ein Verschwinden der Prinzipien und Praktiken der sozialen Vermischung an Pariser Collèges. Marie-Pierre Chopin – Der Gebrauch der „Zeit“ in Forschungen übers Unterrichtswesen Schlüsselwort (TESE): Unterrichtszeit, Lerntempo, Wirksamkeit der Unterrichtszeit, Regelung der Schulzeit, Unterrichtspraxis. Die praxeologischen, ja sogar vorschriftsmäßigen Perspektiven, die man aus der Zeitfrage im schulischen Rahmen herleiten kann, sind zahlreich und vielförmig: Verlängerung oder Verkürzung der Lehrzeit, Rationalisierung der Arbeitszeit der Lehrer, Individualisierung der Lernzeit der Schüler, usw. Die Thematik der Zeit ist ein hartnäckiges Leitmotiv, taucht oft in Reden über die Schule auf und schürt dabei jedes Mal erneut große Hoffnungen auf Veränderung. Ein Überblick über diesbezügliche Forschungsarbeiten lässt dieses Phänomen der Wiederholung/Neugestaltung erscheinen. Es stellt ebenso eine unentbehrliche Etappe in der Klärung der Grundlagen und Grenzen des Unternehmens dar, das dazu tendiert, die Zeit als eine Schlüsselvariable in der Verbesserung des Schulsystems einzurichten. p. 87 *Die Carte dient der Verteilung von Schülern und Lehrern in einem gewissen geographischen Bereich. Seit der Einführung des Collège unique 1990, alle Schüler sind zusammen bis einschließlich der neunten Klasse, sorgt die Carte Scolaire theoretisch zusätzlich für eine soziale Vermischung der Schüler. Zusammenfassungen 147 La Revue française de pédagogie présente ses plus vifs remerciements à tous les collègues, membres du comité de rédaction ou du comité scientifique, ou extérieurs à la revue, qui ont accepté de collaborer aux travaux d’expertise qui leur ont été soumis pendant l’année 2009. Virginie Albe, Chantal Amade-Escot, René Amigues, Anne Barrère, Stéphane Beaud, Ania Beaumatin, ­ aymond Bourdoncle, Pascal Bressoux, Gilles Brougère, Olivier Broussouloux, Marc Bru, Sylvie Cadolle, R Cécile Carra, Saint-Cyr Chardon, Jean-Émile Charlier, Anne-Marie Chartier, Élisabeth Chatel, Pierre Clément, Laurent Cosnefroy, Marcel Crahay, Jacques Crinon, Céline Darnon, Jacques David, Bertrand Daunay, Jean-Marie De Ketele, Jean-Manuel De Queiroz, Jérôme Deauvieau, Isabelle Delcambre, Philippe Dessus, Christine Détrez, Xavier Dumay, Vincent Dupriez, Marie Duru-Bellat, Yves Dutercq, Jean Écalle, Valérie Erlich, Dominique Épiphane, Georges Felouzis, Agnès Florin, Cédric Fluckiger, Daniel Gaonac’h, Jacqueline Gautherin, Yves Girault, Hélène Gispert, Florence Giust-Desprairies, Dominique Glasman, Gaële Goastellec, Zohra Guerraoui, Denis Hauw, Viviane Isambert-Jamati, Yveline Jaboin, Jean-Pierre Jaffré, Prisca Kergoat, Lucile Lafont, Marceline Laparra, Joël Lebeaume, Claudine Leleux, Yvon Léziart, Catherine Louveau, Danièle Manesse, Éric Mangez, Annie Mansy, Claire Margolinas, Jean-Louis Martinand, Patrick Mayen, Alain Mercier, Michèle Métoudi, Benjamin Moignard, Christian Nidegger, Élisabeth Nonnon, Marco Oberti, Tania Ogay, Dominique Ottavi, Pierre Périer, Christiane Perregaux, Marie-Jeanne Perrin-Glorian, Henri Peyronie, Éric Plaisance, Marie-Paule Poggi-Combaz, Patrick Rayou, Maryse Rebière, Martine Rémond, Bernard Rey, Luc Ria, Thierry Rocher, Marc Romainville, José Rose, Claire Safont-Mottay, Emmanuel Sander, Bruno Suchaut, Maurice Tardif, Valérie Tartas, Catherine Tauveron, Thierry Terret, Daniel Thin, Nicole TutiauxGuillon, Aliette Vérillon, Cécile Vigneron, Isabelle Vinatier, Jacques Wallet, Annick Weil-Barais. Table des articles, notes de synthèse et notes critiques paru(e)s dans la Revue française de pédagogie en 2009 (nos 166, 167, 168 & 169) ARTICLES Albero Brigitte & Thibault Françoise La recherche française en sciences humaines et sociales sur les technologies en éducation 169 p. 53-66 Bézu Pascale Construction des premières compétences orthographiques : proposition d’un schéma explicatif 168 p. 5-17 Bonnéry Stéphane Scénarisation des dispositifs pédagogiques et inégalités d’apprentissage 167 p. 13-23 Brisset Christine, Berzin Christine, Villers Alain & Volck Annie Améliorer la réussite des élèves en difficulté par les aides spécialisées 167 p. 73-83 Chardon Saint-Cyr Soutien en lecture en troisième année de cycle 2 : évaluation de deux dispositifs contrastés 168 p. 19-37 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 149-153 François Jean-Christophe & Poupeau Franck Le sens du placement scolaire : la dimension spatiale des inégalités sociales 169 p. 77-97 Garnier Pascale Préscolarisation ou scolarisation ? L’évolution institutionnelle et curriculaire de l’école maternelle 169 p. 5-15 Gasparini Rachel, Joly-Rissoan Odile & Dalud-Vincent Monique Variations sociales des représentations de l’autonomie dans le travail scolaire chez les collégiens et lycéens 168 p. 93-109 Giuliani Frédérique Éduquer les parents ? Les pratiques de soutien à la parentalité auprès des familles socialement disqualifiées 168 p. 83-92 Guibert Pascal & Michaut Christophe Les facteurs individuels et contextuels de la fraude aux examens universitaires 169 p. 43-52 Hugrée Cédric Les classes populaires et l’université : la licence… et après ? 167 p. 47-58 Joigneaux Christophe La construction de l’inégalité scolaire dès l’école maternelle 169 p. 17-28 Kamunzinzi Masengesho, De Ketele Jean-Marie & Bonami Michel Les visées de l’action de planification en éducation 167 p. 85-100 Larré Françoise La mise en incitation des enseignants : solution théorique ou réponse pragmatique ? 166 p. 27-43 Leleux Claudine La discussion à visée philosophique pour développer le jugement moral et citoyen ? 166 p. 71-87 Lemaître Denis Le curriculum des grandes écoles en France : un modèle d’analyse inspiré de Basil Bernstein 166 p. 17-26 Misset Séverine Proximité professionnelle et distance scolaire : les jeunes ouvriers qualifiés et leurs trajectoires 167 p. 59-71 Monnier Nathalie & Amade-Escot Chantal L’activité didactique empêchée : outil d’intelligibilité de la pratique enseignante en milieu difficile 168 p. 59-73 Moussay Sylvie, Étienne Richard & Méard Jacques Le tutorat en formation initiale des enseignants : orientations récentes et perspectives méthodologiques 166 p. 59-69 Orange Sophie Un « petit supérieur » : pratiques d’orientation en sections de technicien supérieur 167 p. 37-45 Poullaouec Tristan & Lemêtre Claire Retours sur la seconde explosion scolaire 167 p. 5-11 150 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Power Sally Le New Labour et la troisième voie : une évolution de la politique de l’éducation pour une évolution de la classe moyenne 166 p. 5-16 Renard Fanny Des lectures lycéennes inopportunes en contexte scolaire 167 p. 25-36 Roques Pierre, Strayer Floyd Francis, Jeunier Benoît & Talbot Laurent Gestion de l’espace interpersonnel chez les enfants de petite section de maternelle 169 p. 29-42 Sensevy Gérard Étude d’un enseignement de la lecture au CP : esquisse d’articulation de divers types d’analyse 168 p. 39-58 Venturini Patrice & Cappiello Pascale Comparaison des rapports aux savoirs de la physique et des SVT 166 p. 45-58 Veyrunes Philippe & Saury Jacques Stabilité et auto-organisation de l’activité collective en classe : exemple d’un cours dialogué à l’école primaire 169 p. 67-76 Vincent Guy Les types sociologiques d’éducation selon Max Weber 168 p. 75-82 NOTES DE SYNTHÈSE Dumay Xavier Efficacité des modes locaux de coordination et de gestion des établissements 167 p. 101-128 Mons Nathalie Effets théoriques et réels des politiques d’évaluation standardisée 169 p. 99-140 Saussez Frédéric & Lessard Claude Entre orthodoxie et pluralisme, les enjeux de l’éducation basée sur la preuve 168 p. 111-136 Wanlin Philippe La pensée des enseignants lors de la planification de leur enseignement 166 p. 89-128 NOTES CRITIQUES Abécassis Frédéric, Boyer Gilles, Falaize Benoit, Meynier Gilbert, Zancarini-Fournel Michelle / Bonafoux Corinne, De Cock-Pierrepont Laurence, Falaize Benoit / Bossy Jean-François La France et l’Algérie : leçon d’histoire. De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial / Mémoires et histoire à l’École de la République. Quels enjeux ? / Enseigner la Shoah à l’âge démocratique. Quels enjeux ? (C. Heimberg) 168 p. 139-140 Tables 151 Astolfi Jean-Pierre La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre (A.-M. DrouinHans) 167 p. 129-130 Bantigny Ludivine Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie (A. Prost) 166 p. 129-130 Blandin Bernard Les environnements d’apprentissage (É. Sanchez) 168 p. 137-138 Breviglieri Marc & Cicchelli Vincenzo (dir.) Adolescences méditerranéennes. L’espace public à petits pas (B. Fondeville) 166 p. 130-131 Bulle Nathalie L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en France (D. Ottavi) 169 p. 141-143 Butlen Denis Le calcul mental entre sens et technique (É. Roditi) 166 p. 131-133 Calenge Bertrand Bibliothèques et politiques documentaires à l’heure d’Internet (C. Étévé) 169 p. 143-144 Carlier Michèle & Ayoun Catherine Déficiences intellectuelles et intégration sociale (D. Mellier) 168 p. 138-139 Chabrol Claude & Radu Miruna Psychologie de la communication et persuasion (P. Vrignaud) 166 p. 133-136 Demeuse Marc, Frandji Daniel, Greger David & Rochex Jean-Yves Les politiques d’éducation prioritaires en Europe. Conceptions, mises en œuvre, débats (R. Gasparini) 167 p. 130-131 Derouet Jean-Louis & Normand Romuald L’Europe de l’éducation : entre management et politique (X. Pons) 167 p. 131-133 Draelants Hugues Réforme pédagogique et légitimation. Le cas d’une politique de lutte contre le redoublement (J.-J. Paul) 169 p. 145-146 Ernst Sophie Quand les mémoires déstabilisent l’école. Mémoire de la Shoah et enseignement (B. Rey) 168 p. 140-143 Foray Philippe La laïcité scolaire. Autonomie individuelle et apprentissage du monde commun (L. Loeffel) 169 p. 146-147 Forquin Jean-Claude Sociologie du curriculum (É. Mangez) 168 p. 143-145 Frandji Daniel & Vitale Philippe Actualité de Basil Bernstein. Savoir, pédagogie et société (J.-C. Forquin) 167 p. 134-139 Garnier Bruno / Les Compagnons Les combattants de l’école unique / L’Université nouvelle [édition critique par Bruno Garnier] (P. Kahn) 168 p. 145-147 Gonnin-Bolo Annette Parcours professionnels. Des métiers pour autrui entre contraintes et plaisir (F. Lantheaume) 168 p. 147-149 152 Revue française de pédagogie | 170 | janvier-février-mars 2010 Guibert Pascal, Lazuech Gilles & Rimbert Franck Enseignants débutants. « Faire ses classes ». L’insertion professionnelle des professeurs du second degré (A. Barrère) 169 p. 147-149 Lahire Bernard La raison scolaire. École et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir (E. Rockwell) 166 p. 136-138 Lantheaume Françoise & Hélou Christophe La souffrance des enseignants. Une sociologie pragmatique du travail enseignant (P. Guibert) 169 p. 149-150 Lenoir Yves & Pastré Pierre Didactique professionnelle et didactiques disciplinaires en débat (É. Nonnon) 169 p. 150-153 Lessard Claude & Meirieu Philippe (dir.) L’obligation de résultats en éducation. Évolutions, perspectives et enjeux internationaux (R. Normand) 166 p. 138-141 Maillard Fabienne (dir.) Des diplômes aux certifications professionnelles (T. Poullaouec) 167 p. 139-141 Mangez Éric Réformer les contenus d’enseignement. Une sociologie du curriculum (P. Vitale) 169 p. 153-156 Merri Maryvonne Activité humaine et conceptualisation. Questions à Gérard Vergnaud (M.-J. PerrinGlorian) 168 p. 149-154 Mohammed Marwan & Mucchielli Laurent Les bandes de jeunes. Des « blousons noirs » à nos jours (V. Bordes) 169 p. 156-158 Perrenoud Philippe, Altet Marguerite, Lessard Claude & Paquay Léopold (dir.) Conflits de savoirs en formation des enseignants. Entre savoirs issus de la recherche et savoirs issus de l’expérience (L. Talbot) 166 p. 141-143 Roger Jean-Luc Refaire son métier. Essai clinique de l’activité (F. Lantheaume) 167 p. 141-142 Savidan Patrick Repenser l’égalité des chances (J.-C. Forquin) 167 p. 142-146 Schärer Michèle Friedrich Fröbel et l’éducation préscolaire en Suisse romande : 1860-1925 (L. Chalmel) 167 p. 146-148 Testu François Rythmes de vie et rythmes scolaires : aspects chronobiologiques et chronopsychologiques (C. Leconte) 166 p. 143-144 Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe (V. Becquet) 169 p. 158-160 Les manuels scolaires, miroirs de la nation ? (B. Dancel) 166 p. 144-146 Van de Velde Cécile Verdelhan-Bourgade Michèle, Bakhouche Béatrice, Boutan Pierre & Étienne Richard (coord.) Tables 153 Bulletin d’abonnement 4 numéros par an à retourner à : INRP • Service des publications • Abonnements 19, allée de Fontenay • BP 17424 • F-69347 LYON CEDEX 07 Tél. +33 (0)4 72 76 61 66/63 • [email protected] • www.inrp.fr Nom................................................................................................................................................................................. ou établissement .................................................................................................................................................. Adresse ........................................................................................................................................................................ ............................................................................................................................................................................................. Localité ............................................................................................... Code postal ........................................... Téléphone ............................................. e-Mail .................................................................................................... Pays ........................................................... Date / Signature ou cachet .................. abonnement(s) x .....................prix unitaire = ....................... euros TTC Demande d’attestation de paiement : oui non La revue existe aussi en version électronique, se référer au bulletin spécifique. Abonnement 1 an (tarif sept. 2009) France métropolitaine & Corse 54,00 € TTC DOM (sauf Guyane) 53,45 € TTC Guyane & TOM 52,89 € TTC Étranger 64,00 € TTC le numéro 17,00 € TTC Tout bulletin d’abonnement doit être accompagné d’un titre de paiement libellé à l’ordre du régisseur des recettes de l’INRP. Cette condition s’applique également aux commandes émanant de services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics nationaux et locaux (texte de référence : décret du 29 décembre 1962, instruction M9.1, article 169, relatif au paiement d’abonnements à des revues et périodiques). Une facture pro forma sera émise sur demande. Seul, le paiement préalable de son montant entraînera l’exécution de la commande. Ne pas utiliser ce bon pour un réabonnement, une facture pro forma vous sera adressée à l’échéance. Abonnement édition électronique 4 numéros par an à retourner à : INRP • Service des publications • Abonnements 19, allée de Fontenay • BP 17424 • F-69347 LYON CEDEX 07 Tél. +33 (0)4 72 76 61 66/63 • [email protected] • www.inrp.fr Nom................................................................................................................................................................................. ou établissement .................................................................................................................................................. Adresse ........................................................................................................................................................................ ............................................................................................................................................................................................. Localité ............................................................................................... Code postal ........................................... Téléphone ............................................. e-Mail .................................................................................................... Pays ........................................................... Date / Signature ou cachet .................. abonnement(s) x .....................prix unitaire = ....................... euros TTC Demande d’attestation de paiement : Tarif abonnement 1 an (tarif sept. 2009) oui édition électronique seule non édition électronique + papier France métropolitaine & Corse 54,00 € TTC 75,60 € TTC DOM (sauf Guyane) 54,00 € TTC 75,22 € TTC Guyane & TOM 45,15 € TTC 68,63 € TTC Étranger 64,00 € TTC 89,60 € TTC Tout bulletin d’abonnement doit être accompagné d’un titre de paiement libellé à l’ordre du régisseur des recettes de l’INRP. Cette condition s’applique également aux commandes émanant de services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics nationaux et locaux (texte de référence : décret du 29 décembre 1962, instruction M9.1, article 169, relatif au paiement d’abonnements à des revues et périodiques). Une facture pro forma sera émise sur demande. Seul, le paiement préalable de son montant entraînera l’exécution de la commande. Ne pas utiliser ce bon pour un réabonnement, une facture pro forma vous sera adressée à l’échéance. Bulletin d’abonnement groupé 4 numéros par an + 3 numéros par an à retourner à : INRP • Service des publications • Abonnements 19, allée de Fontenay • BP 17424 • F-69347 LYON CEDEX 07 Tél. +33 (0)4 72 76 61 66/63 • [email protected] • www.inrp.fr Nom................................................................................................................................................................................. ou établissement .................................................................................................................................................. Adresse ........................................................................................................................................................................ ............................................................................................................................................................................................. Localité ............................................................................................... Code postal ........................................... Téléphone ............................................. e-Mail .................................................................................................... Pays ........................................................... Date / Signature ou cachet .................. abonnement(s) groupés x .....................prix unitaire = ....................... euros TTC Demande d’attestation de paiement : oui non Abonnement groupé RFP + Recherche et formation 1 an (tarif sept. 2009) France métropolitaine & Corse 82,80 € TTC DOM (sauf Guyane) 82,31 € TTC Guyane & TOM 80,02 € TTC Étranger 97,20 € TTC Tout bulletin d’abonnement doit être accompagné d’un titre de paiement libellé à l’ordre du régisseur des recettes de l’INRP. Cette condition s’applique également aux commandes émanant de services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics nationaux et locaux (texte de référence : décret du 29 décembre 1962, instruction M9.1, article 169, relatif au paiement d’abonnements à des revues et périodiques). Une facture pro forma sera émise sur demande. Seul, le paiement préalable de son montant entraînera l’exécution de la commande. Ne pas utiliser ce bon pour un réabonnement, une facture pro forma vous sera adressée à l’échéance. Vente au numéro 4 numéros par an à retourner à : INRP • Service des publications • Vente à distance 19, allée de Fontenay • BP 17424 • F-69347 LYON CEDEX 07 Tél. +33 (0)4 72 76 61 64 • [email protected] • www.inrp.fr Nom................................................................................................................................................................................. ou établissement .................................................................................................................................................. Adresse ........................................................................................................................................................................ ............................................................................................................................................................................................. Localité ............................................................................................... Code postal ........................................... Téléphone ............................................. e-Mail .................................................................................................... Pays ........................................................... Date / Signature ou cachet Numéro(s) commandé(s)............................................................................................................................... .................. numéro(s) x .....................prix unitaire = ....................... euros TTC Demande d’attestation de paiement : oui non Vente en ligne au numéro sur www.inrp.fr/publications/catalogue/web/ Prix du numéro • Tarif au 1er septembre 2009 Le numéro (France) 17,00 € TTC Toute commande doit être accompagné d’un titre de paiement libellé à l’ordre du régisseur des recettes de l’INRP. Cette condition s’applique également aux commandes émanant de services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics nationaux et locaux (texte de référence : ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, direction de la comptabilité publique, instruction n° 90-122-B1-M0-M9 du 7 novembre 1990, relative au paiement à la commande pour l’achat d’ouvrages par les organismes publics). Une facture pro forma sera émise sur demande. Seul, le paiement préalable de son montant entraînera l’exécution de la commande.