RDP n° 303 du CCNE

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ÉTHIQUE
Tests génétiques: il est urgent d'ouvrir le débat
Le Figaro du 28 janvier 2016 par Pauline Fréour
Le Comité consultatif national d'éthique publie un avis sur les enjeux économiques, sociétaux
et scientifiques du décryptage de l'ADN.
Le génome dans le carnet de santé. Ce qui relevait hier encore de la science-fiction paraît de plus en
plus plausible. Les progrès techniques spectaculaires du séquençage génétique à haut débit observés
depuis la publication du premier génome humain il y a douze ans permettent en effet de disposer
d'une transcription complète des 25 000 gènes d'un être humain en quelques heures et pour à peine
plus d'un millier d'euros. Mais pareil élargissement du savoir génétique individuel est-il seulement
souhaitable ? « Jusqu'où a-t-on le droit d'aller ? », traduit le Comité consultatif national d'éthique
(CCNE), qui présentait vendredi son dernier travail sur le sujet, « Réflexion éthique sur l'évolution
des tests génétiques liée au séquençage de l'ADN humain à très haut débit ».
Dans ce texte de 80 pages, le CCNE, qui compte une quarantaine de membres (scientifiques,
médecins, philosophes, juristes…), pose de nombreuses questions sur les enjeux scientifiques,
sociétaux et financiers du sujet, sans rien préconiser. « En émettant des recommandations, on
donnerait l'impression que la question est simple. Alors qu'il faut prendre le temps de s'arrêter pour
réfléchir, ouvrir un débat », justifie Jean Claude Ameisen, président du CCNE. Force est de
constater que la position actuelle de la France, qui interdit tout test génétique d'initiative
personnelle, semble un peu déconnectée. Plusieurs sociétés étrangères proposent en effet d'évaluer
les risques individuels pour une série de pathologies, sur simple envoi d'un échantillon d'ADN. « À
ce que je sache, personne n'a encore été condamné pour avoir envoyé un test salivaire en Californie
», ironise le Pr Patrick Gaudray, président du groupe de travail pour cet avis.
En interdisant ce genre de pratique, le législateur entend protéger les individus contre la réception
d'une information sensible et complexe sans accompagnement. Car la génomique n'est pas une
science exacte. Il ne s'agit pas de tomber dans le piège du « déterminisme génétique » qui consiste à
penser que l'ADN « fait tout » alors que l'histoire personnelle de chacun et le milieu de vie sont
déterminants dans le développement de la majorité des maladies. La généralisation du séquençage
de génome entier pose avec acuité la question de la propriété et de la protection d'informations
personnelles massives, dont le stockage a un coût, mais aussi du droit de savoir, ou de ne pas savoir.
Cette technologie augmente les chances de découvrir des informations que l'on ne recherchait pas
d'emblée. Ainsi, une personne testée pour une maladie X doit-elle être mise au courant de son
surrisque de maladie Y - sachant qu'il ne s'agit que d'une probabilité ? Cette personne a-t-elle la
responsabilité d'en informer sa parentèle, qui partage avec elle de l'ADN ? « Il peut y avoir une
certaine pression sociale à savoir », note Cynthia Fleury, rapporteur de l'avis.
Les experts s'interrogent aussi sur l'avènement possible de « devoirs comportementaux », dans la
mesure où il devient possible d'identifier les individus à fort risque de développer des maladies
coûteuses pour la société, comme le diabète ou l'hypertension, dont on sait qu'elles sont en partie
évitables avec une bonne hygiène de vie. Dans quelle mesure peut-on être tenu responsable de sa
santé ou de celle de son enfant ?
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Des tests en vente libre aux Etats-Unis
Le Figaro du 28 janvier 2016 par Aude Rambaud
À partir de cette année, plusieurs sociétés américaines proposent le séquençage génétique
pour tous au nom du « droit de savoir », mais sans aucun encadrement et sans autorisation
officielle.
Ça y est, le premier test génétique à destination du grand public a reçu la bénédiction des autorités
de santé aux États-Unis. Une petite révolution sociale. N'importe qui peut désormais obtenir des
informations sur son ADN sans passer par son médecin et dans le respect des contraintes
réglementaires du pays. La pratique n'est pas nouvelle et remonte à 2007. À partir de cette année,
plusieurs sociétés américaines proposent le séquençage génétique pour tous au nom du « droit de
savoir », mais sans aucun encadrement et sans autorisation officielle. C'est le cas de 23andMe avec
son « Personal Genome Service », mais aussi de Pathway Genomics, Navigenics ou encore
DecodeMe. Le succès est immédiat, des dizaines de milliers d'Américains se jettent dessus.
Mais la FDA, l'autorité de santé américaine, ne l'entend pas de cette oreille. Après plusieurs
échanges avec les fabricants demandant à prouver la fiabilité des résultats, elle décide finalement
d'interdire ce type de test en 2013. Elle s'inquiète des conséquences de résultats faussement positifs
ou faussement négatifs chez les utilisateurs. Il faut dire qu'à l'époque, les fabricants n'y vont pas de
mainmorte et prétendent informer sur le risque de cancer, de maladie d'Alzheimer, de Parkinson ou
encore de maladies cardiovasculaires qui dépendent en fait d'un très grand nombre de facteurs de
risque autres que génétiques.
« Les résultats pouvaient suggérer une pathologie qui ne viendrait pas ou, au contraire, en écarter
une autre pouvant survenir », explique le Pr Hervé Chneiweiss, chercheur en neurosciences,
président du comité d'éthique de l'Inserm et membre du Comité consultatif national d'éthique
(CCNE). « Les mutations des gènes BRCA 1 et 2 impliqués dans la survenue des cancers du sein et
de l'ovaire augmentent par exemple de 50 à 70 % le risque de survenue de ces cancers, ce qui
justifie un suivi particulier, mais des femmes porteuses de ces gènes ne tomberont finalement pas
malades. Or la présence de ces mutations génère de l'angoisse, voire des interventions préventives
radicales comme l'ablation des seins. À l'inverse, d'autres femmes ne présentant pas ces mutations
développeront quand même un cancer, mais ne feront rien pour limiter d'autres risques, se pensant
épargnées », illustre Hervé Chneiweiss.
Suite à ce coup d'arrêt, 23andMe se rapproche de la FDA pour proposer un produit répondant aux
critères fixés par l'agence. Un coup de maître qui lui vaut de relancer son « Personal Genome
Service » avec un tampon officiel « FDA approval » en 2015 qui fait office de garantie pour les
utilisateurs. La FDA « appréciant le fait que le grand public puisse obtenir des informations sur son
génome et ses risques de développer des maladies afin de les responsabiliser sur certains aspects de
leur santé et d'en apprendre plus sur les risques génétiques ». Pour cela, l'entreprise a cependant
pratiqué un lifting important sur son produit. Exit les marqueurs de risque de maladies
multifactorielles, telles que le cancer et la maladie d'Alzheimer. Exit aussi les données de sensibilité
à certains médicaments autrefois disponibles. Le nombre de marqueurs a été réduit à une
soixantaine et cible désormais des maladies génétiques transmissibles graves comme la
mucoviscidose et des caractères non médicaux : sensibilité à l'alcool, consommation de caféine,
intolérance au lactose et plusieurs traits physiques, comme la couleur des yeux ou la nature des
cheveux inscrits dans les gènes. Enfin, la société a nettement misé sur la composante « histoire
personnelle ». Le test permet en effet de retrouver ses origines en comparant ses liens génétiques
avec 31 populations du monde et en analysant la provenance maternelle ou paternelle de ces
origines. Les utilisateurs peuvent même comparer leur ADN avec ceux des membres de leur famille
au risque d'y découvrir des surprises, voire retrouver des affiliés dans la base de données 23andMe
s'ils acceptent d'y figurer.
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De sorte que la page Facebook de l'entreprise croule sous les témoignages de personnes qui
découvrent avoir été adoptées, dont la sœur est finalement la demi-sœur, ou qui recherchent leur
père biologique !
En France, cette pratique est totalement interdite. La loi restreint l'examen des caractéristiques
génétiques d'une personne à des fins médicales, de recherche scientifique, d'identification postmortem ou d'enquêtes judiciaires. « La loi a tranché sur le fait que, en dehors de ces motifs, nul ne
peut avoir accès aux caractéristiques génétiques de l'individu, même pas soi-même ! En France, il
n'y a pas de liberté individuelle face à l'ADN en raison de la protection des données identifiant
chaque personne. Aucune de ces données n'étant anodine », rappelle Hervé Chneiweiss. En outre, la
réalisation des analyses génétiques est très encadrée. À des fins médicales, elle doit être prescrite
par un médecin et assortie de « conseil génétique, consentement du patient, accréditation des
laboratoires de génétique par les agences régionales de santé ou encore agrément des praticiens par
l'Agence de la biomédecine », rappelle l'Agence nationale de sécurité du médicament et des
produits de santé française (ANSM).
Tests génétiques : s’assurer de la vérité du
consentement
Le Quotidien du Médecin du 28 janvier 2016 par Coline Garré
Dans son avis 124, rendu public le 21 janvier, le comité consultatif national d’éthique (CCNE) a
souhaité éclairer « la complexité » des questions éthiques que suscitent les tests génétiques et le
séquençage de l’ADN humain à très haut débit.
Parmi les questions brûlantes, figure celle du consentement libre et informé, fondement du droit
médical et de la bioéthique. « Ce dispositif nécessite d’être entièrement revu », dit le CCNE. À la
croisée de la recherche et de la pratique médicale, le séquençage à très haut débit rend poreuse la
différence entre le consentement général et ouvert (requis dans les programmes de recherche) et un
consentement restreint, conditionné à une information précise, localisée dans le temps. Quel type de
consentement demander lorsque le séquençage global du génome devient une facilité technique, ou
une nécessité (comme en oncologie pour comparer le génome tumoral au génome constitutionnel) ?
D’autre part, où est l’autonomie du patient ? Une personne en situation de vulnérabilité médicale
peut-elle librement refuser ou donner son consentement ? « Le consentement ne doit en aucun cas
être l’alibi d’un choix forcé », dit la philosophe Cynthia Fleury, co-rapporteur de l’avis. « Il serait
irresponsable de ne pas s’inquiéter de la vérité du consentement », poursuit-elle.
Risques psychologiques
Autre question : comment respecter le droit de ne pas savoir ? Les risques psychologiques liés à
l’annonce du résultat d’un test génétique ne sont pas à minimiser, alerte le CCNE. « Le temps se
télescope entre l’état de santé et l’état de la maladie », explique Cynthia Fleury. La maladie risque
de devenir la seule certitude d’une vie, qu’elle finit par caractériser. Et que faire lorsqu’on ne sait
pas soigner la maladie ? L’annonce du résultat doit être anticipée, à travers un entretien
psychologique qui familiarise avec une pensée de l’incertitude. « Le conseil génétique doit faire
réfléchir : 50 % des jeunes qui se rendent à la consultation de La Pitié Salpêtrière sur la maladie
de Huntington finalement décident de ne pas savoir », illustre Jean Claude Ameisen.
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L’information génomique conduit enfin à réfléchir à la propriété de ses données. En France, la loi
du 7 juillet 2011 rend obligatoire l’information de la parentèle en cas de diagnostic d’une maladie
génétique héréditaire grave. « Cela ne résout pas la question éthique de savoir annoncer un risque
de maladie à une parentèle qui n’est pas en demande », dit le CCNE. Dans la recherche, doit-on
parler d’un don d’information lorsqu’on s’engage dans un protocole ou qu’on intègre une cohorte ?
Peut-on récupérer ou effacer ses données si l’on change d’avis ? questionne Cynthia Fleury. Le
CCNE suggère de réfléchir à la formalisation d’un contrat de réciprocité entre l’individu et les
autorités publiques, la vie privée et la santé publique.
Breveter le vivant : faut-il l'autoriser ?
Sciences et Avenir du 28 janvier 2016 par Loïc Chauveau
Le Sénat a dit "non". Au cours de l’examen de la loi sur la biodiversité, il a étendu
l’interdiction de brevetage des fruits et légumes et de leurs composants génétiques issus de
procédés biologiques.
Depuis les débuts de l’agriculture, l’homme sélectionne les plantes les plus productives et les plus
résistances en les faisant se croiser. Les techniques se sont affinées tout au long du 20 ème siècle avec
les progrès réalisés sur la connaissance de la génétique, notamment à partir des lois de Mandel. La
découverte de l’ADN en 1953 puis le séquençage des génomes de plantes et d’animaux ont permis
de mieux cibler les marqueurs génétiques porteurs de gènes d’intérêt (résistance à la sécheresse et à
des pathogènes, productivité). L’hybridation devient plus précise. Il est en effet désormais possible
d’introduire avec précision dans une plante cultivée un caractère présent dans une variété rustique.
Cette technique n’est pas aujourd’hui considérée comme une modification génétique, puisqu’il n’y
a pas introduction d’un gène étranger à la plante par transgenèse.
Quel est le débat sur les brevets ?
Depuis plusieurs années, de nombreuses associations comme Semences paysannes dénonce le
brevetage de plantes possédant ces gènes d’intérêt. Le risque dénoncé est que les agriculteurs soient
désormais obligés de payer des droits pour chaque semence utilisée. De même, les semenciers
pourraient être contraints à verser des droits de propriétés lors de leur recherche de nouvelles
variétés. En mars 2015, l’Office européen des brevets (OEB) a donné corps à leur inquiétude en
brevetant un brocoli porteur d’une substance favorable à la lutte contre le cancer (brevet déposé par
une petite entreprise anglaise de biotechnologie) et une tomate “ridée” pouvant pousser sans
consommer beaucoup d’eau (déposé par le ministère de l’Agriculture israélien). L’OEB a considéré
que le procédé pour obtenir ces vertus nutritionnelles ou agronomiques ne pouvait être breveté (ce
n’est après tout qu’une méthode sophistiquée de croisement végétal), mais que le produit, lui,
pouvait l’être.
Cette décision pose une réelle difficulté. Les gènes à l’origine de la substance anticancérogène
existent dans la nature, tout comme les gènes rendant les tomates plus sobres en eau. Ces “traits
natifs” se retrouvent donc sous la protection d’un brevet bénéficiant à son propriétaire. C’est cette
décision qui a amené le Sénat à voter en janvier 2016 à une forte majorité un amendement qui
interdit de brevetage les produits et les composantes génétiques issus de procédés biologiques. La
loi française n’annule en rien la validité des brevets européens accordés, mais il empêche toute
poursuite judiciaire des titulaires de ces brevets sur le territoire français. À noter que l’OEB fluctue
énormément sur ce sujet. L’office vient ainsi d’annuler un brevet accordé à Monsanto pour un
melon résistant à une maladie virale obtenu par croisement avec une variété rustique d’Inde.
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Comment considérer les nouvelles techniques d’hybridation ?
Le Sénat s’est aussi penché sur les nouvelles techniques d’hybridation (New Breeding Techniques,
NBT). Ces procédés microbiologiques de modification génétique in vitro de cellules de plantes sont
brevetables, qu’ils aient ou non recours à la transgenèse. Mais les fruits et légumes obtenus sont
décrits dans les revendications de brevet d’une manière qui ne permet pas de les différencier de
produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques, plaident les opposants au brevetage.
C’est d’ailleurs parce que leur produit est très proche des traits natifs que les sociétés de
biotechnologie estiment qu’elles ne fabriquent pas d’OGM. Les NBT ne seraient qu’un moyen
d’obtenir plus vite des variétés résistantes que par hybridation classique. Le Sénat a donc considéré
qu’un tel produit ne pouvait être brevetable.
OGM ou pas OGM ?
Cette position française (que l’Assemblée nationale devra confirmer en deuxième lecture de la loi
biodiversité) est un élément de plus dans un débat européen complexe. Depuis de longs mois, la
Commission européenne doit en effet décider d’un statut pour ces NBT. OGM ou pas OGM ? La
question est cruciale. Avec un statut OGM, fruits et légumes issus de NBT devront comporter un
étiquetage de provenance, ce que les industriels voudraient éviter, l’opinion publique européenne
étant majoritairement hostile à ces produits. À la présidence de l’Union européenne depuis le 1 er
janvier, les Pays-Bas ont mis cette question à leur agenda de six mois. La commission européenne
de son côté a promis qu’elle donnerait un avis en avril. Le Sénat n’est donc pas allé jusqu’à voter
sur le caractère des NBT, dans l’attente des décisions à venir. En octobre 2015, 16 États européens
(dont la France) ont demandé l’interdiction de cultiver des OGM sur leur territoire.
Bioéthique: les embryons ne sont pas "un
matériau jetable", selon le pape
Belga News du 28 janvier 2016
Les embryons ne "doivent pas être traités comme un matériau jetable", tout comme les personnes
"qui s'approchent de la mort", a affirmé jeudi avec force le pape François devant le comité italien
de bioéthique.
"Le défi est de résister à la culture du déchet qui a tant de visages, parmi lesquels le traitement
comme un matériau jetable des embryons humains, tout comme des personnes malades et âgées qui
s'approchent de la mort", a affirmé le pape argentin en recevant les membres de ce Comité, institué
depuis plus de 25 ans auprès de la présidence du Conseil italien. Dans ses contacts avec le
gouvernement, le comité, s'est-il félicité, a plusieurs fois répété la nécessité de "l'intégrité de l'être
humain et de la protection de la santé depuis la conception jusqu'à la mort naturelle". "Un tel
principe éthique est fondamental aussi pour ce qui concerne les applications biotechnologiques
dans le domaine médical", qui "ne doivent jamais être guidées uniquement par des visées
industrielles ou commerciales", a-t-il insisté.
Alors que l'Eglise est souvent accusée de s'ingérer en Italie dans les débats sur les questions
délicates de société, de la bioéthique aux unions civiles gays (qui font l'objet d'un projet de loi
actuellement discuté au parlement), Jorge Bergoglio a souligné qu'"il n'est peut-être pas clair pour
tout le monde" que l'Eglise, bien que sensible à des "thématiques éthiques", "ne revendique aucun
espace privilégié dans ce domaine". "Elle est satisfaite dès lors que la conscience civile, à divers
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niveaux, est en mesure de discerner et d'opérer sur la base de la rationalité libre et ouverte, et des
valeurs constitutives de la personne et de la société:
cette maturité civile est le signe que la semence de l'Evangile a porté ses fruits", a-t-il observé, en
allusion aux profondes influences chrétiennes qui continuent à irriguer la société italienne.
Critiqué par les conservateurs pour n'avoir toujours pas mis les points sur les "i" sur ces sujets
délicats, le pape François a émis ces dernières semaines des condamnations explicites et répétées de
l'avortement, de l'euthanasie, ainsi que toute "confusion" entretenue entre le mariage et les unions
gays.
Fin de vie : les craintes d’Emmanuel Hirsch
Le Figaro du 29 janvier 2016 par Agnès Leclair
Ce professeur d’éthique médicale redoute que le texte voté mercredi fasse figure de transition
vers l’euthanasie.
Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Sud, revient sur la loi relative
à la fin de vie adoptée à la quasi-unanimité par le Parlement le 27 janvier. Si le texte ne légalise ni
l’euthanasie ni le suicide assisté, il a été jugé ambigu, notamment par certains sénateurs.
Après avoir été très critiquée au Sénat, la proposition de loi sur la fin de vie a finalement été
adoptée à la quasi-unanimité. Après avoir été retouché, ce texte va-t-il dans le bon sens ?
On peut tout d’abord saluer la concertation remarquable menée depuis juillet 2012 sur la fin de vie,
qui a donné lieu à une réflexion qui faisait défaut. Après, la stratégie politique a repris le dessus,
avec le choix de faire travailler sur une proposition de campagne de François Hollande un député de
droite et un député de gauche. Le constat d’un « mal-mourir » qui a émergé au cours de cette
concertation appelait des réponses sociétales sur la solitude des personnes en fin de vie ou encore la
prise en charge des maladies chroniques. Elles ont été évacuées, supplantées par une loi pour une
fin de vie surmédicalisée, une réponse compassionnelle républicaine à travers le droit à la sédation
profonde et continue.
Certains considèrent ce droit à une sédation profonde et continue en fin de vie – décrit comme
un droit à « dormir avant de mourir pour ne pas souffrir » - comme une euthanasie masquée.
Vous semble-t-il ambigu ?
C’est une pratique qui existe déjà dans les soins palliatifs, mais elle est utilisée de manière
exceptionnelle, dans des situations spécifiques et complexes. La nouvelle loi est ambiguë car elle
vulgarise cette sédation sans en préciser les contours. Elle risque d’en faire une routine en
l’instituant en droit. Ce droit pourra être revendiqué non seulement par les personnes en fin de vie
mais aussi par les personnes malades qui font le choix d’arrêter un traitement. Même si cette forme
de sédation est limitée à des cas précis dans la loi, comment, en pratique, les médecins pourront-ils
la refuser à une personne malade qui se plaint de souffrances existentielles ? C’est très subjectif.
Qui va en juger ? Avec ce texte, on est en train d’imposer un nouveau modèle pour mourir. Ce droit
remet en cause la culture des soins palliatifs, qui ont permis de comprendre qu’une personne en fin
de vie a encore des capacités relationnelles et qu’elle peut être ambivalente dans ses choix.
Finalement, la sédation profonde et continue est plus proche d’un coma artificiel irréversible que de
l’endormissement. Quelle différence y a-t-il entre endormir à jamais une personne et l’euthanasie ?
Soyons honnêtes, parlons plutôt d’interruption artificielle de la vie ou de sédation euthanasique.
La ministre de la Santé a décrit cette loi comme une « étape ». Ouvre-t-elle la voie à un texte
sur l’euthanasie ?
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Elle peut faire figure de texte transitoire entre la loi Leonetti de 2005 et une loi vers l’euthanasie,
parce qu’elle est difficilement applicable.
Les discours de Marisol Touraine vont dans ce sens. La nomination attendue d’un médecin
favorable à une évolution vers une « euthanasie palliative » à la tête du Centre national de la fin de
vie est un autre signal. Mais maintenant que la loi est votée, à nous d’être vigilants et de
l’accompagner d’un point de vue éthique.
Avortement : le droit à l’avis
Famille Chrétienne du 29 janvier 2016 par*
En réaction à la promulgation de la loi Santé, qui a supprimé le délai de réflexion avant
l’IVG, plusieurs évêques dénoncent une fuite en avant et refusent que soient opposés dans ce
débat le droit des femmes et le droit des enfants.
Peut-on encore parler de l’avortement aujourd’hui ? Il est suffisamment rare que ce sujet revienne
dans le débat public pour ne pas saisir l’occasion de parler de ce « drame existentiel et moral »
(pape François). La promulgation de la loi Santé le 27 janvier dernier nous permet de le faire. Il ne
s’agit évidemment pas de porter des jugements sur les personnes, encore moins de culpabiliser.
Refusant les caricatures, les amalgames et les invectives, nous souhaitons prendre le temps
d’expliquer.
Depuis 1975, la loi Veil a consacré la possibilité d’avorter. En 2016, le bilan est dramatique. Alors
que le nombre d’avortements reste élevé et constant, trois phénomènes nous permettent de lire en
creux un profond malaise social : de moins en moins de médecins acceptent de commettre des
avortements ; des plannings familiaux ferment par manque de militants ; des sites Internet
proposant des solutions alternatives à l’avortement connaissent un fort succès. La dernière loi Santé
n’est qu’une fuite en avant. La suppression de la notion de « détresse », en 2014, et à présent du
délai de réflexion avant de procéder à l’avortement revient à exercer une pression de plus sur les
femmes. Nous regrettons que dans ce débat les premiers acteurs de l’acte d’avortement, les femmes,
soient trop peu écoutées, au profit d’un « combat pour les droits des femmes ». On occulte la
violence létale vécue par les enfants à naître et la violence physique et psychologique vécue par leur
mère lors d’un acte d’avortement.
Pour la loi, l’avortement est un « droit ». Dans les faits, c’est surtout un drame. C’est le drame des
femmes qui vivent un traumatisme : avant d’avorter, elles portaient un bébé, elles portent à présent
en elles un fardeau. Beaucoup ont eu le sentiment de ne pas avoir reçu l’aide et le soutien qui leur
aurait permis d’accueillir leur enfant, de le bercer, de le caresser. L’avortement, c’est le drame des
enfants éliminés avant de naître. Les nouveau-nés sont des êtres fragiles. Lorsqu’ils viennent à la
vie, ils deviennent le trésor d’une famille, le cadeau de Dieu. Leur innocence nous bouleverse.
L’avortement, c’est le drame de la déresponsabilisation des pères. Combien de pères se sont-ils
délestés de leur rôle, par indifférence ou sous le poids de la pression de leur entourage ? Il faut aussi
souligner le désarroi de certains d’entre eux, autant en « quête » qu’en « perte » d’une identité qu’ils
peinent à assumer. L’avortement, c’est un drame social. Dans notre pays, il est à présent si banalisé
qu’il est difficile d’exprimer une opinion divergente. Une mentalité abortive s’est développée,
articulée autour du refus de l’autre, de la vie et de la précarité humaine. Cette mentalité introduit le
soupçon dans les liens familiaux : mes parents auraient-ils pu m’empêcher de naître ?
La miséricorde portée par le pape François n’est pas sélective, parce qu’elle ne se conçoit pas sans
la vérité. « La plaie qu’est l’avortement constitue un attentat contre la vie. Laisser mourir nos
frères sur les bateaux dans le canal de Sicile constitue un attentat contre la vie. […] Le terrorisme,
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la guerre, la violence, mais aussi l’euthanasie, constituent des attentats contre la vie » (pape
François, extrait du discours du 30 mai 2015 adressé à l’association Scienza e Vita).
Nous ne voulons pas juger les femmes. Devant le poids de leurs souffrances et la complexité de
leurs déchirements intérieurs, nous répondons comme le pape François : « Qui suis-je pour
juger ? » Ce sont les drames existentiels que nous accueillons au quotidien.
Nous disons notre refus d’opposer dans ce débat le droit des femmes et le droit des enfants. Comme
le pape François nous y invitait encore le 28 janvier dernier, nous devons relever « le défi de
contrecarrer la culture du déchet, qui a de nombreuses expressions, parmi lesquelles celle de
traiter les embryons humains comme un matériau jetable, de même que les personnes malades et
âgées qui se rapprochent de la mort ». Nous appelons au droit à la vie pour tous. Et au droit à
l’avis. « Ouvrons nos yeux pour voir les misères du monde, les blessures de tant de frères et sœurs
privés de dignité, et sentons-nous appelés à entendre leur cri qui appelle à l'aide. [...] Que leur cri
devienne le nôtre et qu'ensemble, nous puissions briser la barrière d'indifférence qui règne souvent
en souveraine pour cacher l’hypocrisie et l'égoïsme » (pape François, extrait de la Bulle d’indiction
de l’Année Sainte de la Miséricorde).
*Mgr David Macaire, archevêque de Saint-Pierre et Fort de France ; Mgr Dominique Rey,
évêque de Fréjus-Toulon ; Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron ;
Mgr Nicolas Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes ; Mgr Olivier de Germay, évêque
d’Ajaccio ; Mgr Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon et Mgr Bernard Ginoux, évêque
de Montauban.
Inauguration de la Chaire UNESCO de
bioéthique à l'Université médicale de Vienne
Unesco.org du 29 janvier 2016
Une Chaire UNESCO de bioéthique créée à l'Université de médecine de Vienne a été
inaugurée à Vienne, en Autriche, le 26 janvier 2016. C’est la première Chaire UNESCO de
bioéthique dans ce pays. Elle sera dirigée par Christiane Druml, Vice-recteur de l'Université
et Présidente de la Commission autrichienne de bioéthique, également ancien membre du
Comité international de bioéthique de l’UNESCO.
« La première étape dans l'évolution de l'éthique est un sens de solidarité avec les autres êtres
humains », a souligné Christiane Druml dans son discours inaugural, citant Albert Schweitzer.
« Cette citation, dans sa simplicité, est au sens propre une devise pour notre société et pour cette
Chair de bioéthique. » Christiane Druml a expliqué que la Chaire s'appliquera à renforcer et à
accroître les capacités dans les domaines de la recherche et de l’enseignement en éthique. Celle-ci
va travailler notamment sur le renforcement des capacités de la recherche Nord-Sud, et la
sensibilisation en Europe de l'importance d'une telle recherche. La Chaire assistera également
l'UNESCO à soutenir les initiatives développées par les nouveaux comités nationaux de bioéthique
créés dans les pays en développement, et à élargir davantage les réseaux existants de chercheurs et
de bioéthiciens en Afrique, en Asie, dans les États arabes et en Europe. A long terme, elle œuvrera
aussi au renforcement de la position des femmes dans le domaine de la bioéthique.
Nada Al-Nashif, Sous-Directrice générale pour les sciences sociales et humaines de l'UNESCO, a
déclaré que « la création de cette Chaire est une étape importante dans le développement d'une
expertise éthique durable en Autriche, ainsi qu’en Europe et à travers le monde, surtout dans la
conjoncture actuelle de défis mondiaux sans précédent d'une grande complexité. »
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Elle a souligné que l’Agenda 2030 de développement durable, adopté par les acteurs internationaux
du développement, inscrit la durabilité dans un ensemble d'objectifs ambitieux et transformateurs
ancrés dans les droits humains, ciblant l'universalité d'application et un engagement à « ne laisser
personne de côté ». Une des approches stratégiques-clé permettant de réaliser ces objectifs est
l'utilisation de la puissance des sciences en faveur du développement durable et l'éradication de la
pauvreté. La construction de sciences meilleures pour un avenir meilleur doit être accompagnée
d'une réflexion éthique rigoureuse afin de combattre les inégalités, de lutter contre les
discriminations, et assurer le respect des droits humains et de la dignité. « Nous devons accorder
une position centrale à l'éthique des sciences et la bioéthique au niveau du dialogue continu sur la
façon dont nous pouvons bâtir des sociétés justes et durables », a-t-elle dit, affirmant que « c’est
dans ce contexte que nous saluons également la création de cette Chaire. »
Des manipulations génétiques sur des
embryons humains autorisées en GrandeBretagne
Le Figaro Santé du 1er février 2016 par Tristan Vey
Cette autorisation délivrée lundi est une première du genre dans le monde. L'objectif n'est pas
directement thérapeutique, mais consiste à mieux comprendre la génétique du développement
humain précoce.
Les autorités britanniques ont autorisé ce lundi des scientifiques à effectuer des modifications
génétiques sur des embryons humains à l'Institut Francis Crick, situé à Londres. Délivrée par la
HFEA (Human fertility and embryology authority), cette autorisation est une première du genre
dans le monde.
Les embryons manipulés par l'équipe du Dr Kathy Niakan seront systématiquement détruits au bout
de sept jours. Il n'est pas question de les implanter chez des femmes. « Je suis très content que la
HFEA ait approuvé la demande du Dr Niakan », a déclaré le directeur de l'Institut Francis Crick,
Paul Nurse, dans un communiqué. « (Ces recherches) sont importantes pour comprendre pourquoi
un embryon se développe chez une femme en bonne santé et nous permettront de mieux comprendre
les taux de réussites des fécondations in vitro, en regardant les premiers étapes du développement
humain. » Sur 100 ovules fécondés, la moitié parviennent à se développer pour former un
blastocyste (état dans lequel l'ovule s'est divisé plusieurs fois et compte quelques dizaines de
cellules), 25 parviennent à s'implanter dans l'utérus et seuls 13 survivent plus de trois mois. Afin de
mieux comprendre les mécanismes à l'origine de ce phénomène, les chercheurs vont commencer par
essayer de bloquer un gène, OCT4, qui semble réguler la manière dont les cellules embryonnaires
se répartissent pour former d'un côté le fœtus et de l'autre le placenta.
Le précédent chinois
À terme, il n'est pas question de manipuler génétiquement des embryons pour faciliter leur
implantation, assurent les chercheurs. Ces recherches très théoriques ont pour but de mieux
comprendre la biologie du développement afin d'imaginer de nouveaux traitements non-génétiques
contre l'infertilité et limiter le nombre de fausses couches. En avril dernier, des scientifiques chinois
avaient déjà provoqué un fort émoi dans la communauté scientifique en publiant des travaux portant
sur la manipulation d'embryons humains ayant pour objectif de les guérir d'une maladie génétique,
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la bêta-thalassémie.
Les chercheurs chinois n'étaient pas soumis à l'obtention préalable d'une autorisation pour de tels
travaux. Mais ce type de manipulation est considéré comme une ligne rouge par de nombreux
spécialistes, dans la mesure où les modifications génétiques pourraient être transmises de génération
en génération (les thérapies géniques actuelles ne modifient le génome que localement sans
modifier les gamètes).
Ces travaux utilisent tous la nouvelle technique d'édition du génome CRISPR/Cas9. Cette dernière
est en train de révolutionner la génétique en offrant les moyens de modifier rapidement, simplement
et à moindre coût le code génétique. Quatre autres équipes chinoises travailleraient en ce moment
sur des embryons humains, selon le magazine Nature. Un débat mondial sur le sujet devient de plus
en plus indispensable. En filigrane, toujours la même crainte : que l'on fabrique un jour des bébés
« sur mesure » avec toutes les questions éthiques et les dangers que cela suppose.
Un institut français accusé de « piller » les
savoirs traditionnels
Le Monde du 2 février 2016 par Martine Valo
L’affaire est à la fois sensible et exemplaire, parce qu’elle met en cause un organisme public,
l’Institut de recherche pour le développement (IRD), et qu’elle illustre la question de l’exploitation
des savoirs ancestraux et des ressources biologiques puisés chez les peuples autochtones par des
firmes pharmaceutiques ou cosmétiques. C’est là l’un des enjeux de la future loi sur la biodiversité
que les sénateurs ont adoptée, mardi 26 janvier.
Les faits ont été dénoncés par la Fondation France Libertés-Danielle Mitterrand qui traque depuis
une dizaine d’années les pratiques de biopiraterie. Elle affirme que le brevet délivré en mars 2015 à
l’IRD sur une molécule issue d’un petit arbre tropical, le Quassia amara, est un cas d’école. « C’est
un exemple caractérisé d’accaparement, une injustice flagrante à l’égard des peuples autochtones
de Guyane », estime Emmanuel Poilâne, le directeur de France Libertés. La fondation a fait
opposition auprès de l’Office européen des brevets. Les feuilles de Quassia amara ont des
propriétés insecticides et des vertus médicinales bien connues en Amérique latine, où elles sont en
particulier utilisées pour traiter des accès de paludisme. Les chercheurs de l’IRD en ont isolé une
molécule, la simalikalactone E (SkE), qu’ils destinent à enrichir la pharmacopée antipaludique.
Mais avant de se concentrer sur cette plante, ils ont auparavant interrogé des communautés Kali’na,
Palikur et des créoles en Guyane, pour connaître leurs remèdes traditionnels, leur technique, leurs
effets.
Cette enquête ethnobotanique n’a rien de secret : l’équipe d’ethnopharmaciens et de biologistes l’a
racontée dans plusieurs articles scientifiques. Ce travail lui a d’ailleurs valu d’être récompensée par
leur institution du Prix de l’innovation pour le Sud en 2013. France Libertés reproche à l’IRD de ne
pas avoir demandé leur consentement aux communautés qui l’ont aiguillée sur le Quassia amara et
de ne pas avoir cherché à les associer à cette découverte d’une façon ou d’une autre.
« Absence totale d’éthique »
« Nous soutenons que dans le cas de la SkE, l’invention revendiquée n’est pas nouvelle car les
chercheurs ont reproduit un savoir transmis de génération en génération », résume Emmanuel
Poilâne. « L’utilisation abusive des connaissances traditionnelles des populations sans leur
consentement préalable, ainsi que l’absence totale de retour pour le territoire ne peuvent plus être
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tolérés », a réagi comme en écho Rodolphe Alexandre (divers gauche), le président de la
collectivité territoriale de Guyane.
Mardi 26 janvier, dans un communiqué, il dit avoir appris « avec grand étonnement », le dépôt d’un
brevet sur une « espèce typique de la pharmacopée traditionnelle locale » et dénonce « l’absence
totale d’éthique de la part de ces chercheurs ». Il cite en exemple de pratiques vertueuses d’autres
recherches sur des plantes menées dans le cadre d’un partenariat entre le CNRS, l’Institut Pasteur,
l’université de Guyane et l’agence régionale de développement économique.
Pour l’IRD, qui compte 2 000 collaborateurs – dont plus de 800 chercheurs –, travaillant depuis
plus de soixante ans principalement en Afrique, Méditerranée, Amérique latine, Asie et dans
l’outre-mer tropical français, les accusations sont lourdes. « On nous fait un mauvais procès ! »,
s’emporte Jean-Paul Moatti, président-directeur général de cet établissement public. « Cette affaire
est grave, car elle revient à freiner la recherche, alors que nous sommes confrontés à une course de
vitesse pour trouver de nouvelles molécules antipaludiques tandis que les souches de moustiques
développent des résistances, dénonce-t-il. Pour avancer, nous n’avons pas d’autre choix que de
déposer des brevets. Evidemment, s’il y a un jour une exploitation en partenariat avec un
laboratoire pharmaceutique, nous prendrons soin d’exiger que les populations du Sud dans leur
ensemble bénéficient de prix adaptés. »
« Une vingtaine de brevets suspects »
Voilà pour une éventuelle commercialisation, mais qu’en est-il de la phase préalable de partage des
connaissances ? Jean-Paul Moatti rappelle qu’il n’existait ni notion de communauté autochtone ni
cadre défini pour obtenir leur consentement au moment de l’enquête de terrain, en 2003. Cela
devrait changer. En effet, le projet de loi sur la biodiversité prévoit que la France ratifie
prochainement le protocole de Nagoya. Cet accord international sur l’accès aux ressources
génétiques et sur « le partage juste et équitable des avantages » n’est pas une nouveauté : il découle
d’un engagement pris au moment du Sommet de la Terre à Rio en 1992, sous l’égide des Nations
unies. La France l’a signé en 2011, mais pas encore ratifié. Dès lors que cela sera fait, d’autres
règles déontologiques devront être établies, l’IRD y est-il prêt ? « Nous les mettrons bien sûr en
œuvre dès que la loi sera votée et nous partagerons les éventuelles retombées économiques de cette
innovation », assure-t-il.
Selon Thomas Burelli, docteur en droit à l’université d’Ottawa, la recherche publique française,
oublieuse des connaissances partagées sur le terrain une fois passée la porte des labos, ne fait pas
preuve de la meilleure bonne volonté dans ce domaine. Le juriste avait déjà épinglé les pratiques de
l’IRD en Nouvelle-Calédonie.
L’embryon humain dans la mire de Crispr
Le Monde du 3 février 2016 par Hervé Morin
Une équipe de l’Institut Francis-Crick, à Londres, a reçu le 1er février de l’Autorité pour
l’embryologie et la fertilisation humaine britannique (HFEA) l’autorisation de procéder à des
manipulations sur des embryons humains, à l’aide d’une nouvelle technique d’ingénierie du gène,
Crispr-Cas9. En avril, une équipe chinoise avait annoncé l’avoir utilisée sur des embryons humains
non viables, pour voir si elle permettrait d’enrayer une maladie génétique du sang, la bêtathalassémie. Cette annonce avait lancé une série de débats sur la possibilité de créer des bébés
génétiquement modifiés et d’altérer la lignée humaine en modifiant les cellules germinales.
L’autorisation donnée par la HFEA va sans nul doute relancer les discussions sur le spectre d’une
forme d’eugénisme. Il s’agit en l’espèce de permettre à l’équipe de Kathy Niakan de désactiver de
11
façon sélective certains gènes qui, chez les modèles animaux, sont considérés comme cruciaux dans
le développement de l’embryon et la différenciation de ses premières cellules en divers tissus –
l’individu à naître d’un côté, le placenta de l’autre. Crispr-Cas9 serait mis en œuvre sur l’embryon
au stade de la première cellule (premier jour), et sa croissance serait stoppée au bout d’une semaine,
quand il compte 250 cellules. Il n’est pas question d’implanter ces embryons dans un utérus, mais
d’observer les anomalies induites par le « knock-out », l’inactivation des gènes ciblés, dans le but
de mieux comprendre certaines formes d’infertilité. Les embryons utilisés seraient issus de dons
effectués par des couples ayant dû avoir recours à des fécondations in vitro (FIV). Il faudrait de 20 à
30 embryons par gène étudié, estime l’équipe de l’institut Crick.
Pas un feu vert définitif
Le Royaume-Uni autorise depuis 2009 les recherches fondamentales sur des embryons humains. Il
a aussi autorisé début 2015 la fécondation in vitro « à trois parents » : l’ADN mitochondrial d’une
donneuse serait introduit dans l’œuf pour éviter des maladies métaboliques. Le Royaume-Uni n’est
pas signataire de la convention d’Oviedo (1997), ratifiée par la plupart des pays européens, dont la
France, qui interdit « toute modification génique sur des embryons qui serait transmise aux
générations futures ». En décembre 2015, une réunion internationale convoquée à Washington à
l’initiative de sociétés savantes américaine, britannique et chinoise, s’était conclue par un appel à un
moratoire sur les manipulations de l’ADN des cellules sexuelles et de l’embryon, jugeant
qu’aujourd’hui, pour des raisons techniques et éthiques, « il serait irresponsable de poursuivre tout
usage clinique de l’édition de cellules germinales ». En l’occurrence, les travaux envisagés par
Kathy Niakan s’inscrivent dans un cadre de recherches fondamentales auxquelles cette déclaration
n’était pas opposée. Cette réunion avait montré qu’au sein même des promoteurs de Crispr-Cas9,
certains étaient favorables à son utilisation sur l’embryon, quand d’autres étaient fermement contre.
L’autorisation donnée par la HFEA ne vaut pas feu vert définitif. Un comité d’éthique doit encore
se prononcer avant que l’expérimentation puisse commencer, en principe d’ici quelques mois. En
France, plusieurs sociétés savantes préparent des avis sur l’utilisation de Crispr-Cas9 sur les cellules
germinales et l’embryon humains.
De Bové à Hamon, les anti-GPA de gauche se
mobilisent
Le Figaro du 3 février 2016 par Agnès Leclair
Féministes, écologistes, frondeurs, militantes lesbiennes lancent les premières « assises
abolitionnistes contre la gestation pour autrui ».
Les anti-GPA de gauche partent en guerre. Du frondeur Benoît Hamon à l'égérie du PC, MarieGeorge Buffet, du député européen José Bové au « père » scientifique d'Amandine, René Frydman,
des militants d'Attac à un aréopage de féministes rassemblées derrière la philosophe Sylviane
Agacinski, une assemblée hétéroclite a lancé mardi les premières assises abolitionnistes contre la
gestation pour autrui à l'Assemblée nationale. Cette hydre antilibérale, écologiste et féministe voit
dans la lutte contre le recours aux mères porteuses une idée « progressiste » et « résolument de
gauche ». Devant les caméras, un assemblage disparate d'anciens ministres, de lesbiennes
féministes, d'adversaires des biotechnologies et de la mondialisation a signé une charte pour
l'abolition universelle de la maternité de substitution.
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« C'est un nouveau départ pour aller au-delà des débats pour ou contre la GPA qui ont beaucoup
trop duré, explique Sylviane Agacinski. Avoir une discussion pour ou contre l'esclavage serait tout
aussi ridicule.
Faire de la grossesse un service rémunéré, c'est un asservissement inédit et la plus incroyable
violence faite aux femmes dans le monde depuis la fin de l'esclavage. Aujourd'hui, il faut être dans
l'action et arriver à des accords européens et internationaux pour mettre fin à cette pratique
sociale. » Les organisateurs de l'événement, lancé par la première présidente de l'Assemblée
nationale, Laurence Dumont (PS), espèrent rassembler la gauche. « Le combat manque encore de
cohésion, concède la philosophe et auteure de l'essai Corps en miettes. Il y a un clivage entre les
féministes humanistes et les libéraux. Mais aussi, il faut le reconnaître, entre les gays qui militent
pour “la GPA pour tous” et les associations de lesbiennes qui y sont opposées. » À mi-mot, les
participants évoquent aussi un possible rapprochement avec des politiques de droite anti-GPA. Mais
l'idée d'un grand rassemblement transcendant les partis semble prématurée.
À l'entrée de l'Assemblée, on pouvait cependant croiser l'ex-égérie de la Manif pour tous, Frigide
Barjot, venue voir « comment élargir le programme de lutte commune contre la marchandisation
des enfants ». En attendant la cohésion, la lutte d'influence dans les instances européennes inquiète
les associations organisatrices de ces assises, le CoRP (Collectif pour le respect de la personne), la
Coordination lesbienne en France et la Cadac (Coordination des associations pour le droit à
l'avortement et à la contraception). Au Conseil de l'Europe, la sénatrice belge Petra De Sutter, qui
accompagne des GPA dans son pays et travaille avec une clinique indienne spécialisée dans les
maternités de substitution, vient d'être confirmée comme rapporteur d'une étude sur le sujet. La
Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH) a lancé de son côté une réflexion sur
l'encadrement des maternités de substitution. « Un constat cruel », pointe Sylviane Agacinski, qui
met cependant beaucoup d'espoir dans une résolution du Parlement européen pour condamner le
recours aux mères porteuses.
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SOCIÉTÉ
Fin de vie : le sujet n'est pas épuisé
Ouest France du 27 janvier 2016
Malgré l'accélération du temps, le monde qui s'agite sur des écrans de toutes tailles et nous
ancre dans le présent voire l'instantané, notre finitude nous rattrape immanquablement.
La fin de vie est souvent lente, parfois terrible, toujours sources d'interrogations profondes. Et de
débats...
Les parlementaires se retrouvent donc aujourd'hui pour voter, définitivement, la proposition de loi
des députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (LR). Le texte devrait être adopté ce soir par les
députés puis les sénateurs. La fin d'un long parcours né de la promesse électorale du candidat
Hollande de légaliser « une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Les
engagements de campagne sont souvent sibyllins... On pouvait y lire la légalisation de l'euthanasie
mais aussi le développement des soins palliatifs. Chacun y a placé ses espoirs ou ses craintes,
poussant pour plus de liberté, résistant pour davantage de solidarité. Et puis, l'imposante
mobilisation contre le Mariage pour tous est passée par là, échaudant la gauche. Dans un
quinquennat déjà secoué par la crise économique et le péril terroriste, nul besoin d'ouvrir un
nouveau front sociétal. Après les travaux de la commission Sicard, l'avis du Comité consultatif
national d'éthique, les décisions des plus hautes cours dans l'affaire Vincent Lambert... François
Hollande a opté pour « la solution de rassemblement ». Et fait sienne les propositions soutenues par
le tandem Claeys et Leonetti.
Sortir de l'impasse politique
Que disent-elles ? D'abord, elles ferment la porte à la légalisation de l'euthanasie et du suicide
assisté. Ensuite, elles ouvrent de nouveaux droits pour les patients. Les « directives anticipées », ces
souhaits écrits des personnes concernant les moments ultimes de leur vie, seront désormais
opposables aux médecins. Une sédation, profonde et continue jusqu'au décès, pourra être
administrée aux patients en phase terminale d'une maladie incurable. La loi prévoit aussi, et c'est
une avancée majeure, le développement des soins palliatifs en France. Aujourd'hui, seuls 20 % des
malades concernés y ont accès. Cette culture de l'accompagnement médicalisé et humanisé des
derniers instants doit pénétrer notre société, des études à la pratique, dans les hôpitaux comme dans
les maisons de retraite. Seul ce point fait aujourd'hui l'unanimité. Les partisans de l'euthanasie ne
vont pas abandonner leur combat. Les opposants appellent toujours à la vigilance...
La nouvelle loi, si consensuelle soit-elle, ne résoudra pas tous les cas de conscience au chevet du
malade et n'empêchera pas les procès médiatiques. Car, dans les faits, elle ne révolutionne rien. La
sédation terminale est déjà pratiquée sur bien des patients en souffrance. Par ailleurs, sommes-nous
prêts à prendre le temps de réfléchir à notre fin de vie et à écrire des directives anticipées alors que
tout va bien ? Combien de Français le feront ? La loi Leonetti de 2005, que l'on dit mal connue et
mal appliquée, permettait déjà de résoudre un épineux dilemme comme celui de Vincent Lambert.
Le conseil d'État l'a bien rappelé en défendant la décision médicale d'arrêt des traitements prise
collégialement.
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Il fallait un nouveau texte pour sortir d'une impasse politique. Maintenant, c'est au plus vite, sur le
terrain, qu'il doit être appliqué pour que la loi sur la fin de vie ne reste pas lettre morte.
Blois : Une mère porteuse jugée pour
escroquerie contre deux couples homosexuels
20 Minutes du 27 janvier 2016
La mère porteuse aurait fait croire que les enfants étaient mort-nés, avant de les remettre à
d'autres couples...
Elle est accusée d’avoir escroqué deux couples homosexuels à qui elle n’a jamais remis les enfants.
Aurore, une mère porteuse de 37 ans de Vendôme (Loir-et-Cher), a été jugée mardi soir par le
tribunal correctionnel de Blois. L’histoire de la jeune femme démarre en 2008. Alors qu’elle a déjà
quatre enfants, elle remet son cinquième nouveau-né, une petite fille non désirée, à un couple de
Parisiens, sans contrepartie financière. Cette première expérience la pousse à proposer ses services
de mère porteuse sur Internet, moyennant une dizaine de milliers d’euros, sous les pseudonymes
« d’ange sincère » ou de « petite cigogne ». En 2010, elle accepte de porter l’enfant d’un couple
homosexuel de Loire-Atlantique. Mais au moment prévu de l’accouchement, en mars 2011, elle
n’est pas au rendez-vous et prétend par texto que l’enfant est mort-né.
Il est en réalité en parfaite santé et a été confié à un autre couple homosexuel vivant au
Luxembourg, à qui elle avait aussi promis l’enfant. En 2012, rebelote. Un autre couple homosexuel
est victime de l’escroquerie, tandis que le bébé est remis à un couple hétérosexuel de SeineMaritime, ayant lui aussi payé la prestation. En 2013, la mère porteuse est interpellée puis mise en
examen. A l’époque, elle est en contact avec trois autres couples. Au tribunal, la jeune femme a
assuré qu’elle voulait « juste donner du bonheur ». Violée par son père pendant son adolescence,
elle est toutefois décrite par les experts comme souffrant de « carences affectives et éducatives
majeures », avec « une très faible estime d’elle ».
Le vice-procureur, Jean Demattéis, a requis contre elle un an de prison, dont neuf mois avec sursis,
tandis que son avocat, Me Stéphane Rapin, a demandé la relaxe. Près de 2 000 euros d’amende avec
sursis ont également été requis contre chacun des quatre couples impliqués, poursuivis pour
provocation à l’abandon d’enfants, le recours aux mères porteuses étant illégal en France.
Le jugement est attendu le 22 mars.
Le premier « bébé-médicament » français a 5
ans
Le Figaro Santé du 26 janvier 2016 par Cécile Thibert
Conçu par fécondation in vitro et sélection embryonnaire, Umut-Talha portait en lui le
remède qui a permis à sa grande sœur de guérir de la bêta-thalassémie, une maladie génétique
du sang.
En turc, Umut-Talha signifie « notre espoir ». Le petit garçon, qui fête aujourd'hui son anniversaire,
porte bien son prénom et mérite amplement son surnom de « premier bébé-médicament » de France.
En effet, quelques mois après sa naissance le 26 janvier 2011, il a permis, par le biais des cellules de
son cordon ombilical, de sauver sa sœur Asya, atteinte de bêta-thalassémie sévère.
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Cette maladie, due à la défaillance du gène de l'hémoglobine, la molécule transportant l'oxygène
dans le sang, est caractérisée par une forte anémie. Les malades atteints de la forme la plus grave de
bêta-thalassémie, comme Asya, doivent avoir recours à une transfusion sanguine toutes les 3 à 4
semaines afin de rester en vie. Pour guérir définitivement, la seule solution est de recevoir une
greffe de cellules souches pouvant induire la production de bonnes cellules sanguines. En France,
on estime qu'entre 400 et 500 personnes sont concernées par cette maladie, qui se traduit par une
pâleur, une grande fatigue, des vertiges et des essoufflements. En 2010, alors qu'Asya est âgée de 3
ans, ses parents s'aperçoivent qu'elle n'est compatible avec aucune des cellules souches de la banque
publique de cordons ombilicaux. Ils se tournent vers le professeur René Frydman, le gynécologueobstétricien à l'origine de la première naissance par fécondation in vitro en 1982 en France. Celui-ci
leur propose de « fabriquer » eux-mêmes ces cellules souches indispensables en concevant un
nouvel enfant, indemne de la maladie.
Débute alors le long parcours qui a mené a la naissance d'Umut. Plusieurs embryons ont d'abord été
conçus en éprouvette (fécondation in vitro) avant d’être minutieusement analysés pour vérifier
qu'ils ne portaient pas la maladie et qu'une compatibilité tissulaire avec Asya existait. Ce procédé
est connu sous le nom de diagnostic préimplantatoire (dpi). Finalement, deux embryons indemnes
ont été réimplantes dans l'utérus de la maman. Le bébé qui naît de cet amour en éprouvette est
indemne de la maladie. Huit mois après sa naissance, sa sœur reçoit en cadeau les précieuses
cellules souches, qui lui ont permis d'éliminer en quelques mois les cellules malades. Aujourd'hui,
Asya ne retourne à l'hôpital qu'une seule fois par an, pour un simple contrôle. Par contre, leur frère
aîné Mehmet, également touché par cette maladie, n'a pas eu cette chance puisqu'aucun des
embryons en bonne santé ne pouvaient lui convenir.
Autorisé depuis 1994 par la loi de bioéthique, le diagnostic préimplantatoire (dpi) est
essentiellement utilisé en France pour mettre en évidence la présence chez l'embryon d'anomalies
génétiques responsables de graves pathologies, comme la mucoviscidose, la maladie de Huntington,
l'hémophilie ou certaines formes de myopathies, dont l'apparition est inéluctable. Ce n'est que
depuis 2004 que cette technique peut être utilisée pour soigner un membre d'une fratrie, comme
dans le cas d'Umut et d'Asya. Ce procédé soulève néanmoins de nombreuses interrogations
éthiques, tant dans le monde médical, que politique ou religieux. Cette procréation à visée
thérapeutique n'était pas une première mondiale puisque les Etats-Unis avaient ouvert la voie en
2000, suivis par la Belgique (2005) et l'Espagne (2008). Depuis 2011, seuls cinq « enfantsmédicaments » sont nés en France, toujours sous la houlette du professeur Frydman. Il faut dire
qu'avec un taux de réussite de 10 %, cette prouesse médicale reste longue, couteuse et incertaine.
Fin de vie : ce que va changer la nouvelle loi
Claeys-Leonetti
Le Monde du 27 janvier 2016 par François Béguin
Ce ne sera ni l’avancée décisive espérée par les partisans d’un « droit à mourir » ni le statu quo
défendu par les pro-vie. Plus de dix ans après la loi Leonetti, à l’issue d’un long et houleux
processus d’élaboration entamé en 2012, la France devrait se doter, mercredi 27 janvier, d’une
nouvelle loi sur la fin de vie. Sauf coup de théâtre au Palais du Luxembourg, une majorité de
députés puis de sénateurs issus de la majorité et de l’opposition devraient définitivement se
prononcer en faveur d’un texte instaurant un droit à la « sédation profonde et continue » jusqu’au
décès pour les malades en phase terminale, ainsi que des directives anticipées contraignantes.
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« On va passer d’un devoir des médecins à un droit des malades », explique le député Jean Leonetti
(LR), coauteur de la proposition de loi avec son homologue Alain Claeys (PS). Stricte traduction
d’un engagement de campagne du candidat Hollande en 2012 qui promettait le droit à une
« assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », le texte n’autorisera ni l’euthanasie
ni le suicide assisté, au grand dam d’une partie des parlementaires de gauche.
En décembre 2014, plus d’un an et demi après le vote du mariage homosexuel, le chef de l’Etat
avait souhaité que l’autre grande réforme sociétale de son quinquennat se fasse dans un « esprit de
rassemblement ». Marginalisés par ce choix, le premier ministre Manuel Valls et la ministre de la
santé Marisol Touraine, tous deux signataires en 2009 d’une proposition de loi prévoyant une « aide
active à mourir », n’ont cessé de répéter que cette loi de consensus devait être vue comme une
« étape ». En dépit des – vaines – tentatives de députés de gauche d’instaurer une aide active à
mourir, et celles de sénateurs de droite pour neutraliser un texte soupçonné de permettre des
pratiques euthanasiques, la version sur laquelle vont se prononcer les deux Chambres mercredi est
finalement assez proche de celle que François Hollande avait appelée de ses vœux. « Nous avons
levé les inquiétudes et les ambiguïtés sans dénaturer le texte », expliquait Jean Leonetti le
19 janvier, à l’issue d’une commission mixte paritaire qui venait d’harmoniser les positions des
deux Chambres sur le sujet.
Concrètement, la nouvelle loi va mettre en place ce que M. Leonetti appelle un « droit de dormir
avant de mourir pour ne pas souffrir ». Si cette pratique sédative existe déjà dans les hôpitaux
français, « elle est loin d’être générale et homogène », avaient constaté les deux auteurs de la
proposition de loi. Désormais un médecin ne pourra pas s’opposer à une demande de sédation
profonde et continue de la part d’un patient atteint d’une « affection grave et incurable », dont le
« pronostic vital est engagé à court terme » et qui présente une « souffrance réfractaire aux
traitements ». Ou lorsque sa « décision d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court
terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable ».
Cette sédation, qui devra être accompagnée d’un arrêt de tous les traitements, y compris de
l’alimentation et de l’hydratation artificielles, a concentré depuis un an les critiques des proeuthanasie et des pro-vie. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a regretté
que le nouveau texte, « fruit d’un consensus mou », propose « pour seule issue la déshydratation et
la dénutrition ». La loi Claeys-Leonetti va « encourager une pratique abracadabrantesque de
l’euthanasie », juge le sociologue Philippe Bataille, très critique envers la nouvelle loi. Au collectif
pro-vie Soulager mais pas tuer, on estime que ce droit à la sédation « reste très ambigu, les
parlementaires ayant refusé de préciser que l’intention de la sédation ne doit pas être de provoquer
la mort ». « Quels que soient les limitations légales et les garde-fous, les médecins pourront de
moins en moins refuser d’introduire un patient, à sa demande, dans cette antichambre sédative
prémortuaire », déplore Damien Le Guay, le président du Comité national d’éthique du funéraire
dans une tribune au Figaro. « Avec ce droit à une sédation terminale, des situations inextricables
vont apparaître », prévient-il.
A ces différentes critiques, Bernard Devalois, le chef de service de l’unité de soins palliatifs de
l’hôpital de Pontoise (Val-d’Oise), répond qu’il s’agit d’une « sédation palliative ou bientraitante
car elle n’est pas responsable du décès. Sauf évidemment si les sédatifs utilisés sont volontairement
très largement surdosés », ajoute-t-il, regrettant au passage que les parlementaires aient renoncé à
mettre en place un dispositif de contrôle a posteriori des pratiques sédatives, afin d’« évaluer le
dispositif et ses éventuelles dérives ». Les directives anticipées, par lesquelles il est possible de faire
connaître son refus d’un acharnement thérapeutique – jusque-là simplement indicatives –
s’imposeront désormais au médecin, sans être toutefois opposables. Le soignant pourra en effet y
déroger « en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la
situation » et lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la
situation médicale ». Ce refus devra être pris à l’issue d’une procédure collégiale et figurer noir sur
blanc dans le dossier médical du patient.
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Après le vote, plusieurs aspects de la loi devront encore être précisés par décret, dont la formulation
du futur formulaire-type de directives anticipées. Une parution espérée d’ici à juin par M. Claeys.
Essais cliniques, le contre-coup
Le Monde Science et Techno du 26 janvier 2016 par Pascale Santi
La mort d’un volontaire sain, le 17 janvier, lors d’un essai clinique, à Rennes, qui s’est également
soldé par l’hospitalisation de cinq autres personnes, dont quatre souffrant de troubles neurologiques
– depuis, leur état de santé s’est amélioré –, risque-t-elle de freiner la recherche clinique ?
Tous participaient à un essai clinique de phase 1 (visant à évaluer la tolérance, le métabolisme dans
l’organisme, et à vérifier l’absence de toxicité) mené par le laboratoire Biotrial, un prestataire de
services, pour le compte de Bial, un laboratoire familial portugais. Cet essai, qui avait débuté en
juillet 2015, un mois après avoir reçu le feu vert de l’Agence nationale de sécurité du médicament
(ANSM), portait sur une molécule antalgique connue sous le nom de BIA 10-2474, un inhibiteur
des FAAH (pour fatty acid amide hydrolase ; hydrolase des amides d’acides gras).
Quatre-vingt-dix personnes avaient jusqu’à cet accident reçu la molécule sans encombre, selon Bial.
Le protocole prévoyait que la substance soit testée sur 128 personnes. La phase 1, qui intervient
après des recherches en laboratoire sur des animaux, est la première étape du processus conduisant à
la commercialisation d’un médicament. Suit la phase 2, visant à estimer l’efficacité du produit, sa
tolérance à court terme et à déterminer la dose la plus adaptée. Puis la phase 3, qui consiste à
comparer l’efficacité à un traitement existant ou à un placebo, en double aveugle. A l’issue de ces
trois étapes – dont les distinctions tendent à s’estomper –, les autorités sanitaires peuvent délivrer
une autorisation de mise sur le marché (AMM).
Caractère exceptionnel
Si le caractère exceptionnel de ce drame est mis en avant, cet accident soulève de nombreuses
questions. Des questions renforcées à la lecture du protocole de la société Biotrial détaillant les
phases du processus. Révélé par Le Figaro, vendredi 22 janvier, ce protocole complexe de 96 pages
(que l’ANSM a mis en ligne sur son site) laisse des zones d’ombre pour de nombreux experts, cités
dans Nature et dans le British Medical Journal (BMJ). Ce dernier a également relayé l’appel de
« spécialistes britanniques » qui jugent nécessaire un complément d’informations et plus de
transparence sur l’essai de Rennes. D’autres experts estiment en revanche ne pas voir d’irrégularités
à la lecture de ce protocole. Les diverses enquêtes en cours, menées par l’inspection générale des
affaires sociales (IGAS), l’ANSM et le pôle de santé publique du parquet de Paris, devront
déterminer si celui-ci était conforme, et s’il a été bien appliqué.
L’essai incriminé à Rennes est dit « de première administration à l’homme » avec escalade de dose.
Ce qui ne représente qu’une petite part des essais de phase 1. En 2014, sur les 821 essais cliniques
autorisés par l’ANSM, 162 étaient en phase 1. La question cruciale est de déterminer de quelle
façon « on passe d’une dose unique à une dose répétée par petits groupes de patients », explique le
professeur Christian Funck-Brentano, responsable du centre d’investigation clinique (CIC) ParisEst (AP-HP, Inserm), professeur de pharmacologie médicale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. La
réglementation ne dit rien de précis sur l’intervalle de temps à respecter pour la distribution des
molécules aux patients, ou la stratégie sur le choix de la dose répétée à administrer. A la suite d’un
accident survenu à Londres, en 2006, lors de l’administration du TGN 1412, un anticorps
18
monoclonal qui avait eu des conséquences terribles sur six volontaires sains, la réglementation avait
changé, imposant d’espacer la prise de la première dose unique par les premiers participants.
Les leçons de l’accident de Londres
Pour l’épidémiologiste Catherine Hill, ancien membre du conseil scientifique de l’ANSM, « les
leçons de l’accident de Londres en 2006 ne semblent pas avoir été tirées ; pourtant, l’agence
européenne du médicament (Ema) recommandait dès 2007 d’inclure les sujets un par un à chaque
palier d’augmentation de dose. Ceci n’a pas été fait dans l’essai de Rennes, sauf au premier palier
de la première étude. L’accident s’est produit pendant la deuxième étude, dans laquelle les sujets
ont été traités simultanément à chaque palier de dose. Ces points ne semblent pas avoir été
identifiés par les autorités, ni par les spécialistes au moment de l’évaluation du protocole ». Après
l’accident de Rennes, la réglementation pourrait évoluer, et faire appliquer pour les premières doses
répétées le même principe que celui adopté pour les premières doses uniques : espacer dans le
temps les sujets exposés. En attendant, des participants s’inquiètent et veulent être rassurés. « Les
risques d’amalgames existent. Cela peut refroidir des patients en phase 2 ou 3 », relève Christophe
Demonfaucon, représentant des usagers au sein du Comité de protection des personnes. « Il y a une
grande différence entre les volontaires sains et les personnes touchées par des pathologies, signale
le professeur Vincent Renard, président du collège des généralistes enseignants. Si j’avais un
message à faire passer, ce serait de ne pas se détourner des essais cliniques en phases 3 et 4. » La
phase 4 étant une étude observationnelle visant à préciser la connaissance du produit.
La motivation principale des participants
L’indemnisation prévue par la loi pour participer à une recherche biomédicale – son montant est
plafonné à 4 500 euros par an – est clairement la motivation principale des volontaires sains.
Beaucoup d’étudiants y voient en effet une façon d’arrondir leurs fins de mois. « La perception est
différente pour les personnes malades, pour lesquelles c’est parfois le seul moyen d’accéder à un
traitement innovant », souligne Eric Balez, président de l’Association François-Aupetit, qui
organise avec l’association Tous chercheurs (financée par des fonds publics), basée sur le campus
scientifique de Luminy, à Marseille, des formations visant à aider les représentants des associations
de patients à y voir plus clair sur les essais cliniques. « Les essais restent incontournables si on veut
développer de nouveaux médicaments », estime-t-on à l’Afcros-Les entreprises de la recherche
clinique, qui estime que l’attractivité de la France dans la recherche est menacée.
Des pistes de réflexion existent. Ainsi de la modélisation informatique, afin d’anticiper le mode
d’action d’une molécule et d’améliorer les modèles précliniques sur les animaux ou sur les tissus
humains. « Nous sommes gênés aujourd’hui par la faible valeur des tests expérimentaux. Il faut
donc travailler sur les biomarqueurs (fluides, sang, liquide céphalo-rachidien…) et l’imagerie,
pour mieux cerner les modifications », explique le professeur Olivier Blin, chef de service de
pharmacologie au sein du CIC du CHU de Marseille La Timone, et spécialiste des maladies
neurodégénératives et du vieillissement. « Il faut peut-être aussi mieux sélectionner et catégoriser
les patients pour créer des groupes homogènes. Travailler sur ces différentes pistes pourrait
permettre d’anticiper certains effets secondaires et le niveau d’efficacité », poursuit-il.
19
« On espère qu’il n’y aura pas moins d’attrait pour la recherche. L’accès aux traitements pour la
population est un enjeu », insiste Thomas Borel, directeur scientifique du LEEM-Les entreprises du
médicament. La crise de confiance du public envers la recherche est également alimentée par
l’opacité de l’industrie pharmaceutique. « Quand les essais cliniques ne donnent pas les résultats
escomptés, les données sont cachées », dénonce ainsi le médecin britannique Ben Goldcare dans
son livre Bad Pharma (Fourth Estate, 2012, non traduit). Une étude, publiée en juin 2015 dans le
BMJ, menée par l’équipe de Jonathan Kimmelman, professeur d’éthique biomédicale à l’université
McGill (Montréal), montre que le taux de publication des résultats est trois fois plus élevé pour les
médicaments approuvés que pour ceux n’ayant pas réussi à franchir ce cap. « Cela reste un fait
divers dramatique, mais il va peut-être obliger les acteurs de la recherche à communiquer
davantage. Les associations de patients ne cessent de demander plus d’informations », explique
Marc Paris, responsable de la communication du Collectif interassociatif sur la santé.
Le professeur Funck-Brentano, pour qui « le risque zéro n’existe pas », fait un parallèle avec les
accidents d’avion : « Un avion s’est écrasé, c’est une catastrophe. On n’arrête pas le trafic aérien
pour autant, mais on fait une enquête poussée dont on tire les enseignements pour éventuellement modifier les pratiques ou la réglementation. »
La loi sur la fin de vie, rempart ou étape vers
l’euthanasie ?
La Croix du 27 janvier 2016 par Marine Lamoureux
Le parlement devrait définitivement adopter le nouveau texte sur la fin de vie le 27 janvier. Le
débat n’est pas éteint concernant le droit à la sédation « profonde et continue jusqu’au
décès », dont certains redoutent qu’il ne favorise à terme des pratiques euthanasiques.
La France est sur le point de se doter d’une nouvelle législation sur la fin de vie. Sauf surprise, les
deux chambres – Assemblée nationale et Sénat – devraient adopter définitivement la proposition de
loi « créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie » mercredi 27 janvier. Ce
texte, cosigné par le PS et les Républicains, est le fruit d’un compromis en commission mixte
paritaire après trois ans et demi de réflexions. Il apporte principalement deux nouveautés par
rapport à la précédente loi de 2005 : tout d’abord, le droit de demander à dormir en toute fin de vie
pour éviter de souffrir.
Il s’agit du fameux droit à une « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour les malades
incurables. Cette pratique existe déjà mais elle n’avait jamais été inscrite comme un droit dans le
marbre de la loi. Ensuite, la possibilité de rédiger des directives anticipées qui s’imposeront au
médecin – jusqu’ici, elles étaient seulement « consultables » par l’équipe médicale. Pour Jean
Leonetti (LR, Alpes-Maritimes), co-rapporteur du texte avec le socialiste Alain Claeys, la nouvelle
loi est un « aboutissement » qui évite « l’affrontement brutal entre la droite et la gauche, de même
qu’un débat caricatural entre la morale et le progrès ».
20
Une « exemplarité » saluée par le chef du service de réanimation neurochirurgicale de l’hôpital de
la Pitié-Salpêtrière à Paris. D’après Louis Puybasset, « cette démarche de consensus, unique au
monde sur ces sujets, a permis de faire émerger un texte équilibré » dont l’objectif est de garantir
une mort apaisée à tous les Français. « Avec cette loi, on ne peut plus laisser des gens souffrir en fin
de vie », résume le réanimateur, alors que de nombreux rapports* ont dénoncé ces dernières années
le « mal-mourir » en France. Pourtant, à mesure que le texte a pris forme, des inquiétudes ont
émergé. Tout le monde s’accorde sur l’objectif d’une fin de vie apaisée et la nécessité de garantir la
meilleure prise en charge possible, quel que soit l’endroit où l’on termine sa vie – hôpital, domicile
ou maison de retraite.
Cependant, certains redoutent des dérives, via une interprétation extensive du droit à la sédation
« profonde et continue », qui pourrait alors devenir une « euthanasie déguisée ». C’est le cas de
Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita : « Loin d’être un rempart, ce texte risque de
constituer une étape » vers l’aide active à mourir, « car il est très ambigu. Il manque le critère de
l’intention ». Il aurait fallu, selon lui, écrire en toutes lettres que l’intention de la sédation n’est pas
de tuer mais seulement de soulager les souffrances. C’est aussi le cas de certains médecins de soins
palliatifs qui se désolidarisent de leur société savante, la société française de soins palliatifs (Sfap),
qui elle, soutient officiellement le texte. « Avec cette loi, tout est possible pour quelqu’un qui
voudrait l’euthanasie », assène sans détour Jean-Pierre Bénézech, responsable de l’équipe mobile
du CHU de Montpellier.
Pour ce médecin, les critères posés à la sédation en phase terminale sont beaucoup trop « flous »
comme, par exemple, la notion de « pronostic vital à court terme » : « Est-ce qu’on parle de jours
ou de semaines ? », interroge ce spécialiste estimant qu’avec ce texte, il sera possible d’arrêter tout
type de traitement et d’endormir le patient même lorsque sa mort n’est pas imminente. Pour JeanMarie Gomas, qui dirige le centre douleur et soins palliatifs de Sainte-Périne, à Paris, l’une des
grandes ambivalences vient de la confusion entre « douleur » et « souffrance ». « Il faut
évidemment supprimer toutes les douleurs physiques des malades qui sont inacceptables, explique
ce cofondateur de la Sfap. En revanche, on ne supprimera jamais le tragique de la mort. Ce texte
pose problème parce qu’il cultive l’idée qu’il faudrait mourir sans rien sentir, autrement dit sans
s’en rendre compte, dans une forme d’anesthésie généralisée ».
Sur le principe, Jean-Marie Gomas n’est pas contre la sédation profonde et continue dans certains
cas rares de fin de vie, lorsque le patient est victime de douleurs réfractaires. « Nous en pratiquons
dans notre service, conformément aux bonnes pratiques », fait-il observer. Ce qu’il redoute, c’est le
signal envoyé par la loi, dans un contexte où de nombreux services médicaux n’ont pas encore la
« culture palliative » nécessaire pour garantir une bonne prise en charge des mourants. « Des
patients qui, n’étant pas en toute fin de vie, n’en finiront plus de mourir sous sédation. » Dans ces
conditions, explique-t-il en substance, la sédation risque de devenir la solution de facilité pour des
patients que l’on pourrait soulager autrement. « Je crains surtout de mauvaises stratégies de
sédation qui priverait des patients de ce qu’ils ont encore à vivre, pour peu qu’on les soulage
correctement », explique-t-il. Le médecin y voit aussi un autre danger : « On risque de créer des
situations inextricables, avec des patients qui, n’étant pas en toute fin de vie, n’en finiront plus de
mourir sous sédation ». Les partisans de l’euthanasie auront alors beau jeu de dénoncer l’hypocrisie
du texte et de réclamer une législation similaire à celle de la Belgique. Des craintes également
relayées à Montpellier par Jean-Pierre Bénézech, qui se demande « comment, avec un tel signal,
faire vivre l’approche palliative, fondée sur l’accompagnement, le fait que la vie vaut la peine
d’être vécue et que l’on est digne jusqu’au bout ? ».
Pour Jean Leonetti, ces inquiétudes n’ont pas lieu d’être, car certaines ambiguïtés ont été levées au
cours de la discussion parlementaire. Ainsi, en commission mixte paritaire, les élus ont précisé que
l’arrêt d’un traitement donnant droit à une sédation continue devait être « susceptible d’entraîner
21
une souffrance insupportable » – autrement dit, l’arrêt d’un traitement ne provoquant pas de
symptômes lourds ne conduira pas à engager une sédation terminale, même si le patient la demande.
Quant au pronostic vital « à court terme », il ne pose pas de difficultés, estime Louis Puybasset :
« En médecine, le court terme, ce sont les heures ou les jours, le moyen terme, les semaines et le
long terme, les mois ou les années ». « La loi concerne bien des personnes dont la mort est
imminente et qui souffrent », martèle encore Jean Leonetti, d’ailleurs convaincu que le texte est
« plus protecteur » que celui de 2005. « Les craintes sont paradoxales, remarque-t-il, car la
nouvelle loi va justement permettre d’éviter des sédations terminales sauvages, les critères étant
désormais bien définis en droit ».
En réalité, c’est la mise en application qui sera déterminante. Le député le reconnaît lui-même :
« Nous l’avons dit dès la présentation du texte, en décembre 2014 : sans diffusion de la culture
palliative, sans personnel bien formé, cette loi ne portera pas ses fruits. » Après trois ans d’attente,
le gouvernement vient de lancer un nouveau plan (2016-2018) pour le développement des soins
palliatifs, doté de 190 millions. Ce plan prévoit notamment des mesures pour améliorer
l’enseignement universitaire et la formation continue des médecins dans ce domaine. De son côté, le
délégué d’Alliance Vita promet que l’association sera très attentive : « Nous allons créer des
comités de vigilance pour limiter les dérives, assure Tugdual Derville, et nous serons un centre de
ressources pour les soignants qui s’interrogent sur les pratiques de sédation. »
*Le rapport Sicard de 2012 et l’avis du Comité consultatif national d’éthique de 2013.
La loi fin de vie adoptée sans apaiser le débat
Le Monde du 28 janvier 2016 par François Béguin
Les parlementaires devaient voter mercredi, le texte instaurant un droit à la « sédation
profonde et continue »
Ce ne sera ni l’avancée décisive espérée par les partisans d’un « droit à mourir » ni le statu quo
défendu par les pro-vie. Plus de dix ans après la loi Leonetti, à l’issue d’un long et houleux
processus d’élaboration entamé en 2012, la France devrait se doter, mercredi 27 janvier, d’une
nouvelle loi sur la fin de vie.
Sauf coup de théâtre au Palais du Luxembourg, une majorité de députés puis de sénateurs issus de
la majorité et de l’opposition devraient définitivement se prononcer en faveur d’un texte instaurant
un droit à la « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale,
ainsi que des directives anticipées contraignantes. « On va passer d’un devoir des médecins à un
droit des malades », explique le député Jean Leonetti (LR), coauteur de la proposition de loi avec
son homologue (PS) Alain Claeys. Stricte traduction d’un engagement de campagne du candidat
François Hollande en 2012, qui promettait le droit à une « assistance médicalisée pour terminer sa
vie dans la dignité », le texte n’autorisera ni l’euthanasie ni le suicide assisté, au grand dam d’une
partie des parlementaires de gauche.
Consensus mou
En décembre 2014, plus d’un an et demi après le vote du mariage homosexuel, le chef de l’Etat
avait souhaité que l’autre grande réforme sociétale de son quinquennat se fasse dans un « esprit de
rassemblement ». Marginalisés par ce choix, le Premier ministre, Manuel Valls et la ministre de la
Santé, Marisol Touraine, tous deux signataires en 2009 d’une proposition de loi prévoyant une
« aide active à mourir », n’ont cessé de répéter que cette loi de consensus devait être vue comme
une « étape ». En dépit des – vaines – tentatives de députés de gauche d’instaurer une aide active à
22
mourir, et celles de sénateurs de droite pour neutraliser un textez soupçonné de permettre des
pratiques euthanasiques, la version sur laquelle vont se prononcer les deux Chambres mercredi est
finalement assez proche de celle que François hollande avait appelée de ses vœux. « Nous avons
levé les inquiétudes et les ambiguïtés sans dénaturer le texte », expliquait Jean Leonetti le 19
janvier, à l’issue d’une commission mixte paritaire qui venait d’harmoniser les positions des deux
Chambres sur le sujet.
Concrètement, la nouvelle loi va mettre en place ce que M. Leonetti appelle un « droit de dormir
avant de mourir pour ne pas souffrir ». Si cette pratique sédative existe déjà dans les hôpitaux
français, « elle est loin d’être générale et homogène », avaient constaté les deux auteurs de la
proposition de loi. Désormais, un médecin ne pourra pas s’opposer à une demande de sédation
profonde et continue de la part d’un patient atteint d’une « affection grave et incurable », dont le
« pronostic vital est engagé à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance
insupportable ». Cette sédation, qui devra être accompagnée d’un arrêt de tous les traitements, y
compris de l’alimentation et de l’hydratation artificielles, a concentré depuis un an les critiques des
pro-euthanasie et des pro-vie. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a
regretté que le nouveau texte, « fruit d’un consensus mou », propose « pour seule issue la
déshydratation et la dénutrition ». La loi Claeys-Leonetti va « encourager une pratique
abracadabrantesque de l’euthanasie », juge le sociologue Philippe Bataille, très critique envers la
nouvelle loi. Au collectif pro-vie Soulager mais pas tuer, on estime que ce droit à la sédation « reste
très ambigu, les parlementaires ayant refusé de préciser que l’intention de la sédation ne doit pas
être de provoquer la mort ». « Quelles que soient les limitations légales et les garde-fous, les
médecins pourront de moins en moins refuser d’introduire un patient, à sa demande, dans cette
antichambre sédative prémortuaire », déplore Damien Le Guay, le président du Comité national
d’éthique du funéraire dans une tribune au Figaro.
« Avec ce droit à une sédation terminale, des situations inextricables vont apparaître », prévient-il.
Procédure collégiale
A ces différentes critiques, Bernard Devalois, le chef de service de l’unité de soins palliatifs de
l’hôpital de Pontoise (Val d’Oise), répond qu’il s’agit d’une « sédation palliative ou bientraitante
car elle n’est pas responsable du décès. Sauf évidemment si les sédatifs utilisés sont volontairement
très largement surdosés », ajoute-t-il, regrettant au passage que les parlementaires aient renoncé à
mettre en place un dispositif de contrôle a posteriori des pratiques sédatives, afin « d’évaluer le
dispositif et ses éventuelles dérives ».
Les directives anticipées, par lesquelles il est possible de faire connaître son refus d’un acharnement
thérapeutique – jusque-là simplement indicatives – s’imposeront définitivement au médecin, sans
être toutefois opposables. Le soignant pourra en effet y déroger « en cas d’urgence vitale pendant le
temps nécessaire à une évaluation complète de la situation » et lorsqu’elles « apparaissent
manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ». Ce refus devra être pris à
l’issue d’une procédure collégiale et figurer noir sur blanc dans le dossier médical du patient. Après
le vote, plusieurs aspects de la loi devront encore être précisés par décret, dont la formulation du
futur formulaire-type de directives anticipées. Une parution espérée d’ici à juin par M. Claeys.
Médecine personnalisée ou médecine de précision
Les médecins doivent s’emparer du sujet
Le Quotidien du Médecin du 28 janvier 2016 par Coline Garré
23
Sous l’impulsion de la médecine personnalisée, autrement appelée de précision, 4 P
(personnalisée, prédiction, prévention, participation), ou encore systémique, un nouveau
modèle se profile à l’horizon. Porteur de promesses thérapeutiques, il n’est pas sans
bouleverser le rôle et le statut des médecins.
« Le monde est aujourd’hui entré dans la troisième révolution de la santé, celle de la médecine
digitale », a déclaré la ministre de la Santé en ouvrant la première journée nationale de l’innovation
en santé, ce 23 janvier.
Les pouvoirs publics affichent leur intérêt pour cette nouvelle médecine. Le Premier ministre a
confié au printemps 2015 au Pr Yves Levy, président de l’INSERM et de l’Alliance nationale pour
les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) une mission sur le séquençage du génome entier en
routine, qui devrait accoucher d’un plan décennal mi-février. La ministre de la Santé a indiqué que
le plan médecine du futur verra son comité de pilotage, coprésidé par le Pr André Syrota et Olivier
Charmeil, prochainement installé. Elle a nommé le Pr Jean-Yves Fagon délégué ministériel à
l’innovation en santé. Marisol Touraine a enfin confié au comité consultatif national d’éthique
(CCNE) le soin de mener une « réflexion complète et participative » sur le séquençage génomique
complet.
Diagnostic, traitement et suivi
La médecine de précision, déjà utilisée en oncologie, et de plus en plus dans les maladies
chroniques, se révèle très prometteuse tant au niveau du diagnostic que du traitement et du suivi. En
matière de diagnostic, « l’enjeu est de développer des technologies mesurant, de façon
reproductible, des biomarqueurs, pour caractériser le patient, à la fois par rapport à sa pathologie
et à son profil biologique, et ainsi faire les choix thérapeutiques les plus adaptés », explique Frank
Lethimonnier, directeur de l’Institut technologies pour la santé Aviesan.
Un espoir pour quelque 50 000 nouveaux cancers découverts chaque année (sur 350 000), pour
lesquels les thérapies patinent.
La médecine de précision permet ensuite d’adapter la délivrance des thérapies en fonction des
« données réelles » du patient, poursuit Franck Lethimonnier et de la contrôler dans le temps et
l’espace. La recherche sur les biomatériaux devrait donner lieu à des dispositifs médicaux plus
élaborés, pouvant communiquer avec les smartphones. Le suivi est amélioré avec des mesures en
temps réel de l’efficacité des thérapeutiques. La médecine de précision renouvelle aussi la
prévention. En pneumologie, les médecins espèrent ainsi prévenir l’asthme, chez certains jeunes
patients pris en charge pour une rhinite, une allergie, un eczéma. « En analysant les gènes, le mode
de vie, le microbiote, on pourrait identifier des signatures chez des individus qui auraient été
choisis parce qu’ils présentent des facteurs de risque (comme des parents asthmatiques) et ainsi
adapter les traitements pour prévenir la maladie », explique le Pr Antoine Magnan, pneumologue,
chercheur à l’Institut du thorax, et président de la CME du CHU de Nantes. Outre la prévention,
l’analyse des biomarqueurs permettrait de cibler les catégories de patients souffrant d’asthme sévère
chez qui les thérapies innovantes permettraient de se passer de corticoïdes. Très coûteuses, elles
deviendraient ainsi soutenables, ne serait-ce qu’en évitant les hospitalisations tardives.
Médecine renversée
« Les médecins doivent s’emparer de cette médecine des 4 P, avec les philosophes, les industriels,
pour qu’elle ne se développe pas de façon anarchique » exhorte le Pr Magnan. Il parle d’une
médecine renversée. « C’est le citoyen en bonne santé qui entre dans le système de santé, et non
plus le malade », explique-t-il. L’hôpital devient un lieu de passage. À côté du couple médecinpatient, apparaît le couple « prévenant prévenu », et le trio « expert, médecin de proximité et
patient ». La médecine du futur n’enfantera pas un patient seul au milieu d’une forêt d’ordinateurs.
Néanmoins, elle exige le développement de nouvelles compétences et métiers, dans les facultés de
médecine, de sciences humaines, et dans les écoles d’ingénieurs. Face aux données, le rôle
d’interprétation et d’information est plus que jamais nécessaire. « Il faut développer des stratégies
24
de conseils et des outils pour aider le médecin à délivrer un message adapté », estime le Pr
Magnan. « Il n’y a pas de disqualification de la relation patient malade. L’interprétation des
résultats (qui pourra être aussi le rôle des paramédicaux) doit se faire dans un entretien face à
face », continue-t-il. Le CCNE ne dit pas autre chose dans l’avis 124 : « Le risque de
dépersonnalisation de la relation médecin/patient devrait être compensé par un enseignement
médical faisant une place à une conception holistique de l’individu, apprenant à traiter l’homme et
pas seulement sa pathologie, encore moins son génome ».
Incertitude et autonomie
D’autant que toute interprétation est cernée d’incertitude. Faire parler l’ADN suppose « d’intégrer
les données de la recherche et des hypothèses sur la façon dont l’environnement agit », rappelle
Catherine Bourgain, chercheuse à l’INSERM, en plaidant pour articuler médecine personnalisée et
environnementale. La première ne doit pas aller sans une profonde réflexion autour de l’autonomie
du sujet, afin que le gène ne devienne pas normatif et la prédiction, contrainte. « Il faut se garder de
penser l’autonomie sans les conditions d’exercice de l’autonomie (accès à l’information,
déterminants médico-sociaux, etc) sous peine d’aggraver les inégalités », dit Catherine Bourgain.
Un appel à ce que la société et le politique prennent leurs responsabilités et se lancent dans
l’innovation… sociale.
Où est la personne ?
Bien que « médecine personnalisée » soit le terme usité, des voix s’élèvent pour lui préférer
« médecine de précision », des « 4P » ou « holistique ». Pour Jean Claude Ameisen, président du
CCNE, la médecine personnalisée est une « escroquerie » en ce qu’elle prétend s’adresser à la
personne à travers le biologique (au risque de réduire l’une à l’autre).
Patrice Denefle, directeur de l’Institut Roche de recherche et médecine translationnelle, voit plutôt
une continuité entre la médecine personnalisée et de précision, née lorsque Claude Bernard a poussé
ses étudiants dans les laboratoires. « La médecine personnalisée est un mot-valise qui recouvre des
approches plurielles », constate le philosophe François-Xavier Guchet. Au fond, la question qui
reste à travailler est celle du statut de la personne en son sein, alors que le concept de personne est
tout (théologique, juridique…) sauf biologique, alors que le vivant est ce qui est excès et ne saurait
être englobé dans la médecine holistique.
L’OMS s’inquiète de
« explosive » du virus Zika
la
propagation
Le Monde du 29 janvier 2016 par Hervé Morin
Est-ce la crainte d’être accusée de n’avoir pas réagi en temps et en heure, comme pour l’épidémie
d’Ebola ? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé, jeudi 28 janvier, la convocation
d’une réunion d’urgence le 1er février à Genève sur l’épidémie de Zika, qui se propage « de manière
explosive », selon les termes de sa directrice générale, Margaret Chan. « Le niveau d’alarme est
extrêmement élevé », a-t-elle souligné. Notamment parce que la mise en évidence progressive d’un
lien entre l’infection par ce virus et des cas d’atteinte nerveuse et de malformations congénitales,
dont des microcéphalies, a changé le « profil » de Zika, considérée d’abord comme une menace de
moyenne importance.
Le virus, transmis par des moustiques du genre Aedes, circule désormais dans 23 pays du continent
américain, et des cas importés sont signalés dans de nombreux pays européens. Le pays le plus
touché est le Brésil, avec 1,5 million de cas estimés en moins d’un an, mais la région pourrait
compter en 2016 trois à quatre millions de personnes infectées, avance l’OMS, en se fondant sur
25
des estimations antérieures concernant la dengue, une fièvre transmise par les mêmes moustiques.
Elle souligne que la Chine et d’autres pays où la dengue sévit devraient surveiller attentivement
l’émergence éventuelle du virus Zika, qui appartient à la même famille des flavivirus.
Menaces suffisamment claires
L’OMS s’inquiète « profondément » de l’évolution de la situation pour quatre raisons, a souligné
Margaret Chan : l’association possible entre l’infection et des malformations congénitales et des
atteintes neurologiques ; la possibilité d’une diffusion internationale liée à la large distribution
géographique des moustiques vecteurs ; l’absence de protection immunitaire de la population dans
les zones nouvellement affectées et enfin l’absence de vaccin, de traitement spécifique et de tests
rapides de diagnostic. La présence d’un fort El Nino, un phénomène climatique cyclique qui
favorise la pullulation des moustiques, pourrait rendre la situation plus critique.
A l’issue de la réunion du 1er février à Genève, un comité devra déterminer si l’épidémie correspond
effectivement à une « urgence de santé publique internationale ». Une déclaration en ce sens aurait
pour conséquence de mobiliser des fonds supplémentaires et la montée en puissance d’une
coordination internationale, une mesure que nombre d’experts appelaient de leurs vœux. Ainsi, dans
le Journal of the American Medical Association (JAMA) du 27 janvier, deux spécialistes américains
de santé publique publiaient un point de vue appelant l’OMS à agir, estimant que les menaces
étaient suffisamment claires, avec en outre la perspective de Jeux olympiques à Rio à l’été 2016.
Le virus Zika est longtemps passé pour bénin. Isolé en 1947 dans un singe macaque rhésus d’une
forêt d’Ouganda, il a été détecté chez un moustique en 1948 et chez l’homme pour la première fois
au Nigeria, en 1954. Pendant des décennies, on n’a relevé que des cas sporadiques dans la ceinture
équatoriale africaine et asiatique.
La première épidémie documentée remonte à 2007 sur l’île micronésienne de Yap, où les trois
quarts de la population avaient été infectés, mais seulement 20 % avaient présenté des symptômes
mineurs.
Malformations congénitales
On retrouve ensuite le virus en Polynésie française entre 2013 et 2014, où il entraînera 32 000
consultations et 42 hospitalisations pour des syndromes de Guillain-Barré, une atteinte progressive
et le plus souvent réversible des fibres nerveuses, mais qui peut nécessiter une assistance
respiratoire lourde et une longue rééducation. Des études sont en cours pour déterminer si la
concomitance d’une épidémie de dengue et de facteurs génétiques a constitué des facteurs
aggravants. Mais des cas relevés aussi au Brésil après des épisodes viraux renforcent les
présomptions.
De même, la multiplication de cas de microcéphalie au Brésil (plus de 3 000 en quelques mois), en
lien avec une infection par le virus, inquiète au plus haut point les autorités sanitaires, qui
soupçonnent aussi d’autres types de malformations congénitales. Là encore, la Polynésie française
fait figure d’avant-poste de l’épidémie : sa direction de la santé a diffusé en décembre 2015 un
communiqué faisant état de 18 cas de malformations du système nerveux central identifiés sur des
enfants ou des fœtus entre mars 2014 et mai 2014, soit « plus que la fréquence habituelle ».
De nombreuses questions restent encore en suspens sur le virus, son mode d’action et de
transmission. Peut-il se transmettre aussi par voie sanguine ou sexuelle ? Il a été retrouvé dans le
sperme d’un malade par exemple et des cas de transmission en cours d’accouchement ont été
rapportés. La souche virale qui circule désormais a-t-elle récemment muté pour devenir plus
toxique ? Sa faible dangerosité supposée, jusqu’à une période récente, n’en avait pas fait une
priorité de recherche, comme naguère le chikungunya, si bien que les réponses manquent encore.
En l’absence de traitement dédié et de vaccin – dont le développement requiert généralement
plusieurs années d’expérimentation – les efforts vont devoir s’orienter vers la prévention : éviter de
s’exposer aux moustiques vecteurs, et limiter les populations de ceux-ci. Le Brésil a mobilisé
200 000 soldats pour sensibiliser la population au risque, et il a été recommandé aux femmes de ne
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pas y tomber enceintes, comme en Colombie, au Salvador, en Equateur ou à la Jamaïque. De son
côté, la ministre française de la Santé, Marisol Touraine, a « fortement » recommandé jeudi aux
femmes enceintes de différer d’éventuels voyages aux Antilles ou en Guyane française.
La France métropolitaine doit-elle s’inquiéter ? L’arrivée de cas importés a déjà eu lieu depuis la
Polynésie française, et celle des porteurs du virus asymptomatiques en provenance des zones
infestées est inévitable. Le moustique tigre (Aedes albopictus) qui pourrait prendre le relais pour
diffuser le virus dans le sud du pays ne restera en sommeil que jusqu’en mai.
L’allaitement maternel, c’est bon pour les
bébés, les mamans et l’économie
Libération avec AFP du 29 janvier 2016
Un allaitement prolongé pourrait sauver la vie de plus de 800 000 bébés chaque année tout en
faisant économiser des milliards de dollars aux systèmes de santé à l’échelle planétaire grâce à son
rôle de protection contre certaines maladies infantiles, selon une série d’études publiées vendredi.
« Seul un enfant sur cinq est allaité jusqu’à ses douze mois dans les pays riches tandis que seul un
enfant sur trois est allaité exclusivement les six premiers mois de son existence dans les pays à
revenus faibles ou moyens », indique la revue médicale britannique The Lancet. Ce sont par
conséquent des millions d’enfants qui ne bénéficient pas pleinement des bienfaits du lait maternel,
constatent les chercheurs.
Le lait maternel couvre tous les besoins alimentaires du bébé pendant les six premiers mois de sa
vie. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande ainsi un allaitement maternel
« exclusif » jusqu’à l’âge de six mois et un allaitement partiel jusqu’à deux ans. Selon elle, moins
de 40 % des bébés dans le monde en bénéficient aujourd’hui. Outre la fonction purement
alimentaire, l’allaitement est réputé depuis longtemps pour avoir des effets bénéfiques à la fois sur
la santé du nourrisson et sur celle de la mère. L’allaitement de longue durée « pourrait épargner plus
de 800 000 vies d’enfants chaque année dans le monde, soit l’équivalent de 13 % de l’ensemble des
décès d’enfants de moins de deux ans », précisent les auteurs se fondant sur une série de recherches.
Il pourrait en outre prévenir chaque année le décès de 20 000 mères consécutif à un cancer du sein,
ajoutent-ils.
Et, contrairement à une « idée faussement et largement répandue », les bénéfices de l’allaitement ne
concernent pas seulement les pays pauvres. « Nos travaux démontrent clairement que l’allaitement
sauve des vies et permet de faire des économies dans tous les pays, les riches comme les pauvres »,
écrivent-ils. D’où la nécessité, selon eux, de s’attaquer au problème à l’échelle mondiale. « Dans les
pays riches, l’allaitement réduit de plus d’un tiers la mort subite du nourrisson. Dans les pays
pauvres ou aux revenus moyens, environ la moitié des épidémies de diarrhée et un tiers des
infections respiratoires pourraient être évités grâce à l’allaitement », ajoutent les chercheurs.
L’allaitement longue durée contribuerait également à diminuer les risques d’obésité et de diabète
chez l’enfant. Pour les mères, il réduirait les risques de cancer du sein et des ovaires.
Les chercheurs ont par ailleurs calculé qu’en portant à 90 % le taux d’allaitement exclusif jusqu’à
six mois aux Etats-Unis, en Chine et au Brésil et à 45 % au Royaume-Uni, cela permettrait de
diminuer les coûts de traitements des maladies infantiles courantes telles que la pneumonie, la
diarrhée ou l’asthme. Grâce à l’allaitement « une économie pour le système de santé d’au moins
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2,45 milliards de dollars aux Etats-Unis, de 29,5 millions au Royaume-Uni, de 223,6 millions en
Chine et de 6 millions au Brésil » serait réalisable. Dans les pays riches, le Royaume-Uni, l’Irlande
et le Danemark ont les taux d’allaitement à douze mois les plus faibles du monde (respectivement
inférieur à 1 %; 2 %; 3 %). Sur la base d’une étude précédente, publiée en mars 2015, qui soutenait
qu’un allaitement contribue à une intelligence accrue, une scolarité plus longue et donc de meilleurs
revenus à l’âge adulte, ils estiment que la faiblesse de l’allaitement a représenté une perte de 302
milliards de dollars (0,49 % du PIB mondial) en 2012.
Les scientifiques déplorent par ailleurs des publicités agressives en faveur des laits de substitution
qui sapent, selon eux, les efforts des autorités pour promouvoir l’allaitement maternel. « La
saturation des marchés des pays riches a conduit les industriels à pénétrer rapidement les marchés
émergents », ajoutent-ils. « Les ventes mondiales de lait (de substitution) se sont accrues en valeur
passant de deux milliards de dollars en 1987 à 40 milliards environ en 2014 », notent-ils. Selon eux,
les pays sont pourtant en mesure d’améliorer considérablement la pratique de l’allaitement. A titre
d’exemple, au Brésil, la durée d’allaitement est passée de 2,5 mois dans les années 1974-1975 à 14
mois en 2006-2007 grâce à une politique proactive des services de santé et de larges campagnes
d’information.
Vers une mise sous tutelle de Vincent Lambert
La Croix du 1er février 2016 par Flore Thomasset
Une audience se tient lundi 1er février au tribunal de grande instance de Reims pour savoir s’il
faut placer sous tutelle Vincent Lambert, patient en état végétatif autour duquel ses proches se
déchirent.
Quelle est l’origine de cette procédure ?
En juillet, alors que le Conseil d’État puis la Cour européenne des droits de l’homme avaient validé
la décision médicale d’arrêt des traitements sur Vincent Lambert, le docteur Daniela Simon, chef de
service au CHU de Reims où le patient est suivi, a décidé de suspendre la nouvelle procédure
collégiale. L’équipe médicale, menacée par les partisans du maintien en vie, préférait demander au
procureur de saisir le juge des tutelles. L’enjeu : désigner un tuteur, représentant légal de Vincent
Lambert, capable de prendre des décisions en son nom. Depuis des années, en effet, sa famille se
déchire sur son avenir. L’épouse et une majorité de la famille, favorables à l’arrêt des traitements,
s’opposent aux parents et à deux frères et sœurs, qui s’y refusent.
Quel est l’enjeu de la mise sous tutelle ?
Comme le juge l’a indiqué aux parties, il ne s’agit pas de désigner un tuteur qui déciderait de l’arrêt
des traitements. « C’est une décision qui ne peut être que médicale, rappelle un médecin qui connaît
bien le dossier. L’enjeu est plutôt de savoir où le patient doit être pris en charge. » Vincent
Lambert est suivi au CHU de Reims depuis plusieurs années, en accord avec son épouse qui y
habitait. Mais les parents estiment qu’il n’y est pas à sa place. Ils contestent la qualité des soins qui
lui sont prodigués par une équipe qui, à plusieurs reprises, a décidé d’arrêter les traitements et qui
ne fait donc plus, selon eux, le maximum pour le stimuler. Ils souhaitent que leur fils soit transféré
dans un autre établissement spécialisé dans la prise en charge des patients en état pauci-relationnel.
Le juge devra décider d’une part s’il y a besoin de tuteur, ce qui ne devrait pas faire trop débat, et
d’autre part qui peut être ce tuteur. « L’esprit de la loi donne la primauté à la famille, estimant que
c’est elle la mieux placée pour exercer des mesures de protection sur un proche, explique Hadeel
Chamson, responsable du service juridique de la Fédération nationale des associations tutélaires.
Cela dit, le juge n’est guidé que par l’intérêt de la personne. Donc, quand la famille est éloignée ou
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que la personne à protéger est devenue l’enjeu d’un conflit, comme c’est le cas ici, il peut décider
de désigner un tiers extérieur. C’est le cas dans 40 % des décisions. »
Qu’en pensent les parties ?
Les parents sont favorables à cette démarche du CHU. « C’est une solution de sortie de crise
raisonnable, qui permettra de prendre de la hauteur », estime leur avocat, Jean Paillot, qui se dit
« raisonnablement optimiste ». « Cela montre d’une part qu’ils ne considèrent plus l’épouse comme
leur interlocuteur juridique et, d’autre part, que le CHU a la volonté de réfléchir à des alternatives
à la question de l’arrêt ou non des soins, puisqu’il pose désormais la question du transfert. » À
l’inverse, l’épouse de Vincent Lambert y est opposée. Celle-ci exerce déjà la tutelle des biens de
son époux et estime que s’il faut un tuteur, elle est la mieux placée. « En quoi une structure qui n’a
jamais eu le moindre contact avec Vincent Lambert quand il était en mesure d’exprimer ses
volontés serait légitime à prendre des décisions pour lui ? », s’interroge son avocat, Laurent Pettiti,
qui insiste sur le fait que « dans la décision d’arrêt des traitements, le Conseil d’État a retenu que
Rachel Lambert était la plus apte à faire connaître l’avis de son mari ».
Enfin, le neveu de Vincent Lambert, très investi depuis le début de l’affaire, conteste lui aussi la
mise sous tutelle. Il n’y voit « qu’un prétexte pour contourner la seule question qui mérite d’être
posée, explique-t-il dans un communiqué. Le CHU prendra-t-il un jour ses responsabilités à
l’égard de Vincent ou continuera-t-il à s’acharner impunément sur son patient ? » Le tribunal ne
rendra pas sa décision avant plusieurs semaines.
Virus zika : l’OMS piquée au vif
Libération du 2 février 2016 par Christian Losson
L’Organisation mondiale de la santé pourrait prendre des mesures pour contrer la plus grosse
épidémie jamais connue, qui touche d’ores et déjà 25 pays.
L’épidémie du virus zika constitue « une urgence de santé publique de portée mondiale », a estimé
ce lundi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui avait réuni à huis clos son comité
d’urgence, sous forme d’une conférence téléphonique.
D’où vient le virus zika ?
Le virus a été isolé la première fois en 1947 dans la forêt de Zika, en Ouganda, sur les bords du lac
Victoria, parmi les singes rhésus par le biais d’un réseau de surveillance de la fièvre jaune
selvatique. « On l’a ensuite identifié chez l’homme en 1952 en Ouganda et en République unie de
Tanzanie », explique l’Organisation mondiale de la santé. Pendant de nombreuses années, seuls des
cas sporadiques ont été détectés chez des humains en Afrique et en Asie du Sud. « Une quarantaine
de cas cliniquement documentés, tout ou plus, la preuve que l’on n’avait pas identifié de problème
», dit Vincent Robert, entomologiste médical à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
« La première épidémie chez l’homme remonte à 2007, où 73 % des habitants des îles Yap, en
Micronésie, avaient été infectés », rappelle Arnaud Fontanet, directeur de l’Unité d’épidémiologie
des maladies émergentes à l’Institut Pasteur de Paris. Soit environ 5 000 cas. Une deuxième
épidémie a eu lieu, en 2013-2014, en Polynésie française, où elle a fait 55 000 malades. Dans la très
grande majorité des cas, les manifestations cliniques de l’infection avaient été bénignes. Puis en
mars 2015, l’épidémie est réapparue en Amérique latine, au Brésil, où 1,5 million de personnes
seraient touchées, selon l’OMS. Soit l’épidémie la plus importante jamais connue puisqu’elle frappe
à ce jour près de vingt-cinq pays.
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Comment se transmet-il ?
Le zika est un virus transmis à l’homme par les moustiques du genre Aedes, « très nombreux dans
le monde », dit Vincent Robert, notamment Aedes aegypti, dans les zones tropicales et
subtropicales, et Aedes albopictus, capable d’hiberner et de survivre dans des milieux plus
tempérés. « Ces moustiques véhiculent également d’autres arbovirus, comme la dengue et le
chikungunya, rappelle Vincent Robert. L’Aedes aegypti est présent depuis plusieurs siècles aux
Antilles et en Guyane. En métropole, seul l’Aedes albopictus est présent, on le surnomme moustique
tigre en raison des rayures qui le couvrent. »
Le vecteur qui assure la majorité de la transmission de la maladie en Amérique latine est le
moustique Aedes aegypti. « Seule la femelle pique, se nourrissant de façon intermittente et de
préférence sur plusieurs personnes, précise l’OMS. Rassasiée, il lui faut trois jours de repos avant
de pondre ses œufs. Ceux-ci peuvent survivre jusqu’à un an sans eau. En présence d’eau - une
quantité réduite d’eau stagnante suffit -, les œufs se transforment en larves, puis en moustiques
adultes. » La meilleure prévention contre ces insectes et leurs gîtes larvaires consiste à se protéger
contre les piqûres en portant des vêtements couvrants et des répulsifs (le moustique tigre pique
surtout en début et en fin de journée), en installant des moustiquaires et en évitant de laisser des
lieux de ponte, c’est-à-dire tout récipient contenant de l’eau stagnante : vases, matériel de jardin,
pneus, flaques d’eau, piscines à l’abandon, etc.
Quels sont les symptômes ?
« Les symptômes bénins des arboviroses habituelles transmises par des arthropodes suceurs de
sang (moustiques, tiques) apparaissant quelques jours après la piqûre par le moustique infecté »,
estime Arnaud Fontanet. La plupart des sujets atteints présentent une fièvre légère et une éruption
cutanée, parfois accompagnées « d’une conjonctivite, de douleurs musculaires et articulaires et de
fatigue, note l’OMS.
Les symptômes disparaissent généralement en deux à sept jours et peuvent être traités avec les
médicaments courants contre la douleur et la fièvre, du repos et beaucoup d’eau. S’ils s’aggravent,
il faut consulter un médecin ». Mais « il n’y a pas, à ce jour, de preuve encore établie de la létalité
du virus », dit Rodolphe Hamel, ingénieur en biologie moléculaire à l’IRD.
La première des deux complications associées au zika se traduit sous la forme de microcéphalies.
« Il s’agit d’enfants qui ont un retard du développement du cerveau et naissent avec un crâne de
petite taille, alors que leur mère a été infectée par le virus zika pendant la grossesse », rappelle
Arnaud Fontanet. L’OMS considère que le lien entre virus et microcéphalie n’est pas encore avéré,
mais il y a une forte suspicion alimentée par des informations qui convergent et s’accumulent. Les
autorités sanitaires brésiliennes ont rappelé mercredi que 4 180 cas suspects ont été dénombrés
au Brésil, contre 147 confirmés en 2014. Seconde complication : le syndrome de Guillain-Barré,
une maladie auto-immune « qui touche les nerfs périphériques, peut entraîner des paralysies des
membres et des complications respiratoires et avait touché 42 patients en Polynésie en 2013
et 2014 », estime Arnaud Fontanet, de l’Unité d’épidémiologie des maladies émergentes.
Comment traiter le virus ?
Il faut déjà commencer par le diagnostiquer par PCR (amplification en chaîne par polymérase) à
partir d’échantillons sanguins. Le diagnostic clinique de l’infection est difficile à établir à cause des
symptômes très proches de ceux de la dengue ou du chikungunya. Mais aussi en raison de réactions
croisées des tests sérologiques avec les autres virus de la même famille, « des flavivirus, comme le
virus de la dengue, du Nil occidental ou de la fièvre jaune », rappelle l’OMS. Du coup, aujourd’hui,
« les tests dont on dispose peuvent être de "faux positifs" en cas d’infection par la dengue ou le
chikungunya dans des pays où les trois infections peuvent cocirculer, admet Arnaud Fontanet, de
l’Institut Pasteur. On travaille donc à établir un test diagnostic simple et fiable, notamment pour les
femmes enceintes ». Sur le front des laboratoires, c’est déjà la course… à la communication. Mais
« impossible de trouver un vaccin avant plusieurs années », note un expert de l’Institut Pasteur.
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Cela n’empêche pas un consortium, qui compte notamment la société pharmaceutique Inovio,
d’évoquer une possibilité de vaccin à des fins d’urgence d’ici la fin de l’année. Hawaii Biotech
assure avoir lancé un programme, à l’automne 2015, visant à tester un candidat vaccin. Et Replikins
se prépare à des expériences sur des animaux. « Reste que si les femmes enceintes sont de plus en
plus touchées, la mobilisation de l’industrie pharmaceutique va être rapide, et on devrait vite aller
vers un vaccin car, contrairement à Ebola par exemple, zika appartient à une famille virale pour
laquelle on dispose de l’un des meilleurs vaccins : la fièvre jaune », avance un expert.
Que reste-t-il à découvrir ?
« On ne sait pas encore beaucoup de choses sur le virus », admet Rodolphe Hamel, de l’Institut de
recherche pour le développement. Des chercheurs de l’IRD au Gabon se sont penchés sur
l’épidémie concomitante de dengue et de chikungunya qui a affecté 20 000 personnes en 2007 à
Libreville, la capitale. « Des chercheurs ont analysé une seconde fois les échantillons sanguins
prélevés il y a sept ans sur les malades, raconte Rodolphe Hamel. Résultat : de nombreux cas
étaient dus au virus zika. Les habitants de Libreville ont été infectés par ce dernier avec la même
fréquence que par les virus de la dengue ou du chikungunya. La capitale a donc connu en 2007 une
épidémie concomitante de dengue, de chikungunya et de zika. » L’OMS pointe d’autres
incertitudes. On manque de connaissances sur les caractéristiques « épidémiologiques du virus, par
exemple période d’incubation, rôle des moustiques dans la transmission et extension géographique
du virus ». On ignore les interactions du virus « avec d’autres arbovirus, c’est-à-dire des virus
transmis par le moustique, la tique et d’autres arthropodes, comme le virus de la dengue ». Enfin,
la communauté internationale doit rapidement mettre au point un laboratoire des « tests
diagnostiques plus spécifiques pour zika afin de réduire les erreurs de diagnostic imputables à la
présence de la dengue ou d’autres virus dans un échantillon ». Et surtout, avancer sur les
traitements et les vaccins.
Comment peut progresser l’épidémie ?
« On commence à mieux comprendre le déroulé », note Vincent Robert, de l’IRD. L’épidémie de
chikungunya sur l’île de la Réunion, qui a tué 225 personnes et contaminé 260 000 habitants (le
tiers de la population) a été « riche d’enseignements » : « Comme tout virus, il connaît une courbe
classique de croissance exponentielle, très vive, surtout quand le virus est nouveau dans une zone
donnée (comme zika en Amérique) ; puis un pic de densité, et une décrue survient sur le même
mode d’autant qu’une fois le virus attrapé, la personne est immunisée. » Les experts l’assurent tous
: l’épidémie reste probablement en phase de croissance, même si un pic a peut-être été atteint au
Brésil, du moins dans les Etats du nord du pays. Mais elle devrait continuer à se développer dans les
autres pays sud-américains, aux Antilles et dans les Caraïbes. Quant à l’Europe, et notamment les
Etats du Sud et la France, il y aura vraisemblablement des cas autochtones, s’accordent à dire les
experts sanitaires. A ce jour, néanmoins, tous les patients détectés sont des cas « d’importation ».
Reste une autre question : l’impact de la mondialisation et du changement climatique. Aedes aegypti
se reproduit dans les eaux stagnantes. Or, constate l’OMS, les « sécheresses prononcées,
inondations, pluies torrentielles et élévation de la température sont autant d’effets connus du
phénomène el Niño - un réchauffement de la partie centrale et orientale de l’océan Pacifique
tropical » qui facilitent le développement des moustiques. « On peut s’attendre à une prolifération
des moustiques à la suite du nombre croissant de gîtes larvaires favorables », prévient-elle.
Virus Zika, un débat médical, politique et
éthique
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La Croix du 2 février 2016 par Pierre Bienvault
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a organisé lundi 1er février une réunion d’urgence
sur l’épidémie qui se propage « de manière explosive » sur le continent américain. Inédite par
son ampleur, cette épidémie suscite un débat à la fois éthique et médical sur l’application du
principe de précaution, certains pays d’Amérique du sud ayant demandé aux femmes de
différer leur projet de grossesse.
Pas question cette fois d’être accusé d’avoir réagi avec retard, comme face à Ebola. Lundi 1 er
février, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a tenu une réunion d’urgence contre l’épidémie
de virus zika, qui touche plus d’une vingtaine de pays sur le continent américain. Et fin janvier c’est
avec des mots alarmistes que l’institution sanitaire avait sonné le tocsin contre l’avancée du virus
dans cette région.
Il s’y « propage de manière explosive », avait averti Margaret Chan, directrice générale de l’OMS.
Tandis que ses services estimaient que 3 à 4 millions de personnes pourraient être touchées cette
année sur ce continent par cette maladie transmise par des moustiques. En termes de dangerosité, le
zika n’a pourtant rien à voir avec le virus Ebola qui, en deux ans, a tué plus de 11 000 personnes en
Afrique de l’Ouest. Longtemps considéré comme inoffensif, le virus zika provoque, lui, quelques
complications neurologiques chez certains patients et des malformations cérébrales graves, des
microcéphalies, chez des nouveau-nés contaminés durant la grossesse de leur mère. « Ce virus zika
n’est pas très grave, mais ces cas de microcéphalie sont préoccupants. Je crois que l’OMS a raison
de donner l’alerte », estime le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l’Institut de
microbiologie et des maladies infectieuses de l’Inserm.
Comme ses confrères, ce médecin s’interroge aussi sur le débat ouvert dans les pays concernés par
cette épidémie inédite. Un débat à la fois médical, politique et éthique sur les limites à fixer dans
l’application du principe de précaution. Faut-il restreindre un peu les libertés individuelles en
demandant aux femmes enceintes de ne pas voyager dans les zones touchées ? Et faut-il, comme
dans certains pays d’Amérique du sud, demander aux femmes de différer leur projet de grossesse ?
« Ces questions sont légitimes et doivent d’abord être abordées entre le médecin et sa patiente »,
répond le Pr Delfraissy.
Comme pour Ebola, la maladie zika n’a, pendant longtemps, pas intéressé grand monde, ni été
perçue comme une menace majeure par les scientifiques internationaux. C’est en 1947 qu’a été
identifié le virus pour la première fois chez un singe, en Ouganda. Le premier cas humain a lui été
décrit en 1952 dans ce pays et en Tanzanie. Mais c’est surtout une épidémie, en 2013-2014 en
Polynésie française, qui a attiré l’attention. « Au total, sur une population de 250 000 personnes,
32 000 ont consulté pour un cas probable de zika. Et 42 personnes ont développé un syndrome de
Guillain-Barré, une affection neurologique qui provoque une paralysie des membres et parfois des
atteintes respiratoires graves », explique le professeur Arnaud Fontanet, responsable de l’unité
d’épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur. À l’époque, pourtant, personne ne
remarque quoi que ce soit chez les femmes enceintes. Il faudra attendre une nouvelle épidémie,
déclarée en mars 2015 au Brésil, pour que l’alerte soit donnée. En novembre dernier, le ministère de
la santé brésilien annonce qu’un nombre de microcéphalies bien supérieur à la moyenne a été
recensé dans certaines zones du pays. « La microcéphalie est une anomalie du développement du
cerveau de l’enfant. Il se traduit par une taille plus réduite de la boîte crânienne mais aussi par des
troubles psychomoteurs chez l’enfant », souligne le professeur Fontanet. « Une microcéphalie peut
être provoquée par différents virus durant la grossesse, celui par exemple de la rubéole ou un
cytomégalovirus », souligne le docteur Roger Bessis, président de la Conférence nationale de
l’échographie obstétricale et fœtale. « Une microcéphalie virale peut entraîner des atteintes
cérébrales très sévères et justifier dans certains cas une interruption médicale de grossesse »,
ajoute-il.
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Quels sont les risques, pour une femme enceinte touchée par le zika, de voir son bébé touché par
une microcéphalie ? La question est cruciale dans les pays concernés. « Le risque semble très faible,
mais on ne peut pas le quantifier avec précision. Tout cela est très nouveau et on manque de recul
sur l’épidémie brésilienne », souligne le professeur Yazdan Yazdanpanah, chef du service des
maladies infectieuses de l’hôpital Bichat à Paris. Même si le risque semble encore faible, les
autorités sanitaires préfèrent jouer la prudence en déconseillant aux femmes de voyager dans les
pays touchés. Cette recommandation est faite par les États-Unis mais aussi par la France. « Même si
elle fait grogner quelques professionnels du tourisme, c’est une mesure de bon sens », souligne le
professeur Delfraissy.
Pourtant, au nom du principe de précaution, faut-il aller plus loin en demandant aux femmes vivant
dans les zones touchées de différer leur grossesse ? Pour l’instant, l’OMS ne le recommande pas,
contrairement à plusieurs pays d’Amérique du sud, en particulier le Brésil, la Colombie, l’Équateur.
Au Salvador, le ministre de la santé a même demandé aux femmes d’attendre… 2018 pour être
enceintes. « C’est une question davantage politique que sanitaire », explique un scientifique
français. « C’est une recommandation extrême, qui me semble difficile à appliquer dans ces pays où
beaucoup de grossesses ne sont pas planifiées », ajoute le professeur Yazdanpanah. En Martinique,
où l’épidémie ne fait que commencer, les autorités sanitaires ne formulent pas cette
recommandation. Au grand regret de certains médecins. « Personnellement, je recommande aux
jeunes femmes qui me posent la question de différer leur projet de grossesse à juillet 2016, le temps
que la phase épidémique soit passée. Le risque lié au zika ne peut être ignoré », souligne le docteur
Dominique Pageaud, médecin généraliste installé au bourg des Trois-Îlets. « Et ce message est en
général bien reçu par mes patientes. Elles conviennent qu’il n’est pas dramatique de reporter ce
projet de seulement quelques mois. »
Sa position apparaît toutefois isolée : « Ce n’est pas rien de demander une telle chose à une femme,
estime le docteur Véronique Orth-Weyers, qui exerce à Fort-de-France. Et, pour l’instant, rien ne le
justifie selon moi car l’épidémie ne fait que commencer. Moi, j’informe les femmes sur les moyens
de se protéger, mais je veille à ne pas créer une psychose injustifiée. » Depuis Paris, le professeur
Delfraissy estime que la décision doit être prise dans le « colloque singulier » entre le médecin et sa
patiente. « Pour l’instant, il semble prématuré de faire cette recommandation. Mais peut-être que,
dans huit jours, si l’épidémie évolue, je vous dirais le contraire », ajoute-il.
Inde : un test prénatal de détection du sexe
Le Figaro du 2 février 2016 avec AFP
La ministre indienne de l'Enfance a proposé de rendre obligatoire les tests prénataux de
détection du sexe de l'enfant à naître afin de réduire le haut niveau de foeticide des filles.
Ces tests de détection du sexe de l'enfant sont officiellement interdits en Inde, une réglementation
destinée à éviter les avortements féminins par des parents ne voulant qu'un garçon. Mais la ministre
des Femmes et du développement de l'enfance, Maneka Gandhi, a semblé amorcer un revirement
lundi soir en déclarant qu'il serait plus efficace de connaître le sexe du fœtus dès le début de la
grossesse et de suivre ensuite attentivement son déroulement. "A mon avis, il faut changer la
politique actuelle. Chaque femme enceinte devrait obligatoirement savoir s'il s'agit d'un garçon ou
d'une fille", a-t-elle dit lors d'un discours à Jaipur. "Toute femme enceinte devrait être enregistrée et
on pourrait ainsi la suivre jusqu'au bout, savoir si elle a accouché ou non et ce qui s'est passé".
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Parents et médecins risquent jusqu'à cinq ans de prison s'ils demandent le sexe de l'enfant ou font un
test prénatal mais cette pratique serait encore répandue. Le Premier ministre Narendra Modi a
exhorté les Indiens à cesser du tuer les fœtus féminins, estimant que le déséquilibre entre les sexes
peut avoir de graves conséquences. Selon une étude de 2011 publiée par la revue britannique The
Lancet, quelque 12 millions de fœtus féminins auraient été avortés en raison de leur sexe au cours
des 30 dernières années. L'Inde compte 940 femmes pour 1000 hommes, selon le dernier
recensement publié en 2011, contre 933 en 2001, une évolution qui selon certaines ONG justifie
l'actuelle politique d'interdiction des tests prénataux.
Dépakine : le scandale continue
Le Figaro du 2 février 2016 par Anne Jouan
Selon nos informations, les pharmaciens ne respecteraient pas les nouvelles règles de
délivrance de l'anticonvulsif.
Comme si de rien n'était. Depuis le 1er janvier dernier, les pharmaciens n'ont, normalement, plus le
droit de délivrer la dépakine sur simple présentation d'une ordonnance émanant d'un généraliste.
L'antiépileptique est connu pour être responsable de malformations sur le fœtus quand il est pris lors
d'une grossesse. Désormais, il doit avoir été prescrit par un spécialiste, comme un neurologue.
Autre nouveauté du début d'année, le pharmacien doit demander à la patiente qu'elle lui présente le
« formulaire d'accord de soins ».
Rédigé par l'agence européenne du médicament, il a pour objectif que « les patientes qui sont en âge
ou vont être en âge d'être enceintes soient pleinement informées et comprennent les risques de
malformations congénitales et de troubles neurodéveloppementaux chez les enfants nés de femmes
ayant pris du valproate pendant la grossesse ».
Et pourtant. Selon nos informations, nombreux sont les pharmaciens qui ne respectent pas cette
double obligation. Ainsi Solène, 35 ans, raconte s'être rendue la semaine dernière dans deux
pharmacies du Val-d'Oise munie de la prescription de son généraliste. L'apothicaire ne lui a pas
demandé le protocole et lui a délivré son anticonvulsif sans sourciller. Solène lui a alors rappelé les
deux nouvelles règles. Réponse : « oui, mais vous êtes une habituée. » Solène s'emporte : « je
pourrais être une habitée et vouloir un autre bébé ! » La jeune femme n'est que trop sensibilisée à
cette question : ses deux enfants ont été exposés à la dépakine pendant la grossesse. Tous les deux
ont des troubles du comportement et l'un d'eux souffre d'une malformation du rein ayant nécessité
une intervention.
« Tout part quand même des médecins ! »
Autre département, même histoire. Ingrid, 39 ans, prend de la dépakine depuis une vingtaine
d'années, toujours prescrite par son généraliste. Elle n'a pas fait d'électroencéphalogramme depuis
2000 alors qu'il s'agit de l'examen clé en matière de suivi de l'épilepsie. Elle est la maman de quatre
enfants venus au monde grâce à la procréation médicale assistée dans un hôpital réputé pour la
stérilité, Antoine Béclère (Hauts-de-Seine). Ses jumeaux ont 6 ans. Pourtant elle n'a appris le lien
entre la prise de dépakine et l'autisme qu'en novembre dernier, par… la presse. À Béclère, on ne lui
a jamais parlé des risques associés a la prise du médicament pendant la grossesse.
La semaine dernière, elle retire sans problème sa dépakine dans une pharmacie de l'Essonne avec
l'ordonnance de son généraliste. Sans qu'on lui demande de présenter le protocole signé. Même
témoignages recueillis par l'association Apesac en Alsace, en Auvergne, Nord-Pas-de-Calais, en
région Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Franche-Comté. Chez les pharmaciens, cette nouvelle
34
réglementation hérisse. « Tout part quand même des médecins ! A un moment, il faudra quand
même qu'ils se bougent », confie un pharmacien excédé. Un autre : « leur liberté de prescription est
intouchable, taboue. De sorte qu'ils se moquent de toute nouvelle réglementation. Mais nous, nous
sommes pris en sandwich entre le patient et les médecins. Et si, faute d'ordonnance de spécialiste,
nous ne délivrions pas de dépakine, puis que la patiente faisait une crise d'épilepsie ? »
En mai dernier, l'Agence française du médicament a envoyé le fameux protocole aux médecins. Ces
derniers avaient par ailleurs été informés des nouvelles règles de prescription depuis… décembre
2014. Pourquoi alors n'en tiennent-ils pas compte ? Isabelle Adenot, la présidente du conseil de
l'ordre des pharmaciens, a diffusé le 1er décembre dernier une « alerte sanitaire » à toutes les
officines. Elle estime que « la dépakine est un dossier explosif, presque du même ordre que le
thalidomide », cet antinausée donne aux femmes enceintes dans les années 1950 et responsables
d'importantes malformations congénitales.
Une enquête préliminaire est toujours en cours au parquet de paris. L'Inspection générale des
affaires sociales, mandatée depuis fin juin, doit rendre prochainement un rapport. Il est très attendu.
Au Brésil, la
microcéphales
psychose
des
bébés
Libération du 3 février 2016 par Chantal Rayes, (correspondante à
São Paulo)
L’épidémie de Zika, qui peut causer l’atrophie du cerveau chez les fœtus, relance le débat sur
l’interdiction de l’avortement.
C’est la face cruelle du virus : au Brésil, l’épidémie de Zika s’accompagne d’un accès de
microcéphalie chez les nouveau-nés. Il y a encore quelques mois, cette atrophie congénitale du
cerveau, qui compromet les fonctions cérébrales et motrices, était relativement rare. Or, ces trois
derniers mois, 3 448 cas suspects ont été relevés, contre 200 par an en moyenne jusqu’alors. Sur les
270 cas confirmés à ce jour, seuls six seraient la conséquence directe d’une infection par le Zika.
Assez toutefois pour alarmer les autorités sanitaires.
C’est au Nordeste que se concentrent plus de 85 % des cas de microcéphalie. En août, leur nombre
bondissait à deux ou trois cas par jour dans l’Etat du Pernambouc, le plus touché du pays. En début
de grossesse, de nombreuses futures mamans ont présenté des symptômes associés au virus (fièvre,
rougeurs et démangeaisons). En novembre, le Brésil alerte l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) : l’examen du liquide amniotique prélevé sur deux fœtus microcéphales identifie pour la
première fois la présence du virus. Les mères avaient été infectées dans les premières semaines de
gestation. Il faudra attendre les examens sur un troisième bébé touché pour que le ministère de la
Santé reconnaisse la relation de cause à effet avec le Zika.
Pourtant, et contrairement à d’autres pays latino-américains, le Brésil s’est gardé de recommander
officiellement aux femmes de reporter leurs projets de grossesse. Son ministre de la Santé, Marcelo
Castro, a été vivement critiqué pour ses peu subtiles insinuations. Interrogé sur les précautions à
prendre, il a répondu : « Le sexe, c’est pour les amateurs, et la grossesse, pour les professionnels. »
Quant à la présidente, Dilma Rousseff, impopulaire pour cause de crise économique, elle aurait
craint de se faire accuser d’autoritarisme. Lundi, le gouvernement a tout de même déconseillé aux
femmes enceintes de se rendre aux Jeux olympiques, qui auront lieu à Rio de Janeiro, en août.
L’épidémie relance cependant le débat sur la dépénalisation de l’avortement, tandis que le
mouvement « pro vie » crie à l’« eugénisme ». L’IVG reste interdite dans le pays, sauf en cas de
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viol, de risque pour la vie de la mère ou d’anencéphalie, une malformation qui se manifeste par
l’absence de cerveau chez le fœtus. Cela n’a pas empêché des femmes d’avorter clandestinement
après que leur bébé eut été diagnostiqué microcéphale. Et parfois même avant, « préventivement »,
rapporte le journal Folha de São Paulo.
L’association féministe Anis s’apprête à saisir la Cour suprême pour lui demander d’autoriser les
femmes atteintes de Zika à interrompre leur grossesse. « Ces femmes sont victimes de l’incurie de
l’Etat, incapable de supprimer le moustique Aedes aegypti [vecteur du Zika, ndlr] et, de surcroît, de
leur garantir l’accès au planning familial, justifie l’anthropologue et activiste Debora Diniz. Elles
doivent pouvoir décider de ce qu’elles veulent faire de leur gestation. »
Chaque année, entre 800 000 et un million de Brésiliennes avortent clandestinement, dans des
conditions souvent très précaires. Du moins pour les plus défavorisées d’entre elles. Or, « le Zika se
concentre dans le Brésil pauvre », observe Diniz, qui rappelle que l’avortement clandestin, à
l’origine de quelque 300 décès par an, est la quatrième cause de mortalité des mères au Brésil. Les
spécialistes se montrent toutefois sceptiques sur les chances d’une victoire. Car si, en 2012, la Cour
suprême avait autorisé l’avortement en cas de fœtus anencéphale, c’est parce que celui-ci n’a
aucune chance de survivre. Il n’en va pas forcément de même pour la microcéphalie.
La lutte contre le cancer malade de la fièvre
des prix des médicaments
Libération du 4 février 2016 par Eric Favereau
Oncologues américains et français dénoncent l’inflation injustifiée du coût des traitements
vendus par les laboratoires pharmaceutiques.
« On ne peut plus continuer, le système va exploser », met en garde le professeur Jean-Paul Vernant
dans son petit bureau de la Pitié-Salpêtrière. Ce cancérologue, avait été, en 2013, l’auteur du rapport
préfigurant le quatrième plan national contre le cancer, centré sur la lutte contre les inégalités. Alors
que se tient ce jeudi la Journée mondiale contre le cancer, ce médecin semble un peu perdu. Voilà
des mois que lui et quelques autres s’alarment de l’explosion des prix des traitements contre cette
maladie. La directrice de l’Institut national contre le cancer (Inca), Agnès Buzyn, qui va prendre ces
jours-ci la direction de la Haute Autorité de santé, ne dit pas autre chose : « C’est le paradoxe, on a
des médicaments qui marchent de mieux en mieux, mais nous ne pourrons plus continuer à les
rembourser à des prix aussi élevés. Il faut imaginer collectivement un nouveau système pour faire
baisser les prix. Car à terme, cela ne sera plus tenable financièrement. » Le mois dernier, c’est la
Ligue nationale contre le cancer qui, dans un appel solennel, a lancé la fronde : « Nous sommes face
à des prix injustes et exorbitants des médicaments innovants qui menacent notre système de santé et
créent des inégalités entre les malades. »
Les prix s’emballent
Le constat est impressionnant. Dans le monde, le coût des médicaments contre le cancer représentait
en 2004 24 milliards de dollars (21,7 milliards d’euros). En 2008, 40 milliards. Et en 2014,
80 milliards sur les 650 milliards de dollars du coût global des médicaments. Si rien n’est fait,
en 2020, ils représenteront 155 milliards de dollars, soit un doublement en six ans. Un exemple :
« La prochaine molécule qui devrait arriver en France contre le traitement du mélanome, appelée
Keytruda, coûterait plus de 100 000 euros par an pour chaque patient traité », précise la Ligue.
« 100 000 euros de traitement, c’est trois fois le revenu moyen d’un ménage en France. Cela pose
un problème économique, éthique et d’équité », dit Franck Chauvin, administrateur de la Ligue.
Pourquoi cette explosion des tarifs ?
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Hier, schématiquement, ce qui définissait le prix d’un médicament était le coût de la recherche et du
développement pour le concevoir. « Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, la recherche, c’est moins de
15 % des budgets, le marketing représentant au moins le double », fait remarquer Jean-Paul
Vernant. Nous sommes dans une autre logique. Les « big pharma » (les grandes industries
pharmaceutiques) justifient le prix proposé par le service rendu par leurs produits. Exemple : le
laboratoire américain Gilead, qui a proposé des nouveaux médicaments contre l’hépatite C, met en
avant le fait que ses molécules vont éviter des cirrhoses, des cancers du foie et des hospitalisations.
« C’est une logique absurde », tempête le professeur Vernant. « Si un tel raisonnement avait été
tenu il y a quelques années, le prix du vaccin contre la polio aurait été énorme. »
Deuxième critère : le prix est lié à la capacité de payer de celui qui achète. Pour dire simplement,
plus le pays est riche, plus le patient peut payer pour quelques mois de vie en plus. Exemple de ces
dérives : une molécule pour une forme particulière de leucémie a été mise sur le marché, il y a
cinq ans, au prix de 30 000 dollars par an et par patient. En 2015, elle est vendue 80 000 dollars aux
Etats-Unis. « Cette hausse n’a aucune autre raison que le fait que le patient peut payer »,
s’alarment des oncologues américains dans un texte commun. Parallèlement, les outils de
production se sont simplifiés. « Avant, les nouvelles molécules coûtaient très cher à produire,
raconte le professeur Vernant. On en expérimentait beaucoup, il y avait un temps de développement
très long. Maintenant, cela va vite. Des laboratoires, bien souvent publics, font des séquençages de
la tumeur, puis pointent des anomalies moléculaires et définissent des cibles. La firme arrive alors,
et peut vite construire chimiquement une molécule. » Dans ce contexte, est-ce un hasard si les
bénéfices des plus grands groupes pharmaceutiques ont doublé en cinq ans ?
Que peut-il se passer ?
Paradoxalement, le premier vent de révolte est venu des Etats-Unis. L’année dernière, une centaine
d’oncologues américains - la plupart ayant pourtant des liens d’intérêt avec les big pharma - ont
lancé une pétition pour exiger une « baisse des prix » des anticancéreux. En France, la Ligue contre
le cancer est montée au créneau en décembre, appelant à une « régulation immédiate ». Le Leem, le
syndicat qui représente les entreprises du médicament, a répondu, bon prince, en se disant prêt à
ouvrir le débat. Les autorités sanitaires anglaises ont, elles, tranché : elles ne prennent plus en
charge certains médicaments.
Pour Agnès Buzyn, auditionnée la semaine dernière à l’Assemblée nationale, faire le dos rond est
suicidaire : « Il est absolument nécessaire de s’engager dans une réforme des outils et des
procédures d’évaluation. » Et si, au passage, les cancérologues français se réveillaient comme leurs
confrères américains ?
Zika : "6 femmes enceintes diagnostiquées
positives au virus dans mon service"
Sciences et Avenir du 4 février 2016 par Lise Loumé
Le Dr Bruno Schaub, gynécologue obstétricien en Martinique, en phase épidémique de Zika,
témoigne de la prise en charge des femmes enceintes sur place, alors que le virus est suspecté
de provoquer des microcéphalies chez les bébés des femmes infectées.
Difficile, depuis Paris, de savoir comment les hôpitaux et services de maternité des territoires
français d'Amérique gèrent l'épidémie de Zika, qui sévit sur ce continent : l'Organisation mondiale
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de la santé a même décrété lundi 1er février 2016 une "urgence de santé publique de portée
mondiale". Au CHU de Cayenne, en Guyane, en phase épidémique depuis janvier 2016 (245 cas
selon un bilan du ministère datant du 3 février 2016), l'on nous explique que les médecins ne
répondent pas aux questions des journalistes, selon les recommandations de l'Agence Régionale de
Santé. En Martinique, également en phase épidémique (2 287 cas), nous avons plus de chance : le
Dr Bruno Schaub, gynécologue obstétricien au CHU de Fort de France et coordonnateur du Centre
pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDP) de Martinique, a accepté de répondre à nos
questions. Concrètement, ce centre aide les médecins et les couples dans l'analyse, la prise de
décision et le suivi de la grossesse lorsqu’une malformation ou une anomalie fœtale est détectée ou
suspectée.
Combien de femmes enceintes ont-elles été diagnostiquées porteuses du virus Zika dans votre
service ?
En date de vendredi 29 janvier 2016, 6 femmes enceintes ont été diagnostiquées positives au virus
dans mon service, 9 au total en Martinique. Beaucoup de femmes enceintes, alertées par les médias,
appellent le CHU et le CPDP et sont inquiètes du risque. Notre rôle est de les informer et de les
rassurer. Sur le site Internet du CPDP, nous avons rédigé des documents mentionnant la manière
dont les femmes enceintes peuvent se protéger des piqûres de moustiques : destruction des gîtes
larvaires dans son entourage, utilisation de moustiquaires, produits insecticides et répulsifs pouvant
être utilisés par une femme enceinte.
Pouvez-vous réaliser un test de détection sur place ?
Oui, l'hôpital est équipé d'une machine RT-PCR permettant la recherche du génome du virus dans
des prélèvements sanguins et d'urine.
Le virus Zika reste toutefois difficile à repérer, car il est détectable peu de temps : dans le sang, du
1er au 5ème jour d'infection, et dans l'urine, du 1er au 10ème jour. Sans compter que dans 80 % des cas,
la maladie est asymptomatique.
Comment sont prises en charge les femmes enceintes dont le test est positif ?
Elles sont traitées pour leurs symptômes, dont certains sont communs avec les virus de la même
famille que Zika, le chickungunya et la dengue. Elles sont suivies de près à raison d'une
échographie par mois avec recherche d’anomalies morphologiques orientées sur les signes
infectieux et les malformations neurologiques, contre trois échographies mensuelles sur toute la
grossesse en temps normal. Pour l'instant, aucune anomalie congénitale n'a été détectée chez ces
patientes diagnostiquées positives en Martinique (ndlr : ni dans le reste des territoires d'outre-mer,
selon les propos de la ministre de la santé Marisol Touraine, le 3 février 2016).
Avez-vous rapidement reçu un protocole d’action de la part des autorités de santé sur la prise
en charge de femmes enceintes ?
Oui, durant la semaine du 26 janvier, j'ai eu connaissance d'un document d'information du Haut
Conseil de la santé publique pour un suivi de grossesse adapté. Celui-ci détaille les conduites à tenir
en cas de suspicion et de confirmation d'une infection chez la femme enceinte, en cas de découverte
d'anomalies à l'échographie ou à la naissance de l'enfant.
Quelle est la procédure lorsqu'un médecin dépiste par échographie une microcéphalie sur le
fœtus ?
La microcéphalie, suspectée d'avoir un lien avec le virus Zika, constitue l'un des symptômes de 80
maladies environ (virales, génétiques, et pouvant aussi être induite par l'alcoolisme maternel) et
n'est donc pas inconnue des médecins. Elle est diagnostiquée tardivement, à la fin du 2ème trimestre
de grossesse, voire au début du 3ème trimestre (entre 28 et 34 semaines d'aménorrhée). La femme
enceinte est alors orientée vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDP), comme le
nôtre, afin que soit réalisée une autre échographie plus poussée, permettant de poser un diagnostic
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précis. Si l'anomalie est confirmée, la patiente est reçue par un neuropédiatre du CPDP qui lui
expliquera ce dont souffre son bébé.
Dans ce cas, une interruption médicale de grossesse peut-elle être décidée ?
La loi est précise à ce sujet : la patiente peut avoir recours à cet acte médical en cas d'anomalie
grave et incurable du fœtus. La microcéphalie en étant une, elle rentre donc dans ce cadre si la
patiente le demande.
Essai clinique : Touraine annonce « trois
manquements majeurs » de la société Biotrial
Le Monde du 4 février 2016 par Sandrine Cabut
Une pincée de transparence, mais encore beaucoup de zones d’ombre autour de l’accident survenu
lors d’un essai clinique de phase I à Rennes, qui a conduit à la mort d’un volontaire sain et
l’hospitalisation de cinq autres. Le rapport d’étape de l’Inspection générale des affaires sociales
(IGAS), présenté jeudi 4 février par la ministre de la santé, Marisol Touraine, n’a pas permis
d’identifier les causes directes de ce drame, sans précédent en France. Mais la mission IGAS a
relevé « trois manquements majeurs » dans « la conduite de l’étude et la gestion de la crise », par le
centre de recherche Biotrial qui conduisait l’essai.
Cette étude de phase I, au protocole complexe, visait notamment à étudier la sécurité d’emploi
d’une molécule, le BIA10-2474, chez des volontaires sains. Ce composé, développé par le
laboratoire portugais Bial, agit sur le système endocannabinoïde et permet en particulier
d’augmenter la concentration d’anandamide, un analogue du cannabis naturellement sécrété par
l’organisme. L’accident s’est produit à la troisième étape du protocole, alors que les volontaires
prenaient des doses multiples et croissantes de BIA 10-2474. Entre le 10 et le 14 janvier, six d’entre
eux ont été hospitalisés, et l’un est décédé.
Imprécisions
D’abord, souligne Marisol Touraine, Biotrial « ne s’est pas tenu suffisamment informé de l’état de
santé du premier volontaire hospitalisé » le 10 janvier. Le lundi 11 au matin, Biotrial a procédé à
une nouvelle administration de la molécule chez les autres volontaires. Il ne s’est pas donné les
moyens qui lui auraient permis de décider de la poursuite ou non de l’essai clinique, poursuit la
ministre. Le second manquement majeur, qui découle directement du premier, est que Biotrial n’a
pas informé directement les autres volontaires de l’événement survenu la veille. Enfin, l’IGAS juge
que cet accident aurait dû « être déclaré sans délai » à l’agence nationale de sécurité du
médicament (ANSM), alors que la déclaration formelle n’est intervenue que quatre jours après
l’hospitalisation du premier volontaire, trois jours après la décision d’interrompre l’essai.
La mission de l’IGAS a, par ailleurs, estimé que les conditions dans lesquelles l’essai a été autorisé
« ne contreviennent pas à la réglementation dans son état actuel », tout en formulant des
remarques, notamment sur des manques de précision du protocole. La note d’étape fait ainsi
allusion aux habitudes de consommation de substances psychoactives, pas assez clarifiées dans les
critères d’éligibilité des postulants à l’essai. Les inspecteurs de l’IGAS doivent rendre un rapport
définitif d’ici à la fin de mars. D’autres investigations sont, par ailleurs, en cours, l’une par
l’ANSM, l’autre par le pôle de santé publique du parquet de Paris.
Signes alarmants
Quelles sont les causes précises de cet accident thérapeutique gravissime ? De quoi exactement est
décédé cet homme de 49 ans ? A-t-il consommé des produits psychoactifs comme du cannabis, ou
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de l’alcool - interdits par le protocole ? A cette question, importante dans un essai portant sur un
produit agissant sur le système cannabinoïde, Marisol Touraine a juste répondu « c’est possible »,
lors de la conférence de presse du 4 février. Ces éléments restent en suspens, les analyses
biologiques, les données de l’autopsie et bien d’autres éléments du dossier n’étant pas disponibles à
ce stade. Une chose est sûre, si la mission de l’IGAS et Biotrial restent vagues sur la description des
signes cliniques, ils n’ont clairement pas la même analyse de la chronologie des événements chez le
volontaire décédé.
Dans un communiqué, le centre Biotrial indique qu’il « a fait hospitaliser le patient dès l’apparition
de ses symptômes légers en vue d’explorations complémentaires. Dans la nuit, les nouvelles
émanant du CHU étaient rassurantes et son retour attendu pour le lendemain. Dans ce contexte
[…], rien ne justifiait la suspension de l’essai. Une nouvelle administration du produit testé a donc
été réalisée [le lundi] à 8 heures pour les autres volontaires. » Le centre dit avoir appris le lundi
11 janvier à 9 heures que ce volontaire passait une IRM et à 10 heures qu’il aurait fait un AVC. De
son côté, l’IGAS a relevé une première « symptomatologie fonctionnelle banale » vers 9 heures le
dimanche matin, puis une deuxième elle aussi banale et transitoire deux heures plus tard, le
volontaire étant comme les autres participants présents dans les locaux de Biotrial. C’est vers
18 h 30 que le médecin de garde aurait trouvé des « signes alarmants » qui ont conduit à son
transfert au CHU. « L’équipe de Biotrial en charge de l’essai ne s’est pas tenue informée de
l’évolution de l’état de santé du volontaire 2508 qu’elle avait fait hospitaliser la veille et qu’elle
n’avait pas accepté de reprendre la nuit, avant de procéder à l’administration du produit en
recherche chez les autres volontaires de la cohorte », écrit l’IGAS. Le patient a été déclaré décédé
le 17 janvier après plusieurs jours en un état de mort cérébrale.
Nouvelles précautions
Marisol Touraine précise que l’état de santé des cinq autres volontaires hospitalisés continue de
s’améliorer et qu’ils ont pu regagner leur domicile. Mais les médecins estiment prématuré de se
prononcer quant à leur guérison définitive. Par ailleurs, les 90 personnes qui ont participé à l’étude
depuis son lancement ont toutes été contactées, et 75 ont subi une IRM. « Les anomalies cliniques
et radiologiques présentes chez les patients hospitalisés n’ont été retrouvées chez aucun autre
volontaire », souligne la ministre de la santé. Elle va proposer à la Commission européenne la mise
en place urgente d’un comité d’experts internationaux pour renforcer la protection des volontaires
sains dans les essais cliniques.
En attendant, elle demande solennellement à tous les promoteurs d’essais cliniques et investigateurs
une déclaration sans délai aux autorités sanitaires de tout événement entraînant l’hospitalisation
d’un volontaire sain dans le cadre d’un essai, avec une qualification de « fait nouveau » conduisant
à la suspension immédiate de l’étude. Une suspension dont les volontaires doivent être clairement
informés, insiste-t-elle. Des précautions non inscrites dans la loi mais qui, dans le cas présent,
auraient pu, peut-être, éviter cinq hospitalisations supplémentaires.
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RECHERCHE
Coup de frein sur une famille de molécules
Le Monde Science et Techno du 26 janvier 2016 par Sandrine
Cabut
Les causes de l’accident mortel survenu à Rennes lors d’un essai de phase 1 ne sont pas encore
élucidées, mais ce drame a mis un coût d’arrêt aux recherches sur les inhibiteurs des FAAH (fatty
acid amide hydrolase), famille chimique à laquelle appartient le BIA 10-2474.
Le laboratoire Janssen a ainsi interrompu, par mesure de prudence, deux études de phase 2 en cours
avec un inhibiteur de FAAH, en attendant des informations complémentaires. L’une porte sur des
patients souffrant d’une anxiété sociale, l’autre sur des individus anxio-dépressifs.
De même, un essai de phase 2 mené aux Etats-Unis avec un autre composé de cette famille (le PF
04457845) pour traiter la dépendance au cannabis a été suspendu par précaution, a indiqué au
Monde le psychiatre et chercheur Deepak d’Souza (université Yale), coordonnateur de cette
recherche. Cette étude contre placebo, qui inclut environ 120 personnes, était pourtant presque
terminée, sans problème de tolérance. De façon générale, les spécialistes des inhibiteurs de FAAH
se disent stupéfaits des réactions graves après la prise de BIA 10-2474, et doutent qu’il s’agisse
d’un effet de classe, commun aux composés de cette famille chimique.
De quoi s’agit-il ? La FAAH est une enzyme-clé de dégradation de l’anandamide, un cannabinoïde
endogène. Les inhibiteurs de cette enzyme ont donc pour effet d’augmenter la concentration de ce
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neurotransmetteur. C’est l’une des familles chimiques les plus prometteuses en médecine,
estimaient en septembre 2015 Alessio Lodola et ses collègues de l’université de Parme (Italie) dans
un article paru dans Expert Opinion on Therapeutic Patents. Depuis 2009, de nombreux brevets ont
été déposés par des industriels et des groupes de recherche académique. Et des essais cliniques sont
en cours dans diverses pathologies : douleurs d’origine inflammatoire, troubles neuropsychiatriques,
dépendances à certaines substances… Jusqu’ici, les preuves d’efficacité sont encore peu
nombreuses. Le PF 04457845 développé par Pfizer s’est ainsi révélé décevant pour traiter les
douleurs liées à l’ostéoarthrite du genou. Mais ces molécules n’avaient pas posé de problème de
tolérance.
Interaction ou impureté ?
« Plusieurs inhibiteurs de FAAH de structure différente ont été testés pour la sécurité humaine dans
des essais cliniques de phase 1 rigoureux. Il s’agissait notamment de produits développés par
Sanofi, Pfizer, Merck, Johnson & Johnson. Tous se sont montrés sûrs chez l’homme », souligne
Daniele Piomelli (université de Californie), dans la revue Cannabis and Cannabinoïd Research.
Selon lui, il est peu probable que les effets secondaires observés avec le BIA 10-2474 soient liés à
son action sur l’enzyme FAAH. Il s’agirait plutôt d’une interaction avec un autre composé, pour
l’instant inconnu, ou d’une impureté dans la préparation. Un avis partagé par Markus Leweke
(Institut de santé mentale de Mannheim, Allemagne), qui doit commencer un essai de phase 1 avec
un inhibiteur de FAAH (URB597), traitement potentiel de la schizophrénie. Ce spécialiste redoute
que l’accident de Rennes ne mette en danger les recherches sur cette classe de molécules. Tout en
soulignant les zones d’ombre entourant la molécule de Bial :
« Nous ne savons presque rien sur ce composé, y compris sa nature chimique précise, car il n’y a
aucune donnée publiée dans la littérature. En outre, l’étude n’est pas recensée dans les bases
d’essais cliniques », relève Markus Leweke. « Jusqu’à présent, l’industrie pharmaceutique s’est un
peu cassée les dents sur la pharmacologie des médicaments cannabinoïdes », constate le professeur
François Chast (chef du service de pharmacie clinique, hôpitaux universitaires Paris-Centre) en
rappelant l’affaire du rimonabant. Antagoniste des récepteurs CB1 – qui stimulent l’appétit –, cette
molécule avait été mise sur le marché européen en 2006 sous le nom d’Acomplia par Sanofi pour le
traitement du surpoids et de l’obésité. Mais sa commercialisation a été suspendue en 2008, pour
efficacité décevante et effets secondaires à type de dépression majeure et de suicide.
Anna Bella Failloux : « Le moustique, la voie
de recherche la plus rapide contre Zika »
Le Quotidien du Médecin du 4 février 2016 par le Dr Irène Drogou
L'entomologiste Anna-Bella Failloux est directrice de l'unité de recherche « Arbovirus et
insectes virus » à l'institut Pasteur.
Les deux espèces de moustiques Aedes aegypti et albopictus peuvent transmettre le virus Zika.
Quelle est la responsabilité des deux espèces dans l'épidémie actuelle ?
Le moustique Aedes aegypti est le vecteur majeur du virus Zika dans la région Amérique, présent en
Amérique du Sud et aux Caraïbes. Et surtout il est très anthropophile. Le moustique tigre, ou Aedes
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albopictus, joue un rôle secondaire. Certes, il est génétiquement compétent et transmet très bien le
virus en conditions de laboratoire. Mais le moustique est bien moins anthropophile, quasi
inexistant aux Caraïbes. En théorie, il n'y a pas d'Aedes Albopictus aux Antilles dans les îles
françaises, peut-être à Cuba.
Le Haut Conseil de santé publique (HCSP) avait émis l'été dernier la possibilité d'une
propagation de l'épidémie à la métropole, en raison de la présence de moustique tigre dans
certains départements du sud de la France. Des cas importés de Zika sont décrits en
métropole. La menace est-elle réelle ?
Pour l'instant, en France métropolitaine, le moustique albopictus est là sans être là, puisqu'il est
présent sous la forme d'œufs pour traverser l'hiver. La situation sera bien différente dès les
premières pluies au printemps, où le moustique albopictus va circuler sous sa forme adulte. Dès
lors, si un sujet malade arrive en métropole en plein été, la transmission devient théoriquement
possible. On peut craindre que les Jeux Olympiques à Rio participent à disséminer le virus sur le
plan international. La grande question est de savoir si cet Aedes albopictus tempéré est capable
d'entraîner une épidémie de la même ampleur. Il semblerait que non, car les conditions de vie
sont très différentes en Europe, les gens vivent beaucoup moins à l'extérieur et les densités de
population sont beaucoup moins fortes.
La saisonnalité joue un rôle dans l'éclosion d'une épidémie. Les changements climatiques ont
aussi été pointés du doigt, comme un facteur aggravant. Fiona Armstrong directrice de
l'Alliance Mondiale pour le Climat et la Santé a déclaré « les virus transmis par les moustiques
comme Zika, représentent une menace croissante pour l'espèce humaine à cause du surcroît de
chaleur et d'humidité associé au changement climatique ». Comment expliquer ce phénomène
?
Le moustique est incapable de réguler sa température interne. Quand la température extérieure
monte, la température corporelle de l'insecte augmente. Et conséquence directe, le virus se multiplie
plus vite. Le vecteur devient beaucoup plus contagieux. La température, c'est le premier impact des
maladies vectorielles. La perturbation climatique El Niño va entraîner des précipitations intenses à
certains endroits du globe et des périodes de sécheresse à d'autres. Ces changements de temps vont
modifier la distribution du moustique.
En sait-on davantage sur l'association entre l'infection par le Zika et les malformations
congénitales ?
Les données sont très faibles à ce sujet. C'est la priorité de recherche. Jusqu'à ce que les cas de
microcéphalies ressortent au Brésil compte tenu de l'ampleur de l'épidémie, peu de cas graves
étaient rapportés. Des praticiens en Polynésie française se sont penchés a posteriori sur les registres
de la période 2013-2014 et ils ont retrouvé 18 cas de malformations congénitales survenues chez
des mères infectées par le Zika. Le rôle des coinfections virales est évoqué. Les deux espèces
d'Aedes sont capables de transmettre chacun des trois virus, la dengue, le chikungunya et le Zika.
Le moustique est capable de transmettre en même temps la dengue et le chikungunya. Il reste
aujourd'hui à prouver la co-transmission du Zika avec la dengue ou le chikungunya voire les trois
simultanément.
Quels sont les enjeux de la recherche sur le moustique dans le contrôle de l'épidémie ?
La mise au point d'un vaccin contre le Zika nécessite au moins un an. Dans l'immédiat, le
moustique est le seul moyen disponible pour contrôler l'épidémie. C'est aussi la voie de recherche la
plus rapide car on peut travailler tout de suite sur de grandes cohortes. Une voie de recherche sur
laquelle nous travaillons est de couper sa capacité de transmission. L'idée est de mieux comprendre
les étapes clefs de l'infection chez le vecteur, c'est-à-dire les différentes barrières que le virus doit
passer. Le moustique est le lieu d'une pression de sélection de sous-variants viraux à l'origine d'une
épidémie chez l'homme. Mieux comprendre la pathogenèse chez le moustique, par exemple le
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temps nécessaire à devenir infectant, aidera à prendre des mesures adaptées dans les débuts d'une
épidémie.
Suspension des FIV aux Antilles
L'Agence de biomédecine a recommandé vendredi 29 janvier de « différer l'engagement dans de
nouvelles procédures d'aide médicale à la procréation (AMP) dans un contexte de forte progression
de l'épidémie Zika ». L'Agence de biomédecine indique avoir pris cette mesure « à titre
conservatoire » et envisage actualiser ces recommandations au vu des informations disponibles. Au
CHU de Pointe-à-Pitre, les fécondations in vitro (FIV) sont suspendues.
L'OMS s'inquiète de la portée mondiale de l'épidémie Zika
Une urgence de santé et de recherche
Le Quotidien du Médecin du 4 février 2016 par le Dr Irène Drogou
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré lundi que l'épidémie de Zika, touchant
actuellement la région Amérique, est une « urgence de santé publique de portée mondiale ».
Les cas de microcéphalies et de syndromes de Guillain-Barré inquiètent autant qu'ils posent
question. La recherche est en train de se mobiliser pour faire face à un virus jusque-là peu
étudié.
Près de 3 900 cas de microcéphalies au Brésil depuis octobre, 23 pays et territoires touchés dans la
région Amérique, entre 3 à 4 millions de cas attendus sur le continent américain. L'épidémie de
Zika, qui se propage « de manière explosive », fait peur au monde entier. Et malheureusement
à raison. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré lundi que le virus Zika était devenu
« une urgence de santé publique de portée mondiale ». L'association forte entre l'infection Zika et
les cas de microcéphalies et de syndromes de Guillain-Barré a été appuyée par de nouvelles
données venant du « Brésil, de France, des États-Unis et du Salvador », a indiqué l'organisation
internationale. En particulier la récente description a posteriori des cas de microcéphalies et de
syndromes neurologiques lors de l'épidémie de Zika en Polynésie française en 2014 a fait basculer
l'épidémie actuelle en « événement extraordinaire ».
L'OMS peu directive pour les femmes enceintes
Compte tenu de « la vaste distribution géographique du vecteur » et de « l'absence de vaccins et de
tests diagnostiques fiables, de l'absence d'immunité des populations » insiste le Dr Margaret Chan,
directrice générale de l'OMS, la propagation du virus ne pourra être contrôlée qu'avec « une réponse
internationale coordonnée », reposant en grande partie sur l'effort de recherche. Alors que certains
pays comme le Brésil, la Colombie, le Salvador, l'Équateur ou la Jamaïque ont expressément
demandé aux femmes de reporter un projet de grossesse, l'OMS n'émet aucune recommandation de
ce type. Les cas de microcéphalie relancent un débat politique, médical et éthique, l'interruption
médicale de grossesse n'étant pas autorisée dans plusieurs de ces pays. L'organisation internationale
n'émet pas non plus de restriction concernant les voyages et le commerce, y compris en cas de
grossesse. Dans le même temps, le Brésil a d'ores et déjà déconseillé aux femmes enceintes de venir
dans le pays pour les Jeux Olympiques cet été. En France, la ministre de la Santé Marisol Touraine
a demandé la semaine passée aux femmes enceintes de reporter un éventuel voyage aux Antilles.
Une recherche coordonnée
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Les 18 experts internationaux réunis à huis clos ont en revanche insisté sur l'information à donner
aux populations exposées, en particulier aux femmes enceintes qui doivent redoubler de vigilance
pour se protéger contre le moustique. En France, le Haut Conseil de Santé publique (HCSP) a émis
la semaine dernière un avis détaillé sur la prise en charge des femmes enceintes exposées au
virus. L'OMS ne s'est pas risquée à l'exercice, laissant à chaque pays le soin de déterminer ses
propres « politiques et pratiques nationales ». L'OMS met l'accent sur l'importance du partage des
données scientifiques au niveau international. « Des téléconférences et des réunions internationales
sont d'ores et déjà lancées et programmées, explique le Dr Maria Van Kerkhove, épidémiologiste et
coordonnatrice des recherches sur le Zika à l'institut Pasteur. Nous avons de nombreuses équipes et
de chercheurs à Pasteur, qui travaillent sur le virus, à Paris et dans notre réseau à Dakar, en
Guyane française, en Nouvelle Calédonie, en Guadeloupe, en Uruguay, avec des partenaires au
Brésil, à l'université de Sao Paulo et Fiocruz. »
Un vaste champ d'études
L'OMS insiste sur la surveillance des cas de microcéphalies et de Guillain-Barré qui « devrait être
standardisée et promue, en particulier dans les zones de transmission connue du virus Zika et les
zones à risque ». À ce sujet, l'institut Pasteur mène des études épidémiologiques dans des cohortes
de femmes enceintes et des cas contrôles pour mieux comprendre les facteurs de risque. Le lien de
causalité entre ces complications et le virus Zika est un point déterminant à éclaircir, sans compter
le rôle « d'autres facteurs et de co-facteurs », a estimé l'OMS. Pour le long terme, l'OMS souhaite le
développement de la recherche vaccinale, mais aussi thérapeutique et diagnostique. « Ce sont nos
priorités de recherche depuis le début de l'épidémie, commente le Dr Van Kerkhove. Nous
concentrons nos efforts sur la mise au point de meilleurs diagnostics moléculaires et sérologiques,
le développement d'un vaccin et la meilleure compréhension du lien entre Zika et le Guillain-Barré
et les microcéphalies. Et nous avons d'excellents chercheurs sur le vecteur et son contrôle ». Le
laboratoire Sanofi Pasteur a annoncé vouloir se lancer dans la recherche d'un vaccin contre le Zika,
en s'appuyant sur les succès obtenus pour le vaccin contre la dengue.
Outre-Atlantique, les Instituts nationaux de la santé (NIH) américains espèrent lancer un essai
clinique de phase 1 avant la fin 2016.
Vivre plus longtemps en tuant les vieilles
cellules
Le Monde du 3 février 2016 par Nathaniel Herzberg
Le monde, c’est bien connu, est séparé en deux. Il y a les optimistes, qui ne manquent jamais une
occasion de rappeler les progrès presque incessants de l’espérance de vie. Et les pessimistes,
prompts à rétorquer que, si le temps passé en bonne santé augmente, la durée de vie malade
également ; et qu’en tout état de cause, progrès ou pas, chaque jour qui passe… nous rapproche de
la mort. Pourtant, même ceux-là devraient s’incliner devant les résultats spectaculaires publiés
mercredi 3 février dans la revue Nature.
Une équipe américaine, menée par Jan van Deursen, est en effet parvenue à prolonger de 30 %
l’espérance de vie moyenne de souris en nettoyant leur organisme des cellules sénescentes. Mieux :
avec cette opération, ils sont également parvenus à éliminer de nombreuses pathologies liées à l’âge
et à augmenter donc leur espérance de vie en bonne santé. Voilà des années que la sénescence titille
les chercheurs. En 1961, Leonard Hayflick mettait en évidence cet état qui veut qu’à partir d’un
certain temps les cellules cessent de se diviser. Elles ne sont pas encore mortes, mais ne vont déjà
plus très bien. Pourquoi ce passage presque obligé ? Parce que ces cellules sénescentes favorisent la
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cicatrisation, montreront les uns ; parce qu’elles préviennent certains cancers et jouent même un
rôle dans le développement embryonnaire, assureront d’autres.
Souris génétiquement modifiées
Mais ces vertus cachent un terrible vice. La sénescence nous fait… vieillir. En 2008, l’équipe de Jan
van Deursen, à l’université de Rochester (New York), démontrait un lien entre les cellules
sénescentes et certains effets du vieillissement. En 2011, ils allaient nettement plus loin et
parvenaient à retarder l’apparition de ces mêmes pathologies en supprimant les fameuses cellules.
Mais, pour ce faire, ils avaient utilisé un modèle de souris génétiquement modifié à vieillissement
accéléré, bouleversant au passage la physiologie de l’animal. Qu’adviendrait-il avec des rongeurs
« normaux » ?
Cette fois, l’équipe américaine balaie cette dernière objection. Leurs souris sont certes
génétiquement modifiées. Mais c’est uniquement pour permettre d’éliminer les cellules que l’on
souhaite, au moment où on le souhaite. Ces rongeurs ont en effet la particularité de produire une
enzyme dans les cellules sénescentes que l’on peut activer par l’injection d’un produit catalyseur.
Avec pour effet de provoquer l’apoptose desdites cellules, autrement dit leur mort. En revanche, ces
souris vivent, sans intervention, comme toutes leurs congénères, environ deux ans.
Mais, si à mi-vie on commence à leur injecter l’enzyme, deux fois par semaine, jusqu’à ce que mort
s’ensuive, leur espérance de vie moyenne est prolongée de presque un tiers par rapport à un
échantillon témoin. Un résultat spectaculaire. Mais ce n’est pas seulement la vie qui est allongée,
c’est aussi la jeunesse. A 22 mois, les souris traitées apparaissent en meilleure santé, leur activité
comme leur capacité exploratoire sont mieux préservées et elles souffrent moins de cataractes. Elles
sont également moins touchées par les pathologies cardiaques, rénales ou graisseuses, typiques du
vieillissement. Enfin, le déclenchement des cancers est retardé.
Ce dernier fait est notable, car les cellules sénescentes sont réputées jouer un rôle important dans la
prévention de certains cancers. « Or, nous n’avons observé aucun dommage collatéral », assure Jan
van Deursen. Pas de tumeurs supplémentaires, donc, ni à l’observation ni à l’autopsie. Seule la
capacité de cicatrisation apparaît clairement ralentie.
L’étude présente toutefois quelques résultats contrastés. Ainsi, les cellules sénescentes n’ont pas été
éliminées de certains organes essentiels comme le foie ou le côlon. Les lymphocytes (cellules
immunitaires) sont également restés sourds aux injections. Ailleurs, la disparition des cibles n’a eu
aucun effet : la dégradation des capacités motrices, de la force musculaire ou encore de la mémoire
reste inchangée. « Est-ce parce que le modèle de souris était mauvais, parce que d’autres types de
cellules sénescentes étaient à l’œuvre ou parce que la sénescence ne joue aucun rôle dans ces
fonctions, l’étude ne permet pas de le dire », affirme Dominic Withers, professeur de médecine et
chercheur à l’Imperial College de Londres. « Cela invite à poursuivre le travail, comprendre les
mécanismes fondamentaux qui sont ici en jeu, plutôt que de se ruer sur la recherche d’une
application pour l’homme », souligne Miroslav Radman, figure de la recherche sur le
vieillissement, professeur émérite à l’université René-Descartes et membre de l’Académie des
sciences. Car là résident les deux voies qui se présentent aux chercheurs.
Pouvoir de la restriction calorique sur la longévité
Du côté des sciences fondamentales, la recherche avance tous azimuts. Le rôle des gènes dans les
processus de vieillissement a été ainsi largement exploré. La seule modification d’une séquence
dans un seul gène peut ainsi multiplier par deux la durée de vie du ver C. elegans. De plus en plus
de chercheurs étudient, de leur côté, le pouvoir de la restriction calorique sur la longévité. Le même
ver, mais aussi la mouche du vinaigre ou la souris ont vu leur durée de vie augmenter de… 30 %, là
aussi, sous l’effet de régimes alimentaires moins riches.
D’autres encore étudient les phénomènes d’oxydation ou le rôle des télomères, qui protègent
l’extrémité des chromosomes au fil des divisions cellulaires. « Une véritable révolution
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conceptuelle est en cours, insiste Jean Claude Ameisen, président du Comité consultatif national
d’éthique. La jeunesse, le vieillissement et la durée de vie ne dépendent pas uniquement du passage
du temps, mais de processus actifs, dans le corps et dans son environnement. » Mais la quête de
l’éternelle jeunesse ne va-t-elle pas faire passer au second plan cet appétit de compréhension
fondamentale ? Au-delà de l’engouement récent pour le jeûne, chercheurs et industriels sont lancés
dans la course au remède miracle. « Plusieurs laboratoires cherchent à trouver des médicaments
susceptibles d’éliminer les cellules sénescentes, le potentiel est immense », se félicite Jan van
Deursen. « Le problème majeur serait de conduire des essais pendant trente ans sur des personnes
jeunes en bonne santé avec le risque d’effets secondaires importants », souligne toutefois Jean
Claude Ameisen.
Plus facile d’offrir une cure de jouvence aux malades âgés ? Peut-être. Des chercheurs ont en effet
montré qu’en mêlant la circulation sanguine de deux souris, une vieille et une jeune, la vieille
« rajeunissait », autrement dit perdait les dégradations dues à l’âge. Seul problème : la jeune vieillit.
Les scientifiques vont devoir être imaginatifs.
PERSONNALITÉS, FILMS ET OUVRAGES
Une chaire de philosophie inaugurée dans un
hôpital parisien
Philosophie Magazine du 26 janvier 2016 par Cédric Enjalbert
La philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury inaugure une chaire de philosophie à l’HôtelDieu (Paris), accessible à tous les publics, afin de faire de l’hôpital “un lieu ouvert, de
circulation et d’échange des savoirs”.
« Réinventer la relation au soin, à la maladie, à la vie » : c’est avec ce crédo que la philosophe
Cynthia Fleury inaugure, ce mardi à 18 heures à l’Hôtel-Dieu (Paris), la première chaire de
philosophie au monde créée par l’hôpital. Elle tâchera, comme il est écrit dans un mot
d’introduction, de faire du soin « une dimension constitutive du sujet dans la Cité », convaincue
qu’en « intégrant l’hôpital, la philosophie rappelle la nécessité de penser le soin de façon
holistique, et que le premier dispositif hospitalier – avant toute technicité – est la qualité
intersubjective et interrelationnelle qui se tisse entre les différentes personnes qui traversent son
espace/temps si particulier. »
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Auteur notamment d'une Métaphysique de l’imagination et d’un essai sur Les Pathologies de la
démocratie, Cynthia Fleury a récemment fait paraître Les Irremplaçables. Ainsi qu’elle y insistait
dans l’entretien qu’elle nous accordait en 2015, elle défend dans ce livre la nécessité pour chacun de
prendre « conscience de son caractère irremplaçable, c’est-à-dire devienne capable d’agir en son
nom propre, de penser par lui-même, sans se laisser influencer ou dominer par les autres. Il s’agit
de devenir majeur, de se servir de son propre entendement sans direction de conscience ». La
philosophe est sur tous les fronts. Également psychanalyste depuis 2009, elle est entrée dans la
cellule d’urgence médico-psychologique (Cump) du Service d’aide médicale d’urgence (Samu) en
2011 et au Comité consultatif national d’éthique en 2013. Elle occupe donc aujourd’hui la première
chaire de philosophie à l’Hôtel-Dieu. Elle promet d’y délivrer un enseignement ouvert à tous,
« patients et passants », remettant au centre de la réflexion non la maladie mais le sujet malade
« qui se vit comme sujet et non comme malade. Le soin nécessite de considérer aussi cette
singularité. »
À ses côtés, dans le conseil scientifique présidé par le philosophe Frédéric Worms, des médecins,
des philosophes et des éthiciens dont Jean Claude Ameisen, président du Comité consultatif
national d'éthique, Marc Crépon, directeur du département de philosophie de l'École normale
supérieure mais aussi Claire Marin philosophe auteur d’un roman où elle relate son expérience de la
maladie, Corine Pelluchon, qui s'est penchée sur la question de la vulnérabilité, et Jean-Luc Nancy.
Tous sont animés par un désir commun : « faire de l’hôpital le lieu de vie et de réflexion, d’entraide
et d’itinérance, qu’il est substantiellement. »
Inédite à l’hôpital, cette chaire n’est pas sans précédents. L’Espace éthique de l’Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris et le Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin ont ouvert la voie de
la réflexion éthique. Ce dernier met par exemple à la disposition des patients et de leurs proches,
ainsi que des équipes soignantes, « une aide et un accompagnement à la décision médicale
éthiquement difficile ».
Comme nous le montrions dans une enquête sur l’éthique à l’hôpital, il regroupe des médecins, des
juristes, des sociologues et des philosophes pour répondre aux cas de conscience rencontrés par les
familles et les équipes de soins. Et s’il ne délivre jamais d’avis tranché, il sert à éclairer la décision
finale
Penser le sujet malade, rendre aux individus les plus vulnérables leurs capacités, « refonder
l’hospitalité », autant de défis que Cynthia Fleury et la nouvelle équipe philosophique de l’Hôtel
Dieu s’engagent à relever. À suivre.
Euthanasie : la technique des petits pas
Le Figaro du 25 janvier 2016 par Damien Le Guay*
Des députés et des sénateurs se sont réunis en commission mixte paritaire pour voter une
nouvelle version de la proposition de loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie. Damien Le Guay
déplore une instauration progressive de l'euthanasie dans les esprits.
Le consentement euthanasique est déjà là…
Le 19 janvier, le Sénat et l'Assemblée Nationale, en commission mixte paritaire, se sont mis
d'accord sur un même texte législatif. La future loi Leonetti-Claeys devrait être définitivement votée
en février. Les partisans de l'euthanasie, bien que soutenu par plus de deux cent députés, se
plaignent de n'avoir pu introduire un « droit à mourir ». Le monde des soins palliatifs se rassure tant
bien que mal. Le pire fut évité. Et nos politiques ont clairement manifesté une ambition nationale :
promouvoir un égal accès aux soins palliatifs et favoriser l'accompagnement dans la dignité. Mais,
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d'une certaine manière, à force de lassitudes et de petits renoncements, on doit constater, tout en
regrettant, qu'après quatre ans de débats, un certain consentement euthanasique se soit installé dans
les esprits. Il est désormais un peu partout présent. Consentement médiatique d'abord, avec de
nombreuses émissions jamais équitables, rarement contradictoires, toujours pro-euthanasie.
Monsieur Roméro, président de l'ADMD, a son rond de serviette dans les médias. Il y a beaucoup
d'amis. Et toute parole contradictoire est vite réduite à la portion congrue ou censurée. J'en ai fait
l'expérience comme d'autres. Consentement législatif ensuite avec ce principe d'une « sédation
profonde et continue », qui sera inscrite dans la loi. En tant qu'il est un droit, et un droit opposable
aux médecins, il risque d'altérer cette confiance indispensable à la dignité palliative. Si l'hospitalité
médicale se réduit à une distribution d'actes médicaux demandés par des malades impatients d'en
finir avec la vie et arc-boutés à des droits, la bienveillance nécessaire à l'accompagnement palliatif
aura plus de mal à s'installer. Doter les malades de toujours plus de droits, n'est-ce pas une manière
de remettre en cause l'art médical - qui est une croyance commune autant qu'un savoir-faire et une
expertise ? Et le droit de « dormir avant de mourir pour ne pas souffrir » (selon les termes de Jean
Leonetti) est une sorte de philosophie d'interruption préalable de la conscience, une manière
d'absenter une personne avant sa mort. Elle est là sans être là en attendant de n'être vraiment plus là.
Et quelles que soient les limitations légales et les garde-fous, les médecins pourront de moins en
moins refuser d'introduire un patient, à sa demande, dans cette antichambre sédative pré-mortuaire.
Car, le malade est seul en mesure d'indiquer si sa souffrance est ou non « réfractaire aux traitements
» et s'il souhaite « ne pas prolonger inutilement sa vie » - expression effroyable ! Désormais des
outils euthanasiques seront entre les mains des médecins. Avec bonne conscience, ils ne s'en
serviront pas d'eux-mêmes mais répondront, non sans hypocrisie, aux sollicitations comminatoires
du malade.
Et ce consentement euthanasique est déjà présent aujourd'hui dans les hôpitaux. Avant même le
vote de cette loi, nombre d'équipes hospitalières doivent faire face à des demandes pressantes de
mise en œuvre de ce droit sédatif. Elles surgissent de plus en plus. Nombreux sont les médecins qui
ne savent plus comment s'opposer à ces demandes. Comment juger du caractère « intolérable »
d'une souffrance et savoir si « le pronostic vital » est déjà « engagé » ? Avec ce droit à une sédation
terminale, des situations inextricables vont apparaître. Comment faire pour clôturer ces phases de
sédation quand elles ne se ferment pas d'elles-mêmes et peuvent se prolonger longtemps ? Soit le
patient est « réveillé » soit il faudra, un jour ou l'autre, avoir un nouveau droit : celui de n'être
jamais réveillé d'une sédation profonde ! Alors, les partisans de l'euthanasie auront gagné. Bien
entendu, tout ce qui est donné au consentement euthanasique réduit l'espace d'un authentique
accompagnement palliatif. L'accompagnement n'est pas un droit mais une responsabilité
mutuellement partagée.
Et puis, le consentement euthanasique est favorisé par Marisol Touraine. Depuis le début elle a
clairement indiqué être favorable à l'euthanasie. Elle est du côté des « droits du malade » et de la
« fin de vie » plutôt que de celui de l'accompagnement, de la responsabilité éthique, et de la
démarche palliative. Si début décembre 2015 elle a dévoilé un plan triennal pour le développement
des soins palliatifs (14 mesures, 40 actions pour 190 millions d'euros) voulu par le Parlement, elle
n'a pas pu s'empêcher de proposer, début janvier, le docteur Véronique Fournier, à la tête du Centre
National des soins palliatifs et de la fin de vie - qui est une pièce maîtresse de ce plan. Ce centre
aura pour tâche de promouvoir les soins palliatifs et de lancer, l'année prochaine, une grande
campagne nationale de sensibilisation. Véronique Fournier, cardiologue, autrefois au cabinet de
Bernard Kouchner, quand il était ministre de la santé, spécialiste de bioéthique, n'a pas d'expérience
professionnelle particulière en soins palliatifs, ne connaît pas bien le monde palliatif mais surtout a
clairement indiqué, dans ses interventions, que la distinction entre le « faire mourir » et le « laisser
mourir » distinction au cœur de la démarche palliative, ne tenait pas. Elle est très critique à l'égard
de la loi Leonetti - qu'elle serait chargée de promouvoir - et va même jusqu'à considérer que la
médecine doit assumer son « intention de mort ». Face à cette nomination, sans concertation, sans
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négociation, les équipes palliatives se sentent méprisées. Le mécontentement monte contre le
ministre de la santé qui s'en moque !
Les enjeux pour la discussion parlementaire sont doubles. D'une part considérer que trop de droits
défensifs risquent de tuer l'éthique. Le sujet de droit est rationnel quand, nous dit Georges
Canguilhem, la vie est « anarchique comme un artiste ». D'autre part, en refusant des nominations
clivantes, il importe de demeurer dans le consensus politique mis en œuvre par MM. Leonetti et
Claeys à la demande du président de la République. La sagesse est fille du consensus ; la prudence
doit être au cœur de toutes législations relatives à la fin de vie.
*Damien Le Guay, philosophe, président du comité national d'éthique du funéraire, membre
du comité scientifique de la SFAP, enseignant à l'espace éthique de l'AP-HP, a publié en
octobre 2014 un livre sur ces questions : Le fin mot de la vie-contre le mal mourir en France,
aux éditions du Cerf.
La PMA « sans père » et la GPA obligeront à
revenir sur la loi Taubira
Le Figaro du 27 janvier 2016 par Ludovine de la Rochère*
La présidente de la Manif pour tous réagit au revirement de Nicolas Sarkozy, dans son livre, à
propos du mariage pour tous.
Avec la publication de son livre La France pour la vie, Nicolas Sarkozy comptait faire son entrée
en campagne. Il pensait aussi, au détour d'un paragraphe, enterrer la question du mariage et de la
filiation. Mais le sujet, marqueur politique incontournable, a été et demeure le principal fait de
l'ouvrage… et le lancement n'a pas été celui qu'il prévoyait ! Vu le fossé qui s'est creusé entre les
Français et les politiques, l'inconstance est devenue un sport à haut risque. Or la France entière est
témoin de la contradiction d'un homme qui exprime le regret d'avoir « trop cédé à la pensée unique
» tout en affirmant aujourd'hui n'avoir « jamais contesté la légitimité » du mariage entre personnes
de même sexe alors même qu'il se prononçait publiquement en faveur de l'abrogation de la loi
Taubira il y a quatorze mois.
À cela s'ajoute un manque d'implication sur le fond, car réduire le mariage à sa dimension
sentimentale, c'est passer à côté d'une institution qui fonde notre société. D'autant que dans notre
droit le mariage entraîne la filiation. Après un quinquennat marqué par l'émergence durable d'un
mouvement social d'ampleur historique, quel candidat crédible à la présidence de la République
peut encore feindre d'ignorer que la loi dite du « mariage pour tous » est en réalité celle du
« mariage et de l'adoption pour tous » ? C'est là le cœur du débat, lequel est plus que jamais
d'actualité en raison de ses conséquences inéluctables, la PMA et la GPA, auxquelles la France est
confrontée depuis le jour même du vote de la loi.
Si des millions de Français ont manifesté et pétitionné, c'est que l'altérité sexuelle dans le mariage
est une condition sine qua non parce que la famille est fondée par et sur le couple. Si des juristes,
des adoptés, des associations familiales, des professionnels de l'enfance, des philosophes, des
sociologues, des psychiatres, des corps intermédiaires, des organisations syndicales… se sont
mobilisés avec une telle intensité, une telle détermination et une telle dignité, c'est parce qu’aucun
enfant ne peut être fait délibérément orphelin de père ou de mère, ce qui est bien l'une des funestes
conséquences de la loi du 17 mai 2013. C'est pour cette raison que tant d'élus de la nation, et parmi
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eux de très nombreux parlementaires de la droite et du centre, se sont levés aux côtés de leurs
concitoyens : il s'agissait de mettre un terme au « bouleversement de civilisation » voulu par la
garde des Sceaux. La famille est un bien commun trop précieux pour être sacrifié sur l'autel d'une
idéologie libertaire.
Nicolas Sarkozy n'aborde pas non plus la PMA « sans père » et la GPA alors que ces pratiques
génèrent trafic d'enfants et exploitation de femmes. Pour y mettre fin, il faudra tôt ou tard revenir
sur la loi Taubira. Et l'ex-président de la République le sait bien : ne pas toucher à cette loi, c'est
considérer l'être humain comme une chose dont on peut disposer par contrat, qui peut être
instrumentalisée, louée, vendue ou donnée. Certes, s'engager à revenir sur cette loi, c'est être
aussitôt taxé d'homophobie, mais dans une acception dévoyée du terme, qui doit être dénoncée. Car
l'homophobie, qu'a toujours condamnée la Manif pour tous, c'est le fait de manquer de respect à
l'égard d'une personne au motif de son orientation sexuelle. Mais accuser d'homophobie tout
opposant à telle ou telle revendication du lobby LGBT, c'est de l'amalgame, d'autant plus grave qu'il
verrouille tout débat.
Nicolas Sarkozy évoque également le piège du « démariage ». Difficile, pourtant, d'imaginer qu'il
ignore que l'abrogation d'une loi est valable pour l'avenir et non pour le passé. Autrement dit,
abroger ne conduirait ni à « démarier » ni à « désadopter ». Quant aux modalités juridiques de
retour au mariage homme-femme, j'invite Nicolas Sarkozy à lire l'ouvrage* publié la semaine
dernière par les meilleurs juristes que compte la France. Enfin, l'ex-président de la République
craint de cliver à nouveau la société française. Mais les Français ne sont pas idiots : ils sont
conscients qu'il est souhaitable et urgent de refermer le droit à l'enfant implicitement instauré par la
loi Taubira.
Au-delà de cette loi, le virage de Nicolas Sarkozy est grave parce qu'il discrédite la parole politique.
Et d'autant plus que ce revirement est éminemment représentatif du manque de cohérence et de
l'absence de courage de nos politiques sur les sujets majeurs et urgents - des flux migratoires à
l'Europe, en passant par les 35 heures et les retraites. Représentatif aussi, de leur réflexe
systématique : ne jamais sortir du politiquement correct, éviter toute « polémique »… et notamment
sur les sujets de société - à commencer par celui de la famille, pourtant plébiscitée par les Français
et lieu irremplaçable d'éducation, de dignité, de solidarité, d'avenir.
Ce faisant, Nicolas Sarkozy envoie ses électeurs potentiels à l'abstention ou vers d'autres partis. Il se
prépare sans doute même un 21 avril à l'envers, avec la réélection de François Hollande à la clé.
*Le Mariage & la Loi. Protéger l'enfant, par l'Institut Famille & République, janvier 2016,
20 €.
La bientraitance sans le « care » ?
Nonfiction.fr du 27 janvier 2016 par François Ndjapou
Claire Boutillier, psychologue du développement, est aujourd’hui assistante maternelle. Dans son
second ouvrage*, qui est rédigé à partir de son vécu professionnel, elle propose une approche de la
bientraitance visant d’une part à mieux comprendre les enjeux d’agressivité chez le jeune enfant, et
d’autre part à développer des réponses éducatives adaptées.
Dans une première partie, elle s’appuie sur son expérience, ses tâtonnements et ses interrogations
qu’elle cherche à conceptualiser par la mobilisation des travaux précurseurs et contemporains sur la
théorie de l’attachement (Bowlby, Ainsworth, Grossmann). Elle s’applique également à cerner les
51
enjeux particuliers des relations conflictuelles et des comportements violents entre les enfants
(Montagner, Tremblay). Dans une seconde partie plus étoffée sont développées des propositions
« d’alternatives éducatives » inspirées surtout par les techniques de « communication non violente »
et de « discipline positive », en insistant sur l’importance du besoin de sécurité et des risques
potentiels de violences éducatives (Rosenberg, Nelsen, Miller). Dans l’optique de l’auteur, les
compétences professionnelles requises pour trouver une « bonne place » dans la relation éducative
se fondent sur le dépassement des enjeux de pouvoir inhérents à toute relation asymétrique. Ensuite,
les préconisations pour prévenir les situations d’agression entre enfants se déclinent dans des
programmes éducatifs de type coping. Enfin, les outils en faveur des professionnelles sont orientés
pour décoder leurs émotions, anticiper les situations potentiellement désagréables et gérer leur
stress.
Accueillir la petite enfance
De manière générale, Claire Boutillier part du postulat que l’extension des techniques de
communication dans le domaine de la petite enfance peut aller dans le sens d’une meilleure prise en
compte des besoins spécifiques des différents acteurs d’une relation éducative. Les professionnels
de la petite enfance et les parents pourront se retrouver dans quelques-uns des apports pratiques.
Néanmoins, plusieurs aspects de l’accueil des jeunes enfants ont été éludés voire déniés, ce qui fait
que l’ouvrage ne problématise pas réellement le concept de « bientraitance éducative ». Les
références théoriques mobilisées viennent davantage justifier un positionnement éducatif idéalisé
qu’aider à penser la complexité de la prise en charge quotidienne des jeunes enfants, finalement
restreinte au seul type d’accueil à domicile.
A titre d’exemple, le concept de care issu du champ de la psychologie du développement et dont
aurait pu s’inspirer légitimement cet ouvrage, n’est jamais évoqué ! Sa portée heuristique aurait
pourtant pu éclairer la compréhension de l’accueil des jeunes enfants dans ses dimensions de
travail, d’éthique et de politique.
En effet ici, l’accueil des jeunes enfants se résume aux relations interpersonnelles hors des enjeux
de travail. L’approche proposée fait ainsi porter exclusivement aux professionnels et aux parents la
responsabilité des risques de violences éducatives, dans une sorte de psychologisation
culpabilisante de la bientraitance. Les problèmes d’organisation du travail, les conditions
matérielles, le manque de formation et l’absence de qualification des professionnels du care sont
ignorés. Les différents registres du concept même de « bientraitance éducative » ne sont donc pas
étudiés et l’auteur promeut une forme de normalisation des bonnes pratiques éducatives. Cette
conception de la qualité de la relation éducative fondée sur des modalités binaires (bien/maltraitance, bonne/mauvaise communication, …) donne une vision simple, simplificatrice voire
simpliste des enjeux du travail auprès des jeunes enfants.
Dans une perspective de care, la bientraitance des enfants (care-receivers) est articulée à la qualité
de travail des professionnels (care-givers). La réponse aux seuls besoins des jeunes enfants dans
une forme de corvéabilité peut être dangereuse. Prises dans une injonction paradoxale, entre le désir
inatteignable de bien faire et l’impossibilité de faire le travail, les care-givers oscillent entre la
souffrance éthique et la routine déshumanisante, les deux pouvant produire des actes impulsifs voire
violents (Dujarier, Molinier, Dejours). Le care, comme qualité de présence à l’autre, attention
sensible aux micro-évènements, constitue ce « travail vivant », inestimable qui ne rentre pas dans
les catégories formelles de la bientraitance. Se réapproprier le sens de son travail éducatif par la
mobilisation de son intelligence rusée, des règles de métier et de l’activité déontique constituent
des pistes pour appréhender la dimension éthique (Oury, Dejours).
Valoriser l’expérience
Inscrire l’accueil des jeunes enfants sur le plan d’une éthique du care rompt avec les formes
d’évaluation et d’expertise chiffrées des bonnes pratiques ou des référentiels de compétences. Le
care donne la primauté à l’expérience, aux dilemmes moraux, aux enjeux de délibération collective
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dont la négociation est ancrée dans la pratique éducative quotidienne. L’intérêt pour accéder à une
sensibilité éthique vis-à-vis des jeunes enfants aurait permis de réinterroger le risque
d’essentialisation de la « bonne relation bientraitante », à la fois adossée aux logiques dominantes
du capitalisme émotionnel et fondée sur le seul paradigme de la relation d’attachement mère-enfant.
« La scène éducative » est constituée par un réseau de relations interdépendantes dont l’ensemble
des acteurs est à prendre en compte.
Depuis la Loi 2002.2 sur la rénovation de l’action sociale, la bientraitance est devenue un axe
majeur des politiques publiques à travers notamment le droit des usagers. Malgré cette injonction, le
secteur de la petite enfance connaît de fortes restrictions budgétaires, laissant se développer une
forme de déréglementation, de privatisation des modes d’accueil et de déqualification des
professionnels de terrain. Le champ de la petite enfance est traversé actuellement à la fois par des
enjeux économiques liés à l’inclusion des modes d’accueil dans la directive européenne « Services
» et des luttes idéologiques sur la conception de l’enfant, et ce depuis le rapport controversé de
l’Inserm sur les troubles de conduites de l’enfant de moins de trois ans. Ce rapport d’expertise
médicale préconisait notamment des carnets de comportement pour les jeunes enfants, censés
dépister les futurs délinquants. A l’époque, une mobilisation collective de nombreux acteurs,
validée par le comité consultatif national d’éthique, avait permis l’expression d’un risque de
confusion entre prévention et prédiction. Bien que Claire Boutillier indique ne pas s’inscrire dans
cette perspective prédictive, nous constatons qu’elle mobilise plusieurs des auteurs ayant participé à
ces travaux scientifiques ! L’écueil majeur d’une approche par les « bonnes pratiques » est de
proposer des modalités de traitement de la violence ordinaire par de nouvelles formes de
disciplinarisation et de contrôle social.
Au final, plutôt que de souffrir une tentative de vulgarisation, peut-être le concept de bientraitance
aurait-il gagné à être tiré vers le haut d'une réflexion philosophique, éthique, politique. N'est-il pas
temps de dégonfler l'étouffante baudruche d'un devoir de bien faire qui ne se soucie jamais des
conditions du faire ?
*« La bientraitance éducative dans l'accueil des jeunes enfants » Ed. Dunod 176 p., 15,90 €
Pour aller plus loin : DELIOT Catherine et GARRAU Marie, Les ambivalences de la
bientraitance. Rapport de recherches sur l’émergence, la signification et les effets de la notion de
bientraitance dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux, 2014
Bioconservateurs contre bioprogressistes
Le Figaro du 28 janvier 2016 par Luc Ferry*
Le projet transhumaniste est une véritable révolution sur le plan éthique, mais aussi
économique et spirituel. Des problèmes d'une ampleur radicalement inédite vont se poser.
Le projet transhumaniste selon lequel la médecine ne peut plus se contenter de « réparer » l'être
humain, de soigner ses maladies, mais doit désormais travailler à son « amélioration » afin de le
rendre plus résistant, plus intelligent et surtout plus « durable », commence à entrer enfin dans les
scanners médiatiques. Gageons que, d'ici peu, même nos intellectuels et nos politiques finiront par
comprendre que c'est une véritable révolution, que la technomédecine et les nouveaux pouvoirs de
l'homme sur l'homme vont poser sur le plan éthique, mais aussi économique et spirituel, des
problèmes d'une nouveauté et d'une ampleur radicalement inédites. De nombreuses objections
apparaissent déjà, le plus souvent limitées aux milieux scientifiques, qui restent encore presque
seuls à savoir de quoi il retourne comme à pressentir ce qui nous attend.
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Pour autant, les critiques les plus sérieuses ne sont pas forcément les plus savantes, ni les plus
sophistiquées. Elles sont plutôt de l'ordre du bon sens, à commencer par celle-ci, qui vient
immédiatement à l'esprit : ne prendrait-on pas, le jour où l'ingénierie génétique serait au point (ce
qui n'est pas encore le cas, mais qui adviendra forcément), des risques insensés en se livrant à des
manipulations génétiques germinales, à la fois transmissibles et irréversibles ? Est-on certain que le
projet d'améliorer l'humanité va réellement aller vers le mieux plutôt que vers le pire, la
monstruosité ?
Dans son livre, un des classiques du transhumanisme, intitulé Beyond Humanity ? (Au-delà de
l'humanité ?), Allen Buchanan s'est efforcé de résumer en quelques lignes, que je traduis ici, les
principales critiques avancées contre le transhumanisme, en particulier par les deux philosophes
américains majeurs sur le terrain du « bioconservatisme », Michael Sandel et Francis Fukuyama : «
Pour la première fois, la biologie humaine et le génome humain lui-même peuvent être façonnés par
l'action humaine. Mais l'organisme humain est une totalité équilibrée et réglée de manière fine, le
produit d'une évolution exigeante et complexe. Il est donc totalement déraisonnable de s'amuser à
saccager la sagesse de la nature, le chef-d'œuvre du Maître ingénieur de l'évolution, dans le but
d'être mieux que bien…
Ceux qui visent une augmentation (enhancement) biomédicale désirent en fait atteindre la
perfection… mais cette attitude est totalement incompatible avec celle qui consiste à apprécier à sa
juste valeur ce qui nous est donné, avec le sens de la gratitude pour ce que nous avons déjà. »
Face à ces observations, qu'ils connaissent évidemment par cœur, les « bioprogressistes » répondent
invariablement que l'évolution n'est nullement le fait d'un « Maître ingénieur », qu'il s'agit plutôt
d'un pur bricolage aussi aveugle qu'amoral ; ils ajoutent que notre situation n'a rien de satisfaisant si
l'on considère que des milliers de gens meurent chaque jour de maladies incurables dans d'atroces
souffrances ; enfin, chercher à « augmenter » l'être humain n'a rien à voir avec une visée de
perfection absolue, mais seulement d'amélioration, ce qui est tout différent et ne relève aucunement
d'un fantasme de toute-puissance. Il s'agit seulement de compassion à l'égard de ceux qui souffrent
inutilement, de sorte qu'au vu des progrès accomplis ces dernières années par la biologie comme par
les nouvelles technologies, il serait absurde et irresponsable de fermer la porte aux améliorations
que la science peut très probablement réaliser encore pour le bien de l'humanité.
Du reste, il n'y a rien de vraiment nouveau sous le soleil : depuis toujours, les avancées de la
recherche ont supposé de l'audace plutôt que l'application tatillonne du principe de précaution. Le
véritable risque, aujourd'hui, serait de ne pas en prendre, et si l'on devait toujours suivre ce fichu
principe, même l'aspirine ne serait plus mise aujourd'hui sur le marché ! Impossible, bien sûr, de
trancher ici en quelques lignes ce débat essentiel, pour ne pas dire à proprement parler vital, entre
« bioprogressistes » et « bioconservateurs ». Ce qui est certain, c'est que la logique du tout ou rien
ne mènera nulle part, qu'il va falloir encadrer comme jamais les retombées de la technoscience, non
pas interdire tout, ni tout autoriser, mais poser des limites, c'est-à-dire réguler. Nos vieilles
démocraties, peu versées dans les sciences et qui plus est tétanisées par la nostalgie de leurs
splendeurs passées, sont-elles encore capables de penser l'avenir ? C'est toute la question.
*Essayiste, ancien professeur de philosophie, ancien ministre de la Jeunesse, de l’Éducation
nationale et de la Recherche et ancien membre du CCNE.
Mémoires d’Agathe
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Libération du 22 janvier 2016 par Eric Favereau
Didier Pourquery écrit le roman vrai de la vie brève de sa fille
On ne la connaissait pas, mais on connaît bien son père, Didier Pourquery. Il a été longtemps
journaliste à Libération, puis il est parti vers d’autres lieux, avant de revenir pour diriger la
rédaction de Libé, en août 2007. Quand il est revenu, sa fille venait de mourir, quelques jours
auparavant, le 8 août, à 2 h 40, sur son lit de l’hôpital Foch près de Paris. On ne le savait pas. Y a-til des mots pour dire la mort de sa fille, 23 ans, atteinte de mucoviscidose ? Didier Pourquery
paraissait le même, élégant, avec son crâne rasé, sa courtoisie si agréable. « Hier soir, sur la
terrasse [de Libé, rue Béranger, ndlr], j’ai pris mon portable et je t’ai appelée. J’ai voulu te
raconter le bouclage, la folie, mais je suis tombé sur ton répondeur. Ça m’a fait du bien, même si
j’ai sangloté longtemps après. La ligne sera coupée d’ici peu et je n’aurai même plus ton répondeur
pour écouter ta voix ; ni tes quelques messages enregistrés qui vont eux aux aussi disparaître de
mon portable ; cela m’angoisse. Ta voix me manque tant, Agathe, même quand elle était lasse. Il y
a tellement de choses que je voudrais te dire ce soir, mon Agathe. Je vais les écrire dans un livre,
ça me fera du bien de te les raconter… de te raconter. Je t’aime. »
Ainsi s’achève l’Eté d’Agathe, le journal des derniers jours de sa vie qu’a tenu son père. Qu’en dire
? Une critique littéraire ? Cela n’a pas de sens. C’est là, comme un abîme. Le malheur absolu
comme l’absence n’ont pas de baromètre. Il fait nuit, c’est tout, une nuit profonde, sans étoile, ni
aurore à venir. Même le Christ sur la croix n’avait eu que ces mots : « Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Pourtant, à la fin de la lecture de ces pages, il reste quelque chose, comme une image, un
émerveillement aussi autour d’Agathe. Agathe a donc toujours été malade, toussotant toute sa vie,
subissant des cures régulières d’antibiothérapie, puis une greffe de poumon qui réussit quelques
années, puis une autre. Comme le raconte son père, sa vie a été aussi banale, avec ses sœurs, ses
amours, ses agacements.
Ses peurs aussi. « Un samedi matin de septembre, elle a éclaté en sanglots ; elle glissait. Pris de
court, je dis n’importe quoi ; je lui suggérai de se fixer des buts à court terme. "Peut-on être
heureux comme ça", me demanda-t-elle, avant de retourner à son silence », écrit son père. On était
en septembre. « Depuis toujours, auprès d’Agathe, nous attendons. Nous attendons qu’elle aille
mieux, qu’elle s’éclaire, qu’elle s’endorme, que sa quinte de toux s’achève, qu’elle se réveille de sa
sieste ou de son anesthésie. Nous attendons depuis si longtemps et notre attente se conclut toujours
par un sourire d’Agathe. » En juin, elle adresse un SMS à son père, juste après que ses médecins lui
ont dit qu’il n’y avait plus rien à espérer : « Aujourd’hui j’ai eu la discussion la plus importante de
ma vie avec Marc [son médecin, ndlr]. Celle qui était tant redoutée. Comment continuer de penser
? Je vous aime. »
On ne sait rien d’Agathe, mais voilà une fille qui va mourir, elle le sait, et elle murmure cette
interrogation, aussi terrible que magnifique : « Comment continuer de penser ? » Et si les mots de
son père n’étaient finalement qu’une façon de tenter de répondre ?
Didier Pourquery : L’Eté d’Agathe Ed. Grasset, 190 p., 17 €.
Tugdual Derville : « La sédation profonde risque
de devenir une solution de facilité »
Famille Chrétienne du 27 janvier 2016 par Antoine Pasquier
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La loi sur la fin de vie, qui a été adoptée le 27 janvier par le Parlement, instaure la sédation
profonde et continue jusqu’au décès. Tugdual Derville craint qu’elle devienne une solution de
facilité.
La loi Leonetti-Claeys sur la fin de vie a connu en fin de parcours quelques ajustements par
rapport à sa version initiale. Vont-ils dans le bon sens ?
Ces ajustements, obtenus aux forceps en commission mixte paritaire, ne suffisent pas à rassurer sur
la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Dès le départ, les deux parlementaires, Jean
Leonetti et Alain Claeys, ont soigneusement évité d’intégrer le critère de l’intention de tuer ou de ne
pas tuer dans ce « nouveau droit ». Le fait de pratiquer une sédation continue, si possible réversible,
quand existent des souffrances réfractaires, fait partie de la pratique médicale. Ce qui est contestable
dans ce texte, c’est de vendre l’idée d’une anesthésie générale avant de mourir. Les praticiens des
soins palliatifs le savent : cela peut devenir une solution de facilité. Il sera toujours plus facile
d’éteindre une plainte par la sédation que d’écouter et d’accompagner les patients jusqu’au bout.
« Dormir avant de mourir » : est-ce qu’on nous vend du rêve ?
La promesse politique de Jean Leonetti d’un « droit des malades à ne pas souffrir en fin de vie » est
angélique. Elle ne correspond pas à la réalité de ce qui se vit sur le terrain. Promettre une vie sans
douleur ou une mort sans souffrance, comme si cela était un droit, c’est risquer un basculement de
civilisation.
Les efforts considérables réalisés pour nous donner l’illusion que tout cela va devenir doux,
désormais, renvoient à une angoisse profonde du corps social : une angoisse spirituelle sur le sens de
la vie. Si nous pensons que notre vie vaut par ce que nous faisons, par notre capacité, par notre
image, par notre santé, alors les moments ultimes deviennent effrayants, car ce sont des moments de
nudité. Et l’homme postmoderne ne veut plus paraître nu.
Quel problème pose la sédation profonde et continue jusqu’au décès ?
Elle risque de faire perdre toute liberté au patient, et de le priver de ses derniers échanges avec ses
proches. Je rejoins ici l’analyse de Damien Le Guay lorsqu’il démontre, dans son essai Le Fin Mot
de la vie, que la plus grande injustice dans les processus de fin de vie, c’est d’interdire la parole
entre ceux qui partent et ceux qui restent. Or, et cette loi y participera, trop de personnes sont
privées de cette ultime parole en raison d’une tendance à privilégier l’inconscience au nom du
confort. Pourtant, c’est quand les masques tombent, quand on est dépouillé, qu’entre parents et
enfants, entre frères et sœurs, entre conjoints, se vivent des instants précieux, essentiels pour tous.
La commission mixte a ajouté une condition supplémentaire au second cas possible (article 3)
de recours à une sédation profonde et continue, quand l’arrêt des traitements revendiqué par
le patient est « susceptible de provoquer une souffrance insupportable ». Est-ce satisfaisant ?
Cette formule a été ajoutée à la va-vite. La notion de souffrance insupportable n’est ni objective, ni
médicale. C’est celle de la loi belge, qui ouvre à toutes les dérives. Qui va vérifier ce caractère
insupportable, littéralement « impossible à supporter » ? Comment la mesurer ? Avec cette notion
subjective, on ouvre une porte au suicide assisté. Ceux qui se verront refuser ce type de protocole,
soutenus par l’ADMD, diront que la loi n’est pas claire et qu’il faut légiférer encore.
Au contraire, sénateurs et députés ont accepté de supprimer un passage très contesté, celui de
« ne pas prolonger inutilement sa vie ». Que faut-il en déduire ?
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Que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée, la formule avait été jugée scandaleuse, car elle laissait
entendre qu’il y avait des vies inutiles. La présence d’une telle formule dans le texte initial est
révélatrice d’un état d’esprit utilitariste : lorsque l’être humain perd un certain nombre de capacités,
il perdrait aussi sa dignité. C’est typiquement l’état d’esprit de l’euthanasie.
Le texte de loi définit l’alimentation et l’hydratation artificielles comme des traitements, et
autorise leur possible suspension. Cela peut-il être assimilé à une forme d’euthanasie ?
J’ai vu beaucoup de mauvaise foi chez les personnes qui ont défendu ces arrêts d’alimentation et
d’hydratation. Ils nous ont expliqué qu’il est parfois nécessaire de les interrompre, en utilisant des
réalités médicales incontestables. Il est vrai dans un certain nombre de cas que trop hydrater et
alimenter provoque des inconforts et des encombrements chez des patients en toute fin de vie ; il est
alors légitime de les limiter voire de les suspendre. En revanche, tout autre chose est d’utiliser ces
exemples pour légitimer des arrêts d’alimentation et d’hydratation visant à provoquer délibérément
la mort. Le critère de l’intention est ici déterminant. La superposition entre une sédation et un arrêt
d’alimentation et d’hydratation est un moyen très pernicieux de dissimuler une euthanasie. Cette
mort à petit feu, endormie, que la loi veut nous garantir, se révèle d’une violence inouïe si elle
s’inscrit dans le déni des mots.
Avec cette loi, les directives anticipées vont devenir contraignantes. Cette disposition risque-telle de briser le dialogue indispensable entre patient et médecin ?
Nous assistons à un véritable jeu de dupes avec les directives anticipées. Il suffit que chacun
s’interroge : est-ce que je veux une trachéotomie ? Une gastrotomie ? Personne ne répond, et c’est
normal. Dans un dialogue singulier et continu avec mon médecin, il est légitime d’envisager des
scénarios prévisibles en cas de maladie grave et de prendre des dispositions. Ce sont là des
directives anticipées saines.
Mais qu’une loi laisse croire que, dorénavant, nous patients, nous deviendrions les prescripteurs des
gestes médicaux que les spécialistes devraient nous administrer, c’est du pur fantasme ! Cette
éventualité fait peser sur nous, ou sur nos proches, un poids qui ne correspond ni à notre mission, ni
à nos compétences. Prenons garde à ne pas « protocoliser » les fins de vie, comme dans une
technocratie déshumanisée. Heureusement, la Commission paritaire prévoit que le médecin aura le
dernier mot.
Le monde des soins palliatifs semble de plus en plus critique sur ce texte. Comment expliquer
cette évolution ?
Il s’est opéré une prise de conscience progressive du monde médical sur l’ambiguïté de cette loi.
Les médecins se sont rendu compte qu’elle n’était pas faite pour ajuster leurs pratiques, mais pour
honorer de manière consensuelle une promesse présidentielle imprécise. Maintenant, nous allons
voir comment ils vont interpréter ce texte. On peut penser et souhaiter qu’ils restent prudents, en
limitant au maximum les sédations profondes et continues. Je crains cependant que les Français, qui
ont entendu des promesses intenables, ne protestent, et que des soignants sombrent dans la facilité
en sédatant vite. Il existe déjà des endroits où l’on endort trop systématiquement. 57
Régis Aubry : « Tout acteur de santé doit être
formé sur la fin de vie »
RCF Radio du 27 janvier 2016 par François Ballarin
Plus de dix ans après la loi Leonetti, le Parlement s’apprête à adopter définitivement mercredi
la proposition de loi PS-LR accordant de nouveaux droits aux personnes en fin de vie
La nouvelle loi sur la fin de vie finit son périple législatif. L’Assemblée nationale devrait voter le
texte à une large majorité en fin de journée, et le Sénat dans la soirée. Cette loi ouvre la voie à la
sédation profonde et continue, et se veut à la fois respectueuse des volontés du patient et des devoirs
du personnel soignant. Pour Régis Aubry, chef du service des soins palliatifs du CHU de Besançon,
« Le fait est que les avancées de la science et de la médecine produisent aujourd’hui des situations
nouvelles de fin de vie, qui imposent qu’assez régulièrement on songe, entre autres, à adapter les
droits des personnes malades et les devoirs des médecins à ces nouvelles réalités, sur le plan de la
loi ».
Concernant la sédation profonde, ce membre du comité consultatif national d’éthique ajoute que
« le texte tel qu’il vient d’être accepté en Commission mixte paritaire paraît beaucoup plus clair
que ne l’étaient les textes qui avaient transité entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Sur le fond,
cette question de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, qui répond à une demande, est
quelque chose qui peut s’entendre. Ce qui m’inquiète toujours ce n’est pas tant la loi que l’usage
qu’on peut en faire. D’aucuns dénoncent qu’il s’agirait d’un moyen déguisé d’avancer vers
l’euthanasie. Je crois qu’il faut prêter aux acteurs de santé de bien utiliser cette loi ».
L’ancien président de l’Observatoire de la fin de vie estime cependant que l’enjeu majeur de cette
loi, c’est la formation poussée et précise du soignant, pour qu’il en fasse bon usage. « Cette loi
s’accompagne d’un nouveau plan de développement des soins palliatifs et de l’accompagnement
dont un axe entier est réservé à la formation et à la recherche. Je pense qu’il va falloir investir
cette question de la formation de manière à ce que tout acteur de santé soit demain formé et
informé sir les questions de la fin de vie. »
Loi sur la fin de vie: l'ultime liberté
Huffington Post du 28 janvier 2016 par Marisol Touraine, ministre
des Affaires sociales, de la Santé et des droits des femmes
Le Parlement a adopté hier la loi créant de nouveaux droits en faveur des personnes en fin de vie.
Ce texte, voulu par le Président de la République et voté à la quasi-unanimité des parlementaires,
consacre une avancée historique. Il inscrit le mouvement, désormais irréversible, de l'autonomie de
la personne en fin de vie. La fin de vie est un sujet politique au sens le plus fort du terme. Qui exige
de porter une certaine vision de la société tout entière. Qui met en jeu, aussi, sur le sens de nos
valeurs dans une société qui a changé.
Parce que notre rapport à la mort s'est transformé. La crainte de la mort, « seul mal réel de l'Homme
» pour Chateaubriand, a changé de nature. Plus encore que le jour de leur mort, les Français
appréhendent désormais « les » jours de leur mort. La médecine et les progrès scientifiques génèrent
des situations de fin de vie plus longues et de plus en plus complexes, où s'estompent les frontières.
Il y a aujourd'hui une attente forte dans notre pays que personne ne conteste. Une attente de dignité.
Mais quel sens lui donner ? La diversité des épreuves personnelles et la multiplication de cas
individuels particulièrement difficiles et médiatisés interpellent et façonnent la conscience de
chacun. Par-delà les divergences d'opinion, la capacité à maintenir des relations avec ses proches, à
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ne pas s'infliger ni leur infliger une situation dégradante, sont deux des exigences régulièrement
réaffirmées par nos concitoyens.
Etre au rendez-vous de ces exigences impose une première grande priorité : celle du développement
des soins palliatifs, qui permettent d'apaiser les souffrances du malade dont l'affection ne répond pas
au traitement curatif. J'ai présenté le 3 décembre dernier un plan national pour les soins palliatifs et
l'accompagnement en fin de vie. Son objectif ? Garantir l'égal accès de tous à ces soins. La prise en
charge à domicile et en maison de retraite sera développée par la multiplication des équipes de soins
mobiles. Le patient sera mieux informé, placé au cœur des décisions qui le concernent. Mais il faut
aller plus loin. Aujourd'hui, les malades en fin de vie veulent décider par eux-mêmes et pour euxmêmes. De continuer à vivre jusqu'au bout. Ou pas.
La loi Leonetti de 2005 ne répond plus qu'imparfaitement à cette attente. En permettant au médecin
de décider avec ses pairs de limiter ou d'arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n'ayant
d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie, elle maintient la logique du seul
encadrement des traitements, du « laisser mourir ». C'est une loi pour encadrer et protéger les
médecins. C'est une autre logique, une autre voie, celle de l'autonomie de la personne, qu'a engagée
le Président de la République. Un très large consensus s'est construit autour du texte proposé.
Que dit cette nouvelle loi ? Qu'il revient désormais à l'individu et à lui seul, dès lors que la maladie
dont il souffre est incurable et son pronostic vital engagé à court terme, de décider de ne plus
souffrir. Comment ? En ayant le droit, nouveau, de demander une sédation continue jusqu'au décès.
Cette pratique relevait jusqu'à présent de la seule appréciation médicale. C'est au patient et à lui seul
qu'il reviendra désormais de choisir. Pour s'assurer du respect de son choix, les directives anticipées
s'imposent désormais au médecin et leur durée de validité est supprimée. Les Français seront mieux
informés de leur existence, leur accès sera facilité. La discussion au Parlement a montré que
certains souhaitaient aller au-delà. Le débat est toujours légitime et sans doute se poursuivra-t-il.
Mais alors, il ne pourra désormais avancer qu'à partir d'un préalable nouveau : celui de l'autonomie
de l'individu. La grande force de la loi votée hier, c'est d'avoir - enfin - renversé le paradigme de la
décision, et par là même engagé un mouvement inéluctable.
C'est l'ultime liberté. La forme extrême de l'empouvoirement qui s'inscrit dans la lutte initiée au
XXème siècle visant à octroyer à chaque individu le pouvoir d'agir sur sa condition sociale,
économique, politique ou environnementale.
Je suis convaincue de la nécessité d'en faire une réalité en matière de santé aussi, en renforçant tout
ce qui permet à nos concitoyens d'être plus forts, de mieux se défendre, de faire valoir leurs droits,
d'être maîtres de leur destin. Cela passe par le renforcement des droits des usagers et le
développement de la démocratie sanitaire que j'ai porté dans la loi de modernisation de notre
système de santé. Mais cela va au-delà. Au même titre qu'un patient a le droit de choisir son
médecin et son traitement, il doit pouvoir, malade et en fin de vie, choisir de pouvoir terminer sa vie
aussi dignement qu'il a vécu, sans souffrance. Le pouvoir de demander à bénéficier d'une sédation
en fin de vie, fût-il ultime, s'inscrit dans cette logique. Rester maître de sa vie jusqu'au moment où
on la quitte, un enjeu de dignité ? Assurément. Une exigence démocratique et citoyenne, aussi.
Essai clinique mortel : « Nous n'avons pas
identifié de faute »
Le Figaro du 30 janvier 2016 par Anne Jouan
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Le directeur de Biotrial, société chargée des tests thérapeutiques, explique pourquoi l'essai a
continué malgré un premier accident.
Pour la première fois, François Peaucelle, le directeur général de Biotrial, s'explique. Le 15 janvier,
la ministre de la sante annonçait qu'un essai thérapeutique avait causé « un accident grave » à
Rennes. Depuis, le volontaire de 49 ans est décédé. C'est l'accident le plus important jamais survenu
en Europe lors d'essais cliniques. Les premiers troubles sont apparus au cinquième jour
d'administration de 50 mg de la molécule BIA 10-2474, un antalgique. Biotrial menait l'essai pour
le laboratoire portugais Bial. Des enquêtes sont en cours: une à l'inspection générale des affaires
sociales (Igas), qui doit remettre un rapport en début de semaine, et une autre au parquet via une
enquête de flagrance. Biotrial a fait appel à un cabinet spécialisé en gestion de crise. Et l'entreprise
s'est adjointe les services de Guillaume Didier, un ancien juge d'instruction qui a notamment œuvré
comme chef de cabinet puis porte-parole du ministère de la Justice.
Comment expliquez-vous l'accident ?
Pour l'instant, nous n'avons pas identifié de faute que nous appelons chez nous « écart critique ».
Nous n'avons observé aucun comportement qui ait pu être la cause de ce qui s'est produit.
Comment expliquez-vous l'administration de la sixième dose aux cinq autres alors que le
premier était hospitalisé depuis la veille ?
Le volontaire hospitalisé le dimanche 10 janvier présentait ce jour-là des symptômes qui n'alarment
pas dans la vie quotidienne, notamment des maux de tête. Mais nous l'avons envoyé aux urgences
vers 20 heures pour des explorations complémentaires, à titre de précaution. Le lendemain, nous
administrons le médicament testé aux autres volontaires alors que nous attendions son retour à
Biotrial. Puis en fin de matinée, on apprend qu'il a fait un AVC, ce qui nous semble assez
déconnecté de l'essai clinique. Mais, par mesure de précaution, nous suspendons l'administration du
produit, lundi en fin d'après-midi. L'étude a été officiellement arrêtée auprès de l'agence (ANSM)
par le laboratoire Bial, dont c'est la responsabilité, le jeudi. Le mercredi 13 janvier, nous prévenons
l'ANSM de manière informelle, puis, le jeudi, nous lui signifions officiellement l'accident. Mais le
lundi, nous n'avions aucune raison de la prévenir car le diagnostic d'AVC était éloigné de l'étude
menée et nous avions cessé l'administration du produit. Nous n'avons fait le lien avec l'essai
clinique que lorsque d'autres volontaires ont eu eux aussi des troubles, le mercredi matin.
Est-ce normal qu'un membre de la direction de Biotrial siège au comité de protection des
personnes de Rennes (CPP), sachant qu'ils ont en charge, avant l'agence du médicament,
l'évaluation des protocoles des essais ?
Alain Patat étant un expert international des essais cliniques, il est assez logique qu'on lui ait
demandé de faire partie du CPP de Rennes, ce qu'il a accepté. En conséquence, nous évitons au
maximum de faire appel à ce CPP, et dans les rares cas où cela a pu arriver, il s'est abstenu de
participer aux délibérations et aux votes.
Comment vont les cinq personnes qui ont reçu les six fois 50 mg ?
Nous sommes aujourd'hui plutôt rassurés. Ils font tous l'objet d'un suivi médical. L'un d'entre eux
n'a aucun symptôme, il a surtout eu des problèmes d'anxiété. Pour les quatre autres, les situations
sont variables. Et même s'ils sont tous sont rentrés chez eux, cela ne veut pas dire qu'ils ne font pas
de rééducation. Mais il est trop tôt pour parler de séquelles ; il est possible qu'il n'y en ait pas. La
vraie question est : pourquoi cette molécule, qui n'avait rien produit sur personne, a eu d'un seul
coup cet effet ?
L'accident a eu lieu voilà trois semaines. Ni les volontaires malades ni la famille du décédé ne
s'expriment. Y a-t-il des transactions financières ?
Il n'y a aucune négociation de notre part. Et Bial n'a pas l'identité des volontaires. Nous ne sommes
pas dans le conflit, je les ai souvent au téléphone.
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Les enquêteurs s'interrogent sur les cadeaux faits par Biotrial aux CPP locaux qui valident les
essais pour votre société, au point d'être baptisés « CPP Biotrial »…
Je démens formellement ces accusations. Nous avons certes des relations avec les CPP, mais ils
sont indépendants.
GPA : des enfants otages de la République
Libération du 1er février 2016 par Alexandre Urwicz, président de
l'Association Des Familles Homoparentales (ADFH)
Le gouvernement fait la sourde oreille pour accorder une carte d’identité aux enfants nés
sous GPA. Laissant les ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères
se renvoyer la balle.
Comment donner la certitude qu’on ne favorise pas le recours à la gestation pour autrui (GPA) et
exécuter des décisions de justice qui ordonnent de protéger tous les enfants, y compris ceux nés par
GPA ? Pour le gouvernement, rien de plus simple : ne rien faire, ne rien dire. Résultat : nos
administrations se mettent hors-la-loi et se font condamner. Ce qui bloque ? C’est la méthode de
conception de l’enfant : une GPA réalisée dans un pays étranger où elle est légale et encadrée, alors
qu’en France, elle reste prohibée. Dans les différents jugements obtenus par les adhérents de
l’Association des familles homoparentales (ADFH), les préfets indiquent systématiquement avoir
réclamé des instructions auprès du ministre de l’Intérieur pour savoir s’ils devaient délivrer ou non
un passeport ou une carte d’identité à un enfant qui détient le plus souvent un certificat de
nationalité française. Aucune réponse n’est jamais donnée à ces préfets, qui enchaînent les unes
après les autres les condamnations des tribunaux administratifs. Après tout, laisser un préfet se faire
condamner, c’est bien moins grave que lui transmettre des instructions qui visent à protéger les
enfants. Si le ministre de l’Intérieur prenait sa plume pour faire appliquer la jurisprudence à son
administration, il craindrait alors d’être désigné comme facilitateur d’un procédé interdit en France
mais légal à l’étranger.
Protéger des enfants est visiblement bien trop risqué quand on est un homme de gauche en
responsabilité. Le gouvernement assume donc faire le tri entre des gamins pour identifier ceux qui
sont bien nés de ceux qui ne le sont pas. Un comble pour un gouvernement dont la couleur politique
se conjugue, paraît-il, mieux avec humanisme, progrès, et défense des minorités. Recourir
légalement à la GPA à l’étranger doit-il empêcher la protection de ces enfants français sur notre sol
? Certainement pas, ont répété les cours de justice saisies en la matière. Respecter et reconnaître
l’identité de ces enfants, c’est aussi leur permettre de grandir à égalité avec leurs copains dont
personne ne sait s’ils ont été conçus sous la couette ou lors d’un retour de soirée arrosée. Peu
importe. Un enfant est un enfant. Ce sont eux qui paient le prix fort du silence gouvernemental, et
ce sont nos impôts qui viennent financer les condamnations financières dont l’administration
souffre. Officieusement, le ministère de l’Intérieur n’hésite pas à indiquer que, depuis de nombreux
mois, il n’arrive pas à se mettre d’accord avec le ministère de la Justice pour adopter une doctrine.
De même, le ministère des Affaires étrangères fait cavalier seul devant la Cour européenne des
droits de l’homme (CEDH) pour représenter la France et tenter d’enfumer la Haute Cour, sans
aviser le ministère de la Justice, ou juste la veille d’un délai à respecter. Faire appliquer les
décisions de justice, c’est pourtant bien une mission de la garde des Sceaux. Mais que faire quand
on s’appelle Christiane Taubira et que votre voisin, au Conseil des ministres, joue la sourde oreille ?
Gageons que le nouveau ministre de la Justice sera mieux entendu.
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En réalité, depuis la double condamnation de la France, en juin 2014 par la Cour européenne des
droits de l’homme, les arrêts Mennesson et Labassée ont donné le "la". Toutes les juridictions
françaises se mettent à l’unisson pour condamner les administrations qui viendraient bafouer le
respect des droits fondamentaux d’un enfant à disposer d’une identité reconnue. C’est donc les
juges qui font le boulot du gouvernement, qui reste incapable car tétanisé sur le sujet. Le président
de la République lui-même avait réclamé un avis éclairé de deux magistrats honoraires pour
départager ses ministres sur le sujet. L’avis pourtant promis à la CEDH ne sera jamais rendu.
Rendre des enfants otages administratifs d’une telle pagaille, c’est juste inhumain. On imagine mal
que nos responsables politiques accepteraient que la sécurité sociale mette plusieurs années pour
enregistrer leurs propres enfants, qu’il faille aller devant le juge administratif pour obtenir une carte
d’identité, que la CAF vous demande 5 kilogrammes de justificatifs pour ouvrir des droits et,
qu’enfin, le procureur de Nantes, garant de l’état civil des Français nés à l’étranger, fasse preuve de
vicissitude pour reconnaître les états civils étrangers de ces enfants dans les registres français. Lui
aussi indique attendre des instructions qui ne sont jamais venues. Tout le monde attend, et les
enfants grandissent.
Monsieur Valls, vous avez bien montré que la France ne favorise pas le recours à la GPA à
l’étranger, là où elle est légale et encadrée. Mais combien d’années ferez-vous payer à ces enfants
français qui n’ont rien demandé ce no man’s land administratif ? Quel modèle de république
donnez-vous à ces enfants lorsque vous n’hésitez pas à marchander les décisions de justice au lieu
de faire appliquer le droit ?
« Ces manipulations sur l'embryon n'auraient
probablement pas été autorisées en France »
Le Figaro du 2 février 2016 par Tristan Vey
Le généticien Patrick Gaudray, membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE),
répond aux questions du Figaro sur l'autorisation d'une campagne de recherche impliquant la
manipulation génétique d'embryons humains.
La Grande-Bretagne a autorisé lundi une campagne de recherche fondée sur la manipulation
génétique d'embryons humains. Quelles sont les implications sur le plan éthique ? Le généticien
Patrick Gaudray, directeur de recherche au CNRS et membre du Comité consultatif national
d'éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé, répond aux questions du Figaro.
Ces manipulations génétiques sur l'embryon humain vous paraissent-elles légitimes ?
Nous sommes là dans un cadre de recherche fondamentale. Il s'agit de comprendre le rôle joué par
certains gènes dans le développement précoce de l'embryon humain. Le plus simple pour cela est
d'utiliser la nouvelle technique d'édition génétique CRISPR/Cas9 qui permet de supprimer ou de
modifier l'expression de certains gènes. Les embryons n'ont pas vocation à être implantés. Ils seront
détruits au bout de quelques jours. Dans ce contexte, ce type de recherche me paraît raisonnable.
Avez-vous été surpris par cette autorisation ?
Non, pas vraiment. La demande a été déposée en septembre et semblait conforme au droit
britannique qui autorise ce type de travaux depuis 2009. Le contexte est très différent en GrandeBretagne. A mon sens ils sont déjà allés beaucoup plus loin, probablement trop loin d'ailleurs, en
autorisant l'utilisation d'un ovocyte d'une tierce personne pour accueillir le matériel génétique de
deux parents. Dans la mesure où cet ovocyte contient de l'ADN dans ses mitochondries (les
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centrales énergétiques des cellules, NDLR), cela revenait déjà à modifier artificiellement le
patrimoine génétique d'un être humain. On a assez peu insisté sur ce point en évoquant plus
généralement « un bébé à trois parents ».
Ces nouvelles recherches auraient-elles été autorisées en France ?
Non, probablement pas. L'utilisation d'embryons est autorisée sous des conditions strictes dans la
recherche depuis 2013 seulement (elle était interdite avec un régime de dérogations auparavant,
NDLR). Je n'imagine pas que l'on puisse autoriser des manipulations génétiques sans que cela
provoque un tollé. Il serait bon d'avoir un débat apaisé sur ces questions, mais ce n'est pas évident.
Lorsque les opposants prétendaient que la recherche « tuerait » les embryons, par exemple, ce
n'était pas vrai : depuis toujours, lors de fécondations in vitro, seuls les embryons qui n'ont pas
vocation à être implantés et auraient été détruits de toute façon, sont utilisés.
Pourquoi cette question crispe-t-elle autant les positions ?
La question de l'embryon humain est très délicate à appréhender. En France, il n'y a par exemple
rien de fixé sur le commencement de la vie humaine. Est-ce au moment de la fécondation, de
l'implantation dans l'utérus, à la naissance ? Ce n'est pas clair dans le code civil. En GrandeBretagne, ils ont fixé 14 jours, ce qui correspond à l'apparition des premières cellules nerveuses.
C'est un choix comme un autre, mais il permet des discussions plus apaisées.
Doit-on craindre que ce type de recherche ne débouche sur des « bébés sur mesure »?
Je pense que cela relève pour le moment du fantasme. Il existe un immense fossé entre ce type de
recherches fondamentales et des applications pratiques. Ce n'est pas parce qu'on bricole comme ça
un embryon humain que l'on sera capable demain de modifier le génome à l'envi. On pense parfois
que l'on franchit une ligne rouge, mais on se promène plutôt sur celle-ci. Elle est très floue et le
risque de basculement est beaucoup moins grand qu'on ne l'imagine.
« Les premières victimes du transhumanisme »
Famille Chrétienne du 1er février 2016 par Pierre-Guillaume de Roux,
éditeur
« Depuis vingt ans je l’ai dit, je l’ai écrit et je l’ai combattu. Aujourd’hui, la quasi-totalité d’une
population triée sur le critère de son génome imparfait a disparu. L’extinction de cette partie de
l’humanité est le fait d’un eugénisme efficace vendu par des marchands, acheté par l’Etat et mis en
œuvre par la médecine. Dans l’histoire, c’est un événement sans précédent. De guerre lasse, j’étais
prêt à entendre ceux qui me conseillaient de déposer les armes ».
Des faits inattendus ont pourtant incité Jean-Marie Le Méné à reprendre la plume. La période s’y
prête. Ne pas dénoncer aujourd’hui cette marchandisation du vivant aurait été une capitulation.
« Nous avons besoin d’une Politique, ou mieux encore d’un Régime politique qui – par principe ne tient pas la vie humaine pour un hasardeux foisonnement du vivant, ne l’utilise pas comme banc
d’essai pour la technoscience et ne l’asservit pas à des finalités lucratives ».
Un livre décapant plus que jamais d’actualité ! Un signal d’alarme qui ne peut laisser personne
indifférent.
Les premières victimes du transhumanisme, éd. Pierre-guillaume de Roux, 176 p.
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Les mots pour ne pas le dire
Huffington Post du 2 février 2016 par Eliette Abécassis, écrivain
et Marie-Anne Frison-Roche, professeur à Sciences Po en droit
économique et régulation
La destruction d'un monde se fait à l'aide du langage, de la novlangue, comme l'a dénoncé George
Orwell dans son roman, 1984. Le principe de l'invention du langage pour imposer un nouvel ordre
mondial est le suivant : on diminue le nombre de mots d'une langue, empêchant les citoyens de
réfléchir, afin de créer une nouvelle réalité à laquelle ils sont désormais soumis. La disparition de
mots dans une langue permet une simplification du monde, qui empêche même à toute idée critique
de germer dans un esprit sans qu'aucun ordre extérieur ne soit donné et installe tranquillement une
société totalitaire.
Cette destruction peut s'observer aujourd'hui dans la disparition du mot "mère" dans le discours bâti
sur ce qui est appelé la "GPA". "Gestation pour Autrui". Or ce signe lui-même, GPA, est une
création de la novlangue. G pour "gestation". Le mot "gestation" selon le Larousse signifie : "État
d'une femelle vivipare, entre nidation et mise-bas, chez les espèces gestantes". Un mot a disparu du
vocabulaire, mot qui est pourtant plus adapté que "gestation" pour décrire la réalité de la femme
enceinte : "grossesse". Les deux commencent par G, il a été plus facile de substituer "Gestation"
(pour les animaux) à "Grossesse" (pour les femmes), réduisant ainsi les femmes à un pur état
animal. PA pour "pour autrui". L'expression par redondance ("pour" + "autrui") connote le don et la
gratuité alors qu'il s'agit d'une transaction marchande, entre des acheteurs et des commerçants
(agences et cliniques, consultants en tout genre) qui conçoivent et exécutent un contrat dans lequel
est négocié l'achat et la vente d'un bébé via la location de l'utérus de la mère.
"Gestation pour Autrui" n'a donc pas de sens : le sigle correspond à un travestissement de la réalité.
Pendant un temps, il fut dit : "Mère porteuse", pléonasme fabriqué à dessein puisqu'une mère est
toujours porteuse : l'expression sous-entend qu'il y aurait des "mères porteuses" et des "mères non
porteuses". Mais ces mères qui portent l'enfant sont celles qui accouchent de l'enfant, par
conséquence ce sont des mères. Donc pourquoi ajouter "porteuses" ? Pourquoi ? Parce que, par un
jeu de langage, en mettant deux mots, "mère" et "porteuse", elle devenait "sécable", puis
"effaçable". En effet, quelque temps après, il suffirait de ne l'appeler plus que ... "porteuse". En
langue anglaise, il est courant de dire simplement : surrogate.
Par une atroce ironie, c'est la langue de l'éthique qui va être chargée de briser cette unicité entre le
fait de porter et le fait d'être mère. Ainsi, des articles, des conférences, voire des débats sont
désormais organisés et placés sur le terrain "bioéthique", sur le thème "Porter l'enfant d'un autre".
L'on pose cela en titre, puis l'on propose à la discussion la qualification d'un tel fait, se demandant
par exemple si "porter l'enfant d'une part" serait un acte d'"asservissement" ou un acte de
"solidarité" entre le fertile et l'infertile.
La question a été déplacée. Par ce déplacement de la dispute (est-ce bien ? est-ce mal ?), le discours
élaboré a transformé le monde, présentant la maternité de substitution avec un personne qui n'est
plus la mère de l'enfant mais ce personnage secondaire, la "porteuse" de celui-ci. L'essentiel est
gagné : la mère n'est plus rien, puisque le mot a disparu : elle est une "porteuse". Or rappelons que
la mère est celle qui porte l'enfant et qui accouche. Peu importe "l'intention" qui l'anime ou qu' "une
autre" ait quant à elle l'intention d'avoir un enfant. Ainsi, dans le Code civil, la femme qui accouche
sous X et n'a donc pas "l'intention d'être mère" est qualifiée de "mère" par la loi. Parce qu'elle l'est.
Les promoteurs de la pratique ce que chacun est doucement appelé à nommer GPA, savent qu'en
gagnant la bataille du langage ils remporteront la bataille du Droit. Une Loi, c'est fait pour être
abrogée. Pour cela, il faut d'abord passer par le langage de l'éthique. Le décalage du Code civil
n'aura ainsi fait qu'apporter la preuve de son archaïsme : on réclame de la modernité. Certes, les
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scientifiques vont ensuite faire remarquer que la femme qui porte l'enfant en demeure
biologiquement la mère car pendant les 9 mois, elle échange avec l'enfant tant d'informations et de
cellules qu'ils ont un lien de filiation insécable.
Mais l'efficacité de la novlangue par la réduction du monde se poursuit. Puisque les discussions
éthiques n'auraient plus vocation qu'à porter sur le sort fait aux "porteuses" déchues de leur statut de
mère, il faudrait faire en sorte que cette "délivrance" de l'enfant entre la "porteuse" et ceux qui
attendent l'enfant ne se fasse plus par la mise en "esclavage" de la "porteuse", qu'elle reçoive sa part
financière de la transaction, qu'elle soit suivie, qu'elle ait des droits multiples. Cela dans un "souci
éthique". Non seulement le débat est déplacé, mais il est organisé pour que chacun aille dans le
"bon chemin". La réduction du monde par le langage a permis d'évacuer toute critique, et entraîne la
soumission de chacun, il à son espace clos. Le seul espace laissé au Droit par la novlangue est le
suivant : il faut que le Droit, qui réapparait dans ce "corridor langagier", soit "éthique", c'est-à-dire
qu'il fasse en sorte que la porteuse ne soit pas une "esclave" ; ainsi le Droit "éthique" va contraindre
les femmes à exprimer leur souci des couples infertiles en montrant leur générosité.
Le mot est lâché : les femmes, puisqu'elles ne sont plus des mères, se doivent de "donner". Comme
elle ne peut donner que ce qu'elle porte, la femme devra signer un contrat, qui protestera qu'elle ne
donne pas son enfant, puisqu'il n'est pas d'elle : elle fera un "don de gestation", le Droit ayant
simplement pour office de s'assurer que la GPA est "éthique", c'est-à-dire que la "porteuse" reçoive
de l'argent, mais pas trop, qu'elle fasse un "don magnifique", bref que la GPA soit un lien d'amour.
Ceux qui diraient le contraire seraient contre l'amour, ou bien seraient pour l'esclavage. Le résultat
du jeu de langage est : "GPA altruiste, éthique, et solidaire". Voilà comment les femmes sont
vendues et livrées sur le marché, avec leurs bébés.
La novlangue, appuyée sur l'éthique et le droit, permet ainsi d'installer le marché mondial des
femmes et des enfants, les pays capitalistes allant demander aux femmes pauvres "solidaires" et
"généreuses" qui y "consentent" contre une "petite compensation financière", de fabriquer l'enfant
sans mère, né du seul désir qu'ils ont d'être ses "parents", titulaires de l'intention, désir transformé en
"droit à la parentalité" par les agences qui construisent par les mots le marché de l'inhumain. Tout
cela est possible, car le mot "mère" a disparu. La mère n'existe plus, elle a été tuée par le langage.
A nous de mettre des mots sur cette chose : achat et vente de bébés par Internet, contrat de location
d'un utérus, et vente du bébé, organisée par les firmes mondiales qui masquent la réalité effrayante
dans laquelle nous sommes entrés : notre novlangue invente un monde qui vend et achète des
femmes et des bébés et ne reconnaît plus de mère pour son enfant.
« Face aux épidémies, les fantasmes se sont
modernisés »
Libération du 3 février 2016 par Eric Favereau
Selon l’immunologiste Norbert Gualde, les virus et les craintes qu’ils suscitent sont ancestraux
et ne risquent pas de s’éteindre. Zika n’en est que le dernier exemple.
Norbert Gualde est professeur d’immunologie à l’université Bordeaux-II et professeur invité à
l’université du Texas. Auteur de nombreux ouvrages sur les épidémies, leur histoire, leur
compréhension et l’immunité de l’humanité (dernier ouvrage paru, l’Epidémie et la démorésilience,
L’Harmattan, 2011), il revient pour Libération sur les leçons à tirer des peurs que suscite le virus
Zika.
Pourquoi les épidémies suscitent-elles souvent des peurs, des fantasmes, des craintes
irrationnelles ?
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Les épidémies, grandes ou petites, ébranlent les sociétés, grandes ou petites. Une épidémie est
perçue comme une menace de caractère mortel, ce qui, bien sûr, est souvent très exagéré. On craint
avant tout la contagion. Lors des épidémies, la population, qui sait généralement peu de chose sur la
vraie nature des événements, redoute beaucoup car les craintes collectives sont disproportionnées
devant la réalité du risque. Cela contribue par ailleurs au doute, au malaise, à l’hostilité contre les
institutions de santé et les solutions qu’elles préconisent. La fuite face à l’épidémie peut être mobile
: on quitte au plus vite le foyer épidémique, ou « immobile » : on s’enferme chez soi ou dans un lieu
choisi en s’éloignant des malades, donc de la contagion. L’épidémie, la contagion : ces deux
notions ont dû fortement et définitivement impressionner l’inconscient humain au point d’acquérir
une formidable puissance métaphorique. On a peur.
En outre lors des grandes peurs microbiennes, la religion a été, est et probablement demeurera une
donnée constamment instrumentalisée ou, à l’opposé, rejetée. Habituellement, la référence à la
punition divine s’accompagne d’une notion de culpabilité globale. On paye pour ses péchés.
L’épidémie est l’expression de la colère divine. Les épidémies réveillent nos peurs ancestrales, il y
aura toujours la peur des épidémies comme il y aura toujours des épidémies.
Le romancier britannique Ian McEwan a noté que la science a renforcé la pensée
apocalyptique au lieu de lui faire contrepoids. Les épidémies ont-elles toutes une part de
pensée complotiste ?
Nous pourrions donner à Ian McEwan la longue liste de ce que la science a « fourni » de bénéfique
pour soigner en général et, particulièrement, pour guérir et prévenir les épidémies. Certes, elle a
permis à l’homme de diffuser les agents pathogènes, mais songeons que si notre XXIème siècle a
débuté par la survenue d’une épidémie nouvelle (le Syndrome respiratoire aigu sévère, Sras), il n’a
fallu finalement que quelques mois pour trouver un vaccin. Même si nous n’y sommes pas encore
sur le paludisme et le sida. Je n’ai pas du tout une vision apocalyptique et eschatologique à propos
des épidémies. Songez que si notre Terre avait douze heures d’âge, les bactéries seraient apparues à
la deuxième heure et l’homme dans les dernières secondes. Nous habitons chez les microbes (dont
les virus, bien entendu). Chacun d’entre nous comporte dix fois plus de bactéries que de cellules
humaines. En dépit de leur taille microscopique, c’est le cas de le dire, les bactéries utiles
représentent 1,2 kilo de notre poids dont 1 kilo dans le tube digestif ! Parmi les micro-organismes
nous avons plus d’amis que d’ennemis.
Les fantasmes ont-ils changé dans nos sociétés où science et rationalité semblent primer ?
Dans le domaine des épidémies, les fantasmes se sont modernisés. Au Moyen-Age, on attribuait
l’épidémie à la colère divine. Beaucoup y croient encore.
Néanmoins, l’accès à Internet favorise la diffusion d’hypothèses insensées qui paraissent avoir
d’autant plus de succès qu’elles sont loufoques. On attribue les épidémies à des créatures
extraterrestres, aux effets secondaires d’essais d’armes biologiques, aux agissements criminels
d’une association ésotérique, etc. Il y a aussi les croyances en la sorcellerie, croyances qui ont eu un
énorme succès en Afrique lors de la dernière épidémie d’Ebola. En Guinée par exemple, une
délégation de prévention de la maladie a été attaquée à la machette par des paysans considérant les
délégués comme des sorciers maléfiques. Enfin, il faudrait aussi consacrer un travail aux denialists,
groupes fort bien organisés qui contestent notamment le rôle du VIH dans la survenue du sida.
La mondialisation est-elle un accélérateur d’épidémie ou de pandémie ?
Oui, dans la mesure où, par exemple, les débuts de la mondialisation se sont accompagnés, comme
l’a écrit Jacques Ruffié, d’un « génocide sans préméditation » des Amérindiens par la variole et
d’autres maladies virales délétères apportées par Cortés et ses compagnons. De nos jours, les
exemples sont nombreux de diffusion de maladies infectieuses par les moyens de transport rapides :
nous connaissons aujourd’hui des cas de Zika « d’importation ». Tout n’est pas négatif dans la
mondialisation. La mondialisation, c’est également la diffusion des moyens de prévention et de
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guérison, c’est également l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et toutes les associations non
gouvernementales qui contribuent à la lutte contre les maladies.
Le XXIème siècle, sur fond de changement climatique ou de modification des écosystèmes,
sera-t-il le siècle du retour d’anciennes épidémies ou de nouvelles pandémies ?
Depuis le dernier quart du XXème siècle, le monde a connu la survenue d’épidémies nouvelles
laissant souvent, au moins à leurs débuts, les médecins impuissants et les populations dans le
désarroi. En 1976, le virus Ebola apparaît et fait des ravages dans le territoire de la rivière éponyme.
La même année, des clients d’un hôtel de Philadelphie découvrent à leurs dépens les méfaits d’une
bactérie qu’on ne connaissait pas, la legionella. En 1997, la grippe aviaire frappe oiseaux et
humains à Hongkong, puis y revient en 2003. La contre-attaque du virus grippal H5N1 succédait de
peu à l’agression de la Chine par un coronavirus alors inconnu et responsable du Sras et pour cela
dénommé SARS-CoV. Le virus nouveau de notre XXIème siècle précédait à peine un autre virus
grippal dit H1N1, celui de la grippe porcine. N’omettons pas dans cette morbide succession le
dramatique virus de l’immunodéficience humaine, responsable du sida, qui, bien que présent chez
l’homme (au moins) dès 1959, ne se manifesta par la pandémie que nous connaissons qu’à partir
de 1981. Enfin, durant le siècle passé, nous avons connu comme autres agents pathogènes nouveaux
(ou presque) : la dengue, les fièvres hémorragiques de Corée, de Bolivie, d’Argentine, du
Venezuela, la maladie de Kyasanur, le chikungunya, la babésiose humaine, l’Oropouche,
l’encéphalite de La Crosse, la fièvre de Pontiac, la maladie de Lyme, la fièvre de la vallée du
Rift, etc.
Donc tout est envisageable ?
Tout est possible : retour d’anciennes épidémies parce que l’agent pathogène classique s’est
génétiquement modifié ou que les conditions écologiques favorisent son développement, apparition
de nouveautés dans le monde des micro-organismes, nouveautés qui ne le seront que pour nous car
nous savons si peu sur le monde des virus. On vient de découvrir en Sibérie des virus que certains
disent nouveaux mais qui, bien entendu, ne le sont guère. A titre d’exemple de modification
écologique potentiellement génératrice d’épidémie, nous savons que le réchauffement du pergélisol
pourra favoriser la libération de virus piégés dans la terre gelée. La libération d’un virus virulent
puis sa diffusion pourraient nous forcer à la confrontation à une épidémie, voire à une pandémie,
nouvelle.
Pourquoi l’OMS alterne-t-elle surestimation d’épidémies, comme la grippe A en 2009, et sousestimation d’autres épidémies, comme le sida ou Ebola ?
Trop souvent, les « experts » sont juge et partie et ils nous font régulièrement toucher du doigt les
limites de leur connaissance. Au moment de la survenue de la « vache folle » et de la nouvelle
variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, deux « experts » français n’avaient-ils pas publié
en 2005 un ouvrage annonçant que la grippe pourrait faire 500 000 morts en France ?
La démorésilience, l’immunité des populations, a toujours permis aux sociétés humaines de
résister aux épidémies… Comment l’expliquez-vous ?
Un microbe ne fait pas l’épidémie. Ce qui fait la catastrophe, c’est la diffusion du microbe dans la
population (epi-demos). Par ses conduites, l’homme est, dans l’immense majorité des cas,
responsable de la diffusion de l’agent délétère. A cette diffusion épidémique s’oppose la
démorésilience qui, chez l’homme, est le produit conjoint de la nature et de la culture. Plus il y a
d’individus résilients dans un groupe, meilleure sera la résistance de ce groupe à la diffusion du
microbe. La démorésilience représente une résistance antimicrobienne collective, émergence de la
résistance antimicrobienne de chacun de ses membres rassemblés dans la communauté. Un état de
démorésilience naturelle est issu de la cohabitation entre Homo sapiens et le microbe. La
démorésilience naturelle connaît souvent une correction culturelle. C’est le cas par exemple de la
vaccination, qui est l’application scientifique pertinente de la faculté naturelle à s’immuniser. En
67
somme, nous inventons beaucoup pour nous protéger des microbes agressifs en utilisant notre
appareil immunitaire, au point de se demander si notre meilleur organe de l’immunité n’est pas
notre cerveau.
Non à l’ingérence des lobbys
concertation publique sur le vaccin
dans
la
Le Monde du 3 février 2016 par le collectif*
La confiance du public dans les vaccins et les médicaments s’érode. Pour la reconstruire, il
faut davantage associer les citoyens à la politique de santé
La ministre de la santé, Marisol Touraine, a présenté mi-janvier son plan d’action de rénovation de
la politique des vaccins en France à la suite de la remise du rapport de l’ancienne députée Sandrine
Hurel, et a promis le lancement d’une grande concertation publique au sujet de la vaccination en
France que nous réclamions depuis des années. Toutefois, aucune garantie n’est posée pour assurer
une parfaite transparence et la neutralité du débat public qui doit s’ouvrir. Accoler un jury de
professionnels de santé et un jury d’experts scientifiques est une méthode bien éloignée de la
conférence citoyenne mise en place dans un grand nombre de pays sur les sujets majeurs de société.
Le risque est grand de voir le jury citoyen servir d’alibi aux décisions prises sous l’influence de
l’industrie pharmaceutique via les jurys d’« experts ».
Dans le même temps, pour des raisons de transparence évidentes, nous nous opposons à la directive
« secret » des affaires que s’apprête à voter le Parlement européen. De manière plus globale, si l’on
veut vraiment restaurer la confiance des Français vis-à-vis de l’ensemble des produits de santé, il
convient de ne pas limiter le débat public à la seule question vaccinale. La politique de santé
publique pose en effet une exigence de maîtrise démocratique en associant les citoyens aux
décisions et au contrôle. Les fondements de notre République sont sapés par la généralisation de la
corruption, la banalisation des conflits d’intérêts, le lobbying institutionnel des multinationales et la
faiblesse des moyens de contrôle démocratique dans l’exécution des politiques publiques. Ces
dernières années, les scandales sanitaires ont fleuri, des 94 millions de doses de vaccins commandés
pour rien contre la grippe H1N1 à l’affaire du Mediator (plus de 1 300 morts).
Une industrie pharmaceutique avide de profit
A cela s’ajoutent les scandaleux profits des « majors » pharmaceutiques. Le secteur pharmaceutique
est même de très loin la première industrie mondiale en termes de bénéfices (120 milliards d’euros
en 2014) exprimés en pourcentage du chiffre d’affaires, avec une moyenne de 20 %. Ce domaine
possède un atout considérable par rapport aux autres secteurs marchands : celui d’agir sur notre
santé par des traitements efficaces mais de plus en plus onéreux et aussi de jouer sur les peurs pour
vendre coûte que coûte. Face aux dérives financières de l’industrie pharmaceutique et au
détournement massif de l’argent public dans les poches des actionnaires de la « big pharma », il est
indispensable de revoir les pouvoirs tant au niveau de notre système de santé que de celui de la
Sécurité sociale ou du lobby pharmaceutique.
La cause principale de cette dérive tient à l’avidité dévorante des actionnaires associée à une
volonté de rentabiliser le moindre traitement. Cela tient également à une panne d’innovation réelle,
en lien, entre autres, avec les restructurations massives de leur secteur de recherche ces quinze
dernières années et la focalisation sur les maladies les plus rentables. Dans un rapport paru en 2012,
68
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que, sur les 700 nouveaux médicaments mis en
vente par les grands groupes pharmaceutiques sur la décennie 2001-2011, seuls 4 % présentaient un
intérêt essentiel. De même, en ce qui concerne les vaccins, le chiffre d’affaires mondial est passé de
6 milliards d’euros en 2006 à 20 milliards en 2012, et 42 milliards sont attendus cette année.
La triste singularité française
Les causes de cette inflation du coût du médicament sont connues : opacité des instances de fixation
du prix ; surprescription médicamenteuse ; foisonnement de conflits d’intérêts entre l’industrie
pharmaceutique, les médecins, les politiques et les hauts fonctionnaires. En luttant contre cette
surconsommation et cette surfacturation par une meilleure prescription, l’Assurance-maladie
pourrait réaliser au moins 10 milliards d’euros d’économies, c’est-à-dire annuler son déficit
chronique, et ce, sans dommage pour la santé publique. En Italie, on constate en effet que le coût
des médicaments en ville et à l’hôpital s’élève pour 2013 à 18 milliards d’euros, contre 34 milliards
pour la France, soit 70 % de plus à population égale pour les mêmes résultats sanitaires (avec une
espérance de vie de sept mois supérieure en Italie). Les prix hors taxes des génériques sont
supérieurs en France de 30 % en moyenne à ceux pratiqués en Italie. La perte de confiance envers
les produits de santé (médicament et vaccins) marque la fin d’une époque : celle de la sacralisation
de la parole des « sachants ». L’époque où les Français déléguaient aveuglément leur santé à leur
médecin est bel et bien révolue. La relation entre le médecin et son patient est à présent plus
égalitaire, ce dernier ayant accès plus facilement à l’information scientifique. L’échange que cela
permet est la garantie d’un choix éclairé auquel on est peu habitué dans le domaine de la santé. Pour
répondre à cet état d’urgence sanitaire et afin de garantir la pérennisation de notre système de
solidarité et d’égalité d’accès aux soins, les solutions existent.
Un changement des pratiques
Il faut renforcer l’encadrement du médicament par la mise en place d’un corps d’experts
indépendants, la prohibition des conflits d’intérêts, la réorientation de la recherche vers les besoins
thérapeutiques et non le profit exclusif, la purge du marché et le déremboursement des médicaments
inutiles en améliorant aussi la pharmacovigilance. Il faut aussi modifier les usages des prescripteurs
et des patients en garantissant une formation indépendante aux médecins, en transformant le
pharmacien en conseil thérapeutique et le patient en consommateur éclairé et en reconnaissant les
actions collectives et le statut de lanceur d’alerte. Il convient enfin de refuser les brevets abusifs, de
créer une justice sanitaire digne de ce nom et de reconnaître les victimes d’accidents liés à des
produits de santé (20 000 morts par an en France).
Lobbying pharmaceutique
Au XXème siècle, les médicaments et les vaccins ont permis, avec l’amélioration des conditions de
vie et d’hygiène, de fortement diminuer la mortalité infantile et d’éradiquer certaines maladies
infectieuses. L’adhésion populaire a été immédiate, car le produit de santé était reconnu comme un
bien commun. Malheureusement la pression financière, notamment du lobbying pharmaceutique,
génère de nombreuses dérives qui alimentent la méfiance de nos concitoyens : mise sur le marché de
« médicaments » dangereux, adjuvants générant des effets secondaires, ruptures de stocks
permettant d’agir sur les prix, imposition des polyvaccinations, conditions de travail dégradées
portant atteintes à la qualité. Pourtant, les besoins en recherche sont grands, notamment pour de
nouveaux traitements et vaccins adaptés aux besoins des populations tant des pays du Sud que des
pays développés. Il ne faut pas craindre le débat sur la politique des produits de santé, mais au
contraire faire confiance à l’intelligence collective et à l’expertise citoyenne affranchie de
l’influence des lobbys, loin des oukases de l’ancien temps. Voilà l’urgence, c’est à cette condition
que la confiance reviendra dans la population française.
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Les signataires: Marie-Odile Bertella-Geffroy, ex-magistrate, responsable du pôle santé du
tribunal de grande instance de Paris, avocate spécialisée dans les questions sanitaires ;
Thierry Bodin, représentant syndical, CGT Sanofi ; Dominique Bourg, philosophe ; Philippe
Even, ancien doyen de la faculté de médecine de Paris et président de l’Institut Necker ;
Estelle Kleffert, représentante de Génération Cobayes ; Didier Lambert, président de
l’association E3M ; Michèle Rivasi, députée européenne EELV ; Séverine Tessier, exprésidente de l’association Anticor ; Patrick Viveret, philosophe et essayiste.
GPA : s'y opposer n'est ni de droite, ni de
gauche
Le Figaro du 2 janvier 2016 par Aude Mirkovic*
Les opposants à la GPA, de droite et de gauche, se retrouvaient aujourd'hui à l'Assemblée
Nationale. Pour Aude Mirkovic, cette réunion démontre que l'opposition à la GPA transcende
les clivages politiques traditionnels.
La tenue aujourd'hui à l'Assemblée Nationale des Assises pour l'abolition universelle de la
maternité de substitution (GPA) est un des évènements récents qui manifestent combien les lignes
et les fractures entres gauche ou droite, savamment entretenues pour donner l'illusion de l'existence
d'un débat d'idées en France, sont en train de se fissurer et même de voler en éclat.
La manifestation d'aujourd'hui intervient à l'initiative de diverses associations féministes, dont
l'objectif est de dire pourquoi cette pratique est intolérable et étudier les possibilités d'action en vue
d'une abolition. C'est exactement et presque mot pour mot le but du mouvement lancé autour de la
pétition « No Maternity Traffic », adressée par l'Union Internationale pour l'abolition de la gestation
pour autrui au Conseil de l'Europe pour qu'il s'engage en ce sens. Cette union regroupe des
associations nationales et européennes dont les plus connues en France sont Alliance VITA, La
Manif Pour Tous ou encore l'Agence Européenne des Adoptés. Mais les termes de cette pétition
auraient fort bien convenu aux signataires d'une initiative comparable, lancée à l'échelle
internationale par des personnalités dites en majorité de gauche et visant à l'arrêt immédiat de la
GPA, Stop surrogacy now !
De droite, de gauche, du centre et de partout s'élèvent ainsi des personnes qui poursuivent un but
commun : protéger la dignité humaine en dénonçant une nouvelle forme de traite des êtres humains
cyniquement enrobée de bons sentiments, la gestation pour autrui, qui n'est rien d'autre que la
location des utérus et l'achat des enfants. Au-delà des clivages politiques dans lesquels certains
feignent de trouver un contenu à leur absence de convictions, c'est une vision de l'être humain qui
est en jeu. La question posée est claire : y a-t-il une limite à la réalisation des désirs des plus forts,
des plus riches ? L'être humain, et plus précisément les femmes et les enfants, peuvent-ils être
utilisés comme moyens pour satisfaire ces désirs ?
Les opposants à la GPA s'engagent parce que les êtres humains ne sont pas des objets, ni à donner,
ni à louer, ni à vendre, et chacune des associations impliquées pourrait faire sien ce slogan glané sur
le site de l'une d'entre elles. Sur bien des sujets, cruciaux pourtant, la confrontation des idées laisse
hélas encore souvent la place à des anathèmes lancés par les uns et des amalgames volontairement
entretenus par d'autres. En particulier, la promotion de la famille fondée sur la réalité et non sur les
seuls désirs est souvent disqualifiée d'entrée. Mais, dans ce marasme intellectuel, le développement
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de la GPA, déplorable en soi, apparaît comme l'occasion d'une rencontre inattendue, voire
inespérée, entre des personnes de tous bords soucieuses de promouvoir le respect de la dignité de
l'être humain, de tous les êtres humains : des féministes de toujours qui constatent que la promotion
à outrance de droits individualistes mène jusqu'à l'asservissement de femmes pour fabriquer des
enfants pour les autres, les promoteurs de la famille décomplexés après s'être comptés par millions
lors des grandes manifestations de 2013, en passant par des écolos qui réalisent qu'il est incohérent
de rejeter les OGM de son assiette si c'est pour trafiquer des bébés dans des éprouvettes.
Les cartes sont désormais redistribuées de façon assez intéressante et les clivages soigneusement
entretenus entre progressistes et conservateurs volent en éclat sur ce sujet de la GPA. Ces rencontres
surprenantes apportent la preuve réconfortante que la réalité, un jour où l'autre, transcende les partis
et les tendances et qu'il est possible de parvenir à une même conclusion frappée du coin du bon sens
par des chemins pourtant fort différents. Il est certes dommage qu'il ait fallu une menace aussi grave
que le business des grossesses et des bébés pour promouvoir le souci du bien commun au-delà des
clivages traditionnels et des partis. Il apparaît en tout cas qu'il est possible de refaire l'unité autour
d'une vraie préoccupation pour l'être humain, certes ponctuelle, et cantonnée pour l'instant à la
question de la GPA. Il ne reste plus qu'à dresser des ponts pour que l'effet GPA fasse tache d'huile,
et que les bonnes volontés issues d'horizons divers osent enfin peser, ensemble, sur le débat public
en dépassant les logiques électoralistes, pour la promotion par tous de la dignité humaine.
*Maître de conférences en droit privé et porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance.
Nouvelle loi sur la fin de vie : que faut-il
retenir ?
Village de la Justice du 5 février 2016 par Clarisse Andry
Onze ans après la loi Leonetti, une nouvelle loi sur la fin de vie a été promulguée le 2 février
2016. Son élaboration, entamée dès 2012, a été longue et la question de la fin de vie reste
sensible. Le fantôme de l’euthanasie, toujours interdite à l’heure actuelle, plane toujours
lorsque le sujet est ramené sur le devant de scène parlementaire ou médiatique.
Cette nouvelle loi vient notamment renforcer les droits du patient en fin de vie, en donnant
par exemple un caractère incontournable aux directives anticipées, et instaure la « sédation
profonde et continue », dans des conditions très strictes.
Quelles seront les conséquences de cette nouvelle loi ? La pratique nous le dira, mais nous
avons demandé à deux auteurs du Village de la Justice, Valérie Desplanques, avocat, et Estelle
Minatchy, juriste, de nous apporter les premières réponses.
La grande nouveauté de cette nouvelle loi est la mise en place de la « sédation profonde et
continue », sous certaines conditions. Que pensez-vous de ces conditions, vous semblent-elles
suffisantes, sans ambiguïté ?
Valérie Desplanques : Le texte a pour philosophie : « dormir pour ne pas souffrir avant de
mourir » et le propos n’était pas pour les rédacteurs de la loi que soit ouvert un droit à la mort, à
l’euthanasie ou à un suicide assisté. Il n’était absolument pas question de pouvoir proposer une
sédation à but terminal mais d’associer à un arrêt des traitements de maintien de vie, dans les cas
visés par la loi, une sédation profonde et continue afin d’éviter toute souffrance. Sur le terrain,
l’appréciation que devra faire l’équipe médicale pour savoir si tel cas correspond bien à un de ceux
visés par la loi reste bien évidement une décision humaine et comme telle sujette à discussion. Mais
la collégialité, qui « permet à l’équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions
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d’application prévues aux alinéas précédents sont remplies »*, est un gage de sécurité. En outre, si
la nature bioéthique et l’importance sociétale de ces questions nécessitent un cadre juridique strict,
il est important que l’appréciation des conditions d’application soit laissée au corps médical afin de
permettre une certaine souplesse nécessaire à la matière.
Estelle Minatchy : Selon les termes de la loi, le patient atteint d’une affection grave et incurable se
voit reconnaître un droit à la sédation profonde lorsqu’il souhaite éviter toute souffrance. Cette
possibilité lui est offerte dans deux cas : lorsqu’il présente une souffrance réfractaire aux traitements
qui lui ont été administrés et lorsque sa décision d’arrêter ces traitements ferait naître une
souffrance insupportable. La notion de sédation profonde, d’après les rapports de la Commission
Sicard et celui du Comité consultatif national d’éthique, serait la recherche, par des moyens
médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. Le
but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation où la souffrance et la
douleur ne peuvent être soulagées. Cependant, cette sédation profonde et continue reste très
ambiguë et soulève la question de la conduite à tenir : sédation profonde ou continue jusqu’à la
mort ? Quand passe-t-on de la sédation profonde au décès ? Aucune indication n’est donnée par le
législateur sur la frontière entre l’état de perte de consciente et le moment ou le patient décède.
A votre avis, le droit du patient en fin de vie est-il renforcé par ces nouvelles dispositions ?
V.D. : Oui, en tout cas, c’est le but. L’article 3 tend à créer un droit nouveau à la sédation profonde
et continue jusqu’au décès pour une personne malade dont le pronostic vital est engagé. L’article 4
de la loi** tend à renforcer le droit du malade à recevoir des soins destinés à soulager sa souffrance.
Ces droits sont certes encadrés par des conditions de mise en œuvre bien précises mais ils
constituent indéniablement une avancée. C’est au malade de décider ; certes sous contrôle.
Les rapporteurs de cette loi ont eu pour objectif premier de renforcer le droit du patient en fin de vie
mais, on l’a déjà dit, il s’agit d’une loi consensuelle et il ne s’agissait pas de franchir la frontière
pour certains, inconcevable de la dépénalisation de l’assistance au suicide. Il faut par ailleurs
considérer que les textes en ce domaine très sensible ne peuvent tout prévoir et qu’en tout état de
cause, même à supposer un texte parfait, seule l’application qui en sera faite est importante pour le
malade. Dans l’exercice de notre profession d’avocat, obtenir une décision de justice favorable pour
notre client est notre but mais nous savons bien que cela est de peu d’intérêt si la décision ne peut
recevoir exécution. C’est la même chose pour une loi. Attendons de voir si les droits renforcés des
patients en fin de vie pourront s’appliquer sur le terrain, ensuite des décrets d’application et ensuite
de la mise en œuvre du plan triennal pour le développement des soins palliatifs annoncé par le
gouvernement qui prévoit notamment que seront déployées dès 2016 sur l’ensemble du territoire,
trente nouvelles équipes mobiles de soins palliatifs.
E.M. : Il faut envisager cette question du point de vue de la personne dont la perspective de devoir
vivre jusqu’au terme ultime de sa vie dans un environnement médicalisé est insupportable. Les
droits du patient en fin de vie sont en effet renforcés : il dispose désormais d’un droit de mettre fin à
sa vie, mais sous certaines conditions. La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît à
l’individu le droit de décider de quelles manières sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en
mesure de forger librement sa volonté. La nouvelle loi, créant de nouveaux droits en faveur des
malades et des personnes en fin de vie, vient introduire dans le droit français le droit pour le patient
de terminer sa vie dans la dignité. Par ailleurs, la loi donne également une force contraignante aux
directives anticipées, destinées à faire connaître les souhaits du patient en fin de vie. Aujourd’hui,
toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le jour où elle serait hors d’état
d’exprimer sa volonté, directives révocables à tout moment***.
La loi traite uniquement de la fin de vie, mais sera-t-elle applicable aux cas similaires à
Vincent Lambert, ou faudra-t-il attendre une nouvelle législation ?
V.D. : Cette question a été précisément posée lors des débats parlementaires. Pour tenir compte des
cas d’individus atteints d’une pathologie qui n’engage pas leur pronostic vital à court terme
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(condition imposée par la loi), un amendement a été proposé pour que la mise en place d’une
sédation soit conditionnée à la « constatation d’une impasse thérapeutique ». Jean Leonetti,
rapporteur, a émis un avis défavorable : « On a le droit depuis la loi de 2002, d’interrompre des
traitements de survie à la demande du patient ou bien lorsque l’on considère qu’il s’agit d’une
obstination déraisonnable dans une procédure collégiale, c’est-à-dire quand les traitements sont
inutiles, disproportionnés ou quand ils n’ont d’autre but que le maintien artificiel de la vie. C’est
sur ce fondement que le Conseil d’Etat a jugé légale la décision médicale de mettre fin aux
traitements de Vincent Lambert. Une souffrance réfractaire au traitement est en soi une impasse
thérapeutique ». Ainsi pour les rédacteurs de la loi, les cas similaires à celui de Vincent Lambert
sont bien régis par la loi.
E.M. : La nouvelle loi s’applique à des hypothèses bien déterminées de fin de vie ou d’obstination
déraisonnable, sans pour autant préciser nettement cette dernière notion. A cet égard, le Conseil
d’Etat dans sa décision du 14 juin 2014 a relevé qu’aux termes de la loi, le traitement n’ayant
« d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » peut caractériser une obstination
déraisonnable. Il rappelle que l’alimentation et l’hydratation artificielles dont fait l’objet Vincent
Lambert constituent des traitements au sens de la loi du 22 avril 2005. Ce qui est intéressant dans
cette nouvelle loi c’est qu’elle vient renforcer la précédente loi Leonetti qui prohibait déjà
l’obstination déraisonnable pour les patients en fin de vie. Si Vincent Lambert est concerné par la
loi, il ne l’est que sur le terrain de l’obstination déraisonnable. A priori, la sédation profonde ne peut
lui être reconnue, car elle est réservée aux patients en fin de vie, dont le pronostic vital est engagé à
court terme, et ne concerne pas les personnes dans la fleur de l’âge dont l’existence se trouve
accidentellement brisée. La fin de vie au sens de la loi Claeys/ Leonetti demeure donc toujours liée
à l’âge ou à la maladie. La nouvelle loi fait montre de l’intention du législateur de garantir la lutte
contre l’obstination déraisonnable. Cependant, elle ne comble pas tous les vides juridiques.
Certaines questions restent en suspens : dans les faits, comment considérer et caractériser un
traitement d’obstination déraisonnable ?
*Futur article L1110-5-2 du CSP.
**Article L1110-5-3 du Code de la santé publique.
***Article L. 1111-11 du Code de la santé publique.
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