M2 Physique, concepts et applications
École Normale Supérieure de Lyon Stage de M2
Université Claude Bernard Lyon I Elouard Cyril
2012-2013
Étude thermodynamique d’un système
hybride opto-mécanique
Le principe de Landauer (1961) fixe la quantité minimale d’énergie nécessaire pour initia-
liser un unique bit d’information dans un état donné. Cette limite a une grande importance
théorique car elle témoigne que l’information peut être réversiblement convertie en éner-
gie. Grâce aux récents progrès en nanotechnologies, cette limite a récemment été démontrée
expérimentalement avec une bille de colloïde dans un double puits de potentiel. Cependant,
ce système modélise un bit classique et ne permet qu’un accès indirect au travail et à la
chaleur échangés. Trouver un dispositif permettant d’observer directement les conversions
information-énergie dans un qubit unique est un des objectifs de la thermodynamique de
l’information quantique. Cette discipline en émergence vise à étendre les lois de la ther-
modynamique au monde quantique, afin de proposer de nouvelles manières d’exploiter les
propriétés non-classiques telles que l’intrication. Durant mon stage, j’ai étudié de manière
théorique un dispositif appelé système hybride optomécanique et j’ai montré qu’il permet de
réaliser des opérations sur un qubit unique, tout en autorisant un suivi inédit des échanges
de travail et de chaleur.
Mots clefs :thermodynamique quantique, système hybride optomécanique, optique
quantique, principe de Landauer.
Stage dirigé par : Alexia Auffèves
tél. 04 56 38 70 11
Institut Néel,
25 rue des Martyrs BP 166
38042 Grenoble cedex 9
http://neel.cnrs.fr
Table des matières
I Introduction : l’initialisation de Landauer 3
II Présentation du système d’étude 5
II.1 Modélisation ...................................... 6
II.2 Approche semi-classique et équations de Bloch ................... 8
II.3 Régime adiabatique .................................. 8
III Initialisation de Landauer avec un système hybride optomécanique 10
III.1 Interprétation thermodynamique des couplages laser - atome - oscillateur . . . . 10
III.2 Initialisation de Landauer dans le système hybride ................. 11
III.3 Faisabilité expérimentale de l’initialisation ..................... 12
IV Conversions information - énergie au cours de la dynamique du système 13
IV.1 Solution des équations de Bloch : interprétation thermodynamique ........ 14
IV.2 Utilisation en moteur optique ............................ 16
IV.3 Convertisseur photon - phonon ............................ 18
V Conclusion 19
1
Remerciements
Je remercie chaleureusement ma directrice de stage Alexia Auffèves pour m’avoir proposé ce
sujet de stage passionnant et avoir toujours été disponible durant ce stage pour m’aider à m’y
plonger, ainsi que Maxime Richard pour avoir partagé avec moi son expérience des dispositifs
expérimentaux de systèmes hybrides optomécaniques. Je remercie également G. Hornecker, P.-
L. De Assis, Q. Mermillod et le reste de l’équipe NPSC pour m’avoir intégré et avoir rendu ce
stage si agréable à vivre.
2
I Introduction : l’initialisation de Landauer
La thermodynamique de l’information quantique est un domaine en émergence, à l’interface
entre plusieurs champs de la physique : d’une part, la thermodynamique, développée au 19ème
siècle pour des systèmes macroscopiques, d’autre part, la mécanique quantique, dont l’élabo-
ration a commencé au début du 20ème siècle, enfin, la théorie de l’information de Shannon,
développée autour des années 1950 [7,8]. Le lien entre la théorie de l’information et la ther-
modynamique vient en particulier de la notion d’entropie, qui est commune aux deux théories.
La connexion entre théorie de l’information et mécanique quantique a donné naissance dans les
années 1990 au domaine de l’information quantique, qui a eu des résultats spectaculaires en
cryptographie [9] et en informatique [10]. Depuis les années 2000, un nouveau questionnement
sur les liens entre information et énergie dans les systèmes quantiques relie ces trois disciplines.
Les progrès récents en nanotechnologies fournissent les moyens expérimentaux pour réaliser ce
type d’études en permettant la constructions de machines thermiques à l’échelle du quantum
unique [12,11]. Par ailleurs, des premières études théoriques de thermodynamique quantique
ont relevé de nouvelles manières d’exploiter les propriétés originales du monde quantique telle
que l’intrication [17].
Le lien entre thermodynamique et information à l’échelle nanoscopique a été reconnu en 1961
par Landauer [1]. Le physicien américain a démontré qu’une opération logiquement irréversible
impliquant un unique bit d’information entraîne nécessairement une dissipation de chaleur.
C’est ce que l’on appelle le principe de Landauer. Le physicien s’est notamment intéressé à
l’opération fondamentale permettant d’initialiser le bit dans l’un de ses deux états quel que soit
son état initial pour effacer l’information qu’il contient. Landauer a déduit le coût minimum en
travail d’une telle opération qui vaut wL=kBTln 2, où kBest la constante de Boltzmann et T
la température d’un thermostat avec lequel le bit est en équilibre thermodynamique.
Cette limite fondamentale peut être retrouvée par l’expérience de pensée illustrée par la
figure 1. On considère un système à deux niveaux (que nous appellerons atome dans toute la
suite de ce rapport) en équilibre avec un thermostat de température T. A cet atome peut être
associé un bit d’information dont les deux valeurs possibles 0et 1correspondent aux deux états
notés respectivement | ↓i et | ↑i. On prend comme référence des énergies l’énergie du niveau
| ↓i, et on appelle El’énergie du niveau | ↑i. La population Pde l’état | ↑i, c’est-à-dire la
probabilité que le qubit soit dans cet état, suit la distribution de Fermi-Dirac :
P(E) = eE/kBT
Z=1
1 + eE/kBT(1)
Z(E) = 1 + eE/kBTest la fonction de partition canonique de l’atome. En particulier, si
les deux niveaux de l’atome sont dégénérés en énergie (E= 0), on a :
P=P=1
2
où l’on a utilisé le fait que P= 1 P.
Lors de l’initialisation de Landauer présentée en fig.1, un opérateur extérieur monte de
manière quasi-statique l’énergie Ede l’état | ↑i depuis 0(P= 1/2, voir fig.1a) à une valeur
grande devant kBTtelle que P= 0 (fig.1b). L’hypothèse de quasi-staticité permet de supposer
que l’atome reste toujours en équilibre avec le thermostat au cours de l’opération, et donc la
population vaut toujours P(E(t)) obtenue à partir de la formule (1). A partir de la variation
de l’énergie interne U=P(E)Ede l’atome, on peut définir le travail Wfourni par l’opérateur
extérieur au système et la chaleur Qdissipée dans le thermostat au cours de l’opération :
3
E >> kBT
E
T
Batterie
wL
Thermostat
wL
0
|>
|>|>
|>
E
0
a) b)
Figure 1 – Processus d’initialisation d’un bit porté par un atome à deux niveaux en équilibre avec
un thermostat de température T : a) Etat initial, les deux niveaux ont la même énergie et sont
équiprobables. b) L’opérateur extérieur fait passer de manière quasi-statique l’énergie du niveau | ↑i
de 0(P= 1/2) à une valeur grande devant kBTtelle que P= 0. Ce processus nécessite que la
batterie fournisse un travail wL, qui est finalement dissipé dans le thermostat sous forme de chaleur.
U=Z(PdE +EdP) = ZPdE
| {z }
W
+ZEdP
| {z }
Q
(2)
Cette identification n’est pas générale, mais se justifie dans ce contexte où l’opérateur exté-
rieur travaille pour augmenter l’énergie d’un niveau de l’atome, et où l’énergie libérée dans le
thermostat lorsque l’atome passe de son niveau excité à son niveau fondamental est assimilable
à de la dissipation de chaleur. Dans le cas de l’initialisation de Landauer, U= 0 et donc
W=Q. Le travail nécessaire est obtenu en injectant l’expression de P(1) :
W=Z
0
eE/kBT
ZdE =wL=kBTln 2 (3)
On peut noter que la borne minimale wLest atteinte parce que l’opération est faite de
manière infiniment lente. Cette condition rend l’opération réversible 1, et permet de définir le
processus réciproque, qui consiste à diminuer l’énergie Edu niveau | ↑i depuis une valeur initiale
grande devant kBTjusqu’à 0, toujours de manière quasi-statique. Cette opération permet cette
fois-ci de prendre de la chaleur au thermostat, et l’opérateur extérieur extrait un travail égal
àwL. On appelle ce processus machine de Szilard, en hommage au physicien Léo Szilard qui
a remarqué que ce processus viole en apparence le second principe de la thermodynamique.
Szilard a proposé [4] un protocole permettant d’extraire cycliquement du travail depuis une
unique source de chaleur, ce qui est en contradiction avec l’énoncé de Kelvin - Planck du second
principe. Ce protocole se compose des opérations suivantes : (i) en partant d’une situation où
E= 0, lire l’état du bit, ce qui permet d’augmenter l’énergie du niveau dans lequel le bit n’est
pas sans avoir à fournir de travail, et ce jusqu’à une valeur grande devant kBT. (ii) Ensuite,
réaliser le processus réciproque à l’initialisation de Landauer permettant d’extraire le travail wL,
puis retour à (i). Ce paradoxe 2se résout grâce au principe de Landauer. En effet, la mémoire
qui sert à enregistrer l’état du bit doit être réinitialisée entre chaque lecture (opération (i)),
ce qui entraîne une dissipation dans un deuxième thermostat. Le processus global est donc en
accord avec le second principe de la thermodynamique.
1. Il s’agit ici de réversibilité au sens thermodynamique (il n’y a pas de dissipation due à la création d’entropie
d’irréversibilité). L’opération est toujours irréversible au sens logique puisque l’on oublie l’état initial du qubit.
2. Il s’agit en fait une reformulation du paradoxe énoncé par Maxwell soixante ans plus tôt [2], souvent
appelé démon de Maxwell
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