46 Krankenpflege 4/2008
Soins infirmiers
Psychiatrie
Projet de planification psychiatrique
Face à l’augmentation massive des patients atteints de mala-
dies psychiques, des alternatives à l’hospitalisation doivent être
envisagées. Un groupe de travail mandaté par la CDS a élabo-
ré un guide de la planification psychiatrique à l’intention des
cantons. Mais sur le terrain, de multiples projets fonctionnent
déjà, principalement initiés par des infirmières.
L’avenir est à l’ambulatoire
BRIGITTE LONGERICH
DEPUIS
DEPUIS
plusieurs années, on en-
tend les professionnels travaillant en
milieu psychiatrique dire: «les hôpi-
taux psychiatriques sont pris d’as-
saut», «les structures ne répondent
plus aux besoins», «une prise en char-
De plus en plus de personnes ne parviennent plus à gérer elles-mêmes leur quotidien. Photo. Ute Grabowsky/photothek.net
ge individualisée appropriée devient
impossible» etc. Pour faire face aux be-
soins d’une population atteinte dans sa
santé mentale toujours plus nombreu-
se, des mesures s’imposent, impliquant
aujourd’hui une réorientation claire de
l’accompagnement psychiatrique vers
des structures non-institutionnelles.
C’est dans ce contexte que la Confé-
rence des directrices et directeurs can-
tonaux de la santé (CDS) a mandaté le
groupe de travail «Planification hospi-
talière» de la commission «Application
LAMal» d’élaborer le projet du guide
«Planification de la psychiatrie», mis
en consultation en novembre dernier.
Ce guide poursuit trois objectifs princi-
paux:
soutenir les cantons dans la planifica-
tion d’une prise en charge conforme
à la LAMal
prendre en compte de manière plus
adéquate les soins ambulatoires dans
le cadre de la planification psychia-
trique
stimuler l’exécution de programmes
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Soins infirmiers
pilotes, qui constituent une condition
incontournable pour développer une
prise en charge psychiatrique confor-
me aux besoins du patient.
Des prestations
indispensables
Dans le cadre de l’élaboration de ce
guide, plusieurs journées de travail ont
déjà été organisées avec différents ac-
teurs et des professionnels du terrain.
Le 12 février dernier, une rencontre
avec le groupe de travail, organisée par
l’ASI, a eu lieu à Berne. L’objectif de
cette journée était de mettre en lumiè-
re différents projets pilotes mis en pla-
ce un peu partout en Suisse par des in-
firmières et infirmiers. Car beaucoup
de choses existent déjà, mais ne sont
pas suffisamment connues des déci-
deurs et du public. Face à une deman-
de croissante et à des situations de plus
en plus complexes, institutions, ser-
vices de soins à domicile et profession-
nels indépendants se sont mobilisés
pour diversifier leur offre et tenter de
répondre au plus près aux besoins de la
population.
Offrir des soins spécialisés
Mme Z., 54 ans, vit seule dans son ap-
partement. Le service d’aide et de soins
à domicile de sa région lui envoie 7 fois
par semaine une soignante qui l’aide
pour les soins corporels et pour mettre
ses bas de soutien. Mme Z. souffre d’os-
téoporose. A l’égard des collaboratrices
du service, elle a un comportement
hostile, exigeant, elle exprime un mé-
contentement permanent et manque
totalement de flexibilité en ce qui
concerne les horaires. Sa perception
d’elle-même et d’autrui est altérée, elle
se cantonne dans une attitude de victi-
me.
C’est là un des nombreux exemples
cités par les intervenants de cette jour-
née riche en témoignages à la fois tou-
chants et déroutants. La multiplication
de ces situations a poussé différents
services de soins à domicile à engager
des infirmières spécialisées en psychia-
trie, dans le but de soutenir des soi-
gnants débordés et d’offrir une prise en
charge plus appropriée. C’est le cas par
exemple du service de Köniz (BE), qui a
mis en place des soins communau-
taires psychiatriques (GEMP – gemein-
depsychiatrische Pflege). Depuis quel-
que temps, trois infirmières spéciali-
sées apportent leur soutien à une équi-
pe de 150 collaborateurs, en prenant
elles-mêmes en charge certaines situa-
tions trop lourdes, en conseillant les
soignants en cas de problèmes et en
créant un réseau efficace.
Décharger l’entourage
A Kriens (LU), une démarche similai-
re a été entreprise et cette commune
offre désormais des soins psychia-
triques aux patients qui en ont besoin.
«Un de nos objectifs principaux est
d’alléger la charge de l’entourage»,
commente Maria Britschgi, du Service
d’aide et de soins à domicile de Kriens.
«L’augmentation des problèmes psy-
chiatriques, notamment au sein de la
population âgée, place les familles de-
vant des situations souvent ingérables,
qui engendrent lassitude, stress et bur-
nout.»
Organiser de telles prises en charge
demande un investissement important
de la part des responsables. La lour-
deur de certaines situations nécessite
une présence quasi-permanente et
l’une des tâches principales consiste à
motiver constamment les soignants,
parfois découragés par les difficultés
rencontrées. Comment convaincre par
exemple une jeune infirmière de s’oc-
cuper régulièrement d’un homme âgé,
présentant des symptômes de démence
et récalcitrant aux soins, vivant de sur-
croît avec son berger allemand qui ne
laisse entrer personne sans l’accord de
son maître...
La continuité des soins
Si l’ambulatoire est généralement
l’affaire des services d’aide et de soins
à domicile et des CMS, certains établis-
sements psychiatriques se sont intéres-
sés à la question de l’interface entre
institution et accompagnement ambu-
latoire.
Ainsi, la Clinique de Münsterlingen
(TG) a mis sur pied en automne 2007
des soins psychiatriques gérontolo-
giques à domicile, avec pur but d’offrir
une «parenthèse» entre l’institutionnel
et l’ambulatoire. Il s’agit de prises en
charge intégrées à court terme, qui per-
Vignette clinique
Un quotidien
inexistant
Madame F. est âgée de 42 ans. Elle
vit seule dans un petit appartement.
Elle souffre de schizophrénie depuis
l’âge de 23 ans et est sujette à de
graves angoisses. Traumatisée par
une hospitalisation d’office, elle ne
sort plus de chez elle. Elle passe ses
journées assise sur son canapé, à
fumer cigarette sur cigarette et à in-
gurgiter vingt litres d’eau «pour faire
sortir de son corps les médicaments
qu’elle est obligée de prendre et dont
elle veut se purifier». Ses parents,
dans la septantaine, sont épuisés,
culpabilisés, et très inquiets de ce
qu’il adviendra de leur fille le jour où
ils ne seront plus là. Ne sachant plus
que faire, ils demandent à leur méde-
cin d’intervenir en mandatant une in-
firmière de s’occuper de leur fille. Le
but d’une telle intervention étant sim-
plement de rendre la patiente plus
autonome dans la gestion de son quo-
tidien.
L’infirmière indépendante spéciali-
sée en psychiatrie commence par une
évaluation de la situation puis procè-
de à la planification des soins: ici, il
s’agit surtout de favoriser l’autono-
mie et la responsabilité personnelle.
Au début, la patiente est totalement
récalcitrante. Mais l’infirmière ne
perd pas patience, estimant que
même si elle refuse les soins, elle a
droit à une aide professionnelle. Petit
à petit, la confiance s’installe, mais
il faut avancer à la petite cuillère,
chaque petit progrès – par exemple
descendre les bouteilles vides – étant
apprécié à sa juste valeur. Une fois
par semaine, l’infirmière fait un bilan
avec la patiente: lentement, un tout
petit mieux est visible.
De telles prises en charge peuvent
durer des mois, voire plus: l’aspect
économique, mais également le tra-
vail en réseau sont des facteurs à
prendre en compte, afin que ces ac-
compagnements lourds puissent
être garantis à une population mal-
heureusement toujours plus nom-
breuse.
Psychiatrie
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Soins infirmiers
mettent de faire le point et de prendre
des décisions pour la suite. «Il s’agit
surtout d’un travail de coordination»,
souligne Regula Lüthi, responsable de
ce projet, qui mentionne à ce sujet qu’il
n’existe actuellement ni instrument
d’évaluation des besoins adapté pour la
psychiatrie, ni système de tarification
utilisable. Un point que d’autres inter-
venants ont également soulevé.
En Suisse romande, c’est la Fonda-
tion de Nant (VD) qui a fait office de
précurseur en introduisant le modèle
de la continuité des soins. On s’est en
effet aperçu qu’il y a avait très souvent
rupture dans la prise en charge dès que
les patients quittaient la clinique. Alors
que pendant l’hospitalisation, des «ac-
crochages» avaient pu être réalisés
avec l’un ou l’autre des soignants, le
patient se retrouve subitement livré à
lui-même, baladé d’un service à un
autre, confronté à nouveau à un uni-
vers inconnu trop difficile à affronter. A
Nant, la continuité des soins fait désor-
mais partie intégrante du traitement.
Ce suivi peut prendre des formes di-
verses: parfois, il s’agit uniquement
d’assurer la prise de médicaments;
dans d’autres cas, la participation à des
séances de réseau s’impose et l’impli-
cation de l’infirmier «allié» peut
s’étendre sur plusieurs années. Michel
Miazza et Françoise Gonzalez ont mis
en avant les avantages de cette ap-
proche, qui facilite l’accessibilité aux
soins, permet d’offrir des soins adaptés
aux possibilités et limites des patients,
de lutter contre la dépersonnalisation
et l’anonymat, de prévenir rechute et
chronicisation. «L’infirmier fait office
de ‹mémoire psychiatrique du patient›
et garantit le fil rouge de la prise en
soins», souligne Michel Miazza,
convaincu de la nécessité absolue
d’une telle démarche.
Agir en complémentarité
Face à un phénomène qui devient un
problème de santé publique prioritaire
(l’augmentation des maladies psy-
chiques), toutes les initiatives visant à
venir en aide à une population fragili-
sée, incapable d’assumer son existen-
ce, et parfois même les aspects les plus
élémentaires de la vie quotidienne,
toutes les bonnes idées – et bonnes vo-
lontés! – sont les bienvenues.
C’est ce qu’ont bien compris les infir-
mières indépendantes, dont certaines
se sont également exprimées au cours
de la rencontre du 12 février dernier.
Leur avantage principal réside dans la
flexibilité, dans leur capacité à agir
comme «pompier» ou «bouche-trou»
dans le système, comme l’a fort bien
illustré Isabelle Leuthard, infirmière
en psychiatrie indépendante oeuvrant
dans le canton de Bâle-Campagne. «De
plus en plus de gens perdent les pé-
dales face à la lourdeur de la gestion du
quotidien. Mais tous veulent rester à
la maison, même lorsque le réel leur
échappe complètement». Son souci
principal est d’aider des personnes
démunies face à la vie (lire également
encadré p. 47) à faire de petits pas vers
un mieux-être et une certaine auto-
nomie, sur la base d’une relation de
confiance patiemment tissée. Un enga-
gement au quotidien, où ne comptent ni
les heures, ni les moments de découra-
gement face à des réalités qui frisent
parfois l’insupportable.
D’indispensables outils
Si l’engagement ou la passion pour ce
travail est une chose, il importe tout de
même de garder les pieds sur terre. A
Zurich, un groupe d’infirmières indé-
pendantes – qui se qualifient elles-
mêmes «d’entrepreneures indépen-
dantes»! – viennent de mettre sur pied
le projet PASS (Patienten-Assessment):
il s’agit d’un modèle de recueil de don-
nées élaboré sur la base de leur propre
expérience et qui fait réellement figure
de pionnier. L’objectif est en effet de
saisir la globalité des soins et de per-
mettre d’accéder à une transparence
complète vis-à-vis de tous les acteurs
concernés. Ce projet a rencontré un vif
succès auprès des participants, car
c’est justement le genre d’outil qui fait
défaut actuellement. Offrir des soins
psychiatriques adaptés demande une
documentation de qualité fondée sur
des données précises et fiables.
Déstigmatiser la psychiatrie
Si tous ces projets éveillent l’intérêt
et suscitent l’admiration, il n’en de-
meure pas moins que la psychiatrie a
toujours mauvaise presse au sein du
public. Dans le domaine de la promo-
Vignette clinique
Des proches
débordés
Madame M., 87 ans, vit avec son
compagnon âgé de 86 ans. Suite à une
chute, elle se casse le col du fémur.
Après l’opération, elle ne veut pas aller
en réhabilitation et refuse de s’alimen-
ter. Elle reste à l’hôpital où on lui pose
une sonde alimentaire et où elle bénéfi-
cie d’une médication adaptée. Quelques
semaines plus tard, elle est hospitalisée
en psychiatrie pour dépression grave et
troubles de la personnalité. Son état
s’améliore peu à peu, mais une nouvel-
le chute entraîne une péjoration de
l’état général: il faut tout recommencer
à zéro. Au bout de six mois, la caisse-
maladie refuse de continuer à payer
l’hôpital. Devant le refus de Madame M.
d’entrer dans un EMS, sa fille et le com-
pagnon de celle-ci décident de prendre
Madame M. chez eux. Le service de psy-
chiatrie ambulatoire assure les soins de
7 heures du matin jusqu’à 21 heures.
Pendant la nuit, ce sont les proches qui
s’en occupent.
La situation est extrêmement lourde
pour tous les intervenants: au bout de
quelque temps, l’entourage n’en peut
plus, la fille de Madame M. renonce et
les soignants du service ambulatoire
expriment leur découragement. La pa-
tiente est finalement transférée dans un
EMS.
Pendant toute la durée de la prise en
charge, le service ambulatoire de psy-
chiatrie a assuré la coordination entre
les différents intervenants et suivi la si-
tuation au plus près. Avec l’augmenta-
tion de la population âgée et très âgée,
de telles situations deviennent quoti-
diennes et nécessitent une réflexion de
fond ainsi que la mise en place de struc-
tures appropriées.
Photo: Bilderbox
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Psychiatrie
Soins à domicile
Interdisciplinarité
www.sbk-asi.ch
tion de la santé, il est possible d’agir en
amont, par exemple en organisant des
stands d’information ou des rencontres
ciblées. Catherine Reymond Wolfer, du
Service de psychiatrie communautaire
du CHUV, à Lausanne, a présenté quel-
ques’unes des actions initiées par son
service dans ce domaine. Parmi celles-
ci, un projet intéressant réalisé dans les
écoles, avec le but de lutter contre les
idées reçues et de déstigmatiser la psy-
chiatrie. «La stigmatisation est une ex-
périence profonde de discrédit et d’iso-
lement social associée à des sentiments
de culpabilité, de honte, d’infériorité, à
un désir de dissimulation», cite Cathe-
rine Reymond. Faire comprendre cela
aux jeunes peut contribuer à modifier
l’image que ceux-ci se font de la psy-
chiatrie et déboucher sur une prise de
conscience de ce qu’est la santé menta-
le, pour soi-même également.
Une responsabilité politique
Les bonnes idées ne font pas défaut,
on le voit. Mais les individus, commu-
nautés ou associations actives dans le
domaine de la psychiatrie ne sauraient
œuvrer longtemps sans le soutien des
autorités politiques. Car c’est toujours
au niveau du financement des projets
que le bât blesse. En Valais, une re-
structuration complète de la prise en
charge psychiatrique a été menée à
bien, fondée sur des réflexions engen-
drées par les restrictions budgétaires.
Un état des lieux a mis en évidence de
graves lacunes: ainsi, on s’est rendu
compte 47 % des personnes souffrant
de problèmes psychiques dans ce can-
ton n’avaient pas accès aux soins...
«Devant ce constat d’inefficience du
système, nous avons décidé de modifier
totalement les structures», relate Alain
Boson, qui a présenté les innovations
concernant le Valais romand. Ce der-
nier a opté pour un système intergéné-
rationnel, qui remplace désormais les
trois anciens secteurs (psychiatrie
adulte, psychiatrie de la personne âgée
et psychiatrie pour enfants et adoles-
cents) avec, notamment, la création
d’unités thérapeutiques de jour à Sion,
Martigny et Monthey et la mise sur pied
d’équipes mobiles.
Echanges indispensables
Le mot de la fin de cette rencontre en-
richissante pour toutes les parties ap-
partenait à Elsbeth Wandeler, secrétai-
re générale de l’ASI. Celle-ci a souligné
l’esprit d’initiative, l’engagement et la
conscience de tous les professionnels
qui se sont exprimés, prêts à affronter
en permanence des situations nou-
velles. «Mais», relève-t-elle, «des obs-
Comportements déroutants, marginalité, exclusion, solitude: en psychiatrie, il faut faire face à toutes sortes de situations. Photo: Bilderbox
tacles doivent encore être surmontés
avant que la psychiatrie ambulatoire
bénéficie vraiment de la reconnaissan-
ce qui lui est due». Le financement des
projets pose problème, tout comme la
cohésion entre les structures et la ques-
tion de la formation. Car seuls des pro-
fessionnels spécialisés et de haut ni-
veau seront en mesure de prendre en
main des ensembles de situations diffi-
ciles, nécessitant des compétences
pointues. Elsbeth Wandeler a égale-
ment salué la collaboration avec la CDS
ainsi que la présence lors de cette jour-
née d’un représentant de santésuisse.
Quant à Martin Gebert, expert manda-
té par la CDS pour l’élaboration du gui-
de de planification, il conclut en ces
termes: «Ce n’est que par l’échange, le
dialogue et la réflexion commune que
nous pourrons faire avancer les choses
et trouver la meilleure solution possible
pour les patients souffrant de maladies
psychiques».
Référence: Guide «Planification de la psychia-
trie». Peut être consulté sous www.gdk-cds.ch
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