Psychiatrie

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Psychiatrie
Projet de planification psychiatrique
L’avenir est à l’ambulatoire
Face à l’augmentation massive des patients atteints de maladies psychiques, des alternatives à l’hospitalisation doivent être
envisagées. Un groupe de travail mandaté par la CDS a élaboré un guide de la planification psychiatrique à l’intention des
cantons. Mais sur le terrain, de multiples projets fonctionnent
déjà, principalement initiés par des infirmières.
BRIGITTE LONGERICH
D E P U I S plusieurs années, on entend les professionnels travaillant en
milieu psychiatrique dire: «les hôpitaux psychiatriques sont pris d’assaut», «les structures ne répondent
plus aux besoins», «une prise en char-
ge individualisée appropriée devient
impossible» etc. Pour faire face aux besoins d’une population atteinte dans sa
santé mentale toujours plus nombreuse, des mesures s’imposent, impliquant
aujourd’hui une réorientation claire de
l’accompagnement psychiatrique vers
des structures non-institutionnelles.
De plus en plus de personnes ne parviennent plus à gérer elles-mêmes leur quotidien.
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C’est dans ce contexte que la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS) a mandaté le
groupe de travail «Planification hospitalière» de la commission «Application
LAMal» d’élaborer le projet du guide
«Planification de la psychiatrie», mis
en consultation en novembre dernier.
Ce guide poursuit trois objectifs principaux:
• soutenir les cantons dans la planification d’une prise en charge conforme
à la LAMal
• prendre en compte de manière plus
adéquate les soins ambulatoires dans
le cadre de la planification psychiatrique
• stimuler l’exécution de programmes
Photo. Ute Grabowsky/photothek.net
pilotes, qui constituent une condition
incontournable pour développer une
prise en charge psychiatrique conforme aux besoins du patient.
Des prestations
indispensables
Dans le cadre de l’élaboration de ce
guide, plusieurs journées de travail ont
déjà été organisées avec différents acteurs et des professionnels du terrain.
Le 12 février dernier, une rencontre
avec le groupe de travail, organisée par
l’ASI, a eu lieu à Berne. L’objectif de
cette journée était de mettre en lumière différents projets pilotes mis en place un peu partout en Suisse par des infirmières et infirmiers. Car beaucoup
de choses existent déjà, mais ne sont
pas suffisamment connues des décideurs et du public. Face à une demande croissante et à des situations de plus
en plus complexes, institutions, services de soins à domicile et professionnels indépendants se sont mobilisés
pour diversifier leur offre et tenter de
répondre au plus près aux besoins de la
population.
Offrir des soins spécialisés
Mme Z., 54 ans, vit seule dans son appartement. Le service d’aide et de soins
à domicile de sa région lui envoie 7 fois
par semaine une soignante qui l’aide
pour les soins corporels et pour mettre
ses bas de soutien. Mme Z. souffre d’ostéoporose. A l’égard des collaboratrices
du service, elle a un comportement
hostile, exigeant, elle exprime un mécontentement permanent et manque
totalement de flexibilité en ce qui
concerne les horaires. Sa perception
d’elle-même et d’autrui est altérée, elle
se cantonne dans une attitude de victime.
C’est là un des nombreux exemples
cités par les intervenants de cette journée riche en témoignages à la fois touchants et déroutants. La multiplication
de ces situations a poussé différents
services de soins à domicile à engager
des infirmières spécialisées en psychiatrie, dans le but de soutenir des soignants débordés et d’offrir une prise en
charge plus appropriée. C’est le cas par
exemple du service de Köniz (BE), qui a
mis en place des soins communau-
taires psychiatriques (GEMP – gemeindepsychiatrische Pflege). Depuis quelque temps, trois infirmières spécialisées apportent leur soutien à une équipe de 150 collaborateurs, en prenant
elles-mêmes en charge certaines situations trop lourdes, en conseillant les
soignants en cas de problèmes et en
créant un réseau efficace.
Décharger l’entourage
A Kriens (LU), une démarche similaire a été entreprise et cette commune
offre désormais des soins psychiatriques aux patients qui en ont besoin.
«Un de nos objectifs principaux est
d’alléger la charge de l’entourage»,
commente Maria Britschgi, du Service
d’aide et de soins à domicile de Kriens.
«L’augmentation des problèmes psychiatriques, notamment au sein de la
population âgée, place les familles devant des situations souvent ingérables,
qui engendrent lassitude, stress et burnout.»
Organiser de telles prises en charge
demande un investissement important
de la part des responsables. La lourdeur de certaines situations nécessite
une présence quasi-permanente et
l’une des tâches principales consiste à
motiver constamment les soignants,
parfois découragés par les difficultés
rencontrées. Comment convaincre par
exemple une jeune infirmière de s’occuper régulièrement d’un homme âgé,
présentant des symptômes de démence
et récalcitrant aux soins, vivant de surcroît avec son berger allemand qui ne
laisse entrer personne sans l’accord de
son maître...
La continuité des soins
Si l’ambulatoire est généralement
l’affaire des services d’aide et de soins
à domicile et des CMS, certains établissements psychiatriques se sont intéressés à la question de l’interface entre
institution et accompagnement ambulatoire.
Ainsi, la Clinique de Münsterlingen
(TG) a mis sur pied en automne 2007
des soins psychiatriques gérontologiques à domicile, avec pur but d’offrir
une «parenthèse» entre l’institutionnel
et l’ambulatoire. Il s’agit de prises en
charge intégrées à court terme, qui per-
Vignette clinique
Un quotidien
inexistant
Madame F. est âgée de 42 ans. Elle
vit seule dans un petit appartement.
Elle souffre de schizophrénie depuis
l’âge de 23 ans et est sujette à de
graves angoisses. Traumatisée par
une hospitalisation d’office, elle ne
sort plus de chez elle. Elle passe ses
journées assise sur son canapé, à
fumer cigarette sur cigarette et à ingurgiter vingt litres d’eau «pour faire
sortir de son corps les médicaments
qu’elle est obligée de prendre et dont
elle veut se purifier». Ses parents,
dans la septantaine, sont épuisés,
culpabilisés, et très inquiets de ce
qu’il adviendra de leur fille le jour où
ils ne seront plus là. Ne sachant plus
que faire, ils demandent à leur médecin d’intervenir en mandatant une infirmière de s’occuper de leur fille. Le
but d’une telle intervention étant simplement de rendre la patiente plus
autonome dans la gestion de son quotidien.
L’infirmière indépendante spécialisée en psychiatrie commence par une
évaluation de la situation puis procède à la planification des soins: ici, il
s’agit surtout de favoriser l’autonomie et la responsabilité personnelle.
Au début, la patiente est totalement
récalcitrante. Mais l’infirmière ne
perd pas patience, estimant que
même si elle refuse les soins, elle a
droit à une aide professionnelle. Petit
à petit, la confiance s’installe, mais
il faut avancer à la petite cuillère,
chaque petit progrès – par exemple
descendre les bouteilles vides – étant
apprécié à sa juste valeur. Une fois
par semaine, l’infirmière fait un bilan
avec la patiente: lentement, un tout
petit mieux est visible.
De telles prises en charge peuvent
durer des mois, voire plus: l’aspect
économique, mais également le travail en réseau sont des facteurs à
prendre en compte, afin que ces accompagnements lourds puissent
être garantis à une population malheureusement toujours plus nombreuse.
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Photo: Bilderbox
Vignette clinique
Des proches
débordés
Madame M., 87 ans, vit avec son
compagnon âgé de 86 ans. Suite à une
chute, elle se casse le col du fémur.
Après l’opération, elle ne veut pas aller
en réhabilitation et refuse de s’alimenter. Elle reste à l’hôpital où on lui pose
une sonde alimentaire et où elle bénéficie d’une médication adaptée. Quelques
semaines plus tard, elle est hospitalisée
en psychiatrie pour dépression grave et
troubles de la personnalité. Son état
s’améliore peu à peu, mais une nouvelle chute entraîne une péjoration de
l’état général: il faut tout recommencer
à zéro. Au bout de six mois, la caissemaladie refuse de continuer à payer
l’hôpital. Devant le refus de Madame M.
d’entrer dans un EMS, sa fille et le compagnon de celle-ci décident de prendre
Madame M. chez eux. Le service de psychiatrie ambulatoire assure les soins de
7 heures du matin jusqu’à 21 heures.
Pendant la nuit, ce sont les proches qui
s’en occupent.
La situation est extrêmement lourde
pour tous les intervenants: au bout de
quelque temps, l’entourage n’en peut
plus, la fille de Madame M. renonce et
les soignants du service ambulatoire
expriment leur découragement. La patiente est finalement transférée dans un
EMS.
Pendant toute la durée de la prise en
charge, le service ambulatoire de psychiatrie a assuré la coordination entre
les différents intervenants et suivi la situation au plus près. Avec l’augmentation de la population âgée et très âgée,
de telles situations deviennent quotidiennes et nécessitent une réflexion de
fond ainsi que la mise en place de structures appropriées.
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mettent de faire le point et de prendre
des décisions pour la suite. «Il s’agit
surtout d’un travail de coordination»,
souligne Regula Lüthi, responsable de
ce projet, qui mentionne à ce sujet qu’il
n’existe actuellement ni instrument
d’évaluation des besoins adapté pour la
psychiatrie, ni système de tarification
utilisable. Un point que d’autres intervenants ont également soulevé.
En Suisse romande, c’est la Fondation de Nant (VD) qui a fait office de
précurseur en introduisant le modèle
de la continuité des soins. On s’est en
effet aperçu qu’il y a avait très souvent
rupture dans la prise en charge dès que
les patients quittaient la clinique. Alors
que pendant l’hospitalisation, des «accrochages» avaient pu être réalisés
avec l’un ou l’autre des soignants, le
patient se retrouve subitement livré à
lui-même, baladé d’un service à un
autre, confronté à nouveau à un univers inconnu trop difficile à affronter. A
Nant, la continuité des soins fait désormais partie intégrante du traitement.
Ce suivi peut prendre des formes diverses: parfois, il s’agit uniquement
d’assurer la prise de médicaments;
dans d’autres cas, la participation à des
séances de réseau s’impose et l’implication de l’infirmier «allié» peut
s’étendre sur plusieurs années. Michel
Miazza et Françoise Gonzalez ont mis
en avant les avantages de cette approche, qui facilite l’accessibilité aux
soins, permet d’offrir des soins adaptés
aux possibilités et limites des patients,
de lutter contre la dépersonnalisation
et l’anonymat, de prévenir rechute et
chronicisation. «L’infirmier fait office
de ‹mémoire psychiatrique du patient›
et garantit le fil rouge de la prise en
soins», souligne Michel Miazza,
convaincu de la nécessité absolue
d’une telle démarche.
Agir en complémentarité
Face à un phénomène qui devient un
problème de santé publique prioritaire
(l’augmentation des maladies psychiques), toutes les initiatives visant à
venir en aide à une population fragilisée, incapable d’assumer son existence, et parfois même les aspects les plus
élémentaires de la vie quotidienne,
toutes les bonnes idées – et bonnes volontés! – sont les bienvenues.
C’est ce qu’ont bien compris les infirmières indépendantes, dont certaines
se sont également exprimées au cours
de la rencontre du 12 février dernier.
Leur avantage principal réside dans la
flexibilité, dans leur capacité à agir
comme «pompier» ou «bouche-trou»
dans le système, comme l’a fort bien
illustré Isabelle Leuthard, infirmière
en psychiatrie indépendante oeuvrant
dans le canton de Bâle-Campagne. «De
plus en plus de gens perdent les pédales face à la lourdeur de la gestion du
quotidien. Mais tous veulent rester à
la maison, même lorsque le réel leur
échappe complètement». Son souci
principal est d’aider des personnes
démunies face à la vie (lire également
encadré p. 47) à faire de petits pas vers
un mieux-être et une certaine autonomie, sur la base d’une relation de
confiance patiemment tissée. Un engagement au quotidien, où ne comptent ni
les heures, ni les moments de découragement face à des réalités qui frisent
parfois l’insupportable.
D’indispensables outils
Si l’engagement ou la passion pour ce
travail est une chose, il importe tout de
même de garder les pieds sur terre. A
Zurich, un groupe d’infirmières indépendantes – qui se qualifient ellesmêmes «d’entrepreneures indépendantes»! – viennent de mettre sur pied
le projet PASS (Patienten-Assessment):
il s’agit d’un modèle de recueil de données élaboré sur la base de leur propre
expérience et qui fait réellement figure
de pionnier. L’objectif est en effet de
saisir la globalité des soins et de permettre d’accéder à une transparence
complète vis-à-vis de tous les acteurs
concernés. Ce projet a rencontré un vif
succès auprès des participants, car
c’est justement le genre d’outil qui fait
défaut actuellement. Offrir des soins
psychiatriques adaptés demande une
documentation de qualité fondée sur
des données précises et fiables.
Déstigmatiser la psychiatrie
Si tous ces projets éveillent l’intérêt
et suscitent l’admiration, il n’en demeure pas moins que la psychiatrie a
toujours mauvaise presse au sein du
public. Dans le domaine de la promo-
Comportements déroutants, marginalité, exclusion, solitude: en psychiatrie, il faut faire face à toutes sortes de situations.
tion de la santé, il est possible d’agir en
amont, par exemple en organisant des
stands d’information ou des rencontres
ciblées. Catherine Reymond Wolfer, du
Service de psychiatrie communautaire
du CHUV, à Lausanne, a présenté quelques’unes des actions initiées par son
service dans ce domaine. Parmi cellesci, un projet intéressant réalisé dans les
écoles, avec le but de lutter contre les
idées reçues et de déstigmatiser la psychiatrie. «La stigmatisation est une expérience profonde de discrédit et d’isolement social associée à des sentiments
de culpabilité, de honte, d’infériorité, à
un désir de dissimulation», cite Catherine Reymond. Faire comprendre cela
aux jeunes peut contribuer à modifier
l’image que ceux-ci se font de la psychiatrie et déboucher sur une prise de
conscience de ce qu’est la santé mentale, pour soi-même également.
charge psychiatrique a été menée à
bien, fondée sur des réflexions engendrées par les restrictions budgétaires.
Un état des lieux a mis en évidence de
graves lacunes: ainsi, on s’est rendu
compte 47 % des personnes souffrant
de problèmes psychiques dans ce canton n’avaient pas accès aux soins...
«Devant ce constat d’inefficience du
système, nous avons décidé de modifier
totalement les structures», relate Alain
Boson, qui a présenté les innovations
concernant le Valais romand. Ce dernier a opté pour un système intergénérationnel, qui remplace désormais les
trois anciens secteurs (psychiatrie
adulte, psychiatrie de la personne âgée
et psychiatrie pour enfants et adolescents) avec, notamment, la création
d’unités thérapeutiques de jour à Sion,
Martigny et Monthey et la mise sur pied
d’équipes mobiles.
Une responsabilité politique
Echanges indispensables
Les bonnes idées ne font pas défaut,
on le voit. Mais les individus, communautés ou associations actives dans le
domaine de la psychiatrie ne sauraient
œuvrer longtemps sans le soutien des
autorités politiques. Car c’est toujours
au niveau du financement des projets
que le bât blesse. En Valais, une restructuration complète de la prise en
Le mot de la fin de cette rencontre enrichissante pour toutes les parties appartenait à Elsbeth Wandeler, secrétaire générale de l’ASI. Celle-ci a souligné
l’esprit d’initiative, l’engagement et la
conscience de tous les professionnels
qui se sont exprimés, prêts à affronter
en permanence des situations nouvelles. «Mais», relève-t-elle, «des obs-
Photo: Bilderbox
tacles doivent encore être surmontés
avant que la psychiatrie ambulatoire
bénéficie vraiment de la reconnaissance qui lui est due». Le financement des
projets pose problème, tout comme la
cohésion entre les structures et la question de la formation. Car seuls des professionnels spécialisés et de haut niveau seront en mesure de prendre en
main des ensembles de situations difficiles, nécessitant des compétences
pointues. Elsbeth Wandeler a également salué la collaboration avec la CDS
ainsi que la présence lors de cette journée d’un représentant de santésuisse.
Quant à Martin Gebert, expert mandaté par la CDS pour l’élaboration du guide de planification, il conclut en ces
termes: «Ce n’est que par l’échange, le
dialogue et la réflexion commune que
nous pourrons faire avancer les choses
et trouver la meilleure solution possible
pour les patients souffrant de maladies
psychiques».
■
Référence: Guide «Planification de la psychiatrie». Peut être consulté sous www.gdk-cds.ch
www.sbk-asi.ch
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