excessif, à l'instar des sceptiques, mais la vertu de ce procédé
hyperbolique est justement de contraindre le doute à se retourner contre
lui-même jusqu'à faire émerger, nous allons le voir, le cogito qu'il porte
en lui.
Cette vérité "si ferme et si assurée" que nous révèle la
pratique étonnante du doute se formule sous la forme d'une proposition
énigmatique : " je pense, donc je suis ". La conjonction de coordination
"donc" n'indique pas que cette vérité est le fruit d'une déduction logique;
il s'agit plutôt d'une intuition authentique, celle de mon existence s'offrant
à moi à travers ma pensée. Douter, c'est déjà penser. Nier que ce que l'on
pense puisse être vrai, c'est encore et toujours penser. Même suspectée, la
moindre pensée reconduit nécessairement à la pensée la plus évidente, la
plus infalsifiable : la pensée de mon existence. Descartes nous parle ici
d'une expérience effective et singulière, offerte à quiconque voudra bien
la tenter. Chacun peut s'y reconnaître dans l'acte de penser et de réfléchir
cet acte. Je sais donc que je suis, non pas grâce à la raison, mais dans
l'activité consistant à me penser moi-même comme être pensant.
(15) Conséquence de cette découverte : si le cogito est cette terra
cognita par quoi s'offre l'évidence d'une existence, il s'ensuit
nécessairement qu'une telle vérité peut être à bon droit considérée comme
" le premier principe de la philosophie que je cherchais " (16). Cette
phrase rappelle d'abord que Descartes a pour mission de trouver " un
premier principe " pour la philosophie. Par " principe ", il faut entendre ce
qui est premier - le commencement, la cause - à partir de quoi on peut
déduire toutes les autres connaissances. Descartes cherche à fonder tout
l'édifice du savoir et se met en quête d'une évidence première (un "
principe " comme il dit) à partir de laquelle pourrait se développer une
conception de l'homme et du monde. Ce " premier principe " doit donc
fonder d'autres vérités possibles et servir de modèle à la connaissance en
quelque sorte. Il réside dans cette vérité nécessaire, universelle, saisie
dans l'exemplarité de la proposition singulière : parce que je ne puis nier
ma pensée, en acte dans la négation, j'existe.
(17) Le premier paragraphe nous sauve donc du doute sceptique
par la découverte d'une vérité première et fondamentale : dans l'acte
même de douter, je découvre que je suis, et ce absolument,
indubitablement, car du moment qu'il y a pensée, il est impossible qu'on
l'ait sans exister. La pensée se découvre essentiellement comme
conscience spontanée, si penser et réfléchir sur sa propre pensée
constituent un seul et même acte. Enfin, ces toutes premières lignes du
texte nous décrivent un sujet qui advient à lui-même, qui se découvre et
se reconnaît à la fois, en un acte qui ne s'accomplit tout à fait qu'au
présent et à la première personne du singulier. Or, en même temps que