Texte de Descartes le Cogito

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Cours Olivier Verdun
« Je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait
nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité : je
pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des
sceptiques ne pouvaient l 'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le
premier principe de la philosophie que je cherchais.
Puis, examinant avec attention ce que j'étais, et voyant que je pouvais feindre que je
n'avais aucun corps et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse, mais que je ne
pouvais pas feindre pour cela que je n'étais point, et qu'au contraire, de cela même que je pensais
à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j'étais,
au lieu que, si j'eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j'avais jamais
imaginé eût été vrai, je n'avais aucune raison de croire que j'eusse été, je connus de là que j'étais
une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin
d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle; en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par
laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à
connaître que lui, et qu'encore il ne fût point, elle ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est. »
Descartes, Discours de la méthode, IVe partie
I. Introduction
(2) Contexte
problématique,
problème
central du texte
Ce texte de Descartes a pour thème le cogito, c'est-à-dire la
conscience de soi-même du sujet pensant, et constitue un moment
essentiel du Discours de la méthode (1). Dans cet ouvrage, l'auteur
cherche à fonder une vérité indubitable qui résiste aux assauts des
sceptiques, auxquels il s'oppose, et qui puisse servir de fondement à la
connaissance. Il entreprend, pour ce faire, d'utiliser l'arme des sceptiques
– le doute – et de remettre en question la totalité des choses. Or, y a-t-il
une vérité qui apparaisse au sein du doute ? Si le doute est nécessaire pour
parvenir à des certitudes, puis-je toutefois aller jusqu'à douter de ma
propre pensée et existence ? (2)
(3) Thèse
Descartes montre ainsi qu'au coeur même du doute s'affirme la
réalité de la pensée et de l'être, de sorte que la conscience de soi constitue
la première des certitudes. Chaque fois, en effet, que l'on remet tout en
question, hic et nunc, on affirme en même temps la réalité de sa pensée et
la certitude de son être. La pensée consciente d'elle-même est alors ce qui
définit le moi. (3)
(1) Thème
Or, pourquoi l'affirmation " Je pense, donc je suis " résiste-telle au doute ? De quel être d'ailleurs affirme-t-elle l'existence ? Quel est,
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(4) Enjeu
:
les
difficultés que
soulève le texte,
son
actualité,
son importance
(ici la question
du sujet)
en somme, le " je " du " je suis " ? S'agit-il d'une pure expérience, de la
conclusion d'un raisonnement ou d'autre chose encore ? C'est autour de
ces questions essentielles que notre réflexion sur le texte va s'organiser, ce
qui, du coup, nous permettra de montrer que c'est bel et bien la définition
du sujet par la pensée et la conscience qui pose problème dans ce texte et,
avec elle, l’idée même de sujet à laquelle se réfère toute notre tradition
occidentale. (4)
Le texte se déploie en deux paragraphes. Le premier établit
(5) La structure du que le " Je pense " est une vérité première et le fondement de la
texte,
les philosophie (" Mais…cherchais "). Le deuxième examine la nature de la
pensée et du sujet pensant : l'âme est une substance distincte du corps ("
principales
Puis…ce qu'elle est "). (5)
articulations
(6) Bien séparer
l'introduction de la
partie explicative
(sauter plusieurs
lignes)

II. Etude ordonnée (partie explicative)
(6)
Dans le premier mouvement du texte, c'est-à-dire dans le
(7) Introduction de premier paragraphe, Descartes découvre, au sein du doute, une première
la 1ère partie du
vérité : la réalité indubitable de la pensée et de l'être. (7) Il aboutit à cette
texte, annonce de ce conclusion à partir d'un constat que chacun peut reprendre à son compte :
qui va être étudié : je peux certes douter de tout, mais, pour ce faire, encore faut-il être et
présentation de
exister (" Je pris garde…quelque chose"); cette réalité de la pensée et
l'idée générale.
cette certitude de l'existence, qui s'offrent dans l'acte même de douter et
de penser, constituent la vérité première de la philosophie (" et
(8) Idées
remarquant…cherchais"). (8) Cette première partie du texte est ainsi tout
secondaires
entière consacrée à l'expérience que fait le sujet de la certitude de sa
(indiquer entre
propre existence, - expérience capitale, en ce qu'elle présente une issue à
parenthèses les
la démarche sceptique et instaure la pensée consciente dans une position
subdivisions dans le fondatrice (9).
texte)
La première ligne part d'un constat ("Je pris garde que…"),
(9) Enjeu de la 1ère d'une observation, c'est-à-dire, non d'un raisonnement abstrait ou abscons,
partie
mais d'une découverte existentielle : il m'est loisible, en théorie, de douter
de tout ce qui existe mais, dans le doute, je fais l'expérience que je suis.
(10) 1ère sous(10) En effet, dans les lignes qui précédent ce texte, Descartes a d'abord
partie. Rappel du
développé un doute radical et absolu, ce que rappelle la proposition
contexte
subordonnée circonstancielle de temps : " pendant que je voulais ainsi
problématique, des penser que tout était faux ". Pour atteindre le vrai, il est nécessaire de faire
lignes précédentes
porter le doute sur la totalité des choses - les sens, les vérités
mathématiques, le corps, le monde extérieur, Dieu lui-même; il s'agit de
savoir si quelque vérité peut subsister, droite et ferme, après que
Descartes a fait " table rase " de toutes ses anciennes opinions. Aussi
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convient-il de rappeler que l'ambition du philosophe consiste à déterminer
une vérité si solide qu'elle puisse servir de fondement à toute autre
connaissance humaine, et de modèle de clarté et de solidité à toute autre
vérité.
(11) Suite de
l'explication de la
1ère sous-partie
(12) Nécessité de
citer régulièrement
le texte
(11) Douter de tout certes, mais comment cette activité de remise
en question est-elle possible ? Après avoir passé tout ce qui existe au
crible du doute, Descartes entreprend ici de faire retour sur l'acte de
douter jusqu'à en ressaisir la condition. La proposition subordonnée
complétive " il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse
quelque chose " (12) établit une condition nécessaire : pour pouvoir
douter de tout, l'existence du sujet est obligatoirement requise, sans quoi
le doute se révèle proprement impossible. Je peux douter de tout, mais je
ne peux douter de la condition inhérente à l'acte même de douter; il faut
bien que moi qui me persuade que je rêve ou que je suis fou, moi qui
veux douter, je pense et que je sois ou j'existe, justement pour pouvoir
penser. Au moment où je doute, je pense et au moment où je doute, je
suis. L'existence de la pensée est avérée par son activité même. Mon
inexistence est impensable au présent. Si je n'existais pas, je ne pourrais
pas penser, pas même mon inexistence Si je suis, j’existe, et ceci, pour
autant et aussi longtemps que je pense. Même si toutes mes
représentations sont fausses, elles ne cessent pas pour autant d'être mes
représentations.
Descartes passe donc de la considération de la vérité ou de
la fausseté des représentations à leur caractéristique commune d'être des
représentations, c'est-à-dire des événements mentaux connus d'une
conscience. La conscience apparaît, par suite, comme la condition
nécessaire de toute représentation.
(13) Explication de
la 2ème sous-partie
du texte
(14) Définition des
termes importants
(notion de vérité
ici)
(13) D'où la suite de la phrase qui passe de la certitude de
l'existence révélée par le doute à la condition de possibilité du doute luimême. Nous sommes toujours, semble-t-il, sur le terrain de l'expérience
vécue (" remarquant ") et Descartes nous invite à une nouvelle
découverte: une première vérité se dessine, " je pense, donc je suis ".
Descartes précise que cette vérité " était si ferme et si assurée que même
les plus extravagantes suppositions des sceptiques ne pouvaient
l'ébranler". Par "vérité" (14), il faut entendre ici la certitude inébranlable
et indubitable, non point celle du préjugé aveugle, mais celle qui a résisté
à l'entreprise dévastatrice du doute, c'est-à-dire à l'oeuvre critique de la
raison. Descartes fait explicitement référence aux sceptiques. Le doute
sceptique est une manière d'être et une attitude intellectuelle : comme
nous ne pouvons rien connaître de sûr, il s'agit alors de suspendre son
jugement pour atteindre une forme de silence ou de contemplation. Le
doute cartésien – méthodique, radical et provisoire – peut certes sembler
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excessif, à l'instar des sceptiques, mais la vertu de ce procédé
hyperbolique est justement de contraindre le doute à se retourner contre
lui-même jusqu'à faire émerger, nous allons le voir, le cogito qu'il porte
en lui.
Cette vérité "si ferme et si assurée" que nous révèle la
pratique étonnante du doute se formule sous la forme d'une proposition
énigmatique : " je pense, donc je suis ". La conjonction de coordination
"donc" n'indique pas que cette vérité est le fruit d'une déduction logique;
il s'agit plutôt d'une intuition authentique, celle de mon existence s'offrant
à moi à travers ma pensée. Douter, c'est déjà penser. Nier que ce que l'on
pense puisse être vrai, c'est encore et toujours penser. Même suspectée, la
moindre pensée reconduit nécessairement à la pensée la plus évidente, la
plus infalsifiable : la pensée de mon existence. Descartes nous parle ici
d'une expérience effective et singulière, offerte à quiconque voudra bien
la tenter. Chacun peut s'y reconnaître dans l'acte de penser et de réfléchir
cet acte. Je sais donc que je suis, non pas grâce à la raison, mais dans
l'activité consistant à me penser moi-même comme être pensant.
(15) Explication de
la 3ème sous-partie
(16) Citation du
texte + analyse des
termes importants
(notion de principe
ici)
(17) Conclusion de
la 1ère partie :
bilan + annonce,
sous la forme d'une
ou de plusieurs
questions, de la
suite du texte
(15) Conséquence de cette découverte : si le cogito est cette terra
cognita par quoi s'offre l'évidence d'une existence, il s'ensuit
nécessairement qu'une telle vérité peut être à bon droit considérée comme
" le premier principe de la philosophie que je cherchais " (16). Cette
phrase rappelle d'abord que Descartes a pour mission de trouver " un
premier principe " pour la philosophie. Par " principe ", il faut entendre ce
qui est premier - le commencement, la cause - à partir de quoi on peut
déduire toutes les autres connaissances. Descartes cherche à fonder tout
l'édifice du savoir et se met en quête d'une évidence première (un "
principe " comme il dit) à partir de laquelle pourrait se développer une
conception de l'homme et du monde. Ce " premier principe " doit donc
fonder d'autres vérités possibles et servir de modèle à la connaissance en
quelque sorte. Il réside dans cette vérité nécessaire, universelle, saisie
dans l'exemplarité de la proposition singulière : parce que je ne puis nier
ma pensée, en acte dans la négation, j'existe.
(17) Le premier paragraphe nous sauve donc du doute sceptique
par la découverte d'une vérité première et fondamentale : dans l'acte
même de douter, je découvre que je suis, et ce absolument,
indubitablement, car du moment qu'il y a pensée, il est impossible qu'on
l'ait sans exister. La pensée se découvre essentiellement comme
conscience spontanée, si penser et réfléchir sur sa propre pensée
constituent un seul et même acte. Enfin, ces toutes premières lignes du
texte nous décrivent un sujet qui advient à lui-même, qui se découvre et
se reconnaît à la fois, en un acte qui ne s'accomplit tout à fait qu'au
présent et à la première personne du singulier. Or, en même temps que
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l'expérience du doute me révèle que je suis, ne me dévoile-t-elle pas
également ce que je suis ?

(18) Ménager un
espace entre les
parties principales
de l'explication (ici,
1ère et 2ème
parties)
(19) Introduction
de la 2ème partie
du texte (idée
générale + idées
secondaires,
problème soulevé)
(20) Explication
1ère sous-partie
(21) Etre attentif à
la lettre du texte,
surtout dans ce
texte
particulièrement
riche et dense
(22) Deuxième
sous-partie
(18) A la première certitude, qui affirmait une existence,
succède, dans le deuxième paragraphe, la question de l'essence. Qui suisje ou plutôt que suis-je, moi qui ai découvert que je suis ? Descartes
répond que c'est la pensée qui me définit essentiellement et que l'âme est
une substance distincte du corps. Le raisonnement de Descartes,
particulièrement dense ici, s'articule autour de quatre arguments
principaux : le premier établit que c'est justement parce que je peux
douter de l'existence de mon corps et du monde extérieur que j'existe sans
conteste (" Puis, examinant…que j'étais"); le deuxième introduit une
opposition : si je ne pensais pas, je serais en droit autorisé à douter de ma
propre existence (" au lieu que …j'eusse été "); conséquence : je suis bel
et bien une substance pensante (" je connus de là…chose matérielle "); le
texte conclut sur l'idée que l'âme est plus facile à connaître que le corps
(" en sorte que ce moi…ce qu'elle est "). (19)
(20) La première phrase du deuxième paragraphe laisse entendre
que l'auteur acquiert un savoir supplémentaire et que l'on va ainsi, au fil
du texte, de constat en constat, d'observation en observation, d'expérience
en expérience : c'est ce que suggère les deux participes présent
"examinant" et " voyant " (" examinant…j'étais ", " et voyant…fusse "),
faisant écho à la première proposition principale du premier paragraphe ("
Je pris garde que…") (21). Or, en réalité, Descartes entend ici récapituler
les propriétés que l'homme pouvait s'attribuer avant le doute (d'avoir un
corps, d'être dans un monde et en un certain lieu) et leur oppose la feinte
réitérée d'une négation. Pour définir ce que je suis, il convient de revenir
sur l'assurance que le premier paragraphe a établie, afin d'en délimiter les
contours et de conjurer les risques de compromission de cette certitude
fraîchement découverte. L'auteur reconduit ainsi à l'indubitable sur lequel
on bute une nouvelle fois : la pure pensée qui seule atteste l'existence
certaine du moi et qui manifeste son pouvoir fondateur au sein du doute
lui-même. C'est ce que suggère l'opposition introduite par la proposition
subordonnée " et qu'au contraire, de cela même…" qui renforce ce
privilège de la pensée consistant à subsister toujours dans le moment où
est disqualifié le jugement qui la captait et l'aliénait à l'extériorité du
monde ou du corps.
(22) La deuxième sous-partie de ce deuxième paragraphe renforce
les enseignements précédents, toujours à l'aide d'un procédé rhétorique
multipliant, à l'intérieur de phrases complexes, les propositions
subordonnées (" au lieu que …j'eusse été ") : si je ne pensais pas, je
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(23) Analyse
grammaticale
parfois nécessaire,
dans le but de
clarifier le texte et
de faire apparaître
la structure
argumentative
pourrais à juste titre douter de ma propre existence. (23) A l'intérieur de
l'opposition générale, la phrase se ramifie en une proposition subordonnée
de condition (" si j'eusse…cessé de penser " : hypothèse de la cessation de
la pensée), de concession (" encore que tout le reste…eût été vrai " :
cessation de la pensée mais persistance du monde extérieur), d'opposition
(" au lieu que…je n'avais aucune raison de croire…que j'eusse été " : sans
la pensée, la certitude de mon existence est invalidée). Cette partie du
texte fait très exactement écho à la précédente, dans la mesure où, si c'est
la pensée, dans son acte même, qui prouve que j'existe, l'inexistence de la
pensée rendrait cette évidence caduque et le monde, dès lors, pourrait très
bien être supposé exister. Cette longue phrase donne un peu le vertige à la
façon d'un dédale, mais ce procédé habile va permettre à Descartes de
définir la nature du moi qui pense et doute.
(24) 3ème souspartie du texte
(24) En effet, la troisième sous-partie du texte est tout entière
consacrée à la conclusion à laquelle l'auteur aboutit au terme de ce travail
vertigineux du doute : à la question " que suis-je, moi qui doute que je
suis ? ", Descartes répond clairement que je suis justement une substance
pensante (" je connus de là…chose matérielle "). Qu'est-ce à dire, sinon
que je suis l'acte de douter, ou encore que je suis une pensée. Tout ce
texte postule une identité de la pensée et de l'acte, de la pensée et de
l'existence. Descartes a montré précédemment que si je cessais de penser,
je cesserais aussi d'exister. Conséquence ("je connus de là…") : l'essence
de l'homme, c'est l'existence de la pensée; la nature de l'homme, c'est la
pensée.
(25) Définition des
termes importants :
substance, essence,
pensée
(26) La notion de
"pensée",
essentielle dans tout
le texte, mérite
explicitation.
Cet attribut essentiel qu'est la pensée, Descartes le nomme
"substance", dans la mesure où il suffit à définir le moi. Par "substance"
(25), l'auteur conçoit le support permanent des attributs, qualités ou
accidents, ce qui n'a besoin que de soi-même pour exister. " Le "Je" est la
substance pensante, c'est-à-dire l'âme ou l'esprit. Cette conscience est
réalisée dans une chose, un être, doté d'une essence (la pensée) et d'une
existence propres. L'essence" ou " la nature " (les termes sont ici
synonymes) désignent, par opposition à accident, ce qui constitue la
nature permanente d'un être, indépendamment de ce qui lui arrive ( ce qui
fait qu'une chose est ce qu'elle est et non point une autre). En somme,
l'attribut essentiel de mon être est la pensée, puisque tout le reste est
suspect et ne saurait résister victorieusement aux assauts du doute; je suis
véritablement, et de façon indubitable, une substance pensante.
Prenons ici le temps de nous arrêter sur la signification que
Descartes accorde au terme "pensée". (26) Ce texte suggère que par le
mot de "pensée" l'auteur ne désigne pas uniquement l'activité proprement
intellectuelle, hautement spéculative, telle qu'elle se manifeste, par
exemple, dans le raisonnement abstrait, mathématique ou philosophique.
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(27) Référence
extérieure au texte
(doit rester
exceptionnelle)
(28) 4ème souspartie, fin du texte,
conclusion
Il s'agit plutôt de ce qui se donne sur le mode d'une présence immédiate :
ce que nous nommerions un fait de conscience, quels que soient par
ailleurs le contenu et la forme de cette présence dont la variété peut
recouvrir toute la gamme de l'expérience mentale : affections, volontés,
sentiments, sensations, images, etc. Evoquons ici la définition que donne
Descartes de la pensée dans un autre texte (27) : " Par le mot de penser,
j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons
immédiatement par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement entendre,
vouloir, imaginer, mais aussi sentir est la même chose ici que penser."
(Descartes, Article 9 des Principes de la philosophie). Où l'on voit que la
pensée se définit par la conscience et n'existe comme pensée que pour
autant qu'elle est consciente; la conscience est la saisie immédiate de la
pensée par elle-même. Etre conscient ou penser, c’est donc simultanément
et indissolublement penser à quelque chose et savoir qu’on y pense.
(28) Le texte s'achève sur une affirmation quelque peu sibylline
et qui soulève de nombreux problèmes : la conséquence première des
démonstrations précédentes, c'est que la pensée, ou " l'âme ", non
seulement est " entièrement distincte du corps ", mais elle est même " plus
aisée à connaître que lui " et semble pouvoir subsister sans le corps ( " et
encore qu'il ne fût point, elle ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est ").
Cette affirmation, pour surprenante qu'elle paraisse, se justifie toutefois
dans la perspective adoptée par Descartes tout au long de ce texte.
En effet, si je suis essentiellement une chose qui pense,
c'est-à-dire si la pensée est l'attribut essentiel de mon être, il convient de
définir " l'âme " comme la substance pensante, immatérielle, distincte du
corps. Le corps est alors la substance étendue en longueur, largeur et
profondeur. L'âme est aisée à connaître, nous dit Descartes : dès que je
pense à quelque chose, je connais que je pense ou que je suis une pensée,
alors que je n'ai aucune certitude concernant la chose à laquelle je pense.
Descartes rajoute que cette âme est même plus facile à connaître que le
corps, en ce sens que le corps relève de l'extériorité, des choses que l'on
peut justement révoquer en doute. Surtout, cette transparence de l'âme à
elle-même s'explique par le fait que la substance pensante est d'une nature
différente de la substance étendue, ce qui permet de comprendre
pourquoi, selon Descartes, l'âme possède une certaine autonomie ("et
qu'encore qu'il – le corps – ne fût point, elle ne laisserait pas d'être tout ce
qu'elle est ").
Cette doctrine est appelée "dualisme", en ce qu'elle postule
que le réel existe sous deux formes : la substance étendue (matière :
corps, phénomènes physiques, monde) et la substance pensante (esprit ou
âme, pensée). L’âme est pensée, c’est-à-dire conscience ; donc tout
phénomène psychique est nécessairement conscient ; la conscience ou
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pensée est l’essence même de la vie psychique. Ainsi un comportement
humain trouve-t-il sa source ou bien dans le corps (mécanisme corporel,
involontaire) ou bien dans l’esprit (processus intentionnel, volontaire).
Comme la pensée est identifiée à la conscience, tout ce qui en moi
échappe à la pensée, à la conscience, appartient au corps et s’explique, par
conséquent, par des mécanismes physiologiques. Certes, en l'homme,
l'âme et le corps sont réunis et s'informent mutuellement. Mais cette
réunion tient à la juxtaposition de deux natures radicalement distinctes.
(29) Au total, quels enseignements faut-il retenir de ce texte ?
(29) Bilan rapide de
la partie explicative D'abord que la pure pensée, c'est-à-dire la conscience, invincible au
doute, atteste seule l'existence certaine d'un moi; en quête des fondements
et annonce de la
de la vérité, Descartes découvre la pensée comme premier principe vrai.
partie réflexive
Ensuite que cette pensée donne au moi l'unique caractère dont il peut se
prévaloir : d'être une substance pensante et rien d'autre. Enfin, si l'âme est
certaine quand tout le reste ne l'est pas, on peut rapporter la nature
pensante de l'homme à une nature autre que celle du corps, d'où la
perspective dualiste sur laquelle débouche notre texte et qui, nous allons
le voir, suscite de nombreuses difficultés. Aussi, après avoir tenté de faire
la lumière sur ce texte complexe, essayons, dans un deuxième temps, de
méditer sa portée, son enjeu, son actualité, c'est-à-dire son intérêt
philosophique.
(30) Partie
réflexive. Sauter
plusieurs lignes

III. Partie réflexive (intérêt philosophique)
(30)
(31) Introduction :
présentation des
différents aspects
de l'intérêt
philosophique
(31) Ce texte est riche d'une multiplicité de vues fécondes et
intéressantes. Il nous permet d'abord de dégager un modèle de clarté et
d'évidence pour la connaissance vraie (A). En second lieu, c'est la
définition même du sujet qu'implique ce texte qui va nous intéresser et
renvoyer à une idée essentielle pour toute la tradition occidentale (B).
Mais ces lignes laissent le lecteur perplexe et suscitent de nombreuses
interrogations : la réalité de la conscience de soi est-elle bien, comme le
prétend Descartes, une substance ? Est-il bien sûr que, dans la proposition
cartésienne "je pense, donc je suis ", c'est le " je " qui pense ? Enfin, le
dualisme cartésien n'appauvrit-il pas considérablement la nature même de
la subjectivité ? (C). Examinons tour à tour, et de façon succincte, ces
différentes questions.
(32) 1er intérêt
philosophique : le
cogito, principe
méthodologique
(32) Comme le souligne Geneviève Rodis-Lewis dans L'oeuvre
de Descartes, le premier intérêt philosophique de ce texte est de faire du
Cogito un modèle d'évidence pour la connaissance vraie. Le principe de
toute certitude apparaît enraciné dans la vérité claire et distincte : " je
pense, donc je suis ". De cette expérience du Cogito, Descartes tire la
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règle de l'évidence intellectuelle comme critère ultime de la vérité. Et les
quatre préceptes de la méthode, énoncés dans la seconde partie du
Discours de la méthode, découlent justement de ce principe : c'est à partir
de ce critère de l'évidence qu'il convient d'analyser, de dénombrer, de
synthétiser les difficultés d'un projet de connaissance, de suivre un ordre
logique et rigoureux. Cette méthode, dont l'auxiliaire est le doute, donne
ainsi le moyen et la raison du rejet de tous les dogmatismes puisqu'il n'est
d'autorité légitime que celle que reconnaît la raison. La découverte
cartésienne que le Cogito est la première certitude est d'abord la
découverte de cette exigence pour la philosophie et la science de se
donner des fondements. Exigence qui, sans doute, revêt chez Descartes
une signification non seulement épistémologique ou métaphysique, mais
aussi existentielle.
(33) 2ème intérêt :
l'idée de sujet
(33) Le deuxième intérêt de ce texte réside sans conteste dans
sa modernité. Il inaugure les grandes philosophies du sujet et de la
subjectivité qui jalonnent toute notre tradition occidentale, alors que
l'Orient, semble-t-il, met à distance le sujet ou le relativise. Que désigne,
en effet, pour Descartes, l'idée de sujet ? On le voit dans ce texte, une
substance, c'est-à-dire une réalité permanente, un principe, une donnée
première. Résistant à tous les assauts du doute, le cogito est conquis et
désigne bel et bien ce sujet universel, cette pensée identique en tout
moment. De même, en se proposant, à la fin de notre texte, de montrer
l'indépendance de l'âme par rapport au corps, Descartes rend possible la
découverte de la nouvelle méthode et du nouvel objet de la philosophie :
décrire de l'intérieur, d'une manière rationnelle, la pensée. La philosophie
devient le déploiement d'une connaissance en première personne, l'objet
de cette connaissance étant le moi lui-même. Dès lors, " Le " Je " est un "
moi " qui peut et doit se connaître " lui-même " puisqu'il est tout entier
défini comme " pensée " (Robert Misrahi, Les figures du moi et la
question du sujet depuis la renaissance, p. 31).
(34) 3ème intérêt
du texte : ses
limites, les
difficultés qu'il
soulève
(34) Toutefois, la profondeur et la modernité de ce texte ne
doivent pas occulter les zones d'ombres ou les difficultés qu'il recèle.
C'est notamment le dualisme cartésien qui fait problème et qui a
occasionné, dans l'histoire de la philosophie de nombreux débats.
(35) 1ère difficulté :
la relation âmecorps
(35) Première difficulté : si l'âme est une substance pensante
et si le corps est une substance étendue, la première étant plus facile à
connaître que la seconde et se suffisant à elle-même, la relation de ces
deux réalités distinctes qui constituent l'individu humain devient
incompréhensible. Le rapport de l'âme et du corps devient sinon
impossible, du moins mystérieux. La solution qu'esquisse Descartes dans
Le traité des passions ne fait que déplacer un problème insoluble :
comment une âme immatérielle peut-elle agir sur un être matériel ?
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(36) 2ème
difficulté: la
conscience,
substance ou
relation ? La
critique de Husserl
(36) Deuxième difficulté, mise en évidence notamment par
Husserl et la phénoménologie, et qui peut trouver son expression dans une
phrase célèbre de Husserl extraite justement des Méditations
cartésiennes: "toute conscience est toujours conscience de quelque
chose". La réalité de la conscience de soi est-elle bien, comme le prétend
Descartes, une substance ? Selon Husserl, au contraire, la réalité de la
conscience de soi est non une substance mais une relation avec le monde,
avec les autres, même si c'est par la conscience de soi que toutes les
réalités peuvent prendre sens, comme l'établit justement Descartes.
(37) 3ème
difficulté: la nature
du "je" qui pense
(37) Troisième difficulté et non des moindres : est-il bien
sûr que, dans la proposition cartésienne "je pense, donc je suis ", c'est le "
je " qui pense ? L'objection vient ici des penseurs de l'inconscient, des
"maîtres du soupçon", comme les appelle Paul Ricoeur. Dans Par delà le
Bien et le Mal, Nietzsche montre que ce que nous appelons la pensée est
le produit du système du langage, de sorte qu'il faudrait dire, à la place de
"je pense", "quelque chose pense en moi", formulation qui anticipe en
quelque sorte le fameux "ça pense" de Freud. Le "je" lui-même n'est - il
pas une illusion ? Nous croyons spontanément au sujet qui nous confère
une existence personnelle, mais la notion même de sujet n'est - elle pas
une production de l'histoire, du langage ? Y a-t-il d'ailleurs identité de
chaque sujet dans le temps ? Le moi est-il un ou plusieurs ?
(38) 4ème
difficulté: l'idée
d'universalité
(38) Où l'on comprend que c'est l'idée même d'un sujet
universel, tel que nous le décrit Descartes dans ce texte, qui fait problème,
nous qui ne saisissons que des formes relatives, transitoires, particulières.
S'il l'idée d'un sujet substantiel est en soi problématique, l'idée
d'universalité subit également, à notre époque, les assauts des sciences
humaines et de certains courants philosophiques. Détruire les
universalités, mettre à jour des sujets-formes, conçus non point comme
principes ni comme substances, mais comme résultats, produits, effets,
n'est-ce point ce que semble avoir réalisé notre époque ? Il n'y a pas, dès
lors, une idée de sujet, mais des notions correspondant à des sujets divers
qui se créent dans de multiples sphères. Ici, l'éclatement de l'idée de sujet
en une myriade de sujets est censée enrichir la notion de sujet, et non
l'appauvrir.
(39) Bilan de la
partie réflexive :
retour à la
fécondité du texte
(39) Il reste que, au-delà de ces nombreuses critiques,
ce texte de Descartes est d'une grande fécondité, en ce qu'il fonde une
authentique philosophie du sujet, de la liberté, de la connaissance qui est
elle-même fondatrice de toute notre modernité.

(40) Conclusion.
IV : Conclusion générale (40)
Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
Sauter plusieurs
lignes
(41) Bilan rapide,
réponse aux
questions soulevées
dans l'introduction,
jugement nuancé
sur le problème et
la solution apportée
central
(41) Le problème était de savoir si, au coeur même
du doute, une vérité peut surgir ou si nous sommes condamnés à l'errance
sceptique ? En découvrant une vérité indubitable, celle de la conscience
de soi, Descartes fonde une véritable philosophie du sujet et fait de la
conscience le fondement et le modèle de toute connaissance vraie.
Descartes nous révèle ainsi deux vérités essentielles : d'une part, la nature
et la valeur de l'évidence (elle est critère ultime, clair, distinct et
irrécusable), d'autre part, le contenu même de cette évidence : le
sentiment d'exister est donné dans l'acte même de penser, de même que,
inversement, la pensée en acte implique l'existence en acte. Si penser,
c'est être, cette pensée dit à la fois la nature de l'être et, a fortiori, de la
pensée, ainsi que la véracité de cet acte qui se saisit comme pensée et
comme existence.
Si ce texte sembler poser plus de problèmes
qu'il n'en résout – problèmes relatifs à la nature de la relation de l'âme et
du corps, difficultés soulevées par le dualisme cartésien, définition de la
conscience comme substance, caractère peut- être illusoire de l'idée même
de sujet universel, etc. -, il n'en demeure pas moins que Descartes nous
propose ici une riche philosophie du sujet que toute notre modernité va
prolonger et approfondir.
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