ECO ATTITUDE, une émission hebdomadaire sur l’environnement en Franche-Comté Radio BIP – le mardi à 18h30 – FM 96.9 – animée par le réseau Franche-Comté Nature Environnement. Emission du mardi 6 février 2007 animée par Quentin LE TALLEC, bénévole à FCNE et retranscrite dans sa presque totalité. Enquête sur l’évolution du climat en FC. A l’heure où l’on parle de réchauffement de la planète, de fonte des glaces, d’inondations ou de disparitions d’espèces, Quentin s’interroge pour nous et va essayer avec l’aide de trois invités (un pépiniériste, un ornithologue et le délégué de Météo France à Besançon) de relever les indices témoignant de ce changement dans notre région. Questions à Jean Charpy, pépiniériste retraité de Chalezeule Quentin : Les végétaux peuvent-ils être un bon indice des modifications du climat en Franche-Comté ? Jean Charpy : Quand j’ai commencé à travailler en 1953, on utilisait le thuya du Canada (thuya occidentalis), un thuya qui résistait bien à l’hiver en brunissant. Maintenant on n’en trouve plus sinon en altitude, au-delà de Pontarlier ; il a été remplacé par d’autres thuyas comme le tuya atrovirens, plus joli et qui accepte les températures plus « douces » de nos hivers. Quant au laurier amandier à feuilles persistantes, il gelait chaque année à tel point qu’on était obligé de le raboter, ce qui limitait la pousse ; maintenant on en trouve partout et il peut atteindre jusqu’à 6m de haut, comme celui que j’avais planté près de la poste à Rocheles-Beaupré ; j’avais jamais vu ça ! De même pour l’aucuba du Japon (aucuba japonica), un arbuste légèrement panaché-doré souffrant beaucoup du froid, que l’on ne trouvait qu’en ville et qui pousse maintenant à l’extérieur de Besançon pourtant plus exposé au froid. Les figuiers ne poussaient pratiquement pas en France. On en trouvait quelques-uns à Besançon mais ils étaient particulièrement bien protégés des intempéries. Dorénavant on peut en trouver à l’extérieur de la ville, à Chalezeule par exemple. Q. : « Bientôt la confiture de figues de Chalezeule ! » (rires) J.C. : Le laurier sauce qu’on utilise en cuisine gelait, lui aussi, en hiver, alors que maintenant il a l’air de tenir un peu plus ; on en retrouve donc plus souvent dans les jardins. Il y a 15-20 ans, la ville de Besançon avait planté du laurier d’Alexandrie (prunus lusitanica) à Planoise ; on en trouve maintenant hors de la ville. Quand au camélia, absent de notre région non seulement à cause des faibles températures d’hiver mais aussi parce qu’il préfère les sols acides, se cultive en pot et peut dorénavant passer un hiver chez nous. Q. : Le climat un peu plus chaud favorise-t-il la tâche du pépiniériste ? J.C. : Ca a surtout bien arrangé les jardineries car elles peuvent amener des nouvelles espèces, venant du midi ; c’est leur mode de fonctionnement. Je pense aussi au kiwi que l’on retrouve planté maintenant dans beaucoup de jardins de particuliers. On trouve aussi beaucoup de buissons-ardents (piracanta) ; c’est une plante à feuillage vert, très épineux qui peut pousser dans des sols rocailleux. Autrefois elle gelait et maintenant on en trouve partout. Q. : Y a-t-il des variétés d’arbres qui seraient plus sensibles à ce réchauffement ? J.C. : Oui, mais c’est moins évident. Les résineux remontent en altitude ; on voit maintenant des mûriers (le mûrier du ver à soie du midi), des micocouliers (celstis australis) plantés à Besançon près des abattoirs, tous deux venant du midi. Q. :Qu’en est-il dans votre métier ? J.C. : Ca n’a pas changé notre manière de faire mais nous sommes plus à l’écoute, on comprend mieux les plantes, leur fonctionnement et on cherche à mieux les comprendre dans leur nouveauté. Questions à Jean-Philippe Paul, chargé de mission à la Ligue de Protection des Oiseaux Q. : Les oiseaux sont-ils un indicateur de l’évolution du climat en Franche-Comté ? Jean-Philippe Paul : Oui ils sont un bon indicateur naturel. Ils réagissent assez rapidement à la fois aux phénomènes ponctuels et extrêmes dits météorologiques comme aux phénomènes à moyen terme dits climatiques. Q. : Quelles influences a l’augmentation des températures sur leur comportement ? J-P.P. : Rien qu’avec une augmentation de 0,6° que l’on note depuis les dernières décennies, les évolutions dans l’avifaune sont plus rapides qu’on ne le pensait : certaines espèces migrent vers le nord, d’autres moins loin ou plus tôt ou encore qui progressent en plus haute altitude. Q. :Est-ce qu’il y a de nouvelles espèces d’oiseaux et sont-elles liées au réchauffement climatique ? J-P.P. : Il n’y a en fait pas d’image figée d’une avifaune donnée dans une région ; ça change en permanence avec d’autres facteurs comme l’évolution de l’habitat ou d’autres raisons mais effectivement le climat est un nouveau facteur qui les influence. Par exemple, dans les zones humides de Franche-Comté, l’hivernage de certains hérons est rendu possible par la diminution du jour de gel et on voit aujourd’hui de nombreuses grandes aigrettes que les bressans connaissent bien, de petits hérons garde-bœuf qu’on a l’habitude de voir sur les taureaux en Camargue, des guêpiers d’Europe, une espèce méditerranéenne voire tropicale. C’est une tendance qui rend possible l’apparition chez nous de nouvelles espèces. Q. : Y a-t-il des espèces qui ont arrêté de migrer de Franche-Comté ? J-P.P. : Non, pas dans un temps aussi court mais au sein d’une espèce, quelques individus peuvent tenter ce genre d’expérience car à force d’attendre les mauvaises conditions météo, ils se rendent comptent qu’ils peuvent rester. On a constaté ça avec le héron bihoreau qui vit dans les arbres et qui est nocturne ; il était réputé jusqu’à depuis peu migrateur total et on s’est aperçu qu’un petit groupe réussissait à passer l’hiver à Dole depuis quelques années. Le phénomène pourrait devenir durable et ce héron pourrait passer de migrateur à sédentaire. Néanmoins c’est un phénomène long. Q. : Quels seraient les dangers pour un oiseau devenu sédentaire face à un refroidissement brutal des températures ? Reprendrait-il son instinct de migration ? J-P.P. :C’est en effet potentiellement dangereux, on l’a déjà observé : l’arrivée d’un hiver très rigoureux dans une période plus clémente est un coup brutal qui prend par surprise des populations qui s’étaient habituées à un autre contexte. On se rappelle de l’hiver 84-85 qui avait gelé toute la France ; des populations presque entières avaient été anéanties, notamment le héron Garde-bœuf et une espèce de passereaux, la bouscarle, qui avaient commencé à progresser vers le nord et restaient en Franche-Comté tout l’hiver. Avec ce gel les compteurs ont été remis à zéro et ces deux espèces se sont retrouvées à nouveau confinées au bassin méditerranéen. Q. : Migrent-ils aussi moins car la « chaleur » favorise la présence d’insectes qui sont leurs repas ? J-P.P. : C’est un phénomène complexe. L’exemple du merle noir nous montre encore que certains individus restent. A Besançon l’un de ceux-ci a d’ailleurs chanté tout l’hiver. Plus souples, ils s’adaptent plus facilement au climat local ; ils n’ont pas ce fort instinct migrateur comme les grands oiseaux qui partent vers le sud, en Afrique. Ces derniers ne se rendent même pas compte des hivers moins rigoureux en Europe. Donc selon les espèces, les réponses sont plus ou moins rapides. Q. : Est-ce qu’on voit des espèces appréciant plus les hauteurs comme le massif du Jura du fait d’un réchauffement de l’air en altitude ? J-P.P. : On n’a pas de chiffres précis pour les oiseaux comme il peut y en avoir pour les plantes mais comme les oiseaux ainsi que les insectes et toute la faune vertébrée sont liés au type d’habitat qu’ils fréquentent et que ce dernier se modifie, on peut en déduire que les oiseaux aussi. Néanmoins on observe d’autres raisons à la disparition du grand tétras que celles du climat mais le réchauffement est-il aussi une menace ? Probablement… D’autres espèces qui sont normalement confinées en plaine ont été observées à des hauteurs de 600700 mètres mais aucune étude n’a encore été menée. Remarque pour chacun d’entre nous : Noter, observer la nature et transférer ces infos à des organismes ou des associations pour les compiler sous forme de bases de données permet d’avoir des informations exploitables d’un point de vue scientifique et de révéler des phénomènes globaux. Question à Monsieur Vermot-Deroches, délégué départemental à Météo FranceBesançon Q. : Avec le climat qui change on parle souvent d’intempéries, d’amplitudes plus fortes, de tempêtes…, est-ce que ça a déjà commencé chez nous ? Vermot-Deroches : Pour le moment on n’en est pas totalement sûr mais s’il y a plus de chaleur dans l’atmosphère il y aura à priori plus d’énergie donc plus de déplacement de masse d’air, plus de vent, on pourrait donc s’attendre à plus de tempêtes. Si l’on regarde de 1960 à nos jours, on n’observe pourtant pas plus de tempêtes ; par contre si l’on regarde jusqu’en 2100, on peut s’y attendre. Q. : La végétation va devoir s’adapter et l’homme aussi. Ses infrastructures vont devoir évoluer ; on le remarque avec les stations de ski qui, avec des hivers plus doux, attendent la neige… V-D. : En effet, même s’il a déjà existé des hivers doux comme en 1974-75, les stations de moyenne montagne vont être de plus en plus souvent confrontées à ce problème. Néanmoins, en annonçant des hivers plus doux et plus arrosés, il suffira d’une bonne précipitation de neige bien placée, durant les vacances scolaires, formant un beau tapis neigeux pour que celle-ci s’installe durablement, car il est quand même difficile de la faire dégeler. L’autre problème c’est de perdre l’habitude de voir de la neige en plaine et d’être confronté un jour à un gros épisode neigeux, venu du pôle nord, ce qui sera toujours possible. Q. : Je constate que l’analyse météo dans notre région est délicate car on est en fait entre un climat océanique et un climat méditerranéen… V-D. : Oui, de façon naturelle il y a une très grande variabilité du climat. Un degré en 100 ans c’est énorme et ça veut dire un dixième de degré tous les dix ans en moyenne ; ce n’est pas facile à évaluer surtout s’il y a une variation énorme d’un jour à l’autre, d’une semaine à l’autre, comme dans notre région. Par contre quand on a une continuité de douceur sur plusieurs mois comme on a eu depuis le mois d’octobre jusqu’au 15 janvier où les records ont été pulvérisés, est-ce qu’on peut néanmoins l’imputer au changement climatique ? Sont-ce les prémices d’une évolution ou est-ce une coïncidence ? Conclusion : C’est à Toulouse que sont les spécialistes du climat. On peut deviner le scénario du climat sur 100 ans, plus facile à voir que sur 10 ans, avec plus de canicules et des hivers doux ; c’est sur la durabilité des phénomènes, leur récurrence que l’on pourra se rendre compte, mais on ne peut pas savoir à quelle vitesse cette évolution va se faire. Dans la nature on remarque déjà des changements : certains oiseaux ne migrent plus et de nouveaux insectes apparaissent en Camargue. L’image qu’on peut se représenter est que nous nous déplaçons de 12 mètres par jour vers le sud, 5km tous les ans ; dans 100 ans on aura des températures que l’on observe maintenant à Aix-en-Provence ; ça peut aussi être agréable ! Nos paysages vont se modifier. Q. : On constate que la végétation change horizontalement mais aussi verticalement… V-D. : En effet, chaque fois que l’on gagne 1degré, la limite pluie/neige remonte. La limite actuelle des arbres est de 1300-1400 m, au-delà on n’a plus vraiment de végétation.