La diffusion collective de la lumière par les gaz turbulents

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A la pointe de l’instrumentation
La diffusion collective de la
lumière par les gaz turbulents
L’observation de la diffusion incohérente de la lumière par les gaz, notamment
l’atmosphère, fait partie de notre expérience quotidienne. La diffusion cohérente est une
autre manifestation de la diffusion élastique par les particules constituantes de la matière.
Beaucoup plus intense que la diffusion incohérente, elle se produit lorsque la diffusion
élémentaire par chacune des particules devient coopérative. Un tel phénomène s’observe
dans la matière condensée mais aussi dans les milieux peu denses que sont les gaz ou les
plasmas, tout particulièrement lorsque ces milieux sont turbulents. On peut alors parler de
diffusion « exacerbée », car l’intensité de la lumière diffusée est augmentée de
plusieurs ordres de grandeur. En outre, la mesure et l’analyse de cette lumière procurent des
informations originales sur l’état et la dynamique du milieu turbulent.
L
a lumière diffusée par un gaz
pur est habituellement très
ténue. L’exemple le plus
familier est celui de l’atmosphère
éclairée par le soleil : la couleur
bleue qui manifeste cette diffusion
n’est sensible que lorsque la distance
de propagation est supérieure au
kilomètre. L’effet de la composition
entre eux des champs électromagnétiques diffusés par chacune des
molécules constituantes peut expliquer ce phénomène : non seulement
l’amplitude élémentaire est très
faible mais surtout la phase relative
du champ diffusé par une molécule
ou par une autre est aléatoire, ce qui
rend en moyenne destructive l’addition des champs.
Cette distribution de phase aléatoire n’est plus réalisée dans le cas
des gaz non uniformes, et notamment dans le cas des gaz turbulents.
A chaque instant en effet, les
champs électriques diffusés depuis
des régions de densités différentes
peuvent s’additionner de façon cohérente et l’intensité de la lumière diffusée peut devenir très forte, beaucoup plus forte que celle de la
diffusion incohérente. Cette intensité
est une caractéristique de la distribution en volume de la densité. On
– Laboratoire de physique et technologie
des plasmas, UMR 7648 CNRS, École
polytechnique, 91128 Palaiseau cedex.
14
connaît bien cette propriété de la
matière dense, et elle est utilisée
pour étudier la structure de cette
matière. Dans les gaz, le nombre des
diffuseurs élémentaires (atomes) est
beaucoup plus faible et cependant il
suffit d’une variation spatiale même
minime de la densité pour produire
une forte diffusion de lumière. En
outre, ces milieux (gaz ou plasmas)
sont très mobiles et l’observation de
la variation au cours du temps du
champ électrique diffusé procure un
outil original d’étude du gaz et de
ses mouvements.
Nous allons montrer comment
effectuer de telles observations,
comment les interpréter et illustrer
nos propos avec des expériences
effectuées sur des écoulements
aérodynamiques et sur des plasmas.
Nous verrons quelles informations
peuvent en être déduites sur la structure et sur la dynamique de ces
milieux.
DE LA DIFFUSION INCOHÉRENTE
A LA DIFFUSION EXACERBÉE
Dans les conditions ordinaires, un
gaz est transparent à la lumière.
Pourtant, chacune des molécules qui
le constituent diffuse une très petite
quantité de lumière de même longueur d’onde. Les champs électriques diffusés par chaque particule
s’ajoutent pour former le champ
total reçu par un observateur. Cette
addition tient compte de la phase, et
celle-ci dépend de la position de chacune des molécules. On montre ainsi
(encadré 1) que cette addition effectue une transformation de Fourier
spatiale de la distribution de densité
r , t),
des particules n(
r , t) = E1 (t) n(
r , t)e−i k·r d r
E T (
(1)
L’argument de cette transformation
est un vecteur d’onde qui dépend du
vecteur d’onde de la lumière incidente ki et de la direction n de la
lumière diffusée,
k = ki n − ki
(2)
L’amplitude totale du champ diffusé
est donc proportionnelle à une transformée de Fourier spatiale de la distribution (de densité) des molécules
constituantes du gaz. Le vecteur
d’onde de cette transformée de Fourier est défini selon l’équation (2)
par la disposition relative de la
source de lumière, du volume
observé et de l’observateur. Dans un
gaz parfait de densité uniforme, la
puissance totale diffusée par l’ensemble des particules statistiquement indépendantes est égale à la
somme des puissances diffusées par
chacune des N molécules. C’est la
diffusion « incohérente »
Pinc = N P1
(3)
A la pointe de l’instrumentation
Encadré 1
DE LA DIFFUSION INCOHÉRENTE
A LA DIFFUSION EXACERBÉE
Le champ électrique diffusé provient de la diffusion élastique
dans un milieu linéaire. Une molécule éclairée par une onde
électromagnétique incidente d’une seule fréquence rayonne à son
tour une onde électromagnétique sphérique de même
fréquence. L’amplitude du champ électrique et la phase de cette
onde dépendent de l’amplitude et du vecteur d’onde
incidents ( Ei , ki ) et de la géométrie de l’observation (position de
l’atome r et de l’observateur r , direction de l’observation n)
r , t) = −
Ed (
|
r
ro
n ∧ (
n ∧ Ei (
r = 0, t))eiki n·r e−i(ki n−ki )·r
− r|
(1)
ro est le « rayon de Rayleigh », de taille très petite par
rapport aux distances de habituelles de propagation (en
lumière visible et pour un gaz atmosphérique, ro est de
l’ordre de 10−15 mètres).
Le champ total est la somme des champs diffusés par chaque
r , t) le champ diffusé en r
particule. Si l’on désigne par E1 (
par un atome particulier fixé à l’origine, et par k le vecteur
d’onde différence
k = ki n − ki
(2)
le champ total diffusé par N molécules situées aux
positions r j est
N −i k·
E T (
r , t) = E1 (
r , t) j=1
e rj
moyenne en probabilité de la somme ci-dessus est donc nulle,
et de même le champ diffusé moyen. Cependant la puissance
électromagnétique diffusée n’est pas nulle, puisqu’elle est
formée par le carré du champ total. La moyenne en probabilité
de celui-ci est égale à la somme du carré de chacun des
champs. Ainsi la puissance totale diffusée par un gaz parfait
PT est égale à la puissance diffusée par un seul atome P1
multipliée par le nombre d’atomes
Pinc = N P1
On parle de « diffusion incohérente ».
La puissance diffusée n’est pas du tout la même lorsque la
densité du gaz n’est pas spatialement uniforme. Alors le
champ électrique total moyen n’est pas nul et la puissance
totale diffusée peut être très importante ; c’est pourquoi on
peut parler alors de diffusion exacerbée. On exprime
cette puissance diffusée en utilisant le « facteur de forme »,
familier de la diffraction X,
N
N 1
−i
k·(
r
−
r
)
j
l
=
S(k)
e
(5)
N j=1 l=1
Alors l’intensité de la lumière diffusée par un gaz non
uniforme est multipliée par ce facteur
inc
Pex = S(k)P
(3)
Remarquons d’abord que ce champ total est proportionnel à
la transformée de Fourier spatiale de la distribution des
molécules. L’argument de cette transformation de Fourier est
le vecteur d’onde k défini par la disposition optique.
L’amplitude du champ total dépend de la distribution spatiale
des molécules et du vecteur d’onde k .
Dans un gaz parfait, la position de chaque atome est
équirépartie en probabilité sur tout le volume accessible. La
dans un gaz turbulent. C’est pourquoi on peut parler de diffusion
« exacerbée » et non plus de diffusion incohérente.
P1
Pex = S(k)N
Une expérience de diffusion exacerbée comprend une source lumineuse
cohérente (laser) qui éclaire le gaz
étudié, et un détecteur. La direction
du faisceau optique incident ki et
Le « facteur de forme » multiplicatif
de l’intensité diffusée atteint facilement plusieurs ordres de grandeur
(6)
La mesure de l’intensité diffusée (la fonction de corrélation au
temps zéro) est donc une mesure du facteur de forme. Dans un
gaz, ce facteur a des propriétés particulières. En raison de la
est une
distribution spatiale aléatoire des molécules, S(k)
fonction continue de k . Pour un gaz parfait, c’est une
peut
constante égale à l’unité. Dans un gaz turbulent, S(k)
prendre des valeurs très élevées lorsque l’inverse du nombre
est dans le domaine des dimensions caractéristiques
d’onde |k|
de l’écoulement.
Dans un gaz non uniforme, la puissance diffusée est multipliée par le
Ce facteur
« facteur de forme » S(k).
(sans dimension) est défini de la même
façon qu’en diffraction X ; il est caractéristique de la non-uniformité
à l’échelle du vecteur d’onde k
(encadré 1),
(4)
(4)
MISE EN ŒUVRE ET VISUALISATION
celle de la lumière diffusée ki n forment entre elles un angle θ très petit.
Il faut en effet que la longueur d’onde
associée au vecteur d’onde d’analyse
k [équation (2)], λ = 2π/k, soit suffisamment grande pour correspondre
aux dimensions des inhomogénéités
du gaz. Cette dimension est de l’ordre
du millimètre ou plus, alors que la
longueur d’onde de la lumière visible
est de l’ordre du demi-micron. Le
rapport entre ces deux longueurs
étant de l’ordre du millier, il faut que
15
ligne diffuse est produite par la diffusion incohérente dans l’air ambiant.
Figure 1 - Vues de la diffusion exacerbée. L’air comprimé est soufflé vers le bas à partir de la pointe
inférieure (percée) de la buse conique visible en haut des photographies. Sur la figure de gauche, obtenue avec un laser de 514 nm de longueur d’onde et de 700 mW de puissance continue, on aperçoit le
trajet du faisceau laser grâce à la diffusion incohérente dans l’air ambiant (diffusion Rayleigh). A
l’aplomb et au-dessous de la buse, on observe une tache : c’est la diffusion exacerbée du rayonnement
du laser par la turbulence. La figure de droite a été obtenue avec un laser rouge de 633 nm et 4 mW. La
tache est aussi bien visible.
l’angle de diffusion θ soit de l’ordre
du milliradian : la diffusion exacerbée s’observe dans une direction très
proche (mais distincte) de celle du
rayonnement incident.
tions sont convectées à la vitesse du
jet. Un appareil photographique est
placé de l’autre côté du jet. Il regarde
vers le jet, protégé du rayonnement
du laser principal par un écran. Deux
images sont présentées sur la figure 1.
L’intensité de la lumière diffusée
(et l’amplitude du facteur de forme)
est mesurée par un photodétecteur.
La mesure du spectre fréquentiel (ou
de la fonction de corrélation temporelle) du champ diffusé s’effectue à
l’aide d’un dispositif de battement
« hétérodyne », qui consiste à éclairer le détecteur à la fois par le champ
diffusé et par un faisceau secondaire
issu de la source principale. Ce dispositif permet de convertir la modulation d’amplitude et de phase de
l’onde diffusée [modulation qui
contient les informations sur la
structure spatiale et le mouvement
du gaz, équation (1)] en un signal de
basse fréquence susceptible de traitement analogique ou numérique.
Chacune des deux photographies
correspond à un laser source différent : un laser vert à argon ionisé
(λ = 0,514 µ m ) pour la figure de
gauche et un laser rouge à hélium
(λ = 0,633 µ m) pour la figure de
droite. Sur le haut de chaque figure
on observe la silhouette de la buse.
Au centre gauche un disque noir
représente l’orifice de sortie du faisceau laser à travers une feuille de
papier blanc (qui constitue le fond
de la photographie). L’air comprimé
se détend en s’écoulant verticalement vers le bas à partir d’un orifice
percé à la pointe inférieure de la
buse conique. Le diamètre de l’orifice est de 1 mm.
La diffusion exacerbée est un phénomène bien visible à l’œil nu, en
continuité avec la diffusion incohérente. Il suffit pour s’en convaincre
d’éclairer avec un faisceau laser un
jet d’air comprimé sortant d’une
petite buse. L’air comprimé sortant
de la buse se mélange avec l’air
ambiant de plus faible densité, en
formant des fluctuations spatiales de
densité à toutes les échelles qui peuvent diffuser la lumière. Ces fluctua-
On observe une tache, au centre de
chaque figure, trace de la diffusion
exacerbée par la turbulence dans le jet
d’air. On peut l’observer assez loin de
la buse (sur la figure, la distance entre
la sortie de la buse et la zone turbulente éclairée est de 10 mm). Si l’on
arrête l’écoulement, la tache disparaît. Sur la figure de gauche, on
observe la trace du faisceau laser sous
la forme d’une ligne diffuse qui traverse horizontalement la figure. Cette
16
On n’observe pas la trace horizontale du faisceau sur la figure de
droite parce que la puissance du
laser est plus faible (4 mW en rouge,
700 mW en vert) de même que l’intensité de la diffusion incohérente en
lumière rouge. L’angle d’émission
de la lumière diffusée par rapport à
la direction incidente est de 60 mrad
(3 degrés 30 ) et 40 mrad (2 degrés
20 ) pour les figures de gauche et de
droite. A ces angles correspondent
[par l’équation (2)] des longueurs
d’onde de fluctuations sondées de
8,6 µ m et de 16 µ m respectivement.
Ces échelles sont assez petites et
cependant elles sont encore de
l’ordre ou plus grandes que
« l’échelle de dissipation » en dessous de laquelle les non-uniformités
de densité sont absorbées par la diffusion moléculaire.
FACTEUR DE FORME
Nous avons vu que l’intensité de la
lumière diffusée « exacerbée »
[équation (4)] est celle de la diffusion « incohérente » [équation (3)]
multipliée par le « facteur de
forme ». A cet égard, la photographie de gauche dans la figure 1 est
particulièrement significative. En
effet, cette image nous montre à la
fois la diffusion exacerbée et la diffusion incohérente. Le rapport d’intensité entre la tache et le fond lumineux de la trace du faisceau est égal
corresponau facteur de forme S(k)
dant à cette disposition optique. En
déplaçant le détecteur pour observer
la lumière diffusée à différents
angles, on peut ainsi mesurer la
valeur absolue du facteur de forme et
sa variation avec le vecteur d’onde.
Cette mesure est présentée sur la
figure 2, en unités logarithmiques.
En abscisse, l’angle d’observation va
de 0,5 mrad (l’angle de divergence
naturelle du faisceau laser) à
100 mrad. L’intensité du facteur de
forme est la plus grande à petit
angle, puis elle décroît très rapide-
A la pointe de l’instrumentation
Figure 2 - Variation du facteur de forme avec le vecteur d’onde, dans la turbulence d’un jet d’air. Le
facteur de forme varie de douze ordres de grandeur, tandis que les échelles de longueur d’onde observées varient d’un facteur 200, depuis l’échelle macroscopique du jet (1 mm) jusqu’aux échelles microniques. Une droite, de pente (−11/3), s’ajuste aux points de mesures les plus intenses : c’est la pente
prévue par la phénoménologie de Kolmogorov dans le domaine « inertiel » de la turbulence développée. Aux échelles microniques, le facteur de forme rejoint celui du gaz parfait, indépendant de l’échelle.
ment jusqu’à ce que, au-delà de
100 mrad, le facteur de forme se stabilise à la valeur du gaz parfait à
l’équilibre. La mesure par le rapport
d’intensité sur les photographies
(figure 1) a été utilisée pour les
angles les plus grands (les cercles
ouverts sur la figure 2). Aux plus
petits angles, une mesure du courant
photo-électrique reçu par une diode
détectrice permet la mesure de S(k)
(les « x » de la figure 2). Les deux
mesures ont été effectuées simultanément à l’angle de 4,5 mrad, où
l’on voit qu’elles se recouvrent correctement.
A chaque angle de diffusion correspond un vecteur [équation (2)] et
une longueur d’onde d’analyse λ. Au
plus petit angle, la longueur d’onde
analysée est de 1 000 µm, égale au
diamètre de la buse : c’est « l’échelle
de production » de la turbulence.
=
L’intensité est très élevée, S(k)
8.1011 . Une analyse dimensionnelle
permet de justifier cette valeur, en
faisant l’hypothèse que la valeur
quadratique moyenne de la fluctuation de densité à cette échelle est
égale à la différence de densité entre
l’air comprimé sortant de la buse et
l’air ambiant.
Lorsque l’angle (et le vecteur
d’onde k ) augmente, le graphe logarithmique montre une décroissance
rectiligne, correspondant à une loi de
puissance, de pente −11/3. Cette
variation est observée sur quatre
ordres de grandeurs.
L’une des prédictions les plus
connues des modèles phénoménologiques de la turbulence porte sur le
spectre des fluctuations spatiales de
la vitesse. Elle prévoit que le spectre
de « l’énergie cinétique » se distribue en fonction du nombre d’onde
sous la forme d’une loi de puissance
d’exposant −5/3 (c’est la « loi de
Kolmogorov »). L’expérience présentée ici observe les fluctuations
spatiales de la densité et mesure un
spectre en fonction du vecteur
d’onde k . Ces deux types de spectre
(vitesse et densité) sont étroitement
liés. Dans les écoulements subsoniques en effet (dans lesquels la
pression est uniforme en volume,
même en présence de fluctuations de
la densité), il n’y a pas de force associée aux variations spatiales de la
densité, chaque élément de gaz est
convecté indépendamment de sa
densité. C’est pourquoi la distribution spectrale de la vitesse impose sa
forme à la distribution spectrale de la
densité. On dit que la densité est un
traceur de la vitesse. Le fait d’observer un spectre en fonction du vecteur
d’onde k (et non pas du nombre
d’onde k) introduit une puissance de
2 supplémentaire puisque, si la distribution spectrale est isotrope, on
passe du spectre en vecteur d’onde
au spectre en nombre d’onde par une
intégration dans l’espace des vecteurs d’onde sur la sphère de surface
k 2 . Ainsi l’observation d’une pente
−11/3 sur la figure 2 est conforme à
la « loi de Kolmogorov ».
Lorsque l’angle de diffusion θ
devient supérieur à 10 mrad (et la
longueur d’onde observée λ inférieure à 50 µm), l’intensité décroît
plus vite que par la loi de Kolmogorov : on quitte le « domaine inertiel »
de la dynamique du gaz, les effets de
dissipation ne sont plus négligeables. Un point d’inflexion est
θ = 50 mrad
observé
lorsque
(λ = 10 µm). A cette échelle, le
terme de viscosité de l’équation de
Navier-Stokes devient aussi important que le terme de convection non
linéaire : cette longueur marque
l’« échelle de dissipation ». Au-delà
de ce point, la décroissance du facteur de forme est plus lente, jusqu’à
ce que celui-ci atteigne la valeur du
= 1) à pardésordre cinétique (S(k)
tir de θ = 100 mrad (λ = 5 µm) et
pour tous les angles plus grands (et
les échelles plus petites).
LA DISTRIBUTION DE PROBABILITÉ
DES VITESSES
Le « facteur de forme » n’est pas le
seul paramètre qu’on puisse mesurer
par la diffusion exacerbée. D’autres
17
Encadré 2
LE FACTEUR DE FORME DYNAMIQUE
ET LES MOUVEMENTS DE GAZ
On peut mesurer l’amplitude et la phase du champ total diffusé
et leurs variations temporelles à l’aide d’une détection
«hétérodyne» (par battement, sur le détecteur, de la lumière
diffusée avec un faisceau laser de référence). Ces variations
traduisent le mouvement du gaz [équation (1) du premier
encadré]. On étudie cette relation en formant la fonction de
corrélation temporelle du champ diffusé,
2 N N
E T (t) · E T∗ (t + τ ) = E1 e−i k·[rl (t)−r j (t+τ )]
l=1
j=1
(1)
Lorsqu’on observe la diffusion à très petit angle (tel que le
produit du nombre d’onde k par le libre parcours moyen soit
très petit), le mouvement microscopique des particules est
négligeable et le déplacement d’une particule pendant le
temps τ est celui d’un élément du gaz dans son voisinage,
).
R(τ
On peut factoriser la moyenne statistique contenue dans
l’équation (2) en plusieurs moments différents. En effet, il
existe toute une classe de fluctuations non stationnaires dans
les gaz, les fluctuations « isobares », dans lesquelles la vitesse
du gaz en un point donné est indépendante de la valeur de la
densité au même point. C’est notamment le cas des gaz
turbulents lorsque l’écart-type de la vitesse est inférieur à la
vitesse du son. Dans ces gaz, les fluctuations dominantes
de la densité sont convectées avec la vitesse locale du gaz.
Alors la moyenne statistique incluse dans l’équation (2) se
factorise en deux termes
2 2 N
E T (t) · E T∗ (t + τ ) = E1 j=1 e−i k·rl (t) ei k· R(τ )
(2)
La première moyenne est proportionnelle au « facteur de
[défini par l’équation (3) de l’encadré 1]. La
forme » S(k)
moyenne suivante est la « fonction caractéristique » de la
). On
variable aléatoire « déplacement macroscopique » R(τ
la désigne par C(τ, k),
R(t|τ
)
= ei k·
C(τ, k)
(3)
car la variation temporelle de cette fonction caractéristique
est identique à celle de la fonction de corrélation du champ
diffusé. On peut mesurer la seconde : on obtient la première,
c’est-à-dire la transformée de Fourier (d’argument k ) de la
distribution de probabilité du déplacement du fluide (le long
de k ) pendant le temps τ.
La transformée de Fourier temporelle de la corrélation du
des
champ électrique est le « spectre dynamique » S(ω, k)
fluctuations de densité. Dans les conditions ci-dessus,
18
= S(k)
S(ω, k)
dτ eiωτ C(τ, k)
(4)
La relation entre fonction caractéristique et mouvements du
gaz est relativement simple dans deux cas limites :
le premier cas est celui où l’échelle des mouvements
macroscopiques L M est grande par rapport à la longueur
d’onde d’analyse λ (k L M > 1). A l’échelle de λ, le mouvement
est rectiligne et s’effectue à la vitesse locale du gaz, v . La
) = vτ . A
distance parcourue pendant le temps τ est R(τ
temps τ fixé, la fonction caractéristique de la distribution
aléatoire de R se déduit donc directement de celle de la
distribution aléatoire de la vitesse du gaz v : la fonction
caractéristique est la transformée de Fourier d’argument kτ
de la distribution de probabilité de la vitesse. En mesurant le
on effectue une seconde transformation de
spectre S(ω, k),
Fourier sur la variable t (qui était dans l’argument de la
première transformation). Cette double transformation de
Fourier temporelle redonne la distribution de probabilité de la
vitesse. Ainsi l’intensité du spectre de la lumière diffusée à la
fréquence ω est proportionnelle à l’amplitude de la distribution
de probabilité de la vitesse à la valeur v telle que ω soit la
fréquence Doppler ω = k · v .
Le second cas est au contraire celui où l’échelle du mouvement
macroscopique L M est petite par rapport à la longueur
)
d’onde d’analyse (k L M < 1). Pour que le produit k · R(τ
devienne de l’ordre de un (et que la fonction caractéristique
prenne une valeur significative), il faut que le déplacement R
soit grand par rapport à L M . Un tel déplacement résulte de la
somme de déplacements indépendants : sa distribution de
probabilité est gaussienne ; on peut en tirer parti pour
expliciter la fonction caractéristique,
ei k· R(t|τ) = e−
Rτ )2 (k·
2
(5)
En outre, le déplacement (sur des distances grandes par
rapport à L M ) varie comme dans un processus diffusif. Sa
valeur quadratique moyenne croît linéairement avec le temps.
Le taux d’accroissement de la valeur quadratique moyenne du
déplacement dans une direction donnée (par exemple, celle du
vecteur unitaire k0 ) est lié au coefficient de diffusion D ,
(k0 · Rτ )2 = 2Dτ
(6)
Ainsi dans ce second cas, la fonction de corrélation du champ
diffusé est une exponentielle décroissante avec un temps
caractéristique (k 2 D)−1 . Si, comme pour le cas précédent, on
observe le spectre fréquentiel de cette lumière diffusée, celui-ci
est constitué d’une raie de profil de Lorentz, dont la demilargeur à mi-hauteur ω est égale à k 2 D.
A la pointe de l’instrumentation
informations sont contenues dans la
forme du spectre fréquentiel. La
variation temporelle du champ diffusé dépend des mouvements du
fluide. Les propriétés statistiques du
champ diffusé (notamment sa fonction de corrélation temporelle ou son
spectre fréquentiel) traduisent celles
du mouvement macroscopique à travers la « fonction caractéristique »
de ce mouvement (encadré 2).
La relation entre le spectre du
champ électrique diffusé et les propriétés du mouvement est particulièrement simple lorsque l’échelle des
mouvements macroscopiques est
grande par rapport à la longueur
d’onde d’analyse λ définie par la
géométrie de la diffusion. Dans ce
cas en effet, le mouvement « vu à
l’échelle de la diffusion » est rectiligne. Il s’effectue à la vitesse locale
v , et produit un décalage Doppler de
fréquence ω = k · v . Dans la même
hypothèse (où les distributions spatiales de la densité et de la vitesse
sont statistiquement indépendantes),
l’intensité du spectre du champ diffusé à une fréquence ω est proportionnelle à l’amplitude de la distribution de probabilité des vitesses
correspondantes. Le spectre fréquentiel fournit une distribution de probabilité des vitesses du fluide, selon la
composante de la vitesse parallèle au
vecteur d’onde.
Ces conditions d’observation sont
facilement réalisées en aérodynamique. Nous les avons réunies dans
une expérience de « couche de
mélange » effectuée au Laboratoire
d’études aérodyndamiques de Poitiers. Cette couche est formée dans
la zone de transition entre deux
écoulements parallèles de vitesses
différentes. Pour la constituer, une
double tuyère est formée par un tube
horizontal de section carrée (de
150 mm de côté), divisé par une
plaque parallèle à l’axe en deux parties égales. Chaque partie contient
un écoulement de vitesse différente,
supersonique dans la partie supérieure et subsonique dans la partie
inférieure. A l’extrémité aval de la
plaque, les deux écoulements se ren-
Figure 3 - Spectre fréquentiel de la lumière diffusée (diffusion exacerbée, en trait plein ; la fréquence
est convertie en unité de vitesse par la relation de Doppler) et histogramme de la distribution des
vitesses de particules (anémométrie laser, en forme de barres verticales) mesurés dans la même zone
d’un écoulement de couche de mélange supersonique. Les unités verticales sont logarithmiques (en dB).
On remarque la similitude entre le spectre et la distribution de probabilité des vitesses dans la région
du spectre d’intensité la plus élevée. La raie étroite à la vitesse nulle est un artifice de l’analyse de
spectre.
contrent tangentiellement en formant une zone turbulente. L’échelle
des tourbillons formés dans cette
région est d’environ 10 mm. Une
région de la zone turbulente (dans la
partie supersonique) est observée à
l’aide d’un dispositif de diffusion
exacerbée utilisant une lumière
infrarouge (un laser à dioxyde de
carbone qui émet un rayonnement
continu de 1 Watt de puissance et de
10,6 µm de longueur d’onde).
L’échelle d’observation est de
0,35 mm (l’angle de diffusion est de
30 mrad) et le vecteur d’onde d’analyse est parallèle à l’axe d’écoulement. La lumière diffusée est analysée par détection hétérodyne, le
courant du photodétecteur est
envoyé à l’entrée d’un analyseur de
spectre analogique. Ce spectre est
présenté sur la figure 3.
La même région de l’écoulement
a été observée par un dispositif
d’anémométrie laser par particules,
permettant de construire la distribution de probabilité des vitesses sous
la forme d’histogrammes. Les deux
mesures, le spectre fréquentiel de la
lumière diffusée (converti en vitesse
par l’équivalence Doppler) et l’histogramme de vitesses des particules,
sont comparées sur la figure 3.
L’échelle verticale est logarithmique
(unités arbitraires) ; l’amplitude du
maximum du spectre est normalisée
à celle du maximum de l’histogramme. Le spectre est présenté
sous la forme d’une ligne continue,
l’histogramme sous forme de créneaux. On note la similitude de ces
deux mesures : identité de la valeur
de la vitesse la plus probable, même
largeur, même dissymétrie (chute
abrupte du côté des grandes
vitesses). Loin du maximum, l’histogramme est borné dans un intervalle
fini de vitesse (en dehors de cet
intervalle, le nombre de particules
comptées devient trop faible).
Au-delà de l’intervalle des
mesures d’anémométrie laser, le
spectre de diffusion collective
montre de chaque côté du maximum
une poursuite de la décroissance de
la distribution de probabilité. Plus
loin encore dans les ailes, et de
chaque côté, un nouveau phénomène
19
apparaît sous la forme d’un autre
maximum. Ces deux autres raies
sont la signature d’ondes sonores de
forte amplitude se propageant dans
l’écoulement supersonique, vers
l’amont (pour la raie située du côté
des basses fréquences) et vers l’aval
(côté hautes fréquences). La différence de fréquence entre ces raies et
la raie centrale est en effet la fréquence attendue pour les ondes
sonores de longueur d’onde
0,35 mm. La mesure de la fréquence
de ces raies peut inversement être
utilisée pour obtenir la vitesse du
son et la température du gaz.
LES PLASMAS ET LA DIFFUSION COLLECTIVE
Les plasmas sont des gaz très chauds
dont les propriétés mécaniques et
électromagnétiques sont liées à la
dissociation des atomes en ions positifs et en électrons. Comme les gaz,
les plasmas sont transparents aux
ondes électromagnétiques (pourvu
que la fréquence de ces ondes soit
suffisamment haute, supérieure à la
« fréquence plasma »). Et comme les
gaz, ils peuvent diffuser la lumière.
Les conditions de la « diffusion
collective » sont remplies lorsque la
longueur d’onde d’analyse est
grande par rapport à la « longueur de
Debye », qui est la mesure de la distance d’interaction collective entre
particules chargées. Alors, le « diffuseur élémentaire » dans le plasma est
« l’ion habillé », à la place de la
molécule neutre du gaz froid. Cet
ion habillé rassemble l’ion avec son
nuage d’électrons libres de neutralisation qui l’accompagne, le « nuage
de Debye ».
Comme les gaz, les plasmas sont
facilement turbulents. A l’aide de
l’image des ions habillés, on peut
interpréter les spectres des ondes
diffusées en terme de mouvement
du gaz ionique comme on a interprété les spectres issus des gaz
neutres en terme de mouvement de
masse du gaz. Les ions portant une
masse bien plus grande que les électrons, le mouvement du gaz ionique
20
est aussi le mouvement d’ensemble
du plasma.
Dans beaucoup de plasmas, les
collisions ion-ion (ou ion-neutre)
sont très rares et le mouvement de
ces ions habillés n’est pas confiné
par collisions, comme pour les molécules d’un gaz. C’est le cas notamment des plasmas confinés par un
tels que ceux
champ magnétique B,
qu’on rencontre dans la « magnétosphère » autour de la terre, ou bien
dans les dispositifs de recherches sur
la « fusion par confinement magnétique ». Dans ces plasmas, les mouvements cinétiques très rapides le
long du champ B empêchent toute
irrégularité de la densité dans la
direction de ce champ. Cependant,
les mouvements individuels restent
limités dans les directions perpendiculaires à l’axe B par l’effet du mouvement circulaire (cyclotron) des
particules chargées : le rayon de
giration tient lieu du « libre parcours
moyen » dans ces directions. Si la
densité du plasma n’est pas uniforme, les irrégularités dans les
directions transverses à B ne peuvent s’amortir que par des mouvements collectifs dont les durées de
vie sont longues. L’effet de cette
mobilité, très différente selon les
directions, s’observe directement
avec la diffusion collective : le facteur de forme n’est intense (et un
signal diffusé n’est facilement détectable) que si le vecteur d’onde d’analyse [équation (2)] est perpendiculaire au champ magnétique dans la
zone sondée.
Dans les dispositifs de confinement construits en vue de la fusion
thermonucléaire, les mouvements du
plasma perpendiculairement au
champ magnétique doivent être
contrôlés. Le « facteur de forme
dynamique » fourni par la diffusion
collective est particulièrement utile
pour connaître la vitesse d’agitation
turbulente et la diffusion. C’est pourquoi les dispositifs « tokamaks » de
l’association Euratom-Cea, TFR à
Fontenay-aux-Roses (Images de la
physique, 1986) puis Tore-Supra à
Cadarache ont été équipés d’un banc
optique de diffusion collective. Le
banc « Altaïr » sur Tore-Supra utilise un laser continu infrarouge (de
longueur d’onde λ = 10,6 µm),
comme celui qui a été construit pour
l’étude de l’écoulement aérodynamique décrit plus haut. Son implantation est schématisée sur la figure 4.
Figure 4 - Implantation de la zone d’observation de la lumière diffusée (cylindre vertical) dans le tore
de plasma. Deux zones turbulentes localisées à l’intérieur de deux couronnes, en périphérie externe et
interne du plasma, tournent dans des directions opposées et contribuent différemment au signal optique.
A la pointe de l’instrumentation
Figure 5 - Spectre fréquentiel de fluctuations mesurées par diffusion exacerbée dans le plasma de
« Tore Supra ». Chacune des deux raies (qui se recouvrent partiellement) correspond à des fluctuations
présentes dans deux régions différentes. Les unités verticales sont logarithmiques. La raie de gauche
s’adapte à une forme de Lorentz (courbe en tirets) et la raie de droite à une courbe de Gauss (pointstirets). La première est caractéristique des mouvements diffusifs et la seconde de mouvements convectifs. La demi-largeur (en fréquence angulaire) à mi-hauteur de la raie lorentzienne δω procure une
mesure directe du coefficient de diffusion transverse du plasma D puisque δω = k 2 D .
Le faisceau optique traverse le
plasma selon un axe vertical perpendiculaire au champ magnétique de
Afin d’observer des
confinement B.
fluctuations perpendiculaires au
champ magnétique et de longueurs
plus grandes que le rayon de giration
des ions (de l’ordre du millimètre),
le plan de diffusion est perpendiculaire au champ magnétique et l’angle
d’observation de la lumière diffusée
est faible (de l’ordre du milliradian).
Ainsi le volume observable, formé
par l’intersection des faisceaux
optiques « incident » et « diffusé »,
est très allongé dans la direction du
faisceau laser principal, au point
d’inclure tout le plasma éclairé par le
faisceau optique incident. Un choix
approprié de la direction du vecteur
d’onde de la diffusion par rapport au
champ magnétique, tenant compte
de l’enroulement toroïdal de celui-ci
et de l’alignement des fluctuations le
long des lignes de champ, permet de
restreindre le volume des fluctuations observées à la zone supérieure
(ou inférieure) du plasma.
Un spectre fréquentiel des fluctuations observées dans un plasma
du tokamak « Tore Supra » est présenté sur la figure 5, en unités verticales logarithmiques. Deux raies
voisines sont obtenues. On sait par
comparaison avec d’autres moyens
d’observation que chacune de ces
deux raies correspond à des fluctuations localisées dans des zones différentes du plasma, l’une en périphérie
externe (la raie de gauche), l’autre
en périphérie interne (la raie de
droite). Elles sont de formes différentes : la raie de gauche s’ajuste sur
une courbe lorentzienne (en tirets) et
la courbe de droite sur une courbe
gaussienne (en tirets-point). Ces
deux cas correspondent aux deux
limites où le produit du nombre
d’onde d’analyse par la longueur de
corrélation du mouvement collectif
L M est respectivement plus petit ou
plus grand que l’unité (encadré 2).
Dans le premier cas, le spectre
lorentzien est la transformée de Fourier de la corrélation exponentielle
[équation (3)] tandis que, dans le
second cas, le spectre est l’image
(par les fréquences Doppler) d’une
distribution de probabilité de
vitesses qui est elle-même gaussienne. Connnaissant le nombre
d’onde observé (1,2 · 103 /radm), on
peut déduire de la forme de ces deux
raies que la longueur de cohérence
L M est inférieure à 0,8 mm dans le
premier cas (k L M1 < 1) et supérieure à cette longueur dans le second (k L M2 > 1). On observe donc
dans le premier cas (dans la zone
périphérique du plasma) une turbulence dont l’échelle est petite (la distance de 0,8 mm est de l’ordre du
rayon de giration des ions, l’échelle
de la turbulence est donc celle des
mouvements microscopiques particulaires), et dans le second cas (dans
une zone plus centrale) une turbulence de plus grande échelle correspondant à des mouvements d’ensemble macroscopiques.
La turbulence dans la périphérie
externe du plasma est également
observée par d’autres méthodes
(sondes). On sait ainsi qu’il existe
des mouvements de rotation importants (dans le plan du petit cercle du
tore) dont la vitesse varie rapidement
avec la position selon le petit rayon.
Ces écoulements cisaillés provoquent des turbulences analogues à
celle des couches de mélange de
l’aérodynamique, dont la taille
caractéristique est de l’ordre de
l’épaisseur de la couche. Dans la
périphérie « interne », la turbulence
est provoquée par les instabilités
liées au gradient de température,
dont la taille caractéristique est
beaucoup plus grande que dans la
zone de cisaillement. L’écart-type en
fréquence de cette raie gaussienne
donne (par conversion Doppler) une
mesure de l’écart-type des vitesses
turbulentes dans cette zone (on
obtient v = 103 m/s) qui est de
l’ordre des vitesses de dérive permanentes provoquées par les gradients
stationnaires de température et de
densité.
La demi-largeur à mi-hauteur δω
de la raie lorentzienne est la fréquence caractéristique k 2 D de
21
l’amortissement diffusif. On déduit
de la largeur mesurée (δω =
955 · 103 rad/s) la valeur du coefficient de diffusion du plasma transverse au champ magnétique : D =
0,65 m2/s. Cette valeur de D montre
qu’en moyenne, dans la région
observée, les ions effectuent environ
un millier de rotations cyclotron
avant de changer d’orbite par l’effet
de la turbulence. L’observation du
spectre de la diffusion exacerbée de
la lumière permet ainsi une mesure
du coefficient de diffusion du
plasma.
Pour valider cette mesure, on a
comparé son résultat avec une autre
méthode, la « méthode des bilans ».
Cette méthode exige à la fois un
grand nombre de mesures ponctuelles et simultanées et par ailleurs
la résolution d’un calcul inverse :
connaissant la distribution spatiale
de densité, la position des sources et
le flux de particules issues de ces
sources, le calcul consiste à obtenir
le coefficient de diffusion (et sa distribution spatiale) qui, à l’aide de
l’équation de diffusion de la matière
(équation de Fick) et de la géométrie
de l’expérience, permet de retrouver
les mesures. Cette méthode, appliquée au même plasma que celui qui
est observé dans la figure 5,
confirme (dans la marge d’erreur de
ces mesures) la valeur obtenue directement par la diffusion exacerbée.
La diffusion exacerbée par les
plasmas se produit aussi avec
d’autres types d’ondes électromagnétiques et dans d’autres milieux.
C’est notamment le cas des radars
haute-fréquence à rétrodiffusion qui
observent l’ionosphère polaire (dispositif « SuperDarn »). En appliquant la même méthode d’analyse
du champ diffusé aux signaux reçus,
nous avons obtenu des informations
analogues (dispersion de vitesses,
coefficient de diffusion) sur les mouvements turbulents du plasma dans
les aurores boréales.
CONCLUSIONS
La diffusion exacerbée de la lumière
par les gaz turbulents est un phénomène optique visible qui peut être très
intense et dont les caractéristiques
sont très différentes de celles de la diffusion par les gaz à l’équilibre thermodynamique. L’observation des gaz
ou des plasmas par cette méthode,
même dans des conditions extrêmes
de température et de pression, est non
perturbative et relativement aisée.
L’intensité de la lumière diffusée et
l’analyse du spectre procurent des
paramètres importants de la structure
et de la dynamique – le facteur de
forme, la dispersion de vitesse, les
longueurs et temps de corrélation de
la vitesse ainsi que la diffusion turbulente – qu’aucune autre méthode ne
permet d’atteindre directement.
Article proposé par :
D. Grésillon, tél. 01 69 33 41 14, [email protected]
avec la collaboration de A. Kharchenko, C. Honoré, B. Tomchuk, A. Truc et P. Hennequin (Laboratoire de physique et technologie des plasmas, UMR 7648 CNRS,
Palaiseau), B. Cabrit (CEA-B3, Bruyère le Chatel) et X. Garbe et de C. Laviron et
J. Olivain (Département des recherches sur la fusion contrôlée, Euratom-CEA, Cadarache), J.-P. Bonnet (Laboratoire d’études aérodynamiques, UMR 6609, Poitiers), J.P. Villain et R. André (Laboratoire de physique et chimie de l’environnement,
Orléans), et C. Hanuise (Laboratoire de sondages électromagnetiques de l’environnement terrestre, ESA 6017, Toulon).
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POUR EN SAVOIR PLUS
Baudet (C.) et al., « L’interférométrie acoustique : des filets d’ultrasons pour chasser les tourbillons », Images de la Physique,
2000.
Chandrasekhar (S.), Review of
Modern Physics, vol. 15, n° 1,
pp. 1-89, 1943.
Chu (B.T.) et Kovasnay (S.G.),
J. of Fluid Mechanics, vol. 3,
pp. 494-514, 1957.
« Microfluctuations et diffusion
de l’énergie dans les tokamaks »,
Images de la Physique, 1986.
Hutchinson (I.H.), « Principles
of Plasma Diagnostics », Cambridge University Press, 1987.
Lading (L.), Wigley (G.) et
Buchhave (P.), « Optical Diagnostics for Flow Processes »,
Plenum, 1994.
« Journal of Atmospheric and Terrestrial Physics », special issue :
« Electromagnetic scattering from
gases and plasmas », vol. 58,
June/July 1996.
Kharchenko (A.V.) et Grésillon
(D.), « Visible enhanced scattering from air flow turbulence »,
Europhys. Lett. vol. 55, pp. 486491, 2001.
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