La diffusion collective de la lumière par les gaz turbulents

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La lumière diffusée par un gaz
pur est habituellement très
ténue. L’exemple le plus
familier est celui de l’atmosphère
éclairée par le soleil : la couleur
bleue qui manifeste cette diffusion
n’est sensible que lorsque la distance
de propagation est supérieure au
kilomètre. L’effet de la composition
entre eux des champs électromagné-
tiques diffusés par chacune des
molécules constituantes peut expli-
quer ce phénomène : non seulement
l’amplitude élémentaire est très
faible mais surtout la phase relative
du champ diffusé par une molécule
ou par une autre est aléatoire, ce qui
rend en moyenne destructive l’addi-
tion des champs.
Cette distribution de phase aléa-
toire n’est plus réalisée dans le cas
des gaz non uniformes, et notam-
ment dans le cas des gaz turbulents.
A chaque instant en effet, les
champs électriques diffusés depuis
des régions de densités différentes
peuvent s’additionner de façon cohé-
rente et l’intensité de la lumière dif-
fusée peut devenir très forte, beau-
coup plus forte que celle de la
diffusion incohérente. Cette intensité
est une caractéristique de la distribu-
tion en volume de la densité. On
connaît bien cette propriété de la
matière dense, et elle est utilisée
pour étudier la structure de cette
matière. Dans les gaz, le nombre des
diffuseurs élémentaires (atomes) est
beaucoup plus faible et cependant il
suffit d’une variation spatiale même
minime de la densité pour produire
une forte diffusion de lumière. En
outre, ces milieux (gaz ou plasmas)
sont très mobiles et l’observation de
la variation au cours du temps du
champ électrique diffusé procure un
outil original d’étude du gaz et de
ses mouvements.
Nous allons montrer comment
effectuer de telles observations,
comment les interpréter et illustrer
nos propos avec des expériences
effectuées sur des écoulements
aérodynamiques et sur des plasmas.
Nous verrons quelles informations
peuvent en être déduites sur la struc-
ture et sur la dynamique de ces
milieux.
DE LA DIFFUSION INCOHÉRENTE
A LA DIFFUSION EXACERBÉE
Dans les conditions ordinaires, un
gaz est transparent à la lumière.
Pourtant, chacune des molécules qui
le constituent diffuse une très petite
quantité de lumière de même lon-
gueur d’onde. Les champs élec-
triques diffusés par chaque particule
s’ajoutent pour former le champ
total reçu par un observateur. Cette
addition tient compte de la phase, et
celle-ci dépend de la position de cha-
cune des molécules. On montre ainsi
(encadré 1) que cette addition effec-
tue une transformation de Fourier
spatiale de la distribution de densité
des particules n(r,t),
ET(r,t)=
E1(t)n(r,t)ei
k·rdr
(1)
L’argument de cette transformation
est un vecteur d’onde qui dépend du
vecteur d’onde de la lumière inci-
dente
kiet de la direction nde la
lumière diffusée,
k=kin
ki(2)
L’amplitude totale du champ diffusé
est donc proportionnelle à une trans-
formée de Fourier spatiale de la dis-
tribution (de densité) des molécules
constituantes du gaz. Le vecteur
d’onde de cette transformée de Fou-
rier est défini selon l’équation (2)
par la disposition relative de la
source de lumière, du volume
observé et de l’observateur. Dans un
gaz parfait de densité uniforme, la
puissance totale diffusée par l’en-
semble des particules statistique-
ment indépendantes est égale à la
somme des puissances diffusées par
chacune des Nmolécules. C’est la
diffusion « incohérente »
Pinc =NP
1(3)
A la pointe de l’instrumentation
La diffusion collective de la
lumière par les gaz turbulents
L’observation de la diffusion incohérente de la lumière par les gaz, notamment
l’atmosphère, fait partie de notre expérience quotidienne. La diffusion cohérente est une
autre manifestation de la diffusion élastique par les particules constituantes de la matière.
Beaucoup plus intense que la diffusion incohérente, elle se produit lorsque la diffusion
élémentaire par chacune des particules devient coopérative. Un tel phénomène s’observe
dans la matière condensée mais aussi dans les milieux peu denses que sont les gaz ou les
plasmas, tout particulièrement lorsque ces milieux sont turbulents. On peut alors parler de
diffusion « exacerbée », car l’intensité de la lumière diffusée est augmentée de
plusieurs ordres de grandeur. En outre, la mesure et l’analyse de cette lumière procurent des
informations originales sur l’état et la dynamique du milieu turbulent.
– Laboratoire de physique et technologie
des plasmas, UMR 7648 CNRS, École
polytechnique, 91128 Palaiseau cedex.
Dans un gaz non uniforme, la puis-
sance diffusée est multipliée par le
« facteur de forme » S(
k). Ce facteur
(sans dimension) est défini de la même
façon qu’en diffraction X ; il est ca-
ractéristique de la non-uniformité
à l’échelle du vecteur d’onde
k
(encadré 1),
Pex =S(
k)NP
1(4)
Le « facteur de forme » multiplicatif
de l’intensité diffusée atteint facile-
ment plusieurs ordres de grandeur
dans un gaz turbulent. C’est pour-
quoi on peut parler de diffusion
« exacerbée » et non plus de diffu-
sion incohérente.
MISE EN ŒUVRE ET VISUALISATION
Une expérience de diffusion exacer-
bée comprend une source lumineuse
cohérente (laser) qui éclaire le gaz
étudié, et un détecteur. La direction
du faisceau optique incident
kiet
celle de la lumière diffusée kinfor-
ment entre elles un angle θtrès petit.
Il faut en effet que la longueur d’onde
associée au vecteur d’onde d’analyse
k[équation (2)], λ=2π/k, soit suf-
fisamment grande pour correspondre
aux dimensions des inhomogénéités
du gaz. Cette dimension est de l’ordre
du millimètre ou plus, alors que la
longueur d’onde de la lumière visible
est de l’ordre du demi-micron. Le
rapport entre ces deux longueurs
étant de l’ordre du millier, il faut que
15
A la pointe de l’instrumentation
Encadré 1
DE LA DIFFUSION INCOHÉRENTE
A LA DIFFUSION EXACERBÉE
Le champ électrique diffusé provient de la diffusion élastique
dans un milieu linéaire. Une molécule éclairée par une onde
électromagnétique incidente d’une seule fréquence rayonne à son
tour une onde électromagnétique sphérique de même
fréquence. L’amplitude du champ électrique et la phase de cette
onde dépendent de l’amplitude et du vecteur d’onde
incidents (
Ei,
ki) et de la géométrie de l’observation (position de
l’atome ret de l’observateur
r, direction de l’observation n)
Ed(r,t)=− ro
|r−r|n(n
Ei(r=0,t))eikin·rei(kin
ki)·r
(1)
roest le « rayon de Rayleigh », de taille très petite par
rapport aux distances de habituelles de propagation (en
lumière visible et pour un gaz atmosphérique, roest de
l’ordre de 1015 mètres).
Le champ total est la somme des champs diffusés par chaque
particule. Si l’on désigne par
E1(r,t)le champ diffusé en r
par un atome particulier fixé à l’origine, et par
kle vecteur
d’onde différence
k=kin
ki(2)
le champ total diffusé par N molécules situées aux
positions rjest
ET(r,t)=
E1(r,t)N
j=1ei
k·rj(3)
Remarquons d’abord que ce champ total est proportionnel à
la transformée de Fourier spatiale de la distribution des
molécules. L’argument de cette transformation de Fourier est
le vecteur d’onde
kdéfini par la disposition optique.
L’amplitude du champ total dépend de la distribution spatiale
des molécules et du vecteur d’onde
k.
Dans un gaz parfait, la position de chaque atome est
équirépartie en probabilité sur tout le volume accessible. La
moyenne en probabilité de la somme ci-dessus est donc nulle,
et de même le champ diffusé moyen. Cependant la puissance
électromagnétique diffusée n’est pas nulle, puisqu’elle est
formée par le carré du champ total. La moyenne en probabilité
de celui-ci est égale à la somme du carré de chacun des
champs. Ainsi la puissance totale diffusée par un gaz parfait
PTest égale à la puissance diffusée par un seul atome P1
multipliée par le nombre d’atomes
Pinc =NP
1(4)
On parle de « diffusion incohérente ».
La puissance diffusée n’est pas du tout la même lorsque la
densité du gaz n’est pas spatialement uniforme. Alors le
champ électrique total moyen n’est pas nul et la puissance
totale diffusée peut être très importante ; c’est pourquoi on
peut parler alors de diffusion exacerbée. On exprime
cette puissance diffusée en utilisant le « facteur de forme »,
familier de la diffraction X,
S(
k)=1
NN
j=1
N
l=1ei
k·(rj−rl)(5)
Alors l’intensité de la lumière diffusée par un gaz non
uniforme est multipliée par ce facteur
Pex =S(
k)Pinc (6)
La mesure de l’intensité diffusée (la fonction de corrélation au
temps zéro) est donc une mesure du facteur de forme. Dans un
gaz, ce facteur a des propriétés particulières. En raison de la
distribution spatiale aléatoire des molécules, S(
k)est une
fonction continue de
k. Pour un gaz parfait, c’est une
constante égale à l’unité. Dans un gaz turbulent, S(
k)peut
prendre des valeurs très élevées lorsque l’inverse du nombre
d’onde |
k|est dans le domaine des dimensions caractéristiques
de l’écoulement.
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l’angle de diffusion θsoit de l’ordre
du milliradian : la diffusion exacer-
bée s’observe dans une direction très
proche (mais distincte) de celle du
rayonnement incident.
L’intensité de la lumière diffusée
(et l’amplitude du facteur de forme)
est mesurée par un photodétecteur.
La mesure du spectre fréquentiel (ou
de la fonction de corrélation tempo-
relle) du champ diffusé s’effectue à
l’aide d’un dispositif de battement
« hétérodyne », qui consiste à éclai-
rer le détecteur à la fois par le champ
diffusé et par un faisceau secondaire
issu de la source principale. Ce dis-
positif permet de convertir la modu-
lation d’amplitude et de phase de
l’onde diffusée [modulation qui
contient les informations sur la
structure spatiale et le mouvement
du gaz, équation (1)] en un signal de
basse fréquence susceptible de trai-
tement analogique ou numérique.
La diffusion exacerbée est un phé-
nomène bien visible à l’œil nu, en
continuité avec la diffusion incohé-
rente. Il suffit pour s’en convaincre
d’éclairer avec un faisceau laser un
jet d’air comprimé sortant d’une
petite buse. L’air comprimé sortant
de la buse se mélange avec l’air
ambiant de plus faible densité, en
formant des fluctuations spatiales de
densité à toutes les échelles qui peu-
vent diffuser la lumière. Ces fluctua-
tions sont convectées à la vitesse du
jet. Un appareil photographique est
placé de l’autre côté du jet. Il regarde
vers le jet, protégé du rayonnement
du laser principal par un écran. Deux
images sont présentées sur la figure 1.
Chacune des deux photographies
correspond à un laser source diffé-
rent : un laser vert à argon ionisé
(λ=0,514 µm ) pour la figure de
gauche et un laser rouge à hélium
(λ=0,633 µm) pour la figure de
droite. Sur le haut de chaque figure
on observe la silhouette de la buse.
Au centre gauche un disque noir
représente l’orifice de sortie du fais-
ceau laser à travers une feuille de
papier blanc (qui constitue le fond
de la photographie). L’air comprimé
se détend en s’écoulant verticale-
ment vers le bas à partir d’un orifice
percé à la pointe inférieure de la
buse conique. Le diamètre de l’ori-
fice est de 1 mm.
On observe une tache, au centre de
chaque figure, trace de la diffusion
exacerbée par la turbulence dans le jet
d’air. On peut l’observer assez loin de
la buse (sur la figure, la distance entre
la sortie de la buse et la zone turbu-
lente éclairée est de 10 mm). Si l’on
arrête l’écoulement, la tache dispa-
raît. Sur la figure de gauche, on
observe la trace du faisceau laser sous
la forme d’une ligne diffuse qui tra-
verse horizontalement la figure. Cette
ligne diffuse est produite par la diffu-
sion incohérente dans l’air ambiant.
On n’observe pas la trace hori-
zontale du faisceau sur la figure de
droite parce que la puissance du
laser est plus faible (4 mW en rouge,
700 mW en vert) de même que l’in-
tensité de la diffusion incohérente en
lumière rouge. L’angle d’émission
de la lumière diffusée par rapport à
la direction incidente est de 60 mrad
(3 degrés 30) et 40 mrad (2 degrés
20) pour les figures de gauche et de
droite. A ces angles correspondent
[par l’équation (2)] des longueurs
d’onde de fluctuations sondées de
8,6 µm et de 16 µm respectivement.
Ces échelles sont assez petites et
cependant elles sont encore de
l’ordre ou plus grandes que
« l’échelle de dissipation » en des-
sous de laquelle les non-uniformités
de densité sont absorbées par la dif-
fusion moléculaire.
FACTEUR DE FORME
Nous avons vu que l’intensité de la
lumière diffusée « exacerbée »
[équation (4)] est celle de la diffu-
sion « incohérente » [équation (3)]
multipliée par le « facteur de
forme ». A cet égard, la photogra-
phie de gauche dans la figure 1 est
particulièrement significative. En
effet, cette image nous montre à la
fois la diffusion exacerbée et la dif-
fusion incohérente. Le rapport d’in-
tensité entre la tache et le fond lumi-
neux de la trace du faisceau est égal
au facteur de forme S(
k)correspon-
dant à cette disposition optique. En
déplaçant le détecteur pour observer
la lumière diffusée à différents
angles, on peut ainsi mesurer la
valeur absolue du facteur de forme et
sa variation avec le vecteur d’onde.
Cette mesure est présentée sur la
figure 2, en unités logarithmiques.
En abscisse, l’angle d’observation va
de 0,5mrad (l’angle de divergence
naturelle du faisceau laser) à
100 mrad. L’intensité du facteur de
forme est la plus grande à petit
angle, puis elle décroît très rapide-
Figure 1 - Vues de la diffusion exacerbée. L’air comprimé est soufflé vers le bas à partir de la pointe
inférieure (percée) de la buse conique visible en haut des photographies. Sur la figure de gauche, obte-
nue avec un laser de 514 nm de longueur d’onde et de 700 mW de puissance continue, on aperçoit le
trajet du faisceau laser grâce à la diffusion incohérente dans l’air ambiant (diffusion Rayleigh). A
l’aplomb et au-dessous de la buse, on observe une tache : c’est la diffusion exacerbée du rayonnement
du laser par la turbulence. La figure de droite a été obtenue avec un laser rouge de 633 nm et 4mW. La
tache est aussi bien visible.
ment jusqu’à ce que, au-delà de
100 mrad, le facteur de forme se sta-
bilise à la valeur du gaz parfait à
l’équilibre. La mesure par le rapport
d’intensité sur les photographies
(figure 1) a été utilisée pour les
angles les plus grands (les cercles
ouverts sur la figure 2). Aux plus
petits angles, une mesure du courant
photo-électrique reçu par une diode
détectrice permet la mesure de S(k)
(les « x » de la figure 2). Les deux
mesures ont été effectuées simulta-
nément à l’angle de 4,5 mrad, où
l’on voit qu’elles se recouvrent cor-
rectement.
A chaque angle de diffusion cor-
respond un vecteur [équation (2)] et
une longueur d’onde d’analyse λ. Au
plus petit angle, la longueur d’onde
analysée est de 1 000 µm, égale au
diamètre de la buse : c’est « l’échelle
de production » de la turbulence.
L’intensité est très élevée, S(
k)=
8.1011. Une analyse dimensionnelle
permet de justifier cette valeur, en
faisant l’hypothèse que la valeur
quadratique moyenne de la fluctua-
tion de densité à cette échelle est
égale à la différence de densité entre
l’air comprimé sortant de la buse et
l’air ambiant.
Lorsque l’angle (et le vecteur
d’onde
k) augmente, le graphe loga-
rithmique montre une décroissance
rectiligne, correspondant à une loi de
puissance, de pente 11/3. Cette
variation est observée sur quatre
ordres de grandeurs.
L’une des prédictions les plus
connues des modèles phénoménolo-
giques de la turbulence porte sur le
spectre des fluctuations spatiales de
la vitesse. Elle prévoit que le spectre
de « l’énergie cinétique » se distri-
bue en fonction du nombre d’onde
sous la forme d’une loi de puissance
d’exposant 5/3(c’est la « loi de
Kolmogorov »). L’expérience pré-
sentée ici observe les fluctuations
spatiales de la densité et mesure un
spectre en fonction du vecteur
d’onde
k. Ces deux types de spectre
(vitesse et densité) sont étroitement
liés. Dans les écoulements subso-
niques en effet (dans lesquels la
pression est uniforme en volume,
même en présence de fluctuations de
la densité), il n’y a pas de force asso-
ciée aux variations spatiales de la
densité, chaque élément de gaz est
convecté indépendamment de sa
densité. C’est pourquoi la distribu-
tion spectrale de la vitesse impose sa
forme à la distribution spectrale de la
densité. On dit que la densité est un
traceur de la vitesse. Le fait d’obser-
ver un spectre en fonction du vecteur
d’onde
k(et non pas du nombre
d’onde k) introduit une puissance de
2 supplémentaire puisque, si la dis-
tribution spectrale est isotrope, on
passe du spectre en vecteur d’onde
au spectre en nombre d’onde par une
intégration dans l’espace des vec-
teurs d’onde sur la sphère de surface
k2. Ainsi l’observation d’une pente
11/3sur la figure 2 est conforme à
la « loi de Kolmogorov ».
Lorsque l’angle de diffusion θ
devient supérieur à 10 mrad (et la
longueur d’onde observée λinfé-
rieure à 50 µm), l’intensité décroît
plus vite que par la loi de Kolmogo-
rov : on quitte le « domaine inertiel »
de la dynamique du gaz, les effets de
dissipation ne sont plus négli-
geables. Un point d’inflexion est
observé lorsque θ=50 mrad
(λ=10 µm). A cette échelle, le
terme de viscosité de l’équation de
Navier-Stokes devient aussi impor-
tant que le terme de convection non
linéaire : cette longueur marque
l’« échelle de dissipation ». Au-delà
de ce point, la décroissance du fac-
teur de forme est plus lente, jusqu’à
ce que celui-ci atteigne la valeur du
désordre cinétique (S(
k)=1) à par-
tir de θ=100 mrad (λ=5µm) et
pour tous les angles plus grands (et
les échelles plus petites).
LA DISTRIBUTION DE PROBABILITÉ
DES VITESSES
Le « facteur de forme » n’est pas le
seul paramètre qu’on puisse mesurer
par la diffusion exacerbée. D’autres
17
A la pointe de l’instrumentation
Figure 2 - Variation du facteur de forme avec le vecteur d’onde, dans la turbulence d’un jet d’air. Le
facteur de forme varie de douze ordres de grandeur, tandis que les échelles de longueur d’onde obser-
vées varient d’un facteur 200, depuis l’échelle macroscopique du jet (1mm) jusqu’aux échelles micro-
niques. Une droite, de pente (11/3), s’ajuste aux points de mesures les plus intenses : c’est la pente
prévue par la phénoménologie de Kolmogorov dans le domaine « inertiel » de la turbulence dévelop-
pée. Aux échelles microniques, le facteur de forme rejoint celui du gaz parfait, indépendant de l’échelle.
18
Encadré 2
LE FACTEUR DE FORME DYNAMIQUE
ET LES MOUVEMENTS DE GAZ
On peut mesurer l’amplitude et la phase du champ total diffusé
et leurs variations temporelles à l’aide d’une détection
«hétérodyne» (par battement, sur le détecteur, de la lumière
diffusée avec un faisceau laser de référence). Ces variations
traduisent le mouvement du gaz [équation (1) du premier
encadré]. On étudie cette relation en formant la fonction de
corrélation temporelle du champ diffusé,
ET(t)·
E
T(t+τ)
=
E1
2N
l=1N
j=1ei
k·[rl(t)−rj(t+τ)]
(1)
Lorsqu’on observe la diffusion à très petit angle (tel que le
produit du nombre d’onde kpar le libre parcours moyen soit
très petit), le mouvement microscopique des particules est
négligeable et le déplacement d’une particule pendant le
temps τest celui d’un élément du gaz dans son voisinage,
R(τ ).
On peut factoriser la moyenne statistique contenue dans
l’équation (2) en plusieurs moments différents. En effet, il
existe toute une classe de fluctuations non stationnaires dans
les gaz, les fluctuations « isobares », dans lesquelles la vitesse
du gaz en un point donné est indépendante de la valeur de la
densité au même point. C’est notamment le cas des gaz
turbulents lorsque l’écart-type de la vitesse est inférieur à la
vitesse du son. Dans ces gaz, les fluctuations dominantes
de la densité sont convectées avec la vitesse locale du gaz.
Alors la moyenne statistique incluse dans l’équation (2) se
factorise en deux termes
ET(t)·
E
T(t+τ)
=
E1
2N
j=1ei
k·rl(t)
2ei
k·
R(τ )(2)
La première moyenne est proportionnelle au « facteur de
forme » S(
k)[défini par l’équation (3) de l’encadré 1]. La
moyenne suivante est la « fonction caractéristique » de la
variable aléatoire « déplacement macroscopique »
R(τ ). On
la désigne par C,
k),
C,
k)=ei
k·
R(t|τ)(3)
car la variation temporelle de cette fonction caractéristique
est identique à celle de la fonction de corrélation du champ
diffusé. On peut mesurer la seconde : on obtient la première,
c’est-à-dire la transformée de Fourier (d’argument
k) de la
distribution de probabilité du déplacement du fluide (le long
de
k) pendant le temps τ.
La transformée de Fourier temporelle de la corrélation du
champ électrique est le « spectre dynamique » S,
k)des
fluctuations de densité. Dans les conditions ci-dessus,
S,
k)=S(
k)dτeiωτ C,
k)(4)
La relation entre fonction caractéristique et mouvements du
gaz est relativement simple dans deux cas limites :
le premier cas est celui où l’échelle des mouvements
macroscopiques LMest grande par rapport à la longueur
d’onde d’analyse λ(kLM>1). A l’échelle de λ, le mouvement
est rectiligne et s’effectue à la vitesse locale du gaz, v. La
distance parcourue pendant le temps τest
R(τ ) =. A
temps τfixé, la fonction caractéristique de la distribution
aléatoire de
Rse déduit donc directement de celle de la
distribution aléatoire de la vitesse du gaz v: la fonction
caractéristique est la transformée de Fourier d’argument
kτ
de la distribution de probabilité de la vitesse. En mesurant le
spectre S,
k), on effectue une seconde transformation de
Fourier sur la variable t(qui était dans l’argument de la
première transformation). Cette double transformation de
Fourier temporelle redonne la distribution de probabilité de la
vitesse. Ainsi l’intensité du spectre de la lumière diffusée à la
fréquence ωest proportionnelle à l’amplitude de la distribution
de probabilité de la vitesse à la valeur vtelle que ωsoit la
fréquence Doppler ω=
k·v.
Le second cas est au contraire celui où l’échelle du mouvement
macroscopique LMest petite par rapport à la longueur
d’onde d’analyse (kLM<1). Pour que le produit
k·
R(τ )
devienne de l’ordre de un (et que la fonction caractéristique
prenne une valeur significative), il faut que le déplacement
R
soit grand par rapport à LM. Un tel déplacement résulte de la
somme de déplacements indépendants : sa distribution de
probabilité est gaussienne ; on peut en tirer parti pour
expliciter la fonction caractéristique,
ei
k·
R(t|τ) =e(
k·
Rτ)2
2(5)
En outre, le déplacement (sur des distances grandes par
rapport à LM) varie comme dans un processus diffusif. Sa
valeur quadratique moyenne croît linéairement avec le temps.
Le taux d’accroissement de la valeur quadratique moyenne du
déplacement dans une direction donnée (par exemple, celle du
vecteur unitaire
k0) est lié au coefficient de diffusion D,
(
k0·
Rτ)2=2Dτ(6)
Ainsi dans ce second cas, la fonction de corrélation du champ
diffusé est une exponentielle décroissante avec un temps
caractéristique (k2D)1. Si, comme pour le cas précédent, on
observe le spectre fréquentiel de cette lumière diffusée, celui-ci
est constitué d’une raie de profil de Lorentz, dont la demi-
largeur à mi-hauteur ω est égale à k2D.
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