SANTONS ET SANTONNIERS
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dès lors prétexte
pour
une société à contempler son propre reflet miniaturisé,
à la fois réaliste et idéalisé puis nostalgique et elle devient peu à peu la mise
en scène
d'une
Provence ancienne, arcadicnne,
prétendument
intemporelle.
La
foire de la
Noël
sur
le
Cours,
où
l'on vend des santons au sens
nouveau du terme ainsi que des santibellis sacrés
ou
profanes, qui en sont
encore mal distingués, connaît une rapide expansion à Marseille dans les
premières décennies du
XIX
e siècle grâce aux figuristes qui forment un groupe
très réduit et soudé de professionnels du moulage dont le
santibelli
de terre
cuite paraît l'activité principale et qui alimentent des revendeurs. En marge
de ces ateliers apparaissent quelques figuristes-santonniers plus modestes,
dont
la « littérature créchiste » a transmis
les
noms. La fabrication des santons
reste en effet, hors des ateliers de figuristes, un métier d'appoint. Pendant
tout
le
XIX
' siècle, la fabrication
du
santon est essentiellement marseillaise,
Aix et Aubagne étant des centres
«santonniers»
qui
n'ont
apparemment
guère connu
les
figuristes et Avignon ayant des figuristes qui
ne
sont pas
santonniers. A Toulon, Cotignac ou Pélissanne, des fabricants d'origine mar-
seillaise ou aubagnaise
ont
eu néanmoins à la fin du siècle une production
importante grâce au large marché potentiel que constituaient
les
régions
environnantes, lentement gagnées au santon de crèche.
Dès le Second Empire,
le
santon est perçu localement comme une particu-
larité de
la
Noël
marseillaise. Il échappe à
la
crise
du
dernier tiers
du
XIX'
siècle qui fait disparaître les figuristes et met fin de la production
du
santibelli
de terre cuite. Le santon est en effet découvert par
les
folkloristes de la
fin
du
XIX
" siècle et
les
premières publications
«créchistes»
se doublent
d'une
action militante
pour
le « préserver
».
La promotion du santon et de l'artisanat
santonnier s'accompagne néanmoins chez
les
auteurs
«créchistes»
-en
particulier félibréens -d'une volonté normalisatrice: ils
le
définissent non
par ses fonctions mais par son principal matériau, l'argile pétrie par des
santonniers autodidactes, représentants ingénus et inspirés
du
peuple
pro
-
vençal; ils l'opposent au santibelli, qui depuis la fermeture des ateliers de
figuristes est réputé statue grossière de plâtre qui serait colportée dans les
rues par des immigrés italiens.
Les
sources anciennes deviennent dès lors
inintelligibles ou sont révoquées en doute, sitôt qu'elles mentionnent
le
santon,
de plâtre. La production de
ce
dernier est passée sous silence, voire dénoncée
comme exogène, d'autant que
ses
producteurs sont en général diplômés de
l'école des Beaux-Arts et correspondent médiocrement aux santonniers tels
que les littérateurs locaux
les
imaginent ou plutôt
les
souhaitent.
Le
santon connaît en fait au XX· siècle des transformations considérables
grâce à deux santonniers qui
sont
à l'origine
du
santon contemporain. La terre
cuite s'impose à l'initiative de Thérèse Neveu d'Aubagne
pour
permettre
l'expédition des figurines.
Ses
grands santons s'emparent
du
marché de la
statuette décorative à connotation régionale et de
la
crèche d'église, avant
d'être supplantés par un avatar du mannequin habillé des crèches d'église.
Pendant l'Entre-deux-guerres en effet, l'abbé César Sumien met au point une
formule de «santons
d'art»
qui combine la figure de cire que le Carmel