LECTURES Lectures 152 Mei «Médiation et Information» n°7 - 1997 Yves Winkin, Anthropologie de la Communication. De la Théorie au Terrain, DeBoeck Université, Paris, Bruxelles, 1996. 239 pages. Par Bernard Darras Autour du projet de création d'une anthropologie de la communication, Yves Winkin a rassemblé quelques-uns de ses articles publiés dans les années 80 et 90. Selon son habitude Yves Winkin, l'un des plus anglo-saxon des auteurs francophones, nous donne accès à ses multiples sources en provenance d'outre atlantique. Ne serait ce qu'à ce titre, cet ouvrage est précieux, Yves Winkin y explore et exploite une littérature, le plus souvent nord Américaine, de près de 220 ouvrages, parmi lesquels figurent ses auteurs préférés, aux premiers rangs : Ray Birdwhistell, Erwing Goffman, Dell Hymes et bien évidemment Gregory Bateson. Dans la lignée des travaux initiés par ceux qui furent ses professeurs aux États unis, Yves Winkin poursuit son entreprise de création d'une anthropologie de la communication. Communication qu'il considère essentiellement comme processus social et culture en actes. Dans un premier temps, l'auteur dresse le bilan des théories de la communication. Il y consacre six chapitres destinés à distinguer les modélisations linéaires de la communication - modélisations inspirées par les travaux de la cybernétique et la théorie mathématique de la communication - des approches communicationnelles élargies dérivées des travaux de Margaret Mead et Edward Sapir. Il en profite pour proposer une synthèse très pertinente des idées maîtresses de Bateson, Birdwhistell et Hymes. Dans une brève troisième partie, Yves Winkin confronte la pensée de Goffman à celle de Birdwhistell dans le but avoué d'exploiter l'un et l'autre avec le meilleur rendement pour l'anthropologie de la communication. Birdwhistell apporte la dimension synthétique alors que Goffman offre ses mille et une notions à "basses portées" qui sont aisément opérationnelles. La quatrième partie de cet ouvrage est consacrée à une très instructive et volontairement pédagogique initiation à la démarche ethnographique. Elle se clôt astucieusement et généreusement par une bibliographie spécialisée en ethnographie et anthropologie ainsi que par une liste d'ouvrage d'initiation. Finalement, selon l'invitation de Goffman, c'est sur le terrain que se jugent les théories de l'auteur. Yves Winkin nous entraîne successivement chez le coiffeur, dans les ambitions multiculturelles 153 Lectures et pacifistes des Maisons Internationales, à sa suite dans l'étonnante université de K. "au milieu de nulle part" dans le Wisconsin, à la terrasse des cafés de Liège et de Rabat et finalement de nouveau dans le Maghreb pour une étude de l'illusion touristique. C'est avec beaucoup de simplicité dans l'exposé et de modestie quant à son rôle de théoricien et de chercheur que Yves Winkin nous présente son projet d'anthropologie de la communication. Il y joue tour à tour le rôle de guide et de passeur et propose de regarder et d'étudier le monde à hauteur du quotidien. Il nous invite à comprendre le monde de la communication et des ethos aux rythmes lents. Ce monde qui ronronne régulièrement à l'arrière des univers tordus, agités, et fracassés qui ont eux la préférence des grandes machines à survolter que sont les médias. Les genres télévisuels dans l’enseignement, coordonné par Geneviève Jacquinot et Gérard Leblanc, avec la collaboration de Claude Bailblé, Thierry Lancien et Michel Serceau, C.N.D.P., éd. Hachette Education 1996. Par Janine Delatte Comme le soulignent les auteurs, un ouvrage concernant l’audiovisuel et ses potentialités pédagogiques peut surprendre à l’heure du multimédia; ce serait oublier les réticences dont témoignent les enseignants à l’utilisation de documents non didactiques dans l’apprentissage. Parvenir à inclure l’audiovisuel dans l’enseignement, à modifier les pratiques pédagogiques au delà des tentatives timides, ponctuelles ou le plus souvent expérimentales, faisant office de « vitrine » au projet toujours réaffirmé d’inscrire la pédagogie dans la modernité, telle est l’ambition de ce livre qui s’achève sur un ensemble de règles d’usage pédagogique des documents audiovisuels mais aussi multimédias. Cet ouvrage rassemble cinq contributions d’enseignants-chercheurs, spécialistes de l’audio-visuel, du cinéma et de leurs rapports à l’éducation. Chacune aborde un aspect particulier (audiovisuel et pédagogie, genres télévisuels, transmission du savoir, traitement du réel, audiovisuel et imaginaire) fait le point sur les connaissances relatives à l’audiovisuel accumulées depuis plusieurs décennies et s’inscrit dans un projet commun de propositions d’un enseignement « par » l’image et « à » l’image. Pour les auteurs, il s’agit moins de s’attarder sur ce que peut explicitement contenir d’information et transmettre des connaissances la production audiovisuelle que de l’envisager (du documentaire conçu à des fins pédagogiques au reality show en 154 Mei «Médiation et Information» n°7 - 1997 passant par le journal télévisé et la fiction) comme autant de « textes » susceptibles d’être exploités dans le cadre de la pédagogie. Tous les documents audiovisuels ne sont pas identiques du point de vue pédagogique mais chaque genre recèle des ressources dont peut tirer profit l’enseignement à condition d’en finir avec les découpages en genres et supports, avec la dichotomie entre fiction et réalité et de développer une analyse de l’audiovisuel en tant que langage et écriture spécifiques participant à l’accès aux savoirs et aux savoirs faire A cette fin, Geneviève Jacquinot croise les approches relevant des sciences cognitives, des sciences de l’éducation et de la sémiologie afin d’amener les enseignants à dépasser la distinction instituée entre documents conçus pour apprendre et l’ensemble de la production audiovisuelle et à intégrer le rôle de l’image (et des sons) dans les processus complexes de l’apprentissage. Gérard Leblanc montre comment le découpage et le fonctionnement des secteurs de l’audiovisuel contribuent à la reproduction sociale et ceci à partir de l’analyse des relations qu’ils entretiennent avec la réalité sociale et plus particulièrement avec les rapports travail/loisirs qui structurent nos sociétés. Claude Bailblé analyse la démarche du cinéaste confronté à la scénarisation du savoir et à la transposition des concepts en image et en sons. C’est aussi autour de la question de la place du réel et de sa scénarisation que Thierry Lancien interroge les documents à visée informative (du journal télévisé au documentaire). Enfin Michel Serceau s’attache à analyser le rôle de l’imaginaire dans le procès de connaissance et à montrer que les adaptations de récits littéraires ainsi que les fictions historiques doivent être moins considérées sous l’angle de leur « fidélité » au texte ou à la situation qu’envisagées comme mise en perpective d’une œuvre littéraire ou d’un événement historique. Au terme de cet ouvrage se dessine une « éducation à l’audiovisuel et aux médias » des enseignants et les contours de nouvelles pratiques permettant d’inclure l’audiovisuel dit « classique » et le multimédia dans l’enseignement. Ce livre n’apporte pas de connaissances nouvelles relatives à l’audiovisuel, il en constitue une synthèse dont l’intérêt tient à leur mise en perspective pédagogique. L’objectif de ces textes est d’ouvrir la réflexion sur les usages des nouvelles technologies. Pour les auteurs, il ne s’agit pas de se limiter à l’audiovisuel « classique » mais de prolonger et renouveler la recherche sur les situations particulières de perception et de représentation introduites par le multimédia et l’interactivité et ceci à partir des acquis théoriques concernant l’audiovisuel. Précisant ce qui les distingue et ce qui les rapproche du point de vue pédagogique les auteurs proposent un certain nombre de principes, 155 Lectures une méthodologie pouvant éclairer les enseignants dans leurs choix, les inciter à de nouvelles pratiques afin qu’ils cessent de concevoir les documents audiovisuels comme compléments censés « sensibiliser » et « illustrer » des contenus pédagogiques, qu’ils les intègrent comme « textes » à part entière et qu’ils s’envisagent comme « médiateurs » de leur réception et de leur interprétation dans l’enseignement. Armand MATTELART, La Mondialisation de la Communication. PUF. Que sais-je. N° 3181. Par Marie Thonon. Venant après L'invention de la communication et La communication-monde, voici un Que sais-je sur La mondialisation de la communication. C'est pourquoi, conformément à la règle de ces petits ouvrages de popularisation très condensés qui veut qu'ils soient mauvais ou excellents puisqu'ils sont la preuve de la maîtrise d'un sujet, celui d'Armand Mattelart est excellent. En effet, c'est tout cet énorme travail précédent qui permet à cette synthèse d'être à la fois, sur une question aussi complexe et polémique, un instrument d'analyse du monde contemporain dans sa dimension internationale et également d'en penser les situations singulières. Pourquoi ? Parce que le travail est généalogique, géo-politique et épistémologique tout à la fois. Parce que l'internationalisation n'est pas un phénomène nouveau lié seulement aux technologies, parce qu'à cause d'elles le partage du monde est remis en jeu, parce que le savoir se doit de mettre en commun et en cause les concepts issus de champs disciplinaires séparés ce qui, d'ailleurs, est l'enjeu même et l'intérêt du champ de la communication. Armand Mattelart s'attache à reterritorialiser l'intelligence du monde en proie à l'idéologie de la "globalisation". Se donnant comme objet d'analyse l'actuelle "interconnexion généralisée des économies et des sociétés", il reprend et développe le concept de Fernand Braudel (économie-monde) afin de faire surgir les significations de l'internationalisation d'un mode d'échanges des biens, des corps, des images et des messages qui a finalement figuré et organisé le monde. La réalisation de "l'éternelle promesse", celle "d'un monde meilleur parce que solidaire" ou plutôt le nouvel espace "de luttes pour la maîtrise du monde" ? "L'universalisation contemporaine du système productif et technoscientifique reste, plus que jamais, marquée par l'inégalité des échanges". 156 Mei «Médiation et Information» n°7 - 1997 Partant de l'analyse de deux universalismes contradictoires, celui des Lumières et celui du Libéralisme, Armand Mattelart retrace leur généalogie conjointement à celle de la constitution des réseaux techniques de communication. A la fin du 19° siécle, les réseaux du télégraphe électrique, du train, du câble sous-marin, des radiocommunications, organisent un nouveau maillage du monde et ses représentations de solidarité généralisée. La fin du 20° siècle qui a réalisé l'empire des réseaux se confronte d'ores et déjà à la fragmentation, à la segmentation, à la désintégration, constituant de nouvelles périphéries proliférantes et massives. Il y faut l'audace et la maîtrise du chercheur pour affranchir les disciplines de leurs frontières et les savoirs de leurs territoires pour affronter ce paradigme de la nouvelle société globale qu'est la communication mais qui n'est déjà plus symbole de progrès ni porteur d'utopie. Ainsi est posé l'ultime enjeu de ce travail "car s'il est sûr que c'est trop requérir de la technique que de lui demander de sauver le monde, il n'en est pas moins vrai qu'elle constitue une donnée cruciale de la re-définition du contrat social et des institutions au plan local et national comme à l'échelle monde". Bernard Darras. Au commencement était l'image, du dessin de l'enfant à la communication de l'adulte. Paris, ESF, Collection Communication et Complexité, 319 pages par Jean-Paul Desgoutte L'image, dit-on, s'adresse à l'affect et le verbe à l'intelligence, d'où le fétichisme idolâtrique et les fureurs iconoclastes qui depuis l'origine, traversent cultures et religions. L'image n'est pas logique mais analogique, elle ne se prête pas au jeu des affirmations et des négations qui caractérisent le langage verbal et ont permis le développement de la science. Elle est donc considérée traditionnellement «comme une écriture de pauvres et d'analphabètes »... on pourrait ajouter ou préciser: un mode d'expression caractéristique de l'enfance ou des « cultures primitives ». L'interrogation sur les raisons de la défaveur attachée à l'image, a conduit Bernard Darras à réaliser une vaste étude consacrée à « l'imagerie initiale », terme sous lequel il rassemble les dessins d'enfants et les productions adultes «naïves», libres d'ambition artistique ou de finalités réalistes. Ce travail lui a permis à la fois d'étudier les pratiques d'apprentissage individuel du dessin, d'en 157 Lectures établir une étude comparative selon des aires culturelles variées et de s'interroger sur les universaux hypothétiques du comportement figuratif initial. C'est ainsi que l'auteur propose une typologie de l'imagerie initiale qui s'organise en différents registres. Il distingue les iconoyypes, les similis et les schémas, et met à jour les procédures de simplification, de réduction, d'abstraction qui en accompagnent le travail de catégorisation. Cette typologie s'inscrit dans le cadre plus général d'une réflexion sémiotique, inspirée des travaux de C.S. Peirce et de la psychologie cognitive. Le dépouillement de l'imagerie initiale conduit tout naturellement à une réflexion sur les formes et le devenir de l'écriture, du pictogramme au symbole, et sur la nature du processus cognitif complexe qui médiatise la production figurative. Quelle est la part, dans le dessin initial, de l'imitation immédiate de l'objet perçu et celle de la représentation d'une image mentale - plus ou moins élaborée par la mémoire et ce qu'elle manifeste d'acquis culturels ? Autrement dit, quelle est la part du dessin qui procède de la perception du réel et quelle est la part qui procède de son élaboration cognitive et de la construction sociale des résumés cognitifs ? A travers quelques exemples empruntés aux cultures médiévale, byzantine et kanake, la réflexion s'élargit à la problématique de la représentation culturelle de l'espace, et à l'usage que des cultures et des époques diverses ont pu faire du fonds universel de l'imagerie initiale. Elle débouche enfin sur un vif plaidoyer en faveur du développement de l'intelligence figurative, par la réhabilitation de l'imagerie initiale dans la communication ordinaire comme dans l'enseignement. Pierre Fresnault-Deruelle. L’Image Placardée. Paris, Nathan Université, 1997. 186 Pages. par Bernard Darras Pierre Fresnault-Deruelle est l’un des sémiologues français les plus prolifiques. Ses nombreux écrits ont la particularité d’être majoritairement consacrés à l’image fixe qu’il analyse avec les outils d’une sémiologie qui s’inscrit dans la lignée des travaux de Roland Barthes d’une part, et de l’École de Paris d’autre part. Toutefois, Pierre Fresnault ne s’embarrasse pas de doctrine et encore moins d'exposés théoriques, ce qui lui importe c’est l’image et le parcours qu’il y fait. En le lisant ici comme dans d’autres 158 Mei «Médiation et Information» n°7 - 1997 ouvrages, on devine la jouissance qu’il éprouve lors de ces exercices fort stimulants qu’il appelle « lecture ». Pierre Fresnault développe une sémiologie de l'interprétance virtuose. Dans ses savantes explorations, il assume l'hypothèse que l’essentiel de la signification résulte du tissage des signes et de la réticulation préorientée des significations. "Comment passer du signe au sens - ce mouvement du texte du message que nous nommons "lecture" - et qui consiste à mettre en phase le texte et le contexte - contexte que les historiens et les sociologues essaient toujours de reconstituer. (p. 108). Pierre Fresnault propose ici un ouvrage en deux parties. La première interroge le phénomène particulier de l'affiche dans son mode opératoire spécifique, le placardage. Ses regards sur le médium et les usages qui en découlent, sont une enquête très précieuse sur la fonction cardinale mais non exclusive de l’affiche qui consiste à « montrer pour ne pas avoir à démontrer. » ( p. 33). La seconde partie de cet ouvrage est consacrée à des études de sémio-rhétorique qui en décousent avec la sémiurgie. Une fois établis le démontage puis le remontage des effets de rhétorique et des faisceaux de sens, Pierre Fresnault développe de remarquables études des arrières plans qui constituent ces images placardées en "objets de civilisation". 159