13 janvier 2012 On a longtemps pensé que Zaraϑuštra portait une

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Jean Kellens – Les Gâthâs dites de Zaraϑuštra et les origines du mazdéisme
13 janvier 2012
On a longtemps pensé que Zaraϑuštra portait une condamnation contre l’usage du haoma, la liqueur
enivrante. Deux passages gâthiques peuvent en effet être interprétés comme tel : a) Y 32.14, le mauvais prêtre fait
flamboyer/rend limpide ( o ii ) une chose qualifiée de dūr oša- (véd. duróṣa(s)- qui est une qualification possible du
soma), et b) Y 48.10, où il est question de mūϑra- « urine » et d’ « ivresse » ( hiiā m d hiiā) qui donne des maux de
ventre (rup). On doit à H. Humbach une relativisation de ce que apparaît comme des condamnations : ce serait
seulement une certaine pratique de l’offrande du haoma qui serait condamnée. Selon l’Avesta récent la seule pratique
admise est celle du haoma « mêlé de lait » (yō g uu ). Ceci trouve un parallèle dans les Védas où l’on distingue entre
deux sortes de soma : le soma pure, limpide (suci-) et celui qui est mêlé de lait caillé (dadhi + ā ir).
Dans le rite du Yasna récent, il y a trois offrandes de haoma : a) en Y 9-11.10 on lui dédie un éloge et le prêtre
boit deux gorgées. L’une exalte sa pensée et la seconde est un gage d’immortalité. Ce faisant, le prêtre offre son corps
au haoma qui est mort lors du pressurage ; b) puis, il y a le Hōmāst (« Consécration de haoma »), Y 22-27, où l’on
pressure la plante sur l’aire sacrificielle ; c) enfin, selon le Dastour Kotwal, le pressurage commence quand on récite le
dernier vers du Y.33.4. Puis on fait une libation à terre du jus mêlé de lait, à la droite de l’autel du feu lors de la
récitation du dernier hémistiche du Y 33.11.
Peut-on trouver dans ces pratiques quelque chose d’attribuable à l’Avesta ancien ? La réponse est purement
théorique : on pourrait imaginer que l’amplification du rite que nous avons constaté précédemment pour l’immolation
animale (depuis le Y 34.1 juqu’au Y 58) se produit également pour le pressurage haomique depuis le Y 9 jusqu’au Y
33.14. Voici ce qui nous invite à le penser : au seuil de la récitation des Gâthâs, le Y 27 (fin du Hōmāst) comporte une
invocation du dieu Sraoša qui incarne les sonorités du rite (la récitation des textes et les bruits du pressoir), et aux
strophes 8-11 nous avons une citation du Y 33.11-14. Ainsi, l’auteur du Yasna récent a conscience qu’il y a connexion
entre l’écoute des divinités, l’offrande de haoma et l’accroissement du pouvoir ahurique. Le verbe r o ā « écoutez » (Y
33.11) va établir ce lien, et les mots Sraoša et Xšaϑra (« pouvoir ») sont en coordination directe à la fin de Y 33.14. La
sonorité du rite a accru le pouvoir d’Ahura Mazdā et donné à l’officiant le pouvoir sacrificiel absolu.
Vérifions les indices d’un rite haomique dans les Gâthâs (bien qu’il ne soit pas nommé explicitement), là où
commence le 3ème pressurage au Y 33.4 après une récitation anti-démoniaque :
Moi qui veux expurger ton (sacrifice) du refus d’entendre, de
la mauvaise Pensée, de l’indifférence de la famille, de la
Tromperie contiguë au clan, des rouspéteurs de la tribu, et
(expurger) la pâture de la Vache du pire procédé-mental.
y ϑβa mazdā asruštīm, akəmcā manō yazāi apā
aēt ušcā tar maitīm , vərəz na iiācā nazdištąm drujəm
airiiamanascā nadəṇtō, g ušcā vāstrā acištəm maṇtūm
Cette transition se retrouve dans le Y 9.27-29 où l’on établit le pouvoir de haoma sur les cercles de
l’appartenance sociale desquels on a repoussé des forces négatives.
Y 33.5
Moi qui invoque ton Sraoša qui conduit si bien chacun, au moment
de dételer,
après avoir atteint le Pouvoir de la Bonne Pensée sur la longue vie,
au bout des chemins directs jusqu’à l’Agencement, là où, ô Mazdā,
habite l’Ahura.
yastē vīsp .mazištəm, səraošəm zbaiiā auuaŋhānē
apānō darəgō.jiiāitīm, ā xšaϑrəm vaŋh uš manaŋhō
a ā ā ərəzūš paϑō, yaēšū mazdā ahurō šaēitī
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Jean Kellens – Les Gâthâs dites de Zaraϑuštra et les origines du mazdéisme
Y 33.6
y zaotā a ā ərəzūš, …
Moi le libateur…
Voici ce que j’attends, ô Ahura Mazdā, à te voir et à
m’entretenir avec toi :
tā tōi iziiāi ahurā, mazdā darštōišcā h m.parštōišcā
Y 33.7
…āuuiš n aṇtarə h ṇtū, nəma aitīš ciϑr rātaiiō
Que manifestes entre nous soient les clairs cadeaux de
l’hommage!
Y 33.8
…dātā v amərət scā, utaiiūitī hauruuatās draonō
Vous avez fait votre ration-rituelle de l’immortalité, de la
jeunesse (avec la force) et de la santé.
Dans cette strophe on demande aux dieux de se présenter comme les objectifs du sacrifice, mais ce n’est pas une
demande d’immortalité, car le verbe dā- est actif et construit en double accusatifs, c’est donc une offrande
d’immortalité.
Y 33.9
a aoxšaiiaṇt sarəidiiaii … aii ārōi hākurənəm,…
… des deux… accroissant l’Agencement… a été mis en
mouvement…
Y 33.10
… vohū u šiiā manaŋhā, xšaϑrā a ācā uštā tanūm
Je fais croître à volonté mon corps par la Bonne Pensée, le
Pouvoir et l’Agencement
On parle ici pour la première fois de quelque chose de matériel, le corps. Ceci rappelle le corps que le zaotar offre au
haoma.
Y 33.11 [ À Ahura Mazdā, Ārmaiti, Aša frāda .gaēϑəm, Vohu Manah et Xšaϑra : ]
… sraotā mōi mərəždātā mōi, ādāi kahiiāicī paitī
Ecoutez-moi, ayez pitié de moi, lors de chaque présentation
Y 33.12
us mōi uzārəšuuā ahurā, ārmaitī təuuīšīm dasuuā
Lève-toi devant moi, ô Ahura, prends la force par la Juste-pensée
Y 33.13
… frō spəṇtā ārmaitē, a ā daēn fradaxšaiiā
Y 33.14
a rātąm zaraϑuštrō, tanuuascī
O bienfaisante Juste-pensée, selon l’Agencement, propulse les
d ēnās !
Voici que Zaraϑuštra fait un premier cadeau de l’animation de son
propre corps … [à Ahura Mazdā et à Aša] → [Sraoša et Xšaϑra]
a ii uštanəm
dadāitī pauruuatātəm, …
Puisque le corps a été offert, ce qui reste de disponible est l’uš n , une âme mortelle. Au Y 11.18 aussi le
zaotar fait cadeau aux Amǝša Spǝnta de son uš n . A l’aboutissement de l’ingestion du haoma dans le Hōm Stōm, il y a
don de la mobilité du corps.
C’est à la suite de cette offrande au haoma, on va procéder au sacrifice animal (Y 34).
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