Un domaine encore flou
Les auteurs du décret de compé-
tence de mars 1993 mention-
nent l’entretien infirmier, mais ne l’ont
ni défini, ni décrit, souligne Anne-
Marie Leyloup, infirmière, auteur
d’un livre sur l’entretien infirmier
(L’Entretien infirmier) et d’une maî-
trise en recherche clinique. On peut
s’en désoler. Mais aussi s’en réjouir,
puisque il est possible dès lors d’en
avoir mille lectures. »
Définitions difficiles
et lents débuts
«L’entretien est un soin parmi toute
une palette d’autres soins, poursuit
Anne-Marie Leyloup. Pour l’infir-
mier, cet outil va servir tant à la pla-
nification qu’à l’évaluation des soins
dispensés. » Si l’infirmier dispose
d’un savoir sur la maladie, le pa-
tient reste porteur de divers symp-
tômes, comme de son propre sa-
voir sur cette maladie. L’entretien
permet, entre autres, l’échange et
le partage de ces informations.
Le décret de compétence men-
tionne l’entretien infirmier, dans le
cadre du rôle propre, à propos de
l’entretien d’accueil et d’orienta-
tion. De nouveau, il y fait allusion
à propos de la relation d’aide, dont
l’entretien est une des techniques.
Ce décret fait aussi référence à un
“entretien à visée psychothérapeu-
tique” dans le cadre du rôle délé-
gué, sur prescription donc.
«Les infirmiers emploient peu, de
manière spontanée, le terme d’en-
tretien infirmier, dit Emmanuel
Digonnet, infirmier en psychia-
trie et co-auteur du livre L’ En-
tretien infirmier.Certains lui pré-
fèrent celui de “dialogue”, de “col-
loque singulier”, de “discussion” ou
bien encore de “rencontre”. Il sem-
ble cependant que tous reconnais-
sent dans ce terme leur pratique. »
En revanche, l’entretien, fût-il in-
firmier, n’est pas toujours facile et
fructueux. «On n’obtient pas tout
du premier coup, poursuit-il. Il faut
en accepter la frustration. Mais la
vigilance, au cours de l’entretien,
reste cruciale. En psychiatrie, il ar-
rive qu’un patient, pendant sept ans,
dise toujours la même chose au
centre d’accueil. Mais, un jour, il in-
troduit un élément neuf. Son impor-
tance cruciale ne peut être perçue
que si l’infirmier est disponible. »
De jeunes infirmières peuvent se
demander quel matériel recueillir
alors, et comment discerner celui
qui permettra de faire évoluer le
patient. La bonne attitude, parce
qu’en psychologie rien n’est simple,
peut sembler paradoxale. «Je n’ai
peut-être pas à vouloir “faire quelque
chose” du patient ! dit Emmanuel
Digonnet. Il ne s’agit pas de le fa-
çonner à tout prix pour qu’il aille
mieux. » La relation d’aide néces-
site avant tout d’être attentif à la
masse complexe d’informations
délivrée par la personne malade.
«Soin relationnel par excellence,
l’entretien met en jeu de multiples in-
teractions et échanges d’informations
entre l’infirmière et la personne en
souffrance, laquelle demande de
l’aide de façon explicite ou non », dit
Anne-Marie Leyloup. On dis-
tingue les entretiens formels et in-
formels. Les premiers peuvent se
dérouler sur rendez-vous, dans
un bureau. L’entretien informel, en
revanche, c’est se rendre dispo-
nible lorsque cela semble utile.
«En psychiatrie, l’entretien formel,
dans un bureau, peut être difficile
pour certains types de patients », fait
remarquer Emmanuel Digonnet. Il
arrive que les locaux ne s’y prêtent
pas. Une pièce peut demeurer
lourde de sens pour un malade dif-
ficile, car elle a été surtout utilisée
pour le convoquer et le répriman-
der. Certains bureaux sont trop
exigus. «Il m’arrive donc de propo-
ser à un patient de faire un tour dans
le jardin, afin de mener un entretien
infirmier avec lui », poursuit-il.
Entretiens et transmissions
Les soignants se demandent sou-
vent ce qui doit faire l’objet de
notes écrites, de transmissions
écrites ou orales. «Il faut distinguer
les notes prises pour soi, dans le cadre
du suivi d’un patient, et ce qui est noté
dans le dossier de soins, précise Em-
manuel Digonnet. Le seul entretien
faisant nécessairement l’objet d’une
retranscription écrite dans le dossier
de soins reste l’entretien d’accueil. »
Les notes “prises pour soi” peuvent
être importantes aussi, mais relè-
vent d’un autre travail. «Lors des
entretiens suivants, ces notes ne sont
pas forcément utiles immédiatement,
poursuit-il. En revanche, elles le se-
ront peut-être lors du cinquième ou
du sixième entretien, pour vérifier
une hypothèse. » Pour chaque ren-
contre, la seule chose à noter dans
le dossier de soin du patient peut
être : “entretien infirmier” et la
date. L’équipe sait que cet outil est
utilisé avec tel patient par tel soi-
gnant. Il est possible d’en discuter
lors de transmissions orales ou de
réunions d’équipes hebdoma-
daires. Cela n’a donc rien à voir
avec le fait de “bricoler une théra-
pie dans son coin”. L’entretien in-
firmier fait appel au savoir-faire
comme à l’autonomie du soignant,
en s’appuyant sur le travail collec-
tif et la “cohérence thérapeutique”
de toute l’équipe.
Troubles psychotiques :
vignette clinique
Patricia a vingt et un ans. Brillante
élève ayant obtenu son bac S avec
mention, elle commence un
Jusqu’alors laissé à l’abandon, l’entretien infirmier, cité
dans le décret de compétence, reste un domaine à
défricher. Plusieurs lectures sont possibles. Quelques
repères pour le définir.
Entretien infirmier
10 Professions Santé Infirmier Infirmière - No30 - octobre 2001
«
●●●
DEUG de math. Elle quitte
donc sa famille pour intégrer la fac
à200 kilomètres. Mais elle redouble
sa seconde année. «La jeune femme
n’arrive pas se faire des amis parmi
les autres étudiants, et passe la
plus grande partie de son temps
dans sa chambre de cité U, précise
Emmanuel Digonnet, elle consulte
son médecin après plusieurs nuits
blanches. Ce qu’elle lui confie le conduit
à l’adresser au CMP (centre médico-
psychologique) de son quartier. »
Patricia s’y rend en consultation
depuis un mois et demi. Devant la
recrudescence de certains symp-
tômes, son psychiatre l’adresse
au centre d’accueil et de crise
(CAC) de ce secteur de psychia-
trie. Patricia y est accueillie par un
infirmier qui, après s’être présenté,
lui propose de la recevoir dans un
bureau. Celui-ci la questionne.
Sait-elle où elle se trouve et la rai-
son de sa venue ? Il écoute Patri-
cia, qui se demande si elle a bien
fait d’accepter de venir, au lieu de
rentrer chez elle. Devant son
anxiété, l’infirmier lui explique le
fonctionnement du centre. «Au
cours de l’entretien, l’infirmier re-
marque qu’elle s’arrête parfois de
parler et se retourne, dit Emmanuel
Digonnet. Il lui demande si elle en-
tend quelque chose. Elle répond que
ce n’est rien : “Ce doit être une porte
qui a claqué”. »
Un premier entretien doit per-
mettre à l’infirmier de répondre
aux principales questions du pa-
tient : “Où suis-je ?”, “Que va-t-on
me faire ?”, “Comment fonctionne
le service ?”, etc. L’infirmier doit
aussi se faire une idée : “Qui est
ce patient ?”, “Pourquoi est-il là
aujourd’hui ”, “Quelle est sa de-
mande explicite ?”, “Quelle est sa
demande réelle ?”. La qualité de ce
premier entretien conditionne sou-
vent la suite de la prise en charge.
L’écoute, la disponibilité, la mise en
confiance sont autant de signes et
de qualités qui vont influencer l’at-
titude et l’état du patient.
L’infirmier ayant appris que le mé-
decin de la consultation adresse
Patricia pour une hospitalisation,
cet entretien reste bref. En effet,
celle-ci va voir le médecin qui ef-
fectuera son admission. L’infirmier
assistera à ce second entretien.
«Entre-temps, l’infirmier a commu-
niqué au médecin les éléments qu’il
a pu recueillir au cours de l’entretien
d’accueil, précise Emmanuel Di-
gonnet. Le médecin n’aura pas à
faire raconter la même chose à la pa-
tiente. En revanche, il est attentif à
certains signes. L’attitude de la pa-
tiente au cours de l’entretien d’ac-
cueil, décrite par l’infirmier, le
conduit à rechercher les signes qui in-
diqueraient que Patricia entend des
voix. » Ce deuxième entretien ter-
miné, l’infirmier présente le ser-
vice à la patiente. Il l’installe dans
sa chambre. Il est temps de la lais-
ser se reposer, après ses trois en-
tretiens (avec son médecin traitant,
l’infirmier, ainsi qu’un médecin du
centre d’accueil).
Disponible et rassurant
Vers 18 heures, quand le jour et
l’animation du CAC tombent, Pa-
tricia se demande de nouveau si
elle a raison de rester là. Il faut
alors être disponible et rassurant.
Un nouvel entretien n’aura lieu
que le lendemain. L’infirmier lui
propose de la recevoir dans un
bureau. Il l’écoute. Patricia est fi-
nalement rassurée. Pour l’aider à
dire ses difficultés, l’infirmier n’a
pas recours à l’interrogatoire. Il se
contente d’être attentif à ce qu’elle
dit. Il ne fait qu’une brève relance
quand elle parle de la séparation
d’avec sa famille, afin de savoir si
elle en souffre, et en quels termes
elle est avec ses proches. Refor-
mulant ce qu’elle lui dit, il s’as-
sure qu’il a bien compris. Puis,
ensemble, ils tentent d’élaborer
les moyens pour qu’elle aille
mieux.
Deux jours après son entrée, Pa-
tricia vient voir l’infirmier. Elle dit
vouloir lui parler de sensations bi-
zarres. Patricia lui confie qu’elle
se sent dans du coton. Ses sensa-
tions sont émoussées. Elle a la
bouche sèche. Devant ces im-
pressions désagréables, l’infirmier
parle avec elle de son traitement.
Ils nomment ensemble les diffé-
rents médicaments qu’elle prend.
C’est utile d’y revenir même si le
médecin lui a bien dit ce qu’il lui
prescrivait. «Aborder la question
du traitement, ce n’est pas s’entre-
tenir de molécules, dit Emmanuel
Digonnet, c’est parler de symp-
tômes, de maladie, d’effets secon-
daires et de vie quotidienne. »
Après six jours d’hospitalisation,
l’infirmier va trouver Patricia dans
sa chambre un après-midi. Elle s’y
est réfugiée à la fin du repas, du-
rant lequel elle n’a pas desserré les
dents. Aux premières réponses de
la patiente à ses questions, il s’as-
seoit sur la chaise, à distance du
pied du lit. L’entretien se poursuit
sans qu’il ait souhaité le forcer.
L’infirmier parle de ce qu’il a ob-
servé, propose des explications,
et, peu à peu, aide Patricia à ex-
primer son angoisse. Il est impor-
tant d’aborder cela, à la veille de
sa sortie. Que fera-t-elle si une
crise se produit chez elle ? Com-
ment faire appel au centre d’ac-
cueil ? Faut-il venir ou télépho-
ner ? Il est d’autant plus facile
d’envisager de telles situations
qu’ils se connaissent mieux.
A la sortie de Patricia, une ren-
contre est organisée entre son psy-
chiatre traitant, le médecin l’ayant
suivi durant l’hospitalisation et un
infirmier du centre d’accueil. «Il
s’agit de retracer les quelques jours
venant de s’écouler, dit Emmanuel
Digonnet. L’hospitalisation ne doit
pas être une parenthèse obscure,
mais un moment de crise considéré
comme essentiel dans l’histoire de
la maladie. Le travail effectué alors,
notamment lors des entretiens, va
constituer des repères et des res-
sources pour le patient. » Pour
poursuivre cette démarche, une
rencontre mensuelle avec un in-
firmier du centre d’accueil est pro-
posée, en alternance avec celles de
son psychiatre traitant.
Marc Blin
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No30 - octobre 2001
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Entretien infirmier
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