Territoires, incubateurs de santé ? Les Cahiers de l’IAU îdF n° 170-171 - septembre 2014 Convier d'autres savoirs et savoirs-faire L’économie au service de la santé, quels apports ? Jean-Luc Cormier/Le Bar Floréal/IAU îdF Julien Mousquès IRDES Véronique Raimond Haute autorité de Santé Construire des territoires en santé L’économie, par ses différentes méthodes d’évaluation, fournit de précieux outils d’aide à la décision en santé. es disciplines des sciences humaines sociales portent un regard évaluatif souvent complémentaire sur les politiques publiques. Là où les politistes et sociologues s’intéressent principalement aux processus et aux dynamiques des acteurs en action afin d’identifier les leviers et les barrières à la mise en œuvre de ces politiques, l’économiste cherche, lui, davantage à mesurer de façon la plus précise et robuste possible les implications en matière d’allocation des ressources rares, en présence d’alternatives donc de coûts d’opportunité, et d’impact, de rendement, consécutif de cette allocation, ceteris paribus(1). Cela se traduit, dans l’application au champ de la santé, par le recours, au niveau macro-économique, à de grands concepts en matière d’efficacité et de qualité des soins (effectiveness) : les performances en terme d’état de santé ; d’équité (equity) : les performances en termes d’équité et d’accès au système ; d’efficience (efficiency) : le rapport entre l’efficacité et le coût. Au niveau micro-économique, il s’agit de comparer le différentiel d’impact entre une option principale et des alternatives, la plus courante étant de ne rien faire, par exemple entre des stratégies diagnostiques ou thérapeutiques, d’organisations de soins, de dispositifs assurantiels. L’évaluation micro-économique en santé pose, à l’économiste, deux grandes catégories de problèmes méthodologiques : l’évaluation du bilan entre des coûts et des résultats et l’identification d’un effet causal à partir de données empiriques. L Les liens entre urbanisme et santé ont impulsé des développements ou des réflexions sur de nouvelles réponses en matière de politiques publiques, d’actions ou de programmes en santé, mais aussi en matière architecturale, urbanistique et sanitaire. Les sciences sociales, et en particulier la science économique, apportent quelques éléments de réponse méthodologique en matière d’allocation des ressources et d’évaluation de leurs impacts. L’évaluation du bilan coûts/résultats L’évaluation du bilan entre des coûts et des résultats (avantages), sur une période de temps donnée, en présence ou non d’alternative s’inscrit dans une approche welfariste et a été développée dans une perspective de maximisation du résultat de santé obtenu à partir d’un budget préétabli. Elle vise à identifier les interventions de santé qui, financées par la collectivité, produiront le plus grand gain possible en santé. Trois approches peuvent être mobilisées, dans lesquelles le critère de valorisation du gain en santé varie. Dans l’analyse coût/efficacité, le résultat de santé se mesure directement, sous la forme d’un événement clinique ou d’un marqueur prédictif du résultat clinique ; l’analyse aboutit à un résultat de type coût par année de vie sauvée, coût par événement évité ou coût par réduction d’un facteur de risque. Or, cette approche ne permet pas d’intégrer plus d’une dimension du gain en santé. Par exemple, une analyse en années de vie gagnées ne tiendra pas compte de la qualité de vie. De plus, une analyse fondée sur des événements cliniques particuliers (exemple : comparer des interventions selon un critère de coût par infarctus évité), si elle apparaît comme plus lisible, ne permet pas de comparaison interpathologie. La seconde approche, dite analyse coût/utilité, s’appuie sur un indicateur, la QALY (Qualityadjuted life year), année de vie ajustée sur (1) « Toutes choses étant égales par ailleurs ». 171 Territoires, incubateurs de santé ? Les Cahiers de l’IAU îdF n° 170-171 - septembre 2014 Références bibliographiques • • • • • • • • • • 172 AFRITE A., BOURGUEIL Y., DANIEL F., MOUSQUÈS J., «L’impact du regroupement pluriprofessionnel sur l’offre de soins. Objectifs et méthode d’une évaluation des maisons, pôles et centres de santé dans le cadre de l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération», Irdes, Question d’économie de la santé, n° 189, juillet-août 2013. 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La dernière approche, plus proche du calcul économique mis en œuvre dans d’autres secteurs d’activité, est l’analyse coût/bénéfice, dans laquelle une valeur monétaire est associée au résultat de santé. Dans cette approche, l’intervention est jugée au regard du solde monétaire entre ses bénéfices et ses coûts. Au-delà des méthodes d’évaluation, régulièrement débattues, la question de l’interprétation des résultats est particulièrement sensible. En effet, l’évaluation coût/utilité produit un ratio différentiel coût/résultat estimant le coût de l’intervention pour gagner l’équivalent d’une année de vie en bonne santé. L’acceptabilité de ce coût est jugée par le décideur public, en l’absence de référence normative explicite en France. Par ailleurs, le recours à ce critère s’inscrit dans la perspective d’une maximisation des gains en santé, indifférente à la répartition de ces gains au sein de la population. Des approches extrawelfaristes, développées au niveau académique, tentent actuellement d’intégrer les éventuelles préférences du décideur quant à la répartition de ces gains pour refléter une éventuelle préférence collective selon laquelle un même gain en santé pourrait avoir une valeur différente selon le contexte (gravité de la maladie, caractéristiques des individus concernés…). L’identification de l’effet causal d’une intervention L’identification d’un effet causal à partir de données empiriques pose également d’autres problèmes à l’économiste. L’impact, l’estimation des écarts ne peuvent, en effet, se mesurer que par la différence entre le résultat observé avec ou sans intervention. Le problème tient à ce que l’on ne peut observer, pour un même individu, qu’une seule des deux situations (« traité » ou « non traité »). Comparer la situation moyenne pour les traités à celle des non traités constitue, alors, une solution naturelle. Néanmoins, l’effet moyen du traitement est susceptible d’être influencé par des variables inobservables qui peuvent influencer le fait d’être traité et/ou l’impact du traitement et, ainsi, biaiser l’estimation des résultats. Plusieurs solutions sont alors envisageables. Une première option, the first best, très pratiquée dans le domaine de l’évaluation des médicaments, consiste à s’appuyer sur des essais randomisés et contrôlés, dans lesquels l’inclusion dans le groupe des traités est contrôlée et décidée par tirage au sort, de façon aléatoire, sans que les personnes traitées ni celles qui administrent le traitement ne le sachent (en double insu ou double aveugle). On perçoit, toutefois, immédiatement la limite d’une transposition de cette méthode à l’évaluation de politique publique, sociale, tant d’un point de vue éthique (rupture de l’égalité de traitement), que pratique. Une seconde solution, the second best, consiste à appliquer le principe de l’évaluation aléatoire à des expérimentations dites « sociales », i.e. des innovations limitées dans le temps et l’espace et au champ circonscrit. Comme les premières, elles ont pour particularité de reposer sur une assignation aléatoire au programme, sans principe de double insu. Elles s’appuient, en outre, sur une interaction évaluateur/promoteur ainsi que sur la construction d’un système d’observation, d’un cadre et d’une méthode d’analyse, riche d’enseignements et de connaissances nouvelles, conduisant l’économiste à s’intéresser, également, aux processus et dynamiques entre acteurs. Ces méthodes ont connu de nombreuses applications dans des domaines variés de politiques sociales, dès les années 1960 aux États-Unis, l’une des plus célèbres ayant été l’Health Insurance Experiment de la Rand Corporation, évaluant l’impact de différents niveaux de reste à charge d’assurance en santé sur le recours aux soins et la dépense associée. Une troisième solution consiste à construire des dispositifs quasi expérimentaux, comparant des cas – les traités – à des témoins – les non traités – à partir de données observationnelles. Ces dispositifs sont couplés à des méthodes d’échantillonnage ayant pour objectif d’avoir des cas et témoins les plus proches possibles et à des méthodes de constitution de données sur une base longitudinale afin de contrôler les inobservables constants dans le temps. À titre d’exemple, l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération à destination des maisons, pôles et centres de santé a été évaluée selon ces principes. Ces différents développements méthodologiques en économie de la santé autour de la réflexion sur l’allocation de ressources rares à des interventions et l’évaluation de l’impact de leur rendement, pourraient être utilement mobilisés dans le cadre de l’évaluation des politiques d’aménagement urbain dès lors que des hypothèses fortes sur leur lien avec la santé sont posées.