Angèle KREMER MARIETTI
L'ETHIQUE
EN TANT QUE META-ETHIQUE
Réédition de l'ouvrage paru en 1987
aux PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
France
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1026 Budapest 10214 Torino
HONGRIE ITALlE
Collection « Épistémologie et Philosophie des Sciences»
dirigée par Angèle Kremer Marietti
La collection « Epistémologie et Philosophie des Sciences» réunit
les ouvrages se donnant pour tâche de clarifier les concepts et les théories
scientifiques, et offrant le travail de préciser la signification des termes
scientifiques utilisés par les chercheurs dans le cadre des connaissances qui
sont les leurs, et tels que 'force', 'vitesse', 'accélération', 'particule', 'onde',
etc. .. Elle incorpore alors certains énoncés au bénéfice d'une critériologie
capable de répondre, pour tout système scientifique, aux questions qui se
posent dans leur contexte conceptuel-historique, de façon à détenniner ce
qu'est théoriquement et pratiquement la recherche scientifique considérée:
1) quelles sont les procédures: les conditions théoriques et pratiques des
théories invoquées, débouchant sur les résultats; 2) quel est, pour le système
considéré, le statut cognitif des principes, lois et théories, assurant la validité
des concepts.
Déjà parus
Angèle KREMER-MARlETTI, Nietzsche: L 'homme et ses labyrinthes, 1999.
Angèle KREMER-MARlETTI, L'anthropologie positiviste d'Auguste Comte,
1999.
Angèle KREMER-MARlETTI, Le projet anthropologique d'Auguste Comte,
1999.
Serge LATOUCHE, Fouad NOHRA, Hassan ZAOUAL, Critique de la
raison économique, 1999.
Jean-Charles SACCID, Sur le développement des théories scientifiques,
1999.
Yvette CONRY, L'Évolution créatrice d'Henri Bergson. Investigations
critiques,2000.
Angèle KREMER-MARlETTI, La Symbolicité, 2000.
Angèle KREMER-MARlETTI (dir.), Éthique et épistémologie autour du
/ivre Impostures intellectuelles de Sokal et Bricmont, 2001.
Akdelkader BACHTA, L'épistémologie scientifique des Lumières, 2001.
Jean CAZENOBE, Technogenèse de la télévision, 2001.
Michel BOURDEAU (dir.), Auguste Comte et l'idée d'une science de
I'holnme, 2001.
Angèle KREMER-MARlETTI, La philosophie cognitive, 2001.
Jacques MICHEL (dir.), La nécessité de Claude Bernard, 2001.
(Ç)L'Harmattan, 2001
ISBN: 2-7475-2003-X
INTRODUCTION
UN CHAMP IMPLIQUANT
TOUS LES CHAMPS
Si la morale est marquée du sceau de l'histoire
présente ou passée, l'éthique concerne la théorie et
la pratique morales considérées du point de vue d'une
situation fondatrice, en perspective sur le passé et
sur un futur immédiat ou lointain. Discipline noé-
tique (1), l'éthique est inséparable d'une méthode.
Dès lors que nous nous interrogeons sur les tenants
et les aboutissants de la morale, nouS poursuivons
déjà une enquête théorique dans un champ hors de
tous les champs et les impliquant tous. Cette réflexion
théorique, que nous avons déjà amorcée grâce à une
première distanciation, n'est autre que l'éthique géné-
rale ou la science de la morale (2).
Notre propos visant l'universalité du phénomène
moral, notre analyse a mis en lumière la diversité
possible des contenus et l'unité nécessaire de la forme
telle qu'elle s'appréhende dans la loi morale. Avec
une réflexion progressant systématiquement vers, la
forme, l'obligation morale, en tant que la reconnais-
sance en nous de la Loi dans sa formalité pure, s'est
imposée à notre examen comme le point d'ancrage
commun de toutes les morales effectives et, qui plus
(1) Noétique : relatif à la pensée (en grec, v6'1)<Jt<J)dans l'acte de connais-
sance.
(2) A. Kremer-Marietti, La morale, Paris, PUF, « Que sais-je? », 1982.
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est, comme l'élément fondateur absolu de la per-
sonne morale, nécessaire à la constitution du sujet.
Hors de l'obligation morale, point de sujet respon-
sable!
L'état actuel de nos connaissances philosophiques,
sociales, historiques, psychanalytiques, et anthropo-
logiques, va de pair avec un exposé au discours éco-
nomiquement argumenté dans le champ humain le
plus large. C'est ce que nous avons précédemment
tenté en présentant la grille théorique actuelle de la
réalité vécue et réfléchie de la morale. Aussi nos deux
essais, La morale et L'éthique, s'opposent-ils et se
continuent-ils selon ce que les Anglo-Saxons propo-
sent comme étant, d'une part, l'éthique normative et,
d'autre part, la méta-éthique. La trace de cette opposi-
tion se trouverait complétée dans un triptyque entre
morale, éthique, éthicologie, offrant une pertinente
distinction (3). En tout cas, les difficultés actuelles qui
sont celles de la morale pourraient favoriser un nou-
veau développement de l'éthique (4).
llne première mise en distanciation a ainsi dégagé
les conditions sine qua non de la vie morale, c'est-à-dire
le fondement existentiel et ontologique du rapport
à la Loi, en tant que loi morale dans la structure
interne du moi se faisant sujet de la Loi. En insistant
sur la forme nécessaire de celle-ci, nous soulignons
son caractère universel et irréductible, non seulement
comme condition sine qua non de la morale, mais
encore comme l'élément indispensable à la person-
nalité éthique se forgeant à son impact pur et simple,
en dehors même de tout contenu.
Dès lors notre argumentation repose sur le jeu de
la contrainte (Zwang) qui, aussi bien chez Kant (5)
(3) Pierre Fortin, Le tryptique : moral~, éthique, éthicologie, in Les
Cahiers éthicologiques de /'UQAR, 6, janvier 1983, p. 12-47.
(4) Voir Vergote, Crise de la morale: une chance pour l'éthique?, Cahiers
universitaires catholiques, Paris, 1984, p. 3-20.
(5) La morale, p. 17, 18, 19, 24, 25, 30, 39-54, 84, 91, 96, 99, 124, 125.
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que chez Freud (6), mais en sens opposé, s'avère être
une double contrainte (7). En effet, d'une part, nous
découvrons la contrainte de l'inclination et du désir,
de l'autre, celle de la Loi, toutes deux agissant de
concert sans nécessairement se neutraliser l'une l'autre,
mais plutôt s'imposant chacune en posant l'autre à
notre -évidence. La double contrainte permanente de
la Loi et du désir, que l'on parte de la Loi comme
Kant ou du désir comme Freud, est ce qui révèle
la base même de la conduite morale, et c'est ce que
l'on reconnaît comme interagissant dans l'obligation
morale. Celle-ci obéit à l'injonction formelle de la
Loi et, tout à la fois, garde en mémoire les deside-
rata (8) de l'inclination en menant le combat contre
les forces actuelles du désir dont elle assume la sub-
verSIon.
La réalité symbolique (9) de la morale telle que
la révèle l'éthique comme science normative permet
de comprendre pourquoi et comment il y a sujet
moral,- car elle montre ce qui anime les individus
d'une société à partir d'un « for intérieur ». Même
si ce dernier est discipliné par des formalités struc-
turelles extérieures, celles-ci, d'ailleurs, n'auraient au-
cun effet sur l'individu s'il n'y avait un préalable
dans son « for intérieur », une disposition intérieure
à subir les formalités extérieures, autrement dit le
formalisme de la Loi que Kant reconnaît comme
étant la loi morale dans sa pure caractéristique for-
melle - ou bien encore un refoulement originel (Ur-
verdriingung) que Freud met à la base de tous les
refoulements ultérieurs. Et c'est à dessein que nous
menons le parallèle du rationnel et de l'empirique.
Si l'on considère les processus rituels, la contrainte
(6) Op. Cil., p. 14, 26, 64, 76, 77, 78, 82, 83.
(7) Op. Cil., p. 93.
(8) Op. Cil., p. 62.
(9) Voir G. vick sur l'acte mora] comme acte symbolique, Sitt1iches
Handeln, Theologisches Journal, 1983.
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