66 | 31 mars 2005 | Le Point 1698
Sciences
]Clipperton
Les courants ont aussi charrié, soit à
partir des côtes américaines, soit du Pa-
cifique central, les larves de tous les
crustacés, tous les mollusques, toutes
les éponges, tous les poissons de récif,
toutes les algues qui y prospèrent
aujourd’hui. Voilà pourquoi la plupart
des quarante scientifiques qui auront
profité de la logistique bien huilée de
l’expédition pour séjourner sur l’île tra-
vaillent sur l’écosystème du récif, c’est-
à-dire sur l’île d’au-dessous du miroir de
la mer. Raies mantas, requins-marteaux
survolent le petit peuple du récif.
Ce récif, Roger Swainston, peintre na-
turaliste australien, y a posé son chevalet
par 20 à 30 mètres de fond durant des
semaines pour faire le portrait, aussi vrai
que nature, de ses hôtes. « Clipperton est
un lieu extraordinaire, s’enthousiasme-
t-il, la biodiversité y est, certes, très appau-
vrie par rapport à la Grande Barrière de
corail australienne, que je connais bien.
On y trouve moins de 20 espèces de co-
raux, dont 3 dominantes, contre 250 là-bas.
Mais la biomasse [nombre d’individus de
chaque espèce] y est très importante. Pen-
dant que je dessinais les coraux, il y avait
un nuage de poissons autour de moi. »
Le plus difficile pour cet artiste, rare
spécimen d’une race en voie de dispa-
rition, c’est de restituer la vraie couleur
des « natures vivantes » qu’il dessine en
plongée, et met en couleur en surface.
« Je prends beaucoup de photos sous-ma-
rines et je choisis celles dont les couleurs
se sont inscrites dans ma mémoire », pré-
cise-t-il. C’est exactement ce qu’il a fait,
au retour vers Acapulco, avec le grand
voilier du Pacifique pêché par Guy
Duyhemboure, le plus expérimenté des
marins du « Rara Avis ». Jean-Luc Mor-
van, le cuisinier, a dû patienter le temps
qu’il le dessine.
1,4 million de crabes
En revanche, lorsqu’il a immortalisé Ge-
carcinus planatus, le fameux crabe ter-
restre de Clipperton, inutile de le photo-
graphier pour se rappeler sa couleur
jaune orangé si caractéristique. Au camp
Bougainville, il suffit de se baisser pour
en saisir un exemplaire occupé à grigno-
ter une plume de fou, de la bourre de
noix de coco, ou à s’introduire dans la
chaussure d’un îlien en train de dormir.
C’est également un courant marin ayant
léché les îles côtières d’Amérique cen-
trale où existent des espèces voisines
qui, un jour, a abandonné sur les rivages
de l’atoll quelques larves de ce crabe
pourtant hydrophobe. « Gecarcinus se
reproduit au fond de son terrier où l’hygro-
métrie est de 92 à 100 % », précise Jean-
Marie Bouchard. Membre de 7e Conti-
nent, la société de Jean-Louis Etienne, et
coordinateur scientifique dans l’île, il y
a recensé de façon très scientifique ces
créatures vêtues d’orange comme l’inou-
bliable martien Jacques Villeret de « La
soupe aux choux » : « Il y en a entre 1,1 et
1,4 million. »
Quoi qu’il en soit, lorsqu’on fait le
tour de l’île, dans le sens des aiguilles
d’une montre, avec Alain Bidart, grand
spécialiste de la physique des turbulen-
ces, ornithologue amateur, on ne cesse
de rencontrer ces crabes. Ils pullulent
au milieu des sommaires nids de fous,
où les jeunes de l’année attendent un
parent retour de pêche au large pour se
nourrir en introduisant leur tête dans le
gosier de l’adulte.
De tout temps, les grandes
expéditions naturalistes ont
été essentiellement finan-
cées par des mécènes.
L’expédition Clipperton de
Jean-Louis Etienne ne déroge
pas à la tradition. Sur un
budget total de 1,8 million
d’euros, le groupe Unilever
et Gaz de France, déjà parte-
naires de l’opération
Banquise en 2001, apportent
chacun 600 000 euros.
Unilever veut, par son enga-
gement, sensibiliser son per-
sonnel à la notion de déve-
loppement durable dont il
fait le mot d’ordre de sa
croissance. Gaz de France en-
tend promouvoir l’usage du
gaz « énergie propre ». Air
Liquide, Saft participent à
l’opération sous forme de
prêts de matériel. La partici-
pation d’Eco-Emballage est
plus modeste. Cinquante
touristes, ayant déboursé
chacun 4 550 euros, parrai-
nent à leur façon l’expédi-
tion.
Le coût du voyage et du
séjour de la majorité des
scientifiques sur l’île est pris
en charge par la Fondation
Total pour la recherche en
milieu marin, partenaire au
long cours du Muséum et de
l’Institut de recherche pour
le développement
H. P.
Les mécènes de l’expédition
ART PRESSE
Rocher
Clipperton
Formation
du corail
Affaissement
du volcan
Déplacement
du plancher
océanique
Récif de corail
Lagon
OCÉAN
PACIFIQUE
VOLCAN ACTIF VOLCAN INACTIF ATOLL
Formation
du corail
Corail
mort
Rocher
Clipperton
Ancien marin de la Royale,
ingénieur retraité de la mé-
tallurgie, Hubert Juet se pas-
sionne depuis des années
pour l’îlot de Clipperton, au
point d’en être devenu le
meilleur historien. Dans son
livre « Clipperton, l’île de la
Passion » (éd. Thélès, 23 €), il
y rétablit, entre autres, la vé-
rité sur sa découverte. Non
seulement le corsaire et pi-
rate anglais John Clipperton
n’y a jamais mis les pieds,
mais en plus il ne l’a même
jamais vue. En fait, ce sont
Mathieu Martin de Chassiron
et Michel Dubocage qui,
ayant emprunté la route dite
des « galions de Manille » à
bord des frégates françaises
la « Princesse » et la « Décou-
verte », appar-
tenant à l’ar-
mateur
Piécourt de
Dunkerque,
ont découvert l’atoll le
4 avril 1711. Ce jour-là, le
journal de bord porte la men-
tion : « Découverte d’une île
que nous avons nommée île
de la Passion. » H. P.
L’historien de l’île
coordinateur scientifique dans l’île, il y
a recensé de façon très scientifique ces
créatures vêtues d’orange comme l’inou-
bliable martien Jacques Villeret de « La
tour de l’île, dans le sens des aiguilles
d’une montre, avec Alain Bidart, grand
spécialiste de la physique des turbulen-
ces, ornithologue amateur, on ne cesse