ÉCOLE PROFESSORALE DE PARIS
Séminaire
« Quel enseignement secondaire pour le XXIe siècle ?
LENSEIGNEMENT DE LA
PHILOSOPHIE
par Jean-Noël DUMONT
et Chantal DELSOL
2
LENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE
par Jean-Noël DUMONT
1
Chacun peut partager quelques récits tragi-comiques de
classes de philosophie transformées en cellules
révolutionnaires spontanéistes par des « professeurs » qui
refusaient dêtre les « chiens de garde » de la bourgeoisie.
Mais cela au fond na été quune parenthèse assez vite
refermée et on trouverait presque à ces récits le charme
désuet des objets du passé. Lenseignement de la philosophie
aujourdhui me semble être, parmi toutes les catégories de
lenseignement, la matière qui a le mieux résisté au
« pédagogisme ». On peut en effet caractériser le
pédagogisme par laccent mis sur les procédures,
lacquisition de ce quon appelle les « compétences » en
minorant ou négligeant limportance de la quête du savoir et,
avec la quête du savoir, la vérité.
Je crois que ce nest pas pour rien que lenseignement
de philosophie a résisté. Parce que les professeurs de
philosophie sont tous à leur manière des descendants plus ou
moins légitimes de Socrate et des sophistes. Descendants des
sophistes parce quils ont été les premiers à faire de
lenseignement un métier, descendants de Socrate qui le
premier a alerté sur les dangers de la sophistique, en ce que
celle-ci sattache précisément aux procédures. Cette double
filiation installe demblée la philosophie dans le souci
éducatif et lempêche doublier lalternative entre les
1
Agrégé de Philosophie, créateur et ancien directeur du Collège supérieur
(Lyon).
3
méthodes et les contenus. Ce que Socrate montre dans ses
dialogues avec les sophistes et surtout avec les élèves des
sophistes, cest que le privilège accordé aux questions de
procédure induit un scepticisme de fond. On peut en effet
avec Socrate se demander ce que signifie « bien parler ». Un
discours en bonne forme suffit-il à honorer lexigence de
vérité ? Un discours en bonne forme peut nêtre quun jeu de
lesprit, voire une captation des convictions, une manière de
sassurer du pouvoir. Ainsi Socrate a-t-il bel et bien fondé la
philosophie en manifestant que la parole est le temple qui
nous est préparé pour accéder au vrai et pour le partager
avec les amis et quelle nest pas seulement une manière
daccéder à du pouvoir. Nos écoles sont-elles un chemin
pour accéder au pouvoir ou une manière daccéder au vrai ?
Cette question se repose sans cesse. On fait valoir aux élèves
et aux étudiants quen acquérant telle procédure, telle
habileté, tel savoir-faire, que lon qualifiera de sophistique,
ils accèdent à du pouvoir. Et le professeur de philosophie,
comme le professeur dhistoire ou de physique, peut être
complice de cette conviction que ce nest pas laccès à la
vérité, ce nest pas linquiétude de la vérité, mais
linquiétude de la réussite qui sous-tend les études. Pour le
coup, sophiste, il est bel et bien un « chien de garde » de la
bourgeoisie !
Les philosophes, comme héritiers de Socrate, restent
particulièrement vigilants à légard de cette question. Cest
leur honneur de rappeler que nous ne sommes pas là
seulement pour obtenir du pouvoir en tenant des beaux
discours en forme, mais que, si nous parlons, cest pour nous
comprendre et pour accéder au vrai.
On peut, bien sûr, critiquer tel ou tel aspect de
l’enseignement de la philosophie actuelle. Je tiens pour moi
quil est plutôt de bonne qualité. Le nombre de jurys
auxquels jai participé, le nombre dépreuves que jai
corrigées, le nombre de professeurs que jai formés, me font
dire que la formation est plutôt sérieuse et que le temps des
4
expérimentateurs fumistes est derrière nous. De manière
modeste, certes, mais réelle, bien des professeurs de
philosophie font honneur à ce métier. Nous pouvons nous
honorer davoir quelque peu résisté aux tentatives de
« sophistique » quon reconnaît assez bien dans les
pédagogies procédurales concoctées dans les instituts de
formation et autres officines.
Dans un premier temps, je rappellerai les finalités de
lenseignement de philosophie. Jévoquerai ensuite un ou
deux problèmes que posent actuellement les programmes tels
quils sont aujourdhui conçus. Dans un troisième temps je
mettrai en évidence la vocation, la mission, la fonction
(prenez le mot que vous voulez) du professeur de
philosophie, car, plus peut-être que tout autre enseignement,
lenseignement de la philosophie passe par un visage. Et ce
visage est le premier témoin de la vérité. La haute
responsabilité dun professeur de philosophie est de donner
un visage à la vérité. Aussi est-il est bon de rappeler à
quelquun qui se prépare à ce métier la mission qui est la
sienne. Dailleurs il ne pourra la remplir réellement que dans
la mesure où il se pénétrera de la noble modestie du maître.
1. Les finalités
Les finalités de lenseignement de la philosophie
peuvent être décrites en trois points :
1) Par sa nature, et aussi parce quil arrive au bout du
cursus, le cours de philosophie joue le rôle de la
récapitulation dune culture, en reconduisant toute ces
années dapprentissage aux questions fondamentales qui les
animent. Un élève de terminale a loccasion, et souvent il
sen saisit, de comprendre mieux le sens de ce quil a fait
auparavant. Ce quil avait peut-être reçu de manière quelque
peu passive ou étourdie, il peut en voir lenjeu par
linterrogation de la philosophie. La quête de la vérité quil
5
y a dans la science, laventure humaine quil y a dans
lhistoire, louverture à la contemplation quil y a dans la
littérature : par lenseignement de la philosophie lélève peut
sapercevoir des enjeux des connaissances acquises. Comme
le disait Philippe Nemo, on envisage difficilement un
enseignement de philosophie sans quil y ait eu
préalablement des savoirs, précisément parce quil faut les
remettre en cause ! Pour les remettre en cause, encore faut-il
les avoir acquis. Cest un moment assez heureux de reprise
en main, de manière méthodique, de lacquis de lhistoire
littéraire, de la science, de lhistoire, de la biologie, etc. et,
pourquoi pas, de léducation physique et sportive
Quelques lignes de Platon sur la gymnastique donnent à
penser aux lecteurs de LÉquipe.
La principale vocation de cet enseignement de
philosophie en tant quil est une réappropriation de la
culture antérieure, est de donner sens et assurance à la
maîtrise de la langue. La philosophie nest pas autre chose
que cette maîtrise. Sur ce point, Socrate avait encore raison
contre les sophistes qui assimilaient la maîtrise de la langue
à lhabileté. Que faisons-nous, professeurs de philosophie ?
Nous passons notre journée à dire : « Attention ! Ne
confondez pas particulier et singulier. Ne confondez pas
désir et besoin, force et violence». Aussi Alain, le maître
et le modèle, dit-il : « Qui connaît sa langue sait assez de
philosophie ». Professeur de philosophie, je nai jamais fait
autre chose que permettre aux élèves de se réapproprier leur
langue, den parcourir les possibilités, den saisir la saveur.
Oui, lenseignement de la philosophie est un enseignement
de la maîtrise et de la qualité de la langue, qui passe par un
certain nombre dexercices. Cette langue, certes, doit être
soignée pour les besoins de la vie en société mais surtout
parce quelle est le palais préparé pour la vérité. Platon nous
la dit : « Une faute contre le langage est une faute contre
lâme ». Qui blesse le langage blesse lâme. Jai toujours été
très émerveillé davoir le soin des âmes de mes élèves à
travers la tâche modeste de corriger leurs fautes
1 / 22 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !