cette introduction, reprenant d’entrée le fameux
« fait social » des Règles de la méthode (si sou-
vent mal compris d’ailleurs) : « L’éducation est
une chose, d’un autre mot, un fait. Dans toutes
les sociétés il se donne une éducation. Ainsi
conformément à des traditions, à des règles impli-
cites ou explicites, dans un cadre déterminé d’ins-
titutions, avec un outillage propre, sous l’influence
d’idées et de sentiments collectifs, en France, au
XXesiècle, des éducateurs éduquent, des enfants
sont éduqués. Tout cela peut être décrit, analysé,
expliqué. La notion d’une science de l’éducation
(il faut entendre ici, même si un développement
de Fauconnet traite un peu plus loin de la psy-
chologie de l’enfant, la notion d’une sociologie
de l’éducation, et je renvoie sur ce point aux tra-
vaux de Jacqueline Gautherin) est donc une idée
parfaitement claire. Elle a pour rôle unique de
connaître, de comprendre ce qui est. Elle ne se
confond ni avec l’activité effective de l’éducateur
ni même avec la pédagogie, qui vise à diriger
cette activité (diriger, je le remarque en passant,
c’est ici lui indiquer une direction, et certes pas
lui imposer des façons de faire). L’éducation est
son objet : entendons par là non pas que cette
science (la sociologie de l’éducation) tend aux
mêmes fins que l’éducation, mais au contraire
qu’elle la suppose, puisqu’elle l’observe. »
« Quant à ce que Durkheim entend par Péda-
gogie, poursuit Fauconnet, ce n’est ni l’activité
éducative elle-même, ni la science spéculative de
l’éducation.C’est la réaction systématique de la
seconde (la science sociologique ou psycholo-
gique) sur la première (l’activité éducative),
l’œuvre de la réflexion qui cherche, dans les résul-
tats de la psychologie et de la sociologie, des
principes pour la conduite ou pour la réforme de
l’éducation. Ainsi conçue, la pédagogie peut être
idéaliste, sans verser dans l’utopie. »
Et plus loin, toujours sous la plume de Fau-
connet, une distance est prise avec la « sociolo-
gie éducationnelle » d’Outre-Atlantique, déjà en
œuvre là-bas, depuis les années l0, comme Forquin
l’a d’ailleurs rappelé. En effet le but poursuivi par
le sociologue n’est ni de préparer l’enfant à ses
relations avec les autres, comme se propose de le
faire cette discipline, ni, certes, d’enseigner les
faits sociaux et leurs liens dans les classes du
primaire ou du secondaire : « La science de l’édu-
cation définie par Durkheim (c’est Fauconnet qui
parle) est sociologique dans une acception beau-
coup plus claire du terme.... La sociologie combat
ici l’ennemi qu’elle a l’habitude de trouver en face
d’elle : dans tous les domaines, en morale, en
politique, même en économie politique, l’étude
scientifique des institutions a été précédée par
une philosophie essentiellement artificialiste (on
pourrait dire a priori), qui prétendait formuler des
recettes pour assurer aux individus ou aux
peuples le maximum de bonheur, sans connaître
d’abord suffisamment leurs conditions d’exis-
tence. Rien n’est plus contraire aux habitudes
intellectuelles du sociologue que de dire d’em-
blée : voici comme il faut élever l’enfant, en fai-
sant table rase de l’éducation qu’on lui donne
réellement. Cadres scolaires, programmes d’en-
seignement, méthodes, traditions, habitudes, ten-
dances, idées, idéaux des maîtres, ce sont là des
faits dont elle cherche à découvrir pourquoi ils
sont ce qu’ils sont, bien loin de prétendre d’abord
les changer. »
J’ai peut-être cité trop longuement Fauconnet,
porte-parole posthume de Durkheim, mais je
pense que Jean-Claude Forquin me pardonnera,
parce que c’est le situer ainsi lui-même dans une
tradition, même si l’unique tradition à laquelle il
souhaite, quant à lui, se rattacher n’est certaine-
ment pas l’école durkheimienne. Je montrerai tout
à l’heure que ces textes résumant la pensée de
Durkheim sur pédagogie et sociologie (tel est le
titre du cours inaugural de Durkheim à la
Sorbonne en 1902, publié dans Éducation et
Sociologie déjà cité) ces textes, donc, si clairs
soient-ils, ne sont pas sans comporter quelque
ambiguïté, et soulèvent un problème que Forquin
semble avoir très bien aperçu, même si lui aussi
nous laisse parfois un peu incertains.
Lorsque Jean-Claude Forquin énonce à son tour
en quoi se distinguent pratique éducative, péda-
gogie, et sociologie de l’éducation, que va-t-il
dire ? Le texte le plus net, très judicieux selon
moi, est sans doute celui du chapitre conclusif
d’École et Culture, en 1989, chapitre qui s’intitule
« Pédagogie, Sociologie et Culture », où il se
réfère autant à la première partie de son livre, qui
analyse un débat doctrinal entre les philosophes
britanniques Williams, Bantock, Peters et Hirst,
qu’à sa Seconde Partie, sur les approches socio-
logiques successives de l’éducation outre-
Manche, avec un accent particulièrement intense,
étant donné l’époque dont il traite, sur les
diverses formes prises par la « Nouvelle sociolo-
gie de l’éducation », courant que ses écrits nous
ont sans aucun doute mieux fait comprendre.
126 Revue Française de Pédagogie, n° 135, avril-mai-juin 2001