Rupture de l`artère rénale et du parenchyme rénal chez

Le syndrome de Ehlers-Danlos est une entité rare, secondaire à une
anomalie génétique du collagène. La fragilité exquise du tissu
conjonctif qui en résulte est responsable de multiples répercussions
viscérales. Parmi celles-ci, on décrit plus rarement des complica-
tions urologiques. Le cas présent illustre la survenue brutale de
deux complications urologiques potentiellement létales observées
chez une jeune patiente enceinte, atteinte d’un syndrome de Ehlers-
Danlos de type vasculaire.
CAS CLINIQUE
Une patiente âgée de 29 ans, atteinte d’un syndrome de Ehlers-
Danlos de type IV, a été admise aux soins d’urgence pour des
crises de colique néphrétique droite survenant à la 32ème semai-
ne de gestation. Le diagnostic de collagénose avait été posé
quelques mois auparavant, après que la patiente se soit plainte
d’instabilités articulaires diverses (luxation récidivante de l’é-
paule, instabilité de l’articulation trapézo-métacarpienne …). De
multiples ecchymoses pour des traumatismes mineurs, aux dires
de la patiente, ont d’ailleurs été notés à l’examen clinique d’ad-
mission. Une sensibilité élective de la région lombaire droite
ainsi qu’un ébranlement douloureux de la fosse rénale ont éga-
lement été retrouvés.
Le complet sanguin et l’analyse du sédiment urinaire étaient nor-
maux, tout comme l’échographie rénale et abdominale réalisée en
salle d’urgence. Cette dernière n’a en effet révélé aucune anomalie,
hormis une dilatation modérée du bassinet droit compatible avec
l’âge gestationnel. Le diagnostic d’hydronéphrose gravidique
symptomatique a ainsi été retenu à ce stade. La patiente a été hospi-
talisée pour surveillance fœtale et sédation intraveineuse des dou-
leurs néphrotiques.
Etonnamment, le contrôle hématologique réalisé après 24 heures a
démontré, en l’absence de modification significative de la clinique,
une chute alarmante de l’hémoglobine passée de 11.4 à 8.8 g/dl.
Une nouvelle échographie abdominale a révélé cette fois un volu-
mineux hématome péri rénal droit, confiné à l’espace de Gerota.
Sur base des antécédents de collagénose de la patiente, décision fut
prise de réaliser d’emblée une imagerie par résonance magnétique
abdominale avec injection de Gadolinium. Cet examen a permis
d’objectiver de multiples suffusions hémorragiques intra-parenchy-
mateuses associées à des plages ischémiques (Figure 1). Un petit
anévrisme de l'artère rénale droite a de plus été mis en évidence,
classé comme faux anévrisme de par son aspect asymétrique
(Figure 2). En l’absence de signes cliniques d’instabilité hémody-
namique, le choix d’une simple transfusion et d’une surveillance
médicale intensive a été retenu.
Des contrôles journaliers de l’hématologie et de l’échographie
ont été réalisés. Ces paramètres sont restés stables pendant huit
jours, au terme desquels une IRM de contrôle a été programmée
électivement afin d’apprécier au mieux la progression des phé-
nomènes intra parenchymateux. Alors que les images de suffu-
sions hémorragiques intra parenchymateuses étaient inchangées,
on a pu observer une aggravation de la dissection artérielle avec
majoration très importante de la taille du pseudo anévrisme de
l’artère rénale droite (Figure 3), présentant alors des signes radio-
logiques de fissuration (hématome péri-anévrismal). Un accou-
chement par césarienne a été réalisée en urgence, suivi immédia-
tement par une artériographie sélective des artères rénales avec
mise en place d’un stent couvert en Nitinol (Symbiot®, Boston
Scientific Corporation). Le résultat obtenu en cours de séance a
été confirmé par l’IRM réalisée après 1 semaine, à savoir l’ex-
clusion complète du faux anévrisme. Le contrôle tomodensito-
métrique à 3 mois montre une perméabilité de l’endoprothèse
avec absence d’anomalie persistante de type pseudo anévrisme
ou hématome (Figure 4).
CAS CLINIQUE Progrès en Urologie (2005), 15, 303-305
Rupture de l’artère rénale et du parenchyme rénal chez une patiente
enceinte, atteinte du Syndrome de Ehlers-Danlos de type vasculaire
Benoît DEBIE (1),Frank HAMMER (2),Karin DAHAN (3),Axel FEYAERTS (1),Stéphanie JASIENSKI (1),
Reinier-Jacques OPSOMER (1),François-Xavier WESE (1),Paul J. VAN CANGH (1),Bertrand TOMBAL (1)
(1) Service d’Urologie, (2) Service de Radiologie, (3) Service de Génétique Médicale, Cliniques Universitaires UCL Saint Luc, Bruxelles, Belgique
RESUME
Un cas d’hémorragie rénale intra parenchymateuse associé à une dissection de l’artère rénale, survenant en fin
de grossesse chez une patiente atteinte du Syndrome de Ehlers-Danlos de type vasculaire, est rapporté pour la
première fois. Ce cas illustre le risque potentiel d’un tel syndrome et l’importance d’une prise ne charge multi-
disciplinaire afin d’adopter une stratégie diagnostique et thérapeutique adéquate. L’imagerie par résonance
magnétique trouve de plus ici tout son intérêt dans la mise au point des cas complexes de crises de colique chez
la femme enceinte présentant un risque accru de troubles ischémiques ou hémorragiques.
Mots clés : Ehlers Danlos de type vasculaire, rein, artère rénale, grossesse, colique néphrétique.
303
Manuscrit reçu : septembre 2004, accepté : janvier 2005
Adresse pour correspondance : Dr. B. Tombal, Service d’Urologie, UCL Saint Luc, ave-
nue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles, Belgique.
e-mail : bertrand.tombal@fymu-ucl;AC.BE
Ref : DEBIE B., HAMMER F., DAHAN K., FEYAERTS A., JASIENSKI S., OPSO-
MER R.J., WESE F.X., VAN CANGH P.J., TOMBAL B. Prog. Urol., 2005, 15, 303-305
DISCUSSION
Les syndromes d'Ehler-Danlos sont des maladies génétiques rares,
liées à une anomalie du tissu conjonctif (collagène). Il s’agit de syn-
dromes héréditaires dont la transmission peut être autosomique
(dominante ou récessive), liée au chromosome X ou secondaire à
une néo mutation. Ils touchent aussi bien les hommes que les fem-
mes avec une incidence de 1/5000 à 1/10 000 personnes. Clinique-
ment, ces syndromes sont caractérisés par une atteinte cutanée
(peau fine, fragile et hyper-extensible ; cicatrisation cutanée lente),
ligamentaire (hyper-laxité ligamentaire, instabilité articulaire,
cyphoscoliose) et vasculaire (hématomes et ecchymoses parfois
spontanés, sans troubles de la coagulation).
Six types de syndromes d'Ehler-Danlos sont répertoriés [1] : le
type classique, le plus fréquent, avec une atteinte cutanée et arti-
culaire ; le type hypermobile à forme articulaire prédominante ;
le type vasculaire, le plus grave, avec un risque majoré de rup-
ture des artères et des viscères ; le type cypho-scoliotique avec
scoliose sévère et atteinte oculaire chez le jeune enfant; l’arthro-
chalasis présentant une luxation congénitale de la hanche ; le
type dermatosparaxis avec une expression essentiellement cuta-
née.
Le syndrome de Ehlers-Danlos vasculaire (anciennement type IV)
est caractérisé par une fragilité tissulaire et vasculaire, susceptible
d’intéresser l’urologue. Sa prévalence se situe entre 1/50.000 et
1/1.000.000 [2]. La cause de ce syndrome est une mutation du
gène COL3A1, entraînant une anomalie de synthèse du pro-colla-
gène de type III, une réduction de sa sécrétion ou une modifica-
tion de sa structure [3]. Bien que le diagnostic de ce syndrome soit
essentiellement clinique (histoire de rupture artérielle ou viscéra-
le, ecchymoses spontanées, peau fine et transparente à l’examen
clinique,…), il doit être confirmé par analyse biochimique directe
du pro-collagène de type III sur biopsie cutanée. A l’heure actuel-
le, la recherche de mutation du gène COL3A1 permet de plus un
diagnostic définitif rapide et un conseil génétique familial adé-
quat.
Les répercussions de ce syndrome, liée à la fragilité du tissu de sou-
tien, sont redoutables : 25% des patients présentent une complica-
tion sévère avant l’âge de 20 ans et 80% avant l'âge de 40 ans. La
sévérité potentielle des complications vasculaires et viscérales asso-
ciées justifie le caractère létal du Syndrome de Ehlers-Danlos de
type IV [1], avec une espérance moyenne de vie se situant aux alen-
B. Debie et coll., Progrès en Urologie (2005), 15, 303-305
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Figure 4. Angio-Scanner (Philips Medical Systems Brillance CT 16
multi-slice). Contrôle de perméabilité de l’endoprothèse, 3 mois après
sa mise en place.
Figure 1. IRM (Philips Intera MRI 1.5 T) en pondération T2. Mise en
évidence de l’hématome péri-rénal accompagnant la rupture rénale.
Figure 2. Angio-MR. Découverte d’un faux anévrisme de 8 mm de
diamètre, développé au dépens de l’artère rénale principale.
Figure 3. Angio-MR. Nette progression du faux anévrisme qui mesu-
re désormais 22 mm de diamètre et s’accompagne de la disparition de
quelques branches de division précoce qui étaient visible précédem-
ment.
tours de 48 ans [4]. Contrairement aux autres types de syndrome de
Ehlers-Danlos, l’hyper-laxité ligamentaire et cutanée ne passe qu’au
second plan. En effet, la présentation initiale du type IV correspond
dans 70% des cas à une complication vasculaire ou viscérale.
La rupture artérielle peut être précédée d'un anévrisme, d'une fistu-
le artério-veineuse ou d’une dissection, mais peut également se pro-
duire spontanément. Dans 50% des cas, elle surviendra à l’étage
thoracique ou abdominal, et dans 25% des cas, au niveau cervical
oucérébral, avec par exemple un risque de dissection simultanée
des carotides et artères vertébrales [5]. Le risque de rupture viscé-
rale est également important chez ces patients. La plus fréquem-
ment reportée est la rupture gastro-intestinale, intéressant essentiel-
lement le colon sigmoïde. Une fragilité oculaire est également pos-
sible, pouvant conduire à des hémorragies ou des décollements réti-
niens. De même, les anomalies cardiaques sont fréquentes, essen-
tiellement sous forme de valvulopathies (prolapsus mitral, sténose
aortique …).
Chez la femme enceinte, les ruptures viscérales sont redoutables,
avec un risque très élevé de décès (12-25%) en fin de grossesse
et dans le post-partum immédiat [4, 6, 7], le plus souvent lié à une
rupture utérine ou artérielle. Une ligature tubaire peut ainsi légi-
timement être proposée à ces patientes, tenant compte du risque
vital que peut représenter une grossesse. La gestation est en soi
un facteur prédisposant à la dissection artérielle ou au dévelop-
pement d’un anévrysme. En effet, elle va être accompagnée d’un
stress hémodynamique physiologique : augmentation de la fré-
quence cardiaque, du volume circulant, du débit cardiaque et de
l’épaisseur de la paroi ventriculaire gauche [8]. L’utérus gravide
cause de plus une compression significative de l’aorte et des artè-
res iliaques, entraînant une augmentation de la résistance au flux
sanguin et donc une majoration de la pression intra-aortique ainsi
que de ses branches [9]. La grossesse fait ainsi partie des facteurs
prédisposant au développement d’un anévrisme de l’artère rénale
[10].
Aucun consensus n’existe actuellement quant au suivi des patients
atteints du Syndrome de Ehlers-Danlos de type vasculaire, notam-
ment parce que les ruptures artérielles ne sont pas toujours précé-
dées par la formation d’un anévrisme. Cependant, ce diagnostic
implique une information soigneuse du patient, soulignant notam-
ment l’importance d’éviter tout traumatisme (pratique d’un sport
collectif, …) et les risques encourus lors d’une grossesse. Le
patient et sa famille seront de plus sensibilisés par l’importance de
consulter un praticien en cas de douleurs inexpliquées. En effet, il
ne faut en aucun cas considérer comme acquis et permanents les
résultats d’un examen réalisé parfois quelques heures auparavant,
tenant compte du risque d’évolution surprenante comme illustré
par l’histoire de notre patiente. L’imagerie sera la moins invasive
possible, préférant l’échographie doppler ou bien encore l’IRM à
la réalisation d’une angiographie, vu le risque de dissection ou de
pseudo anévrisme secondaire à la ponction artérielle. De même, la
prise en charge sera préférentiellement conservatrice, que ce soit
pour un problème électif ou en cas d’urgence comme ce fût le cas
chez notre patiente. En effet, cette attitude a permis de préserver un
maximum de parenchyme rénal tout en évitant une convalescence
prolongée. Un tel geste aurait été d’un point de vue chirurgical
périlleux, aboutissant probablement à une néphrectomie totale,
avec de plus le risque d’une convalescence longue et difficile (len-
teur de cicatrisation, déhiscence pariétale …).
CONCLUSION
Lesyndrome de Ehlers-Danlos est une entité rare dont les compli-
cations potentiellement létales, tant vasculaires que viscérales, doi-
vent systématiquement être évoquées face à tout tableau suspect. Le
bilan diagnostic doit être le moins invasif possible, évitant notam-
ment l’exploration chirurgicale ou les examens nécessitant une
ponction artérielle. La prise en charge thérapeutique ne déroge pas
àcette règle, favorisant autant que possible le traitement conserva-
teur et non chirurgicale. Les avancées technologiques ainsi que le
savoir-faire dans le domaine de la radiologie interventionnelle ont
d’ailleurs contribué largement au succès de la prise en charge décri-
te dans le cas rapporté, menant à la survie tant de la patiente que de
son enfant.
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rysm: an uncommon cause of acute abdominal pain. Journal of Emergency
Medicine, 2003 ; 25 : 35-38.
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SUMMARY
Ruptureof the renal artery and renal parenchyma in a pre-
gnant woman with vascular form of Ehlers-Danlos syndrome
Acase of intraparenchymal renal haemorrhage associated with
renal artery dissection, occurring at the end of pregnancy in a
woman with a vascular form of Ehlers-Danlos syndrome is repor-
ted for the first time. This cases illustrates the potential risk of this
syndrome and the importance of multidisciplinary management to
ensure an appropriate diagnostic and therapeutic strategy. Magne-
tic resonance imaging is useful in this setting to elucidate complex
cases of renal colic in pregnant women presenting an increased risk
of ischaemic or haemorrhagic disorders.
Key-Words: Ehlers-Danlos, vascular type, kidney, renal artery, pre-
gnancy,renal colic
B. Debie et coll., Progrès en Urologie (2005), 15, 303-305
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