TRANSFERTS ET BILANS SEDIMENTAIRES
À Géosciences Rennes, au cours de ces dernières années, les thématiques développées autour
du pôle transferts et bilans sédimentaires, se sont intéressées principalement à l’analyse des processus
contrôlant l’érosion et la sédimentation ainsi que l’impact des forçages tectoniques et plus récemment
climatiques. Les recherches menées dans le cadre de cette thématique sont pluridisciplinaires alliant
géomorphologie, sédimentologie, géologie structurale, paléontologie, à partir d’approches de terrain,
expérimentales, numériques et théoriques. Ainsi, des études ont été menées sur les systèmes en érosion
grâce à des approchent alliant théorie, modélisations, numériques et expérimentales, et analyses de
topographies actuelles afin de contraindre les lois d’érosion, les dynamiques à grande échelle et les
forçages tectoniques. À l’échelle des temps géologiques, des études couplées en termes de
sédimentologie de faciès, stratigraphie séquentielle, géologie structurale, modélisation analogique, ont
permis de contraindre les relations entre processus de déformation et de sédimentation à différentes
échelles d’espace et de temps. De plus, les analyses des variations de biodiversité et de
paléoenvironnements, ont permis de comprendre le cadre temporel et la cyclicité de ces variations
ainsi que de restituer les paléotopographies anciennes. Notre attention s’est également focalisée sur
l’étude sur le Massif Armoricain, afin de valoriser une information géologique de proximité, dans le
but de quantifier depuis 70 millions d’années, les bilans sédimentaires depuis le système continental
amont jusqu’aux plaines abyssales, afin de comprendre l’évolution topographique du système, et d’en
déduire l’histoire tectono-climatique.
Cette thématique a concerné 26 chercheurs et 17 doctorants de Géosciences Rennes. Un grand
nombre de ces travaux sont menés en interaction avec le milieu pétrolier (cf. chapître valorisation),
soulignant ainsi une interaction entre les objectifs fondamentaux de la recherche et appliqués du milieu
industriel.
Erosion et transferts de matière
Personnels Impliqués:
Chercheurs: S. Bonnet, A. Crave, O. Dauteuil, P. Davy, F. Guillocheau, J. VandenDriessche
Etudiants : O. Bourgeois, D. Lague
Les dernières années ont vu la thématique concernant l'érosion au sens large fortement
évoluer au sein de Géosciences Rennes. Nous somme passés de l'étude des processus à
l'échelle locale et leur conséquence en terme de forme à une compréhension plus générale de
la dynamique des systèmes. Ceci marque une évolution permise en grande partie grâce à
l'élaboration d'outils très performants de modélisation (cf. § "La modélisation en
géomorphologie"). Les thématique abordées aujourd'hui concernent (i) les relations entre les
lois d'érosion et les dynamiques à grande échelle, et (ii) l'impact des forçages tectoniques et
plus récemment climatiques. Les approches couplent théorie, modélisation (numérique et
expérimentale) et analyse de topographies naturelles. Un très net intérêt pour la dynamique
des flux de matière émerge actuellement et fait l'objet de développements et de projets en
cours.
1. LOIS D'EROSION ET DYNAMIQUES GEOMORPHOLOGIQUES: APPROCHES
NUMERIQUE, THEORIQUE ET EXPERIMENTALE
1.1 Loi d'érosion macroscopique
Les approches théoriques et numériques de l'érosion (cf. § "La modélisation en
géomorphologie") ont permis de réaliser le transfert d'échelle qui consiste à passer des processus
locaux à la dynamique globale, "macroscopique", des reliefs [Davy et Crave, 2000]. Il s'agit de
déterminer à quelle type de loi obéit le système géomorphologique et de chercher le lien entre les flux
de matière et les variables globales telles la taille, la hauteur moyenne, l'aire drainée, ... Peut on par
exemple parler de diffusion lorsqu'on évoque la loi qui régit l'érosion d'un système de plusieurs
centaines de kilomètres de long ? Si oui, s'agit t'il d'une diffusion linéaire ou d'un processus plus
complexe?
Dans le cas des systèmes en relaxation, les simulations réalisées avec le code EROS [Crave et
Davy, 2001] ont permis d'étudier les relations entre les temps caractéristiques d'érosion et les
principaux paramètres physiques : taille L, hauteur moyenne <h>, ... [Davy et Crave, 2000]. Apres
une phase de croissance du réseau hydrographique, l'altitude de chaque point de l'espace décroît
exponentiellement, avec un temps caractéristique  qui varie avec la taille des systèmes suivant une
loi de puissance du type ~ L. L'exposant  définit la nature de la loi de transport à l'échelle
macroscopique. Avec des lois d’érosion réalistes, les calculs montrent que l’exposant  varie entre 0
et 1, ce qui correspond à une diffusion “anormale” (plus rapide que la diffusion classique où =2). Il a
aussi été montré que cet exposant était défini par la loi de transport dans le domaine fluviatile, et plus
particulièrement par l'exposant m qui lie le flux sédimentaire au flux hydraulique, selon la relation
2-m.
La décroissance exponentielle de l'altitude moyenne lors d'une phase de relaxation a été
observée expérimentalement sur des modèles physiques réalisés à partir de lœss ou de poudre de silice.
Les temps caractéristiques d'érosion calculés sont de l'ordre de la dizaine à la quinzaine de minutes. Il
n'a pas été possible de reproduire le mode opératoire utilisé dans l'analyse numérique – i.e. en
changeant la taille du système érodé – pour des raisons techniques. Il est en effet nécessaire pour cela
de réaliser des expériences de grande dimension ( 1 m2), ce que notre système actuel de
numérisation, par lasers ponctuels, ne permet pas de gérer. L'acquisition prochaine (fin 2002) d'un
système performant de restitution par stéréophotogrammétrie (financement INSU, mi-lourds
“expérimental”) va permettre la réalisation d'expériences de grande taille, et donc la comparaison entre
modèle physique et simulations numériques.
Notons que des travaux préliminaires ont également été réalisés pour étudier le rôle de la
résistance des matériaux sur les temps caractéristiques et l’efficacité de l’érosion. Nous avons utilisé
différents mélanges granulométriques de billes de silice calibrées sur des expériences en relaxation.
Nous montrons que le temps caractéristique d'érosion décroît avec le pourcentage de petites billes. Ces
dernières expériences ouvrent les possibilités d'étudier l'effet de différences de lithologie ou
d'altération sur la dynamique des reliefs.
En ce qui concerne les systèmes soumis à une surrection constante U, après une phase de
croissance du réseau hydrographique, les simulations numériques et expérimentales montrent que la
topographie tend vers un état stationnaire marqué par une constance des variables globales telles que
le flux sédimentaire Qs ou l'altitude moyenne <h>. Il est montré [Lague, 2001; Lague et al., 2002] que
l'altitude moyenne à l'état stationnaire varie avec la vitesse de surrection suivant une loi de puissance
dont l'exposant dépend uniquement de l'exposant sur la pente n de la loi de transport: <h>
U1/n., le
temps caractéristique d'évolution étant du type
U(1/n)-1. Macroscopiquement, le temps
caractéristique d'évolution d'un système géomorphologique est donc théoriquement indépendant de
l'intensité du forçage tectonique si l'exposant n de la loi de transport est égal à 1.
1.2 Lois et dynamiques expérimentales
Les efforts de mise au point d'un dispositif et d'un protocole expérimental d'étude de l'érosion
des reliefs en laboratoire (cf. § "La modélisation en géomorphologie") se sont concrétisés ces dernières
années par des avancées fondamentales. L'originalité du dispositif et des mesures permettent d'imposer
des forçages externes (vitesse de surrection et taux de précipitation) et de développer une approche
quantitative de l'érosion grâce à la numérisation des topographies successives. L'analyse des relations
entre la pente S et l'aire drainées A des expériences à l'état stationnaire a permis dans un premier
temps de déterminer la loi d'érosion des modèles expérimentaux (cf. § "La modélisation en
géomorphologie"). Plusieurs points importants caractérisent la loi d'érosion des modèles [Crave et al.,
2000; Lague, 2001; Lague et al., 2002]:
une loi de puissance unique apparaît dans l'espace pente/aire drainée, signe que l'érosion des
modèles n'est le fait que d'un seul processus de transport. La valeur de l'exposant de la loi A/S
(SA-0.11) indique une faible dépendance de la pente avec l'aire drainée. Sur la base de la
valeur de cet exposant, les expériences correspondraient à des analogues terrestres de chenaux
à écoulements gravitaires. A partir des relations A/S, il a été déduit des valeurs d'exposants de
la loi d'érosion de m=1.1 et n=1.
la loi d'érosion expérimentale est caractérisée par l'existence d'un seuil d'érosion non
négligeable. L'introduction d'un seuil dans la loi d'érosion est inédite. Il a un rôle important
dans la phase de croissance du réseau hydrographique et d'établissement de la connectivité. Du
point de vue méthodologique dans l'analyse des reliefs, il est montré que la non prise en
compte de ce seuil aboutit à une détermination erronée des exposants de la loi d'érosion.
Influence de la tectonique. Les séries d'expériences réalisées pour différents taux de surrection et à
pluviométrie constante [Lague, 2001; Lague et al., 2002] ont montré que l'altitude moyenne des
topographies à l'état stationnaire croit linéairement en fonction du taux de surrection (n=1, cf. § 1.1).
Ce résultat fondamental est en accord avec différentes études antérieures qui ont montré par exemple à
l'échelle globale une relation linéaire entre les taux de dénudation mécaniques et l'altitude moyenne
des reliefs. D'après la formulation des lois macroscopiques, une conséquence est que le temps
caractéristiques d'évolution des topographies est indépendant de l'intensité des forçages tectoniques.
Influence du climat. Le rôle du climat a été abordé via l'influence du taux de pluviométrie moyen sur
l'évolution de topographies soumises à un forçage tectonique donné [Bonnet et Crave, soumis]. A taux
de surrection constant, l'altitude moyenne des topographies à l'état stationnaire décroit avec l'intensité
de la pluviométrie selon une relation qui semble non-linéaire, bien qu'encore mal contrainte. Le rôle de
la pluviométrie sur la loi d'érosion fait actuellement l'objet d'analyses en cours. Cependant, ces
premiers résultats montrent qu'une altitude moyenne élevée ne signifie pas forcément que le taux de
surrection est élevé et vice-versa. Une deuxième conséquence est qu'un changement climatique
(pluviométrie moyenne) a pour conséquence de modifier l'altitude moyenne de la topographie. A partir
d'un état stationnaire, une chute de pluviométrie provoque en particulier un soulèvement de la surface
topographique qui pourrait être interprété comme le résultat d'une augmentation du taux de surrection.
Nous montrons que des soulèvements topographiques d'origine tectonique (augmentation du taux de
surrection) ou climatique (chute de la pluviométrie) sont associés à des dynamiques du flux
sédimentaires très différentes.
2. LOIS D'EROSION ET DYNAMIQUES GEOMORPHOLOGIQUES: EXEMPLES
NATURELS
2.1 Influence d'un champ de surrection sur les formes topographiques via la loi
d'érosion: exemple des Siwaliks (Nepal)
La région des Siwaliks (Nepal) a été choisie pour étudier l'influence d'un champ de surrection
déterminé par ailleurs, sur la loi d'érosion [Lague et Davy, soumis]. L'étude s'est focalisée plus
particulièrement sur la sensibilité des versants aux variations de surrection. Il est montré que le
mécanisme d'érosion principal dépend de l'aire drainée, avec un exposant de la loi A/S de l'ordre de -
0.24 (S
A-0.24). Cette dépendance est en désaccord avec un modèle d'érosion des versants par
glissement de terrain. L'analyse des paramètres de la loi de puissance qui relie la pente à l'aire drainée
en fonction des taux de surrection montre que deux types de loi d'érosion peuvent satisfaire les
données: (i) une loi non linéaire sur la pente S avec un exposant n=3, ou (ii) une loi à seuil linéaire en
pente (n=1). Une valeur de n>2 est irréaliste et le deuxième type de loi apparaît donc pertinent. Ce
résultat est en accord avec les résultats expérimentaux et milite en faveur de la prise en compte d'un
seuil dans les lois d'érosion.
2.2 Détermination d'un champ de surrection par l'analyse morphologique: le cas du
Massif Armoricain
Depuis une dizaine d'années, le Massif Armorican représente un site test pour les études
géomorphologiques et les transferts de surface au sens large (cf. § "Le Massif Armoricain"). L'analyse
de l'incision et des terrasses des grands bassins versants [Bonnet et al., 2000] montre qu'il existe des
mouvements verticaux positifs contemporains de la formation du relief armoricain avec des vitesses de
surrection relatives qui varient de 0.01 à 0.1 mm/an. Une spatialisation fine des taux de surrection a été
établi à partir du formalisme de la relation pente/aire drainée [Lague et al., 2000]. L'idée générale est
qu'en tout point de la topographie d'aire drainée donnée, si (i) les processus d'érosion et de transport
sont homogènes, si (ii) la topographie est à l'équilibre dynamique, et si (iii) l'érodabilité ne dépend que
de la lithologie, alors toute variation de la pente topographique correspond à une variation de la
lithologie ou du taux de surrection. Cette méthode a été appliquée avec succès sur le Massif
Armoricain et a permis d'obtenir une carte de surrection relative globalement cohérente avec les
résultats obtenus indépendamment. Elle ouvre des perspectives intéressantes dans la mesure des
mouvements verticaux du fait de la disponibilité proche de Modèles Numériques de Terrain de haute
résolution. Les limites concernent toutefois l'hypothèse d'équilibre de la topographie, difficile à
vérifier.
2.3 Croissance des réseaux hydrographiques sur le Front Sud-Pyrénéen
Généralement, pour simplifier l'interprétation de la géométrie des reliefs naturels, les études
font l'hypothèse d'un état d'équilibre de la topographie (cf. ci-dessus). Toutefois, les différentes
simulations montrent l'intérêt de l'étude des systèmes dans les phases hors équilibre, potentiellement
riches en information en terme de conditions aux limites et de dynamique de transport. C'est pourquoi
une des études menée durant ces dernières années se focalise sur la croissance de réseaux
hydrographiques. Nous avons choisi le site d'Alfarras (Pyrénées espagnoles), qui correspond au flanc
d'un grand anticlinal ( 100 km de long) le long duquel se développent un ensemble d'incision
topographiques, remarquables de part leur périodicité et leur différence de développement dans
l'espace. Deux campagnes de terrain (cartographie des terrasses et GPS Différentiel) ont permis
d'établir la variabilité d'un échantillon de profils en long en fonction de la taille des bassins versants
associés et du dénivelé topographique à la bordure de l'anticlinal. On démontre que l'ensemble des
profils en long normalisés par la hauteur de cette condition aux limites convergent vers un profil
unique. Deux hypothèse peuvent expliquer cette configuration: (i) la vitesse de croissance des réseaux
est proportionnelle à la hauteur de la condition aux limites, et (ii) la vitesse de croissance des réseaux
est constante et les différences de taille des bassins s'expliquent par un retard dans l'initiation des
incision. Les premières modélisations expérimentales confirment cette première hypothèse. On ne
peut donc pas dans ce cas de figure interpreter les différences spatiales comme différentes étades dans
la croissance d'un même réseau hydrographique, démarche fréquemment utilisée en géomorphologie
(hypothèse ergodique). Les travaux en cours visent à mieux déterminer l'influence du dénivelé à la
condition aux limites sur la cinétique de croissance des incisions.
3. REPONSE DES RESEAUX HYDROGRAPHIQUES AUX VARIATIONS DU
CLIMAT
Les simulations numériques d'impact du climat sur les réseaux hydrographiques mettent en
évidence des variations de leur degré de ramification (densité de drainage) en fonction du volume des
précipitations. Le mécanisme principal mis en jeu correspond à une fluctuation spatiale de la transition
versant/réseau, c'est à dire des "têtes" des réseaux. Cette transition correspond à une valeur d'aire
drainée critique, c'est à dire à un flux d'eau, suffisante pour créer une incision topographique. Selon la
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