Chapitre 3 Rotation autour d’un axe fixe Dans le chapitre précédent, nous avons vu qu’un solide peut tourner sur lui-même sous l’action du moment d’une force. Nous allons donc nous intéresser à la rotation d’un solide sur lui-même en commançant par le cas le plus simple possible, à savoir, la rotation autour d’un axe fixe. Si l’axe de rotation passe par G, le centre de masse du solide, alors ce point est immobile et p~ = ~0. L’impulsion ne permet donc pas de décrire ce mouvement et il nous faut trouver un autre outil mathématique pour étudier la rotation. Par ailleurs, tous les points du solide n’ont pas la même vitesse. Comment décrire la rotation ? 3.1 Vecteur rotation Considérons donc un solide en rotation autour d’un axe fixe , comme sur la figure 3.1. Chaque point du solide a un mouvement de rotation autour de sa projection sur l’axe, D. La vitesse de rotation, !, est la même pour tous ces points. On va donc l’utiliser. Afin de prendre en compte la direction de l’axe et le sens de rotation, on introduit le vecteur rotation ! ~ qui est — porté par l’axe de rotation, — orienté en fonction du sens positif de rotation choisi, en suivant la règle du tire-bouchon comme pour le moment des forces, — et de norme d✓ k~ !k = . (3.1) dt Ici, ✓ est l’angle de rotation du solide. Soient O une origine choisie sur l’axe de rotation et M un point quelconque du solide. Voir la figure 3.1. La vitesse du point M vaut ~v (M ) = ! ! ! ! dOM dDM d~ur d✓ d✓ = = DM = DM ~u✓ = DM ~uz ^ ~ur = ! ~ ^ DM = ! ~ ^ OM . dt dt dt dt dt (3.2) Ainsi, pour un solide en rotation autour d’un axe fixe et O un point de cet axe, la vitesse d’un point M quelconque de ce solide, est ! ~v (M ) = ! ~ ^ OM . (3.3) Le mouvement de rotation du solide est bien caractérisé par la vitesse angulaire ! ~ qui permet de déduire aisément la vitesse de chaque point du solide. C’est elle que l’on cherchera à déterminer par la suite. 23 CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 24 Δ S M D O Figure 3.1 – Solide en rotation autour d’un axe 3.2 3.2.1 Théorème du moment cinétique Définition du moment cinétique Pour un mouvement de translation, la résultante des forces est liée à la quantité de mouvement via la relation fondamentale de la dynamique. Pour un mouvement de rotation, nous avons vu dans le chapitre précédent, que c’est le moment d’une force qui en est à l’origine. Pour connaı̂tre la réaction du solide à l’action de ce moment de force, il nous faut définir une grandeur intitulée moment cinétique qui est le moment de la quantité de mouvement. En mécanique du point, le moment cinétique d’un point M de masse m par rapport à un point O est donc défini par ! ! ~ o = OM ^ p~(M ) = m OM ^ ~v (M ). (3.4) Il a déjà été vu pour l’étude des mouvements des corps célestes où il correspond à l’aire balayée, à une constante multiplicative près. On peut généraliser aisément cette définition à un solide en le divisant en éléments dm puis en sommant sur tout le solide : ZZZ ! ~o = OM ^ ~v (M ) dm. (3.5) S Cette expression est complexe et difficilement utilisable ainsi. On va chercher à la simplifier. Alors que la quantité de mouvement est liée à l’invariance par translation par le théorème de Nöther, le moment cinétique est lié à l’invariance par rotation. Depuis le début de vingtième siècle, nous savons donc pourquoi la quantité de mouvement et le moment cinétique sont les grandeurs pertinentes pour étudier les mouvements de translation et de rotation respectivement. Pour rappel, l’énergie est liée à l’invariance par translation dans le temps. 3.2.2 Théorème du moment cinétique pour un point matériel Pour connaı̂tre l’évolution de l’orientation d’un solide, il nous faut considérer le moment cinétique par rapport à un point O fixe dans le référentiel d’étude, supposé galiléen. Comme pour l’impulsion, c’est sa dérivée par rapport au temps qui va nous intéresser. En mécanique du point, cela avait conduit au théorème du moment cinétique, rappelé ici. Pour un point M de masse m, d~ o dt = = ! ! d~v ! dOM m ^ ~v + m OM ^ = m OM ^ ~a dt dt ! ~ ~ OM ^ F~ext = M Fext /O . (3.6) CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 25 Pour un point matériel, toutes les forces sont appliquées en M . La structure de cette équation est similaire à celle de la relation fondamentale de la dynamique. 3.2.3 Théorème du moment cinétique pour un solide En mécanique du solide on aura la même relation en sommant tous les moments des forces extérieures par rapport à O calculés au point d’application de chacune des forces, X X ! d~ o ~ ~ = M OAi ^ F~i , Fext /O = dt (3.7) les forces intérieures se compensant. Dans cette expression, Ai est le point d’application de la force F~i . En cas de forces continues comme le poids, la somme devient une intégrale triple sur tout le volume. Là encore, le point O est supposé fixe dans un référentiel galiléen. Cette loi est générale et nous sera utile tout au long du cours car elle permet d’étudier la rotation due au moment des forces. Elle vient compléter le théorème de la résultante cinétique qui permet d’étudier le mouvement du centre de masse de l’objet. Dans certains pays, il s’agit de la deuxième loi du mouvement d’Euler qui vient compléter la première, vue au chapitre précédent. Dans ce chapitre, nous limiterons son application à l’étude des solides en rotation autour d’un axe fixe. Les mouvements plus généraux seront étudiés par la suite. 3.2.4 Calcul du moment cinétique dans le cas d’une rotation autour d’un axe fixe Ce qui nous intéresse souvent lors de l’étude du mouvement de rotation d’un solide, ce n’est pas de connaı̂tre son moment cinétique, mais plutôt sa vitesse de rotation caractérisée par le vecteur ! ~ . Comment relier ~ o et ! ~? Le lien entre ~ o et ! ~ n’est, a priori, pas simple et se fait généralement à l’aide d’une relation matricielle. Mais, dans le cas d’une rotation autour d’un axe fixe, on peut simplifier le problème. Pour résoudre l’équation di↵érentielle qui résulte de l’application du théorème du moment cinétique, on la projette sur des axes judicieusement choisis, comme en mécanique du point. Il se trouve que la projection sur l’axe de rotation permet d’accéder à la vitesse ! ~ . C’est donc ce que nous allons faire. Chaque point M du solide tourne autour de D, sa projection sur l’axe de rotation , et non O. Voir figure 3.1. Il est donc plus simple de faire intervenir D grâce à une relation de Chasles, ZZZ ZZZ ZZZ ! ! ! ~o = OM ^ ~v (M ) dm = OD ^ ~v (M ) dm + DM ^ ~v (M ) dm. (3.8) S S S ! En remarquant que le premier terme est orthogonal à OD et donc à l’axe ~ o · ~u = ~ , on a finalement, · ~u , avec ~u , vecteur unitaire porté par l’axe de rotation et orienté suivant le sens positif de rotation. On définit ~ , le moment cinétique par rapport à l’axe de rotation , ZZZ ! ~ = DM ^ ~v (M ) dm. (3.9) (3.10) S Cette expression fait intervenir la vitesse ~v (M ) qui dépend du point M choisi. Nous allons donc introduire la vitesse angulaire ! ~ qui commune à tous les points du solide. Pour un mouvement de rotation simple, ! ~v (M ) = ! ~ ^ DM . (3.11) Alors, ~ = ZZZ S ! ! DM ^ (~ ! ^ DM ) dm. En utilisant la formule du double produit vectoriel, ~a ^ (~b ^ ~c) = (~a.~c)~b (~a.~b)~c, on obtient, ZZZ ZZZ ! ! ! ~ = (DM )2 ! ~ dm (DM .~ ! )DM dm. S S (3.12) (3.13) CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 26 ! Le deuxième terme de l’équation précédente est nul car DM ? ! ~ . Finalement, on a, ✓Z Z Z ◆ ~ = DM 2 dm ! ~ =I ! ~. (3.14) S On a réussi à établir un lien direct entre le moment cinétique par rapport à l’axe de rotation, ~ et la vitesse de RRR rotation ! ~ . L’intégrale qui relie ces deux grandeurs, et qu’il nous reste à déterminer, S DM 2 dm, ne dépend pas du mouvement, seulement des caractéristiques du solide. On définit I , moment d’inertie du solide par rapport à l’axe , comme ZZZ I = DM 2 dm. (3.15) S Cette intégrale ne peut pas s’annuler. On se penchera plus tard sur les moments d’inertie, section 3.5. Revenons au moment cinétique. On peut conclure de ce calcul complexe, que l’on a simplement ~ =I ·! ~. (3.16) Cette expression du moment cinétique est à rapprocher de celle de la quantité de mouvement pour comprendre l’importance du moment d’inertie. Il joue le même rôle que la masse d’inertie, mais tient compte de l’éloignement à l’axe. 3.2.5 Conclusion Pour un solide en rotation autour d’un axe fixe, l’application du théorème du moment cinétique conduit à ⇣X ! ⌘ I !˙ = OAi ^ F~i · ~u . (3.17) où F~i sont les forces extérieures appliquées au solide, Ai leur point d’application, O est un point de l’axe, ~u le vecteur unitaire porté par l’axe, orienté suivant le sens de rotation choisi, I , le moment d’inertie du solide par rapport à cet axe et !, la vitesse angulaire de rotation du solide autour de cet axe. On aboutit à une équation di↵érentielle simple qui ressemble à celles vues lors de l’étude du mouvement des points. Pour des mouvements plus complexes, où il n’y a pas d’axe de rotation fixe, l’équation à étudier n’est pas la même. On verra cela dans le chapitre suivant. 3.3 3.3.1 Aspect énergétique Calcul de l’énergie cinétique pour un solide en rotation autour d’un axe fixe L’énergie cinétique d’un solide en mouvement est définie par ZZZ Ec = v 2 (M ) dm. (3.18) S Dans le cas d’un solide en rotation, nous allons utiliser le vecteur rotation angulaire ! ~ et introduire D, la projection du point M sur l’axe , afin de calculer plus facilement la norme de ~v (M ), ! ~v (M ) = ! ~ ^ DM , et donc, Finalement, ! k~v (M )k = k~ ! k · kDM k, 1 Ec = 2 ✓Z Z Z car ! ! ~ ? DM . ◆ DM dm ! 2 . 2 S (3.19) (3.20) (3.21) CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 27 On reconnaı̂t le moment d’inertie. Et donc, finalement, on a simplement, Ec = 1 I !2 . 2 (3.22) Comme le moment cinétique, l’énergie cinétique d’un mouvement de rotation fait intervenir le moment d’inertie et la vitesse angulaire. On retrouve le rôle important du moment d’inertie. 3.3.2 Théorème de l’énergie cinétique pour un solide en rotation autour d’un axe fixe Le théorème de l’énergie cinétique vu en mécanique du point peut être aisément généralisé au cas d’un solide en rotation. En notant F~i les forces extérieures s’appliquant en un point Ai du solide, le travail élémentaire des forces exérieures vaut, X X ! W = F~i .~v (Ai ) dt = F~i .(~ ! ^ OAi ) dt. (3.23) i i L’expression en fonction du vecteur rotation ! ~ n’est valable que pour un mouvement de rotation autour d’un axe fixe passant par O. En utilisant les propriétés du produit mixte, X ! X ~ ~ .~ W =( OAi ^ F~i ).~ ! dt = M (3.24) Fi /O ! dt. i i En mécanique du point, le travail des forces extérieures est égal à la variation de l’énergie cinétique. C’est encore vrai en mécanique du solide et nous allons le démontrer à l’aide du théorème du moment cinétique. W = d~ o d d! .~ ! dt = .! dt = I ! dt = dEc. dt dt dt (3.25) En conclusion, pour un solide en rotation autour d’un axe fixe, l’énergie cinétique s’écrit Ec = 12 I ! 2 et sa variation est égale au travail des forces extérieures qui peut s’exprimer ainsi, pour un déplacement élémentaire : dEc = W = X i ~ ~ .~ M Fi /O ! dt. (3.26) Nous verrons au semestre suivant une expression plus générale pour tous les mouvements. 3.4 Comparaison avec la mécanique du point Mouvement Etude du mouvement Théorème de l’énergie cinétique Point matériel ~v (M ) P~ d~ p Fext dt = avec p~ = m~v P~ dEc = Fext .~v dt avec Ec = 12 mv 2 Solide en rotation autour d’un axe fixe ! ~ P ~ d~ o MF~ext /O dt = avec ~ o .~u = I ! P ~ dEc = MF~ext /O .~ ! dt avec Ec = 12 I ! 2 Le mouvement d’un point matériel est caractérisé par sa vitesse ~v (M ) et dépend des actions du milieu extérieur (la résultante des forces extérieures) et de la “répugnance” du point à voir son mouvement modifié, c’est à dire, sa masse d’inertie. Le mouvement d’un solide en rotation autour d’un axe fixe, est caractérisé, quant à lui, par sa vitesse angulaire ! ~ et il faut remplacer la quantité de mouvement et la résultante des forces par leur moment respectif par rapport à un point fixe. Ce tableau contient toutes les relations à connaı̂tre et à savoir utiliser. Pour un solide en rotation autour d’un axe fixe, ce qui caractérise le système étudié, ce n’est plus la masse d’inertie, mais le moment d’inertie par rapport à l’axe de rotation. Nous allons donc apprendre à calculer cette nouvelle grandeur. CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 3.5 28 Moment d’inertie Les moments d’inertie ont été introduits par Leonhard Euler, mathématicien suisse, dans sa Theoria motus corpum solidorum seu rigidorum publiée en 1760. Son étude se penche d’abord sur les solides en rotation autour d’un axe fixe avant de s’intéresser aux mouvements plus généraux. On lui doit de nombreux autres développements en mécanique du solide. Le moment d’inertie joue un rôle primordial en mécanique du solide où il traduit, par analogie avec la masse d’inertie, la répugnance d’un solide à voir son mouvement de rotation modifié. Plus le moment d’inertie est élevé, plus il est difficile de mettre le solide en rotation. De la même façon, il sera plus difficile d’arrêter le mouvement de rotation d’un solide de moment d’inertie élevé. Pour une masse ponctuelle m située à une distance r de l’axe de rotation, I = mr2 . Il tient compte de la quantité de matière, comme la masse, mais aussi de la géométrie du système via l’éloignement à l’axe de rotation. Pour une patineuse tournant sur elle-même, le moment cinétique est constant. Nous verrons plus tard pourquoi. En rapprochant ses bras, elle diminue son moment d’inertie et augmente sa vitesse de rotation. Vous pouvez faire l’expérience avec une chaise tournante. C’est plus flagrant avec des masses au bout des bras. En revanche, pour un œuf cru que l’on fait tourner, la force centrifuge a tendance à écarter le liquide à l’intérieur, et donc à augmenter le moment d’inertie et ralentir la vitesse de rotation. Ce n’est pas le cas pour un œuf dur qui va tourner plus vite. Vous pouvez faire l’expérience, la di↵érence est flagrante. 3.5.1 Quelques moments d’inertie Le calcul de moments d’inertie n’est pas au programme de ce cours. Je vais me limiter ici à donner le résultat pour quelques géométries simples. Les calculs sont donnés dans l’appendice A. z z z b a O h O θ O M r φ y y x x Figure 3.2 – Solides pour lesquels on peut calculer analytiquement le moment d’inertie. Exemples : Plaque rectangulaire homogène de côtés a et b et de hauteur h tournant autour de son centre : Iz = m 2 (a + b2 ). 12 (3.27) Cylindre homogène de rayon R et de hauteur h tournant autour de son axe de révolution : Iz = 1 mR2 . 2 (3.28) Sphère pleine homogène de rayon R tournant autour d’un axe passant par son centre : Ix = Iy = Iz = 2 mR2 . 5 (3.29) CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 29 Pour tous ces exemples, le calcul est faisable analytiquement car nous avons choisi des solides homogènes avec des géométries simples et un axe privilégié qui passe par le centre de masse. Avec des géométries plus complexes, il faut généralement recourir à des calculs numériques. En revanche, on sait calculer le moment d’inertie par rapport à un axe excentré, si l’on connaı̂t ce moment par rapport à un axe passant par G. 3.5.2 Propriétés des moments d’inertie Additivité des moments d’inertie Si un solide S est constitué de deux sous systèmes S1 et S2 , alors ZZZ ZZZ ZZZ I (S) = DM 2 dm = DM 2 dm + DM 2 dm = I (S1 ) + I (S2 ). S S1 (3.30) S2 Théorème de Huygens (ou Huyghens) Les deux orthographes sont utilisées, même si la première est plus usitée. Considérons un solide de masse m et de centre de masse G. Soient G , un axe passant par G et , un autre axe parallèle et distant de a. Alors, le théorème de Huygens permet de calculer le moment d’inertie par rapport à , I , en fonction du moment d’inertie par rapport à G , I G : I =I G + ma2 . (3.31) Ce théorème est très utile pour calculer des moments d’inertie à partir de résultats connus. Δ M a DΔ DG G Figure 3.3 – Définition des points dans la démonstration du théorème de Huygens. Démonstration : Pour calculer I à partir de I G , il faut partir de ! ! ! D M = D DG + DG M , où D (3.32) et DG sont définis figure 3.3, et donc ! ! 2 D M 2 = D DG + D G M 2 + 2D D G . D G M . Le premier terme de droite correspond à a2 , le second va être utile pour calculer I nous embête. En introduisant G, qui a des propriétés remarquables, ! ! ! ! ! ! ! D DG .DG M = D DG .(DG G + GM ) = D DG .GM , (3.33) G , quant au troisième, il (3.34) CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 30 ! ! car D DG ? DG G. Finalement, en intégrant, on a ZZZ I = D M 2 dm S ZZZ ZZZ ZZZ ! ! = a2 dm + DG M 2 dm + 2D DG . GM dm S = S (3.35) (3.36) S ma2 + IG + 0, (3.37) par définition de G. cqfd. A noter que Christiaan Huygens, physicien hollandais membre de l’Académie Royale des Sciences française, n’a pas énoncé le théorème de cette façon puisque les moments d’inertie ont été introduits 90 ans plus tard. Dans son traité Horologium oscillatorium sive de motu pendulorum ad horologia aptato demonstrationes geometricae édité à Paris en 1673, il étudie notamment le mouvement des pendules et démontre des propriétés qui seront traduites plus tard en ces termes. Nous reviendrons sur l’approche de Huygens après avoir vu les pendules pesants. 3.6 3.6.1 Etude de mouvements de rotation autour d’un axe fixe Démarche La démarche pour résoudre un problème impliquant un solide en rotation autour d’un axe fixe est similaire à celle utilisée en mécanique du point. On commence par définir le système étudié, puis on fait le bilan des forces et moments extérieurs qui s’appliquent au système. On applique ensuite le théorème du moment cinétique par rapport à un point O fixe dans un référentiel galiléen judicieusement choisi. Pour pouvoir résoudre le problème, on doit projeter cette équation sur l’axe de rotation orienté à partir du sens positif de rotation. Cela va impliquer de calculer le moment d’inertie du système par rapport à l’axe de rotation. On obtient ainsi une équation di↵érentielle qu’il ne reste plus qu’à intégrer. . . 3.6.2 Exemple : mouvements avec conservation du moment cinétique Considérons un homme sur une chaise qui peut tourner librement. On supposera que l’axe de rotation, noté , est parfaitement vertical. Les forces extérieures subies par le système homme + chaise sont le poids de l’ensemble, qui est vertical, et la réaction du support avec une force résultante et un moment. Si l’on néglige les frottements, la composante verticale du moment des forces de liaison est nulle. On applique ensuite le théorème du moment cinétique, en choisissant un point O sur l’axe, qui est fixe dans un référentiel galiléen : ! d~ o ~ O. = OG ^ m~g + M (3.38) dt Pour résoudre, on projette ensuite sur le vecteur unitaire de l’axe de rotation, ~uz , ce qui donne d~ o · ~uz = 0, dt (3.39) car le poids est vertical. La composante du moment cinétique sur l’axe de rotation, ~ o · ~uz = I !, est donc conservée. Si le système tourne, il va tourner indéfinitivement car on a négligé les frottements. La vitesse de rotation est constante si I ne change pas. En revanche, si l’homme écarte les bras, son moment d’inertie va augmenter et donc sa vitesse de rotation va diminuer. Vous pouvez essayer. Si vous portez des masses au bout des bras, c’est encore plus spectaculaire ! Pour les mêmes raisons, un astre seul dans l’univers tourne sur lui-même à vitesse angulaire constante. Quand l’étoile s’e↵ondre pour donner, par exemple, une étoile à neutrons, beaucoup plus compacte, le moment d’inertie diminue et la vitesse de rotation augmente. 3.6.3 Exemple : pendules Nous allons, dans cette partie, faire le lien avec le cours sur les oscillateurs en étudiant des pendules que vous avez vus en TP. CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 31 O O ϑ G ϑ Pendule pesant Pendule de torsion Figure 3.4 – Pendules pesant et de torsion. Pendule pesant On suppose que le solide peut tourner librement autour d’un axe fixe et qu’il est soumis à la seule pesanteur en G et aux forces de contact en 0, voir figure 3.4. La liaison étant de type pivot, les contraintes de liaison se ~ qui a, a priori, 3 coordonnées, et de moment M ~ qui a une composante traduisent par une force de résultante R, nulle sur l’axe de rotation. Comme, on étudie un mouvement de rotation autour d’un axe fixe, il est plus direct d’appliquer le théorème du moment cinétique par rapport au point fixe O sur l’axe à la verticale de G quand le pendule est vertical. ! d~ 0 ~. = OG ^ m~g + M dt (3.40) En projetant sur l’axe de rotation, on a, I d2 ✓ = dt2 OG mg sin ✓, (3.41) où I est le moment d’inertie du pendule par rapport l’axe passant par O. Pour de petits mouvements sin ✓ ' ✓ et l’on a l’équation d’un oscillateur harmonique de pulsation p ⌦ = OG mg/I . (3.42) Pour le pendule simple, qui se réduit à une masse ponctuelle au bout d’une tige de longueur l et de masse négligeable, OG = l et I = ml2 , ce qui donne p ⌦ = g/l, (3.43) résultat connu. Ce qui a de remarquable avec les pendules, c’est que le temps nécessaire à une oscillation (la période) ne dépend pas de l’écartement initial (dans la limite des petites amplitudes). Cette propriété fait que les pendules sont très utiles à la mesure du temps. Digression culturelle : Le théorème de Huygens exprimé par Huygens Dans la dédicace à Louis XIV de son Horologium oscillatorium, Huygens justifie ses travaux ainsi, CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 32 “Quant à l’utilité de mon invention, il n’est pas nécessaire, Puissant Roi, que je me serve de beaucoup de paroles pour la faire voir [...] Tu n’ignores pas les usages les plus spéciaux auxquels je la destinais dès le commencement. Je veux parler des services qu’elle peut rendre tant dans les observations célestes que dans la mesure des longitudes des di↵érents lieux pour les navigateurs. 1 ” La détermination de la longitude a constitué un enjeu scientifique et technologique pendant plus de 100 ans. Plusieurs gouvernements o↵raient une forte récompense à qui trouverait un méthode fiable pour la navigation. La plus forte était celle du parlement anglais en 1714. La latitude est facile à déterminer en utilisant l’inclinaison du soleil ou des étoiles. La longitude a résisté longtemps, provoquant des naufrages ou allongeant inutilement des voyages et entraı̂nant le scorbut 2 . Deux voies sérieuses ont été explorées, l’une utilisant les astres, et l’autre deux horloges, auxquelles se sont ajoutées de nombreuses propositions loufoques par des charlatants attirés par l’appât du gain et de la célébrité. Galilée a proposé une méthode basée sur la rotation des lunes de Jupiter, qui est devenue très précise sur terre grâce aux observations systématiques de Cassini. Malheureusement en mer, à cause la houle, les observations sont beaucoup plus difficiles et la méthode n’est pas assez précise. Si on arrive à mesurer les décalages horaires entre point de départ grâce à une horloge fiable embarquée et le point où de trouve le navire en observant la trajectoire du soleil, il est possible de déterminer la longitude : une heure correspond à quinze degrés car la Terre tourne sur elle-même en 24h. Huygens consacra beaucoup de temps aux horloges, ce qui le conduira à breveter plusieurs systèmes et découvrir des lois de la mécanique. En 1714, Newton résumait ainsi la problématique : “One is, by a Watch to Keep Time exactly : But by the reason of the Motion of a Ship, the Variation of Heat and Cold, Wet and Dry, and the di↵erence of Gravity in di↵erent Latitudes, such a Watch hath not yet been made : Another is, by the Eclipses of Jupiter’s Satellites : But by the reason of the Length of Telescopes, requisite to observe them, and the Motion of a Ship at Sea, those Eclipses cannot yet be there observed : A Third is by the Place of the Moon : But her Theory is not yet exact enough for this Purpose : It is exact enough to determine her Longitude within Two or Three Degrees, but not within a degree 3 : House of Commons Journal, 25th May 1714” 4 Il faudra attendre les horloges très précises de John Harisson (1693-1776) et leur production en masse à la fin de 18ième siècle pour que cette méthode s’impose par sa simplicité. Pour étudier les caractéristiques du mouvement d’un pendule pesant complexe, Huygens a utilisé le pendule simple équivalent. En comparant les deux expressions pour ⌦, équations (3.42) et (3.43), on a immédiatement que le pendule simple de même masse doit avoir une longueur l= I0 mOG (3.44) pour être isochrone, c’est à dire, avoir la même période d’oscillation que le pendule complexe. Huygens avait exprimé ce résultat ainsi : “Prop. V. - Etant donné un pendule composé d’un nombre quelconque de poids, si chacun d’eux est multiplié par le carré de sa distance à l’axe d’oscillation et que l’on divise la somme de ces produits par le produits de la somme des poids par la distance de leur centre de gravité au même axe d’oscillation, on obtiendra ainsi la longueur du pendule simple isochrone au pendule composé”. Ne connaissant pas la notion de moment d’inertie, Huygens était obligé de considérer le pendule comme un ensemble de masses ponctuelles dont on connaı̂t la distance à l’axe de rotation. La démonstration a été faite à l’aide d’arguments géométriques que nous ne reproduirons pas ici. Dans ce même traité, il démontre la proposition suivante : “Prop. XX. - Lorsqu’une même grandeur oscille, la suspension étant tantôt plus courte et tantôt plus longue, les distances du centre d’oscillation au centre de gravité sont inversement proportionnelles aux distances des axes de suspension au centre de gravité.” 1. 2. 3. 4. Cité par Evelyne Barbin, La révolution mathématique du XVIIe siècle, ellipse 2006 On peut lire Longitude par Dava Sobel, JC Lattès (1996), pour une présentation très vulgarisée Un degré correspond à 111 km Cité par Le calcul des longitudes sous la direction de Vincent Julien, Presses Universitaires de Rennes 2002, page 85 CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 33 Le centre d’oscillation correspondant au pendule simple isochrone, cette proposition s’exprime mathématiquement l OG / 1 OG ou l l0 OG O0 G = 0 OG OG (3.45) en faisant le rapport entre deux longueurs de pendule. Après un simple produit en croix et en remplaçant les longueurs l et l0 par les moments d’inertie, plus modernes, voir équation (3.44), on a I0 mOG2 = I00 mO0 G2 . (3.46) Cette expression, égale à IG , n’est rien d’autre que le théorème de Huygens tel que nous le connaissons actuellement. Pendule de torsion Nous allons étudier le pendule de torsion représenté sur la figure 3.4. Il est constitué de masselottes et d’une tige horizontale fixée à un fil vertical. Pour simplifier, on va supposer que le centre de masse du système est sur l’axe de rotation. Contrairement au pendule pesant, le pendule de torsion n’est pas libre de tourner car la liaison n’est pas la même. En oscillant, il tord un fil dit de torsion, qui s’oppose à cette torsion. En réaction, le fil exerce des forces de rappel sur le pendule. Que valent-elles ? Comme le centre de masse est immobile, la somme des forces extérieures exercées est nulle, mais pas leur moment. Un ensemble de forces dont la somme est nulle, mais pas le moment total, est appelé ⌧ couple de forces , même s’il y a plus de deux forces. Dans le cas du pendule de torsion, comme nous ne connaissons pas ces forces de rappel, nous allons supposer que, pour des petits mouvements, la composante du moment de rappel sur l’axe de rotation est proportionnelle ~ .~uz = C✓ où ~uz est porté par l’axe de rotation. Comme pour un ressort, la constante à l’angle de torsion : M de torsion C est déterminée expérimentalement. Afin de s’a↵ranchir de la pesanteur et ne s’occuper que de l’action du fil, nous allons supposer que le pendule est horizontal et qu’il tourne autour d’un fil vertical. Voir figure 3.4. Ainsi, ! d~ 0 ~, = OG ^ m~g + M dt (3.47) ce qui donne, une fois l’équation projetée sur l’axe vertical, I d2 ✓ = dt2 C✓, (3.48) avec I le moment d’inertie p de la tige par rapport à l’axe de rotation. C’est l’équation d’un oscillateur harmonique de pulsation ⌦ = C/I . p Ce résultat est à rapprocher de celui obtenu pour un oscillateur harmonique dans le cours de vibrations, ⌦ = k/m, qui est similaire. 3.6.4 Exemple : machines tournantes Etant donnée l’importance des machines tournantes dans le monde dans lequel on vit, nous allons aborder ce thème. Mise en rotation Une machine tournante peut être réduite à un solide de révolution constitué par le rotor d’un moteur, l’arbre de transmission et le rotor de l’outil. Qu’est-ce qui fait tourner le système ? C’est généralement un ensemble de forces qui agissent sur une route crantée ou via une courroie. La somme de ces forces est nulle pour ne pas dénlacer le système, mais pas la somme des moments. Le moment résultant ne dépend pas du point utilisé pour le calcul et est donc une grandeur caractéristique de l’ensemble de forces. L’e↵et est équivalent à celui d’un couple de forces, c’est à dire deux forces opposées dont les points d’appui sont distincts, à condition que le moment soit identique. Dans une telle situation, comme pour le pendule de CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 34 torsion, on parle alors de couple de forces, même s’il y en a plus qui agissent et on le caractérise par un moment seul. ~ m et l’outil un couple résistant M ~ r . Lors de la On suppose donc que le moteur exerce un couple moteur M ~ ~ ~ ~ r k. Des mise en route, ces moments sont opposés (Mm .~uz > 0 et Mr .~uz < 0) et on suppose que kMm k > kM ˙ ~ frottements de type visqueux exercent un couple de frottement, Mf = ↵✓ ~uz . En désignant par I le moment d’inertie par rapport à l’axe de rotation, l’équation du mouvement s’écrit, I ✓¨ = Mm + Mr ˙ ↵✓. (3.49) Si les moments du moteur et de l’outil sont constants, il est possible d’intégrer simplement cette équation pour trouver, !(t) ✓(t) = = Mm + Mr ↵ Mm + Mr ↵ ⇣ ↵t I 1 e t+ I ⇣ e ↵ ⌘ , ↵t I (3.50) ⌘ 1 , (3.51) avec !(0) = 0 et ✓(0) = 0. La vitesse de rotation tend exponentiellement vers une vitesse limite !1 = Mm↵+Mr . Cette vitesse est d’autant plus grande que l’écart entre les couples moteur et résistant est grand et que le frottement est petit. Le temps caractéristique pour atteindre cette valeur limite est donné par ⌧ = I/↵. Ce temps est d’autant plus court que l’inertie du moteur est faible et que les frottements sont élevés. Si l’on souhaite que des changements brusques de moments résistant ou moteur n’entraı̂nent pas de fortes variations de vitesse, on aura intérêt à ce que ⌧ soit plus long que les intervalles de temps sur lesquels ces changements ont lieu. Cela peut être réalisé en ajoutant un volant d’inertie sur l’axe de rotation de façon à augmenter le moment d’inertie I sans trop augmenter la masse. Bilan énergétique Une fois la vitesse limite atteinte, le moment cinétique est constant, sa dérivée est nulle et la somme des moments appliqués aussi : ~m+M ~ r ↵~ M ! = 0. (3.52) ~ ·! On a vu que le travail d’un moment de force est de la forme W = M ~ dt. La puissance correspondante est ~ donc P = M· ! ~ . En multipliant l’équation précédente par ! ~ , on en déduit que la puissance fournie par le moteur vaut donc, Pm = |Mr |! + ↵! 2 , (3.53) où le premier terme correspond à la puissance reçue par l’outil et le second à la puissance dissipée par frottement sous forme de chaleur. Equilibrage Si le centre de masse d’un solide en rotation n’est pas sur l’axe de rotation, la quantité de mouvement du solide, p~ = m~vG , ne sera pas nulle. On peut appliquer le théorème de la résultante cinétique. Outre le poids, les forces extérieures sont dues au support : d~ pG ~ + m~g . =R (3.54) dt ~ dans la base intrinsèque. Ici, N ~ est le vecteur normal et r est la distance Si la rotation est uniforme, ~aG = r! 2 N de G à l’axe de rotation. Alors, la réaction du support doit compenser deux forces, ~ = mr! 2 N ~ R m~g . (3.55) En réaction, le support subira une action du solide en rotation, sous forme de vibrations. Avec de grandes vitesses de rotation, cet e↵et peut être très important : supposons que le centre de masse d’un solide en rotation p 2 soit à une distance r = 1 mm de l’axe de rotation. La dérivée de la quantité de mouvement vaut k d~ dt k = mr! , ce qui donne environ 10 ⇥ mg pour ! = 50 tours/s et 1000 ⇥ mg pour 500 tours/s. Pour éviter ces inconvénients CHAPITRE 3. ROTATION AUTOUR D’UN AXE FIXE 35 G O Figure 3.5 – Roue déséquilibrée. qui peuvent endommager le support, il convient de s’assurer que le centre de masse du solide en rotation est bien sur l’axe de rotation. En pratique, cela est réalisé en ajoutant une masselotte ou en enlevant un peu de matière. On parle alors d’équilibrage statique. De la même façon, si le moment cinétique du solide en rotation n’est pas parallèle à l’axe de rotation, le moment de la résultante des forces extérieures n’est pas parallèle non plus. Or, la composante parallèle à l’axe correspond aux couples moteurs, résistants et de frottement, alors que l’autre composante se répercute sur le support. Mathématiquement, avoir le moment cinétique parallèle à l’axe de rotation signifie que la matrice d’inertie est diagonale, ce qui est compliqué à étudier. Concrètement, on parle d’équilibrage dynamique. On peut montrer que si l’axe de révolution est axe de symétrie du solide en rotation, alors le moment cinétique est parrallèle à l’axe de rotation. Là encore, l’équilibrage dynamique se fait en ajoutant des masselottes ou en enlevant un peu de matière. Dans la pratique, il faut que les deux équilibrages, statique et dynamique, soient réalisés pour éviter les vibrations du support. On peut montrer mathématiquement que cela peut être réalisé avec deux masselottes. Un exemple typique de machine tournante déséquilibrée est la machine à laver. En e↵et, le linge ne se répartit pas de façon homogène et il n’y a aucune raison que les conditions d’équilibrage soient réalisées. Au moment de l’essorage, où le tambour tourne très vite, la machine vibre beaucoup et il faut alors de lourds contre-poids pour qu’elle ne bondisse pas. 3.6.5 Etude de la rotation d’un point matériel avec les outils de la mécanique du solide Voir TD. 3.7 English vocabulary rotation d’un solide indéformable autour d’un axe fixe vitesse angulaire moment cinétique moment d’inertie par rapport à un axe pendule théorème de Huygens machine tournante équilibrage statique et dynamique rotation of a rigid body about a fixed axis angular velocity angular momentum moment of inertia - rotational inertia about an axis pendulum The Parallel Axis Theorem rotating machine static and dynamic balance