MÉMOIRE DE L’APC L'utilisation non indiquée des médicaments en psychiatrie Présenté par le Dr Jitender Sareen, Président, Comité de recherche de l’APC Au Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie Le 27 février 2013 Qu'est-ce que l'utilisation non indiquée sur l'étiquette? C'est lorsqu'on utilise un médicament homologué en dehors de la condition ou de l'indication pour laquelle l'homologation a été émise. Les sociétés pharmaceutiques présentent une demande d'approbation pour promouvoir l'utilisation de médicaments pour des troubles précis. Ces règlements sur l'homologation sont conçus pour régir les demandes que les sociétés pharmaceutiques peuvent faire concernant leurs médicaments. Bien qu'il soit illégal pour les sociétés pharmaceutiques de promouvoir l'utilisation de médicaments pour des troubles non indiqués, les médecins peuvent légalement prescrire des médicaments à des fins non indiquées. L'ordonnance de médicaments à des fins non indiquées est fréquente dans tous les domaines de la médecine et est souvent nécessaire pour aider les patients qui souffrent de symptômes résiduels. Bien que de nombreux cliniciens considèrent que le médicament est homologué pour traiter un trouble donné, ils se fient beaucoup plus aux lignes directrices relatives aux pratiques cliniques, aux examens systématiques et à l'expérience clinique. L'Association canadienne de protection médicale a émis des recommandations à l'intention des médecins sur l'utilisation non indiquée de médicaments et de dispositifs médicaux. Elle suggère que les médecins devraient lire les publications médicales et examiner si l'utilisation non indiquée de médicaments est suffisamment reconnue parmi leurs pairs, qu'ils devraient prendre des précautions raisonnables pour s'assurer que l'utilisation non indiquée convient pour le trouble dont souffre le patient, qu'ils devraient informer les patients que le médicament n'est pas approuvé pour leur trouble particulier et, enfin, qu'ils devraient obtenir un consentement éclairé et documenté avant de prescrire un médicament à des fins non indiquées. Pour revenir aux troubles mentaux, pourquoi a-t-on recours à l'utilisation non indiquée sur l'étiquette pour le traitement de la maladie mentale? L'ordonnance de médicaments à des fins non indiquées est très fréquente et essentielle dans le traitement des troubles mentaux. En voici les principales raisons. Premièrement, depuis qu'on a réduit les préjugés entourant la maladie mentale au cours des dernières années, on veut de plus en plus trouver un traitement pour les problèmes de santé mentale. Les troubles mentaux présentent souvent des symptômes complexes qui touchent de multiples aires du cerveau. La plupart des médicaments approuvés pour le traitement des troubles mentaux courants permettent uniquement de réduire partiellement les symptômes. L'ordonnance des médicaments à des fins non indiquées sert à traiter les symptômes résiduels et à améliorer le fonctionnement. Deuxièmement, l'ordonnance d'antidépresseurs et d'antipsychotiques à des fins non indiquées chez les enfants et les personnes âgées a augmenté au cours des 10 dernières années. Les sociétés pharmaceutiques ne demandent souvent pas l'approbation des médicaments pour les enfants et les personnes âgées, en raison de préoccupations financières. Il est difficile de mener des études dans ces groupes et d'en mesurer les résultats. Les cliniciens vont souvent utiliser pour des enfants et des personnes âgées des médicaments qui ont été approuvés pour un trouble chez un adulte. Il y a toutefois un besoin urgent de mener des recherches sur la sécurité de l'utilisation non indiquée de médicaments chez les enfants et les personnes âgées. Troisièmement, la majorité des gens qui souffrent de troubles mentaux au Canada sont traités par leur médecin de famille, qui n'a pas ni le temps ni la formation pour offrir de la psychothérapie. En raison des longues listes d'attente pour obtenir des évaluations psychiatriques et de la disponibilité limitée des psychothérapies, les patients reçoivent souvent des médicaments pour traiter leur maladie et ne suivent pas de psychothérapie. Enfin, il existe peu de données pour aider les cliniciens à déterminer la durée du traitement dont une personne a besoin. Par conséquent, les patients prennent une panoplie de médicaments, dont certains sont utilisés à des fins indiquées sur l'étiquette et d'autres non, pour réduire leurs symptômes. Pour obtenir l'approbation, les sociétés pharmaceutiques réalisent souvent des études à court terme, qui varient généralement entre six semaines et un an. Toutefois, la durée requise d'un traitement et l'innocuité à long terme des médicaments demeurent souvent inconnues. Quelles sont nos suggestions concernant les recherches et les politiques futures? Tout d'abord, il faut investir massivement dans la recherche qui vise à comprendre les causes sous-jacentes des troubles mentaux. Jusqu'à ce que nous découvrions la cause de la maladie, les médicaments continueront de réduire les symptômes plutôt que de guérir la maladie. À l'instar des investissements considérables effectués dans la recherche sur les maladies cardiovasculaires, le cancer et le sida qui se sont traduits par d'importantes découvertes et un meilleur traitement de ces troubles, une hausse semblable du financement s'impose pour comprendre les causes sous-jacentes des troubles mentaux. De surcroît, des investissements dans des façons novatrices pour traiter les problèmes de santé sont aussi urgents. Deuxièmement, les gouvernements comptent trop sur les sociétés pharmaceutiques pour mener des recherches sur les médicaments. Nous devons constituer une capacité de recherche indépendante et objective pour effectuer des essais sur les médicaments une fois qu'ils sont approuvés. Ces recherches devraient mettre l'accent sur la sécurité et l'efficacité à long terme de ces médicaments et cibler plus précisément les jeunes et les personnes âgées. Enfin, le Canada doit investir pour offrir aux médecins des formations impartiales axées sur les avantages et les risques des médicaments. Au cours des 20 dernières années, la majorité des formations à l'intention des médecins ont été commanditées par des sociétés pharmaceutiques, à qui l'on reproche d'être partiales. Il y a eu des changements stratégiques substantiels pour réduire la partialité potentielle dans la formation des médecins. Néanmoins, on a encore besoin de formations et de pratiques exemplaires qui ne sont pas axées sur le profit. Ces formations devraient adopter une approche exemplaire qui inclut des médicaments et de la psychothérapie. En somme, l'utilisation non indiquée des médicaments est un outil essentiel pour traiter les gens qui souffrent de troubles mentaux sévères et invalidants. Les gouvernements ne peuvent pas compter sur les sociétés pharmaceutiques pour mener des recherches à long terme sur les causes et les traitements appropriés des troubles mentaux. Ces investissements amélioreront le traitement et réduiront le fardeau des maladies mentales pour la société canadienne. Lire la transcription intégrale au : http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/411/soci/32ev-49992f.htm?Language=E&Parl=41&Ses=1&comm_id=47