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Texte de l’épreuve de compréhension écrite
► Lisez attentivement cet extrait et répondez aux questions de l’épreuve
de compréhension écrite.
Un apprenti boulanger
Julien est mis en apprentissage dans une boulangerie.
Maurice est un autre apprenti plus âgé.
Julien se lava, remit sa veste, et s’assit sur le marbre. Seule
était éclairée la lampe de la plonge qui laissait dans l’ombre toute une
partie de la pièce. Rien ne vivait que le feu qui bourdonnait. De temps
à autre, une braise rouge tombait dans l’eau du cendrier où elle
chantait un instant avant de s’éteindre. La chatte du patron était entrée avec Julien. Elle l’avait
regardé travailler, assise sur la platine du four ; puis, lorsqu’il s’était installé sur le marbre, elle
était venue s’allonger sur ses genoux. Elle ronronnait à présent, cardant le tissu mince du
pantalon. Plusieurs fois, Julien lui prit les pattes de devant qu’il emprisonnait dans sa main.
Elle continuait alors de remuer ses griffes, mais sans jamais faire mal.
Depuis deux mois qu’il était ici, Julien s’était installé dans la routine de la maison. Les
coups de gueule du patron et du chef, les minauderies de la patronne, les sorties nocturnes
par les toits et le travail, tout se tenait, s’enchaînait de telle sorte qu’il n’avait guère le temps
de penser. Il connaissait à présent les clients et savait, avant de partir faire une livraison, le
montant du pourboire qu’il encaisserait. Depuis longtemps, il avait appris à mettre chaque
matin dans sa corbeille quelques croissants de plus que le compte, et savait aussi en quelle
partie de sa tournée il valait le mieux les manger. Une fois par semaine, il écrivait à sa mère,
qui répondait toujours en lui disant qu’il ne parlait pas assez de sa santé, de son travail, de la
façon dont ils étaient nourris.
Sur ce chapitre de la nourriture, Maurice lui avait donné quelques bonnes leçons.
Lorsque la table n’était pas suffisamment garnie, il était assez facile de se rattraper sur les
gâteaux. Il suffisait de prendre parmi ceux qui n’étaient pas encore terminés, c’est-à-dire pas
encore comptés. D’ailleurs, seul le chef aurait pu s’apercevoir de quelque chose et Maurice
affirmait qu’il ne dirait jamais rien.
- Il sait bien que le singe est radin. Avant de se marier, il mangeait ici aussi, et il a eu le
temps de comprendre. Parce qu’on mange à la même table qu’eux, les patrons se figurent
qu’on est assez nourris, seulement, faut voir ce qu’ils s’envoient en dehors des repas. Et puis,
ils ne font pas tant de boulot que nous. Ils n’ont pas besoin de forces.
Maurice bougonnait souvent, et il lui arrivait de faire la tête pendant des heures. Mme
Petiot riait. Elle plaisantait en disant qu’il avait l’air d’un gros bébé qui a perdu sa sucette.
Maurice ne soufflait mot, mais, dès qu’elle avait tourné les talons, il disait invariablement :
- Quand je vois comment le personnel est traité chez mon père !
Bernard C
LAVEL
, La grande patience, La maison des autres, Paris, J’ai Lu, 1962.
Université Paris-Sorbonne IV – SELFEE – Paris-Sorbonne B2 – 10 septembre 2011