Quelques pensées kierkegaardiennes dans la philosophie de Jean

Quelques pensées kierkegaardiennes
dans la philosophie de Jean Wahl
par Ole Koppang
Jean Wahl, depuis des années professeur de philosophie å la Sorbonne, a
publié beaucoup d’æuvres portant sur la philosophie et sur lhistoire de la
philosophie. Ses «Etudes kierkegaardiennes» ont déjå paru en 1927, une
deuxme édition fut publiée en 1953. Jean Wahl y a expo les thémes princi-
paux du philosophe danois en insistant particuliérement sur les relations qui
existent entre la philosophie de Kierkegaard et celle dautres penseurs re-
marquables, surtout Martin Heidegger et Karl Jaspers. Jean Wahl ne s’est pas
limi cependant aux études historiques. 11 a écrit des livres sur des sujets
dordre sysmatique, parmi lesquels «Traité de métaphysique», assez -
cemment publié, doit étre considéré comme son chef dæuvre. Pourtant il y a
aussi dans ses livres sur lhistoire de la philosophie beaucoup de points de vue
sysmatiques, nous pensons surtout å ses livres «Le malheur de conscience
dans la philosophie de Hege. «Yers le concret», contenant des études sur
William James, Gabriel Marcel et Alfred Whitehead. II a mis en lumiére les
différents aspects de lexistentialisme dans son livre «Petite histoire de lexisten-
tialisme». Jean Wahl sait unir dune maniére convaincante le point de vue
sysmatique et celui dun historien de la philosophie. Or les penes kierke
gaardiennes ont mis leur empreinte sur sa propre philosophie. Dans ce qui
suivra nous nous sommes proposé dexaminer comment des penes kierke
gaardiennes s’entremélent dans sa propre philosophie.
Søren Kierkegaard s’est vivement méfde ceux qui ont prétendu adopter
simplement la pensée d’un autre philosophe. Or il nest pas nécessaire de
développer plus explicitement que Jean Wahl a élaboré les penes qui re-
montent å Kierkegaard dune maniére tout å fait autonome. Jean Wahl, lui,
na aucune confidence inébranlable dans la valeur dun systéme philosophique
visant å résoudre les problémes dont se sont occupés les penseurs depuis
lantiqui jusqua nos jours. II nexpose jamais ses propresflexions dune
fa^on dogmatique et moins encore doctrinaire. Au contraire il conseille å ses
Quelques pensées kierkegaardiennes dans la philosophie de Jean Wahl
lecteurs de se garder des idées figées sur nimporte quel sujet philosophique.
En ce qui concerne Pexistentialisme, Jean Wahl refuse daccepter ce courant
philosophique comme la philosophie véritable, comme le feraient ceux qui
se contenteraient de juger lexistentialisme superficiellement. II nattribue
ancune importance outrée au fait que lexistentialisme est actuellement å
lordre du jour. Mais de lautre coté il sait approfondir les problémes qui ont
donné naissance å ce terme philosophique. Cest surtout le concept dexistence
qui représente laffinité entre la philosophie kierkegaardienne et celle de Jean
Wahl. Quest-ce quil dit lui-méme sur la contribution donnée par Kierkegaard
en vue dun approfondissement de ce probléme? Dans «Traité de métaphysi-
que» Jean Wahl insiste sur le danger des mots troppandus dans les livres
et dans les exposés philosophiques dun caractére moins vaste. Or, le terme
dexistentialisme préte aux déplorables idées erronées que Jean Wahl a soin
déviter dans sa propre philosophie. II rapproche la pensée de Kierkegaard å
celle de Socrate, disant que celui-ci a vivement insisté sur la pensée existentielle.
Jean Wahl pense que lempreinte particulrement chrétienne qua re?ue la
pensée de Søren Kierkegaard nempéche pas que celle-ci nait eu une in-
fluence considérable sur des philosophies ou le christianisme ne joue ancun
role pour lélaboration du systéme philosophique. II trouve aussi que Kierke
gaard a raison dunir le concept dexistence å celui de transcendance. Kierke
gaard a, daprés Jean Wahl, approfondi le probléme de lexistence. Bien que
le philosophe danois ait donné å la posrité une philosophie ou domine des
brisures et des discontinuités, Søren Kierkegaard a eu raison de démontrer
lapport de la pene existentielle. II a, prétend Jean Wahl, enrichi la philoso
phie en donnant une place prépondérante au concept dexistence. Jean Wahl
en dit: «Sans doute la position dun Kierkegaard, si dangereuse quelle soit,
apporte avec elle quelque chose de pcieux, de semblable å ce sentiment de
pauvre surlequel insistent les mystiques DansTraité de métaphysique Jean
Wahl apprécie aussi le fait que Kierkegaard ne succombe pas å la tentation
dexagérer limportance de lobjectif auxpens du subjectif. Parmi les nom-
breuses questions que traite Jean Wahl, celle de limportance de la personnalité
occupe une place préponderante dans sa philosophie.
Jean Wahl prétend que le philosophe est toujours amené å s’interroger
lui-méme sur son propre destin et sur la situation dans laquelle il se trouve en
envisageant les problémes fondamentaux de la philosophie. La préoccupation
philosophique ne perd daprés lui rien quand le philosophe se met dans les
situations dangereuses, ou il risque toutefois déchouer. La valeur de son ac-
tivi augmente dautant plus quil ose affronter les questions qui le ménent
Ole Koppang
11 4 vers labime. Jean Wahl aime la méditation solitaire et la philosophie qui se
déroute en dialogues animés. II adhére å la méthode platonicien ne, quil
retrouve dans la maniére de penser particuliére å Kierkegaard. Jean Wahl
sefforce aussi dinsister sur la sévérité de la vie. II noublie jamais de faire
remarquer 1’opposition entre la philosophie grecque dans ses tendances les
plus signifieatives et la pensée kierkegaardienne. II dit dans ses «Etudes kierke-
gaardiennes» sur Kierkegaard les mots suivants: «Lhumeur qui caractérise
lhomme religieux ce sera le sérieux, la maturi, la méditation, la responsabi-
li, ce que Kierkegaard appelle laccent éthique du sérieux II porte egale-
ment un jugement tres frappant sur le concept de la souffrance dans la philo
sophie kierkegaardienne: «Cette souffrance, elle ne vient pas seulement de la
persécution, elle ne vient pas seulement de la rupture avec limmédiat; elle
vient de notre contradiction, elle vient de labime que nous sentons å nos
cotés, du gouffre que nous sentons å nos pieds; elle est dans le désespoir de
lentendement.»
Jean Wahl trouve tout en insistant sur les études de la pene philosophique,
que limmédiat doit exercer un grand attrait sur lhomme préoccupé de ques-
tions ou il s’agit de lessence méme de la vie. Dans sa «Petite histoire d’existen-
tialisme» Jean Wahl fait prévaloir le role de la conscience la plus individuelle.
Or, cest lå un des traits fondamentaux de la philosophie de Søren Kierkegaard.
Jean Wahl a consac des études pouses å quelques philosophes qui se sont
particulrement voués å létude du concept de limmédiat. En introduisant
le point de vue historique Jean Wahl dit de William James, dAlfred Whitehead
et de Gabriel Marcel: «Or ces mémes philosophes dont nous avons par
nous font voir aussi linanité de la critiquegélienne, en mettant l’accent sur
le mien, sur Vici, le maintenant, sur tous ces éments de désignation dont la
pensée ne peut semparer quen les dénaturant. Ils revendiquent les droits de
limmédiat.» Ce qui plait å Jean Wahl chez ces philosophes c’est la maniére
dont ils mettent en lumre linterdépendance des relations fondamentales.
Celles-ci ne représentent rien qui soit surajouté aux choses, elles évoquent
par leur existence la pene aux traits transcendant la spre de limmé-
diat individuel. Or le concept de la transcendance occupe une grande place
dans la philosophie kierkegaardienne. Quest-ce que Jean Wahl en pense en
sappuyant sur la pene élaborée avec une telle vigueur par Søren Kierkegaard.
Lie de transcendance obtient dans la philosophie kierkegaardienne son
empreinte particuliére par les traits chrétiens inséparables de la pensée du
philosophe danois. Dans son petit livre «Existence humaine et transcendance»
Jean Wahl montre la consistance quaura la pensée en adoptant la rigueur
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quimpose lidée de transeendanee. II veut lui-méme faire prévaloir les idées
deffort et dintensi propres å la maniére de penser kierkegaardienne. II
démontre la ressemblance de la pensée de transeendanee å lie du choix.
Quand lie dexistence est unie å celle de transeendanee nous concevons
lexistence dans sa plénitude et dans sa richesse. Jean Wahl attribue une grande
importance å la tension apparaissant dans la situation indiquée par Kierkegaard.
Le probme du temps est éclairci par les réflexions kierkegaardiennes sur
1existence. Le penseur danois a vivement refu la conception totalitaire de
Hegel, mais une vue globale plus pcieuse surgit daprés Jean Wahl, lorsque
Kierkegaard réfchit aux probmes attachés au temps. Dans sa philosophie
le sentiment de lexistence reve de lexpérience du passé et de lespoir et de
lattente inparables de lesprit se projetant vers lavenir. Jean Wahl exprime
la pensée kierkegaardienne, å laquelle il adhére, par les mots suivants: «Lexi-
stence alors aura tendance å se définir par le regret ou l’espoir.» II appelle la
transeendanee «une durée de relation, un secret auquel nous participons. En
envisageant la tension nécessairement due au sentiment de lexistence, lhomme
est invité å dire å la fois «ou et «non» å la vie. Limportant, cest toujours la
situation individuelle de lhomme mis en psence dune transeendanee
impérieuse. Jean Wahl résume la contribution de Kierkegaard å léclaircisse-
ment de ces probmes fondamentaux par les mots suivants: «Cette conscience
de la transeendanee est liée au sentiment et å lidée de distance, la conscience
impliquant distance par rapport å ce dont on a conscience.» Jean Wahl garde
une attitude sceptique envers les penseurs qui prétendent trop gérement ré-
soudre les problémes fondamentaux de la vie. Voilå pourquoi il incline å
suivre le penseur danois en insistant sur le fait de la séparation entre les créa-
tures et la divmi. Ce quil dit sur ce sujet de Kierkegaard élucide sa propre
image du monde: «I1 ny a pas chez Kierkegaard cette confluence des åmes en
Dieu, et cette expansion, ce dédoublement de Dieu dans les åmes. II y a ici
une force de négation beaucoup plus puissante, une opposition des individus
beaucoup plus irductible.» Jean Wahl éprouve pourtant, comme beaucoup
de philosophes, le besoin d’une unité, dune vue globale. II tend å accepter
une telle tendance en faisant allusion aux idées de Kierkegaard sur 1absolu.
II dit sur lattitude kierkegaardienne: «Labsolu nexiste que dans le rapport
ou nous sommes avec lui Le méme fait est souligné par ces déclarations:
«La transeendanee suppose limmanence «Notre esprit navance que par
négation, nécrit que par ratures et ne prononce que par dilemmes dont il
accepte un des termes.»
Jean Wahl observe quelques tendances semblables å celles décrites dans ce
Ole Koppang
116 qui préde, chez dautres philosophes. Une confrontation avec sa propre
philosophie nous fait supposer quil éprouve une certaine sympathie pour ces
penes, qui sont aussi celles de Kierkegaard. Ces tendances remontent méme
å son premier grand ouvrage, «Les philosophes pluralistes d Angleterre et
dAmérique» (1928), ou il expose les doctrines d’un grand nombre de penseurs
avec une pénétration minutieuse. En parlant de Bradley il met en garde contre
les essais trop poussés de constater une cohérence insoluble. II loue ce philo
sophe préoccupé de conserver å la vie toute sa valeur tragique. Comme contre-
poids aux essais trop légers de construire une cohérence Jean Wahl signe les
tendances empiristes dans la philosophie anglaise et américaine. II exprime
une vive symphathie pour les philosophes qui se sont voués au culte de parti-
culier. Ces philosophes éprouvent une grande joie devant les forces en lutte.
Ils ont l’amour de l’effort et de laventure. Ces philosophes sont fort difrents
de Søren Kierkegaard, mais malg les dissemblances manifestes une certaine
affinité ne se laisse pas dissimuler. Ce que Jean Wahl dit sur William James
nest pas trop loin de la physionomie de Kierkegaard: «Le paradis de James
sera le monde avec ses pcipices, ce quil veut cest vivre une vie intense et
extraire du jeu de la vie ses plus grandes possibilites d excitation Kierkegaard
nest pas å proprement parler un philosophe qui exalte la joie de vivre, mais
lintensité de son sentiment de la vie impregne beaucoup de ses écrits. La
définition suivante de la pene de W. James donne aussi une ie d’un concept
pas trop éloig de la maniére de penser de Kierkegaard: «La véri reprend
sa place parmi les choses particuliéres, est tout entiére composée de choses
particuliéres elles-mémes, elle est faite de tous les intermédiaires entre 1 ie
et la réalité A la fin une remarque sur la conception religieuse de James jette
une lumre intéressante sur son affinité avec la pene kierkegaardienne.
«La religion est ce qui rend le monde dramatique et dangereux, c est elle qui
amplifie les sonances du monde.»
Les écrits philosohiques de Jean Wahl témoignent dun esprit qui ose
envisager les questions les plus difficiies dordre historique et strictement
philosophique. II élucide aussi les courants principaux de la philosophie
contemporaine. Quelques-unes de ses remarques sur Heidegger et sur Jaspers,
insérées dans ses «Etudes kierkegaardiennes» font voir son propre avis sur
quelques questions qui revent de la philosophie de Søren Kierkegaard.
Jean Wahl examine minutieusement les rapports entre le concept dangoisse
chez Kierkegaard et celui du souci (Sorge) chez Heidegger. II y a lå des con
cepts tout å fait personnels. Ensuite il traite du role attribué par Heidegger
au fait de la détermination. Cest toujours la pensée subjective qui enrichit la
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