PAGE 4 PERSPECTIVE D’OCTOBRE AU 30 SEPTEMBRE 2003 À L’INTENTION DES COURTIERS UNIQUEMENT
Maintenant que les États-Unis ont amorcé une
période de forte croissance de la productivité,
nous constatons qu’une telle croissance entraîne
d’autres problèmes tels que des pertes d’emploi
massives et une volatilité des marchés financiers.
La situation est ironique parce qu’en théorie,
une augmentation subite de la croissance de la
productivité est une très bonne nouvelle à long
terme, un peu comme si nous recevions
en cadeau la fameuse poule aux œufs d’or. Le
problème vient du fait que nos régimes politiques
actuels ne semblaient pas conscients que la poule
aux œufs d’or pouvait également faire de gros
dégâts sur la pelouse devant la maison.
Nous sommes convaincus que l’augmentation de
la productivité se poursuivra et aura d’énormes
répercussions positives à long terme, tant pour les
investisseurs que pour la plupart des intervenants
dans l’économie. Il est cependant essentiel de se
demander si la société et les gouvernements pour-
ront s’adapter au stress causé par cette révolution
dans la productivité. À proprement parler, est-ce
qu’une vague de réactions politiques défavorables
finira par tuer la poule aux œufs d’or ? Nous ne le
pensons pas. Mais ce qui surviendra devrait avoir
une importance extrême pour les marchés au
cours des prochaines années.
Pourquoi la productivité revêt-elle autant
d’importance?
Même une faible progression du taux de croissance
de la productivité peut revêtir une grande impor-
tance au fil des ans pour une raison bien simple :
l’incroyable pouvoir de la capitalisation. Supposons,
par exemple, que les optimistes aient raison et que la
productivité puisse connaître un taux de croissance
de 3,5 % au cours des prochaines décennies, par rap-
port au taux de croissance moyen de 1,4 % qu’elle a
enregistré lors des deux dernières décennies jusqu’en
1995. Cela aurait des répercussions incroyables sur
la création de la richesse, le revenu réel doublant
tous les 20 ans plutôt que 50 ans.
Au cours des cinq dernières années, la productivité
en Amérique a progressé en moyenne de 3,3 % – ce
qui représente le rythme de croissance le plus rapide
depuis des décennies (Voir le graphique 1). Cette
croissance s’est manifestée malgré la récession
de 2001 et la croissance anémique qui a suivi et
également, malgré la dégringolade des titres du
secteur des technologies de l’information survenue
après les sommets atteints à la fin des années 90.
LE MONDE SELON BILL STERLING
La croissance de la productivité :
est-ce vraiment une bonne nouvelle ?
WILLIAM STERLING STRATÈGE MONDIAL
Pendant des années, les économistes ont allégué que le taux
de croissance de la productivité de la main-d’œuvre représentait
l’aspect le plus important des perspectives à long terme de l’économie.
PRODUCTIVITÉ DE LA MAIN-D’ŒUVRE AUX É.-U.
Source : The Economist
4
3
2
1
0
1980 à 85 1985 à 90 1990 à 95 1995 à 00 2000 à 03
Taux de croissance annuels moyens en %
Graphique 1: La productivité de la main-d’œuvre américaine a connu une forte
progression au cours des cinq dernières années, en raison des investissements
technologiques et de l’élaboration de nouveaux modèles de fonctionnement.
PERSPECTIVE D’OCTOBRE AU 30 SEPTEMBRE 2003 À L’INTENTION DES COURTIERS UNIQUEMENT PAGE 5
Cela confirme que ce secteur n’accroît pas
automatiquement la productivité, les entreprises
devant adapter leurs modèles de fonctionnement
et réorganiser leurs opérations avant de pouvoir
profiter pleinement des avantages découlant des
nouvelles technologies.
Si cette augmentation subite de la productivité
pouvait se poursuivre, cela serait extrêmement
avantageux sur le plan économique. Par exemple,
la plupart des scénarios les plus sombres au sujet
des difficultés qu’auront les gouvernements à
financer les régimes publics lorsque les baby
boomers prendront leur retraite reposent –
comme il se doit – sur des hypothèses prudentes
au sujet de la croissance de la productivité et de la
croissance globale de l’économie à long terme. Si
le taux de productivité était plus élevé que prévu,
beaucoup de problèmes pourraient sans doute
être réglés plus facilement.
Au début des années 90, les économistes
pessimistes comme Paul Krugman de l’Université
de Princeton s’étaient longuement penchés sur
le problème du faible taux de croissance de la
productivité en Amérique. Dans des ouvrages tels
que Peddling Prosperity (1994), M. Krugman
affirmait avec beaucoup de conviction qu’une
croissance élevée de la productivité était
essentielle pour des perspectives économiques
intéressantes à long terme :
« L’Amérique est confrontée à deux graves problèmes :
un faible taux de croissance de la productivité et
une augmentation de la pauvreté (conséquence
d’une croissance insuffisante de la productivité et de
l’inégalité grandissante des revenus). Tout le reste est
d’importance secondaire ou n’est même pas un
enjeu. Le déficit budgétaire, par exemple, est un
problème uniquement dans la mesure où il freine
la croissance de notre productivité. . La capacité
concurrentielle de l’Amérique sur la scène interna-
tionale ne constitue pas vraiment un enjeu. »
On pourrait s’imaginer que M. Krugman allait
littéralement sauter de joie à l’annonce des plus
récentes nouvelles sur la productivité. Ce n’est pas
le cas. Dans son dernier ouvrage intitulé The
Great Unraveling: Losing Our Way in the New
Century, il semble très préoccupé par des prob-
lèmes supposément secondaires comme le déficit
financier américain et les agissements de certains
escrocs de Wall Street.
Reprise avec perte d’emplois
La croissance rapide de la productivité comporte
cependant un grave inconvénient : elle peut entraî-
ner la disparition de nombreux emplois avant que la
« main invisible » du capitalisme crée de nouveaux
emplois. Une telle croissance peut également provo-
quer une instabilité financière ainsi que des tensions
sociales. Le risque que ces problèmes provoquent
une vague de réactions politiques défavorables
est tellement grand que les politiciens préféreront
éliminer volontairement la croissance de la produc-
tivité en adoptant des « solutions faciles ».
L’imposition désastreuse de barrières tarifaires dans
les années 30 en est un excellent exemple.
Dans les circonstances actuelles, le problème aux
États-Unis vient du fait que la reprise économique
n’est pas uniquement une reprise sans création
d’emploi mais en fait une reprise avec perte d’em-
plois. (Voir le graphique 2). Par exemple, bien que
le prestigieux National Bureau of Economic
Research ait déclaré que la récession de 2001 avait
pris fin en novembre de la même année, plus d’un
million d’Américains ont perdu leur emploi
depuis. Selon les statistiques des reprises
économiques antérieures, l’économie devrait
actuellement avoir généré quelque trois millions
de nouveaux emplois.
Ce n’est pas ce qui s’est produit cette fois-ci
malgré les importants stimulants monétaires et
budgétaires offerts pour relancer l’économie. La
cause principale de cette situation semble être
une croissance de la productivité beaucoup plus
rapide que celle que prévoyaient les responsables
des politiques. Depuis le début de la reprise, il y a
environ quatre millions d’emplois « manquants »
La croissance de la productivité :
est-ce vraiment une bonne nouvelle ? (suite)
LE MONDE SELON BILL STERLING
REPRISE AVEC PERTE D’EMPLOIS
Source : National Bureau of Economic Research
1,04
1,02
1,00
0,98
0,96
0,94
0,92
Mai 2000
Mai 2001
Mai 2002
Mai 2003
Nouveaux emplois vs. Cycles précédents
Novembre 2001
Moyenne des 6 réc. récessions
Graphique 2 : L’effet négatif du boom dans la productivité a été la perte de plus
d’un million d’emplois aux États-Unis depuis le début de la reprise en novembre
2001 – au contraire des autres cycles économiques.
aux États-Unis – trois millions d’emplois qui
auraient dû normalement être créés et un autre
million d’emplois qui a été perdu. Cette question
est devenue pour le président Bush un enjeu
politique majeur force probablement l’admi-
nistration Bush à essayer de régler rapidement
d’autres problèmes comme celui de la faiblesse du
dollar américain.
Périodes d’expansion et de récession inhérentes
à une nouvelle ère
Dans le passé, les augmentations subites de pro-
ductivité ont souvent été associées à un climat
d’instabilité financière. Par exemple, le boom
économique associé à la construction du chemin de
fer dans les années 1800 a été marqué par des vagues
de spéculation financière et un krach pénible. Le
boom de l’automobile dans les années 1920 s’est
caractérisé par une hausse incroyable de la pro-
ductivité mais également par des spéculations
financières qui se sont soldées par un krach boursier.
Le problème lorsque survient une « nouvelle ère »
est que les entrepreneurs et les investisseurs devien-
nent trop optimistes. Cela se traduit par des périodes
de surinvestissement suivies de périodes de repli
difficiles. Nous venons tout juste de vivre ce genre
d’épisode avec les périodes d’expansion et de
récession qu’ont connues les titres du secteur des
technologies, ce qui prouve qu’il n’y a rien de
vraiment nouveau sous le soleil. Toutefois, du point
de vue historique, il est intéressant de noter que le
boom du chemin de fer qui avait débuté dans la
première moitié du 19ème siècle n’a pas pris fin avec
la première récession survenue au milieu du siècle.
Il a été suivi par plusieurs décennies de développe-
ment économique marquées successivement par des
périodes d’expansion et des périodes de récession,
tandis que le taux sous-jacent de productivité
enregistrait une forte croissance.
Au cœur même de ces cycles d’expansion et de
récession, il y avait des entrepreneurs optimistes et
audacieux. Historiquement, ces gens étaient
louangés lorsqu’ils faisaient fortune ou qu’ils
enrichissaient d’autres personnes et ils étaient
maudits lorsque les choses tournaient mal.
L’économiste renommé de Harvard, Joseph
Schumpeter, les décrit à juste titre comme les
héros du processus parfois malsain de « destruction
créatrice » qui est l’essence même du capitalisme
et du développement économique.
À travers l’histoire, les tensions sociales avaient
tendance à survenir lorsqu’un petit groupe
d’entrepreneurs devenaient très riches, tout parti-
culièrement lorsque ce groupe comprenait un
certain nombre d’escrocs. Encore aujourd’hui,
nous ne sommes pas à l’abri des gens malhonnêtes
comme l’ont démontré les scandales entourant
certaines entreprises comme Enron, WorldCom,
et Tyco. Même s’il est évident que les personnes
qui enfreignent la loi doivent être punies, jusqu’où
une entreprise devrait-elle aller pour décourager
les comportements à risque et éviter ainsi que
des gens peu scrupuleux commettent des excès ?
Sur le plan social, on pourrait conclure que
l’émergence de quelques escrocs lors des périodes
d’expansion est un bien petit prix à payer pour le
fort taux de croissance de la productivité obtenu
par les entrepreneurs qui prennent des risques.
Voici ce qu’en dit l’économiste britannique
réputé, Nicholas Kaldor :
« Les forces qui causent les expansions et les
récessions sont souvent responsables également du
rythme du développement économique. ... Une
économie dans laquelle les hommes et les femmes
d’affaires sont audacieux, les attentes très volatiles
et la tendance à l’optimisme, sera susceptible
de connaître une rythme de croissance plus rapide
qu’une économie dans laquelle les investisseurs sont
prudents. Le héros de Schumpeter, « l’entrepreneur
novateur » que nous avons écarté un peu cavalière-
ment au début, finit par occuper une place
honorable ou même à jouer un rôle clé dans la
pièce. ... Il est en fait un promoteur, un spéculateur,
un parieur, un vecteur de l’expansion économique
en général et non pas seulement de quelques
nouvelles techniques de production. »
La croissance de la productivité :
est-ce vraiment une bonne nouvelle ? (suite)
LE MONDE SELON BILL STERLING
PAGE 6 PERSPECTIVE D’OCTOBRE AU 30 SEPTEMBRE 2003 À L’INTENTION DES COURTIERS UNIQUEMENT
HAUSSE DU CAPITAL PAR TRAVAILLEUR
Source : Merrill Lynch
5 900
5 700
5 500
5 300
5 100
4 900
4 700
4 500
4 300
4 100
3 900
3 700
1998
1999
2000
2001
2002
2003
$ / personne
Dépenses en technologie du secteur privé par travailleur
Graphique 3 : Les entreprises continuent d’accroître la productivité en remplaçant les
travailleurs relativement chers par des biens d’équipement peu chers et la technologie
de l’information.
PERSPECTIVE D’OCTOBRE AU 30 SEPTEMBRE 2003 À L’INTENTION DES COURTIERS UNIQUEMENT PAGE 7
La croissance de la productivité :
est-ce vraiment une bonne nouvelle ? (suite)
LE MONDE SELON BILL STERLING
Au cours de sa longue carrière, le professeur
Kaldor n’a jamais été en faveur d’un capitalisme
non réglementé, mais il est particulièrement
intéressant de noter sa position au sujet de
l’importance que l’optimisme et la capacité de
prendre des risques revêtent pour le dynamisme
économique d’une nation.
Il est encourageant de constater que la réaction
politique aux États-Unis à la volatilité des marchés
financiers et aux scandales financiers des dernières
années a été jusqu’à présent relativement réservée.
Un nombre important d’escrocs ont été traînés
devant les tribunaux et les normes comptables et de
régie d’entreprise ont été resserrées. Cependant, les
politiques économiques pro-croissance demeurent
en place et peut-être le meilleur indicateur de
l’instinct et du désir de prendre des risques,
c’est-à-dire l’indice boursier Nasdaq, a effectué
une remontée de plus de 50 %. Le marché des
obligations à rendement élevé et le marché des
obligations de sociétés ont également connu des
redressements importants. Comme le Nasdaq, ces
marchés en hausse sont des indicateurs prometteurs
de l’amélioration de l’état des placements et
finalement de la création d’emploi.
Comme nous l’avons mentionné dans le rapport
du mois dernier, les marges bénéficiaires des
entreprises se sont améliorées considérablement
et la croissance des bénéfices a été fort impres-
sionnante au cours des deux derniers trimestres.
Comme les bénéfices sont l’âme du système
économique, la hausse continue des bénéfices
des entreprises permet d’entrevoir une reprise
économique plus généralisée. Le meilleur
remède aux problèmes causés par la hausse de la
productivité est la hausse de la demande,
soutenue par une politique monétaire souple. La
Réserve fédérale a indiqué qu’elle continuera
d’adopter une politique monétaire pro-croissance
tant que la reprise ne sera pas plus soutenue. Il ne
faut pas oublier que la Réserve fédérale poursuit
deux objectifs : la stabilité des prix et le plein
emploi. En l’absence d’inquiétudes au sujet de
l’inflation, la Réserve fédérale est clairement en
bonne position pour stimuler la croissance
économique qui à son tour aura un effet positif
sur l’emploi.
Enfin, les progrès époustouflants réalisés dans le
domaine des sciences et des technologies, qui sem-
blent être à la base de la nouvelle révolution indus-
trielle, sont loin d’être terminés – malgré
le déraillement des technos sur les marchés
financiers. Les entreprises continuent de faire des
investissements dans de nouvelles technologies (voir
le graphique 3). Et, comme l’indique le graphique
4, la « Loi de Moore » continue de s’appliquer, la
puissance des ordinateurs semblant doubler à tous
les 18 mois ou presque. Gordon Moore lui-même,
un des cofondateurs de Intel, a estimé que le
nombre de transistors par microplaquette semi-con-
ductrice atteindrait presque un milliard d’ici la fin
de la décennie. À l’heure actuelle, les microplaque-
ttes contenant le plus de circuits comptent environ
80 millions de transistors.
Le résultat final est que la révolution de la
productivité a survécu à l’alternance de forte
expansion et de récession d’il y a quelques années
et que tout nous porte à croire qu’il s’agit d’une
tendance durable. Si les décideurs résistent à
l’envie de tuer la poule aux œufs d’or, nous esti-
mons que les pessimistes auront de nouveau tort.
William Sterling, Stratège mondial,
Trilogy Advisors, LLC
LA LOI DE MOORE
Source : Intel
80
70
60
50
40
30
20
10
0
1979
1981
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
2003
Millions
Nombre de transistors dans un microprocesseurs Intel
1979 : 8080
29 000 transistors
1982 : 80826
134 000 transistors
1985 : Intel 386
275 000 transistors
1989 : Intel 486
transistors de 1,2 mn Pentium :
transistors de 3,1 mn
Pentium Pro :
transistors de 5,5 mn
Pentium II :
transistors de 7,5 mn
Intel Celeron :
transistors de 19 mn
Pentium III :
transistors de 28 mn
Pentium 4 :
transistors de 42 mn
Pentium 4 (HT) :
transistors de 55 mn
Pentium M :
transistors de 77 mn
Graphique 4 : La puissance des ordinateurs est en grande accélération et Intel estime
que le nombre de transistors par microplaquette devrait atteindre presque un milliard
d’ici la fin de la décennie.
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