14
Seules, certaines bactéries et les plantes chlorophyl-
liennes sont capables de vivre en prélevant unique-
ment des éléments minéraux (eau, gaz carbonique,
sels minéraux) pour se nourrir. La grande majorité
des êtres vivants, et la totalité des animaux, se nour-
rissent de matière organique morte ou vivante. Cette
dépendance crée des chnes alimentaires parfois très
complexes : plantes – végétariens – prédateurs des
végétariens – prédateurs des prédateurs – parasites –
recycleurs de la matière organique morte. Au jardin, les
ravageurs potentiels appartenant quasi-exclusivement
aux animaux végétariens s’attaquant aux plantes culti-
vées, comme les pucerons qui seront pris en exemple,
les prédateurs de ces ravageurs apparaissent comme
des auxiliaires. La relation prédateurs/proies est à la
base de nombreuses stratégies de lutte biologique.
Une proie est un animal dévoré par un autre animal.
Un prédateur est un animal qui tue un autre animal
pour sen nourrir. On distingue généralement le pré-
dateur, qui tue immédiatement une proie de sa taille
ou presque, du parasite qui tue plus ou moins lente-
ment sa proie et qui est en général beaucoup plus petit
qu’elle. Cette distinction n’est pas pertinente : ce sont
tous les deux des prédateurs. Le parasite vrai, comme
le pou par exemple, vit aux dépens de son hôte sans
jamais le tuer.
Les pdateurs généralistes
Un prédateur généraliste se caractérise par son spectre
de proies large. Il ne consomme pas une esce ou un
groupe despèces précis, mais chasse toutes les proies
à sa taille passant à sa portée dans le milieu qu’il fré-
quente. Il peut être omnivore, c’est-à-dire à la fois
végétarien et carnivore, comme le perce-oreille com-
mun. Celui-ci chasse souvent sur les arbres. Quand
les pucerons sont abondants, il les dévore. Quand ils
sont rares ou absents, il peut consommer les algues
vertes proliférant sur le tronc ou mordiller les fruits en
formation. Certains prédateurs généralistes peuvent
n’être intéressants qu’à une période de leur cycle de
vie. Par exemple la mésange bleue, très habile pour
s’accrocher aux tiges les plus souples pour en prélever
les pucerons, est surtout effi cace au moment de l’éle-
vage des jeunes, quand elle passe ses journées à chas-
ser les insectes.
Les prédateurs généralistes contribuent au contrôle de
la plupart des ravageurs importants du jardin. Mais
leurs prélèvements ne sont pas suffi samment réguliers
et leur impact su samment important pour empê-
cher à eux seuls leurs pullulations.
Les prédateurs spécialisés
Un prédateur spécialisé se caractérise par son spectre
de proies étroit. Il se focalise sur un groupe de proies,
les pucerons par exemple, voire une seule espèce. Son
effi cacité est donc très grande pour contrôler un rava-
geur, puisqu’il le chasse même s’il n’est pas en grand
nombre dans lenvironnement, car il dépend de lui
pour se nourrir ou nourrir ses larves.
Parmi les ennemis des pucerons, les trois prédateurs
spécialisés les plus connus sont les coccinelles, les
larves de chrysope et les larves de syrphe. Tous sont
utilisés en lutte biologique et peuvent être achetés
dans le commerce, produits par des élevages de masse.
Mais ils sont normalement présents dans tout jardin
accueillant pour la biodiversité. Leur effi cacité, outre
le choix restreint de leurs proies, est due à leur pro-
pension à ne pas consommer intégralement le puceron
capturé. Ils en tuent beaucoup plus que nécessaire.
Beaucoup moins connues car di ciles à observer, les
guêpes et les mouches « parasites » eff ectuent égale-
ment un travail très important. Leur action peut s’ob-
server au travers de certaines traces qu’elles laissent,
Le système prédateurs/proies au jardin
Vincent Albouy, OPIE Poitou-Charentes
Guêpe poliste attaquant une chenille - © V. Albouy
15
comme des corps momi és de pucerons collés sur les
feuilles ou les tiges. Elles sont aussi très utilisées en
lutte biologique.
La plupart des ravageurs potentiels du jardin
n’éveillent pas lattention du jardinier parce que leurs
populations restent sous le « seuil de nuisibilité », cest-
à-dire que les dégâts qu’ils commettent sont si faibles
qu’ils ne sont pas visibles, ou du moins ne diminuent
pas sensiblement la production. C’est essentiellement
par l’action continue des prédateurs spécialisés qu’ils
sont ainsi contenus. Leur présence au jardin nest pas
gênante tant qu’ils restent sous ce seuil. Elle est même
souhaitable, car sinon les auxiliaires spécialisés dispa-
raîtraient aussi, faute de pouvoir se nourrir. Pour avoir
des coccinelles au jardin, il faut des pucerons.
Auxiliaires de protection et de
nettoyage
Un auxiliaire est dit « de protection » quand son action
permet de maintenir la population du ravageur poten-
tiel sous le seuil de nuisibilité. Mais cette population
peut, pour diverses raisons comme, par exemple, un
hiver doux ayant favorisé la survie des hivernants,
brusquement exploser. Les auxiliaires de protection
ont une fécondité trop faible pour suivre le rythme.
Quand le seuil de nuisibilité est franchi et que le rava-
geur pullule, commettant des dégâts visibles dimi-
nuant sensiblement la production, seuls les auxiliaires
dont la fécondité est aussi explosive peuvent suivre le
rythme et nalement briser la pullulation. Les popula-
tions du ravageur seff ondrent alors aussi rapidement
qu’elles ont augmenté, pour souvent devenir presque
insignifi antes. Pour cette raison, ces auxiliaires sont
qualifi és « de nettoyage ».
La distinction prédateur généraliste/spécialisé ne
recoupe pas la distinction auxiliaire de protection/
de nettoyage. Si les prédateurs généralistes restent
en général des auxiliaires de protection, tous les
prédateurs spécialisés ne sont pas des auxiliaires de
nettoyage. Seuls ceux qui disposent d’une fécondité
explosive entrent dans cette catégorie. Cette fécondité
repose soit sur une fertilité très importante, chaque
femelle pouvant donner naissance à des centaines, des
milliers, voire des dizaines de milliers de larves, soit
sur une succession rapide des générations au cours de
la belle saison, lune nexcluant pas forcément lautre.
Par exemple chez les syrphes du jardin, lun des plus
effi caces est le syrphe bâton parce qu’il connaît plu-
sieurs générations dans lannée.
La prise en compte du système prédateurs/proies par le
jardinier lui permet d’économiser beaucoup de peines
et de produits chimiques, à condition de favoriser la
présence des prédateurs comme nous le verrons plus
loin. Mais par son fonctionnement même, ce système
à la base de la lutte biologique passive ne peut garantir
des pertes de production. Elles arrivent immanquable-
ment durant la période où les populations du ravageur
dépassent le seuil de nuisibilité avant de s’eff ondrer
sous laction des auxiliaires de nettoyage.
Coccinelle à deux points Adalia Bipunctata sur larves
de laurier rose - © V. Albouy
Graphique auxiliaire de nettoyage - © V. Albouy
Graphique auxiliaire de protection - © V. Albouy
16
Deux stratégies sont possibles pour y faire face. Soit
diversifi er les productions du jardin, et tolérer ainsi
que certaines puissent être fortement a ectées de
temps en temps. Soit passer à la lutte biologique
active, avec lâcher dauxiliaires délevage. Ces pertes
de production presque inéluctables expliquent pour-
quoi, dans une agriculture se spécialisant de plus en
plus donc ne pouvant supporter les aléas de produc-
tion, le recours aux pesticides de synthèse s’est géné-
ralisé depuis une soixantaine dannées. Si lavenir de
lagriculture repose sur une meilleure utilisation des
processus écologiques comme certains laffi rment, la
prise en compte du système prédateurs/proies revien-
dra en force.
Il restera malheureusement toujours quelques cas
pour lesquels il sera inopérant : celui des espèces
introduites dun continent à l’autre sans leur cortège
de prédateurs. Même si quelques prédateurs généra-
listes locaux peuvent s’adapter à ces nouveaux venus,
labsence de prédateurs spécialisés, et parmi eux
dauxiliaires de nettoyage, obligera à trouver dautres
solutions pour contrôler ces ravageurs, sauf si certains
de leurs prédateurs peuvent aussi être introduits sans
dommages pour la biodiversité.
Favoriser les prédateurs
Tout jardinier peut renforcer la protection de son
jardin reposant sur les systèmes prédateurs/proies en
favorisant les prédateurs. Bien sûr, larrêt des traite-
ments insecticides contribue à favoriser leur présence
au jardin. Mais ils subissent des contraintes clima-
tiques, écologiques ou autres qui, indépendamment
de la présence ou non des proies, peuvent aff ecter leur
présence au jardin ou leur e cacité dans le contrôle
des populations des ravageurs. Les pucerons par
exemple, rejetant des déjections sucrées dont ra olent
les fourmis, sont protégés de leurs prédateurs par ces
dernières. La lutte contre certains pucerons se résume
parfois à la lutte contre les fourmis, ou plus exacte-
ment à empêcher les fourmis daccéder aux colonies de
pucerons pour laisser les prédateurs faire leur travail.
Favoriser les prédateurs consiste aussi à leur fournir la
nourriture dont ils ont besoin à certains stades de leur
vie. Par exemple, les syrphes, les mouches et les guêpes
parasites, qui comptent parmi les plus effi caces auxi-
liaires de nettoyage, butinent les fl eurs à lâge adulte.
Des bandes fl euries semées à proximité des cultures à
protéger peuvent les attirer et les fi xer sur place.
Favoriser les prédateurs consiste en n à leur procurer
les abris dont ils ont besoin pour nicher, pour s’abriter
la journée ou la nuit durant la belle saison, pour hiver-
ner en toute tranquillité. Les coccinelles par exemple
recherchent la mousse, les feuilles mortes, les trous
des arbres, les anfractuosités des écorces, les vieux
nids doiseaux, les bâtiments librement accessibles et
non chauff és pour passer la mauvaise saison. Un jardin
trop « propre » peut les faire fuir ailleurs, comme bien
dautres auxiliaires potentiels.
Guêpe parasite ombellifère - © V. Albouy
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !