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Le système prédateurs/proies au jardin
Vincent Albouy, OPIE Poitou-Charentes
Seules, certaines bactéries et les plantes chlorophylliennes sont capables de vivre en prélevant uniquement des éléments minéraux (eau, gaz carbonique,
sels minéraux…) pour se nourrir. La grande majorité
des êtres vivants, et la totalité des animaux, se nourrissent de matière organique morte ou vivante. Cette
dépendance crée des chaînes alimentaires parfois très
complexes : plantes – végétariens – prédateurs des
végétariens – prédateurs des prédateurs – parasites –
recycleurs de la matière organique morte. Au jardin, les
ravageurs potentiels appartenant quasi-exclusivement
aux animaux végétariens s’attaquant aux plantes cultivées, comme les pucerons qui seront pris en exemple,
les prédateurs de ces ravageurs apparaissent comme
des auxiliaires. La relation prédateurs/proies est à la
base de nombreuses stratégies de lutte biologique.
Une proie est un animal dévoré par un autre animal.
Un prédateur est un animal qui tue un autre animal
pour s’en nourrir. On distingue généralement le prédateur, qui tue immédiatement une proie de sa taille
ou presque, du parasite qui tue plus ou moins lentement sa proie et qui est en général beaucoup plus petit
qu’elle. Cette distinction n’est pas pertinente : ce sont
tous les deux des prédateurs. Le parasite vrai, comme
le pou par exemple, vit aux dépens de son hôte sans
jamais le tuer.
Les prédateurs généralistes
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Un prédateur généraliste se caractérise par son spectre
de proies large. Il ne consomme pas une espèce ou un
groupe d’espèces précis, mais chasse toutes les proies
à sa taille passant à sa portée dans le milieu qu’il fréquente. Il peut être omnivore, c’est-à-dire à la fois
végétarien et carnivore, comme le perce-oreille commun. Celui-ci chasse souvent sur les arbres. Quand
les pucerons sont abondants, il les dévore. Quand ils
sont rares ou absents, il peut consommer les algues
vertes proliférant sur le tronc ou mordiller les fruits en
formation. Certains prédateurs généralistes peuvent
n’être intéressants qu’à une période de leur cycle de
vie. Par exemple la mésange bleue, très habile pour
s’accrocher aux tiges les plus souples pour en prélever
les pucerons, est surtout efficace au moment de l’élevage des jeunes, quand elle passe ses journées à chasser les insectes.
Les prédateurs généralistes contribuent au contrôle de
la plupart des ravageurs importants du jardin. Mais
leurs prélèvements ne sont pas suffisamment réguliers
et leur impact suffisamment important pour empêcher à eux seuls leurs pullulations.
Les prédateurs spécialisés
Un prédateur spécialisé se caractérise par son spectre
de proies étroit. Il se focalise sur un groupe de proies,
les pucerons par exemple, voire une seule espèce. Son
efficacité est donc très grande pour contrôler un ravageur, puisqu’il le chasse même s’il n’est pas en grand
nombre dans l’environnement, car il dépend de lui
pour se nourrir ou nourrir ses larves.
Parmi les ennemis des pucerons, les trois prédateurs
spécialisés les plus connus sont les coccinelles, les
larves de chrysope et les larves de syrphe. Tous sont
utilisés en lutte biologique et peuvent être achetés
dans le commerce, produits par des élevages de masse.
Mais ils sont normalement présents dans tout jardin
accueillant pour la biodiversité. Leur efficacité, outre
le choix restreint de leurs proies, est due à leur propension à ne pas consommer intégralement le puceron
capturé. Ils en tuent beaucoup plus que nécessaire.
Beaucoup moins connues car difficiles à observer, les
guêpes et les mouches « parasites » effectuent également un travail très important. Leur action peut s’observer au travers de certaines traces qu’elles laissent,
Guêpe poliste attaquant une chenille - © V. Albouy
comme des corps momifiés de pucerons collés sur les
feuilles ou les tiges. Elles sont aussi très utilisées en
lutte biologique.
hiver doux ayant favorisé la survie des hivernants,
brusquement exploser. Les auxiliaires de protection
ont une fécondité trop faible pour suivre le rythme.
La plupart des ravageurs potentiels du jardin
n’éveillent pas l’attention du jardinier parce que leurs
populations restent sous le « seuil de nuisibilité », c’està-dire que les dégâts qu’ils commettent sont si faibles
qu’ils ne sont pas visibles, ou du moins ne diminuent
pas sensiblement la production. C’est essentiellement
par l’action continue des prédateurs spécialisés qu’ils
sont ainsi contenus. Leur présence au jardin n’est pas
gênante tant qu’ils restent sous ce seuil. Elle est même
souhaitable, car sinon les auxiliaires spécialisés disparaîtraient aussi, faute de pouvoir se nourrir. Pour avoir
des coccinelles au jardin, il faut des pucerons.
Quand le seuil de nuisibilité est franchi et que le ravageur pullule, commettant des dégâts visibles diminuant sensiblement la production, seuls les auxiliaires
dont la fécondité est aussi explosive peuvent suivre le
rythme et finalement briser la pullulation. Les populations du ravageur s’effondrent alors aussi rapidement
qu’elles ont augmenté, pour souvent devenir presque
insignifiantes. Pour cette raison, ces auxiliaires sont
qualifiés « de nettoyage ».
Auxiliaires de protection et de
nettoyage
Un auxiliaire est dit « de protection » quand son action
permet de maintenir la population du ravageur potentiel sous le seuil de nuisibilité. Mais cette population
peut, pour diverses raisons comme, par exemple, un
La distinction prédateur généraliste/spécialisé ne
recoupe pas la distinction auxiliaire de protection/
de nettoyage. Si les prédateurs généralistes restent
en général des auxiliaires de protection, tous les
prédateurs spécialisés ne sont pas des auxiliaires de
nettoyage. Seuls ceux qui disposent d’une fécondité
explosive entrent dans cette catégorie. Cette fécondité
repose soit sur une fertilité très importante, chaque
femelle pouvant donner naissance à des centaines, des
milliers, voire des dizaines de milliers de larves, soit
sur une succession rapide des générations au cours de
la belle saison, l’une n’excluant pas forcément l’autre.
Par exemple chez les syrphes du jardin, l’un des plus
efficaces est le syrphe bâton parce qu’il connaît plusieurs générations dans l’année.
La prise en compte du système prédateurs/proies par le
jardinier lui permet d’économiser beaucoup de peines
et de produits chimiques, à condition de favoriser la
présence des prédateurs comme nous le verrons plus
loin. Mais par son fonctionnement même, ce système
à la base de la lutte biologique passive ne peut garantir
des pertes de production. Elles arrivent immanquablement durant la période où les populations du ravageur
dépassent le seuil de nuisibilité avant de s’effondrer
sous l’action des auxiliaires de nettoyage.
Graphique auxiliaire de nettoyage - © V. Albouy
Graphique auxiliaire de protection - © V. Albouy
Coccinelle à deux points Adalia Bipunctata sur larves
de laurier rose - © V. Albouy
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Deux stratégies sont possibles pour y faire face. Soit
diversifier les productions du jardin, et tolérer ainsi
que certaines puissent être fortement affectées de
temps en temps. Soit passer à la lutte biologique
active, avec lâcher d’auxiliaires d’élevage. Ces pertes
de production presque inéluctables expliquent pourquoi, dans une agriculture se spécialisant de plus en
plus donc ne pouvant supporter les aléas de production, le recours aux pesticides de synthèse s’est généralisé depuis une soixantaine d’années. Si l’avenir de
l’agriculture repose sur une meilleure utilisation des
processus écologiques comme certains l’affirment, la
prise en compte du système prédateurs/proies reviendra en force.
Il restera malheureusement toujours quelques cas
pour lesquels il sera inopérant : celui des espèces
introduites d’un continent à l’autre sans leur cortège
de prédateurs. Même si quelques prédateurs généralistes locaux peuvent s’adapter à ces nouveaux venus,
l’absence de prédateurs spécialisés, et parmi eux
d’auxiliaires de nettoyage, obligera à trouver d’autres
solutions pour contrôler ces ravageurs, sauf si certains
de leurs prédateurs peuvent aussi être introduits sans
dommages pour la biodiversité.
Favoriser les prédateurs consiste aussi à leur fournir la
nourriture dont ils ont besoin à certains stades de leur
vie. Par exemple, les syrphes, les mouches et les guêpes
parasites, qui comptent parmi les plus efficaces auxiliaires de nettoyage, butinent les fleurs à l’âge adulte.
Des bandes fleuries semées à proximité des cultures à
protéger peuvent les attirer et les fi xer sur place.
Favoriser les prédateurs consiste enfin à leur procurer
les abris dont ils ont besoin pour nicher, pour s’abriter
la journée ou la nuit durant la belle saison, pour hiverner en toute tranquillité. Les coccinelles par exemple
recherchent la mousse, les feuilles mortes, les trous
des arbres, les anfractuosités des écorces, les vieux
nids d’oiseaux, les bâtiments librement accessibles et
non chauffés pour passer la mauvaise saison. Un jardin
trop « propre » peut les faire fuir ailleurs, comme bien
d’autres auxiliaires potentiels.
Favoriser les prédateurs
Tout jardinier peut renforcer la protection de son
jardin reposant sur les systèmes prédateurs/proies en
favorisant les prédateurs. Bien sûr, l’arrêt des traitements insecticides contribue à favoriser leur présence
au jardin. Mais ils subissent des contraintes climatiques, écologiques ou autres qui, indépendamment
de la présence ou non des proies, peuvent affecter leur
présence au jardin ou leur efficacité dans le contrôle
des populations des ravageurs. Les pucerons par
exemple, rejetant des déjections sucrées dont raffolent
les fourmis, sont protégés de leurs prédateurs par ces
dernières. La lutte contre certains pucerons se résume
parfois à la lutte contre les fourmis, ou plus exactement à empêcher les fourmis d’accéder aux colonies de
pucerons pour laisser les prédateurs faire leur travail.
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Guêpe parasite ombellifère - © V. Albouy
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