Messages et images cherchent marché désespéremment

publicité
La publicité de services financiers
Messages et images
cherchent marché
désespéremment
Cinq gourous du marketing lèvent le
voile sur les stratégies publicitaires
dans le secteur financier.
Et sur la place faite aux conseillers.
Pierre Racine
«À
part celle réalisée pour la Financière Manuvie,
il n’y a presque aucune publicité télévisuelle
qui fait référence aux conseillers, avance
Éric F. Gosselin, conseiller indépendant et
planificateur financier affilié au Groupe
financier PEAK. Les banques n’en font pas mention.
Tout le monde fait dans l’image de marque. »
www.conseiller.ca
conseiller
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« C’est vrai que les
publicités ne parlent
pas beaucoup de nous,
acquiesce Rodrigue Julien,
conseiller indépendant en
sécurité financière et président
du conseil d’administration d’Orientation Finance. Mais cela ne me dérange
pas beaucoup. Cependant, quand je
vois le message des compagnies qui
annoncent des produits d’assurance
vie “ sans examen médical ”, qui disent
“ qu’aucun conseiller n’ira vous voir ”,
là, je me pose des questions. Qu’ils ne
parlent pas des conseillers, c’est une
chose, mais qu’ils n’en ajoutent pas en
laissant entendre au public que voir un
conseiller, c’est un désavantage… »
S’ils s’en plaignent au passage,
plusieurs conseillers sont en fait
plus ou moins insensibles à leur
quasi-absence des messages publicitaires élaborés par les grandes
firmes institu­tionnelles. Comme le
fait valoir Daniel Bissonnette, président de Services Financiers Planifax,
« la publicité, qu’importe son message
ou son format, elle fait parler ».
Le pari risqué de
l’Industrielle Alliance
Par contre, les publicités humoristiques,
notamment celles de l’Industrielle
Alliance, Assurance auto et habitation,
et de la Financière Liberté 55, provoquent plutôt une large grimace chez
bon nombre de conseillers. « Je trouve
qu’elles sont à la limite du vulgaire,
estime Éric F. Gosselin. On parle de
services financiers, ce n’est pas une
annonce de bière ! Je ne suis pas sûr que
l’humour dans les publicités de services
financiers ait sa place. » « Je ne vois pas
trop où l’Industrielle Alliance s’en va
avec sa publicité, ajoute Daniel Bissonnette. Cela s’adresse à des adolescents
de 15 ans, à mon avis. Et à 15 ans, on
n’est pas consommateur… Veulent-ils
faire un “ long shot ” pour leurs clients
futurs ? » « Je pense que l’Industrielle
Alliance a donné carte blanche à
l’humo­riste Jean-Thomas Jobin et que
juin 2009
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celui-ci n’a pas très bien compris ce
qu’il devait expliquer, opine Éric F. Gosselin. Mais je ne peux pas en dire plus,
je joue au poker avec lui mercredi… »
Les conseillers sont-ils intentionnellement boudés par la publicité des
grands joueurs institutionnels ? Les
publicités où l’on voit les humoristes
André Sauvé et Jean-Thomas Jobin
racoler l’auditoire par le populisme et
l’absurde sont-elles des coups d’épée
dans l’eau, une recette mal mitonnée ? Évidemment, la réponse est
plus complexe.
En fait, la publicité des banques et
des assureurs est un savant mélange de
stratégie, de décorticage de clientèles
cibles et de dosage en placement
média où l’efficacité des messages,
mesurée au compte-gouttes, est
constamment révisée.
Afin de mieux cerner la démarche
publicitaire des grands joueurs de la
scène bancaire et de l’assurance, et de
répondre aux interrogations de plusieurs conseillers à cet égard,
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La représentation des conseillers en publicité
gens, semble-t-il, comprennent ?
« Non, répond Suzanne Michaud,
vice-présidente, Expérience-client,
Industrielle Alliance, Assurance auto et habitation. On
voulait se démarquer des
autres assureurs, qui ont
une approche assez conservatrice. Après réflexion, on
s’est dit qu’aborder notre
auditoire par l’humour
serait une piste intéresSuzanne Michaud, vice-présidente, Expérience-client,
sante. Bien sûr, l’humour
Industrielle Alliance, Assurance auto et habitation
est une arme à double
tranchant : il y a des gens
qui
adorent
notre publicité et, oui,
gourou de la publicité humoristique,
Pascal Dedecker, vice-président et il y a des gens qui la détestent. Mais
directeur de la création chez l’important, c’est le résultat. Et nos
Palm + Havas, célèbre, notamment, résultats d’achalandage sont excellents.
En contrepartie, on reçoit à bras
pour ses publicités de Volkswagen.
D’abord, le « cas » de la publicité ouverts tous les commentaires des
mise en ondes par l’Industrielle gens. La plupart nous écrivent par
Alliance, Assurance auto et habitation, courriel. Ce qu’ils ne savent pas, c’est
critiquée par plusieurs conseillers. La qu’on peut, à partir de leur nom, extrasociété d’assurance a-t-elle déraillé en poler sur la tranche d’âge à laquelle ils
présentant cette « pub » que peu de appartiennent. Si vous vous appelez
Conseiller a interviewé quatre experts
en publicité/marketing issus de quatre
groupes financiers, de même qu’un
Il ne faut pas se le cacher,
nous sommes un petit joueur.
Il fallait absolument que notre
publicité sorte du lot.
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Roger, je sais que vous ne faites pas
partie de la génération Y… Ce dont on
s’est aperçu, c’est que les commentaires
négatifs provenaient majoritairement
de gens de plus de 50 ans. Justement,
cet auditoire ne fait pas partie de notre
clientèle cible. Nous, nous visions les
jeunes. Nous voulions que le téléphone sonne et que les gens aillent
sur notre site Internet. Je peux vous
dire, sans vous dévoiler mes chiffres,
que, sur ce plan, nous avons connu une
grosse augmentation. Écoutez, nous
avons seulement 2,5 % du marché de
l’assurance auto/habitation. Il ne faut
pas se le cacher : nous sommes un petit
joueur. Il fallait absolument que notre
publicité sorte du lot. Nous avons
réussi. Quant aux critiques de certains
conseillers à l’égard de la publicité des
institutions qui ne les mettent pas assez
en avant-plan, elles ne s’appliquent pas
à nous. Contrairement aux conseillers
en sécurité financière qui travaillent
dans le domaine de l’assurance vie, les
conseillers qui œuvrent en assurance
conseiller
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complice de vos déplacements
Au chalet, à la plage ou à la maison, votre magazine
Conseiller vous suit en vacances… dans votre boîte
courriel. Pour ne rien manquer de notre édition
électronique de juillet-août, assurez-vous d’indiquer
votre courriel dans votre profil d’abonné(e), à l’adresse :
www.conseiller.ca/abonnement
habitation sont des salariés. »
Il s’agit pour l’Industrielle Alliance,
Assurance auto et habitation, de
sa première publicité télévisuelle.
Pourquoi ? Parce que depuis l’instauration de « la Liste nationale des
numéros de téléphone exclus, explique Suzanne Michaud, nous sommes
amputés d’une partie de notre accès
à notre clientèle potentielle.
La télévision représentait notre
seule porte de sortie. »
Les valeurs sûres
de Desjardins
De son côté, le Mouvement Desjardins croit qu’en temps de crise,
il faut adapter ses messages et rassurer le consommateur. « Surtout
ne pas susciter davantage d’inquiétudes », croit Gaétan Béliveau,
chargé d’équipe, publicité et promotion, à la direction commercialisation, vice-présidence marketing
et développement chez Desjardins. Depuis le mois de mars, la
Fédération des caisses a mis en
ondes sa campagne télévisuelle
Portraits. On y voit des gens qui
dessinent autour de personnages
projetés sur un écran, « des membres de la coopérative Desjardins,
explique Gaétan Béliveau, servant
chacun à illustrer différents
besoins. Ce que l’on veut mettre en
exergue par ce message, c’est que
la Caisse est proche de ses
membres ».
En fait, l’approche publicitaire de
Desjardins est multi-facettes. Au cœur
du propos publicitaire, une partie
« institutionnelle » qui comporte trois
messages : le premier sur la solidité de
Desjardins, le second sur ses valeurs,
et le troisième sur son engagement
dans son milieu. Cette approche, par
ailleurs, est enrobée d’un deuxième
volet qui comporte cinq messages
promouvant les produits selon les
types de clientèle, et non l’image
d’entreprise. Résultat de cette campagne tous azimuts ? Un indice global
d’effica­cité, comme on dit dans le jargon publicitaire, « très élevé », selon
Gaétan Béliveau. Quant à l’humour en
publicité, ce n’est pas la tasse de thé de
Desjardins. « En fait, note le spécialiste
en marketing, notre position­nement
publicitaire est simple : nous ne vou-
président et directeur de la création
chez Palm + Havas, c’est qu’en temps
de crise, les publicitaires, et leurs
clients, font de moins en moins appel à
l’humour. On voit beaucoup de publicités du genre : “ En ces temps difficiles,
blablabla… ” C’est un discours paternaliste, rationnel… Et c’est une erreur !
Humour ne veut pas dire légèreté dans
Palmarès des marques
les plus respectées au Canada
Selon Brand Finance Canada, les marques les plus fortes au pays sont celles
des institutions financières. Publiée aux deux ans depuis 2005, leurs
études classent les marques de commerce selon leur valeur financière.
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
RBC Banque Royale
Autres rangs occupés par
des institutions financières
Blackberry
17 Financière Sun Life
TD Canada Trust
25 London Life
Financière Manuvie
30 Canada Life
31 Banque nationale du Canada
Bell
Banque Scotia
Loblaws
32 Great-West Life
42 ING Canada
53 Groupe Investors
Bombardier
57 Investissements
Groupe BMO
61 Banque laurentienne
Banque CIBC
63 DundeeWealth
64 CI Financial Corp
Source : Canada Most Valuable Brands, 2009.
lons pas de porte-parole parce que
nous voulons mettre l’accent sur nos
membres. » Une approche plus classique qui exclut d’emblée le risque
associé aux publicités humoristiques,
contrairement à celle de l’Industrielle
Alliance qui jouait, en quelque sorte,
son va-tout.
L’humour qui fait jaser
La publicité qui fait appel à l’humour
est-elle vraiment risquée ? « Ce que je
constate, note Pascal Dedecker, vicejuin 2009
19
65 Dundee Corporation
le message. Le “ neutre institutionnel ”,
c’est la solution facile. Bien sûr, en
optant pour cette approche, on ne vexe
personne. Mais l’impact sera beaucoup
plus faible. Quand tout le monde parle
de la même façon, cela n’a plus d’efficacité. Quand le constructeur automobile, l’épicerie et la banque vous lancent
le même genre de discours monotone,
cela tombe à vide. Le nœud de l’efficacité publicitaire, c’est la différenciation.
On y arrive rarement avec des messages institutionnels qui ont tous le même
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La représentation des conseillers en publicité
ton. Le problème, ce n’est pas l’humour
en tant que tel, mais le genre d’humour
employé et pour quel public cible.
L’humour est efficace, même en temps
de crise. Il ne faut pas confondre
humour et message. L’humour, c’est la
forme, ce n’est pas le message. »
Un sondage récent réalisé par Léger
Marketing au cours de la Semaine de la
publicité au Canada, en janvier 2009,
semble donner raison à la philosophie
de Pascal Dedecker. Le résultat de ce
sondage se résume ainsi : si le sexe est
vendeur, l’humour l’est encore davantage. En effet, 67 % des Canadiens
seraient d’avis que l’humour est, selon
Le retour de la Sun Life
Dans ce combat des ténors de la finance
et de l’assurance en vue de séduire le
consommateur, la Financière Sun Life
livre sa deuxième année de bataille
publicitaire à la télévision, intitulée La
vie est plus radieuse sous le soleil de la
Sun Life. La société revient en effet au
petit écran après quelques années d’absence. La raison ? « Notre stratégie était
auparavant de s’adresser à des publics
spécialisés, par l’entremise de publications d’affaires, par exemple, relate
Francine Cléroux, vice-présidente
adjointe aux Affaires publiques et géné-
PaS de coupure en pub
Aucune institution financière parmi celles qui ont été consultées n’a, par ailleurs,
réduit ses budgets publicitaires, bien que
personne n’ose dévoiler de chiffres. En
temps de crise, c’est la dernière chose à
faire, de l’avis de plusieurs. « La publicité
n’est pas une science exacte et il est difficile d’en calculer les retombées en termes de vente, observe Gaétan Béliveau.
Ce que l’on sait toutefois, c’est que de
diminuer les budgets à ce chapitre aurait
des conséquences néfastes. » Le fabricant de céréales Post l’a appris à ses
dépens au cours des années de crise aux
L’humour est efficace, même en temps de crise.
Il ne faut pas confondre humour et message.
L’humour, c’est la forme, ce n’est pas le message. Pascal Dedecker, vice-président et directeur de la création, Palm + Havas
l’étude, « cet ingrédient secret qui rend
la publicité plus convaincante, comparativement à seulement 7 % qui
opinent que le sexe est vendeur ».
Les actions, selon la
Banque Nationale
Malgré tout, la plupart des institutions
financières jouent sur les valeurs sûres
et laissent l’humour sur la voie de service. C’est le cas de la Banque Nationale
Groupe financier, avec sa plate-forme
publicitaire Et action ! qui s’inscrit dans
le modus operandi de ses concurrents
plus classiques. Avec une insistance, toutefois, sur le service à la clientèle. « On
met beaucoup d’accent sur l’apport de
nos conseillers, commente Lise-Anne
Amyot, directrice principale, Image et
publicité à la Banque Nationale Groupe
financier. C’est un de nos axes majeurs
de différenciation. »
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rales à la Sun Life. Mais nous avons
voulu nous rapprocher du citoyen
moyen et la télévision, en ce sens, est le
média le plus approprié. Nos messages
reflètent d’ailleurs les conclusions de
notre dernière étude qui indique que
plusieurs retraités survivront à leur
retraite. C’est un problème qui touche
l’ensemble des citoyens. »
conseiller
20
États-Unis. Contrairement à son concurrent Kellogg, il a diminué ses budgets
publicitaires. Résultat : ses ventes ont
chuté. Kellogg, elle, est allée a contrecourant par rapport aux autres : elle a
considérablement augmenté ses budgets
et mis sur le marché sa nouvelle marque
Rice Krispies. En 1933, en pleine déconfiture économique, Kellogg, grâce à cette
stratégie contrarian, a connu une hausse
de ses profits de 30 %.
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