Un long chemin optique pour détecter quelques molécules

Les photons dans tous leurs états
Un long chemin optique pour
détecter quelques molécules
en spectroscopie d’absorption
La spectroscopie moléculaire en phase diluée permet d’avoir accès aux grandeurs intrinsèques
(niveaux d’énergie, constantes moléculaires, potentiel...) et aux grandeurs extrinsèques
(concentration, pression, température, vitesse...) de molécules. Un spectre d’émission ou
d’absorption est une signature caractéristique de la molécule. Parmi les différentes méthodes de
spectroscopie, l’absorption a le mérite d’être une méthode simple et quantitative. L’utilisation de la
dynamique temporelle et spectro-temporelle de cavités optiques passives ou actives permet
d’atteindre de très hautes sensibilités en spectroscopie d’absorption. Cette sensibilité peut être
appliquée soit à l’étude des transitions optiques dites interdites, soit à la détection de molécules à
l’état de trace.
LA MÉTHODE DE L’ABSORPTION
OPTIQUE, PRINCIPES
L
’absorption optique est une
méthode quantitative parmi
les plus puissantes en spectro-
scopie moléculaire; elle a en outre le
mérite de la simplicité. Le principe
des méthodes basées sur l’absorption
repose toujours sur l’utilisation d’une
source optique, d’un trajet optique
sur lequel s’effectue l’absorption et
d’un détecteur. Si la source est poly-
chromatique, le détecteur est précédé
d’un élément dispersif. L’absorption
est donnée par la loi de Lambert-
Beer : I
k
(L) =I
k
(0) exp(a(k) L).
La valeur du coefficient d’absorption
aest directement obtenue à partir de
la connaissance de la longueur d’ab-
sorption L et du rapport des intensi-
tés lumineuses mesurées I
k
(0) et
I
k
(L) avant et après absorption du
faisceau, aest le produit de la sec-
tion efficace d’absorption et de la
densité volumique de la molécule
étudiée. La connaissance de l’une de
ces quantités permet d’avoir immé-
diatement accès à l’autre de manière
quantitative.
La sensibilité de la méthode est
fixée par la plus petite variation de
l’intensité lumineuse que l’on peut
mesurer. Cette plus petite variation a
une limite quantique qui est donnée,
au rendement quantique du détecteur
près, par la racine carrée du nombre
de photons mis dans une mesure à
une longueur d’onde pour un temps
de mesure donné. Afin d’atteindre la
meilleure sensibilité dans la mesure
du coefficient d’absorption a, il faut
donc avoir une longueur d’absorption
L la plus grande possible.
La méthode la plus classique des-
tinée à augmenter la longueur d’ab-
sorption consiste à utiliser une cellule
multipassage dans laquelle le fais-
ceau collimaté de la source fait plu-
sieurs allers et retours entre deux ou
plusieurs miroirs. Une telle méthode
permet d’atteindre une longueur
d’absorption comprise entre quelques
dizaines et quelques centaines de mè-
tres. Lors de chaque réflexion sur un
des miroirs, le faisceau collimaté
subit des pertes d’autant plus impor-
tantes que le coefficient de réflexion
des miroirs est inférieur à l’unité.
Cela se traduit par une diminution de
l’intensité du faisceau arrivant sur le
détecteur. Alors que le signal d’ab-
sorption dû aux molécules présentes
sur le trajet optique augmente avec la
longueur du trajet, l’intensité lumi-
neuse arrivant sur le détecteur décroît
en fonction du nombre de réflexions.
On conçoit alors qu’il existe, pour
une intensité lumineuse de la source
et pour des miroirs donnés, une lon-
gueur optimale pour le trajet d’ab-
sorption. Ce raisonnement n’est bien
sûr valable que si le bruit de la
source est d’origine purement quan-
tique. Cela signifie qu’il faut s’af-
franchir du bruit à basse fréquence
(en 1/f) et des bruits techniques (fluc-
tuations électriques, mécaniques). On
peut réduire l’effet de ces derniers en
modulant un des paramètres du fais-
ceau lumineux (amplitude, fréquence
optique, phase) et en démodulant le
signal à la détection. Les techniques
de démodulation ne permettent
cependant pas d’obtenir directement
le spectre d’absorption de la molé-
cule, mais plutôt la dérivée première
voire seconde du spectre, ce qui pose
de sérieux problèmes lorsqu’on dé-
sire faire des mesures quantitatives.
– Laboratoire de Spectrométrie Physique,
UMR 5588 CNRS, Université Joseph Fou-
rier, Grenoble 1, BP 87, 38402 Saint-
Martin-d’Hères Cedex.
52
MISE EN ŒUVRE DE LA
SPECTROSCOPIE D’ABSORPTION
À LONG CHEMIN OPTIQUE
Les deux méthodes de spectrosco-
pie d’absorption à très haute sensibi-
lité que nous allons décrire reposent
sur une augmentation du trajet opti-
que. On utilise pour obtenir cet allon-
gement des cavités optiques passives
ou actives (lasers) formées de deux
ou plusieurs miroirs. L’idée est
d’avoir un signal d’absorption qui
prédomine sur le bruit en 1/f ou tech-
nique et qui soit comparable au bruit
quantique. Une simple moyenne tem-
porelle permet alors d’extraire le
signal du bruit quantique. Notre
groupe développe depuis une quin-
zaine d’années des techniques de
spectroscopie d’absorption à très
haute sensibilité pour l’étude de très
faibles transitions harmoniques dans
l’état électronique fondamental de
molécules à petit nombre d’atomes
(jusqu’à 6). Plus récemment, ces
techniques ont été appliquées à la dé-
tection de molécules à l’état de trace.
Du multipassage à la cavité
non résonnante
La première méthode est basée sur
la mesure du temps de décroissance
de l’énergie lumineuse stockée dans
une cavité passive ; elle est connue
sous le nom de « Cavity Ring Down
Spectroscopy » ou CRDS. Cette mé-
thode a été utilisée pour la première
fois par Heberlin et al. en 1980 pour
mesurer le coefficient de réflexion de
miroirs très réfléchissants. Ce n’est
qu’en 1988 que O’Keefe et Deacon
ont eu l’idée de l’appliquer à la spec-
troscopie moléculaire. La technique a
ensuite été grandement améliorée,
puis exploitée de façon régulière
avec des lasers fonctionnant en im-
pulsions par D. Romanini et K. Leh-
mann à Princeton.
La cavité est constituée de deux
miroirs qui ont un coefficient de
réflexion R supérieur à 0,9999. On
obtient alors une durée de vie des
photons supérieure à 30 microsecon-
des dans une cavité de un mètre de
long, c’est-à-dire une longueur équi-
valente d’absorption supérieure à
10 kilomètres. Lorsqu’une impulsion
laser ayant typiquement une énergie
de l’ordre du millijoule
(~ 3.10
15
photons) et d’une durée de
quelques nanosecondes est injectée
dans une telle cavité, 10
11
photons
sont transmis par le premier miroir.
La lumière piégée dans la cavité dé-
croît ensuite exponentiellement avec
une constante de temps τqui dépend
des pertes totales de la cavité sur un
trajet aller et retour soit 1/s=
(T +P+a
g
L) c/L, où T et P sont
respectivement le coefficient de
transmission et les pertes des miroirs,
a
g
le coefficient d’absorption du gaz
présent entre les deux miroirs de la
cavité séparés par une distance L et c
la vitesse de la lumière. Si les pertes
sur les miroirs et l’absorption sont
faibles comparées à la transmission
des miroirs, alors la moitié de l’éner-
gie stockée dans la cavité peut être
détectée, mais cela ne représente
qu’une faible partie de l’énergie
émise par le laser de puissance. Bien
qu’en somme, dans une cavité non
résonnante injectée en impulsion, on
n’utilise qu’une petite fraction des
photons de la source, la méthode a
permis au groupe de Princeton de
mesurer des coefficients d’absorption
a
g
aussi faibles que 10
–10
/cm.
La contribution de notre groupe a
été de montrer que cette méthode
peut également fonctionner avec des
sources de grande cohérence tempo-
relle, telles que des lasers à colorant
continus ou des diodes lasers. L’as-
sociation diode-CRDS ouvre même
un nouveau champ d’applications
dans la détection de molécules à
l’état de trace.
De la cavité non résonnante
à la cavité résonnante passive
Depuis les travaux de Fabry et
Perot du début du siècle, il est bien
connu que si l’on néglige les pertes
d’une cavité résonnante, la puissance
transmise par la cavité égale la puis-
sance lumineuse injectée lorsque la
longueur de la cavité est un multiple
entier de demi-longueurs d’onde. On
a donc tout intérêt à travailler avec
une cavité à résonance. Mais il est
très difficile d’envoyer un faisceau
lumineux modulé dans une cavité
passive de grande finesse (Fz10
5
),
d’asservir la source à la cavité et de
balayer en longueur d’onde à la fois
la source et la cavité pour une expé-
rience de spectroscopie. Notre appro-
che a été différente et nous a permis
de remplacer les lasers de puissance
de plusieurs kilowatts de puissance
crête par des diodes lasers d’une
puissance de quelques milliwatts.
La figure 1 montre le schéma de
principe du montage diode-CRDS
utilisé ainsi que l’évolution tempo-
relle des trains d’ondes lumineux à la
sortie de la diode laser modulée en
amplitude, à la sortie de la cavité et à
la sortie du modulateur acousto-
optique. Ce modulateur permet de sé-
lectionner la partie décroissante du
train d’ondes, qui est détectée à
l’aide d’une photodiode.
Figure 1 - Le principe de la CW-CRDS est
basé sur la mesure du temps de décroissance s
de l’intensité lumineuse stockée dans une cavité
Fabry-Perot de haute finesse en présence d’es-
pèces absorbantes en phase gazeuse. Un spec-
tre quantitatif d’absorption est directement ob-
tenu en balayant le laser en longueur d’onde et
en déterminant le coeffıcient d’absorption à par-
tir des mesures des temps de décroissance en
présence et en l’absence des espèces.
Les photons dans tous leurs états
53
L’injection du faisceau lumineux
se fait « en passant à la résonance »
c’est-à-dire pendant le court inter-
valle de temps où la cavité, dont la
longueur est périodiquement modu-
lée, a une fréquence de résonance
proche ou égale à la fréquence opti-
que du laser. Cette méthode permet
d’avoir une énergie lumineuse stoc-
kée dans la cavité proche de celle
que l’on aurait si l’on avait asservi la
cavité au laser. Lorsque cette énergie
atteint un niveau seuil fixé, mesuré
sur la lumière transmise, l’injection
est interrompue. On enregistre alors
la décroissance exponentielle de
l’énergie stockée en mesurant l’inten-
sité du faisceau émis par la cavité. Le
temps s
g
de décroissance de l’inten-
sité en présence du gaz composé de
la molécule à étudier est extrait par
une méthode d’ajustement des cour-
bes. Le coefficient d’absorption du
gaz a
g
est directement donné par
a
g
=1
cs
g
1
cs
0
,oùs
0
est le temps
de décroissance en l’absence de gaz
(ou hors de la raie d’absorption).
En balayant le laser en longueur
d’onde et en maintenant la plage de
résonance de la cavité sur la longueur
d’onde du laser, on obtient directe-
ment un spectre d’absorption quanti-
tatif de la molécule. On peut remar-
quer que la résolution spectrale est
théoriquement fixée par la finesse de
la cavité et non plus par la largeur
spectrale du laser, comme c’est le cas
lorsque l’injection se fait avec un la-
ser fonctionnant en impulsion. Cette
résolution spectrale peut être de l’or-
dre du kilohertz lorsque satteint une
centaine de microsecondes, ce qui
permet de faire de la spectroscopie
sub-Doppler. La figure 2 montre un
exemple de spectre d’une transition
électronique faible de la molécule de
NO
2
, résolue rotationnellement, dans
le domaine visible autour de 744 nm.
En l’absence d’absorption intra-
cavité, le spectre obtenu est dû uni-
quement aux pertes totales des
miroirs (transmission, absorption,
diffusion). Ces miroirs ont une très
grande stabilité, ce qui permet d’uti-
liser le spectre en l’absence d’absorp-
tion intra-cavité comme référence de
« zéro absorption ». Cette grande sta-
bilité peut être utilisée pour mesurer
soit un continuum d’absorption, soit
un spectre n’ayant pas de structures
rotationnelles résolues, comme c’est
le cas pour de grosses molécules à
pression atmosphérique, soit même
d’envisager des mesures de diffusion
ou la détection de particules sub-
microniques. Cette possibilité d’enre-
gistrer, de manière quantitative, des
spectres non résolus est extrêmement
intéressante car elle permet pour la
première fois d’envisager la détection
sans ambiguïté et en temps réel de
molécules comme les composés or-
ganiques volatils qui jouent un rôle
important dans la pollution atmo-
sphérique ou comme l’acétaldéhyde,
l’éthanol, l’éthane..., gaz qui inter-
viennent dans le métabolisme des
plantes. Deux projets sont en cours
dans notre laboratoire, l’un consiste à
détecter des traces d’explosifs, l’autre
à détecter les molécules à l’état
de trace dans l’air expiré par un
patient pour un diagnostic médical
non invasif.
De la cavité passive à la cavité
active
Comme nous venons de le voir, la
sensibilité de la méthode CRDS dé-
pend essentiellement des faibles per-
tes de la cavité, pertes qui sont liées
à la qualité des miroirs. Ces pertes
augmentent très rapidement si l’on
est obligé d’introduire dans la cavité
une cellule d’absorption. Dans ce
cas, pour conserver de grands temps
de déclin, une solution consiste à
régénérer les photons perdus après un
aller-retour dans la cavité : c’est la
technique de spectrométrie d’absorp-
tion intra-cavité laser (ICLAS). Cette
technique a vu le jour pratiquement
simultanément en 1970 à l’Institut
Lebedev à Moscou dans le groupe de
E.A. Sviridenkov et à Los Alamos
dans le groupe de R.A. Keller, et a
été reprise en 1972 par T.W. Hänsch
et P.E. Toschek, alors dans le groupe
de A.L. Schawlow à Stanford.
Le montage expérimental est cons-
titué d’un laser dont le milieu ampli-
ficateur a un profil de gain large
bande, comme par exemple un colo-
rant, un cristal de saphir dopé de
titane ou un verre dopé de terre rare.
Le faisceau laser est envoyé au bout
d’un temps t (appelé temps de géné-
ration) après le démarrage du laser
dans un spectrographe et le spectre
ainsi échantillonné dans le temps est
enregistré à l’aide d’une barrette de
photodiodes. Le pouvoir de résolu-
tion k/dk du spectrographe que nous
avons également développé est de
800 000 mais ne permet pas de
résoudre les modes du laser.
Considérons le démarrage du laser.
A l’instant initial, un laser de pompe
est envoyé sur le milieu amplificateur
à l’aide d’un premier modulateur.
Des photons spontanés « ensemen-
cent » de manière aléatoire les modes
longitudinaux du laser compris dans
la courbe de gain. Des centaines à
des dizaines de milliers de modes,
selon le type de laser, peuvent ainsi
démarrer pratiquement simultané-
10
30
50
70
90
110
130 742.5 743.0 743.5 744.0 744.5 745.0
NO2 en cellule
jet supersonique
cavit
é
vide
Temps de décroissance ( µs)
742.5 743.0 743.5 744.0 744.5 745.0
0
1x10-7
2x10-7
3x10-7
4x10-7
5x10-7
Longueur d'onde (nm)
jet supersonique
Coefficient d'absorption ( cm -1 )
Figure 2 - Exemple de spectre diode-CRDS de
NO
2
(A2B2X2A1). La figure supérieure re-
présente l’évolution du temps de déclin s0de la
cavité vide, du temps de déclin sm
jet de la cavité
en présence d’un jet supersonique de NO
2
à une
température translationnelle de 38 K, du temps
de déclin sg
cellule en présence d’une pression de
20 Pa de NO
2
dans 1,9 kPa d’argon à tempéra-
ture ambiante. La figure inférieure représente,
pour la même région spectrale, le coeffıcient
d’absorption de NO
2
en jet, déterminé à partir
des temps de déclin de la cavité vide et en pré-
sence de jet. La résolution spectrale est ici don-
née par la largeur Doppler résiduelle qui est de
250 MHz. La limite de sensibilité sur la mesure
du coeffıcient d’absorption a été évaluée à
10
–10
/cm pour une expérience en cellule pour un
rapport signal sur bruit de l’unité.
54
ment. Lorsque le laser atteint son
seuil (après un temps de quelques
microsecondes à quelques milli-
secondes selon le type du laser),
l’émission stimulée permet au laser
de fonctionner sur ce très grand nom-
bre de modes. L’intensité lumineuse
totale émise par le laser atteint
asymptotiquement sa valeur station-
naire dans le cas d’un laser à colorant
et après quelques oscillations dans le
cas d’un laser solide. Nous avons
montré que dans les deux cas la dy-
namique ICLAS était assez similaire.
Dans une cavité sans milieu absor-
bant, l’intensité des modes situés en
fréquence au centre de la courbe de
gain va croître plus vite que celle des
modes latéraux. Comme le montre la
figure 3, l’enveloppe spectrale du
rayonnement laser va s’affiner dans
le temps. Elle est bien décrite par une
gaussienne dont la largeur décroît en
=
t et dont l’amplitude croît en
=
t.
Cette enveloppe ne va pas tendre
vers un mode unique, comme on
pourrait s’y attendre, mais plutôt vers
une distribution limite étroite. Cette
limite a principalement deux origi-
nes. Premièrement des photons spon-
tanés vont s’ajouter aux photons sti-
mulés et vont faire perdre, au bout
d’un certain temps, la mémoire à la
dynamique spectro-temporelle. Ce
phénomène est à l’origine de la
limite ultime de la sensibilité de
l’ICLAS. Pour un laser à colorant ou
à solide, un calcul d’ordre de gran-
deur montre que cette limite est
atteinte au bout d’une seconde envi-
ron, ce qui correspond à un trajet de
300 000 kilomètres des photons dans
la cavité.
Dans la réalité, cette limite n’est
atteinte que si l’on arrive à supprimer
une autre limitation qui a pour ori-
gine un couplage entre les modes
longitudinaux de la cavité. En effet,
la présence de phénomènes non li-
néaires dans le milieu amplificateur
se traduit par un échange d’informa-
tions entre les modes : la dynamique
spectro-temporelle en est modifiée.
Nous avons observé un tel phéno-
mène pour un laser Ti : saphir où la
dynamique se stabilise pour un temps
de génération de l’ordre de 3 millise-
condes, ce qui correspond tout de
même à une longueur équivalente
d’absorption de 900 kilomètres !
Considérons maintenant la cavité
dans laquelle on a mis une cellule
d’absorption contenant un gaz ayant
un spectre d’absorption discret. La
cavité aura maintenant des pertes
supplémentaires, sélectives en lon-
gueur d’onde. Certains modes auront
davantage de pertes, ce qui va se tra-
duire pour ces modes par une extinc-
tion de type exponentiel dans le
temps. L’enveloppe du spectre du
laser sera toujours décrite par la
forme gaussienne précédente mais
sur laquelle viendra se superposer le
spectre d’absorption de la molécule.
On peut montrer que ce spectre d’ab-
sorption obéit à la loi de Lambert-
Beer, à condition de considérer une
longueur équivalente d’absorption
qui est simplement donnée par
L
eq
=c.t, où c est la vitesse de la
lumière et t le temps de génération
(cf. encadré). Cette description n’est
cependant valable que si l’on consi-
dère la valeur moyenne du spectre
prise sur un grand nombre de
séquences (démarrage-acquisition à
t). En effet, du fait du caractère aléa-
toire des photons spontanés au dé-
marrage du laser, un spectre indivi-
duel est très bruité. Il faut donc
acquérir plusieurs spectres et en
prendre la valeur moyenne pour aug-
menter le rapport signal sur bruit.
Quelques secondes suffisent en géné-
ral pour une valeur de t de 100 µs.
On peut noter cependant que, après
le démarrage, la dynamique du laser
conserve la mémoire assez longtemps
(1 seconde dans le cas ultime). On
peut mettre à profit cette propriété
pour réduire ce bruit spectral en
échantillonnant le spectre pour deux
temps de génération différents t
1
et
t
2
. Le rapport des deux spectres per-
met d’obtenir un spectre peu bruité
spectralement et dont la longueur
équivalente d’absorption est donnée
par c(t
2
t
1
). Cette hypothèse a été
vérifiée récemment en collaboration
avec le groupe de Bernd Abel à Göt-
tingen. Il est maintenant possible
d’acquérir le spectre d’un événement
unique.
La méthode ICLAS a une sensibi-
lité comparable à la méthode CRDS,
elle possède par rapport à cette der-
nière l’avantage de permettre l’acqui-
sition simultanée d’un grand nombre
12000
12020
12040
12060
12080
12100
temps de génération
tg
Intensité
Laser de pompe
5
µ
s
200
µ
s
150
µ
s
100
µ
s
50
µ
s
Nombre d'onde ( cm -1 )
Figure 3 - Évolution spectro-temporelle moyenne d’un spectre ICLAS. L’enveloppe du spectre du fais-
ceau laser ICLAS, de profil gaussien, s’affıne en fonction du temps. L’absorption due aux raies molé-
culaires suit la loi classique de Lambert-Beer (spectre simulé).
Les photons dans tous leurs états
55
d’éléments spectraux et l’introduction
d’une cellule d’absorption dans la
cavité du laser. Cette méthode est
plus adaptée pour la spectroscopie de
molécules ayant un spectre résolu ro-
tationnellement.
APPLICATIONS
Voir les vibrations des molécules
en couleur
Un des champs d’application des
méthodes d’absorption à haute sensi-
bilité concerne la spectroscopie de
transitions qui sont intrinsèquement
faibles. La sensibilité des techniques
ICLAS et CRDS permet, en effet,
d’étendre la spectroscopie vibration-
nelle, généralement perçue comme
spectroscopie infrarouge, au domaine
du visible. Nous avons ainsi accès
aux vibrations colorées qui corres-
pondent à des transitions de très fai-
ble intensité dans le domaine visible.
Ces transitions, dites harmoniques
par opposition à fondamentales, por-
tent la molécule à un niveau de très
forte excitation vibrationnelle, d’un
ou de plusieurs modes vibrationnels
de l’état électronique fondamental
d’une molécule. La faiblesse de ces
transitions tient au fait que, dans le
cadre de l’approximation dipolaire
électrique du moment de la transition
et de l’approximation harmonique du
potentiel internucléaire, de telles tran-
sitions sont rigoureusement interdi-
tes. C’est seulement l’écart à ces
deux approximations qui rend obser-
vables les transitions harmoniques.
Du fait de la décroissance rapide
de l’intensité des transitions avec le
nombre de modes de vibrations, les
seules transitions harmoniques qui
demeurent observables dans le
domaine visible sont celles qui met-
tent en jeu un mode de vibration à la
fois de fréquence élevée et fortement
anharmonique. Ce sont les modes
d’élongation X-H (X = C, O, Si, Ge,
N, S, etc.) qui satisfont le mieux ces
conditions et constituent un de nos
axes de recherche.
Les molécules qui nous intéressent
sont des molécules de taille intermé-
diaire telles que le méthane (CH
4
)ou
l’acétylène (C
2
H
2
) car, du fait de leur
légèreté, elles ont des constantes
rotationnelles importantes et ne pré-
sentent pratiquement pas de bandes
Encadré 1
LA DYNAMIQUE SPECTRO-TEMPORELLE DES LASERS
À GRAND NOMBRE DE MODES : PRINCIPE DE
L’ABSORPTION INTRA-CAVITÉ LASER (ICLAS)
Les propriétés fondamentales d’un laser très multimode, de
gain homogène et possédant des faibles pertes intra-cavité
sélectives en longueur d’onde, peuvent être comprises à l’aide
d’un modèle simple d’équations de bilan.
Considérons les grandeurs suivantes :
Mqle nombre de photons dans le mode q de la cavité du laser,
N l’inversion de population du milieu amplificateur, cles
pertes large bande de la cavité,
a
qle coeffıcient d’absorption
sélectif en longueur d’onde de l’espèce absorbante pour le
mode q, Bqle taux d’émission stimulé qui peut être approximé
dans le cas d’un gain homogène par une fonction lorentzienne
de demi-largeur à mi-hauteur égale à Q, P le taux de
pompage et A l’inverse de la durée de vie de l’inversion de
population. Fq(t) et FN(t) sont les forces de Langevin qui
décrivent le caractère aléatoire de l’émission spontanée. Ces
termes sont responsables de la limitation ultime de la
dynamique spectro-temporelle du laser et donc de la
sensibilité de la méthode ICLAS.
Si l’on néglige les effets non linéaires qui peuvent apparaître
dans le milieu amplificateur, on peut écrire les équations du
bilan sous la forme de deux systèmes d’équations en M et N :
dMq
dt =−cM
q+B
qN
~
M
q+1
!
a
qcMq+Fq
~
t
!
dN
dt =PAN N
(
qBqMq+FN
~
t
!
Ces équations peuvent être résolues analytiquement si l’on
néglige les forces de Langevin, la contribution moyenne de
l’émission spontanée, et si l’on se place dans le cas où la
durée de vie de l’inversion de population est plus courte que
la durée de vie des photons dans la cavité (c<< A), ce qui est
le cas pour un laser à colorant par exemple. L’évolution
spectro-temporelle du nombre de photons Mq(t) est alors
donnée par :
Mq
~
t
!
=M
=
ct/p
Qexp
F
S
qq0
Q
D
2
ct
G
exp
~
a
qct
!
La première exponentielle décrit simplement l’évolution de
l’enveloppe spectrale du faisceau laser. La deuxième
exponentielle est similaire à la loi de Lambert-Beer avec une
longueur équivalente d’absorption Leq =ct.
Aux temps longs, l’affınement de l’enveloppe spectrale et le
creusement des raies d’absorption sont cependant limités par
l’émission spontanée et les couplages non linéaires entre
modes. Selon le type de laser, la longueur équivalente
d’absorption tend vers une limite finie, de 10
2
à quelques
10
5
km.
56
1 / 7 100%

Un long chemin optique pour détecter quelques molécules

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