PHYSIQUE DES PARTICULES, LA MASSE EST DITE "HIGGS, HIGGS, HIGGS… HOURRAH!" Avant de commencer, je vous dirai pour être honnête avoir emprunté les termes de ce titre accrocheur aux unes de quelques journaux parus après le 4 Juillet de cette année. "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" s'interrogeait le philosophe et mathématicien allemand Liebnitz au XVIIè siècle Ce mercredi 4 juillet 2012, depuis 9h du matin, la salle de conférence du CERN (le Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire) est comble. A 10h35, Fabiola Gianotti en charge de l'expérience ATLAS au sein du LHC (le Large Hadron Collider ou Grand Collisionneur de Hadrons) tente de rester impassible en projetant une nouvelle diapo "powerpoint" de son intervention. Deux chiffres pour le moins mystérieux apparaissent et déclenchent un tonnerre d'applaudissements : 126,5 GeV et 5 Σ (sigma) Pour le commun des mortels ces chiffres n'ont aucune signification, mais pour les physiciens, ils indiquent la masse d'une nouvelle particule et le degré de certitude très élevé de sa découverte. Les chercheurs du CERN viennent de confirmer l'existence d'une nouvelle particule élémentaire qui ressemble fortement au boson de Higgs qu'ils traquent depuis près de 50 ans, la pièce manquante du grand puzzle que représente le Modèle Standard de la Physique des Particules. LE MODÈLE STANDARD DE LA PHYSIQUE Afin de mieux comprendre le rôle clé de cette particule, il est nécessaire de refaire une petite plongée dans la physique de l'infiniment petit et de son Modèle Standard. 1. Les Particules élémentaires. Pour décrire le monde qui nous entoure, les physiciens l'ont en effet décomposé en petites briques: les fameuses particules élémentaires. On en distingue deux types: les particules de matière, appelées fermions, et les particules d'interaction, ou de force, appelées bosons. Les fermions forment la matière telle que nous la connaissons. Deux type de quarks appelés up et down, s'assemblent pour former des protons et des neutrons. Ces nucléons sont eux-mêmes collés ensemble pour former des noyaux atomiques. Lorsqu'on ajoute des électrons, un 3e type de fermion, autour de ces noyaux, on obtient des atomes. Une quatrième particule, le neutrino, reste solitaire. Comme ils interagissent très peu avec le reste de la matière, ces neutrinos nous sont moins familiers. Pourtant, ils sont partout. À tout instant, ils nous traversent par milliards sans que nous nous en apercevions. Passons maintenant à la deuxième catégorie de particules élémentaires, les bosons. Ce sont les vecteurs de trois des quatre principales forces qui existent dans la nature. Le plus connu est à n'en pas douter le photon, qui «porte» l'interaction électromagnétique. C'est grâce à lui que des éléments de matière de même charge (positive ou négative) se repoussent et que des éléments de charge différente s'attirent. Toute la chimie et tous les phénomènes électromagnétiques, à commencer par la lumière, résultent donc de l'action de ce médiateur sans masse. On trouve ensuite les gluons. Ce sont les vecteurs de l'interaction dite «forte». Il en existe huit différents. Ils agissent comme une colle entre les quarks et entre les nucléons (les protons et les neutrons). Ce sont donc les garants de la cohésion des noyaux atomiques. Trois bosons, dits «intermédiaires», sont enfin responsables de l'interaction dite «faible». Ces derniers peuvent au contraire provoquer la désintégration spontanée de certains noyaux atomiques. À ce titre, ce sont eux qui sont à l'origine des réactions thermonucléaires qui font «brûler» les étoiles. 2. Les trois forces unifiées dans le «modèle standard» Au cours du XXè siècle, les physiciens sont parvenus à réunir ces interactions électromagnétiques, faible et forte dans une même théorie, qu'ils ont baptisée «modèle standard de la physique". D'après les équations de ce modèle qui font appel à la notion de symétrie, ces trois forces n'en formaient qu'une aux premiers instants de l'Univers: la force électronucléaire. La beauté de cette formulation était une grande victoire pour les physiciens, qui cherchaient depuis longtemps à réaliser cette unification. Mais l'édifice théorique présentait une faille majeure… Il fallait à tout prix que la masse des particules, et plus particulièrement des bosons, soit nulle pour respecter le formalisme mathématique sous-jacent. Or ce n'est pas le cas: les bosons intermédiaires, pour ne citer qu'eux, ont bel et bien une masse. Et celle-ci est importante: plusieurs centaines de fois celle du proton. La cathédrale conceptuelle menaçait de s'effondrer. Deux possibilités s'offraient alors aux théoriciens: soit jeter la théorie à la poubelle, soit considérer que l'on n'avait pas bien compris jusqu'à présent ce que représentait la masse. Au début des années 1960, trois chercheurs, les physiciens belges François Englert et Robert Brout, et indépendamment, le physicien britannique Peter Higgs, ont choisi cette deuxième voie et ont postulé, presque simultanément, un mécanisme pour sauver le Modèle Standard, en postulant l'existence d'un nouveau boson. Baptisé «scalaire», puis «Higgs», du nom de l'un de ses trois pères, cette particule serait présente partout dans l'Univers et formerait un champ uniforme. Ce sont ces bosons qui conféreraient leur masse aux autres particules. La masse ne serait donc plus une donnée intrinsèque, mais la conséquence de l'interaction avec ces bosons. Plus une particule agit avec les bosons de Higgs, plus elle est lourde. Seulement voilà… le "boson de Higgs" est resté pendant 50ans un pur concept. Aucun outil n'était jusqu'à présent suffisamment puissant pour l'observer expérimentalement. 3. Pourquoi parle-t'on de boson de Higgs et non pas de boson de ENGLERT-BROUT-HIGGS ? C'est la faute de Steven WEINBERG, prix Nobel de physique en 1979, qui dans une publication rédigée en 1967, sur l'unification des forces faible et électromagnétique, avait cité en premier lieu le travail de Peter Higgs en 1964, alors qu'en réalité les premiers articles (parus quinze jours plus tôt) étaient ceux de Robert Brout et François Englert. D'autres physiciens l'ont suivi et depuis, le nom de "boson de Higgs" est resté. 4. Pourquoi l'a t-on surnommé, "la particule de Dieu" ? Le surnom de "Particule de Dieu" ou "God Particle" vient en fait d'un malentendu issue d'un livre publié par Léon Lederman intitulé : "The God Particle : if the Universe is the answer, what is the question?" En fait l'auteur du livre avait appelé la particule : "The Goddamn Particle" (la fichue particule), mais son éditeur a préféré raccourcir le terme en "God Particle". Mauvaise idée, selon Peter Higgs qui est lui-même athée... 5. La brisure spontanée de symétrie… késako? La symétrie au sens physique, c'est une propriété du système selon laquelle il n'y a pas de direction de parcours privilégiée, dans l'espace et le temps, pas de rotation privilégiée non plus. Le caractère "spontané" de cette rupture de symétrie signifie que ce n’est pas une action extérieure qui produit ce changement brutal dans la structure géométrique du système. Il n’y a pas de miracle et pourtant il y a un changement rapide et qualitatif du système avec apparition d’un paramètre nouveau et d’une directionnalité nouvelle. Nous vivons au quotidien la rupture de symétrie. Nous constatons par exemple la différence entre le haut et le bas. C'est une rupture de symétrie puisqu'une direction est privilégiée, celle de l'attraction terrestre. En tant qu'êtres humains, nous connaissons d'autres ruptures de symétrie, comme celle qui nous permet de reconnaître notre droite de notre gauche, ou de distinguer dans le temps, le passé et le présent. Jusqu'au milieu du XXème siècle, les lois de la Physique semblaient parfaitement symétriques et absolues, valides autrement dit, pour tout l'Univers. Mais des expériences réalisées en 1956 sur la désintégration d'un noyau de cobalt radioactif, ont ébranlé cette certitude : car les électrons émis par le cobalt "préfèrent" une direction à une autre. Tout se passe comme si, à la sortie d'une rame de métro, les usagers choisissaient tous, la même voie de sortie sans avoir pour cela de raisons apparentes… Reprenons l'image que j'avais empruntée au physicien pakistanais, Abdus Salam, lors de mon précédent exposé sur "La Cosmologie Moderne": Considérons une table ronde, prête à recevoir ses convives. Le long du périmètre de cette table alternent régulièrement assiettes et cuillères. Avant le début du repas, la situation est parfaitement symétrique et invariante par rotation. Mais lorsque le premier convive s'assoit, il choisit une cuillère à droite ou à gauche de son assiette. Ensuite tous les autres convives doivent respecter la même convention que lui, faute de quoi, l'un des convives n'aurait pas de cuillère. Ce résultat est le fruit du hasard et c'est exactement ce qui se produit dans les phénomènes physiques tels que le ferromagnétisme, la supraconductivité ou la formation des cristaux liquides. La brisure spontanée de symétrie est donc l'instant où la symétrie d'un système est ôtée par un seul évènement. Une autre métaphore est proposée par le physicien Étienne Klein. « Imaginez une bille placée sur le cul d’une bouteille, à l’intérieur de celle-ci. Cet état-là est symétrique. Cependant, la bille aura tôt fait de rouler au fond de la bouteille, sur le côté. Et l’état final n’est plus symétrique. Ce système tend naturellement vers une brisure spontanée de symétrie. » La brisure spontanée de symétrie est donc une situation dans laquelle les équations possèdent une symétrie, mais leur solution ne la possède pas. 6. Le champ de Higgs et sa particule associée, le boson de Higgs. Lorsqu'il surgit du Big Bang, l'Univers dense et extrêmement chaud, est symétrique et sans structure. Il est réduit à une tête d'épingle d'un diamètre inférieur à 10-28 m, où il règne un "vide unifié" extrêmement dense, amalgamant les quatre interactions fondamentales de notre monde actuel en une seule super-force. De 10-38 à 10-35 seconde, un phénomène court et violent, se produit, l'inflation cosmique. La taille de l'Univers est alors multipliée par 1030. Au temps t = 10-35 seconde, l'inflation s'arrête. L'Univers poursuit un mouvement d'expansion plus lent, qui entraîne une chute de la température et de la densité. Entre10-35 et 10-12 seconde, matière et anti-matière s'ébrouent joyeusement dans ce vide quantique. Une multitude de particules sans masse, avec leurs antiparticules se forment et disparaissent aussitôt, des quarks, des électrons, des neutrinos…). Du côté "interactions" (qui sont aussi des particules), c'est un véritable "zoo" : photons, bosons, gluons… C'est à cet instant qu'intervient le processus de "rupture spontanée de symétrie". L'Univers a refroidi et sa température est tombée en-dessous d'un seuil critique, la symétrie s'est brisée et un champ de force invisible emplit alors tout l'espace et le structure comme un véritable maillage. Ce champ a "collé" plus ou moins fortement aux particules autres que les photons, lorsque ces dernières l'ont traversé, leur conférant ainsi une masse par l'intermédiaire d'une particule associée : le boson de Higgs. Brisant une symétrie après l'autre, l'Univers dans son évolution autorise ainsi l'apparition d'une structure de plus en plus différenciée. C'est ainsi que la matière l'a emporté sur l'anti-matière et qu'est apparue la lumière. Si cet événement n'avait pas eu lieu, rien ne se serait aggloméré dans l'Univers et il n'y aurait ni étoiles, ni planètes. 7. Quelques métaphores pour mieux comprendre Arrêtons-nous un instant pour essayer de mieux comprendre tout ça, au travers quelques métaphores glanées parmi les vulgarisations scientifiques… * le cocktail mondain En 1993, le ministre britannique des Sciences, William Waldegrave, lance un défi : une bouteille de champagne à celle ou celui qui pourra expliquer simplement sur une page A4, ce que sont le champ de Higgs et le boson de Higgs. L'un des gagnants fut David Miller, du University College of London, qui proposa le scénario suivant : - lors d'une réception, les invités remplissent toute une salle uniformément, comme le champ de Higgs emplit tout l'espace. - entre une célébrité - Einstein par exemple -, symbolisant une particule élémentaire. A l'origine, David Miller avait comparé le boson de Higgs à l'ancien premier ministre britannique, Margaret Thatcher. Reprenons notre variante avec Einstein. - les invités, éblouis par sa personne s'agglutinent autour de lui et entravent ses mouvements, ce qui augmente sa masse. De la même manière, chaque particule élémentaire acquiert sa masse propre lorsqu'elle se trouve dans le champ de Higgs et interagit avec lui. - imaginons par exemple que je me trouve dans les parages et que je décide d'aller prendre un verre au buffet. Tel un photon, je vais pouvoir traverser rapidement la salle jusqu'au bar, sans que quiconque ne s'agglutine à moi. - imaginons maintenant une rumeur que quelqu'un répand dans la pièce. - les invités se rapprochent pour l'entendre et ensuite propager les ragots. Comme l'information est portée par un amas de personnes, et comme c'est ce même phénomène d'agglutination qui a attribué sa masse supplémentaire à Einstein, la grappe de gens portant la rumeur représente elle aussi, une certaine masse. Les physiciens imaginent le boson de Higgs comme une telle grappe dans le champ de Higgs. Elle est le vecteur de ce qui donne la masse. * le champ de neige Le mécanisme de E-B-H (pour simplifier) peut être comparé à la résistance au mouvement que subit une personne qui traverse un champ de neige. - une skieuse aux skis bien fartés, glisse vite sur la neige, comme si sa masse était très faible, à l'image du photon qui n'interagit pas avec le champ de Higgs. - avec des raquettes, la progression est plus lente. Cette situation illustre celle d'une particule qui interagit légèrement avec le champ de Higgs, à l'instar de l'électron. - un randonneur avec ses chaussures s'enfonce dans la neige. Il interagit beaucoup avec elle et progresse alors lentement comme s'il était très lourd. Cela illustre le cas des bosons W et Z, qui se couplent fortement au champ de Higgs. La neige, c'est le champ de Higgs et les flocons qui la composent sont les bosons de Higgs. Ce sont eux qui attribuent aux particules une certaine masse, et donc une certaine vitesse de déplacement. * le bison de Higgs Allez… pour ceux qui n'auraient toujours pas bien compris et pour les plus jeunes d'entre nous… une dernière analogie en BD que je vous laisse lire... LA TRAQUE EXPÉRIMENTALE DU BOSON DE HIGGS Dès les années 60, les physiciens savent donc que leur modèle standard ne sera prouvé que lorsque ce fameux boson sera trouvé. Pour le dénicher, une seule solution : • les accélérateurs de particules. Un accélérateur de particules est un instrument qui utilise des champs électriques ou magnétiques pour amener des particules chargées électriquement à des vitesses élevées. En d'autres termes, il communique de l'énergie aux particules. Les premiers accélérateurs "simples" utilisèrent le mode de la cible fixe. Puis dès le début des années 70 furent construits les premiers collisionneurs électronspositrons, permettant de faire entrer en collision frontale deux faisceaux de particules projetées en sens inverse dans un anneau accélérateur. Aux Etats-Unis le collisionneur SPEAR avec son anneau de 80m de diamètre entre en fonction en 1972 et produit des faisceaux de 4 GeV d'énergie. En quelques années les découvertes s'enchainent : quark "charme", lepton tau, neutrinos… L'Europe n'est pas en reste avec son Supersynchroton à protons (SPS) du CERN (Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire), un collisionneur protonantiproton annulaire de 7 km de circonférence, qui permet de découvrir au début des années 80, les bosons W et Z. Puis le LEP (Large Electron-Positron Collider), avec son anneau de 27 km de circonférence, qui permet d'étudier en détail la frontière des 100 GeV. Aux Etats-Unis, c'est le Tevatron, accélérateur de protons du Fermilab qui prend la relève et qui découvre en 1995 le quark top.. Mais le boson de Higgs manque toujours à l'appel. Pour espérer le détecteur, il faut atteindre des niveaux d'énergie plus élevés. La compétition fait rage de chaque côté de l'Atlantique. Mais les Américains font une grossière erreur en se lançant dans la construction du Desertron, un accélérateur de plus de 86 km. Un choix guidé par la crainte de recourir à des technologies trop audacieuses. Le doublement de leur budget déjà estimé en milliards de dollars fait exploser leur projet en plein vol en 1993. Les physiciens européens, eux, ont compris que les gouvernements ne financeront pas un second tunnel circulaire. Ils doivent caser leur machine dans celui creusé pour le LEP, des 27 km. Mais pour compenser cette petite taille, il faut recourir à des aimants supraconducteurs d'une grande puissance, les refroidir près du zéro absolu, construire des détecteurs géants capables de résister à d'intenses radiations… et inventer une nouvelle informatique pour traiter de gigantesques bases de données. L'aventure du LHC (Large Hadron Collider) démarre en 2008 avec quelques ratages dus à des soudures défaillantes. Sa mission essentielle est la découverte du boson de Higgs à l'aide des détecteurs CMS et ATLAS. En 2009 commencent les premières collisions et au printemps 2010, les première collisions à haute énergie. Les protons sont accélérés à plus de 99,9 % de la vitesse de la lumière. On peut imaginer la chose suivante : si l'on envoie un faisceau de lumière en même temps qu'un faisceau de protons du LHC sur l'étoile la plus proche de notre système solaire, Proxima du Centaure, le rayon de lumière mettra 4,2 années à atteindre l'étoile, alors que le faisceau de protons mettra 4,2 années et 2 secondes. Plus concrètement, les particules parcourent les 27 km de l'anneau plus de 11 000 fois à chaque seconde. Grace au LEP et au Tevatron, on sait que la masse de la particule à découvrir est supérieure à 114 GeV et des considérations théoriques suggèrent qu'elle ne dépasse pas 180 GeV LES CLÉS DE LA RÉUSSITE 1. L'énergie de collision • l'unité d'énergie : l'électronvolt Cette énergie s'exprime en électronvolt (eV). Sa valeur est définie comme étant l'énergie acquise par un électron accéléré depuis le repos par une différence de potentiel d'un volt. Cela permet, grâce à la fameuse équation E = mc2, d'exprimer de façon plus commode la masse des particules élémentaires. Un électronvolt étant extrêmement petit, on utilise plus volontiers ses multiples, le mega-électronvolt (MeV) qui vaut un million d'eV et le giga-électronvolt (GeV) équivalent à un milliard d'eV. Les accélérateurs modernes atteignent des énergies de plusieurs milliers de milliards d'eV (de l'ordre du tera-électronvolt : TeV). Le LHC a atteint cette année une énergie de 7 Tev par faisceau, soit une collision frontale de 14 TeV. A titre d'exemple, un TeV représente à peu près l'énergie cinétique d'un moustique en vol… Mais il vrai que celui-ci est composé de 3.109 atomes... Si l'énergie la plus basse requise dans une collision pour produire une particule donnée est la masse de la particule en question, la particule recherchée est souvent produite en association avec d'autres particules, ce qui suppose alors une énergie de collision plus élevée. Les processus de physique sont tels que la probabilité de produire un boson de Higgs augmente considérablement avec l'énergie de collision. En continuant d'augmenter la puissance, les quantités de données deviennent plus pertinentes et permettent d'exclure petit à petit des plages de masse dans les expériences de recherche des particules rares. 2. Le nombre de collisions - la luminosité Ce qui intéresse surtout les accélérateurs c'est de produire le plus de collisions possibles. Pour évaluer cette capacité, on calcule une grandeur appelée luminosité qui mesure le nombre de particules qu’il est possible de concentrer dans un espace donné, à un moment donné. Cela ne signifie pas que ces particules entreront toutes en collision, mais plus elles seront concentrées dans un espace donné, plus il y aura de chances qu’elles entrent en collision. La luminosité d’un faisceau correspond au nombre de particules passant dans une section de 1 cm² à chaque seconde. La luminosité intégrée est un paramètre plus intéressant car il correspond à la luminosité multipliée par le temps de collisions de la machine. Sans entrer dans les détails, la luminosité intégrée enregistrée en 2010 par les expériences ATLAS et CMS équivalait à plus de 3 000 milliards de collisions. Mais ce chiffre n'est pas suffisant pour détecter de manière significative les bosons de Higgs. 3. L'intensité du faisceau L’intensité d’un faisceau correspond au nombre total de protons qu’il contient. Le LHC à sa capacité nominale, peut contenir jusqu’à 2 800 paquets, composés chacun de 100 milliards de protons. Chaque paquet fait quelques centimètres de longueur et est 3 fois plus fin qu’un cheveu humain. A chaque fois que deux paquets de 100 milliards de protons se croisent, il n'y a environ que 20 collisions. Mais comme il y a 2 800 paquets qui sont accélérés à une vitesse proche de celle de la lumière, on obtient quand même près de 600 millions de collisions par seconde. Il faut donc augmenter la luminosité, c'est à dire le nombre de collisions, et donc le nombre de paquets et le nombre de protons par paquets pour espérer observer des particules très rares, comme le boson de Higgs. Il faut bien sur, que tout cela ait une valeur statistique significative… 4. L'écart-type ou sigma Σ. En physique des particules, le caractère significatif d'une observation est mesuré en termes d'écarts-types, en abrégé, sigma. L'écart-type mesure la probabilité qu'une observation soit due au hasard au lieu de signaler une découverte. Des effets de deux sigma sont susceptibles de se produire avec une régularité comparable à celle de deux jets de dé produisant deux six consécutifs. L'effet de trois sigma correspond à une probabilité de quelques millièmes qu'une observation soit due au hasard: il s'agit du point auquel il est généralement admis qu'une observation devient intéressante. Quatre sigma correspondent à une forte probabilité. Pour qu'il y ait découverte, il faut cependant cinq sigma ; à ce point, on considère qu'il y a moins d'une chance sur un million que l'observation soit l'effet du hasard. Le chiffre de six sigma correspond à une chance sur 500 millions que le résultat soit la conséquence de fluctuations dues au hasard. LES CANAUX DE DÉSINTÉGRATION Le boson de Higgs ne peut pas être observé directement car sa durée de vie est trop brève pour les expériences. En fin de vie, le boson se désintègre et se transforme en d’autres particules, qui peuvent être observées par les détecteurs. Il existe 5 modes de désintégration. C’est un peu comme avec un appareil qui fait la monnaie. Peu importe quelles petites pièces sortiront, la somme devant toujours être égale à la valeur initiale. Chaque façon de donner le change correspond à un canal de désintégration. En regardant différents canaux de désintégration, on peut voir si tous correspondent à la même particule ayant la même masse. Dans les expériences CMS et ATLAS du LHC, les recherches se portent sur deux canaux de désintégration particuliers du boson de Higgs : - la désintégration en deux photons, - et la désintégration en paire de bosons Z, les deux Z se désintégrant à leur tour en deux leptons, ce qui fait quatre leptons en tout. Rappelons que un lepton est un fermion élémentaire insensible à l'interaction forte. Il existe six sortes de leptons : l'électron, le muon, le tau et les neutrinos, électronique, muonique et tauique. Le nom lepton vient du grec et signifie "léger". Sur ce schéma, sont notées les importances relatives de certains canaux de désintégration du Higgs en fonction de sa masse éventuelle. On voit ainsi qu'entre 100 GeV et 150 GeV apparait une bosse exprimant l'importance du canal de désintégration à deux photons gamma et un pic correspondant à la désintégration en deux bosons Z. LA DÉTECTION DES PARTICULES DE DÉSINTÉGRATION Voyons un peu comment tout cela fonctionne… 1. Le détecteur CMS (Compact Muon Solenoid ou Solénoïde compact pour muons) Il est construit autour d'un énorme aimant solénoïde, supraconducteur qui génère un champ magnétique d'environ 100 000 fois celui du champ magnétique terrestre. D'un poids de 12 500 tonnes, il mesure 21m de long pour 15 m de diamètre. Découvrons ensemble les sous-couches du détecteur : - au plus près de la cohésion, on trouve le détecteur interne constitué d'un trajectographe en silicium, qui localise le passage des particules et en mesure la courbure et la quantité de mouvement. - puis le calorimètre électromagnétique conçu pour mesurer l'énergie des photons, électrons ou positrons. - le calorimètre hadronique, placé autour du précédent est destiné à mesurer l'énergie des hadrons. (Les hadrons regroupent les particules subatomiques régies par l'interaction forte : les quarks et les gluons). - et enfin le détecteur de muons, constitué de plusieurs chambres. Sa mission est d'identifier et de mesurer les électrons et les photons précision inégalée. avec une 2. Le détecteur ATLAS (A Toroidal Lhc ApparatuS) ou dispositif instrumental toroïdal pour le LHC Moins lourd (7 000 tonnes), il est plus imposant que le CMS avec sa forme de cylindre de 22 m de diamètre pour environ 40m de longueur. ATLAS est un puzzle technologique géant, constitué essentiellement de 4 couches concentriques : - un détecteur interne de traces qui est un trajectographe. - un calorimètre électromagnétique. - un calorimètre hadronique. - et des détecteurs de muons. Le tout à l'intérieur d'un énorme système d'aimants permettant d'incurver la trajectoire des particules chargées pour mesurer l'impulsion. ATLAS grâce à son son aimant toroïdal géant, est chargé de mesurer les trajectoires des muons avec une très grande précision. Le décor est désormais planté… Sur ce schéma, apparaissent les événements compatibles avec la désintégration d'un boson de Higgs, à gauche (ATLAS) en deux paires d'électrons (lignes rouges et bleus) et à droite (CMS) en bosons Z qui se désintègrent à leur tour en électrons (lignes vertes) et en muons (lignes rouges). L'ANALYSE DES DONNÉES Ce sont des fleuves de données enregistrées par chacune des expériences CMS et ATLAS qu'il faut traiter. Elles pourraient remplir environ 100 000 DVD chaque année. Cette tâche immense dépasse les capacités de n'importe quel ordinateur. Il a donc fallu trouver une nouvelle façon de traiter les données. C'est ainsi qu'a été inventé et mis au point au CERN entre 1989 et 1994 le World Wide Web, c'est à dire internet. Grâce à ce réseau, les chercheurs ont pu mettre au point une infrastructure informatique mondiale, appelée la "Grille", qui permet de rassembler les ressources géographiquement dispersées et de les organiser en une entité cohérente. En 2011, les détecteurs ATLAS et CMS repèrent des fluctuations dans la plage de recherche. Le LHC fonctionne alors à à 3,5 TeV par faisceau. Il reste à peine une zone de 7,5 GeV où le boson de Higgs pourrait encore se cacher autour de 124 GeV. La ligne noire montre ce qui a été observé par ATLAS. La courbe en pointillés représente en gros le nombre d’évènements qu’on devrait observer en fonction de la masse du boson de Higgs. Les bandes vertes et jaunes indiquent les variations statistiques possibles pour le bruit de fond entre un et deux sigma. Quand la ligne noire sort de la zone jaune, c’est qu’un excès d’évènements est observé. Pour ATLAS, l’effet le plus prononcé correspond à 2.5 sigma pour un boson de Higgs ayant une masse de 126 GeV. Pour CMS, le pic le plus prononcé se trouve à 125 GeV comme on le voit sur cette figure avec un excès de 2.8 sigma. L'effet combiné pour ces deux expériences correspond à une déviation de 2,2 sigma, ou autrement dit, une probabilité de 1,4 % pour que cela vienne du bruit de fond et non pas du boson de Higgs. Ceci veut dire qu’on est peut-être en train de voir les premiers signes du Higgs entre 125-126 GeV. Mais il est encore trop tôt pour se prononcer, comme par exemple lors de l’apparition du premier bouton de varicelle chez un enfant. Tant qu’il n’est pas couvert de boutons, malgré d’autres signes avant-coureurs, il est difficile d’être catégorique. Dès le mois d'Avril 2012, le LHC monte en puissance et fonctionne à 4 TeV par faisceau ce qui accroit le nombre de collisions et augmente considérablement le nombre de données recueillies. Ce qui signifie beaucoup de travail d'analyse. Après deux mois de fonctionnement seulement, l'accélérateur a déjà fourni à l'ensemble des expériences plus de la moitié des données délivrées en 2011. A la fin du mois de Juin, les physiciens des expériences du LHC s'activent pour analyser les données générées par le LHC en 2012. La quantité de données fournies entre avril et juin dépasse celle obtenue durant toute l'année 2011. L'HEURE DE LA GRAND-MESSE Nous voici de retour ce mercredi 4 juillet 2012, dans la salle de conférence du CERN à Genève. François Englert et Peter Higgs, viennent d'entrer dans la salle. Le séminaire commence à 09h00. Les responsables des expériences CMS et ATLAS prennent tour à tour la parole pour présenter les résultats combinés de 2011 et du premier semestre 2012, dans les canaux de désintégration à deux photons et à quatre leptons. Le signal des événements dans les deux canaux combinés à 126,5 GeV est de 5 sigma… Cela ne fait plus aucun doute. Peter Higgs ne peut cacher son émotion. "Higgs, Higgs Higgs…. Hourrah!"… Bienvenue au nouveau petit boson… Un mois plus tard, ces données sont affinées. Les résultats de CMS annoncés atteignent une signification de 5 sigmas, et ceux de l’équipe d'ATLAS atteignent 5,9 sigmas. Ces valeurs correspondent à une chance sur 550 millions qu’un tel signal soit enregistré en l’absence d’un Higgs. LA FIN D'UNE AVENTURE ? NON, UNE ÉTAPE ! Une étape extrêmement importante vient d'être franchie. Mais n'’oublions pas qu’en physique, chaque nouvelle « grande » réponse engendre une ribambelle de nouvelles questions ! La particule qui vient d'être découverte a toutes les chances d'être le boson de Higgs. Le travail qui reste à faire, c'est de la caractériser : est-elle réellement le boson de Higgs du Modèle Standard (MS) ou est-ce une autre variante prédite par d'autres modèles alternatifs au MS ? De nombreuses autres données devront être recueillies pour parvenir à cette caractérisation et déterminer ses propriétés. La découverte du boson de Higgs est évidemment une bonne nouvelle, mais la particule apporte de nouvelles questions qui soulignent les limites du modèle standard et la nécessité de rechercher des signes d'une théorie plus fondamentale. - Pourquoi les particules d'une même "famille" comme l'électron, le muon et le tau ont-elles des masses si différentes ? - Pourquoi le boson de Higgs a-t-il une masse si faible ? Ses interactions avec lui-même et avec les autres particules devraient lui conférer une masse énorme par rapport à la centaine de GeV mesurés. - Pourquoi l'Univers est-il essentiellement composé de matière et pas d'antimatière ? - Où se situe la gravitation dans ce schéma ? Toutes ces interrogations sont le signe que le modèle standard n’est pas la fin de l’histoire. Il n’est en fait que la manifestation à basse énergie d’une théorie plus fondamentale. L'une des pistes les plus sérieuses est la Supersymétrie (SuSy en abrégé). Laissez-moi vous en dire quelques mots avant de finir. On connaît déjà, en physique des particules, les symétries qui régissent les interactions électromagnétiques et faibles, ainsi que les interactions fortes. Il y a aussi les symétries d'espace-temps, de translation, de rotation, qui sont à l'oeuvre en relativité. La supersymétrie est, quant à elle, une symétrie d'un type spécial. C'est en quelque sorte une tentative d'unification entre Forces et Matière, qui se propose d'associer les bosons aux fermions, et vice-versa. Chaque particule aurait son superpartenaire, qui serait son reflet par supersymétrie. Tout ce bestiaire de particules interagissant dans le cadre du MSSM (le Modèle Standard Supersymétrique Minimal) L’interaction du superpartenaire avec le boson de Higgs compenserait exactement la contribution de la particule à la masse du boson et empêcherait ainsi celle-ci de devenir énorme. Toutefois, la supersymétrie ne prévoit pas un seul boson de Higgs, mais au moins cinq, dont le plus léger ressemble au boson du modèle standard. Seulement voilà, jusqu'à présent aucun superpartenaire des particules connues n'a encore été observé. Si elle existe, la SUSY doit donc être une symétrie brisée : ceci implique en particulier que les superpartenaires doivent avoir des masses différentes de celles de leurs partenaires et qu'il est nécessaire de considérer des phénomènes à des échelles d'énergie élevées afin de restaurer et voir réapparaitre cette symétrie. Bien que le nombre de particules soit doublé, la SUSY possède de nombreux avantages : ▪ En postulant l'existence de « super-partenaire » de l'ordre du TeV, l'unification des trois forces, l'interaction faible, forte et électromagnétique, devient possible à une échelle d'énergie de l'ordre de 1016 GeV (échelle de Grande Unification). ▪ Cette théorie permet également d'expliquer naturellement pourquoi la masse du Higgs peut être faible (en dessous du TeV). ▪ Elle offre également la possibilité d'expliquer la matière noire qui représente 23% de notre Univers, par le biais des neutralinos, particules supersymétriques les plus légères et les plus stables. CONCLUSIONS La découverte du boson de Higgs est un grand pas en avant dans notre compréhension de la structure fondamentale de la matière. Elle ouvre la voie vers la Théorie de Grande Unification (GUT) dont rêvent tous les physiciens. Son étude minutieuse va peut-être permettre de savoir si derrière le modèle standard se cache la supersymétrie ou une autre théorie. Le programme du LHC va se poursuivre jusqu'en 2030 en montant progressivement en puissance. Mais d’ores et déjà, les scientifiques du CERN ne comptent pas en rester là. Ils se sont réunis mi-septembre en Pologne, pour décider de la manière dont ils pensent continuer leurs recherches. Parmi les options envisagées, celle de construire un tunnel long de 80 km qui passerait sous la Suisse et la France. Cette nouvelle machine, intitulée CLIC (comme Collisionneur LInéaire Compact) serait censée exploiter les découvertes du LHC, et devrait être capable de contribuer à trouver une théorie fondamentale qui expliquerait la totalité de l'Univers. L'avenir est donc très prometteur… Merci de votre attention