Marc Wilmet Dans la jungle de la phrase française : mauvais sujets, travestis et entremetteurs Sous un intitulé évidemment ludique, le présent article remet en cause certains acquis grammaticaux parmi les plus consensuels. Le sérieux de la réflexion devrait apparaître au fur et à mesure . 1. Les « mauvais sujets » Des phrases comme (1) et (2) sont souvent imputées au français « familier » (exemple 1), voire « enfantin » (exemple 2), bref à la conversation courante. Considérez pourtant les exemples littéraires (3) et (4), l’un du registre encore « populaire » de la chanson (3) mais l’autre du niveau « élevé » de la philosophie (4). 1. La Normandie, il pleut tous les jours. 2. Ma mère, son vélo, il est bleu. 3. Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé (Félix Leclerc). 4. Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la Terre aurait changé (Blaise Pascal). Le problème tient au statut des séquences initiales détachées : les syntagmes nominaux la Normandie (exemple 1), ma mère (exemple 2), le nez de Cléopâtre (exemple 4) et le pronom moi (exemple 3). Des prépositions en, pour… ou les apparentés quant à, concernant, touchant, en ce qui regarde, (du) côté (de)… leur conféreraient la fonction de complément circonstanciel. Quel circonstanciel par ailleurs ? Le « complément ambiant » de Damourette et Pichon (1927 : § 110), « qui ne fait pas partie de l’édifice logique de la phrase, mais qui s’y présente comme un organisme indépendant dans un milieu qui l’enveloppe et le soutient » ? Le « complément de cadre » de Danon-Boileau et alii (1991) ? Nous y reviendrons. Université ����������������������������� Libre de Bruxelles ������������������������������������������� Texte réécrit de la conférence prononcée à Helsinki ��������������� le 28 mai ��������� 2008. Marc Wilmet Remarque additionnelle, les phrases (2), (3), (4) comportent une reprise anaphorique ma mère → son, moi → mes ou le nez de Cléopâtre → il, absente de (1). Hors de tout rappel, la grammaire latine parlait de nominativus pendens ‘nominatif en suspens’, observant qu’il « alterne ou contraste » avec de + ablatif (Lavency 1985 : § 207). Le Querler (2006 : 393) emprunte à Serbat (1988) l’exemple suivant d’Horace (5). 5. Altera. Nihil obstat. [Le satiriste vient de détailler la vêture sinueuse de la matrone romaine, véritable fin de non-recevoir au désir des mâles, puis il change de perspective : « l’autre » – comprenez : la courtisane, enveloppée de voiles transparents –, « aucun barrage » (littéralement : « rien ne fait obstacle »).] « Nominativus » altera, oui, mais « pendens », vraiment ? Nous avons affaire à deux blocs. Leur succession n’est pas sans évoquer les intertitres des journaux ou les légendes de photographies : Superbe feu d’artifice sur la grand-place. Les badauds en restent bouche bée, etc. Alors, deux entités aussi dans les exemples liminaires (1), (2), (3), (4) ? Ou une seule ? Ou tantôt deux et tantôt une ? Avant de décider, appuyons-nous sur une série de préalables. • Notre définition personnelle de la phrase figure au § 558 de la Grammaire critique du français (42007) . La phrase correspond à la première séquence quelconque de mots née de la réunion d’une énonciation et d’un énoncé qui ne laisse en dehors d’elle que le vide ou les mots d’un autre énoncé. On procède de là à une dichotomie en phrase unique (P) et phrase multiple (Π → P1 + P2 + P3… + Pn), chacune des phrases P ou P1, P2, P3, Pn de Π se révélant à l’expérience simple (si l’énoncé n’intègre aucune sous-phrase) ou complexe (si l’énoncé intègre au minimum une sous-phrase). Appliquons ce principe aux exemples (1), (2), (3), (4). Pour une phrase unique P simple ou complexe, il faut – et il suffit – que la séquence initiale détachée trouve une fonction au sein de l’ensemble. Dans le cas contraire, on aura une phrase multiple Π. Demeure une hypothèque : où arrêter la phrase multiple une fois lancée ? Le « beau gros point rond » (Cavanna apud Delbart à paraître), résultant d’une décision souveraine de l’écrivain, érige en tout état de cause une Je ������������������������������������������������������������������������������������� remercie Anne-Rosine Delbart pour l’avoir en son temps concoctée et mise au point avec moi. Dans la Grammaire rénovée du français, la formulation devient : « On appelle phrase la première séquence, etc. » (2007a : § 153). Dans la jungle de la phrase française borne infranchissable . L’exemple (5) aligne donc deux phrases P (non pas Π → P1 + P2). • L’énonciation ancre l’énoncé dans une situation de communication en stipulant qui énonce (accessoirement à qui) , quand (accessoirement où) et la modalité que sélectionne l’énonciateur (assertive = « je prétends que… », interrogative = « je demande si… » ou injonctive = « je veux que… »). • L’énoncé installe une prédication à trois termes ou, métaphoriquement exprimé, lance un pont dont le premier pilier forme le thème, le second pilier le rhème et le tablier la copule, visible en cas de rhème non verbal, nom ou adjectif : Pierre est un avocat ou Marie est futée, etc., invisible et subductivement – les mots subduction et subductif sont de Gustave Guillaume, qui revivifie ainsi la théorie du verbe substantif = « sous-jacent » de Port-Royal – inscrite au verbe en cas de rhème verbal : Pierre plaide ou Pierre demande la parole . La prédication complète à trois termes s’expose à perdre en discours un ou deux termes : Au feu ! (omission du thème). Vous ici ? (omission de la copule). – Qui chante ? – Pierre (la réplique se dispense de répéter le rhème), etc. Cette prédication incomplète n’en reste pas moins… une prédication . • Le thème coïncide avec le sujet grammatical et non, attention, comme on le prétend généralement (et comme la Grammaire critique du français l’a soutenu – mea culpa – jusqu’à sa troisième édition de 2003, abusée par l’acception banale de thème = « sujet, idée, proposition qu’on développe » [d’après le Petit Robert] vs l’acception technique de « fondation, socle, soubassement » [d’après le Dictionnaire grec-français de Liddell et Scott]), le sujet logique (celui, suivant la doxa, « dont on parle, dont il est dit quelque chose, etc. »). Sont l’un et l’autre sujets grammaticaux, outre le syntagme nominal mes souliers de (3), le il référentiel ��������� Cavanna, Mignonne, allons voir si la rose… (Paris, Albin Michel, 22001 : 47-48) : « Quand tu t’aperçois que tu te perds en un labyrinthe tortillant, que les incidentes, les mises en apposition, les subordonnées conjonctives et les relatives s’emmêlent et ne mènent à rien qu’au galimatias, alors, arrête-toi. Ferme les yeux. Respire un grand coup. Deux, trois grands coups, bien profonds. Et distribue des points. De beaux gros points ronds. » ������������������������������������������������������������������������������������� Les questions « pour qui ? » et « pour quoi ? » ouvrent les vannes de la pragmatique. ����������� Guillaume (21969 : 74) : « [Être] apparaît subductif, idéellement antécédent, par rapport au reste de la matière verbale. Ne faut-il pas “d’abord” être pour pouvoir “ensuite” se mouvoir, aller, venir, marcher, manger, boire, dormir, jouir, souffrir, voir, regarder, entendre, écouter, sentir, penser, etc., etc. ? » ������������������������������������������������������������������� Pour le détail et les justifications, cf. Wilmet 2007a : § 159 sv. Marc Wilmet de (2), (4) et le il non référentiel de (1), à cette différence près que (2) et (4) superposent comme (3) le sujet grammatical et le sujet logique pour produire la voix – ou, mieux, la voie – active, tandis que le sujet grammatical de (1), évacuant tout sujet logique, emprunte la voie impersonnelle. Bien qu’on en « dise quelque chose », en l’occurrence qu’il y pleut tous les jours, la Normandie de l’exemple (1) n’est pas non plus sujet logique mais sujet psychologique (équivalant, d’après le Petit Robert, à « ce dont il s’agit dans la conversation, dans un écrit ») i.e. la matière dont l’énonciateur décide de traiter en la dissociant par une focalisation d’autres candidats potentiels . Au rang des focalisateurs, les « gallicismes » c’est… qui, il y a… qui, le soulignement intonatoire et ce détachement qui, commun aux exemples (1) et (2), (3), (4), fait de ma mère, moi et le nez de Cléopâtre de nouveaux sujets psychologiques… sans préjuger de leur fonction grammaticale (le sujet psychologique étant par exemple un complément circonstanciel « de lieu » dans C’est à cet endroit de la sombre rue des Juifs, au premier étage d’une maison aujourd’hui disparue, que naquit le chevalier François-René de Chateaubriand). • Le rhème coïncide avec le prédicat (inconnu en grammaire française, seulement baptisé « attribut » pour peu que la copule soit apparente : bleu dans l’exemple (2), court dans l’exemple (3), mais ni pleut tous les jours de l’exemple 1, ni ont beaucoup voyagé de l’exemple (3), ni aurait changé de l’exemple (4)). • Sur la prédication, complète ou incomplète mais obligatoire, vient facultativement se greffer une prédication secondaire. Le thème en est l’apposé et le rhème l’apposition. Nous défendons de l’apposition une conception plus large qu’il n’est habituel, car les grammairiens ont accumulé au fil du temps des exigences nées pour la plupart d’accidents épistémologiques (cf. Neveu 1998) : 1° la coréférence (d’où la limitation de l’apposition à des noms, avec le pénible corollaire de l’« épithète détachée », donnant à une fonction prédicative une étiquette de fonction déterminative) , 2° la pause (entraînant une rupture mélodique) et 3° le caractère d’excroissance supprimable (2° et 3° expliquant notamment les survivances de la grammaire latine que sont les « subordonnées infinitives » : J’entends un enfant pleurer, etc., à apposé un enfant et infinitif apposition pleurer aussi liés que l’antécédent et la « subordonnée relative appositive » de J’entends un enfant qui Une ������������������������������������������������������������������������������������������ caractérisation moins intuitive du sujet logique serait celle-ci : « le ou les mots à propos desquels un énonciateur asserte, interroge ou enjoint pour autant que le contenu asserté, interrogé ou enjoint ne forme pas une prédication complète » (cf. Wilmet 2007a : § 160, 4). On vérifiera que la précision disqualifie la Normandie de l’exemple (1). �������������������������������������������������������������� Autre corollaire, l’annexion abusive des qualifiants nominaux Paris ou Louis de la ville de Paris, le roi Louis, etc. Dans la jungle de la phrase française pleure, et les « subordonnées participes » : Le chat parti, les souris dansent, etc., au participe apposition parti lié à l’apposé le chat et non supprimable, sauf à retrouver le modèle de l’exemple (1) : Le chat, les souris dansent ; cf. Wilmet 2007c). Le verdict après les attendus ? Primo, la phrase (1) est une phrase multiple Π → P1 + P2, soit P1 la Normandie à prédication incomplète, réduite au thème (la copule et le rhème avortés) et P2 il pleut tous les jours juxtaposée à P1. Secundo, les phrases (2), (3), (4) sont des phrases uniques, (3) complexe et (2), (4) simples. Avec quelle fonction dès lors pour les séquences projetées en tête ? Prenez les avatars (3a) et (3b) de (3), la phrase (3a) de syntaxe classique, antéposant la sous-phrase à syntagme nominal le nez de Cléopâtre sujet (grammatical + logique), la phrase (3b) à pronom il cataphorique sujet, annonçant le syntagme nominal le nez de Cléopâtre. 3a. Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, toute la face de la Terre aurait changé. 3b. S’il eût été plus court, le nez de Cléopâtre, toute la face de la Terre aurait changé. Qui refuserait de voir dans le nez de Cléopâtre en (3b) une apposition à l’apposé il ? L’original (3) dû à Pascal projetait le syntagme nominal en tête de la sousphrase afin de lui confier le statut pragmatico-stylistique de sujet psychologique. Mais la phrase (4) de Félix Leclerc ? La donne n’est qu’à première vue plus compliquée : le pronom apposition moi va chercher son apposé de première personne sous l’adjectif déterminant mes, à découper pour le sens en « les » (souliers) + (les souliers) « miens ». Quant à la phrase (2), elle dote le pronom apposé il (sujet grammatical + sujet logique) d’une apposition son vélo, le syntagme nominal offrant à l’intérieur de l’adjectif déterminant son = « le + sien » une troisième personne qui reçoit l’apposition ma mère. Libre à l’énonciateur de renchérir : Moi, ma mère, son vélo, il est bleu (le pronom moi apposition à l’apposé de première personne inclus dans l’adjectif déterminant ma = « la + mienne »). Au total, les « mauvais sujets » – conclusion rassurante – sont rares. Le thème la Normandie de P1 en (1) s’apparente tout au plus à un « mauvais sujet repenti » qui cède le flambeau dans P2 au sujet grammatical il d’une phrase à prédication complète. 2. Les « travestis » En 1833, un décret du ministre Guizot enjoignait aux instituteurs français d’assortir l’analyse « grammaticale » des mots d’une analyse « logique » des phrases (cf. Chervel 1977). Il en résulte que le gros paquet des « conjonctions » se scinde de Marc Wilmet proche en proche en conjonctions « de coordination » (intéressant principalement les mots) et en conjonctions « de subordination » (intéressant la phrase ou du moins la phrase complexe). La douzième édition du Bon usage franchit le pas que ne s’était jamais résolu à effectuer Grevisse (111980) et Goosse (121986) ajoute une classe – ou, en langage scolaire, une « nature » – à l’inventaire déjà copieux de son prédécesseur. Les linguistes ne sont en général pas prisonniers de compartimentations établies sur des prévisions statistiques. Qu’on se rappelle les discussions autour et alentour de car, la « conjonction de coordination la plus proche de la subordination » indiquent Arrivé, Gadet et Galmiche (1986 : 641), qui, au demeurant, ne se bercent guère d’illusions : « Il ne reste donc que deux solutions : soit traiter de la coordination et de la subordination comme phénomène unique de lien entre phrases, soit, par respect de la tradition, continuer à opposer ces deux notions. C’est cette deuxième solution qui est adoptée ici. » Voyez encore les exemples (6) et (7), où non seulement la frontière des deux sortes de conjonctions est sautée mais où se noie la limite des prépositions et des conjonctions « cousins cousines » (Van Raemdonck 2001) : 6. Il était, quoique riche, à la justice enclin (Hugo). 7. Bertrand avec Raton, l’un Singe et l’autre Chat, Commensaux ������������������������������� d’un logis, avaient un commun maître (La Fontaine). Notons d’emblée que la terminologie grammaticale usuelle reflète des préoccupations touchant plus au fonctionnement des mots qu’à leur nature. Le nom et le verbe exceptés (comme par hasard, les deux seules classes que reconnaissait Aristote : onoma et rhéma) : – adjectif = « ajout » (une autonomisation, initiée en 1747 par l’abbé Girard, de la sous-classe des nomina adjectiva primitivement opposée aux nomina substantiva sous l’égide des nomina) ; – article (du latin articulus, décalquant le grec arthron) = « petite articulation » ; – adverbe = « adjectif du verbe » (de ad + verbum) et – verbum signifiant en latin aussi bien « mot » que « verbe » – « addition à n’importe quel mot » ; – pronom = étymologiquement (vu l’ambigüité du préfixe latin pro) « mis à la place du nom » ou « faisant office de nom ». Dans la jungle de la phrase française La préposition (de praeponere = ± « introduire ») et la conjonction (de conjungere = « conjoindre ») sont logées à la même enseigne 10. Elles assument à l’examen trois fonctions indépendantes mais compatibles : 1° fonction de ligature (en abrégé LIG) ou le pouvoir de relier un quelconque segment – phrase, mot ou fraction de mot – d’avant à un segment d’arrière, 2° fonction de translation (en abrégé TRANS) ou la mise du segment d’arrière en état d’exercer une fonction vis-à-vis du segment d’avant 11, 3° fonction d’enchâssement (en abrégé ENCH) ou l’insertion d’une sous-phrase dans une phrase matrice. L’effectif des mots ligateurs, translateurs et/ou enchâsseurs se distribuerait aisément sur trois portions de ligne droite. En zone 1, les conjonctions « de coordination » et, ou, ni, mais, car, or, donc, etc., à fonction LIG exclusive. En zone 2, les prépositions, à fonction LIG + TRANS (p. ex. les de amenant la fonction déterminative de la femme de Jean, la fonction complétive de se contenter de peu ou la fonction prédicative de quoi de neuf ? ; le en du « gérondif », qui cantonne le participe dit « présent » dans la fonction complétive, etc.). En zone 3, les conjonctions « de subordination », à fonction LIG + TRANS + ENCH (p. ex. la phrase Dis-moi que tu m’aimes : fonction LIG de que par liaison de tu m’aimes à dis-moi + fonction TRANS par complémentation de que tu m’aimes au verbe dis + fonction ENCH par transformation des deux phrases simples dis-moi et tu m’aimes en une phrase complexe). Or le quoique de l’exemple (6) et le avec de l’exemple (7), purs opérateurs LIG, glissent de la zone 3 ou de la zone 2 à la zone 1. Le constat aboutit à l’éclatement des vieux cadres grammaticaux. Observons les trois exemples (8), (9), (10). 8. Pierre aime Marie comme un fou. Officiellement catalogué « conjonction de subordination », comme délaisse ENCH tout en gardant LIG + TRANS, que l’on identifie en un fou une apposition au sujet 10���������������������������������������������������������������������������������� Le courant n’est pas tari puisque la grammaire américaine a exporté en Europe les déterminants (en fait, des adjectifs exerçant exclusivement ou en priorité la fonction déterminative). Et André Goosse, décidément grand pourvoyeur devant l’Éternel, ne craint pas de façonner une nouvelle classe d’« introducteurs » sous le prétexte (bizarre mais explicite) qu’en l’absence de morphologie, « pour les classes constituées de mots invariables, la répartition ne peut se fonder que sur la fonction » et que « la fonction assumée par les termes relevés dans ce chapitre [n’étant] compatible avec aucune des définitions données pour les autres classes », on « est donc contraint d’envisager une classe particulière » (142007 : § 1096). 11��������� Le terme translation vient de Lucien Tesnière ; il correspond grosso modo à la transposition chez Charles Bally ou au transfert chez André Martinet. 10 Marc Wilmet Pierre (comparer Pierre aime Marie comme un frère et Marie aime Pierre comme une sœur) ou un complément circonstanciel = « à la folie ». Idem des comparatifs ailleurs, ainsi, aussi, autant, autrement, davantage, mieux, moins, pis, plus, si, tant, tellement… + que non suivis de sous-phrases : Marie est plus gentille que Pierre, etc. Nul besoin d’aller restituer une inexistante « subordonnée de comparaison » Marie est plus gentille que (ne l’est) Pierre, etc., à corriger séance tenante d’une « ellipse ». Plus que Pierre est tout bonnement complément adverbial de la relation prédicative unissant le sujet Marie à l’attribut adjectival gentille (ni plus ni moins que l’adverbe très dans Marie est très gentille). Là encore, nous y reviendrons. 9. Plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes (La Fontaine). Plutôt que entre dans la longue liste des prétendues conjonctions « de subordination » greffant un adverbe sur la souche que : alors que, bien que, tant que… Son utilisation en (9) résilie ENCH et TRANS pour ne retenir que LIG. Ce serait aussi une solution, élégante et simple, pour la construction (10). 10. Heureusement que Marie est revenue. L’échappatoire d’une phrase matrice je suis/nous sommes/on est… heureux raccourcie en heureusement bute sur le changement de mode (l’indicatif devenu subjonctif) : Nous sommes heureux que Marie soit revenue. En résumé, les opérateurs à priori triples LIG + TRANS + ENCH sont capables de se déposséder d’une fonction (exemple 8) ou de deux fonctions (exemples 9 et 10). Les opérateurs à priori doubles LIG + TRANS abdiquent la fonction TRANS dans p. ex. l’auxiliaire venir de (l’infinitif auxilié de Pierre vient de manger, etc. justement privé de la fonction qui en ferait un terme de phrase) ou les à, après, en, sur… de goutte à goutte, minute après minute, de rue en rue, coup sur coup, etc. ; le de initial de p. ex. De l’amour (Stendhal) est par contre dépossédé de la fonction LIG au bénéfice de TRANS = « l’amour dans toutes les situations qu’il vous plaira ». L’image des trois zones fait place à celle d’un continuum (cf. Pierrard 2002, 2005). Impossible, à ce stade, de tergiverser. De quelle(s) nature(s) relèveraient bien les mots spécialisés à la fonction LIG ou habilités à panacher les fonctions LIG, TRANS et/ou ENCH ? La filière grammaticale issue d’Aristote ayant porté le nombre de classes à une dizaine, le choix est vaste. Admettons pour le réduire un peu que l’article soit un adjectif (c’était au XVIIIe siècle l’avis de Beauzée, et plus près de nous, dans l’optique du distributionalisme américain, la position de Bloomfield) et que Dans la jungle de la phrase française 11 l’interjection n’ait pas voix au chapitre en sa qualité de phrase (l’appellation de « motphrase » fournit à cet égard un beau témoignage de casuistique grammairienne). La pratique scolaire, fidèle à ses objectifs orthographiques, divise le reliquat en quatre espèces variables (nom, adjectif, verbe, pronom) et trois espèces invariables (adverbe, préposition, conjonction), sept variétés que les linguistes guillaumiens ventilent selon l’axe de la « prédicativité » (en gros, la présence ou non dans les mots d’une « matière lourde », d’une « notion », d’une « substance », mais le critère, passablement flou, risquerait de recréer l’insaisissable dichotomie des « mots pleins » et des « mots vides ») : d’une part, le nom, l’adjectif, le verbe et l’adverbe ; d’autre part, le pronom, la préposition et la conjonction (cf. p. ex. Moignet 1981). La permutation du pronom et de l’adverbe préserve quoi qu’il en soit la litanie des classes. On n’a pas beaucoup avancé. Notre récente Grammaire rénovée du français (2007a) préconise, elle, une séparation radicale en (1) « vrais » et (2) « faux » mots. (1) Le concept opératoire est l’extension, qui désigne l’ensemble des êtres du monde auxquels réfère en puissance tel ou tel mot de la langue, sans intermédiaire (p. ex. le mot homme ne s’applique virtuellement qu’à des hommes) ou par le truchement d’un autre mot (p. ex. élégant s’applique virtuellement à des hommes, à des comportements, etc. élégants ; marcher s’applique virtuellement à des hommes, des commerces, etc. qui marchent – au propre ou au figuré). On obtient trois classes de mots rigoureusement définies : 1° le nom, d’extension immédiate ; 2° l’adjectif et 3° le verbe, d’extension médiate (l’adjectif partageant de surcroît la morphologie du nom et le verbe développant une morphologie spécifique). (2) À mi-chemin du mot et de la phrase, le palier du syntagme, longtemps ignoré et toujours sous-exploité, accueille les items du dictionnaire dont aucun linguiste n’a réussi, sauf erreur, à donner en termes de classe une définition satisfaisante ; nommément, (a) le pronom et (b) l’adverbe. (a) Le pronom (en abrégé PRO) est un syntagme nominal synthétique : PRO personnels je = « l’être du monde parlant lui-même de lui-même », tu = « l’être du monde à qui il est parlé de lui-même », il/elle = « l’être du monde – masculin ou féminin – de qui il est parlé », etc. ; PRO indéfinis qui = « un être du monde doté des traits animé par défaut ± sujet », que = « un être du monde doté des traits inanimé par défaut – sujet », on = « un être du monde doté des traits animé + sujet », personne = « un être du monde doté des traits animé ± négatif ± sujet », rien = « un être du monde doté des traits inanimé ± négatif ± sujet », etc. (b) L’adverbe (en abrégé ADV) est un syntagme nominal prépositionnel synthétique : ici = « à l’endroit où je situe mon moi », là = « à l’endroit dont j’exclus mon moi », etc. (indéfinition du lieu), lentement = « sur un rythme lent », intensément = « de façon intense », comment = « de quelle façon ? », ainsi = « de 12 Marc Wilmet la façon citée », etc. (indéfinition de la manière), alors, aujourd’hui, dorénavant… = « à un certain moment » (indéfinition du temps), assez, beaucoup, combien, peu… (indéfinition de la quantité), primo, secundo, tertio, tard, tôt… (indéfinition du rang), assurément, peut-être, probablement… (indéfinition de la modalité) 12, etc. Le §102 de la Grammaire rénovée du français (2007a) cédait à la tentation d’assimiler les prépositions et les conjonctions à des ADV. Passe pour vers = « dans la direction de », dans = « à l’intérieur de », quand = « au moment où », etc., à la rigueur pour et = « en additionnant x à y » ou ni = « en soustrayant x et y », mais que ou si résistent à toute paraphrase (sauf en français familier : Marie a écrit à Pierre qu’elle viendrait ou …comme quoi elle viendrait) 13. Nous postulons aujourd’hui une classe de mots regroupant la préposition et les conjonctions : le connecteur, défini sur la base d’une extension ni immédiate (comme le nom) ni médiate (comme l’adjectif et le verbe) mais bimédiate, en attente de deux accrochages, par l’avant et par l’arrière. Les paires d’exemples 11/12 et 13/14 montreront que la distinction de l’ADV et du connecteur s’annonce rentable. 11. Pierre a-t-il dit quand il viendrait ? 12. Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : « Ronsard me célébrait, du temps que j’étais belle ! » (Ronsard). 13. Tu as vu comme Marie est coiffée ! 14. Comme il disait ces mots, Du bout de l’horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs (La Fontaine). Les deux quand de (11), (12) et les deux comme de (13), (14) sont des opérateurs ENCH (+ LIG + TRANS), mais ceux de (11), (13) occupent contrairement à ceux 12������������������������������������ Les syntagmes nominaux synthétiques y et en, que les grammaires taxent à l’envi de « pronoms adverbiaux » ou d’« adverbes pronominaux », balancent entre les PRO et les ADV : Des livres, Pierre en dévore (PRO) vs Des livres, Pierre en est revenu (ADV), etc. 13���������������������������������������������������������������������������� Déficit de cohérence aussi du moment que le syntagme nominal prépositionnel synthétique ADV se réclame d’une préposition circulairement présumée ADV. Dans la jungle de la phrase française 13 de (12), (14) une fonction à l’intérieur de la sous-phrase (« Pierre viendra à un certain moment », « Marie est coiffée ou décoiffée d’une certaine manière ») 14 et, ajouterons-nous – pour couper court à la glose toujours possible de quand par « au moment où » ou de comme par « juste au moment où », au maintien de quand dans l’interrogation : « vous serez un jour bien vieille, mais quand ? » (comme forcé de céder la place à comment : Marie est coiffée comment ?) et à la proximité sémantique de quand et du temps que au dernier vers de l’exemple 12 (éventuellement analysable en du temps + sous-phrase pronominale) –, une fonction différente de celle que remplit la sous-phrase : complément du verbe dans 11 et 13, complément circonstanciel dans 12 et 14. Le hic est que tous les connecteurs ne participent pas nécessairement à la fonction LIG. C’est l’objet du prochain développement. 3. Les « entremetteurs » Les exemples (15), (16), (17), (18) illustrent l’apparition à l’initiale de phrase de divers connecteurs en principe coordonnants. 15. Et qui sait si le Coche eût monté sans la Mouche ? (Rostand). 16. Mais où sont les neiges d’antan ? (Villon). 17. Fantomas (car c’était lui)… (Souvestre & Allain). 18. Donc tu avoues ? (Roussin). Déchus de la fonction LIG, à quoi servent ces et, mais, car, donc…15 ? On n’entrevoit que deux issues. Ou admettre – mais il s’agit presque d’une dérobade – un segment 14��������������������������������������������������������������������������������������� Comp. Beauzée (1767 : I, 563-564) : « [Les conjonctions] sont à la vérité des éléments de l’Oraison, puisqu’elles sont des parties nécessaires & indispensables dans nos discours ; mais elles ne sont pas des éléments des propositions, elles servent seulement à les lier les unes aux autres. » Le raisonnement vaut pour le que connecteur homonyme du PRO : On sait que Pierre aime Marie (que = LIG + TRANS + ENCH) vs Marie est la femme que Pierre aime (que = LIG [l’antécédent animé la femme neutralisant le trait inanimé par défaut] + TRANS + ENCH + complément du verbe aime). 15��������������������������������������������������������������������������������������� Les « conjonctions de subordination » ne manquent pas non plus à l’initiale de phrase, mais, dépossédées des fonctions ENCH et LIG, elles conservent la fonction TRANS de nominalisation (ou de déverbalisation). Exemples avec que : Qu’il s’en aille ! (le que dit parfois « béquille » du subjonctif, que la pratique scolaire introduit dans les paradigmes de conjugaison : que je marche, que tu marches, qu’il marche…) = 14 Marc Wilmet d’avant implicite (« dans l’esprit »). Ou leur supposer une fonction syntaxique. Le moment est ainsi venu de réfléchir à l’entier du système fonctionnel. Si l’extension du chapitre précédent concernait les « mots du dictionnaire », virtuellement habilités à des applications immédiates, médiates ou bimédiates, la notion guillaumienne revisitée de l’incidence décrit les rapports réels qui s’établissent entre les mots (cf. Wilmet 2006, 2007c). Ils sont de deux ordres : 1° incidence externe quand un mot apport trouve un support extérieur, 2° incidence interne dans le cas contraire. Repartons à présent de la liste des classes en montant par degrés du niveau (1) des mots à celui (2) des syntagmes et (3) de la phrase. (1) Les connecteurs assurent la fonction connective, qui consiste à mettre en relation réciproque un segment d’avant et un segment d’arrière se servant mutuellement d’apport et de support. Elle recouvre trois fonctions LIG, TRANS et ENCH séparables ou cumulables. (2) Aux trois classes du nom, de l’adjectif et du verbe correspondent autant de syntagmes : (a) le syntagme nominal, centré sur un nom (ou un mot placé en incidence interne : voir ci-dessous), (b) le syntagme adjectival et (c) le syntagme verbal, respectivement centrés sur un adjectif et sur un verbe (pour rappel, l’adjectif et le verbe d’extension médiate, tournés vers le dehors et à vocation exportatrice, le nom, d’extension immédiate, donc tourné vers le dedans, ayant vocation importatrice). (a) Le syntagme nominal se constitue d’un noyau nominal et de déterminants mis en incidence externe. Ces déterminants exercent la fonction déterminative. Ils se subdivisent (i) en quantifiants (déclarant l’extensité du noyau i.e. la quantité d’êtres du monde auxquels le noyau est appliqué), (ii) en qualifiants (déclarant l’extension du noyau i.e. l’ensemble des êtres du monde auxquels le noyau est applicable), (iii) en quantiqualifiants (déclarant conjointement l’extensité et l’extension du « ouste ! » ou « dehors ! ». « Moi, héron, que je fasse si pauvre chère ! » (La Fontaine) = ‘faire si pauvre chère !’. « Qu’un prêtre et un philosophe sont deux » (Hugo) = ‘où l’on voit qu’un prêtre n’est pas un philosophe’ (intitulé de chapitre soustrait au présent dit « de vérité générale »). « Pendant huit jours, matin et soir, et que je te prie, et que je te prie » (Troyat) = ‘et de prier et de prier’. Exemple avec parce que : « Ah ! parce que vous étiez là ? » (Sarrazin) = ‘une présence ô combien étonnante !’. Exemple avec quand : « Quand cela serait ? » (Habay) = ‘et alors ?’. Exemple avec si : « – Mais, monsieur, mettez la main à la conscience : est-ce que vous êtes malade ? – Comment, coquine ! si je suis malade ! si je suis malade, impudente ! » (Molière) = ‘me supposer en bonne santé, quelle insolence !’. Exemple comparable avec un « pronom relatif sans antécédent » : Qui vivra verra = « le survivant ». Dans la jungle de la phrase française 15 noyau) 16. Les quantifiants et les quantiqualifiants ont la propriété d’attribuer au noyau une incidence interne, indépendamment de son origine catégorielle : une automobile (adjectif), le manger et le boire (verbe), son je ne sais quoi (PRO), un profond jadis (ADV), le qu’en dira-t-on ? (phrase), etc. (b) Le syntagme adjectival se constitue d’un noyau adjectival et de compléments de l’adjectif (p. ex. Pierre est fier de lui). Des compléments adverbiaux d’une relation incluant un adjectif (p. ex. La femme de Pierre est la très jolie Marie : complémentation par très de la qualification allant de jolie à Marie) s’étendent à l’occasion d’un syntagme nominal à une phrase copulative (p. ex. Marie est très jolie : complémentation par très de la prédication allant de Marie à jolie). (c) Le syntagme verbal se constitue d’un noyau verbal et de compléments du verbe traditionnellement dits « compléments d’objet direct » et « compléments d’objet indirect ». Les compléments adverbiaux d’une relation incluant un verbe, traditionnellement dits « compléments circonstanciels », montent à l’étage supérieur de la phrase. Quelle que soit leur dénomination, ces compléments exercent ensemble la fonction complétive. (3) La phrase héberge (a) en totalité la fonction prédicative et (b) en grande partie (le complément adverbial de p. ex. la très jolie Marie excepté) la fonction complétive adverbiale. (a) Rappelons pour mémoire les fonctions sujet et prédicat de la prédication première et les fonctions apposé et apposition de la prédication seconde. (b) Les manuels scolaires empilent les compléments « de lieu », « de temps », « de cause », « de manière », « de moyen », « de condition », « de conséquence », « d’opposition », « de comparaison », « de but », « d’accompagnement », « d’instrument », « de prix », « de poids », « de mesure », etc. (31 spécimens chez Grevisse !). De la sémantique en prolifération anarchique à la syntaxe restructurante, on ne garderait que cinq compléments de la prédication (en abrégé CP), qui s’échelonnent de droite à gauche du schéma phrastique selon qu’ils prennent avec le verbe des pans de plus en plus larges de la phrase. 16������������������������������������������������������������������������������������������ On aura reconnu en gros (i) les articles, les adjectifs numéraux cardinaux et la majorité des adjectifs indéfinis de la tradition, (ii) les adjectifs qualificatifs, les adjectifs numéraux ordinaux et les adjectifs indéfinis autre, même, quelconque de la tradition, mais aussi les compléments déterminatifs, mal nommés « compléments », bien nommés en revanche « déterminatifs », (iii) les adjectifs démonstratifs, les adjectifs possessifs et les indéfinis résiduels certain, tel, quel… de la tradition, plus les compositions lequel, l’un et l’autre, une sorte de, une espèce de ou ce fripon de … 16 Marc Wilmet (i) Complément infraprédicationnel ou CP1. Exemple : Pierre vit à Paris. Le complément à Paris est fixe et obligatoire. Sa suppression rend la phrase agrammaticale : *Pierre vit, ou assigne au verbe un autre sens : Pierre vit = « P. a échappé à la mort » ou « P. végète »… Il s’institue complément adverbial de la relation allant de la copule sous-jacente est (à Paris) au verbe vit 17. (ii) Complément intraprédicationnel ou CP2. Exemple : Pierre travaille à Paris. Le complément à Paris épouse de l’intérieur la relation prédicative. On le reconnaît à son aimantation de la négation : Pierre ne travaille pas à Paris = « P. travaille peut-être, mais pas à Paris » (≠ « P. ne travaille pas »). (iii) Complément extraprédicationnel ou CP3. Exemple : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » (Proust). Le complément longtemps appréhende la relation prédicative de l’extérieur, échappant à l’impact de la négation : Longtemps, je ne me suis pas couché de bonne heure = « j’ai longtemps été un couche-tard avant de me transformer en couche-tôt » (vs Je ne me suis pas longtemps couché de bonne heure = « je suis vite devenu un couche-tard »). (iv) Complément supraprédicationnel ou CP4. Exemple : À mon avis, Pierre travaille. Le complément à mon avis déborde de la prédication sur l’énonciation. Lui et ses pareils procurent toute sorte d’informations en réponse aux questions qui énonce et à qui ? (p. ex. De toi à moi, Pierre est un nigaud = « entre nous »), quand et où ? (p. ex. Maintenant, vous ferez comme il vous plaira = « cela dit ») et comment ? (par apparentement avec l’assertion, l’interrogation ou l’injonction : à coup sûr, n’est-ce pas ?, allons…). Ils incluent les « compléments ambiants » et les « compléments de cadre » des phrases (1) (2), (3), (4) accrues d’une préposition : Quant à la Normandie, il (y) pleut tous les jours. En ce qui regarde ma mère, son vélo (il) est bleu, etc. (v) Complément transprédicationnel ou CP5. Exemple : D’abord, Pierre ne vit plus à Paris. Le complément d’abord (= p. ex. « je tiens d’autres arguments à votre disposition ») sort de la prédication et de l’énonciation pour déboucher sur la phrase et tisser une trame textuelle. Se rangent ici les paradigmatisants avant toute chose, ensuite, primo, secundo, tertio… ; par contre, en revanche… ; aussi, également, même, en outre… ; excepté, seulement, uniquement…, et, parmi eux, les connecteurs non LIG qui invitent à construire ou à reconstruire les rapports 17������������������������������������������������������������������������������� Encore faut-il, évidemment, adhérer au postulat de la copule sous-jacente. Les linguistes qui s’y refusent (ou n’y ont pas pensé) en sont réduits à choisir entre la peste d’un complément « circonstanciel » immobile et le choléra d’un complément « d’objet indirect ». Dans la jungle de la phrase française 17 logiques appropriés 18. Aux phrases (15), (16), (17), (18), joindre les exemples (19), (20), (21) : 19. – Occupe-toi un peu. – Mais je lis (Simenon) [mais de protestation]. 20. Yalloud lui braille d’aller se faire niquer. Car Yalloud était là (Forlani) [= « pour tenir de tels propos, encore fallait-il que Yalloud fût là »]. 21. Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir (La Fontaine) [infinitif dit « de narration », soulignant la soudaineté convenue de la flagornerie]. Peut-être (21) ouvre-t-il cependant une dangereuse boîte de Pandore. Quel motif aurions-nous de l’accepter au titre de CP5 sous prétexte de virgule avant et tout en écartant le syllogisme (22) ? 22. Tous les hommes sont mortels, Or Socrate est un homme, Donc Socrate est mortel. La problématique redevient celle des démarcations de la phrase unique et de la phrase multiple. Comparez (23), (24), (25). 23. Si vous votez Tartempion, je ne vous parle plus. 24. Votez Tartempion et je ne vous parle plus. 25. Que vous votiez Tartempion, je ne vous parle plus. La phrase (23) est une P unique complexe à sous-phrase si vous votez Tartempion CP4 (la vérité de je ne vous parle plus en dépendant). De son côté, (24) est une Π multiple coordonnant P1 votez Tartempion et P2 je ne vous parle plus. Mais (25) ? Une P unique complexe à l’instar de (23) ? Ou une Π multiple à connecteur zéro restituable : Que vous votiez Tartempion et je ne vous parle plus, modification interdite à (23) : *Si vous votez Tartempion et je ne vous parle plus ? Faisons-nous une raison. Le jour n’est pas venu – et viendra-t-il jamais ? – où la jungle de la phrase se muera sous les coups de sécateur des linguistes en un clair jardin à la française. 18������������������������������������������������ La « subordination inverse » met ou mettrait en œuvre �������������������������������������� une sous-phrase CP5 (cf. Wilmet à paraître). P. ex. « Le cardinal n’avait pas gagné la porte, que ses larmes, violemment retenues, débordèrent » (Chateaubriand) ouvre une prédication négative dans l’attente d’aliment concret ; le cent fois de « Vous m’interrogeriez cent fois que je vous ferais toujours la même réponse » (Beaumarchais) éveille l’écho toujours, etc. 18 Marc Wilmet Bibliographie Arrivé, M., Gadet, F. & Galmiche, M. 1986 : La grammaire d’aujourd’hui. Guide alphabétique de linguistique française. Paris : Flammarion. Beauzée, N. 1767 : Grammaire générale. Paris : Barbou. Chervel, A. 1977 : Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français. Histoire de la grammaire scolaire. Paris : Payot. Damourette, J. & Pichon, É. 1927 : Des mots à la pensée. Essai de grammaire de la langue française. Paris : d’Artrey. Danon-Boileau, L., Meunier, A., Morel, M.-A. & Tournadre, N. 1991 : Intégration discursive et intégration syntaxique. Langages 104. 111-128. Delbart, A.-R. à paraître : La grammaire selon Cavanna ou de la rose aux épines. Les fonctions grammaticales : histoire, théories, pratiques. Éd. A. Ouattara. Berne : Lang. Grevisse, M. 111980 : Le bon usage. Grammaire française avec des Remarques sur la langue française d’aujourd’hui. Gembloux : Duculot. Grevisse, M. & Goosse, 121986, 142007 : Le bon usage. Grammaire française. Paris– Gembloux : Duculot. Guillaume, G. 21969 : Langage et science du langage. Paris–Québec : Nizet-Presses de Laval. Lavency, M. 1985 : Grammaire latine. Paris-Gembloux : Duculot. Le Querler, N. 2006 : L’anaphore associative et le nominativus pendens en français contemporain. Aux carrefours du sens. Éds M. Riegel, C. Schnedecker, P. Swiggers & I. Tamba. Louvain : Peeters. 391-403. Moignet, G. 1981 : Systématique de la langue française. Paris : Klincksieck. Neveu, F. 1998 : Études sur l’apposition. Paris : Champion. Pierrard, M. 2002 : Grammaticalisation et restructuration fonctionnelle : comme et la subordination. Représentation du sens linguistique. Munich : Lincom. 293-308. Pierrard, M. 2005 : Les proformes indéfinies : connexion de prédications et subordination. La syntaxe au cœur de la grammaire. Éds F. Lambert & H. Nølke. Rennes : Presses universitaires. 235-244. Serbat, G. 1988 : Le nominativus pendens. Cuadernos de Filología Clásica 21. 359-366. Van Raemdonck, D. 2001 : Adverbe et préposition : cousin, cousine ? Travaux de Linguistique 42-43. 59-70. Wilmet, M. 2006 : Pitié pour l’incidence. L’Information Grammaticale 110. 49-57. Wilmet, M. 32003, 42007 : Grammaire critique du français. Bruxelles : De Boeck. Wilmet, M. 2007a : Grammaire rénovée du français. Bruxelles : De Boeck. Wilmet, M. 2007b : Comment peut-on être guillaumien ? Psychomécanique du langage et linguistiques cognitives. Limoges : Lambert-Lucas. 69-87. Wilmet, M. 2007c : Sic transit gloria mundi : À propos de quelques survivances latines en grammaire française. Représentation du sens linguistique. Éds D. Bouchard, I. Evrard & E. Vocaj. Bruxelles : De Boeck. 235-246. Wilmet, M. à paraître : À peine avions-nous poussé un cri de surprise, qu’il en arriva une seconde : Considérations sur la subordination inverse. Actes du colloque sur la parataxe. Neuchâtel. Liesbeth Degand et Pascale Hadermann Structure narrative et connecteurs temporels en français langue seconde 1. Objectifs L’ancrage temporel, aspect essentiel de la communication verbale, contribue dans une large mesure à la mise en place d’une cohérence discursive. D’autres facteurs, tels que l’expression de relations logiques, les phénomènes référentiels, la manière dont les phrases s’agencent au sein du discours, y participent également. Il n’est donc pas étonnant que l’étude de la cohérence, de même que ses différentes manifestations textuelles, se trouve au centre d’un grand nombre d’études linguistiques. Dans le domaine de l’apprentissage de langues secondes ou étrangères, plusieurs études décrivent l’impact de la maîtrise de traits inhérents à la cohérence textuelle sur la qualité des productions langagières d’apprenants : par exemple l’emploi de structures relatives (Kirchmeyer 2002) ou de connecteurs logiques (Benazzo 2004) ou l’ensemble des marques cohésives. Plus rares semblent être les travaux qui relient complexité phrastique et emploi de connecteurs. Notre contribution vise à explorer l’organisation discursive de textes narratifs, écrits en français par des apprenants néerlandophones, au travers d’une analyse de la connexion et de l’intégration phrastique d’une part et de l’emploi de connecteurs (en particulier, les marqueurs temporels) d’autre part. Afin d’interpréter correctement les données, nous analyserons un corpus de narrations analogues rédigées par des natifs francophones et néerlandophones. ������������������������������������������������������������������������ Auteurs cités par ordre alphabétique (Université catholique de Louvain, UGent). ����������� L. Degand est chercheur qualifié au FRS-FNRS. Cette recherche a été partiellement soutenue par un financement « Action de Recherches concertées » de la Communauté française de Belgique (Convention n° 03/08-301). ������������������������������������������������������������������������������ Par connecteur, nous entendons toute marque cohésive explicitant une relation sémantique entre deux propositions, à savoir les conjonctions de coordination, de subordination et les adverbes conjonctifs. 20 Liesbeth Degand et Pascale Hadermann 2. Problématique Notre étude s’articule autour d’un double constat. D’une part, selon Cosme (2007), le français serait une langue hypotaxique, là où le néerlandais aurait une structure plus parataxique. Dans la conception de Cosme, la parataxe désigne un assemblage de prédications sans lien hiérarchique (coordination/juxtaposition) alors que l’hypotaxe couvre les cas où les prédications sont hiérarchisées les unes par rapport aux autres. Il s’ensuit que le néerlandais devrait faire un usage plus massif de phrases coordonnées et juxtaposées, alors que le français devrait montrer une préférence pour les phrases enchâssées et les constructions subordonnantes. D’autre part, Bartning & Kirchmeyer (2003 : 17) démontrent que « la structuration du récit est plus linéaire et analytique chez les apprenants que chez les natifs, qui synthétisent plusieurs événements dans un seul énoncé en hiérarchisant et nuançant l’information ». Cette double observation nous conduit à formuler deux hypothèses générales : -H1 : La structure discursive des narrations en français langue première (FRL1) devrait être plus hypotaxique que celle des narrations en néerlandais langue première (NLL1) -H2 : La structure discursive des narrations en FR L2 devrait être moins hypotaxique que celle en FR L1. Outre ce caractère linéaire et analytique, le discours des apprenants se distinguerait de celui des natifs par un suremploi de connecteurs (cf. Crewe 1990, Hinkel 2002, Hu et al. 1982, Perrez & Degand 2005) mais aussi par une moindre variation lexicale des marqueurs cohésifs (Connor 1984), ce qui nous conduit à formuler deux nouvelles hypothèses à tester sur nos données : -H3 : Les narrations en FRL2 présentent plus de connecteurs que celles en FRL1 ; - ��������������������������������������������������������������������������� H4 : le FRL2 présente moins de diversité lexicale dans l’emploi des connecteurs. Une ��������������������������������������������������������������������� autre conception consiste à définir la parataxe comme référant à l’absence de n’importe quel rapport syntaxique (y compris la coordination) ; l’hypotaxe, quant à elle, marque alors la présence d’un tel rapport (entre autres Lehmann 1988). Structure narrative et connecteurs temporels en français langue seconde 21 3. Données Afin de réaliser notre étude et de confirmer ou infirmer les hypothèses citées, nous avons réuni trois corpus comparables de textes narratifs élicités sur base de la séquence « Alone and Hungry » (C. Chaplin, Modern Times). Pour le FRL2, notre étude exploite 33 narrations produites en français par des apprenants néerlandophones inscrits en première année en Langues et Littératures romanes à l’Université de Gand. Ces étudiants sont supposés avoir atteint le niveau B1 et pour certaines compétences le niveau B2. Les données du FRL1 et du NLL1 ont été respectivement récoltées auprès de 34 étudiants en Langues et Littératures romanes à l’Université Libre de Bruxelles et de 21 étudiants en Philosophie et Lettres à l’Université de Gand. Ces corpus ont tous été dépouillés de la même façon : pour mesurer la complexité syntaxique, nous avons fait appel à l’unité de mesure T-unit (4.1.) qui nous a permis d’analyser le rapport entre complexité syntaxique et longueur d’une part (4.2.) et intégration d’autre part (4.3.). Pour ce qui est de l’emploi des connecteurs nous avons, dans un premier temps, comparé les corpus français (5.1.) pour approfondir dans un deuxième temps le fonctionnement des connecteurs temporels (5.2.). 4. Complexité syntaxique 4.1. Connexion et intégration de phrases : la T-unit Afin de mesurer la complexité syntaxique de nos textes, nous faisons appel à la notion de « T-unit » (ou minimal terminable unit). Hunt (1965) introduit la notion de T-unit pour évaluer la complexité des écrits d’enfants en âge primaire. Il montre ainsi que la longueur des T-units s’accroît en fonction de l’âge des enfants. ��� Il définit la T-unit comme « exactly one main clause plus whatever subordinate clauses happen to be attached to or embedded within it » (1970 : 196). ������� Depuis lors, la T-unit a été utilisée dans un grand nombre d’études en langue seconde et étrangère (voir entre autres, Cosme 2007, Bardovi-Harlig 1992, Larsen-Freeman & Strom 1974, Brown & Bailey 1984). L’avantage principal de la T-unit est qu’elle permet de déterminer plus objectivement la complexité discursive en uniformisant la mesure de la longueur et de la complexité syntaxique. Ainsi, la T-unit divise les phrases indépendantes coordonnées (cf. ex. 5 : 2 T-units versus 1 phrase avec 2 ������������������������������������������������������������������������������ Cet avantage constitue également son principal désavantage puisque des unités phrastiques, projetées en tant que tel par le scripteur, sont décomposées en unités plus petites (Bardovi-Harlig 1992). 22 Liesbeth Degand et Pascale Hadermann propositions coordonnées dans l’analyse traditionnelle), mais regroupe la principale et ses subordonnées (cf. ex. 2 : 1 T-unit versus 1 phrase avec 2 propositions). Nous dirons donc avec Cosme (2007 : 201-204) que la T-unit rend mieux compte de la maturité syntaxique du locuteur que la phrase mais que, pour avoir une idée plus nette du degré de complexité syntaxique, il faut également analyser le degré d’intégration au sein des T-units, c’est-à-dire le nombre de propositions par T-unit, que nous signalerons entre parenthèses après l’exemple. Dans notre étude seront considérés comme représentant une T-unit les exemples suivants : 1. [A ce moment là, le fourgon fait un accident.] (1:1) 2. [Mais derrière eux, on voit que le policier les a retrouvé…] (2:1) L’exemple (1) représente une phrase indépendante sans proposition enchâssée. Dans le deuxième cas, nous avons une principale et une subordonnée. À cela s’ajoutent les mots-phrases, les séquences ponctuées comme des phrases et les impératifs : 3. « Merveilleux ma chatte ! » (FR L2 ; 1:1) Quant au discours direct, il est considéré comme intégré à la T-unit construit autour du verbe de dire. 4. [“Zou jij ook niet met mij in zo’n huis willen wonen?” vraagt Charlie aan het meisje.] (NL ������������� L1 ; 1:1) Tu ne voudrais pas habiter avec moi dans une maison pareille? demande Charlie à la fille. Les énoncés suivants comportent deux T-units : 5. [La témoin occulaire dément] [et la jeune fille est alors rattrappée par la police.] (FRL1 ; 1:1, 1:1) 6. [Charlot ordonne à la fille, encore un peu sonnée de s’enfuir,] [il assome l’agent entrain de reprendre connaissance avant de la rejoindre.] (FRL2 ; 2:1, 3:1) En (5) figurent deux T-units simples (cf. 1 :1) ; en (6) les T-units sont plus complexes : la première se caractérise par la présence d’une principale et d’une ������������������������������������������������������������������������������� Les propositions coordonnées sont traitées comme des T-units indépendants. En revanche, si la coordination se réalise dans le cadre de propositions subordonnées, elle Structure narrative et connecteurs temporels en français langue seconde 23 complétive infinitivale, la deuxième est constituée d’une principale et de deux subordonnées infinitivales. 4.2. Complexité syntaxique et longueur des T-units Le point de départ de notre analyse est une sélection aléatoire de 50 phrases dans les trois corpus à notre disposition. Le comptage des T-units mène à l’observation suivante : en FRL1, on compte 83 T-units pour 50 phrases ; en FRL2, on compte 73 T-units pour 50 phrases et en NLL1, on compte 79 T-units pour 50 phrases. Ces différences ne sont pas significatives (FR1/FR2 : t(98) = 1.352, p =.180 (NS) ; FR1/NL1 : t(98) = 0.588, p = 0.558 (NS)). En d’autres mots, aucun des groupes ne semble se différencier des autres quant à l’organisation de la phrase en termes de coordination ou de juxtaposition. Partant du postulat que la longueur d’une unité est une mesure de sa complexité (cf. supra), nous présentons ci-dessous un tableau reprenant la longueur moyenne des T-units en français langue première et langue seconde, et en néerlandais langue première. FRL1 FRL2 NL1 longueur moyenne de la T-unit (# mots) 10,17 9.37 9.97 longueur médiane 10 8 8 Tableau 1 Ces différences ne sont pas non plus significatives (FR1/FR2 : t(154) = .967, p=.335 (NS) ; FR1/NL1 : t(160) = .208, p=.836 (NS)). Pour ce qui est des T-units, les trois variétés de langue en présence ne diffèrent donc pas en termes de complexité syntaxique. Sans doute, le niveau atteint par les apprenants est-il déjà suffisant pour ne plus être marqué par des différences au niveau de la syntaxe locale. Ceci ne nous permet par contre pas encore de trancher la question de l’organisation hypotaxique soulevée par les hypothèses 1 et 2 mentionnées. n’entraînera pas la scission en plusieurs T-units : on voit que le policier les a retrouvés et qu’il les emmène dans sa fourgonnette. 24 Liesbeth Degand et Pascale Hadermann 4.3. Complexité syntaxique et degré d’intégration des T-units Rappelons que, selon Cosme (2007), le français et le néerlandais se situeraient des deux côtés opposés sur un continuum allant de la parataxe à l’hypotaxe, d’où notre hypothèse de départ : la structure discursive de FR L1 est plus hypotaxique que celle de NL L1. Organisation horizontale Parataxe (juxtaposition, coordination) NÉERLANDAIS Organisation verticale Hypotaxe (subordination) ANGLAIS FRANCAIS Fig. 1 : Position du néerlandais et du français sur le continuum parataxe-hypotaxe (d’après Cosme 2007 : 126, fig. 3.2) Afin de vérifier cette thèse, nous avons regroupé les T-units en deux catégories : simple et complexe. La catégorie « simple » regroupe toutes les occurrences de T-units de type 1 :1 ; la catégorie « complexe » reprend les T-units plus intégrées de type 2 :1, 3 :1, 4 :1, 5 :1. La différence FR L1 / NL L1 pour cette opposition simple/complexe n’est pas significative dans notre corpus : X² = 0.794; df(1); p > .05 (NS), voir Figure 2 : Fig.2 : Distribution des T-units simples et complexes en français et néerlandais langue première Structure narrative et connecteurs temporels en français langue seconde 25 D’après nos données, le français et le néerlandais ne diffèrent pas en termes de complexité syntaxique ou du moins pas en termes de degré d’intégration. Les tableaux ci-dessous montrent que même au sein des T-units plus intégrées, il est difficile de dégager un écart entre les trois corpus : seul le FR L1 semble plus facilement recourir à des T-units construites sur le modèle 3 :1. total 1:1 total 2:1 total 3:1 total 4:1 total 5:1 FR L1 ����� 49 59,03% 22 26,51% 11 13,25% 1 0,01% 52 18 4 3 2 NL L1 65,82% 22,78% 5,06% 3,80% 2,53% 50 20 7 FR L2 64,94% 25,97% 9,09% Tableau 2 : Distribution des T-units dans les trois sous-corpus 7. En courant elle se heurte contre Charlie qui marche paisiblement sur le trottoir. (FR L1; 3:1) À première vue, il est étonnant que nos analyses ne révèlent pas les mêmes tendances que celles de Cosme, d’autant plus que les calculs ont été effectués de la manière la plus similaire possible, en adoptant les mêmes critères. Pourtant, il y a un certain nombre de facteurs qui peuvent être avancés pour expliquer les écarts. Le premier concerne le type de texte. Cosme a travaillé avec des textes argumentatifs, dont l’organisation discursive se distingue peut-être de celle du texte non-argumentatif. Ainsi, Le Draoulec & Pery-Woodley (2001) montrent que l’organisation temporelle diffère dans les textes narratifs et non narratifs. De même, les principes d’organisation sous-jacents aux deux types de textes seraient différents (Berman & Nir-Sagiv 2007). Enfin, Crowhurst (1980) a montré que d’une part la complexité syntaxique, mesurée en longueur de T-units, est systématiquement plus grande dans les textes argumentatifs que dans les textes narratifs d’écoliers (et ce quelle que soit leur année d’étude), et que d’autre part la longueur des T-units n’augmente plus dans les narrations après la 10ème année. Si l’on ajoute à cela que certaines constructions linguistiques sont liées à des types de textes (Biber & Finegan 1986), les divergences entre la présente étude et celle de Cosme (2007) pourraient s’expliquer par l’emploi de types de textes différents. Le second facteur explicatif concerne le type de tâche. L’instruction donnée aux participants était de « décrire la scène comme si vous étiez témoin ». Les participants ont pu prendre des notes pendant qu’ils visionnaient la séquence et ont ensuite disposé d’une heure pour faire leur récit. Il se pourrait que ce type 26 Liesbeth Degand et Pascale Hadermann d’instruction mène à une écriture immédiate, descriptive, moins planifiée, qui se rapprocherait plus du « script » que du véritable « récit ». Alors que le script retient seulement l’information essentielle et qu’il accorde une priorité à l’ordre chronologique des événements (Hudson & Shapiro 1991 : 94), le récit est plutôt considéré comme « a coherent account of unified, culturally appropriate actions in which the teller controls linguistic devices to convey character, setting, rising action, conflict and resolution » (Donato et al. 2000 : 390). Le récit et encore plus l’argumentation se distinguent du script par une planification plus diversifiée où l’avant-plan est clairement différencié de l’arrière-plan. Or, plus l’écriture est planifiée, plus sa structure est complexe (Alamargot & Chanquoy 2001 : 33). Cette planification plus élaborée est par ailleurs étroitement liée au niveau d’expertise des scripteurs (Bereiter & Scardamalia 1987, Torrance 1996). Il va sans dire que les éditoriaux analysés par Cosme (2007) témoignent d’une expertise rédactionnelle plus élevée que nos données, ce qui devrait conduire à une écriture plus complexe, plus hiérarchisée et plus intégrée. Puisque nos données pour le FR L1 et le NL L1 ne révèlent aucune différence en complexité, nous éliminons la possibilité que le NL L1 influence le FR L2 dans ce domaine. En (5), nous nous concentrerons par conséquent seulement sur l’emploi des connecteurs en FR L1 et en FR L2. Même si les apprenants semblent avoir développé une bonne maîtrise syntaxique, il ne va pas de soi qu’ils aient atteint la même compétence dans le domaine de la structuration narrative. 5. Emploi des connecteurs 5.1. FR L1 versus FR L2 Dans les études sur l’apprentissage de langues étrangères, l’on réfère régulièrement à l’emploi abusif que les apprenants tendraient à faire des connecteurs (Degand & Perrez 2004). Selon Ellis (1994) ce suremploi serait un phénomène interlangagier qui s’explique par les difficultés de planification et de structuration qu’éprouve l’apprenant lorsqu’il écrit en L2. Afin de vérifier cette hypothèse du suremploi, nous avons comptabilisé tous les connecteurs causaux, contrastifs et temporels rencontrés dans les écrits en français langue première et langue seconde et il ressort de notre dépouillement que le FR L2 présente plus de connecteurs que le FR L1 : les apprenants utilisent en moyenne un connecteur tous les 28,8 mots, alors que les natifs y font appel tous les 41,5 mots (t(65)=-3,103 ; p < .05.) L’hypothèse 3 susmentionnée se trouve donc confirmée. Structure narrative et connecteurs temporels en français langue seconde 27 FR L1 FR L2 # connecteurs/mots 0,0241 0,0347 Tableau 3 : Occurrence moyenne de connecteurs en FR L1 et en FR L2 À l’instar de Ellis (1994), nous estimons que cette tendance au suremploi de connecteurs dans l’interlangue est à mettre en rapport avec le coût cognitif de l’écriture en langue étrangère, de même qu’avec une moins bonne maîtrise par les apprenants de moyens lexicaux et grammaticaux autres que les connecteurs pour rendre le texte cohésif. Une explication alternative est proposée par Schleppegrell (1996) : selon elle, les apprenants ne recourraient pas au registre adéquat dans leur écriture, ils adopteraient un style trop oral empreint de marques oralisantes, telles que les marqueurs discursifs. Cette explication est sans doute valable pour le type de textes sur lequel Schleppegrell travaille, c’est-à-dire le discours académique. Il nous semble néanmoins qu’elle est moins pertinente pour nos données qui, à la suite de l’instruction donnée (cf. supra), sont caractérisées par une planification moindre. En outre, il se pourrait que la L1 exerce une influence sur la mise en place et l’exploitation du paradigme des connecteurs en L2. Dans cette optique, le suremploi ne serait pas un phénomène universel en L2, mais dépendrait de la L1 de l’apprenant (Granger & Tyson 1996). Afin de vérifier cette hypothèse, nous réintégrerons, dans ce qui suit, les données du NL L1 à nos calculs. Nous nous limiterons toutefois au domaine des connecteurs temporels, qui sont les plus fréquents dans nos données. 5.2. Influence du NL L1 : les connecteurs temporels Des trois corpus, c’est celui du NL L1 qui se caractérise par l’emploi proportionnellement le plus élevé de connecteurs temporels, suivi du FR L2 et FR L1. L’analyse statistique (log-likelihood ratio) confirme que les locuteurs natifs du néerlandais utilisent plus de marqueurs temporels dans leurs narrations que les locuteurs natifs du français et que les apprenants (néerlandophones) du français. Ces derniers emploient à leur tour plus de marqueurs temporels que les natifs francophones. Liesbeth Degand et Pascale Hadermann 28 FR L1 FR L2 NL L1 # connecteurs temporels 272 325 194 # mots 17126 13909 6401 % temporels/ sous-corpus 1.59% 2.34% 3.03% log-likelihood ratio G²(1) = 22.19 ; p < 0.001 G²(1) = 8.02 ; p < 0.01 G²(1) = 44.91 ; p < 0.0001 Tableau 4 : Distribution des marqueurs temporels Pour ce qui est de nos narrations, le néerlandais et le français se situent cette fois bel et bien aux deux extrémités d’un continuum de connexion temporelle (Figure 3) : Fig. 3 : Continuum de l’expression de la temporalité en néerlandais et en français marquage + explicite de relations temporelles Néerlandais marquage – explicite de relations temporelles Français Fig. 3 : Continuum de l’expression de la temporalité en néerlandais et en français Nos apprenants FR L2 occupent une position médiane sur ce continuum. Bien qu’ils semblent se rendre compte des divergences en ce qui concerne l’expression de rapports temporels entre leurs langues cible et source, ils ne sont pas encore capables d’organiser leur narration sur le modèle de celui du natif. Outre la morphologie verbale, le français dispose de tout un paradigme de connecteurs pour établir des relations temporelles. Plusieurs études ont montré qu’en contexte naturel, les apprenants débutants, pour exprimer l’ancrage temporel, ne recourent pas à la morphologie verbale mais à des expressions lexicales (voir Granget 2003 : 77 pour un aperçu). Or, le « suremploi » de connecteurs lors de la « phase lexicale » n’implique pas nécessairement que l’apprenant s’approprie une large gamme de connecteurs (Connor 1984 ; Granget 2003), d’où notre dernière hypothèse dans le domaine des connecteurs de temps : H4 : le FRL2 présente moins de diversité lexicale dans l’emploi des connecteurs. ��������������������������������������������������������������������������������������� Il serait intéressant de vérifier longitudinalement si le suremploi, relevé dans notre corpus, est à interpréter comme un vestige d’un stade antérieur dans l’interlangue des apprenants. Structure narrative et connecteurs temporels en français langue seconde 29 5.3. Les connecteurs et la variété lexicale en FR L1 et en FR L2 Le tableau 5 reprend les marqueurs temporels relevés dans nos corpus. Nous les avons scindés en deux sous-groupes : les subordonnants et les non subordonnants. À première vue, il n’existe pas de différence entre FR L1 et FR L2 pour ce qui est de la variété d’emploi des marqueurs temporels. FR L1 FR L2 Marqueurs temporels subordonnants au moment où, avant que, alors que, lorsque, pendant que, quand, tandis que, au moment de, avant de, après au moment où, avant que, alors que, après que, une fois que, lorsque, pendant que, quand, tandis que, avant de, après Tableau 5 : marqueurs temporels Marqueurs temporels non subordonnants à ce moment(-là), à présent, alors, après qqs temps/ moments, par/peu après, juste/tout de suite, après, peu de temps après, au même moment, aussitôt, dans la seconde, dans le même temps, de nouveau, depuis longtemps/des lustres, dès lors/que possible, désormais, en ce temps-là, d’abord, en même temps, encore, encore 1/2 fois, cette fois (encore), dét fois, enfin, ensuite, entretemps, finalement, maintenant, pendant ce temps, (x) plus tard, puis, soudain, tout d’un/à coup à ce moment(-là), alors, après, après qqs temps/ moments, par/peu après, juste/tout de suite, après, peu de temps après, au même moment, aussitôt, de nouveau, depuis longtemps/des lustres, dès lors/que possible, d’abord, en fin de compte, en même temps, encore, encore 1/2 fois, cette fois (encore), dét fois, enfin, ensuite, entretemps, finalement, maintenant, pendant ce temps, (x) plus tard, puis, soudain, tout d’un/à coup Liesbeth Degand et Pascale Hadermann 30 La distribution des marqueurs subordonnants est représentée dans le graphique ci-dessous : après avant de au moment de tandis que quand pendant que FR L2 FR L1 lorsque une fois que après que alors que avant que au moment où 0,0% 5,0% 10,0% 15,0% 20,0% 25,0% 30,0% 35,0% Fig. 4 : les subordonnants temporels en FR L1 et en FR L2 Les subordonnants préférés des apprenants ainsi que des natifs sont quand et après suivi d’un infinitif. Là où les deux corpus s’écartent plus, c’est dans l’emploi de alors que – peu exploité en L2 – et de au moment de – non attesté en L2. Pour ce dernier connecteur, il est intéressant de noter que les apprenants emploient plus souvent la variante régissant un verbe fini : au moment où. La réticence à utiliser des infinitifs ou plus généralement des structures à verbes non finis n’est pas sans rappeler les stades acquisitionnels définis par Bartning et Kirchmeyer (2003 : 19) : les structures à verbes non finis témoigneraient d’un haut degré d’intégration phrastique, lequel ne serait maîtrisé qu’en fin de parcours d’apprentissage. Quant aux connecteurs non subordonnants, nous en avons relevé une trentaine dans les deux corpus (voir tableau 5). Nos données infirment la thèse d’une différence de variabilité lexicale entre L1 et L2. Il serait cependant intéressant de vérifier si les connecteurs non subordonnants appartiennent tous à une seule et même catégorie. Rappelons que selon Granget (2003 : 78) il y a lieu de distinguer, ���������������������������������� Voir aussi la faible fréquence de avant de. Structure narrative et connecteurs temporels en français langue seconde 31 du moins au sein des adverbes temporels, entre les adverbes qui portent sur l’énoncé (« adverbes de position ») et ceux qui portent sur le prédicat verbal (« adverbes de fréquence, de durée ou de contraste »). Dans ce contexte, il est intéressant de soulever que les deux groupes ne partagent pas les mêmes prédilections : FR L1 : alors (25%), ensuite (10%), soudain (7%) FR L2 : alors (16%), de nouveau (16%), puis (10%) Le rapport temporel le plus fréquemment exploité dans les deux corpus est celui de la successivité (alors, ensuite, de nouveau, puis), ce qui correspond à la nature des récits, proches du script et organisés selon le principe de l’ordre naturel (Klein 1994). Seul le FR L1 semble accorder une certaine importance au « contraste » avec soudain, ce qui nous amène à formuler une nouvelle hypothèse qui mériterait d’être vérifiée : les apprenants organisent leur discours plus sur l’axe chronologique du temps de l’événement, ou temps topical, que du temps de la situation (Klein 1994). 6. Conclusion Notre étude a permis de montrer que le nombre et la longueur des T-units ne sont pas des traits pertinents pour différencier nos trois corpus FR L1, FR L2 et NL L1 et qu’il n’existe pas d’écart significatif dans les corpus quant au degré d’intégration phrastique. De plus, le type de texte (narration versus argumentation par exemple) est un paramètre important pour déterminer le type d’organisation discursive, de même que le type d’instruction qui débouche sur une certaine mise en forme : nous avons montré que, dans notre cas, les narrations prennent plus l’allure d’un script que d’un récit. A cela s’ajoute que les apprenants recourent plus aux connecteurs que les natifs français. Ce suremploi pourrait s’expliquer de deux façons : par le coût cognitif nécessité par la tâche ou par le transfert du NL L1 où les connecteurs sont également très fréquents. Seule l’analyse d’un corpus NL L2 permettrait de vérifier laquelle de ces deux explications est la plus plausible. Et finalement, nous avons noté qu’il n’existe aucune différence importante au niveau de la richesse lexicale du paradigme des connecteurs temporels entre le FR L1 et le FR L2. ������������������������������������������������������������������������������������� Si la seconde explication est correcte, le corpus NL L2 devra attester un nombre de connecteurs plus élevé qu’en NL L1. 32 Liesbeth Degand et Pascale Hadermann Bibliographie Alamargot, D. & Chanquoy, L. 2001 : Through the Models of Writing. Dordrecht : ������������������� Kluwer Academic Publishers [Studies in Writing 9]. Bartning, I. & Kirchmeyer, N. 2003 : Le développement de la compétence textuelle à travers les stades acquisitionnels en français L2. AILE 19. 9-39. Bardovi-Harlig, K. 1992 : A Second Look at T-Unit Analysis : Reconsidering the Sentence. TESOL Quarterly 26/ 2. 390-395. Benazzo, S. 2004 : L’expression de la causalité dans le discours narratif en français L1 et L2. Langages 155. 33-51. Bereiter, C. & Scardamalia, M. 1987 : The Psychology of Written Composition. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum Associates. Berman, R.A. & Nir-Sagiv, B. 2007 : Comparing Narrative and Expository Text Construction Across Adolescence : A Developmental Paradox. Discourse Processes 44. 79-120. Biber, D. & Finegan, E. 1986 : An initial typology of English text types. Corpus linguistics II : New studies in the analysis and exploitation of computer corpora. Ed J. Aarts & W. Meijs. Amsterdam : Rodopi. 19-46. Brown, J.D. & Bailey, K.M. 1984 : A categorical instrument for scoring second language writing skills. 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Pascale Hadermann Michel Pierrard Dan Van Raemdonck Valerie Wielemans Que deviennent l’égalité et l’intensité lorsqu’elles sont niées? L’emploi de aussi, autant, si et tant en contexte négatif 1. Introduction : objectifs et méthodologie Pour exprimer l’égalité dans des structures comparatives, le français dispose entre autres des adverbes de degré aussi et autant. À en croire certains grammairiens, si et tant se substitueraient à aussi et autant dans des contextes négatifs et interrogatifs (voir entre autres Le B.U. 2007 : §985b). La question qui se pose est de savoir si cette substitution est automatique ou s’il existe une certaine variation dans les emplois de aussi/si et de autant/tant en contexte négatif ou interrogatif. Jonas (1973 : 330-332) avance des éléments de réponse pour l’alternance aussi/si dans des comparatives niées à deux termes. Selon lui, si s’y substitue à aussi lorsque l’adverbe est incident « au deuxième élément d’une locution verbale (faire beau, avoir peur, …), […] à l’adjectif qualificatif élément d’une locution impersonnelle du type il est adjectif formulant une appréciation (il est facile, …), […] à l’adjectif qualificatif attribut du sujet, […] à l’adverbe portant sur le verbe du premier terme ». Dans leur étude du couple aussi/si, Hadermann e.a. (à paraître) prennent également en considération les structures sans comparant exprimé ainsi que toutes celles qui déclenchent une interprétation intensifiante. Ils montrent que la substitution de si à aussi dépend essentiellement du type de négateur (ne pas versus ne jamais), de la présence ou non d’un comparant et du sens équatif ou intensif qu’assumerait l’adverbe. C’est également le rapport intensité/comparaison qui est pris en compte par Combettes & Kuyumcuyan (2007) dans leur étude diachronique de si et de aussi. Ils en arrivent à la conclusion suivante : ������������������������������������������������ Auteurs classés par ordre alphabétique. Pascale �������� Hadermann, ����������� Universiteit ��������������������������� Gent ; Michel Pierrard, Vrije Universiteit Brussel ; Dan Van Raemdonck, Vrije Universiteit Brussel et Université Libre de Bruxelles. ��������������������������������������������������������� Cette contribution s’inscrit dans un projet de recherche financé par le FWO – Flandres (projet G.0348.05). Valerie Wielemans, chercheuse, est engagée sur ce projet. 36 P. Hadermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans « Si, globalement, il est donc possible de considérer que aussi prend le relais de si, ce n’est cependant pas d’une façon uniforme. L’opposition des deux adverbes s’opère dans le cadre d’une opposition plus large, celle des deux types de contextes [actualisants ou non actualisants]. […] [Les propositions non actualisées] constituent alors le seul contexte qui accepte l’emploi des deux formes, alors que l’élimination de si est déjà réalisée dans les propositions actualisées ». (Combettes & Kuyumcuyan 2007 : 91) L’objectif de la présente étude est de compléter les recherches précédentes et de vérifier quelles sont les convergences et les divergences entre le fonctionnement de aussi (que) / si (que) et de autant (que) / tant (que) dans des énoncés négatifs. Dans un premier temps, nous décrirons les conditions d’emploi des quatre formes dans des structures assertives à l’affirmatif et nous déterminerons ensuite ce que révèle l’usage réel en contexte négatif. Nous analyserons plus spécifiquement les emplois de autant et tant pour les confronter avec les tendances décrites pour aussi/si par Hadermann e.a. (à paraître). Pour réaliser notre analyse, nous avons réuni des occurrences littéraires et journalistiques. Les tableaux ci-dessous détaillent leur répartition sur les différents tours possibles : Tableau 1 Frantext (1980-1997)3 Comparé nié Avec comparant Sans comparant Total marqueur total Aussi que 41 Si que 11 Aussi 76 Si 56 184 Il serait intéressant d’élargir cette analyse aux autres contextes non actualisants, tels que l’interrogation, ce qui permettrait de vérifier, en français contemporain, les hypothèses formulées par Combettes & Kuyumcuyan (2007) à partir de leur étude diachronique. En outre, il serait utile de reprendre la problématique du morphème ne dans la partie « comparant » des comparatives d’égalité niées : Laurence n’est pas si simple qu’elle n’apparaissait (Vázquez Molina) (voir à ce sujet entre autres Muller 1983, Vázquez Molina 2006). ������������������������������������������������������������������������������������ Nous avons d’abord réuni 300 occurrences par tour. Des 1200 exemples ainsi obtenus, 184 attestent l’emploi d’un des adverbes, aussi ou si, avec un négateur. Que deviennent l’égalité et l’intensité lorsqu’elles sont niées? 37 Tableau 2 Le Monde (1998 et 2005)4 Comparé nié Avec comparant Sans comparant marqueur total Aussi que 56 Si que 18 Aussi 65 Si 102 241 Total Tableau 3 Frantext (1980-1997)5 Avec comparant Sans comparant Total marqueur total Autant que 15 Autant de que 7 Tant que 28 Tant de que 0 Autant 29 Autant de 19 Tant 37 Tant de 12 147 ����������������������������������������������������� Nous avons procédé à une interrogation analogue dans Le Monde. Des 1200 exemples, 241 illustrent l’emploi de aussi ou de si, avec un négateur. ���������������������������������������������������� Nous avons à nouveau récolté, dans Frantext et dans Le Monde, 300 exemples de autant (de N), 300 exemples de tant (de N), 300 exemples de autant (de N) que et 300 exemples de tant (de N) que, ce qui nous a permis de réunir respectivement 147 et 290 occurrences en contexte négatif. 38 P. Hadermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans Tableau 4 Le Monde (2004 et 2006)5 Avec comparant Sans comparant marqueur total Autant que 50 Autant de que 16 Tant que 82 Tant de que 2 Autant 53 Autant de 38 Tant 42 Tant de 7 Total 290 Afin de déterminer si l’alternance entre aussi et si et entre autant et tant en contexte négatif est motivée ou non, nous tiendrons compte de plusieurs paramètres, susceptibles de favoriser l’emploi de l’un ou l’autre adverbe (cf. Jonas 1973) : - paramètres syntaxiques : - paramètres sémantiques : - paramètres discursifs : nature du négateur nature du comparant sémantisme du comparant valeur du marqueur (équatif, intensif ou autre) l’importance du co(n)texte possibilité de restitution du comparant Mais avant de procéder à une inventorisation de ces différents facteurs, nous donnerons en (2) un bref aperçu des emplois possibles de aussi, si, autant et tant dans des assertions affirmatives. Ensuite, nous résumerons en (3) les principales tendances qui caractérisent les emplois de aussi et de si en contexte négatif, telles qu’elles ont été mises en évidence par Hadermann e.a. (à paraître). En (4), nous procéderons à une analyse détaillée de autant et tant en contexte négatif, ce qui nous permettra d’insister dans la conclusion sur les évolutions qui touchent le système des quatre adverbes et plus généralement aussi l’expression de l’égalité en contexte négatif. Que deviennent l’égalité et l’intensité lorsqu’elles sont niées? 39 2. Emplois à l’affirmatif Aussi (que) est un marqueur d’égalité 1) ; employé sans que, il en arrive parfois à véhiculer une valeur intensive 2) et il entre alors en concurrence avec le morphème si. 3) Dans les cas où si-intensif s’associe à que, nous voyons l’effet consécutif prendre le dessus 4) : 1. Marie est aussi intelligente que son frère. 2. Avec une voiture aussi chère, tu vas impressionner. 3.J’ai si mal dormi cette nuit. 4.J’ai si mal dormi cette nuit que je me sens une véritable épave. Autant (que) exprime l’égalité (5) et la fréquence (6). Autant que (avec un que obligatoirement présent) en arrive à établir un rapport d’adjonction. Deux cas de figure sont alors envisageables: X autant que Y (7) et autant X que Y (8). Sans que, autant peut également véhiculer un effet intensif (9) ou marquer la corrélation lorsque autant est répété (10). 5. Marie travaille autant que son frère. 6. C’est ça, meurs donc encore et encore, autant qu’il te plaira, - tu es si belle quand tu meurs ! (S. Germain) 7. Ebranlé par la nouvelle de Trafalgar autant qu’épuisé par la lente agonie de sa mère, il finit par céder. (M. de Grèce) 8. [Il] était pour moi autant un père qu’un maître. (A.H. Ba) 9. En travaillant autant, tu vas impressionner ton père. 10. Autant il est charmant avec elle, autant il est désagréable avec nous. (Le Petit Robert) En combinaison avec de, autant est un quantifiant composé qui marque l’égalité (11) ou la fréquence (12) : 11. Il a autant de livres que Pierre. ����������������������������������������� Nous empruntons ce terme à Wilmet (2007). P. Hadermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans 40 12. Ce dont je suis le plus reconnaissant à cet orgueilleux, et à ses alliés, c’est d’avoir, autant de fois qu’ils l’ont pu, accommodé leur longue-vue sur les bantoustans des Blancs … (LM) Tant employé avec que introduit avant tout une relation de conséquence (13.a) mais en présence d’un comparant grammaticalisé, il est un simple marqueur intensif (13.b). Il assume également des emplois plus grammaticalisés où il signifie « aussi longtemps que » (13.c). Il en arrive parfois à prendre une valeur adjonctive (14). Sans que, c’est l’effet intensif qui l’emporte (15) et lorsque tant est répété nous avons à nouveau à faire à une comparaison corrélative (16). 13. a. Nil avait tant fait son deuil qu’il n’imaginait pas que ces visites fussent le signe de sa proche victoire. (Matzneff) b. Elle porte des tresses ! Si tu les aimes tant que ça, [...] je t’apparaîtrai également avec des tresses ! (Schreiber) c. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. (Le Petit Robert) 14. Le nombre de bottes que j’ai eues tant à la coupe de Strébole qu’au verger audessus de l’allée … (Simon) 15.Je t’aime tant. 16. Tant valait l’instituteur primaire, tant vaudrait l’enseignement. (Zola ; Le Petit Robert) Le quantifiant composé tant de traduit le haut degré de la quantité (17) et en combinaison avec que, il établit un rapport consécutif entre les deux parties de l’énoncé (18). 17. Puisque, ailleurs, il y a tant d’élèves qui passent en section scientifique, j’en veux autant dans l’Académie de Créteil. (LM) 18. On avait traduit tant d’ouvrages que les lecteurs russes ou ukrainiens s’arrachaient les éditions… (LM) Que deviennent l’égalité et l’intensité lorsqu’elles sont niées? 41 3. Emplois au négatif: aussi (que)/si (que) + ne pas/ne jamais 3.1. Tableaux de fréquence Tableau 5 : Frantext 60,0% 50,0% 40,0% 30,0% 20,0% 10,0% 0,0% aussi que pas jamais 25,9% 19,4% si que 9,9% 2,9% aussi 21,0% 57,3% si 43,2% 20,4% Tableau 6 : Le Monde 60,0% 50,0% 40,0% 30,0% 20,0% 10,0% 0,0% aussi que pas jamais 32,4% 10,1% si que 8,5% 6,1% aussi 11,3% 49,5% si 47,9% 34,3% ���������������������������������������������������������������������������������������� Les pourcentages renvoient à la fréquence proportionnelle de chaque tour par rapport au nombre total d’occurrences relevées respectivement pour ne pas et pour ne jamais. 42 P. Hadermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans Des tableaux ci-dessus se dégagent les tendances suivantes : - pour le négateur ne pas en présence de que : préférence pour aussi en l’absence de que : préférence pour si - pour le négateur ne jamais préférence pour aussi dans les 2 structures 3.2. Influence du négateur ne pas Lorsque le comparant est exprimé, la négation de l’égalité est généralement marquée à l’aide de aussi que (19). Pour ce qui est de l’effet de sens intensif qui, sous l’effet de la négation équivaut à une modération de l’intensité, nos données révèlent une certaine concurrence entre aussi que et si que. Notons que le comparant, dans ces exemples, se limite souvent à une séquence avec la proforme neutre cela (20). 19. Il n’est pas aussi actif que son frère. (LM) 20. Tout ne va pas si mal que ça. (LM) Pour ce qui est des énoncés sans comparant, nous observons un léger écart entre les deux corpus. Le langage journalistique recourt majoritairement au marqueur si pour la négation de l’égalité ainsi que pour la modération de l’intensité (21), alors que dans le corpus littéraire aussi est un peu plus souvent attesté dans les deux contextes (cf. 21% dans Le Monde versus 11,3% dans Frantext). Pour avoir l’interprétation d’une égalité niée, il faut que le comparant non exprimé soit restituable dans le co(n)texte (22). 21. Son développement se justifie par sa contribution à la maîtrise de l’effet de serre. Ce n’est déjà pas si mal! (LM) 22. Elle devait s’attendre, un jour, à un truc de ce genre. Son père a déjà eu des ennuis, il y a deux ans. Ce n’était pas aussi grave, mais quand même une très sale histoire. (Carrère) = ce n’était pas aussi grave que maintenant. 3.3. Influence du négateur ne jamais En présence du comparant, Frantext privilégie aussi (cf. 19,4% versus 2,9% pour si ; ex. 23), là où dans Le Monde l’écart entre aussi et si est moins prononcé (10,1% versus 6,1% ; ex. 24). 23.Jamais les espérances n’ont été aussi grandes qu’au temps où je vivais. (Ormesson) 43 Que deviennent l’égalité et l’intensité lorsqu’elles sont niées? 24. Il ne s’était donc jamais retrouvé en si bonne posture qu’en ce dimanche de Pentecôte sur le central. (LM) Aussi bien avec si que qu’avec aussi que, l’effet intensif est déclenché par la présence du négateur ne jamais. Jamais, qui réfère à un moment quelconque, en arrive à exclure, sous l’influence du négateur ne, tous les moments qui sont différents du comparant, à savoir au temps où je vivais en (23) et en ce dimanche de Pentecôte en (24). L’interprétation intensifiante est générée par ce rejet de toutes les autres circonstances possibles. Lorsque le comparant n’est pas exprimé, la forme la mieux attestée dans les deux bases de données est aussi (25), même si les structures en si ne sont pas exclues (26). En présence de ne jamais, c’est à nouveau la lecture intensive qui se dégage pour les deux marqueurs. 25.Jamais elle n’avait été aussi malheureuse. Et pourtant, elle ne regrettait pas ce déjeuner bizarre. (Romilly) 26.Jamais l’euro n’a paru si éloigné des préoccupations quotidiennes. (LM) 3.4. Synthèse des emplois de aussi (que) / si (que) Tableau 7 : bilan aussi (que) / si (que) valeur équatif intensif affirmatif ne pas aussi que aussi que (si que) aussi comp rest aussi comp rest (si comp rest) ne jamais (aussi que) (aussi) si aussi si aussi (si) (aussi quecomp gr) (si quecomp gr) (aussi quecomp gr) (si quecomp gr) aussi que si que aussi équatif si intensif aussi équatif aussi/si intensif écart par rapport au discours normatif: peu de si équatifs aussi intensif valeur équative secondaire ���������������������������������������������������������������������������������������� En gras: les formes les mieux attestées ; entre parenthèses: les emplois exceptionnels. « Comp gr » désigne un comparant grammaticalisé de type que cela ; « comp rest » renvoie à un comparant non exprimé mais restituable grâce au co(n)texte. 44 P. Hadermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans Le système qui se dégage pour l’expression de l’égalité et de l’intensité à l’aide de aussi (que)/si (que) est plus complexe que les grammaires ne le laissent sousentendre : là où à l’affirmatif la langue tend à une distinction nette entre égalité et intensité, marquées respectivement par aussi et par si, au négatif la situation se complexifie. Contrairement à ce que les grammairiens prétendent, aussi reste le marqueur par excellence pour la négation de l’égalité, et pour ce qui est de la négation (ou plutôt la modération) de l’intensité, si est bel et bien concurrencé par aussi. La question se pose de savoir si nous assistons ici à une réorganisation du système où la négation de l’égalité et la modération de l’intensité se partageraient le marqueur aussi (que) qui aurait tendance à supplanter si (que). Affirmatif Négatif Équatif Aussi Si Intensif Si Si L’équatif positif est explicité à l’aide du préfixe au- (provenant de « autre » ?), ressenti comme inutile dans le cas de l’équatif négatif et dans le cas de l’intensif9. Affirmatif Négatif Équatif Aussi Aussi Intensif Si Aussi/si L’équatif positif et négatif sont explicités à l’aide de au- et l’intensif négatif tend à s’aligner sur l’équatif négatif. Afin de vérifier cette hypothèse d’une possible réorganisation systémique affectant l’expression de l’égalité et de l’intensité niées, nous analyserons dans ce qui suit le fonctionnement de autant (de N) (que) que nous comparerons à celui de tant (de N) (que). 4. Emplois au négatif: autant (que)/tant (que) + ne pas/ne jamais 4.1. Tableaux de fréquence10 ��������������������������������������������������������� Morphologiquement et en tenant compte de son étymologie, aussi pourrait être analysé comme comportant le morphème si qui indique l’orientation de l’échelle vers le haut degré, précédé du préfixe au-, qui remonterait à autre et qui bornerait l’orientation en situant le comparé au même niveau que « l’autre » (cf. Jonas 1971). 10���������������������������������������������������������������������������������������� Les pourcentages renvoient à la fréquence proportionnelle de chaque tour par rapport au nombre total d’occurrences relevées respectivement pour ne pas et pour ne jamais. Que deviennent l’égalité et l’intensité lorsqu’elles sont niées? Tableau 8 : Frantext 40,0% 35,0% 30,0% 25,0% 20,0% 15,0% 10,0% 5,0% 0,0% pas jamais Autant que 11,4% 8,5% Tant que 30,7% 1,7% Autant de que 2,3% 8,5% Tant de que 0,0% 0,0% Autant 9,1% 35,6% 33,0% 13,6% 2,3% 28,8% 11,4% 3,4% Tant Autant de Tant de Tableau 9 : Le Monde 40,0% 35,0% 30,0% 25,0% 20,0% 15,0% 10,0% 5,0% 0,0% pas jamais Autant que 13,1% 28,9% Tant que 37,4% 2,6% Autant de que 4,2% 9,2% Tant de que 0,9% 0,0% Autant 13,6% 31,6% Tant 18,7% 2,6% Autant de 9,8% 22,4% Tant de 2,3% 2,6% 45 46 P. Hadermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans Des tableaux ci-dessus se dégagent les tendances suivantes : - pour le négateur ne pas préférence pour tant (que) exception : le quantifiant composé la forme autant de N (que) l’emporte, sauf dans le corpus Frantext où tant de N est plus fréquent que autant de N - pour le négateur ne jamais préférence pour autant 4.2. Influence du négateur ne pas 4.2.1. Emplois avec comparant En présence du négateur ne pas, autant que, qui signifie habituellement la négation de l’égalité (27), accepte également l’expression de la modération de l’intensité (28). Il faut ajouter que l’emploi de autant que permet d’éviter l’interprétation consécutive que déclencherait tant que introduisant un comparant de nature propositionnelle. 27. Ces agriculteurs ne se consacrent pas autant que leurs confrères à leur exploitation (LM) 28. Malheureusement le public ne suivait pas autant que l’on aurait pu s’y attendre. (LM) Tant que exprime la négation de l’adjonctif (29-30) et, lorsqu’il est accompagné de la proforme neutre cela/ça, la modération de l’intensité (31). 29. ... ce qui constitue une menace, pas tant pour les Etats-Unis que pour ses voisins (LM) 30. Ce qui compte, ce n’est pas tant la réalité que la perception que l’on peut en avoir (LM) 31.Je n’écrivais que des critiques de rock, et encore, pas tant que ça. (LM) Des quantifiants composés tant de N que et autant de N que, c’est la forme en autant qui l’emporte pour exprimer la négation de l’égalité (32) ou la modération de l’intensité (33). Pour tant de N que, nous n’avons relevé que deux attestations dans le corpus journalistique, dont une relève du rapport consécutif (34). 32. Elle ne mobilise pas autant de monde qu’un défilé de Jean-Paul Gaulthier sur les Champs-Elysées (LM) Que deviennent l’égalité et l’intensité lorsqu’elles sont niées? 47 33. La nouvelle ne me faisait pas autant de plaisir qu’elle aurait dû. (Ormesson) 34. Le pays, ..., n’a pas tant d’avantages comparatifs qu’il faille en négliger un. (LM) 4.2.2. Emplois sans comparant Avec un comparant restituable à l’aide du co(n)texte, autant signifie la négation de l’égalité (35). En outre, il apparaît régulièrement dans des expressions lexicalisées de type ne pas en faire autant, ne pas en dire autant (36-37). 35. Dans le reste de l’Europe, ces expressions du savoir-vivre ne sont pas autant prisées. (LM) >... qu’ici 36. Zinah me sauta au cou, et si Idriss n’en fit pas autant, ce fut, je crois, seuls la pudeur et le respect qui le retinrent. (M. de Grèce) 37. « Nous ne commentons pas les candidatures de nos concurrents, car telle est la règle du CIO », a dit le maire de Paris, ajoutant : « On ne peut pas en dire autant de tout le monde. » (LM) Tant marque avant tout la modération de l’intensité et il s’emploie aussi dans des tournures affectées par une négation polémique (38) de même que dans l’expression lexicalisée ne pas en demander tant (39). 38. Ce ne sont pas tant les psychiatres qui ne valent rien, mais leurs patients qui ne méritent pas mieux. (LM) 39. « Ça ira, Monsieur Couélan, merci beaucoup. D’ailleurs on ne vous en demandait pas tant. » (Queffélec) Quant aux quantifiants composés autant de N et tant de N, Le Monde privilégie autant de N, contrairement à Frantext. Nous retrouvons les valeurs habituelles de négation de l’égalité (40) et de modération de l’intensité (41-42). 40. Apprécié au ministère des affaires étrangères, il ne donne pas autant d’éclat à son action à l’intérieur [qu’à son action à l’étranger] et souffre de la comparaison avec Nicolas Sarkozy. (LM) 41. « J’ai été surpris parce que je ne pensais pas qu’autant de gens m’appréciaient. » (LM) 42. Il dit avoir été « choqué par ce qui est arrivé » et qu’il ne « s’attendait pas à tant de cruauté ». (LM) 48 P. Hadermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans 4.3. Influence du négateur ne jamais 4.3.1. Emplois avec comparant Autant (de N) que est généralement suivi d’un comparant adverbial. Sous l’influence de ne jamais, toutes les circonstances autres que celles désignées par le comparant sont rejetées, d’où l’interprétation intensifiante (43-44). Si le comparant est de type (pro-)nominal (non neutre), la lecture équative (niée) est parfois possible (45). 43.Jamais la certitude de notre amour ne m’a emplie autant qu’à ce jour. (Matzneff) 44. On ne consomma jamais autant de cacahuètes qu’aux terrasses des brasseries d’avant-guerre, les Dupont, les Biard ou La Bière. (Sabatier) 45. Elle prit des billets de première classe […], quoiqu’elle eût remarqué souvent que la voiture à liséré jaune ne se remplissait jamais autant que les autres, un reste de sens civique jouant encore chez une partie des usagers. (Bianciotti) Dans les rares attestations de tant que, il s’agit toujours d’une lecture intensifiante (46). Notons encore que nous n’avons relevé aucun exemple de tant de N que. 46. Il est sain de secouer cette autosatisfaction contemporaine qui consiste à dire : « On n’a jamais tant fait à propos de l’enfant qu’aujourd’hui. » (Dolto) 4.3.2. Emplois sans comparant L’emploi tant (de N) est extrêmement rare dans nos deux corpus (47). Autant (de N), forme plus fréquente, acquiert une valeur intensive par la mise en rapport d’un marqueur temporel indéfini (jamais) et d’un comparant sous-entendu (le moment du processus) (48-49). 47. Côté grandes surfaces, il paraît que ça cartonne sec dans les gondoles : jamais on n’a tant consommé, tant arraché. (LM) 48. La politique de Sarkozy est dangereuse et, avec l’exercice de ce gouvernement, j’ai eu l’impression qu’on n’avait jamais autant régressé en aussi peu de temps. (LM) 49.J’ai beau avoir l’habitude du métro : je n’ai jamais vu autant de visages si rapprochés, un tel ramassis de regards inconscients de leur ignominie, de souffles si puissamment contenus. (Bianciotti) 49 Que deviennent l’égalité et l’intensité lorsqu’elles sont niées? 4.4. Synthèse des emplois de autant (de N) (que) / tant (de N) (que) Tableau 10 : bilan autant (de N) (que) / tant (de N) (que)11 Valeur Équatif - adjonctif - fréquence Intensif affirmatif Autant que Autant de N que Autantcomp. rest. Autant de Ncomp. rest. (Autant que comp.gr. ) (Tant que) Tant Tant de N (Tant quecomp.gr.) ne pas (Autant que) Autant de N que Autant de Ncomp.rest. Autant de N Autant que (?conséc.) Autant de N que Tant que (Tant de N que) Tant Tant de N Tant que comp. gr. ne jamais (Autant que) (Tant que) Autant (Tant) Autant que Autant de N que comp.gr. autant (de N) équatif tant (de N) intensif tant/(autant) équatif tant intensif autant de N équatif/intensif autant intensif valeur équative secondaire À l’affirmatif, le français moderne distingue l’expression de l’égalité, marquée à l’aide de autant de celle de l’intensité en tant. Avec le négateur ne pas, les deux valeurs sont de préférence exprimées par tant, excepté lorsque la comparaison implique le quantifiant composé : autant de semble en effet l’emporter dans ce cas. En présence de ne jamais, c’est également la forme en autant qui est la plus souvent utilisée. 5. Conclusion La grammaire normative établit un parallélisme entre l’équatif négatif et l’intensif négatif, tous deux exprimés à l’aide des marqueurs tant et si. Cependant, nos données semblent, du moins partiellement, infirmer cette thèse. Ainsi, pour le couple aussi/si, il existe plutôt une analogie d’une part entre l’expression de l’équatif positif et l’équatif négatif, marquée à l’aide de aussi, d’autre part entre l’intensif positif et l’intensif négatif en si, mais dans ce dernier cas, si est de plus en plus concurrencé par aussi. Les données statistiques pour autant et tant semblent en revanche corroborer l’affirmation de la grammaire normative : ici, il y a bel et bien lieu d’établir un parallélisme entre l’équatif négatif et l’intensif négatif traduits par tant, bien qu’il 11����������������������������������������������������������������������������������������� En gras : les formes les mieux attestées ; entre parenthèses: les emplois exceptionnels. « Comp gr » désigne un comparant grammaticalisé de type que cela ; « comp rest » renvoie à un comparant non exprimé mais restituable grâce au co(n)texte. 50 P. Hadermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans existe des emplois de autant (que) pour l’équation négative. Contrairement à aussi, autant accepte moins facilement la valeur intensifiante ; celle-ci n’est attestée que lorsqu’il s’emploie avec le négateur ne jamais. Avec ne pas, la lecture intensive de autant est uniquement possible si le comparant est de nature propositionnelle (pour éviter l’ambiguïté de tant qui glisse ici vers le sens consécutif) ou qu’il fonctionne au sein du quantifiant composé autant de. Bien que pour le couple autant/tant il soit donc plus difficile de trouver une régularité systémique qui se dégagerait des emplois affirmatifs et négatifs, il nous semble que nous assistons de nos jours à une réactualisation du parallélisme entre l’équatif négatif et l’intensif négatif à travers l’utilisation accrue de aussi et autant. Affirmatif Négatif Affirmatif Négatif Équatif Aussi/Autant Si/Tant Équatif Aussi/Autant Aussi/Tant–Autant Intensif Intensif Si /Tant Aussi–Si/Tant (–Autant) Si/Tant Si/Tant Bibliographie Combettes, B. et Kuyumcuyan, A. 2007 : Intensité et comparaison : étude diachronique des corrélations en si et aussi. Travaux de Linguistique 55. 75-92. Grevisse, M. et Goosse, A. 200714 : Le Bon Usage. Bruxelles : De Boeck & Larcier. Hadermann, P., Pierrard, M., Van Raemdonck, D. et Wielemans, V. à paraître : L’emploi de aussi et de si en contexte négatif : alternance arbitraire ou motivée ? Le français moderne. Jonas, P. 1971 : Les systèmes comparatifs à deux termes en ancien français. Bruxelles : Éd. de l’Université de Bruxelles. Jonas, P. 1973 : Si et aussi dans les systèmes comparatifs d’égalité niée à deux termes en français contemporain. Revue de linguistique romane 147-148. 292-341. Muller, Cl. 1983 : Les comparatives du français et la négation. Linguisticae Investigationes VII/2. 271-316. Plantin, Ch. 1985 : La genèse discursive de l’intensité : le cas du si « intensif. Langages 80. 35-54. Robert, P. 2008 : Le nouveau Petit Robert. Éditions Le Robert - Édition électronique. Vázquez Molina, J. 2006 : La négation des comparatives. Langages 162. 46-60. Wilmet, M. 2007 : Grammaire rénovée du français. Bruxelles : De Boeck & Larcier. Eva Havu Michel Pierrard Variation de contexte et de structure langagière : les co-prédicats adjectivants dans le discours écrit littéraire et journalistique 1. Introduction Notre étude s’interroge sur l’impact de deux facteurs variationnels sur l’interprétation des co-prédicats adjectivants (CPA) de type participial (PPant (1a) ou Ppé (1b)) et adjectival (Adj(1c)) : 1. a)Jean, refusant les offres d’emploi qu’on lui proposait, a quitté le bureau. b)Jean, abattu par cette terrible nouvelle, a quitté le bureau. c)Jean, furieux, a quitté le bureau. Les deux facteurs variationnels observés sont les suivants : 1.1. Le type de structure co-prédicative adjectivante. L’analyse des trois types de co-prédicats adjectivants (1a-c) permet de les singulariser sur la base d’une double distinction : - le degré de complétude du prédicat permet de séparer les PPant, qui sont des prédicats non finis, c.-à-d. des prédicats pleins mais sans marque de personne, du singulier ou du pluriel, des PPé et Adj, qui sont des prédicats réduits, où une composante du prédicat (copule, auxiliaire) est effacée ; - la gamme de fonctions que peut remplir le prédicat réduit distinguera pour sa part les prédications réduites attributives (les Adj), qui ne fonctionnent qu’en emploi attributif avec la copule, et les prédications réduites non attributives (PPé), qui autorisent un échantillon d’emplois plus varié (sortie Université Paris 3-CIEH / Université de Helsinki Vrije Universiteit Brussel Eva Havu et Michel Pierrard 52 pendant le couvre-feu / blessée par une balle perdue, elle a été emmenée par les services de sécurité). Ces caractéristiques propres des différents types de prédicats justifieront le fonctionnement distinct de ceux-ci en co-prédication. 1.2. Le type de texte (littéraire ou journalistique) Dans une série de contributions antérieures consacrées à l’emploi des participes présents dans la langue des médias (Havu & Pierrard 2006, 2007), nous avons démontré que l’emploi des adjoints participiaux en -ant dans différents types de discours médiatiques variait selon le médium utilisé (textes oraux vs textes écrits) mais aussi d’après l’approche conceptionnelle même des textes. Ainsi, des énoncés – oraux comme écrits – « peuvent être situés dans un continuum entre les pôles de l’oralité ‘conceptionnelle’ (langage de l’immédiat) et de la scripturalité ‘conceptionnelle’ (langage de la distance) » (Müller-Lancé 2004 : 204). Dans le rapport entre les deux types de textes examinés dans la présente étude, nous pouvons considérer que l’écrit journalistique est plus orienté vers le « langage de l’immédiat » (/ -distancié /) que l’écrit littéraire, qui est plus proche du « langage de la distance » (/ +distancié /) que le premier. Nos observations seront basées sur deux corpus, un corpus journalistique et un corpus littéraire. Le premier est tiré du dépouillement d’environ 120 pages de journal, le second a recueilli des exemples dans trois romans (443 pages dépouillées). Ils comprennent le nombre d’occurrences suivant : corpus J1 / J1’ J2 / J2’ J3 / J 3’ [J4 corpus J R1 R2 R3 corpus R PPant 37 41 38 41 116 [157] 76 10 0 86 PPé 90 48 89 -227 52 9 5 66 Adj 6 2 15 -23 21 19 7 47 TOTAL 133 91 142 41 ] 407 149 38 12 199 �������������������������������������������� Corpus journalistique : participe présent : Le Figaro 11-12.12 2004 (J1), Le Figaro 7.12.2004 (J2), Le Monde 12-13.6.2005 (J3), Le Monde 14.6.2005 (J4) ; adjectif et participe passé : Le Monde 22-23.1.2006 (J1’), Le Monde 11-12.6.2006 (J2’), L’Express 8.6.2006 (J3’) ; corpus littéraire : Jean Echenoz (1999) Je m’en vais (R1), Amélie Nothomb (1999) Stupeur et tremblements (R2), Anna Gavalda (1999) Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part (R3). Variation de contexte et de structure langagière 53 L’analyse des emplois des différentes formes de co-prédication adjectivante se fondera sur deux paramètres généraux, exploités dans les études typologiques (cf. König & van der Auwera 1990 ; Haspelmath & König 1995) pour étudier plus spécifiquement le fonctionnement des formes participiales : la position du coprédicat (section 2) et le type d’action décrite (section 3). 2. Position polaire initiale ou finale et variation 2.1. Propriétés des positions polaires Un co-prédicat peut occuper trois places dans la phrase : les positions initiale, finale (appelées aussi polaires) et la position intérieure (Combettes 1998 : 11, Neveu 1998 : 177). Dans ce travail, seront seulement examinées les positions polaires des CPA. En position initiale, le co-prédicat fournit un événement permettant de cadrer la relation prédicative principale dans laquelle son thème est impliqué. Se situant dans l’intervalle entre une prédication qui vient d’être clôturée et une nouvelle prédication qu’il introduit, il pourra marquer soit une continuité (reprise directe ou indirecte d’un élément donné : 2a), soit une rupture informationnelle avec l’énoncé précédent (2b) (introduction d’un élément nouveau ; v. Béguelin 2000 : 323, Combettes 1998 : 62, Havu & Pierrard 2009, Neveu 2000 : 117) : 2. a) […], la Cour de cassation a ordonné, vendredi 20 janvier, sa réincarcération, ordre exécuté dans la soirée. Arrêté à Istanbul, Mehmet Ali Agca a crié « … » (Le Monde 22-23.1.06 / 5) b) Visitant les pavillons nationaux, on reste moins longtemps dans les Giardini, où sont les « vieilles » nations de l’art, [...] (Le Monde, 14.6.05 / 26) Le co-prédicat en position finale est perçu comme étant pleinement sous la portée des repères temporels et aspectuels déployés par le prédicat principal. Cette dépendance sur le plan de la finitude flexionnelle situe l’événement indépendant E2, repris par les co-prédicats, dans le prolongement de l’ensemble complexe initié par le prédicat principal, afin d’adjoindre une propriété spécifique, caractérisant cet ensemble complexe. Ainsi, E2 représente généralement un apport d’informations nouvelles et communicativement pertinentes par rapport à E1 (cf. Combettes 1998 : 67-68, 83, Neveu 1998 :179) : c) Les investisseurs ont minimisé cette correction, considérant que la reprise de l’économie nippone était sur la bonne voie. (Le Monde 14.6.05 / 21) d) Tout semblait bien là comme prévu, serré dans trois grosses cantines métalliques qui avaient honnêtement résisté au temps. (Echenoz, p. 81) Eva Havu et Michel Pierrard 54 2.2. Position polaire et variation de type de structure 2.2.1. Observations Considérons d’abord les données quantitatives concernant les emplois polaires par structure et par type de texte : corpus J -ANT L -ANT J -E L -E J Adj L Adj corpus J -ANT L -ANT J -E L -E J Adj L Adj Nombre total 157 86 227 66 23 47 initiale 38 41 75 30 10 19 Nombre polaire 118 74 83 43 11 31 Initiale % 32,2% 55,4% 90,4% 69,8% 90,9% 61,3% finale 80 33 8 13 1 12 % polaire 75% 86% 37% 65% 48% 66% Finale % 67,8% 44,6% 9,6% 30,2% 9,1% 38,7% Trois séries d’observations s’imposent : - les participes présents occupent le plus souvent une position polaire, qu’il s’agisse du corpus « littérature » ou du corpus journalistique. La position polaire est également la plus fréquente dans le corpus « littérature » pour les deux autres constructions adjectivantes, tandis que dans le corpus journalistique, les participes passés et les adjectifs polaires sont en minorité, la position postN étant la plus courante (Le nouveau gouvernement, dirigé par XY, a décidé de …) ; - en situation polaire, la position initiale est de loin la plus fréquente, sauf pour les PPant, où la répartition est nettement plus équilibrée et même carrément inversée dans le corpus « journaux » ; - les tendances sont toujours plus marquées dans le corpus « journaux » et plus nuancées dans le corpus « littérature »: ainsi, l’opposition entre le PPant, largement majoritaire en position finale, et le PPé ou l’Adj, utilisés à l’initiale dans l’écrasante majorité des cas, est particulièrement marquée dans le premier. Variation de contexte et de structure langagière 55 2.2.2. Commentaires : polarité et variation L’ouverture à la polarité varie donc selon la structure : s’il y a une tendance nette vers la polarité pour les PPant, celle-ci semble plutôt liée dans le cas des autres structures à une orientation vers la scripturalité (/ +distancié /> +polaire). La flexibilité en ce qui concerne la position initiale ou finale est également liée au facteur structurel : c’est essentiellement PPant qui est attiré par la position finale. D’autre part, l’impact d’un effet conceptionnel est également indéniable : le rapprochement du pôle / +distancié / tend à réduire le contraste entre les structures et à niveler leur comportement. Sur la base des données de nos corpus, nous conclurons donc qu’il y a certes une tendance « structurelle » de discernable (attirance de PPant vers les deux positions polaires et orientation très forte des autres types de co-prédicats vers la position initiale). Cette tendance « structurelle » semble cependant pouvoir être nuancée par l’orientation conceptionnelle (et aussi médiale, cf. Havu & Pierrard 2007) du texte hôte. 3. Type d’action décrite et variation 3.1. Différents types d’action décrites Deux paramètres généraux, exploités dans les études typologiques sur ce type d’énoncés (cf. König & van der Auwera 1990 ; Haspelmath & König 1995), permettent d’envisager différents cas de figure dans le fonctionnement interprédicationnel des co-prédicats adjectivants en position polaire : - la différenciation entre les événements ou états décrits par les prédications : 3. a) Tremblant de fièvre, il avait de grosses gouttes de sueur qui perlaient sur le visage. b) Se levant au dessert, le premier ministre commença son discours en remerciant les organisateurs du colloque. Dans (3a), les deux prédications décrivent deux aspects ou dimensions d’un seul événement / état (E1) ; dans (3b) au contraire, elles traduisent deux événements ou états (E1 et E2) indépendants mais présentés dans une ‘unité perceptuelle’. - le rapport simultané (4a) ou séquentiel (4b) entre les événements ou états décrits : Eva Havu et Michel Pierrard 56 4. a) Tremblant de fièvre, le président tenait malgré tout à signer des dédicaces. b) Se levant au dessert, le président salua rapidement ses hôtes et quitta la salle. La combinaison de ces deux paramètres permet de concevoir trois contextes interprétatifs de base pour l’étude des valeurs possibles des co-prédicats adjectivants en position polaire : a) Dans le cas d’un seul événement, la CPA déclenche une visée multidimensionnelle sur E1 (3a), E pouvant être un événement ou un état ; b) dans le cas de deux événements, il marquera soit b1) la simultanéité de E1 et E2 (3b, 4a), soit b2) le séquençage de E1 et E2 (4b). Sur la base d’un ensemble de 261 occurrences, recueillies dans les deux corpus, nous allons décrire le fonctionnement des divers types de co-prédicats adjectivants en position polaire exprimant deux événements / états concomitants ou séquentiels (donc uniquement les cas de figure b1 et b2). 3.2. Types d’action décrits et variation de type de structure 3.2.1. Simultanéité de E1 et E2 Les deux prédications décrivent deux procès ou états (E1 et E2) indépendants mais présentés dans une unité de temps et de lieu, dans une « unité perceptuelle ». De plus, il existe une concomitance temporelle entre E1 et E2 (non-séquentialité des prédicats), qui expriment donc un rapport simultané. 3.2.1.1. Position initiale Examinons d’abord les données globales : Corpus Cadrage J descriptif argumentatif descriptif argumentatif L -ANT absolu 12 4 9 0 % -ANT initiale 43% 14,1% 26,5% 0% -E absolu 26 5 8 2 % -E initiale 35% 7% 26,6% 6,8% Adj absolu 3 1 14 1 % ADJ initiale 30% 10% 74% 5% ����������������������������������������������������������������������������������� Les pourcentages mentionnés sont calculés sur l’ensemble des occurrences prises en considération dans cette partie de l’étude, soit les cas b1 et b2 définis au § 3.1. Variation de contexte et de structure langagière 57 L’expression d’actions simultanées en position initiale est uniquement majoritaire dans le corpus J pour les PPant et dans le corpus L pour Adj. De manière générale, toutes structures confondues, ce type d’emploi est plus fréquent dans le contexte journalistique (/ -distancié /). Au niveau interprétatif, les co-prédicats adjectivants proposent soit un cadrage descriptif, soit un cadrage argumentatif (cf. Charolles 2003). Les PPant et Ppé sont principalement descriptifs dans les deux corpus, tandis que les adjectifs descriptifs apparaissent surtout dans le corpus L. L’emploi argumentatif est en général plutôt restreint, sauf pour les PPant dans le corpus J. 3.2.1.1.1. Cadrage descriptif Étant donné la non-autonomie processive du CPA, inséré entre deux verbes autonomes (énoncé précédent et principale suivante), le co-prédicat adjectivant s’inscrit dans une hiérarchisation informationnelle « arrière / avant-plan » (cf. König & van der Auwera 1990 : 337). Il fournit alors un cadre descriptif permettant la transition entre l’énoncé précédent et l’information fournie par le prédicat principal. Comme nous l’avons vu ci-dessus, cette transition peut se manifester sous la forme d’une continuité ou d’une rupture avec le contexte de gauche. Cette perception des deux procès ou états indépendants E1 et E2 comme deux événements présentés dans une « unité perceptuelle » peut être accentuée par divers facteurs internes (l’aspect sémantique (mode d’action) des deux verbes : deux verbes atéliques marquent souvent une simultanéité (5), le sémantisme des verbes peut accentuer l’idée de simultanéité (5) : être au pouvoir / pouvoir) ou, plus globalement, de chevauchement (6) ou externes (souvent des expressions temporelles qui soulignent une valeur imperfective : répétition, durée (7)) : 5. Étant au pouvoir, la droite ne pouvait se payer le luxe d’attendre six mois [...]. (Le Monde 12-13.6.05 / 9) 6. Visitant les pavillons nationaux, on reste moins longtemps dans les Giardini, où sont les « vieilles » nations de l’art, [...]. (Le Monde, 14.06.05 / 26) > Le fait de rester dans les Giardini se passe pendant la visite 7. Ouvrant un œil de temps en temps, une femelle s’éventait du bout de ses nageoires avant de se rendormir. (Echenoz, p. 35). 3.2.1.1.2. Cadrage argumentatif Le glissement de la simultanéité fortuite vers une co-occurrence remarquable entre les événements, allant de pair avec une contradiction entre les deux assertions, conduit aisément à une interprétation oppositive / concessive (König 1995 : 69). Eva Havu et Michel Pierrard 58 Il y aura alors mise en place d’un cadre argumentatif de type causal (8), mais aussi concessif (9) ou de condition (10). Dans ces derniers cas, l’interprétation est généralement renforcée par un marquage explicite au moyen d’un adverbe : 8. Soupçonné d’avoir transmis le VIH, un séropositif est maintenu en détention provisoire. (Le Monde 22-23.1.2006 / 8) 9. Quoique taiseux, Zidane est un sanguin sur le terrain. (L’Express 8.6.2006 / 60) 10. Comparés à leurs voisins européens, les Français restent toutefois peu endettés. (Le Monde 22-23.1.06 / 18) En général, les emplois argumentatifs sont assez rares, le taux des participes présents journalistiques étant le plus élevé et celui des participes présents littéraires étant de zéro. 3.2.1.2. Position finale En premier lieu, nous présentons les données quantitatives globales : Corpus Addition J Informat. nouvelle argumentative Informat. nouvelle argumentative L -ANT absolu 13 2 9 1 % -ANT finale 54,2% 8,3% 90% 10% -E % -E Adj % ADJ absolu finale absolu finale 5 62,5% 1 100% 0 0% 0 9 90% 1 9% 0 0% 11 91% L’expression d’actions simultanées en position finale est majoritaire dans les corpus et pour toutes les structures. La prédominance est un peu moins totale pour les deux structures participiales dans le corpus J. Les PPant et PPé finaux apportent presque uniquement une information nouvelle, tandis que les adjectifs n’apparaissent pratiquement pas en position finale, sauf dans les romans avec une valeur argumentative. 3.2.1.2.1. Addition d’informations nouvelles L’élément détaché en position finale a donc une forte informativité, et apporte une précision, une spécification (11). L’appréhension de deux procès ou états indépendants E1 et E2 dans une « unité perceptuelle », sans remise en question de la concomitance temporelle, est renforcée par le mode d’action atélique des verbes (facteurs internes) et par des expressions temporelles soulignant l’aspect imperfectif du verbe. À nouveau, c’est surtout le sémantisme des verbes qui Variation de contexte et de structure langagière 59 souligne la simultanéité en exprimant des événements / états qui ne présupposent aucun séquençage (cf. 11a-b) : 11. a) Rappelle-toi ces photos de villes bombardées : les gens sont morts, les maisons sont rasées, mais les toilettes se dressent encore fièrement dans le ciel, juchées sur les tuyauteries en érection. (Nothomb, p. 160) b) Il s’embarque dans des compositions insensées mélangeant dans un même plat pignons de pin, amandes, foie gras, poireaux, salades de saison, aubergines. (Le Figaro 11-12.12.04 / 16) L’apport d’une information ou d’une précision nouvelle semble clairement aller de pair avec l’emploi d’une forme co-prédicative participiale. Dans le cas des participes passés, l’addition d’une information nouvelle ou d’une précision se répartit d’une manière similaire dans les deux corpus, tandis que le participe présent est bien plus courant dans le corpus littéraire, l’adjectif dans le corpus journalistique. 3.2.1.2.2. Addition argumentative Le glissement de la simultanéité fortuite vers une co-occurrence avec une interprétation conditionnelle ou oppositive / concessive (König 1995 : 69) semble extrêmement difficile en postposition. Toutefois, on peut parfois trouver, plus particulièrement avec des adjectifs dans le corpus « romans », des « causes inversées », donc des explications et des expressions de manière (adjectifs « adverbiaux ») : 12. a) En Europe, la dotation des tournois, [...], en moyenne, ne représente que le tiers de ce qui se pratique sur le circuit féminin américain, poussant les meilleures joueuses européennes à s’expatrier aux Etats-Unis. (Le Monde 12-13.6.05 / 1) b)Je le regarde, amusée. (Gavalda, p. 13) L’addition argumentative semble surtout productif avec des adjectifs dans un contexte orienté vers la conceptionnalité (corpus L) pour exprimer la manière. 3.2.2. Le séquençage de E1 et E2 Les deux prédications décrivent deux procès ou états (E1 et E2) indépendants, présentés dans une « unité perceptuelle » mais se situant cette fois-ci dans un rapport séquentiel (avant / après). Eva Havu et Michel Pierrard 60 3.2.2.1. Position initiale La position initiale implique que l’événement rendu par le co-prédicat adjectivant représente un « avant » par rapport à l’événement exprimé par le prédicat principal��. Tout comme dans les combinaisons sans séquençage, le ������������������������ co-prédicat adjectivant� peut marquer un lien ou, plus rarement, une rupture avec le contexte de gauche. Corpus J L Cadrage -ANT % -ANT -E absolu initiale absolu temporel 7 25% 35 argumentatif 5 17,9% 9 temporel 20 58,8% 12 argumentatif 5 14,7% 8 % -E initiale 46% 12% 40% 26,6% ADJ absolu 1 5 0 4 % -Adj initiale 10% 50% 0% 21% La position initiale de la CPA dans des actions se situant dans un rapport séquentiel en position initiale constitue un contexte majoritaire dans les deux corpus, sauf pour les PPant dans le corpus J et pour Adj dans le corpus L. De manière générale, toutes structures confondues, ce type d’emploi est plus fréquent dans le contexte journalistique (/ -distancié /). L’emploi argumentatif est plus productif que dans le cas d’actions simultanées. En particulier, si les participes apportent majoritairement un cadrage temporel, les adjectifs servent quasi exclusivement à marquer un cadrage argumentatif. Le cadrage temporel s’impose pour les PPant surtout dans le corpus littéraire, pour les Ppé dans le corpus journalistique. 3.2.2.1.1. Cadrage temporel Dans la concrétisation sur le plan du discours, le séquençage impliquera que « l’avant » dans l’ordre séquentiel marquera l’antériorité dans l’ordre temporel (König & van der Auwera 1990 : 341-342). Le CPA sera généralement paraphrasé par une subordonnée temporelle introduite par après que / après avoir. Le cadrage par le co-prédicat polaire impliquera dès lors la localisation de E2 dans l’antériorité : 13. a) Placé en garde à vue à Niort, mercredi 18 janvier, […], le sprinter Français Lueyi, [...], a été remis en liberté, vendredi. (Le Monde 22-23.1.06 / 12) Le séquençage peut être accentué par divers facteurs internes : l’emploi de verbes téliques (13a), dans la mesure où ceux-ci induisent souvent l’idée d’une succession, ou encore l’emploi de la forme composée du co-prédicat adjectivant (13b), qui attribue au co-prédicat un aspect perfectif (construction très courante dans le corpus littéraire) : Variation de contexte et de structure langagière 61 b) Ayant envisagé une réaction plus vive, [...], il était soulagé mais comme contrarié par ce soulagement même. (Echenoz, p. 8) Les facteurs externes joueront également un rôle important dans la mise en évidence du séquençage. Ce dernier est en effet souvent marqué par des indicateurs externes de temporalité (adverbe, date, .. : 13c), ce qui semble être obligatoire quand un adjectif exprime la succession, étant en soi incapable d’exprimer la séquentialité : c) Kevin ou Jenifer, on a fini par s’y habituer. Mais Nevaeh ? Inconnu il y a encore peu, ce prénom étrange vient d’entrer, aux Etats-Unis, dans le top 100, [...]. (L’Express 8.6.06 / 14). Enfin, à défaut de marque morpho-sémantique, une interprétation pragmatique sur la base de notre « connaissance du monde » peut souligner l’idée de séquençage : ainsi, en (13a), on peut postuler que, pour se frayer un passage pour être libéré, il faut d’abord être placé en garde à vue. 3.2.2.1.2. Cadrage argumentatif Un glissement peut s’opérer vers un cadrage argumentatif marquant la cause. Celleci dérive traditionnellement de la valeur d’antériorité, et l’idée de causalité reste très liée à une idée de succession temporelle, surtout dans les cas où un participe est à une forme composée (14, cf. Havu 2004). Contrairement à la concession / opposition de 3.1.2, qui s’exprime en porte-à-faux par rapport à une connexion générale présupposée entre deux types d’événements, la construction causale est ici « en harmonie » avec l’idée exprimée dans la proposition principale (cf. König 1995 : 69) : 14. Ayant envisagé une réaction plus vive, cris entremêlés de menaces et d’insultes graves, il était soulagé mais comme contrarié par ce soulagement même. (Echenoz, p. 8) Soulignons en particulier l’importance pour ce type d’interprétation (a) de la position, (b) d’éventuelles marques tempo-aspectuelles et enfin (c) du « script » des interlocuteurs (cf. Molendijk & de Swart 1999). Ainsi, l’antéposition favorise nettement une interprétation causale. En postposition, l’énoncé (15) s’interprèterait plutôt comme une addition d’événements, venant expliquer / développer le premier et amenant même une nuance de conséquence : 15. a) Espérant trouver de nouveaux indices, ils inspectaient hier l’intérieur de l’habitacle [...]. (Le Figaro 11-12.12.04 / 10) Eva Havu et Michel Pierrard 62 b) Ils inspectaient hier l’intérieur de l’habitacle [...], espérant trouver de nouveaux indices. Le tableau des interprétations nous montre que, indépendamment du type de corpus, tous les co-prédicats adjectivants connaissent l’emploi séquentiel argumentatif de cause, mais que cette valeur est la plus courante parmi les adjectifs du corpus J, tandis que les participes passés argumentatifs apparaissent plutôt dans le corpus L. 3.2.2.2. Position finale La position finale implique que l’événement rendu par le CPA représente un « après » par rapport à l’événement exprimé par le prédicat principal. 16. Mais à cet instant précis, la foudre tomba sur le toit du hangar, provoquant un formidable court-circuit. Ce cas de figure semble contredire les conclusions d’autres études portant sur les formes participiales (König & van der Auwera 1990 : 341). Comme nous l’avions déjà signalé dans le cas de la simultanéité, l’élément détaché en position finale introduit le plus souvent un élément nouveau. Corpus Addition J narrative argumentative narrative argumentative L -ANT absolu 4 5 0 0 % -ANT -E finale absolu 16,7% 2 20,8% 1 0% 0 0% 1 % -E finale 25% 12,5% 0% 10% ADJ absolu 0 0 0 0 % -Adj finale 0% 0% 0% 0% La position finale dans l’expression d’actions séquencées est rare dans les deux corpus et pour toutes les structures. Ce n’est pratiquement que dans le corpus J qu’on trouve un emploi non négligeable de PPant et de PPé postposés, les Adj « séquentiels » n’apparaissant jamais en postposition pour exprimer un séquençage d’actions. 3.2.2.2.1. Addition narrative Dans le cas des co-prédicats adjectivants, un « après » dans le séquençage sera interprété comme un développement postérieur de l’ensemble complexe initié par le prédicat principal, bref comme une addition narrative par juxtaposition d’événements. L’ensemble sera paraphrasé par une coordination des deux événements au moyen de « et » (ex. 17a) : Variation de contexte et de structure langagière 63 17. a) Il a tué un responsable du centre, circulé dans les bureaux, tiré de nouveau, blessant un collègue dont les jours ne sont pas en danger. (Le Figaro 11-12.12.04 / 9) L’idée de succession est liée à des facteurs internes, tels que l’aspect perfectif de la forme verbale de la principale (17a, temps de narration : passé composé) ou le mode d’action télique des verbes (11a). Cependant, comme nous l’avons vu cidessus, l’interprétation dépend surtout du sémantisme des verbes (ex. 17a : tirer > blesser). La forme composée du participe présent ainsi que le participe passé imposent malgré tout une interprétation d’antériorité, même en position finale (17b). Sans forme accomplie, une telle interprétation est absolument exceptionnelle et demande un contexte sémantique très orienté : b) Le cavaliere a eu droit à un procès séparé, ayant demandé la suspension des poursuites pendant son mandat de chef de gouvernement. (Le Figaro, 11-12.12.04 / 5) [il a demandé > il a eu droit] L’addition narrative n’apparaît jamais dans le corpus littéraire et l’adjectif final ne semble jamais l’exprimer (cf. déjà ses limitations pour exprimer l’antériorité). 3.2.2.2.2. Addition argumentative L’addition narrative mène logiquement vers une interprétation de type argumentatif induisant un rapport de conséquence : l’évidence de la relation implicative E1 > E2 est parfois soulignée par un marqueur adverbial (ainsi dans (18a)) : 18. a) En perfectionnant l’acier poli, les bijoutiers l’ont taillé à facettes ou en perles, composant ainsi des colliers, des chaînes, des agrafes du plus bel effet. (Le Figaro 11-12.12.04 / 21) Nous avons constaté au 3.2.2.2.1. que des indices morphologiques peuvent forcer une valeur d’antériorité en position à droite (17b). De manière similaire, la cause peut également, sous certaines conditions, apparaître à droite, comme dans la plupart des exemples du corpus (« cause inversée »). C’est tout particulièrement vrai dans le cas d’un PPé ou d’un PPant introduit par un auxiliaire d’opinion ou de sentiment, qui permet de rendre son expression moins directe : b) […] : sous ses airs de salaud, le juif Iscariote était même le meilleur des apôtres, initié aux « mystères du règne » de Dieu par Jésus en personne. (L’Express 8.6.06 / 57) Eva Havu et Michel Pierrard 64 Les adjectifs ne semblent pas permettre une interprétation en termes d’addition argumentative et même les participes sont très rares dans cet emploi. 4. Conclusion générale L’examen des 261 occurrences de CPA en position polaire dans les corpus littéraire et journalistique et exprimant deux événements / états concomitants ou séquentiels a permis de montrer les différences sur trois axes de variations. 4.1. Variation de structure entre les divers types de co-verbes adjectivants position E1 et E2 simultanés E1 et E2 séquentiels total initiale finale initiale finale -ANT absolu 25 25 37 9 96 % tot 2 évén 26% 26% 38,5% 9,5% 100% -E absolu 41 14 64 4 123 % tot 2 évén 33,3% 11,4% 52% 3,3% 100% Adj absolu 19 13 10 0 42 % tot 2 évén 45,2% 30,9% 23,9% 0% 100% En considérant les données, tous corpus confondus, nous pouvons mettre en évidence les propriétés suivantes des trois types de structures en position polaire : - Les prédications non finies (PPant) ont non seulement la fréquence d’utilisation en position polaire la plus élevée, mais présentent aussi une gamme d’emplois se répartissant de la manière la plus équilibrée sur les différentes positions ; - Les prédications réduites non attributives (PPé) sont fort productives mais ont une fréquence d’emploi en position polaire moins élevée. Par ailleurs, elles se concentrent surtout en position initiale. De manière générale, les prédications réduites ont une préférence marquée pour la position initiale ; - Les prédications réduites attributives (Adj) sont les moins productives et ont également une fréquence d’emploi en position polaire moins élevée. Elles apparaissent surtout pour marquer des actions simultanées. Sans indices extérieurs, elles sont incapables de marquer une séquentialité pure (non argumentative). 4.2. Variation « conceptionnelle » entre les deux types de texte (littéraire / journalistique) Variation de contexte et de structure langagière type E1 et E2 simultanés E1 et E2 séquentiels littéraire journalistique littéraire journalistique -ANT abs 19 31 25 21 % tot corpus 29,2% 43% 50% 28,4% -E abs 19 36 21 47 % tot corpus 29,2% 50,1% 42% 63,5% 65 Adj % tot total abs corpus 27 41,6% 65 5 6,9% 72 4 8% 50 6 8,1% 74 En examinant la fréquence d’apparition des structures par corpus et par type de combinaison d’événements, nous observons les tendances suivantes : - Les prédications non finies (PPant) seraient plus utilisées dans des textes / -distancié / pour marquer des actions simultanées et dans les textes / +distancié / pour indiquer la séquentialité. - Les prédications réduites non attributives (PPé) sont particulièrement productives dans le corpus J / -distancié / aussi bien pour les actions simultanées que pour indiquer le séquençage des actions ; - Les prédications réduites attributives (Adj) apparaissent surtout en position polaire dans les types de textes plutôt orientés vers la conceptionnalité scripturale pour exprimer des actions simultanées. 4.3. Variation entre les diverses valeurs type -ANT abs E1 et E2 c. descr. (fr) 21 simultanés c.arg. (fr) 4 add. inf.n. (fin) 22 add.arg. (fin) 3 E1 et E2 c.temp. (fr) 27 séquentiels c.arg. (fr) 10 c.narr. (fin) 4 c.arg. (fin) 5 total 96 % tot corpus 29,2% 30,8% 57,9% 21,4% 36% 27,8% 66,7% 71,4% 36,8% -E abs 34 7 14 -47 17 2 2 123 % tot Adj corpus abs 47,2% 17 53,8% 2 36,8% 2 0% 11 62,7% 1 47,2% 9 33,3% -28,6% -47,1% 42 % tot total corpus 23,6% 72 15,4% 13 5,3% 38 78,6% 14 1,3% 75 25% 36 0% 6 0% 7 16,1% 261 - en position frontale, les CPA concomitantes forment le plus souvent un cadrage descriptif - à la position finale, les prédications non attributives concomitantes expriment surtout une information nouvelle, tandis que les prédications attributives ont presque toujours une valeur argumentative Eva Havu et Michel Pierrard 66 - à la position frontale, les prédications non attributives séquentielles marquent préférentiellement un cadrage temporel, les prédications attributives un cadrage argumentatif - à la position finale, n’apparaissent que des prédications non attributives séquentielles, avec un nombre très réduit d’occurrences. Bibliographie Béguelin, M.-J. 2000 : De la phrase aux énoncés : grammaire scolaire et descriptions linguistiques. Bruxelles : De Boeck Duculot. Charolles, M. 2003 : De la topicalité des adverbiaux détachés en tête de phrase. Travaux de Linguistique 47. 11-49. Combettes, B. 1998 : Les constructions détachées en français. Paris : Ophrys. Haspelmath, M. & König, E. (éds.) (1995) : Converbs in Cross-Linguistic Perspective. Berlin – New York : Mouton de Gruyter. Havu, E. 2004 : L’interprétation des constructions participiales appositives. La Linguistique 40. 65-82. Havu, E. & Pierrard, M. 2006 : Syntaxe, communication et type de discours : Participe présent et langue des médias. Synergies Pologne 2 / II. 59-67. Havu, E. & Pierrard, M. 2007 : Prédication seconde et type de discours : les adjoints participiaux dans les médias oraux. Le français parlé des médias. Éd. M. Broth, M. Forsgren, C. Norén et F. Sullet-Nylander. Stockholm : Almqvist & Wiksell International. 273-288. Havu, E. & Pierrard, M. 2009 : Détachement et type d’opération linguistique : Les participes présents détachés en position initiale et finale. Les linguistiques du détachement. (Actes du colloque Les linguistiques du détachement, Nancy 7-9 juin 2006). Éd. D. Apothéloz, B. Combettes et F. Neveu. Berne: Peter Lang. 305-316. König, E. 1995 : The meaning of converb constructions. Converbs in Cross-Linguistic Perspective. Éd. M. Haspelmath et E. König. Berlin : Mouton de Gruyter. 57-95. König, E. & Van der Auwera, J. 1990 : Adverbial participles, gerunds and absolute constructions in the languages of Europe. Toward a typology of European Languages. Éd. J. Bechert, G. Bernin et C. Buridant. Berlin : Mouton de Gruyter. 337-355. Molendijk A. & de Swart, H. 1999 : L’ordre discursif inverse en français. Travaux de Linguistique 39. 77-96. Müller-Lancé, J. 2004 : La subordination dans l’histoire de la langue française : déclin inévitable? Le français face aux défis actuels. Histoire, langue et culture, vol. 1. Éd. J. Suso López et R. López Carrillo. Granada : Universidad de Granada, Apfue-Gilec. 201-228. Neveu, F. 1998 : Études sur l’apposition. Paris : Honoré Champion. Neveu, F. 2000 : Quelle syntaxe pour l’apposition ? Les types d’appariement des appositions polaires et la continuité référentielle. Langue française 125. 106-124. Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard Divers types de variation dans le développement de la morphologie TAM Le processus d’acquisition d’une langue seconde est caractérisé par différents types de variation (sociolinguistique, stylistique, pragmatique, etc.). L’importance de ce phénomène a déjà été soulignée par Besse et Porquier (1991) : « une théorie de l’apprentissage doit intégrer la variation pour en faire une des propriétés essentielles de l’interlangue » (Py 1980 : 43 ; cité dans Besse et Porquier 1991 : 233). Notre étude mettra en évidence trois types de variation de l’interlangue qui influent de manière complémentaire sur l’acquisition d’une L2 : a) b) c) la variation développementale : l’acquisition d’une L2 implique une progression dans l’appropriation des connaissances/compétences langagières (et le parcours de stades développementaux) ; la variation individuelle : si dans l’appropriation en milieu guidé, il faut prendre en considération l’interaction individu/groupe, l’appropriation d’une L2 reste un processus individuel ; la variation dans le système de l’IL : l’instabilité du système interlangagier des apprenants est un facteur exigeant une restructuration continuelle de l’interlangue. 1. Cadre de l’étude 1.1. Point de référence théorique Bartning et Schlyter (2004) ont décrit l’itinéraire acquisitionnel du français L2 chez les adultes suédophones sur la base de cinq traits grammaticaux et syntaxiques : (a) la morphologie verbale, (b) la négation, (c) les pronoms objet, (d) le genre et (e) la subordination. À partir des données orales recueillies, six stades de développement ont été déduits, allant des débuts de l’acquisition jusqu’à une production quasinative. ������� Vrije Universiteit ������������������������������� Brussel, Acquilang Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard 68 Dans cette contribution, nous nous concentrerons sur le développement d’un aspect du premier trait – la morphologie verbale – dans la production d’apprenants néerlandophones de FLE. Bartning et Schlyter ont établi l’itinéraire acquisitionnel de ce trait en analysant dans leurs corpus d’une part le développement de la morphologie flexionnelle et d’autre part le développement de la morphologie concernant le temps, le mode et l’aspect (morphologie TAM). La description du processus d’acquisition du système TAM chez des apprenants néerlandophones de FLE sera l’objet de la présente étude. 1.2. Groupes cibles Les données de cette étude proviennent de la réalisation d’une même tâche de production orale spontanée par trois groupes d’apprenants : a) groupe NN1 : 30 élèves après deux ans de FLE (+/-180h) dans l’enseignement primaire en Flandre ; b) groupe NN3 : 25 lycéens après quatre ans de FLE (+/-390h) dans l’enseignement primaire et secondaire en Flandre ; c) groupe NN6 : 30 lycéens après huit ans de FLE (+/870h) dans l’enseignement primaire et secondaire en Flandre. Nous avons demandé aux apprenants de raconter l’histoire de la grenouille (Mayer 1969), une bande dessinée en 24 tableaux, couramment utilisée dans les études sur l’acquisition pour susciter une production langagière en L2. Aucune information sur l’objectif de l’étude ou à propos de l’emploi des temps verbaux n’a été communiquée aux élèves. 1.3. Objectifs Nous analyserons le développement de la morphologie temporelle (temps du passé, du futur), aspectuelle (auxiliaires aspectuels) et modale (emploi du subjonctif, de l’infinitif et des participes) en partant des caractéristiques relevées par Bartning & Schlyter (2004). Ces observations nous fourniront les données permettant de décrire les divers types de variation qui caractérisent le processus d’acquisition. Plus concrètement, notre étude se donne les trois objectifs de recherche suivants : a) déterminer l’importance de la variation développementale de l’interlangue de NN1 à NN3 à NN6. b) déterminer l’importance de la variation individuelle de l’interlangue pour le système TAM (rapport individu/groupe) Divers types de variation dans le développement de la morphologie TAM 69 c) déterminer l’importance de la variation du système TAM dans l’interlangue des trois groupes cibles NN1, NN3 et NN6 (stabilité/instabilité du système) 2. Stades développementaux et acquisition de la morphologie TAM Nous présentons ci-dessous, sous forme de tableau, les caractéristiques du développement de la morphologie TAM, proposées par Bartning et Schlyter (2004 : 293-296) pour chaque stade développemental. Tableau 1 : Développement de la morphologie TAM par stade développemental Stades Stade initial Stade post-initial Stade intermédiaire Stade avancé bas Stade avancé moyen Stade avancé supérieur Caractéristiques de la morphologie TAM - quelques rares formes du passé composé, comme j’ai vu et il a vu, mais très peu de contextes du passé sont marqués - émergence de l’imparfait avec être et avoir - début d’apparition du futur périphrastique - émergence de formes verbales modales (suivies d’infinitif) - emploi plus productif du passé composé - emploi du futur périphrastique - émergence de quelques formes du futur simple - quelques premiers contextes du subjonctif - certains emplois du subjonctif - rares exemples du conditionnel des verbes lexicaux - quelques apparitions de formes liées à des structures syntaxiques multipropositionnelles (infinitifs, gérondifs) - emploi avancé de passé composé avec verbes d’état et imparfait avec verbes d’action - emploi plus productif du subjonctif, mais toujours avec quelques formes incorrectes - le plus-que-parfait, le conditionnel et le futur simple sont employés correctement - emploi du gérondif - le subjonctif est maîtrisé dans les contextes obligatoires - emploi sophistiqué de structures intégrées (infinitifs, gérondifs) dans des énoncés mulitpropositionnels 70 Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard 3. Les marques de la temporalité 3.1. Variation développementale 3.1.1. Les temps du passé L’analyse des temps du passé a révélé un emploi accru du passé composé, de l’imparfait et du plus-que-parfait dans les narrations des apprenants plus scolarisés : les apprenants NN3 utilisent plus souvent ces temps du passé que les apprenants NN1 et dans la même logique de progression, le corpus NN6 en contient plus que le corpus NN3. Pour la description de la même histoire à partir de la même bande dessinée, le nombre d’occurrences du passé composé passe de six dans le corpus NN1 à trente et un dans le corpus NN3 et à quatre-vingt-neuf dans le corpus NN6. L’emploi de ce temps du passé par les trois groupes d’apprenants est donc caractérisé par un degré de développement important. Le tableau 2 montre l’évolution de l’utilisation des deux auxiliaires (être et avoir) et le développement de l’emploi des participes passés des différents types de verbes (verbes en -ER, -IR, -RE et –OIR). L’emploi des auxiliaires manifeste d’abord une légère tendance à la suprématie de l’auxiliaire être, mais, dans le groupe NN6, l’emploi d’avoir prédomine largement. L’analyse de l’extension lexicale des participes passés révèle aussi des différences entre les productions des trois groupes d’apprenants. Là où les verbes en –ER et –IR sont les seuls à générer des formes au passé composé dans le corpus NN1, les quatre types de verbes en produisent dans les deux autres corpus. En second lieu, nous remarquons que, bien que le groupe de verbes en –ER continue à générer le plus de participes passés dans le corpus NN6, la proportion relative des participes passés des verbes en –IR, -RE et –OIR a fort augmenté par rapport aux deux autres corpus. Tableau 2 : Fréquence respective des différents types d’auxiliaires et de participes passés Auxiliaire avoir être Participe passé -ER -IR -RE -OIR NN1 100% 50% 50% 100% 66,7% 33,3% / / NN3 100% 41,9% 58,1% 100% 71% 12,9% 12,9% 3,2% NN6 100% 60,7% 39,3% 100% 49,5% 21,3% 13,5% 15,7% Divers types de variation dans le développement de la morphologie TAM 71 Le passé composé n’est pas le seul temps du passé dont l’emploi s’accroît dans les productions des apprenants NN3 et NN6 : l’emploi de l’imparfait devient également plus courant dans ces deux corpus. Là où le corpus NN1 ne contient aucune occurrence de l’imparfait, nous en avons relevé huit dans le corpus NN3 et dix-huit dans le corpus NN6. Cet emploi accru de formes à l’imparfait va de pair avec une extension lexicale des verbes produisant ces formes. Les apprenants NN3 emploient les quatre formes suivantes : était (5x), avait (1x), regardait (1x) et cherchait (1x), tandis que les apprenants NN6 en produisent sept : étai(en)t (9x), avait (2x), il y avait (2x), allait (2x), appelait (1x), commençait (1x), dormait (1x). Le troisième temps du passé qui apparaît dans notre corpus est le plus-queparfait. Son emploi est limité à huit occurrences dans les narrations des apprenants NN6. Trois de celles-ci sont composées du verbe être suivi d’un participe passé, alors que les cinq autres ont le verbe avoir comme auxiliaire. La plupart des verbes qui génèrent ces formes sont des verbes en –ER (arriver, voler, attraper, tomber (2x)), deux sont des verbes en –RE (faire, disparaître) et un seul verbe se termine en –IR (partir). 3.1.2. Les temps du futur Ni le corpus NN1 ni le corpus NN3 ne contiennent une forme conjuguée au futur, alors que nous avons relevé une forme du futur périphrastique (1) et une forme du futur simple (2) dans les productions des apprenants NN6. 1. NN6-Sn13 : chaque dimanche on va venir. 2. NN6-Mo25 : je pense qu’ils sont sûrs que la petite est // sera sera ok avec le garçon. 3.2. Variation individuelle 3.2.1. Les temps du passé L’analyse de l’emploi des temps du passé révèle un degré de variation individuelle différent pour les groupes NN1, NN3 et NN6. Le tableau 3 montre que cette différence se manifeste surtout sur le plan du passé composé : 13,3% du groupe NN1 produisent des formes du passé composé, alors que 64% du groupe NN3 et 93,3% du groupe NN6 le font. La variation individuelle est par contre moins prononcée sur le plan des deux autres temps du passé, tout simplement parce que leur emploi reste relativement rare. 72 Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard Tableau 3 : Variation individuelle caractérisant l’emploi des temps du passé % d’apprenants passé composé imparfait plus-que-parfait NN1 13,3% / / NN3 64% 20% / NN6 93,3% 26,7% 10% 3.2.2. Les temps du futur Nous n’avons relevé des formes du futur simple et du futur périphrastique que dans les productions de deux apprenants NN6 (6,7% du groupe). 3.3. Variation du système de l’IL 3.3.1. Les temps du passé 3.3.1.1. Emploi formel Nous remarquons en premier lieu que les trois groupes d’apprenants produisent encore quelques formes du passé composé qui sont formellement inappropriées. Plus spécifiquement, nous avons repéré quatre types d’emplois inappropriés : (a) l’auxiliaire n’est pas accordé (3a-b), (b) l’auxiliaire utilisé est contextuellement inapproprié (avoir au lieu d’être ou vice versa) (4a-b), (c) le participe passé est formellement incorrect (5a-b) et (d) une forme finie est utilisée à la place d’un participe passé (6a-b). Tableau 4 : Fréquence des différents types d’emplois inappropriés du passé composé aux. non accordé aux. inapproprié part.passé incorrect part.passé = forme finie NN1 1x - NN3 2x 3x 3. a. NN1-176 : le chien et le garçon a regardé pour le grenouille. b. NN6-635 : dans le matin le garçon et le chien a dé- euh découvert. 4. a. NN3-834 : que l’animal est disparu. b. NN6-814 : mais il a tombé dedans. 5. a. NN6-Sn7 : le cerf lui a enlevé et s’a couri. b. NN6-815 : il a poussi l’arbre. NN6 1x 8x 2x 3x Divers types de variation dans le développement de la morphologie TAM 73 6. a. NN3-790 : le garçon a tombe à la dans l’arbre. b. NN6-Sn7 : il s’est vitement habille. Le tableau 4 montre que les apprenants NN6 produisent plus de formes inappropriées du passé composé que les deux autres groupes d’apprenants et que la nature des erreurs est plus variée dans ce corpus. Le plus grand nombre de formes incorrectes est sans doute lié à l’accroissement de l’emploi du passé composé dans la production de ces apprenants. Un nombre plus élevé de formes produites permet de mieux cerner les difficultés rencontrées dans le processus d’élaboration de celles-ci. La dernière partie de l’analyse formelle du passé composé a pour objectif de vérifier dans quelle mesure les formes produites du passé composé dans les trois corpus sont ‘item-based’. Pour ce faire, nous examinerons la fréquence des formes provenant des divers types de verbes dans les productions des apprenants NN1, NN3 et NN6. Trois des quatre apprenants NN1 utilisant le passé composé ne produisent qu’une seule forme. Par contre, six des seize apprenants NN3 (37,5%) emploient plus qu’un seul type de verbe et ce nombre d’apprenants augmente à dix-neuf ou 67,8% dans le groupe NN6. Dès lors, si l’emploi du passé composé est sans doute encore ‘item-based’ dans le groupe NN1, la possibilité qu’il le soit toujours dans les productions des apprenants NN3 et NN6 est peu probable. Ensuite, quant à l’emploi formel de l’imparfait, les formes produites sont toutes correctes aussi bien dans le corpus NN3 que dans le corpus NN6. Remarquons toutefois qu’il n’est pas exclu qu’était et avait soient encore des formes du type ‘item-based’. En dernier lieu, il reste l’emploi formel du plus-que-parfait par les apprenants NN6. Dans deux des huit cas, l’auxiliaire avoir est utilisé là où être serait approprié (7a-b). Les six autres formes du plus-que-parfait sont formellement correctes. 7. a. NN6-Sn7 : le petit garçon avait tombé de cet arbre. b. NN6-Sn7 : le petit garçon avait tombé dans l’eau de ce vallée. 3.3.1.2. Emploi fonctionnel L’emploi fonctionnel du passé composé est encore relativement instable dans les productions des apprenants NN1 et NN3. Seulement deux des six formes (33,3%) dans le corpus NN1 et douze des trente et une formes (38,7%) dans le corpus NN3 sont employées dans un contexte du passé (8a-b). L’emploi devient plus stable dans les productions des apprenants NN6 : le pourcentage de formes ancrées dans un contexte du passé augmente à 65,2%. Les autres formes du passé composé produites 74 Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard par les trois groupes d’apprenants marquent, soit un contexte du présent, soit un contexte ambigu qui peut référer aussi bien au présent qu’au passé (9a-c) : 8. a. NN1-227 : ils voient euh (que) le grenouille est parti. b. NN3-788 : il est derrière de l’arbre qui est tombé. 9. a. NN1-176 : le grenouille est ne pas dans la boîte. le chien et le garçon a regardé pour le grenouille. b. NN3-797 : il tombe dans dans l’eau avec son chien. Il court euh au bout de l’eau et euh il il a entendu des bruits. Euh il euh va regarder. Et il trouve les petits animaux avec leur enfant. c. NN6-635 : dans la nuit le garçon et le chien s’endorment. Et le grenouille s’échappe au au bocal. Dans le matin le garçon et le chien euh a euh dé- euh euh découvert que le bocal est vide. Et euh le garçon s’habille. Comme au passé composé, l’imparfait apparaît encore souvent dans des contextes ambigus. La relation forme/fonction y est donc encore instable, aussi bien dans le corpus NN3 que dans le corpus NN6 (10a-c) : 10. a. NN3-606 : c’est un garçon avec son chien. on regardait d’un grenouille. le chien et le garçon va euh va dormir. b. NN3-791 : il prend ses animaux et son animal et euh euh ja était à la maison. c. NN6-Le13 : alors le garçon voit une hol [= un trou]. il pense que la grenouille est // était là. Alors il voit une animaux qui n’est pas son grenouille. La même conclusion vaut pour l’emploi fonctionnel du plus-que-parfait : les apprenants NN6 produisent encore souvent ce temps du passé dans des contextes inappropriés (11) : 11. NN6-Sn7 : il crie le nom de sa grenouille partout même dans la forêt. quand ils étaient arrivés à un bijenkorf [= nid d’abeilles] euh le chien avait fait tomber le ruche d’abeilles. le petit garçon cherche dans les arbres sa grenouille. 3.3.2. Les temps du futur L’emploi du futur simple et du futur périphrastique par deux apprenants NN6 est formellement et fonctionnellement approprié. Divers types de variation dans le développement de la morphologie TAM 75 4. Les marques de modes 4.1. Variation développementale a) Nous n’avons repéré dans le corpus NN1 qu’un seul contexte qui pourrait être analysé comme un contexte du subjonctif. L’énoncé (12) peut effectivement être interprété de deux façons : soit l’apprenant a l’intention de produire une proposition infinitive (pour trouver le frog), soit il veut produire une locution conjonctive impliquant l’emploi d’un subjonctif (pour qu’il trouve le frog) : 12. NN1-101 : le garçon appelle # pour le trouve le frog dans le bois. Cet énoncé mis à part, nous n’avons relevé aucun contexte qui impose une forme du subjonctif dans le corpus NN1. Cette tendance perdure dans le corpus NN3 : les apprenants ne produisent ni contextes ni formes du subjonctif dans leur narration. Deux facteurs peuvent expliquer ce constat : les apprenants NN1 et NN3 n’ont pas encore appris ce mode verbal et/ ou le mode de production de l’histoire n’a pas atteint le niveau de complexité requérant l’emploi de structures exigeant un subjonctif. La pertinence de ces deux facteurs est soulignée par l’apparition de quatre contextes pour un subjonctif dans les productions des apprenants plus scolarisés (NN6). Toutefois, dans trois des quatre contextes, c’est l’indicatif qui est utilisé à la place du subjonctif (13a-c). Quant à la forme embarrasse dans (13d), il est impossible de trancher s’il s’agit d’une forme du subjonctif ou de l’indicatif présent. 13. a. NN6-641 : le chien est content qu’il est libéré. b. NN6-814 : il(s) semble(nt) content(s) que le petit Froggy peut aller avec le petit garçon. c. NN6-814 : il est vraiment content qu’il avait encore un Froggy. d. NN6-628 : les abeilles ils ne veut plus que le chien l’embarrasse // l’em-. b) L’impératif n’apparaît jamais dans les narrations des apprenants NN1 et NN3 et une seule fois dans les narrations des apprenants NN6. La présence minimale de ce mode verbal est sans doute liée à la nature narrative de la tâche. 14. NN6-Sn13 : et les parents disent «ah emmène Fien.» c) Nous avons relevé un emploi accru de l’infinitif dans les corpus NN3 et NN6. Si les apprenants NN1 ne produisent aucune forme infinitive, le nombre d’occurrences 76 Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard augmente de deux dans le corpus NN3 et passe à neuf dans le corpus NN6. Dans tous les cas, c’est la préposition pour qui précède la forme infinitive : 15. a. NN3-607 : il va décider pour se trouver le pad avec le chien. b. NN6-635 : le garçon s’habille pour chercher sa grenouille. d) Nous n’avons retrouvé aucun participe dans les narrations des apprenants NN1. Par contre, la narration de l’apprenant NN1/141 présente une forme approximative du gérondif (16a-b). N’ayant pas encore appris cette forme, l’apprenant tente d’exprimer la valeur du gérondif au moyen d’autres éléments linguistiques. Ces deux constructions témoignent de l’efficacité du système interlangagier de l’apprenant L2. En dépit du fait que l’apprenant n’a pas encore acquis la formation et l’emploi du gérondif, il réussit à transmettre la valeur de cette forme en ayant recours aux moyens linguistiques dont il dispose. 16. a. NN1-141 : avec le chercher/é le chien tombe. b. NN1-141 : le chien où le chercher/é euh le chien begaat une grande faute. Nous avons relevé un participe présent dans le corpus NN3 et trois participes passés dans le corpus NN6 (17a-b). 17. a. NN3-605 : et euh cherch- cherchant il euh il il euh il trouve euh... b. NN6-636 : il va voir derrière un arbre tombé. 4.2. Variation individuelle L’examen de la variation individuelle caractérisant l’emploi des différents modes ne peut porter que sur les groupes NN3 et NN6, étant donné que nous n’avons relevé de marques modales que dans la production orale de ces deux groupes. Le tableau 5 nous apprend que le pourcentage d’apprenants produisant les quatre types de marques modales est plus élevé dans le groupe NN6 que dans le groupe NN3. Toutefois, même dans le groupe NN6, le nombre d’apprenants qui emploient les différents modes reste très restreint. Tableau 5 : Variation individuelle caractérisant l’emploi des différents modes % d’apprenants subjonctif impératif infinitif participe NN1 / / / / NN3 / / 8% 4% NN6 10% 3,3% 20% 10% Divers types de variation dans le développement de la morphologie TAM 77 4.3. Variation du système de l’IL Il est impossible d’examiner la variation caractérisant l’emploi du subjonctif dans les productions des apprenants NN1 et NN3 puisqu’il n’y apparaît pas. En ce qui concerne son emploi dans le corpus NN6, nous observons qu’il n’est pas encore stabilisé dans l’interlangue de ces apprenants. Ils produisent des contextes requérant le subjonctif, mais ils n’arrivent pas à produire des formes subjonctives adéquates dans ces contextes. Vu l’absence de formes produites, il est impossible de commenter la variation interlangagière touchant l’emploi de l’impératif. L’emploi (limité) du troisième mode étudié, l’infinitif, paraît stable dans l’interlangue des apprenants NN3 et NN6. Pour ces deux groupes, il semble lié à l’emploi d’une proposition subordonnée visant à exprimer le but (pour + infinitif). Les rares occurrences d’un participe dans les corpus NN3 et NN6 témoignent d’un début d’emploi stable de ce mode, alors que ce type de formes n’apparaît pas encore dans l’interlangue des apprenants NN1. 5. Les marques aspectuelles 5.1. Variation développementale 5.1.1. Aller + infinitif Les trois corpus sont caractérisés par un emploi important du verbe aller dans son acception aspectuelle. Le nombre d’occurrences passe de vingt dans le corpus NN1 à quarante et une dans le corpus NN3 et à soixante et une dans le corpus NN6. Aller exprime dans presque tous ces énoncés une valeur aspectuelle, qu’elle soit ‘de mouvement’ (‘partir’) ou ‘dispositionnelle’ (‘se trouver dans la situation de’) (18a-b). La valeur temporelle de ‘futur’ n’apparaît qu’une fois dans le corpus NN3 et une fois dans le corpus NN6 (19a-b). Notons que, dans 19a et 19b, la forme va tend vers la valeur temporelle de futur, mais pour exprimer une nuance d’obligation (« il dit au chien que à partir ce moment il doit se taire »). 18. a. NN1-4 : le grenouille va partir. b. NN3-604 : il va chercher dans la chambre. 19. a. NN3-800 : il dit à le chien qu’il va se taire b. NN6-817 : il dit que le chien va se taire. 78 Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard 5.1.2. Être + infinitif/participe passé La structure ‘être + infinitif/participe passé’ apparaît dans les narrations des trois groupes d’apprenants. À notre avis, les apprenants s’en servent pour exprimer une valeur durative. Noyau et al. (1995 : 178, 205) ont retrouvé des formes similaires dans la production d’apprenants arabophones : la construction /e/-V est utilisée pour exprimer un état incomplet ou imperfectif (la construction /ma/-V réfère à des actions accomplies ou perfectives). Parallèlement, Von Stutterheim (1991) a observé que les apprenants d’allemand L2 emploient la forme sein + infinitif pour marquer l’imperfectivité (ich bin Deutschland arbeiten) (cf. Starren 2001 : 89). Nous remarquons que le nombre d’occurrences de cette structure varie dans les trois corpus : elle apparaît six fois dans le corpus NN1, vingt-trois fois dans le corpus NN3 et une seule fois dans le corpus NN6. Dans ce dernier corpus, nous rencontrons par contre trois occurrences d’ ‘être en train de’, suivies d’un infinitif, la structure appropriée pour exprimer une valeur durative : 20. a. NN1-176 : le chien est jouer/é avec la herbe. b. NN3-793 : l’animal est courir. c. NN6-809 : mais quand il est dormir. 5.1.3. Autres auxiliaires modaux/aspectuels Outre les verbes aller et être, on rencontre d’autres auxiliaires suivis d’un infinitif dans les productions des trois groupes d’apprenants. L’exploitation quantitative de ces auxiliaires modaux et aspectuels permet de distinguer les groupes NN1 et NN3 du groupe NN6 : là où les apprenants NN1 et NN3 produisent respectivement trois et six occurrences, les apprenants NN6 en emploient cinquante-huit. Cette extension quantitative spectaculaire va évidemment de pair avec une extension qualitative de la gamme d’auxiliaires utilisés. Nous retrouvons trois auxiliaires différents suivis d’un infinitif dans le corpus NN1 : aider, demander et devoir. Cet éventail s’étend vers une série de nouvelles formes dans le corpus NN3 : voir, décider, dire, essayer et faire. Dans le corpus NN6, enfin, l’exploitation des auxiliaires modaux ou aspectuels dépasse largement leur utilisation par les autres groupes. On trouve entre autres les auxiliaires suivants : commencer à, continuer à, laisser, vouloir, pouvoir, obliger à, etc. 21. a. NN1-125 : le garçon fait au le chien il doit être silence. b. NN3-607 : il va deman- décider pour se trouver le pad. c. NN6-Le10 : il continue à chercher le grenouille. Divers types de variation dans le développement de la morphologie TAM 79 5.2. Variation individuelle Le tableau 6 résume pour chaque groupe le pourcentage d’apprenants produisant les trois types d’auxiliaires distingués. Tableau 6 : Variation individuelle caractérisant l’emploi de marques aspectuelles % d’apprenants aller + inf. être + inf./part. autres auxiliaires NN1 36,7% 16,7% 10% NN3 52% 40% 24% NN6 93,3% 3,3% 80% Il ressort du tableau ci-dessus que le pourcentage d’apprenants produisant l’auxiliaire aller dans son acception aspectuelle et d’autres auxiliaires qu’aller et être (commencer à, essayer de, vouloir, etc.) est plus élevé dans le corpus NN3 que dans le corpus NN1 et qu’il continue encore à augmenter dans le corpus NN6. Par contre, le pourcentage d’apprenants qui emploient l’auxiliaire être suivi d’un infinitif ou d’un participe passé augmente dans le corpus NN3 mais subit une forte baisse dans le corpus NN6. 5.3. Variation du système de l’IL Une première remarque concerne l’expression de l’aspect duratif/imperfectif par les deux premiers groupes d’apprenants. Afin de rendre cette valeur, ils ont développé un système particulier et relativement stable dans leur interlangue, qui consiste à employer l’auxiliaire être suivi d’un infinitif ou d’un participe passé. Cette stratégie semble relativement générale dans l’acquisition du français dans la mesure où on la retrouve chez des apprenants de langue source assez différente (cf. Noyau et al. (1995) et Von Stutterheim (1991)). Elle a par contre quasiment disparu dans l’interlangue des apprenants NN6. Dans les narrations de ce dernier groupe, nous avons par contre relevé l’apparition du tour approprié pour exprimer l’aspect duratif (être en train de). Une deuxième remarque vise l’emploi d’autres auxiliaires aspectuels (aller (dans son acception aspectuelle), devoir, dire, etc.). Ces formes paraissent à première vue assez stables dans l’interlangue des trois groupes d’apprenants. Toutefois, dans le cas des groupes NN1 et NN3, la fréquence et la variété ne sont pas suffisantes pour conclure qu’il s’agit bien là d’un emploi structurel intégré dans l’interlangue et non pas d’un emploi ‘item-based’. 80 Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard 6. Discussion et conclusions 6.1. Variation développementale Le processus d’acquisition de la morphologie TAM est caractérisé par un degré de variation développementale important qui affecte les trois domaines étudiés : les marques temporelles, modales et aspectuelles. Nous résumons brièvement à l’aide du tableau 7 les spécificités du parcours développemental des temps du passé/ futur, des modes et des auxiliaires aspectuels/modaux : Tableau 7 : Parcours développemental du système TAM passé composé imparfait plus-que-parfait futur périphr/ simple subjonctif (contexte) impératif infinitif participe aller+inf. être+inf./part.passé autres auxiliaires NN1 + / / / / / / / + + + NN3 ++ + / / / / + + ++ +++ ++ NN6 +++ ++ + + + + ++ ++ +++ + ++++ +: le marquage apparaît dans le corpus / ++/+++/++++: croissance du marquage par rapport aux autres corpus Le tableau 7 nous apprend que l’emploi de la plupart des marques temporelles, modales et aspectuelles se développe graduellement dans les corpus NN3 et NN6 (augmentation du nombre d’occurrences marquées dans le corpus NN3 par rapport au corpus NN1 et dans le corpus NN6 par rapport au corpus NN3). L’emploi de certains temps (plus-que-parfait, futur) et de certains modes (subjonctif, impératif) ne commence à apparaître que dans le discours des apprenants NN6, alors que le verbe être suivi d’un infinitif ou d’un participe passé n’apparaît pratiquement plus dans les productions de ce dernier groupe d’apprenants. Soulignons enfin l’extension quantitative et qualitative spectaculaire des verbes aspectuels/ modaux dans le corpus NN6. Nous renvoyons dans ce cadre à deux études préliminaires qui ont montré que l’emploi de ces auxiliaires est un critère important pour distinguer entre les niveaux d’acquisition des stades avancés (Housen, Kemps et Pierrard : 2009 ; à paraître). Divers types de variation dans le développement de la morphologie TAM 81 6.2. Variation individuelle L’examen du degré de variation individuelle dans les trois groupes d’apprenants a d’abord mis en évidence que l’emploi d’une marque temporelle/modale/aspectuelle n’apparaît jamais dans les narrations de tous les apprenants des groupes NN1, NN3 et NN6. En d’autres mots, l’emploi de ces marques implique toujours un certain degré de variation individuelle. Ensuite, les observations nous montrent que le pourcentage d’individus produisant des marques temporelles, modales et aspectuelles augmente presque toujours proportionnellement au niveau de scolarisation des trois groupes d’apprenants. Ainsi, les apprenants NN3 sont plus nombreux à employer les temps du passé, les différents modes et les auxiliaires modaux et aspectuels que les apprenants NN1 et une évolution semblable a été décrite entre les apprenants NN6 et NN3. La progression développementale des marques temporelles, modales et aspectuelles dans les productions des trois groupes d’apprenants, décrite dans le point 6.1., va donc de pair avec un nombre plus élevé d’apprenants produisant ces marques. La seule exception à cette règle concerne l’emploi du verbe être suivi d’un infinitif ou d’un participe passé, qui décline du groupe NN3 au groupe NN6. 6.3. Variation dans le système de l’interlangue L’emploi formel des temps du passé (passé composé, imparfait, plus-que-parfait) est relativement stable dans l’interlangue des trois groupes d’apprenants : la plupart des formes du passé produites par les apprenants NN1, NN3 et NN6 sont correctes. Rappelons cependant que les formes du passé composé dans le corpus NN1 et les formes était et avait dans les corpus NN3 et NN6 sont peut-être ‘item-based.’ Par contre, l’emploi fonctionnel des trois temps du passé reste relativement instable dans les narrations des trois groupes d’apprenants : nous avons retrouvé plusieurs formes passées dans des contextes de présent ou des contextes ambigus. Les deux occurrences du futur simple et du futur périphrastique sont appropriées aussi bien sur le plan formel que fonctionnel. Cependant, ce nombre est évidemment trop bas pour pouvoir formuler des conclusions générales sur la variation dans le système de l’interlangue des apprenants. Cette dernière remarque vaut également pour l’emploi des quatre modes étudiés (subjonctif, impératif, infinitif, participe). La relation forme/fonction de l’infinitif et du participe semble à première vue assez stable dans l’interlangue des apprenants NN3 et NN6. Pourtant, les quelques cas relevés ne permettent pas de généraliser ce résultat. Pour ce qui concerne le subjonctif, nous rappelons que bien que les apprenants NN6 génèrent des contextes requérant le subjonctif, aucune forme subjonctive n’est effectivement produite par ces apprenants. 82 Nancy Kemps, Alex Housen et Michel Pierrard Enfin, l’emploi des marques aspectuelles est relativement stable dans l’interlangue des trois groupes d’apprenants. Cependant, l’emploi de l’auxiliaire être suivi d’un infinitif ou d’un participe passé, emploi qui surgit chez les apprenants NN1 et se développe fortement dans le groupe NN3, disparaît de l’interlangue des apprenants NN6. Chez ces derniers, nous avons par contre relevé la structure appropriée pour exprimer la valeur durative (être en train de). Enfin, pour ce qui est des formes modales et aspectuelles produites par les groupes NN1 et NN3, il n’est pas sûr que la fréquence et la variété soient suffisantes pour exclure un emploi ‘item-based’ de ces formes. Bibliographie Bardovi-Harlig, K. 2000 : Tense and Aspect in Second Language Acquisition : Form, Meaning, and Use. ���������������������� Malden MA : Blackwell. Bartning I. et Schlyter, S. 2004 : Itinéraires acquisitionnels et stades de développement en français L2. French Language Studies 14. 281-299. Besse, H. et Porquier, R. 1991 : Grammaires et didactique des langues. Langues et apprentissage des langues. Paris : Hatier/Didier. Giacalone Ramat, A. 1992 : Grammaticalisation processes in the acquisition of temporal and modal relations. Studies in Second Language Acquisition 14. 297-322. Housen, A., Kemps, N. et Pierrard, M. 2009 : The use of verb morphology of advanced L2 learners and native speakers of French. The Advanced Learner Variety : the case of French. Éd. Labeau, E. et Myles, F. Bern : Peter Lang. Housen, A., Kemps, N. et Pierrard, M. à paraître : Le développement de la morphologie verbale chez des apprenants avancés de FLE : apports et limites du contexte instructionnel. Actes du colloque Recherches sur l’acquisition et la didactique des langues étrangères et secondes, disponible sur le site www.groupelca.org/h/colloque2006/actes.html. Mayer, M. 1969 : Frog, where are you? New York : Dial. Noyau, C., Houdaifa, E.-T., Vasseur, M.-T. et Véronique, D. 1995 : The acquisition of French. The acquisition of temporality in a second language. Éd. Dietrich, R., Klein, W. et Noyau, C. Amsterdam : Benjamins. 145-209. Py, B. 1980 : Quelques réflexions sur la notion d’interlangue. Travaux neuchâtelois de linguistique (TRANEL) 1 . ������ 31-54. Starren, M. 2001 : The Second Time. The Acquisition of Temporality in French and Dutch as a Second Language. Utrecht : LOT. von Stutterheim, Ch. 1991 : Narrative and description : temporal reference in second language acquisition. Crosscurrents in second language acquisition and linguistic theories. Éd. ���� Huebner, ����������������������������������������������������������� T. et Ferguson, C. Amsterdam : Benjamins. 358-403. Meri Larjavaara Penser (à) l’emploi : schémas actanciels dans deux genres de textes 1. Introduction Le point de départ de cette étude est la constatation guère surprenante que certains verbes peuvent apparaître dans plusieurs schémas actanciels. Dans le cas de ces verbes, plusieurs schémas actanciels – c’est-à-dire plusieurs configurations de sujets et d’objets, ou plusieurs constructions – sont donc attestés. Ces schémas actanciels différents peuvent être reliés à différents sens, comme dans le cas de l’exemple (1), ou sembler être en variation libre, comme dans l’exemple (2) (exemples construits) : 1. Luc sert le dessert. Ces fruits servent de dessert. 2. Les participants discutent une question. Les participants discutent d’une question. Les participants discutent sur une question. Lors de l’analyse de ces schémas actanciels, il est, naturellement, également tenu compte des propriétés sémantiques requises par chaque schéma (animé ou inanimé, abstrait ou concret, etc.). Selon les courants linguistiques fonctionnels, tels la grammaire cognitive (Cognitive Grammar : Langacker 1991) et la grammaire des constructions Université d’Åbo Akademi. Je ����������������������������������������� remercie Virginie Suzanne de son aide. ����������������������������������������������������������������������������������� La question de savoir si ce sont des homonymes ou des mots polysémiques n’est pas discutée ici. ��������������������������������������������������������������������������������������� La variation dite libre peut naturellement être sujette à des différences de fréquence considérables. Meri Larjavaara 84 (Construction Grammar : voir p. ex. Goldberg 1995 et Grammatical Constructions 2005), une variation n’est pourtant jamais gratuite. Il peut s’agir de différences entre différentes variétés de la langue – variétés régionales, sociolinguistiques, stylistiques – ou il peut être question d’une différence de sens. Mises à part les différences entre les différentes variétés de la langue, puisque celles-ci constituent un autre type de problématique, la langue a tendance à essayer d’atteindre l’équilibre économique « une forme – un sens », et elle ne maintiendrait une situation à deux formes correspondant à un sens que pendant un moment de recherche d’équilibre. Les deux formes auraient donc tendance à avoir des sens différents. 2. Le cas du verbe penser Le verbe penser fait partie de ces verbes pouvant figurer dans plus d’un schéma actanciel. En ce qui le concerne, il semble clair qu’il y a une différence sémantique entre les deux schémas actanciels dans lesquels il figure avec un syntagme nominal et qui nous intéressent, l’un avec un complément indirect et la préposition à, l’autre avec un objet direct. Blinkenberg (1960 : 169–170) compare les deux énoncés (a) et (b) sous (3) : 3a J’ai pensé longuement à ce livre avant de l’écrire. 3b J’ai pensé longuement ce livre avant de l’écrire. Il formule leur différence sémantique, nette selon lui, de la façon suivante : « La différence est ici celle d’un rapport de direction à un rapport de création. » La transitivité directe entraînerait donc avec elle un objet effectué, un objet produit du procès (c’est le « rapport de création »). Avec de nombreux exemples, Blinkenberg précise plus haut (p. 169) : « Penser est directement transitif lorsqu’il s’agit d’indiquer le contenu même de la pensée ; il l’est également, avec une certaine recherche de style, dans un domaine intermédiaire entre ‘contenu’ et ‘direction’ de la pensée ». Blinkenberg parle donc, en plus de la différence sémantique, d’une « recherche de style » : il constate qu’il peut y avoir une différence stylistique entre les deux emplois. Blinkenberg est loin d’être le seul à avoir constaté cette différence sémantique. Pour sa part, François (1998 : 185) écrit que dans J’ai pensé à ce problème la relation entre les deux participants, ‘moi’ et ‘le problème’, est celle d’un agent et Penser (à) l’emploi : schémas actanciels dans deux genres de textes 85 d’un localisateur, tandis que dans le cas de J’ai pensé et repensé ce problème, le référent de l’objet est affecté par le procès. Il peut paraître néanmoins difficile de comprendre concrètement ce que les auteurs veulent dire ici par un « rapport de direction » ou un « localisateur », liés à l’emploi de la préposition à – ne s’agirait-il pas simplement de ce qui est suggéré par le sens premier, concret et non métaphorique, de à ? Il semble que ce soient deux façons de dire que le référent du complément du verbe reste aliénable du référent du verbe, c’est-à-dire que leur lien sémantique est peu étroit. Si, d’autre part, nous considérons la dichotomie classique objet effectué (produit du procès) / objet affecté (affecté par le procès), les deux analyses peuvent paraître contradictoires : François parle d’un référent de l’objet affecté, Blinkenberg d’un objet effectué. Mais en fait il peut être constaté que si nous prenons comme critère d’un haut degré de transivité sémantique d’une construction l’effet qu’a le procès sur le référent de l’objet, c’est-à-dire son degré d’affectation, il est clair qu’un objet effectué peut être considéré comme hautement transitif : le procès engendre le référent et donc l’affecte d’une façon cruciale (voir Larjavaara à paraître). Ces deux propriétés peuvent donc être unifiées quand il est question du degré de transitivité sémantique. Pour revenir au verbe penser, dans une étude plus récente, François (2003 : 129) fait remarquer que le verbe penser « est un verbe fondamentalement transitif indirect qui a développé au cours du 20ème siècle des emplois transitifs (à syntagme nominal, ex penser la révolution). » Il précise (p. 130) que l’emploi transitif peut être rencontré surtout dans les essais et les textes scientifiques et très marginalement dans les belles lettres. Ce serait donc, en plus de la différence sémantique, une question de genre, l’un des schémas actanciels appartenant surtout à un genre spécifique. François rejoint en ceci la remarque de Blinkenberg sur la « recherche de style ». Si cet emploi à objet direct se trouve surtout dans un certain genre de textes, comme l’indique François, il est question d’une distinction sémantique qui est renforcée par sa qualité stylistique. C’est en ceci que le thème de cette étude rejoint la thématique générale du colloque : il s’agit de voir si le genre de texte – le contexte – influence la gamme des possibilités sémantiques proposées par les différents schémas actanciels d’un verbe. Dans la présente étude, c’est l’emploi du verbe penser dans deux genres textuels distincts qui nous intéresse : d’une part, un français hautement normatif mais non littéraire (dont parle François), de l’autre, un français également écrit mais relâché, et, comme point de comparaison, je prendrai des emplois littéraires de ce verbe. 86 Meri Larjavaara 3. Corpus Je suis partie à la recherche d’occurrences intéressantes en effectuant des recherches sur Frantext et sur WebCorp (au cours du printemps 2008). Selon ce qui était mon intention au départ – voir quel était l’usage dans un français hautement normatif mais non littéraire –, j’ai d’abord fait mes recherches sur Frantext uniquement sur des textes non littéraires. J’ai choisi les textes « après 1980 » et ai abouti à 68 textes. Sur ce même corpus, j’ai fait mes recherches pour penser avec un syntagme nominal qui suit directement le verbe ou avec un complément en à + SN également directement après le verbe. Comme le corpus n’était pas catégorisé, les syntagmes nominaux ont été détectés grâce aux articles définis ou indéfinis. De ce fait, ce procédé a exclu, malheureusement, beaucoup d’occurrences intéressantes : tout ce qui était inversion ou insertion d’un élément entre le verbe et son complément, par exemple. Il ne m’a permis que de repérer les syntagmes nominaux avec article défini ou indéfini qui viennent juste après la forme verbale et pas les autres (nom propre, propositions entières ...). Ce type de limitations fait cependant partie des problèmes difficilement évitables rencontrés lors d’une recherche sur corpus informatisé. Finalement, pour pouvoir faire une comparaison, j’ai aussi lancé une recherche sur les textes littéraires (poésie, roman, théâtre) de la même période (129 textes), puisque sur WebCorp, où j’avais pensé trouver des occurrences du verbe dans un contexte relâché, les résultats bruts de la recherche ont été beaucoup moins nets. Le logiciel ne permet pas d’exclure tous les autres lexèmes (pension ...), et il y a en outre des répétitions d’occurrences. À ce stade, le logiciel n’a pas permis d’obtenir de résultats fiables et ceux-là ne serviront donc que de point de comparaison vague. En ceci la collecte du corpus n’a pas été réussie et ne permet que de détecter des tendances qui ne permettent pas de faire de conclusions sur la fréquence, entre autres (voir la communication de Pierre Larrivée et de Ramesh Krishnamurthy sur les problèmes liés à l’usage de l’internet comme corpus). Il faut également souligner que le nombre de cas disqualifiés a été vraiment considérable. Par disqualifié, je veux dire que la construction repérée n’a pas correspondu du tout au lexème penser (mais à pension, par exemple), que le complément qui suit n’a pas été objet direct ou indirect du verbe mais plutôt une parenthèse, une insertion, etc. �������������������������������������� Nombres des occurrences trouvées dans Frantext : (a) textes non littéraires, avec préposition à : 232 occurrences dont 13 disqualifiées → 219 occurrences (b) textes non Penser (à) l’emploi : schémas actanciels dans deux genres de textes 87 Ainsi, le procédé que je viens de décrire m’a permis de repérer les objets directs ou indirects avec SN doté d’un article défini ou indéfini suivant directement le verbe. 4. Analyse du corpus 4.1. Différences sémantiques entre compléments en SN et en à + SN Le complément « traditionnel » avec la préposition à renvoie à un référent vers lequel la pensée se dirige (« direction », « localisation » selon les différents auteurs) : 4. Quand je pense à un ami, je ne puis rester dans l’abstraction, j’évoque des situations, donc des cadres. [Frantext : Antoine Blondin 1982] Le référent du SN reste totalement aliénable du procès. Il convient d’ailleurs de noter que dans ce corpus la locution faire penser à + SN est extrêmement fréquente : 5. Son regard immobile, inexpressif, me fait penser au regard des fauves. [Frantext : Nathalie Sarraute 1983] Il est question alors de quelque chose de peu conscient, d’une idée qui « tombe du ciel » – c’est-à-dire que le procès de penser est très peu intentionnel. En ce qui concerne le verbe transitif penser à objet direct, il a donc été constaté, comme je l’ai indiqué plus haut, que l’objet serait un objet effectué, c’est-à-dire un objet produit du procès, qui exprime ce que le procès crée. L’exemple suivant illustre bien la chose (exemple emprunté à Larjavaara 2000 : 205) : 6. « [...] En fait, entre vingt et trente ans, tu penses ta vie. Tu prends le temps de te trouver, de réfléchir ...» [Marie Claire 6/1998 : 82] La vie est créée à cet âge-là, c’est alors qu’on en fait ce que l’on veut. Cette distinction sémantique se trouve également dans le corpus du présent travail. L’objet (direct) est, effectivement, souvent effectué : 7. Ce n’est que gorgé de compagnie et de vin que j’ai pu penser une telle ânerie. [Frantext : Hervé Guibert 2001] littéraires, objet direct : 135 occurrences dont 101 disqualifiées → 34 occurrences (c) textes littéraires, objet direct : 189 occurrences dont 162 disqualifiées → 27 occurrences. 88 Meri Larjavaara Cependant, il ressort clairement du corpus une autre propriété sémantique de la construction directe : 8. Quel est votre sentiment ? - Avant tout, je veux exprimer un sentiment très profond : nous devons penser les problèmes du Proche-Orient en termes de paix, nous devons avant toute chose vouloir un règlement qui assure la paix. [Frantext : Pierre MendèsFrance 1990] 9. [...] : la mode est née. Penser la mode requiert que l’on renonce à l’assimiler à un principe inscrit nécessairement et universellement dans le cours du développement de toutes les civilisations [...] [Frantext : Gilles Lipovetsky 1987] Dans ces exemples, au lieu de les considérer comme des occurrences d’objets effectués, c’est plutôt le caractère fortement transitif par d’autres paramètres que ceux qui définissent un objet effectué qui ressort : il s’agit d’un procès où le rôle du sujet est fort agentif. Dans les deux cas – objet effectué (c’est-à-dire produit du procès) et référent du sujet agentif – on s’approche d’un haut degré de transitivité sémantique (voir Lazard 1994 : 245, entre autres) si celle-ci est définie comme étant la sémantique d’un énoncé prototypiquement transitif (pour une discussion sur la transitivité, voir également Kittilä 2002 et Næss 2003). Ces constructions transitives directes du verbe penser suivraient donc le modèle de la transitivité sémantique, comme le propose Goldberg (1995 : 116–119) : la construction transitive, avec objet direct, est parfois supposée porter un sens à elle – un sens qui la rapprocherait d’une phrase transitive prototypique avec objet ayant clairement le rôle de patient et sujet portant le rôle d’un agent prototypique. Il semble que pour l’emploi à objet direct du verbe penser ce soit le caractère agentif du référent du sujet qui est décisif. En témoigne également l’exemple suivant (qui n’appartient pas au corpus décrit plus haut) : 10. [Chapeau p. 16 :] « L’ancien directeur de ‘Marianne’ entend désormais se consacrer à penser l’évolution du monde. C’est la crise de l’idée de progrès qui le taraude » [Début du texte :] « Depuis trente ans, en marge de mes activités de journaliste et de directeur de journaux, j’ai toujours mené une réflexion sur l’évolution, qu’elle soit naturelle ou sociale. » [Dernier paragraphe de l’article p. 17 :] « Aujourd’hui, à 70 ans, j’ai définitivement quitté le journalisme, mais j’entends poursuivre ma réflexion sur la gravissime crise de la presse aujourd’hui. Il faut tout repenser. J’ai une nouvelle vie. [...] » [Le Nouvel Observateur 2268 24 avril 2008] En analysant l’emploi transitif du verbe penser (repenser) dans cet exemple et en le comparant au contexte et aux deux occurrences de mener une/poursuivre sa Penser (à) l’emploi : schémas actanciels dans deux genres de textes 89 réflexion qu’on y trouve, nous pouvons noter qu’il s’agit d’un procès hautement agentif, caractéristique de l’usage transitif du verbe. La différence sémantique entre les deux usages semble donc confirmée par ce corpus. En ce qui concerne l’emploi transitif du verbe, l’usage transitif serait motivé d’une part par le caractère effectué du référent de l’objet direct du verbe penser, et de l’autre, par l’agentivité du référent de son sujet. 4.2. Différences entre les genres textuels La construction transitive serait donc typiquement trouvée dans les genres peu littéraires (« essais » et « textes scientifiques » selon François), qui peuvent être appelés ici son genre prioritaire. Mais, en analysant le corpus, il a pu être constaté qu’elle peut être trouvée également, bien que de façon moins fréquente, dans des textes littéraires ou relâchés. Qu’en est-il alors de cet emploi de la construction transitive dans des genres auxquels elle n’appartiendrait pas d’une façon prioritaire ? Il semble que le sémantisme agentif soit surtout lié à l’usage dans les textes non littéraires mais normatifs, c’est-à-dire appartenant à son genre prioritaire. Si dans la partie non littéraire du corpus tiré de Frantext beaucoup des occurrences peuvent être rangées sous l’étiquette « emploi transitif motivé par l’agentivité du référent du sujet », dans la partie littéraire du corpus c’est loin d’être le cas. En ce qui concerne les objets du verbe penser, parmi les occurrences transitives dans la partie littéraire du corpus, à peu près la moitié semblent être au moins partiellement lexicalisées : il est question d’objets du type penser la même chose / le contraire / le pire. Ces compléments ne sont pas référentiels ; ils ont une fonction plutôt adverbiale. 11.Je sais qu’il pense la même chose. Entre nous les mots servent à autre chose. [Frantext : Evane Hanska 1984] Dans la partie littéraire du corpus tiré de Frantext, en plus des cas lexicalisés au moins à un certain degré, la motivation par le caractère effectué de l’objet semble être plus courante que celle par l’agentivité du référent du sujet, contrairement à ce qui se passe dans les cas non littéraires. Les occurrences trouvées à l’aide de WebCorp – langage relâché d’Internet – correspondent à cette même constatation. En plus des cas lexicalisés au moins à un certain degré, on y trouve un exemple d’objet effectué très clair (sans mentionner les occurrences du type ce site est bien pensé qui témoignent du même phénomène) : 12. Microsoft a bien pensé le système : [WebCorp : http://mhmag.free.fr/zine/efs/EFS. TXT] Meri Larjavaara 90 5. Pour conclure Nous constatons donc une différence d’usage, les textes non littéraires mais hautement normatifs profitant davantage de la possibilité d’une construction transitive du verbe penser. Pour les textes littéraires ou relâchés cet emploi est plus marginal. Ceci confirme donc ce qu’avait dit François (2003). La différence sémantique entre les deux constructions possibles, transitive ou en à + SN, est également confirmée en plus d’être nuancée. Le caractère effectué de l’objet n’est pas seul décisif, mais toute la sémantique transitive est à considérer et notamment l’agentivité du référent du sujet. D’une façon intéressante, les différents genres semblent profiter différemment de la différence sémantique entre les deux constructions : • • genre non littéraire normatif : usage transitif relativement fréquent, motivé surtout par l’agentivité du référent du sujet genre littéraire ou relâché : usage transitif moins fréquent, motivé surtout par le caractère effectué de l’objet Le lexème a donc différents usages possibles dans différents genres. Bien que le noyau de son sens reste le même, son sens mis en contexte – exploitant la sémantique de la construction où le lexème se trouve et sans laquelle il resterait une abstraction – varie d’un genre à l’autre. Bibliographie Blinkenberg, A. 1960 : Le problème de la transitivité en français moderne : essai syntactosémantique. Historisk-filosofiske meddelelser 38 : 1. København : Det Kongelige Danske Videnskabernes Selskab. François, J. 1998 : Théorie multifactorielle de la transitivité, « différentiel de participation » et classes aspectuelles et actancielles de prédication. La transitivité. Éd. A. Rousseau. Travaux et recherches. Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion. 181– 201. François, J. 2003 : La prédication verbale et les cadres prédicatifs. Bibliothèque de l’Information Grammaticale 54. Louvain �������������������������� – Paris : Peeters. Frantext http://www.frantext.fr/ Goldberg, A. 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Le statut d’usage n’est pas a priori marqué : la marque étant le point de départ de la linguistique de corpus qui constitue la perspective adoptée dans ce travail, cette approche se trouve dans ses versions actuelles (Teubert et Krishnamurthy 2007 : 8-9 par exemple) à affiner ses outils par la recherche sur des phénomènes atypiques (Hathout et al. 2008). Cette recherche est pertinente pour distinguer l’atypique et l’erroné dans l’analyse de l’oral spontané ou de textes de langues exotiques ou anciennes. L’intérêt théorique est le statut de l’usage des items dans une langue. Les connaissances constitutives des langues incluent des représentations abstraites comme les schémas syntaxiques. Ces schémas n’en sont pas moins actualisés par des items concrets qui peuvent imposer des collocations. Par exemple, ce n’est qu’à la première et non à la deuxième personne qu’on retrouve la séquence défier qui que ce soit ; en outre, la seule suite je défie qui que ce soit représentait plus de la moitié des attestations de qui que ce soit avec une lecture paraphrasable par toute personne dans le corpus de Larrivée (2007 : 73). De tels faits ne peuvent être accidentels, et suggèrent que l’usage fait partie des connaissances de la langue, comme force à le conclure l’existence de sélection de prépositions, des figements, des idiomes, des proverbes. La langue n’est donc pas un pur appareil de schémas générateurs de séquences. Cette réalité pose la question de savoir ce qui est conventionnel et ce qui est créatif dans une langue. ������ Aston University ���������� 94 Pierre Larrivée et Ramesh Krishnamurthy Nous nous proposons de répondre à la question des caractéristiques des emplois créatifs en examinant un phénomène grammatical particulier caractérisant les pronoms indéfinis. Les formes retenues sont pour le français qu(o)i que ce soit, quiconque, n’importe qu(o)i, quelqu’un / quelques-uns / quelque chose, je ne sais qu(o)i, Dieu sait qu(o)i précédées d’un déterminant indéfini, défini ou démonstratif. C’est une construction atypique dans la mesure où un pronom qui fonctionne habituellement seul comme groupe nominal est accompagné par un déterminant qui introduit normalement une tête nominale (Larrivée 2009). La construction est considérée en anglais à travers les formes somebody / someone / something, nobody / no one / nothing, anybody / anyone / anything et everybody / everyone / everything introduites par les mêmes déterminants. Le choix d’un ensemble représentatif dans chaque langue vise non pas la grammaire contrastive des séquences, mais l’identification des caractéristiques formelles et linguistiques des emplois créatifs. L’hypothèse est faite que ces emplois s’associent à des environnements textuels discernables, ce qui nous amène à recourir aux corpus comparables de la banque Frantext et de la Bank of English, qui sont opposés aux données internet. Cette comparaison permettra de tester le rapport entre créativité linguistique et environnements textuels. 2. Données du français Les pronoms indéfinis retenus (qu(o)i que ce soit, quiconque, n’importe qu(o)i, quelqu’un / quelques-uns / quelque chose, je ne sais qu(o)i, Dieu sait qu(o)i) connaissent des emplois atypiques où il sont précédés d’un déterminant (indéfini, défini et démonstratif). Le recensement du nombre d’emplois du déterminant immédiatement suivi de l’indéfini a été fait en octobre 2006 dans la banque littéraire Frantext. qui que ce soit 168 quoi que ce soit 712 quiconque 830 n’importe qui 678 n’importe quoi 1 234 un / une / des 0 le / la / les 0 ce / cette / ces 0 0 0 0 1 1 3 0 1 4 0 0 1 1 3 3 3 9 95 Créativité, conventionnalité, contextes communicatifs quelqu’un 8 890 quelques-uns 2 290 quelque chose 19 720 je ne sais qui 75 je ne sais quoi 809 Dieu sait qui 6 Dieu sait quoi 53 6 3 57 66 4 5 3 12 15 8 158 181 1 1 0 2 151 35 160 346 0 0 0 0 0 0 0 0 183 55 384 622 Tableau 1. Pronoms indéfinis précédés immédiatement par un déterminant dans les textes de Frantext depuis 1900 Les séquences brutes n’illustrent certes pas toutes un groupe nominal, qui n’est pas concerné par la suite du pronom sujet inversé « ce » et de l’attribut « quelqu’un » dans l’exemple suivant : 1. Baslèvre reprend : -était-ce quelqu’un de chez nous ? (E. Estaunié, 1919, L’Ascension de M. Baslèvre. Frantext) Cet autre donne une forme qui représente l’ancien usage du quelqu’un d’approximation précédant le un partitif : 2. S’il arrivait malheur à un quelqu’un des leurs, ils mettaient le pays à feu et à sang. (A. France, 1918, Le Petit Pierre. Frantext) Les emplois nominaux de personne et tout, adjectivaux de nul, certain, divers, différent, nul poseraient les mêmes interférences. Tous les groupes nominaux pertinents ne sont pas recensés par la recherche limitée à une proximité immédiate, qui ne donnerait pas l’exemple suivant s’il figurait dans Frantext : 3. Ceci étant, vous avez aussi raté un vrai quelque chose. Hier avait lieu le tout premier match de tennis nu diffusé sur Internet. (J. Dion. 22.5.03. En avoir ou pas. Le Devoir B6) 96 Pierre Larrivée et Ramesh Krishnamurthy Ces interférences n’entament pas la pertinence des résultats relatifs (Church et Hanks 1990). Le rapport du nombre de combinaisons au nombre d’indéfinis montre qu’il s’agit bien d’emplois atypiques : aucune combinaison n’atteint le 1 % des emplois de l’indéfini, sauf je ne sais qui dont les 2 combinaisons représentent 2.67% des 75 occurrences, et je ne sais quoi, dont près de 43% des occurrences instancient la combinaison (au point où elle est empruntée par l’anglais). L’emploi connaît des disparités selon les formes, ce qui laisse à croire à un statut d’usage différent. Le diagnostic de ce statut ne saurait se faire à partir d’un nombre d’occurrences absolu : un seuil de 10 occurrences par exemple ferait de quelquesuns une séquence conventionnelle alors que n’importe quoi n’en serait pas une, ce qui est contre-intuitif – du n’importe quoi semblant plus reconnaissable en français continental informel que des quelques-uns. Un nombre relatif est plus susceptible de tester le statut considéré, qui n’est pas établi par le rapport entre combinaisons et indéfinis seuls, comme le montre la faible proportion de la séquence ce quelqu’un qui semble intuitivement conventionnelle. Le rapport pertinent est celui des combinaisons entre elles. La majorité des séquences sont constituées par les trois formes je ne sais quoi, quelque chose et quelqu’un, qui ensemble livrent 95% des occurrences. Ces combinaisons se trouvent confirmées dans leur statut conventionnel par le fait qu’elles servent de modèle à des combinaisons hautement créatives, avec récursion du déterminant : 4. a. Ces filles qui font du folk ont ce un je-ne-sais-quoi qui les rendent [sic] sexys. (http://www.mrchristopher.fr/bafouille/?p7) b. Si l’âme est un «ce quelque chose», elle est dès lors un individu. Or tout individu est d’une espèce et d’un genre déterminés.(http://www.aquin.com/Pages/Traductions/ QDAnimaHtm/QDAnimaQ1.htm) ainsi qu’en atteste le métadiscours d’une note du traducteur à la suite de (4b) : 5. «Ce quelque chose» est la traduction littérale de l’expression «hoc aliquid» qui elle-même est la traduction littérale de l’expression technique aristotélicienne tode ti. Les oreilles souffrent mais pourquoi faudrait-il rendre littéraire ce qui est littéral? Le démonstratif «ce» indique qu’il s’agit d’un individu, «quelque chose» indique qu’il s’agit d’une substance. Certaines combinaisons ne sont d’autre part pas attestées. Cette absence d’attestations peut provenir de l’impossibilité des séquences, comme l’agrammaticalité de la suite déterminant singulier + indéfini pluriel. Elle peut relever des limites du corpus. Une recherche sur le corpus plus large des pages accessibles à Google en février 2008 donne les résultats suivants. Créativité, conventionnalité, contextes communicatifs qui que ce soit 1 420 000 quoi que ce soit 4 260 000 quiconque 3 580 000 n’importe qui 1 810 000 n’importe quoi 6 940 000 quelqu’un 33 800 000 quelques-uns 2 920 000 quelque chose 21 700 000 je ne sais qui 105 000 je ne sais quoi 1 200 000 Dieu sait qui 7 040 Dieu sait quoi 39 300 un / une / des 123 000 / 0 / 4 le / la / les 5 / 2 380 / 455 ce / cette / ces 871 000 / 0 / 1 01 370 / 7 / 7 1 060 / 1 170 / 5 1 670 / 1 / 0 748 / 151 / 53 248 / 388 / 54 441 / 4 / 10 13 700 / 4 910 / 2 030 15 700 / 8 290 / 2 570 82 600 / 27 700 / 542 6 970 / 5 760 / 677 1 220 000 / 2 / 398 603 / 2 / 65 800 48 000 / 3 930 / 12 800 2 450 / 8 / 881 909 / 2 130 / 19 500 9 640 / 112 000 / 26 000 836 / 3 560 / 9 115 000 / 1 620 / 5 460 0/0/0 12 600 / 14 800 / 1 150 1/ 2 / 0 296 000 / 89 / 605 2/0/0 4/7/0 1/0/0 3 820 / 4 390 / 6 320 19 800 / 2 710 / 775 738 / 254 / 585 97 332 000 / 4 / 1 770 234 000 / 125 / 601 159 000 / 682 / 4 500 45 000 / 4 / 4 0/0/0 Tableau 2. Pronoms indéfinis précédés immédiatement par un déterminant d’après Google Un examen manuel des combinaisons avec moins de 10 occurrences brutes révèle des interférences. Hormis la simple erreur (Donc je ne peux pas vous des quoi que ce soit au sujet de la capitale. http://www.un.org/icty/transf34/020614FE. htm), des homonymes du déterminant interviennent comme l’adverbe là rattaché à un item qui le précède, expliquant les taux élevés de la + pronom indéfini ; de même pour le pronom un qui peut figurer en fin de proposition avant une autre qui commence par un indéfini. L’absence de sensibilité du moteur de recherche aux frontières syntagmatiques est encore illustrée par 2 occurrences de le qui que ce soit (p.ex.«Ignore-le, qui que ce soit»). À cela s’ajoutent le statut de la séquence (Dieu sait quoi servant de titre à une œuvre d’art contemporain d’un J.-P. Pollet) ; la mention plutôt que l’usage effectif de formes (comme dans l’exemple Le qui que ce soit montre que ce peut aussi être un païen, comme cet Egyptien du côté de son Pierre Larrivée et Ramesh Krishnamurthy 98 père ; deux cas de cette n’importe qui reprennent la même occurrence de Frantext dans un article scientifique), des fragments émanant de traductions automatiques (2 cette quiconque figurant dans des listes de termes de pages pornographiques ; des fragments en français mal traduit d’une page en anglais concernent 2 cette quelques-uns et 2 une je ne sais qui). Est donné ci-dessous le nombre d’occurrences qui illustrent les groupes nominaux atypiques créatifs : une qui que ce soit quoi que ce soit quiconque n’importe quoi je ne sais qui Dieu sait qui Dieu sait quoi 7 des 4 3 le les ce cette 1 2 4 ces 1 1 1 5 4 2 3 6 4 1 2 13 7 2 7 2 6 13 1 4 14 1 2 41 Tableau 3. Répartition des emplois déterminant + indéfini représentés moins de dix fois dans les résultats bruts de Google Les emplois créatifs sont marqués par différents traits qui permettent leur identification. Ces traits incluent des adaptations orthographiques comme les traits d’union ou les guillemets : 6. a. Seulement, en apprenant que ma maison avait été brûlée, que ces je-ne-sais-qui s’en étaient pris à Ylvin, je n’avais pas réfléchi… (http://ozaline.over-blog.com/ article-1361812.html) b. Cette «je ne sais qui» s’appelle en fait Clémence et est de mon departement. elle était accompagnée d’Elsa, elle aussi de l’Ain. (http://gutte-comics.over-blog.com/) Les points de suspension miment l’hésitation de l’oral, le fait de chercher ses mots dans une production non préparée pouvant amener à produire une suite atypique : 7. Si vous sentez que cette… quoi que ce soit… puisse être la clé d’une partie essentielle de votre histoire personnelle, (http://www.jagfashion.net/viewtopic. php?p=104896&highlight=&sid=17ad2592abf0e545d36883cd256832df) Le métadiscours rend explicite la création néologique, comme en (5). Créativité, conventionnalité, contextes communicatifs 99 Les principales motivations linguistiques de l’emploi sont la coordination de groupes nominaux avec nom commun, que clôt un indéfini avec article indiquant la difficulté d’identifier plus précisément l’élément qui fermerait la série. 8. l’on me reproche, amèrement, d’avoir changé d’opinion sur les Juifs, les patriotes, les militaires, les je ne sais qui, les je ne sais quoi. (http://fr.wikisource.org/wiki/ Palinodies) Ces coordinations se retrouvent dans 12 des 41 occurrences. L’emploi anaphorique intervient cinq fois, à quoi s’ajoute une cataphore, avec le défini dans un cas et le démonstratif dans les autres. Un exemple est sans motivation attendue, et semble en effet peu acceptable : 9. En revanche, si vous possédez un pare-brise athermique, il lui sera plus difficile de repérer les quoi que ce soit... idem si vous êtes flashés par l’arrière, l’investissement aura été vain. Dommage, car à 1000 euros le détecteur, la contravention fait encore plus mal ! (http://news.caradisiac.com/L-arme-absolue-anti-radar-existe-883) Les cas acceptables renvoient à un nom indisponible au moment de la construction du message auquel supplée un indéfini. Particulièrement éloquent est l’environnement textuel. Les interventions dans des blogs et des forums constituent près de 66% des occurrences rapportées dans le tableau 3. Les autres emplois sont principalement des créations littéraires : 3 des qui que ce soit, 3 une quoi que ce soit, 1 les quoi que ce soit, 2 une je ne sais qui (un exemple dans une chanson, un autre de une je ne sais qui de Ninon dans un texte littéraire du 18e siècle), 1 les je ne sais qui, 1 cette je ne sais qui, 2 ces je ne sais qui (un dans un texte de promotion d’un théâtre expérimental, un dans une traduction de Saint-Augustin), 1 le Dieu sait qui. On trouve dans des textes de ton informel à cause de leur public ou de leur sujet une occurrence de une quoi que ce soit dans une page s’adressant à des jeunes d’une école secondaire québécoise, et un emploi dans une chronique électronique sur les détecteurs de radar (en (9)). On conçoit que les interventions non préparées des forums et blogs amènent des créations selon les besoins d’une expression construite en ligne. Qu’en est-il cependant des productions préparées des créations littéraires ? Comme la publicité ou l’humour (Munat 2007), les créations littéraires démontrent la virtuosité de l’auteur au-delà des formes consacrées par la norme afin de retenir l’attention du lecteur. Ce qui réunit les deux pratiques est la licence qui est accordée à une parole personnelle, à cause des conditions de production ou pour l’affirmation de sa virtuosité. 100 Pierre Larrivée et Ramesh Krishnamurthy Cette section a établi les déterminismes textuels des emplois créatifs de la construction envisagée, ainsi que ses caractéristiques linguistiques et formelles. Le statut d’usage a été diagnostiqué par le rapport des nombres d’occurrences des combinaisons entre elles. La démarche est reproduite dans la section suivante pour la même construction en anglais. 3. Données de l’anglais L’anglais connaît également les suites atypiques des pronoms indéfinis – anybody / anyone / anything, everybody / everyone / everything, nobody / no one / nothing, et somebody / someone / something – précédés d’un déterminant indéfini (a, an), défini (the) et démonstratif (this, those, these) (Quirk et al. 1985 : 376). Les combinaisons ont été recensées en mai 2008 dans le corpus de la Bank of English (par accès via l’Université de Birmingham, sous droit de HarperCollins). Composée de plus de 448 millions de mots, la BoE réunit des textes des années 1980 à nos jours de plusieurs variétés d’anglais – britannique, américain, austra�lien, canadien notamment – et reflètent différents genres textuels, journalistiques, littéraires, techniques, universitaires, pour l’oral et l’écrit. Cette diversité a rendu nécessaire l’examen manuel des occurrences, dont moins d’un tiers relevaient du groupe nominal. Les résultats bruts n’illustrant pas la construction recherchée relevaient de problèmes de transcription des données orales, de polyfonctionnalité et de l’interférence de structures grammaticales autres. L’oral pose le problème de la fiabilité de la transcription, qu’illustre la difficulté de savoir si a renvoie à la préposition of ou au déterminant indéfini, si the correspond au pronom de troisième personne pluriel they, au déictique there ou au déterminant. La polyfonctionnalité de la forme that entre déterminant, relatif et conjonctif a amené à l’exclure de la recherche initiale. Au-delà des quelques cas de franchissement de frontière syntagmatique, le fait qu’un déterminant précède immédiatement le pronom peut être dû au fait que ce pronom est un prédéterminant d’un nom, comme c’est le cas dans the ‘anyone for tennis’ image, et dans cet autre exemple : 10.Hailed by regular users as «the everything» cream. Le nombre de groupes nominaux figure entre parenthèses à côté du nombre d’occurrences brutes des combinaisons dans le tableau suivant : 101 Créativité, conventionnalité, contextes communicatifs Déterminants the a an 24780121 9925232 1458277 3 (0) 2 (0) 2 (0) this 1734383 6 (1) these 400181 0 (0) those 326168 0 (0) 13 (1) anyone 68357 14 (3) 6 (0) 5 (1) 16 (0) 0 (0) 0 (0) 41 (4) anything 112990 48 (5) 18 (0) 30 (3) 29 (0) 3 (0) 0 (0) 128 (8) everybody 29120 10 (1) 8 (0) 3 (0) 25 (0) 1 (0) 0 (0) 47 (1) everyone 71352 34 (1) 4 (0) 15 (0) 65 (1) 2 (0) 0 (0) 120 (2) everything 85574 39 (7) 12 (0) 19 (2) 40 (1) 2 (0) 2 (0) 114 (10) nobody 30310 18 (6) 214 (200) 4 (0) 55 (1) 2 (0) 0 (0) 293 (207) no one* 48497 6 (0) 23 (4) 0 (0) 60 (0) 2 (0) 2 (0) 93 (4) nothing 125795 74 (27) 132 (42) 0 (0) 52 (6) 2 (0) 2 (0) 262 (75) somebody 25449 20 (12) 40 (29) 27 (5) 1 (0) 0 (0) 88 (46) someone 80570 42 (32) 26 (16?) 0 (0) 46 (13) 0 (0) 2 (0) 116 (61) something 196538 172 (93) 155 (51?) 3 (1?) 209 (30) 2 (0) 1 (0) 542 (175) 480 (187) 640 (342) 81 (7) 630 (58) 17 (0) 9 (0) 1857 (594) Pronoms indéfinis anybody 19451 0 (0) Tableau 4. Pronoms indéfinis précédés immédiatement par un déterminant dans la Bank of English 102 Pierre Larrivée et Ramesh Krishnamurthy Ces chiffres montrent qu’on a affaire à une séquence atypique. Même la combinaison la plus fréquente de a nobody avec ses 200 occurrences ne représente qu’une portion infime (0.66%) de l’emploi du pronom qui apparaît 30 310 fois. De même, le pronom le plus fréquent (something, 196 538 emplois) ne livre que 175 exemples de la suite recherchée (0.089%). Comment de ces suites diagnostiquer les conventionnelles ? Ce test ne se trouve pas dans le rapport entre le nombre de combinaisons et de pronoms seuls : les suites également conventionnelles (a nobody et this something) entretiennent des rapports quantitatifs disproportionnés (0.66% de a nobody face à nobody, 0.015% de this something face à something). Comme pour le français, c’est le rapport entre les occurrences de la combinaison qui est révélateur : 84% des emplois sont donnés par les huit suites a nobody, the nothing, a nothing, a somebody, the someone, the something, a something et this something. Une indication du caractère conventionnel de ces suites est donnée par un fait propre à l’anglais qui est la morphologie plurielle s’ajoutant à l’indéfini : en effet, les indéfinis pluriels précédés d’un article sont the everybodies (1), the everythings (1), the nobodys (1), the nobodies (8), three nothings (1), the somebodys (1), the somebodies (5), the someones (1) et the somethings (1). La variation orthographique ys face à ies montre que ces emplois ne sont pas eux-mêmes conventionnels, mais qu’ils supposent l’existence d’un emploi conventionnel au singulier pour la majorité d’entre eux (sauf pour everybodies, everythings), et la dominance de the nobodies à cet égard est parallèle à celle de a nobody. Ces propositions impliquent que les emplois atypiques des formes en any- et every-, de no one, de nothing avec démonstratifs, de the + this + these + those nobody, de somebody avec l’indéfini et le démonstratif, de someone avec le défini et le démonstratif ont un caractère créatif. Ce statut est confirmé par le ratio souvent défavorable entre les nombres d’emplois effectifs de la séquence et d’occurrences brutes, de 1 à 65 pour this everyone par exemple. Les marques qualitatives des guillemets, de la répétition et des hésitations identifiées en français se retrouvent pour l’anglais : 11. a. Then we give or, preferably, sell much of what we buy to state, universities, other conservation groups -- any responsible organization that can care for and protect the land from anyone. Unless the “anyone” builds nests or eats acorns. [USA: ephemera] b. It presented “a little bit of everything,” says Eric Edwards, who is the venue’s new, enthusiastic publicist. Among the “everything” were stripper Gypsy Rose Lee (born here), big-band star Duke Ellington and singer Al Jolson. [USA: newspapers: 23 May 1996] c. Between 1980 and 1988 the “nobody” was one of the finest bodyguards in the Spanish security company… [UK: newspapers: The Times/Sunday Times: 31 Jul 1999] Créativité, conventionnalité, contextes communicatifs 103 12. a. …rather like Coleridge’s Kubla Khan isn’t a work that follows any prescriptive rules of writing. So that it isn’t er it isn’t an anything in a sense his Kubla Khan he says it is a fragment. A great deal of romantic writing and perception is by its nature fragmentary. [UK: spoken: college lecture: ‘Coleridge as Critic’] b. It was as much you know, when I was on land, the wind blowing and the sand getting in the paint and the bugs and the everything, the everything. [USA: radio: 8 Mar 1993] b’.Because people love the night so much. They love the night and the team and the beer and the ... the everything. [AUS: newspapers: 30 May 1999] c. Mrs Joseph agrees, even managing to summon some pity for him. “When I saw this boy in court, I couldn’t believe that this nothing, this nonentity of a boy, had killed my gem of a child,” she says. [UK: newspapers: The Times/Sunday Times: 27 Jun 2001] La coordination intervient, pour expliciter l’interprétation de l’emploi inattendu en (12c) ci-dessus, ou pour amener l’indéfini dans l’élément final d’une liste à laquelle échappe au locuteur le lexème nominal (voir aussi (b),(b’)): 13.He is loath to call himself a philosopher, an empiricist, a Buddhist or an anything, but in an era of autobiographical art it comes as something of a relief that he considers the big questions to be more important than the contents of his knicker drawer. [UK: newspapers: The Times/Sunday Times: 18 Jun 2001] Un examen préliminaire montre que les textes dont proviennent les combinaisons créatives sont principalement littéraires, avec une bonne proportion de dialogues, des chroniques journalistiques, et quelques ouvrages philosophiques. On ne les retrouve pas dans les textes éditoriaux par exemple, où il s’agit d’affirmer une prise de position collective plutôt qu’un style personnel. Il serait évidemment intéressant de procéder à la considération des types de textes pour les séquences attestées par Google. ������������������������������������������������������������������������ Cette considération est malheureusement difficile, puisqu’une recherche en mai 2008 montre que les combinaisons sous les 10 000 occurrences sont rares (1 760 the anything, 2 910 the everybodys, 9 370 the everyones, 5 870 these everybody, 6 020 those everybody, 4 760 the everythings, 8 710 these nobody, 7 880 those nobody, 531 the noones, 656 these noone, 499 those noone, 1 130 the somebodys, 3 870 these somebody, 4 170 those somebody, 1 130 the somebodys, 6 940 the someones). ������������������������������������������������������ Même les séquences réputées créatives sont associés à des nombres de pages qui dépassent les ressources raisonnables de traitement. On se contentera de noter que les occurrences au pluriel pourraient permettre de poursuivre les liens entre créativité et environnement textuel. 104 Pierre Larrivée et Ramesh Krishnamurthy Les données de l’anglais nous ont permis de vérifier la robustesse d’une mesure relative pour le diagnostic des emplois créatifs, celle entre les occurrences de la construction elle-même. Ont été également confirmés les déterminismes textuels des emplois créatifs de la construction envisagée, ainsi que ses caractéristiques linguistiques et formelles. 4. Remarques finales Le présent travail a montré qu’une langue ne correspond pas uniquement à la connaissance de mécanismes générateurs de séquences. Elle comprend également la connaissance de séquences effectives. Des séquences conventionnelles incluent des constructions fréquentes et des constructions atypiques, qui se mesurent par le rapport quantitatif entre une suite et ses unités constitutives. Les constructions atypiques ont aussi leurs instanciations conventionnelles, dont la mesure est donnée par le rapport majoritaire que ces instanciations représentent dans l’ensemble des combinaisons attestées. Comportant un ratio souvent très faible aux séquences brutes non pertinentes, les combinaisons créatives se reconnaissent par leurs marques formelles, linguistiques et textuelles. La variation orthographique des pluriels anglais, les marques graphiques du trait d’union, des guillemets, de l’hésitation, et le métadiscours caractérisent maintes attestations d’emplois créatifs. L’intervention créative des pronoms indéfinis se manifeste là où un nom n’est pas disponible, à la fin de séries de coordination notamment. La construction en ligne du message est une motivation textuelle majeure des emplois créatifs de la structure. Les autres environnements textuels où elle se retrouve sont les chroniques de journaux et la création littéraire. Ils démontrent le déploiement de la virtuosité d’une expression personnelle. La visibilité de l’énonciateur caractérise donc la créativité de l’expression spontanée et de l’expression préparée. Une mesure novatrice des emplois créatifs des séquences atypiques par relation quantitative entre les combinaisons attestées est donc fournie par ce travail. Il pose la question théorique de savoir d’où viennent les créations, et montre qu’elles ne relèvent pas de la seule analogie. Leur source peut se trouver dans les contraintes de production en ligne. Le montrent la coordination et les hésitations, où le pronom indéfini intervient après un déterminant plutôt qu’un nom que le locuteur ne peut préciser. Le travail sur l’axe vertical, pour reprendre le terme de l’analyse en grille de Claire Blanche-Benveniste, explique ainsi certaines structures créatives. Les contraintes de la production sont donc également une source de créativité linguistique, qui appartient tout autant aux langues que les liens de la convention. Créativité, conventionnalité, contextes communicatifs 105 Bibliographie Bank of English. http://www.titania.bham.ac.uk/docs/about.htm Church, K. W. et Hanks, P. 1990 : Word association Norms, Mutual Information, and Lexicography. ������������������������� Computational Linguistics 16, 1. 22–29. DeFrancq, B. 2006 : Étudier une évolution linguistique «en ligne» : n’importe et peu importe. Français moderne 74, 2. 159–182. Frantext. http://atilf.atilf.fr/frantext.htm Hathout, N., Montermini, F. et Tanguy, L. 2008 : Extensive data for morphology : using the World Wide Web. Journal of French Language Studies 18, 1. 67���� –��� 85. Hundt, M., Nesselhauf, N. et Biewers, C. (Éds) 2007 : Corpus Linguistics and the Web. Amsterdam : Rodopi. Kilgarriff, A. et Grefenstette, G. : 2003. 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London : Routledge. 1–37. Iva Novakova La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle 1. Introduction La construction se faire+Vinf a été analysée de différentes façons. Pour certains auteurs (Spang-Hanssen 1967, Riegel et al. 1993), il s’agit d’une forme de passif. D’autres (Tasmowski & Van Oevelen 1987) proposent un traitement unitaire : malgré des valeurs très similaires à la construction passive, le tour reste causatif (le passif est un sous-cas du causatif pronominal). D’autres encore (Kupferman 1995) renoncent au traitement unitaire au profit d’une analyse binaire : construction causative pronominale et passive. La plupart de ces travaux mettent en avant un argument sémantique commun, à savoir que le sujet de se faire +Inf aurait une part de responsabilité dans le procès dénoté par l’infinitif, qui cependant reste difficilement démontrable dans les procès « désagréables ». L’analyse syntaxique de la construction est souvent reléguée au second plan. Rares sont enfin les études (Gaatone 1983) qui induisent la valeur passive de se faire+Vinf à partir de facteurs pragmatiques. Bref, toutes ces études privilégient souvent certains aspects du fonctionnement de la construction au détriment d’autres. L’objectif de ce travail est de proposer une analyse fonctionnelle de se faire+Vinf qui prenne en compte l’interaction entre les paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs dans le calcul de la signification de la construction. Elle s’inspire des modèles fonctionnels qui accordent une importance fondamentale à ces paramètres, ainsi qu’à la fonction communicative de la langue. Les données sont issues de trois genres de textes. Je comparerai la fréquence et les valeurs de se faire+Vinf dans des textes littéraires (Frantext), journalistiques (Le Monde et Le Figaro 2002), scientifiques (corpus KIAP-LIDILEM), ainsi que dans des messages de forums sur Internet (2006) sur le thème de la vie quotidienne. ��������� LIDILEM, Université ������������������������������� Stendhal, Grenoble 3 ����������������������������������������������� Cf. Les grammaires fonctionnelles (Givón, Dik, ������������������������������������� Halliday), la RRG (Van Valin & Foley 1980). L’approche modulaire de Nølke (1999) est également proche de ces principes. ���������������������������������������������������������������������������� Le corpus scientifique KIAP/LIDILEM est composé de trois parties : médecine (656 488 mots), linguistique (659 724 mots) et économie (660 312 mots). Le corpus journalistique est issu de Le Monde (2002) (dorénavant M) et Le Figaro (2002) (F). 108 Iva Novakova Après avoir défini le statut de se faire+Vinf dans le système de la voix grammaticale, j’examinerai les cas où celle-ci est substituable à la construction passive et véhicule un sens passif. Je me pencherai ensuite sur les cas où se faire+Vinf n’est pas substituable à un passif et fonctionne comme un causatif réfléchi. Enfin, j’essaierai de repérer les ressemblances ou les différences dans le fonctionnement de se faire+Vinf dans les différents corpus étudiés. 2. Le statut de se faire+Vinf dans le système de la voix en français Selon l’analyse transformationnelle (Dubois 1967 : 124), il existe une équivalence entre (2) et (3) : 1. Les jeunes chiraquiens plébiscitent Jacques Chirac. 2.Jacques Chirac est plébiscité par les jeunes chiraquiens. 3.Jacques Chirac se fait plébisciter par les jeunes chiraquiens. Les formes en se faire+Vinf et être+Vé sont considérées comme issues de la transformation de la phrase active (1). Or, l’explication uniquement par la transformation syntaxique est trop restrictive, car elle ne permet pas de rendre compte des différentes nuances de sens que les deux constructions véhiculent. Elles ont un sens proche, mais pas identique. Le calcul de la signification de ces énoncés nécessite la prise en considération des interactions entre les facteurs syntaxiques, sémantiques et discursifs. Ce phénomène de concurrence entre (2) et (3) relève de la diathèse. La diathèse sera définie ici comme la variation sur les actants (diathèse) qui amène une modification corrélative de la forme (morphologie) verbale (voix), et de là, des rôles sémantiques attribués au sujet et à l’objet (Lazard 1994 : 179). Se faire+Vinf relève de la diathèse passive et/ou de la diathèse réfléchie. Le corpus littéraire provient de Frantext (1960-2007) (FT). Le corpus de blogs est composé de 2000 messages (novembre 2006−avril 2007). Les adresses des forums sont http://forums.france3.fr/france3/listecategorie.htm, http://ununtu-fr:org/, http://www. forumfr.com/forums.html. Nous remercions K. Fløttum de l’Université de Bergen et S. Diwersy de l’Université de Cologne pour la mise à disposition des corpus scientifique et journalistique, ainsi que E. Yurovskih pour le corpus des blogs. ������������������������������������������������� À propos de diathèse médio-factitive en espagnol (hacerse +Vinf) en comparaison avec se faire+Vinf, cf. Sinner & Van Raemdonck (2005). La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle 109 Si l’on compare (2) et (3) du point de vue syntaxique, dans les deux cas, il y a destitution du sujet (S) sans ajout d’un nouvel actant et diminution de la valence (n-1) (diathèse récessive) par rapport à la structure de départ (1). Du point de vue discursif, le c.o.d. de la phrase de départ devient thème, après transformation, dans les deux cas. Comme l’indique Bat-Zeev Shyldkrot (1999 : 73) au sujet des formes en se faire, se voir, se laisser+Vinf, le recours à la forme en se faire+Vinf dans son interprétation passive « répond à un désir du locuteur et donc de la langue, d’exprimer des nuances distinctes » par rapport aux formes du passif en êtreVé. C’est sur le plan sémantique que les deux énoncés diffèrent surtout : en (3), J. Chirac a un rôle de patient plutôt actif, tandis qu’en (2) il est patient passif (cf. à ce sujet Gaatone 1983). Dans le cas du réfléchi, le S structural de se faire+Vinf assume donc un double rôle sémantique : il est à la fois patient et « responsable » (instigateur) du procès, à la différence du passif où il n’est que patient. Nous analyserons dans ce qui suit, les cas où se faire+Vinf est interchangeable avec êtreVé et ceux où cette substitution n’est pas possible. Nous partirons de la construction syntaxique du verbe : transitif, intransitif, bitransitif qui sera corrélée à l’analyse des paramètres sémantiques et discursifs. 3. Se faire+Vinf à sens passif 3.1. Se faire+Vinf trans Lorsque le Vinf est un transitif, se faire+Vinf est le plus souvent substituable avec le passif (êtreVé) (Cf. (2) et (3)). Pourtant les deux formes véhiculent des nuances de sens différentes. Pour mieux en rendre compte, nous analyserons la nature sémantique du verbe enchâssé sous se faire, les rôles sémantiques et la nature (animé vs non-animé) du S. 3.1.1. La nature sémantique du verbe La lecture passive de se faire + Vinf est étroitement liée au sémantisme du verbe (Gaatone 1983 : 168). La plupart des travaux attirent l’attention sur le fait que la substitution est possible lorsque l’infinitif renvoie à des actes désagréables (cf. Spang-Hanssen 1967, Gaatone 1983) ou violents (violences physiques ou verbales (injures, insultes)), par exemple se faire expulser, écraser, injurier. Ces verbes constituent 30 % des verbes de l’ensemble du corpus (150 verbes « désagréables » sur la totalité des 520 verbes enchâssés sous se faire+Vinf, relevés dans les différents corpus). Les deux formes sont donc interchangeables : 110 Iva Novakova 4. Bertrand Delanoë s’est fait agresser la nuit où il a ouvert ses appartements. (F) 5. Elle s’est fait attaquer trois fois. Il y avait trop d’insécurité. (F) Or, comme le montrent les données, la construction réfléchie à valeur passive s’attache, bien que plus rarement, à des prédicats dénotant des actes agréables : se faire acclamer, embaucher, élire, plébisciter (cf. aussi Kupferman 1995 : 75). Ces verbes constituent 5 % des corpus analysés ; ils sont six fois moins nombreux que les verbes « désagréables », ce qui dément l’affirmation de Kupferman (1995 : 67), à savoir que « les verbes statifs et de changement d’état sont prohibés de ces constructions » (*se faire toujours aimer par ses enfants, *se faire admirer par ses étudiants). Voici quelques exemples des corpus : 6. Il peine encore à se faire aimer par tous les siens. (F) 7. On survit, de la pire manière, pour se faire admirer des autres. (FT) 8. C’est aussi une façon pour les filles de se faire accepter. (M) Les verbes qui se rencontrent le plus souvent dans cette construction syntaxique sont essentiellement des verbes d’action (agréable ou désagréable) et, plus rarement, des verbes d’état. 3.1.2. Les rôles sémantiques du Sujet Comme il a été dit supra, se faire+Vinf implique le plus souvent un « double » rôle sémantique pour son sujet structural : celui-ci est à la fois patient et responsable (instigateur) de ce procès. Ce type de rôle est à distinguer de celui de patient dans la construction passive, défini comme « entité qui subit un changement sous l’effet d’une cause extérieure (agent ou force ») (Creissels 2006, T1 : 281). C’est le cas de (9) où la fille se trouve être l’instigatrice de son propre assassinat, ou de (10) où l’attaquant est la cause de son exclusion, ce qui rend le passif très peu naturel dans ces contextes : 9. Cette fille est très vilaine, engage un tueur à gages pour se faire assassiner ( ?? être assassinée). (M) 10. L’attaquant bastiais Florian Maurice a réussi l’exploit de se faire exclure ( ?? d’être exclu) du terrain alors qu’il s’était déjà fait expulser il y a quelques mois. […]. (M) �������������������������������������������������������������� Les exemples et les astérisques sont de Kupferman (1995 : 75). La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle 111 Cette analyse se heurte pourtant à des cas comme (11), où le sujet ne peut, comme le montre le contexte plus large, être considéré comme étant l’instigateur ou le « responsable » du procès et où la substitution avec le passif ne pose pas de problèmes : 11. Les derniers de la liste se font écraser par amour. (FT) 11a. Les derniers de la liste sont écrasés par amour. Les deux formes sont quasi-synonymes. Là, l’explication par le rôle sémantique du S ne suffit plus. Gaatone (1983 :173) induit le sens de se faire+Vinf de la notion pragmatique de désagréable qui, selon lui, permettrait de mieux en rendre compte. Il nous semble pourtant que l’explication par les facteurs pragmatiques devrait être complétée par la dimension aspectuelle : le locuteur a le choix entre (11) et (11a) en fonction de la manière dont il envisage le déroulement du procès (passif processif vs passif statif). 3.1.3. La nature sémantique du Sujet (animé vs non-animé) La difficulté d’analyser le S comme instigateur (ou responsable) du procès apparaît aussi dans les exemples où le S est non animé. Bien que très peu fréquents (moins de 3 % des résultats), ces cas existent dans les corpus: 12. La neige se fait désirer dans certains coins de l’Europe. (M) 13. Les classiques cassettes vidéo VHS sont ainsi sur le point de se faire dépasser par les DVD. (F) ������������ À propos de Elle s’est fait violer où il est difficile d’affirmer un certain degré d’agentivité ou de responsabilité du Sujet, Sinner & Van Raemdonck (2005 : 163) indiquent que ce type d’exemples est impossible en espagnol avec la construction hacerse +Vinf et aussi que la différence entre Elle s’est fait violer et Elle a été violée « semble tenir plus de la représentation qu’une langue donne de la réalité que de la réalité elle-même ». Or, l’explication par le degré plus avancé de grammaticalisation de se faire+Vinf qui a pour conséquence « une diminution de la perception du rôle agentif plus importante en français qu’en espagnol » (idem : 173) paraît une piste explicative plus plausible. ������������������������������������������������������������������������������������������� Cf. Gaatone (1983 :170) : « Il est anormal d’admettre qu’un être humain soit l’instigateur volontaire de procès dont il serait lui-même la victime ». ������������������������������������������������������������������������������������� Selon Spang-Hanssen (1967 : 141) lorsqu’il s’agit d’actes désagréables ou violents, se faire+Vinf marque l’idée de processus. Dubois & Lagane (1973 : 169) expliquent aussi la différence entre des énoncés du type (11) et (11a) par les propriétés aspectuelles : le premier renvoie à des procès vus dans leur déroulement, le second à des procès vus comme achevés. Iva Novakova 112 Contrairement à Tasmowski & Van Oevelen (1987 : 48) qui considèrent que la construction est incompatible avec un sujet non animé *Son piano s’est fait abîmer par les déménageurs, Kupferman (1995 : 73) montre que, dans un contexte générique (cf. aussi 12 et 13), des phrases de ce type deviennent tout à fait acceptables : Les pianos se font toujours abîmer lors des déménagements (cf. 12 et 13). Il rapproche ainsi se faire+Vinf en emploi générique au se moyen d’emploi passif (Ce livre se lit bien). Ici, ce n’est plus par le rôle sémantique du S (instigateur volontaire ou involontaire du procès) qu’on peut rendre compte des différentes nuances de sens entre les deux formes, substituables dans ces contextes. Ce sont, à notre avis, des paramètres aspectuels au service des visées discursives qui, une fois de plus, entrent en jeu. En choisissant la forme se faire+Vinf, le locuteur présente le procès comme inaccompli (se faire désirer) ou en déroulement (être sur le point de se faire dépasser), ce qui est en harmonie avec le profil aspectuel de cette forme, le passif, lui, présentant le procès comme accompli. Pour récapituler, dans les cas où se faire+Vinf et êtreVé sont interchangeables le locuteur choisira être+Vé ou se faire+Vinf en fonction du rôle sémantique qu’il souhaite « faire endosser » au Sujet : avec être Vé celui-ci est beaucoup moins agentif que celui de se faire+Vinf, qui est à la fois patient et instigateur du procès dont les effets reviennent, d’une façon ou d’une autre, sur lui-même. Par ailleurs, lorsque le sujet de se faire+Vinf « est impliqué indépendamment de sa volonté dans un enchaînement causal » (François 2000 : 163), c’est-à-dire que son double rôle n’est pas avéré, des facteurs aspectuels entrent en jeu pour le calcul de la signification de se faire+Vinf. 3.2. Se faire+Vinf bitrans Le français, à la différence de l’anglais, ne dispose pas de passif formé sur le c.o.i. Lorsque le verbe de la phrase active est un verbe bitransitif, la construction se faire+Vinf permet de former un passif sur le troisième actant, comme en (14) et (14a) : 14. Kim Yong-nam venait d’attribuer une parcelle du pays à M. Yang. A1 A2 A3 14a. M. Yang venait de se faire attribuer une parcelle du pays par Kim Yong-nam (F) A1=A3 A2 A3=A1 Ce phénomène relève pleinement de la diathèse qui permet d’en donner une explication fonctionnelle : le S de la phrase active est destitué. Il s’ensuit un La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle 113 réarrangement des actants : le c.o.i. accède à la fonction S, ce qui permet au locuteur de le thématiser. Du point de vue des rôles sémantiques, le S est bénéficiaire ou victime du procès. Les verbes bitransitifs qui entrent dans cette construction appartiennent aux verbes de don (se faire offrir, attribuer), de transfert (se faire livrer, rembourser, restituer), de dire (se faire annoncer, dicter, ordonner) : 15. Personne n’a le droit de se faire communiquer les résultats de l’expertise. (M) 16. Laurent Fabius entend bien ne pas se faire ravir l’image de la gauche moderne. (F) Avec les verbes bitransitifs, se faire+Vinf n’est plus une variante contextuelle du passif mais une forme de sens passif, appelé passif complémentaire (Bat-Zeev Shyldkrot 1999 : 67), du destinataire (François 2000), ou oblique (Creissels 2006). Se faire est ici un auxiliaire de diathèse passive (François 2000 : 160). 4. Se faire+Vinf à sens réfléchi Se faire+Vinf fonctionne aussi comme un causatif réfléchi. Dans ce cas, la construction n’est pas substituable avec un passif. Il s’agit ici de la combinaison de la diathèse causative et réfléchie (ou récessive). 4.1. Se faire + Vinf intr Lorsque le verbe à l’infinitif est intransitif, les conditions structurales pour la transformation passive ne sont pas réunies. Le passif est donc impossible dans ces conditions. La valence verbale n’augmente pas comme dans le cas du causatif (n+1), elle diminue d’un actant (n-1) par rapport au tour causatif faire+Vinf : 17. L’été, Marie bronze bien au soleil. (n=1) 17a. L’été, la réverbération du soleil sur le sable fait bronzer Marie. (+1 A ; n=2) 18. Marie se fait bronzer (grâce aux UV). (-1 A n=1) La fréquence des verbes intransitifs enchâssés dans la construction se faire+Vinf reste cependant très peu élevée (moins de 2 % de la totalité des verbes du corpus). Pour ce qui est de la nature sémantique des intransitifs qui s’enchâssent sous se faire, il s’agit d’un petit nombre de verbes (une dizaine environ), notamment des �������������������������������� Cf. aussi Tesnière (1959 : 264). Iva Novakova 114 inaccusatifs de changement d’état : avorter, bronzer, exploser, maigrir, saigner, suer, vomir. Ces verbes expriment une action qui vise ou atteint le S, ce qui est en harmonie avec son rôle sémantique : les effets du procès lui reviennent, autrement dit il subit un changement d’état : 19. Surtout qu’ensuite ils vont régulièrement se faire maigrir chez des médecins, dans des cures ou en thalassothérapie. (F) 20. Il y en a qui font ce qu’ils veulent, et d’autres qui se font suer à se soumettre avant même qu’on ne leur demande. D’autres se font vomir, deviennent anorexiques, pour rester à l’école. (M) L’explication de ce fait par l’hypothèse inaccusative (Levin & Rappaport 1995), qui articule les propriétés syntaxiques (l’ergativité) aux propriétés sémantiques de ces verbes, n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi le tour n’apparaît pas avec d’autres inaccusatifs (de changement de position) comme venir, arriver, sortir, entrer ou pourquoi se faire rire (inergatif) est possible, tandis que les autres inergatifs comme danser, courir, nager, pleurer sont naturellement exclus, du fait qu’il expriment un procès qui part du sujet mais sans le viser ou l’atteindre : 21. Mardi dernier encore, devant les parlementaires socialistes, Lionel Jospin s’était fait rire lui-même en rappelant involontairement sa sortie aérienne. (F) Tasmowski & Van Oevelen (1987 : 45) optent pour une explication par la nature sémantique du verbe. Si le verbe renvoie à des actes volontaires et contrôlables par le S comme nager, courir, venir, entrer ou à des actes involontaires et incontrôlables (penser, réfléchir, ronfler, rêver), se faire+Vinf intr n’est pas possible. En revanche, la construction est possible avec des « verbes désignant des activités que le S peut délibérément provoquer mais qui se prolongent dans une situation où il est soumis à une modification10 » (idem). Autrement dit, le sujet provoque un procès qui entraîne un changement de son état, de son corps. Il est à la fois déclencheur et patient (siège du procès). 4.2. Se faire+Vinf trans 4.2.1. Se faire+Vinf trans exprimant des actes liés au corps humain Les verbes qui expriment des actes liés au corps humain, aux vêtements, aux cheveux entrent naturellement dans cette construction. Le S est instigateur et provoque un changement d’état sur son corps, ses cheveux, ses vêtements : se 10�������������������������� C’est nous qui soulignons. La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle 115 faire confectionner une robe, se faire couper/teindre les cheveux, se faire caresser, épiler, lifter, tripoter : 22. Dans ce nouveau centre, on peut aussi se faire couper les cheveux. (F) 23. Jürgen Brandes, avant d’être tué, aurait accepté de se faire couper le pénis. (M) Le tour fonctionne ici comme un vrai causatif réfléchi, non substituable avec le passif. 4.2.2. Se faire+Vinf trans exprimant des actions ou des états. Contraintes syntaxicosémantiques sur la substitution avec le passif Lorsque se faire+ Vinf trans n’est pas substituable avec le passif, il apparaît dans des contextes syntaxiques bien précis, à savoir après des verbes de mouvement, de perception, modaux ou des périphrases aspectuelles. Si la construction avec des verbes de mouvement qui bloque le passif a été remarquée par Spang-Hanssen (1967), les autres verbes qui introduisent se faire+Vinf n’ont pas fait l’objet d’une description et d’une analyse systématique. Or, vu le grand nombre d’occurrences de ce type dans les corpus, ces contraintes syntaxico-sémantiques méritent d’être étudiées de plus près. 4.2.2.1. Après une périphrase aspectuelle Les données révèlent une fréquence élevée de se faire+Vinf après les périphrases aspectuelles exprimant les phases du procès : commencer à, être en train de, finir de. Le passif qui renvoie essentiellement à des procès accomplis (Il est assassiné) est difficilement compatible avec l’expression des phases du procès. En revanche, se faire+Vinf qui renvoie surtout à des procès en cours est compatible avec les phases : 24. Il est sorti à l’étranger et a commencé à se faire battre. (M) 25. Il était en train de se faire griller tranquillement une mouette sur un barbecue de fortune. (FT). 26. Ils ont fini par se faire piquer le travail. (F) La substitution avec le passif est ici impossible. Aux contraintes aspectuelles s’ajoute le rôle actif du S. Le footballeur a été en quelque sorte la cause de son échec (24), le personnage en (25) est agentif, ceux de (26) ont provoqué, par leur attitude, l’éviction de leurs postes. 116 Iva Novakova 4.2.2.2. Après un verbe de mouvement : *Vmvmt être Vé vs Vmvmt se faireVinf Cette contrainte syntaxique peut également être expliquée par le rôle sémantique du S : celui-ci participe de façon active au procès, il « se rend pour ainsi dire dans la situation » (Tasmowski & Van Oevelen 1987 : 47), ce qui exclut ou rend assez peu naturel le passif. Les exemples de ce type abondent dans les corpus : 27. Les nouveaux présidents vont traditionnellement se faire acclamer à cet endroit. (F) 28. la « zone mixte »����������������� ������������������ où les sportifs viennent se faire interviewer après les matches et ne pourront pénétrer dans le stade. (M) La contrainte est levée, lorsque aller ou venir sont auxiliaires de temps : 29. Il y en a qui vont se faire acheter / être achetés par les consortiums. (M) 30. Ils venaient de se faire coincer /d’être coincés par des Teutons. (FT) L’explication « aspectuelle » de Spang-Hanssen qui rattache l’emploi de se faire+Vinf après les verbes de mouvement à la tendance d’« éviter [la] construction passive quand l’infinitif marque l’aboutissement de l’action indiquée par le verbe de la phrase » mérite d’être précisée. Ce n’est pas l’aboutissement de l’action qui bloque le passif après un verbe de mouvement (ce qui irait à l’encontre de sa tendance à exprimer des procès accomplis), mais la participation active du sujet dans la réalisation du procès, à la différence du S du passif qui n’est pas agentif. On est ici en présence d’une subtile superposition de traits aspectuels véhiculés par se faire+Vinf et du rôle sémantique du sujet dans le procès. 4.2.2.3. Après un verbe modal ou de sentiment Les cas où le tour se faire+Vinf est précédé d’un verbe modal (devoir, pouvoir, falloir, vouloir) ou de sentiment (détester, aimer, craindre) sont très fréquents dans les corpus. La substitution avec un passif est très peu naturelle. Les verbes modaux qui expriment le degré d’adhésion du S à son discours (ou la tension maximale) se font naturellement suivre de se faire+vinf : 31. Les candidats doivent se faire connaître aujourd’hui. (F) 32. Les 300 salariés peuvent (veulent /profitent pour) en effet se faire masser, accéder à un sauna, à une salle de musculation. (M) 33. Galliano aime se faire désirer. (F) 34. Lionel Jospin déteste se faire dicter son calendrier. La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle 117 Les verbes modaux ou de sentiment sont en harmonie avec le rôle du S plutôt actif de se faire+Vinf. L’activité du S s’exprime ici à travers son degré d’adhésion active au procès dont les effets reviennent en quelque sorte à lui (à sa réputation, à son corps). 4.2.2.4. Après un verbe de perception Enfin, dans les subordonnées infinitives, après les verbes de perception voir, entendre, regarder, la présence de se faire +Vinf non-interchangeable avec le passif pourrait s’expliquer par ses propriétés aspectuelles qui renvoient surtout à des procès en déroulement : 35. Quand nous regardions sur CNN des villes se faire bombarder à la télévision (F) 36. Il raconte, la voix serrée, avoir vu les pompiers se faire évacuer au bout d’une heure et demie (F) Le procès dans sa phase progressive est peu compatible avec l’aspect accompli du passif :*Nous regardions des villes être bombardées. *Il raconte avoir vu les pompiers être évacués au bout d’une heure et demie. 4.3. Se faire+Vinf dans des expressions lexicalisées Les données ont révélé que les fréquences les plus élevées de se faire+Vinf dans les différents corpus correspondent à des expressions plus ou moins lexicalisées, qui fonctionnent comme une unité lexicale : se faire entendre (223 occurrences dans Le Figaro et Le Monde), se faire connaître (86 occurrences), se faire sentir (86 occurrences), se faire attendre (76), se faire remarquer (50). La substitution avec le passif, si elle est possible, correspond à un important changement de sens. Les expressions lexicalisées n’admettent jamais un complément d’agent (SpangHanssen 1967 : 145). La plupart de ces expressions se font précéder de sujets non animés (se faire sentir, se faire attendre ou se faire entendre), ce qui est très rare avec se faire+Vinf non lexicalisé : 37. La fatigue (+ le goût de la différence+l’urgence des réformes) se fait sentir. ( ?? sont sentis, ressentis) (M + F, FT) 38. Les représailles ne vont pas se faire attendre (*ne vont pas être attendues). (M) Pour résumer, Gaatone (1983) et Tasmowski & Van Oevelen (1987) considèrent que se faire+Vinf a une valeur propre réfléchie dont le passif est issu. Contrairement à cette thèse, Kupferman (1995 : 76) postule l’existence de deux constructions Iva Novakova 118 homonymes en se faire+Vinf (passive et causative réfléchie) : « [l]a ressemblance morphologique entre deux formes syntaxiques ne signifie pas nécessairement qu’elle soient typologiquement apparentées ». Or, les données diachroniques vont à l’encontre de cette thèse. Comme l’indique Creissels (2006, T2 : 69-70) : « [À] partir d’une valeur causative, l’interprétation passive se serait développée par l’intermédiaire d’une réflexivisation de la construction causative sans marque morphologique. » Cette évolution en trois étapes pourrait être schématisée de la façon suivante : causatif (X a fait assassiner Y) → réflexivisation (Y s’est fait assassiner) → passif (Y a été assassiné). L’analyse fonctionnelle des paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs permet de conclure à l’existence d’un continuum entre les valeurs d’une même forme. 5. Se faire+Vinf dans les différents corpus Voici le tableau récapitulatif des données des différents corpus : Corpus Nombre de mots Frantext Le Monde Le Figaro Blogs Scientifique 21 991 573 25 949 000 26 995 000 255 900 1 978 633 Nombre d’occurrences de se faire+Vinf 2079 1932 1751 12 14 % 0,0095% 0,0074% 0,0065% 0,0047% 0,0007% Comme le montre le tableau récapitulatif, se faire+Vinf est le plus fréquent dans les textes littéraires, très fréquent dans les corpus journalistiques, peu fréquent dans les blogs et quasi-inexistant dans les corpus scientifiques. Comment expliquer ces faits ? D’abord les choix discursifs de se faire+Vinf dans les textes littéraires et journalistiques pourraient s’expliquer par les restrictions syntaxico-sémantiques qui pèsent sur le passif (la construction verbale, les blocages aspectuels, les verbes modaux). La grande fréquence de se faire+Vinf dans les corpus littéraires et journalistiques pourrait également être due au fait que le passif (et donc se faire+vinf à sens passif) est propre à l’écrit et moins fréquent à l’oral (Dubois 1967 :102). Ce fait pourrait inversement expliquer la très faible fréquence de la La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle 119 construction dans les blogs qui se rapprochent de la langue parlée (on y rencontre surtout des expressions lexicalisées se faire taxer de, se faire passer pour, se faire sentir). Une autre raison du grand nombre d’occurrences de la construction se faire+Vinf dans les textes littéraires ou journalistiques pourrait être le fait, qu’à l’instar du passif, elle permet de « maintenir l’isotopie référentielle des sujets de phrases consécutives pour substituer une progression à thème constant [... ] à la rupture thématique» (Riegel et al. 1993 : 441) : 39. L’attaquant bastiais Florian Maurice, qui a réussi l’exploit de se faire exclure du terrain alors qu’il s’était déjà fait expulser …(M). 40. Avant d’être nommés ambassadeurs, ou de se faire assassiner, les écrivains connaissent le plus souvent l’exil. (F) Comme le montrent les exemples (39) et (40), « les formes passives se cumulent et se renforcent mutuellement suite à une diversité de facteurs qui favorisent leurs emplois » (idem p. 442). Par ailleurs, le fait de considérer que les registres et, en particulier, le registre soutenu, sont un paramètre important du choix de se faire+Vinf à sens passif (Kupferman 1995 : 60) à l’écrit n’est pas confirmé par les données du corpus. Elles révèlent un nombre important d’infinitifs enchâssés sous se faire appartenant aux registres familiers, populaires, voire argotiques : se faire canarder, carotter, couillonner, alpaguer, baiser, coffrer, cueillir, choper, sauter, engueuler, incompatibles avec un registre soutenu. Enfin, si le passif est assez fréquent dans les textes scientifiques, se faire+Vinf y est quasiment absent. Une des raisons pourrait en être que dans les textes scientifiques, tendant à un maximum d’objectivité, le passif est une stratégie d’évitement du « je » et, plus généralement, d’un énonciateur agentif qui est propre à la construction se faire+Vinf. Ce type de textes offre très peu de situations où le sujet énonciateur a le double rôle de patient et d’instigateur du procès, ce qui provoque un changement d’état, ou bien où il est question d’actes « agréables » ou « désagréables ». 6. Conclusion Les tendances qui se dégagent à l’issue de cette étude multidimensionnelle révèlent que l’emploi de se faire+Vinf à valeur passive et réfléchie est conditionné par la construction verbale (verbes intransitifs, transitifs, bitransitifs), les traits aspectuels et le rôle sémantique du S. Le choix discursif entre se faire+Vinf et êtreVé se fait en fonction du rôle du S (instigateur et patient vs patient) dans le procès et la façon dont celui-ci se déroule. La construction se faire+Vinf est considérée comme une 120 Iva Novakova forme à plusieurs valeurs, solution qui nous paraît préférable à celle qui y voit deux constructions homonymes. La diachronie est aussi un argument en faveur de cette analyse. L’étude fonctionnelle sur de vastes corpus permet de mieux rendre compte des spécificités du fonctionnement de se faire+Vinf. Bibliographie Bat-Zeev Shyldkrot, H. 1999 : Analyse sémantique d’une forme passive complémentaire : se laisser. Langages 135. 63-74. Bat-Zeev Shyldkrot, H. 2005 : Comment définir la périphrase ‘se laisser+inf’. Lingvisticae Investigationes Supplementa 25. 245-257. Creissels, D. 2006 : Syntaxe générale : une introduction typologique. ���������������������� T2. Paris : Lavoisier. Dik, S. 1997 : The Theory of Functional Grammar, Part 1. Berlin, New York : Mouton de Gruyter. Dubois, J. 1967 : Grammaire structurale du français. Paris : Larousse. Dubois, J. & Lagane, R. 1973 : La nouvelle grammaire du français. Paris : Larousse. François, J. 2000 : Désémantisation verbale et grammaticalisation, (se)voir employé comme outil de redistribution des actants. Syntaxe & Sémantique 2. 159-175. Gaatone, D. 1983 : Le désagréable dans la syntaxe. Revue Romane 18/2. �������� 161-173. Halliday, M.A.K. 1985 : An Introduction to Functional Grammar. E. Arnold : London. Kupferman, L. 1995 : La construction passive en « se faire ». Journal of French Language Studies 5. ������ 57-83. Lamiroy, B. 1993 : Pourquoi il y a deux passifs ? Langages 109. 53-72. Lazard, G. 1994 : L’actance. Paris : PUF. Nølke, H. 1999 : Linguistique modulaire : principes méthodologiques et applications. Approches modulaires. Éds. H. Nølke et J.-M. Adam. Lausanne–Paris : Delachaux & Niestlé. 17-73. Riegel, M., Pellat, J.-Ch. et Rioul, R. 2001 : Grammaire méthodique du français. Paris : PUF. Rothemberg, M. 1974 : Les verbes à la fois transitifs et intransitifs en français contemporain. The Hague : Mouton. Sinner, C. et Van Raemdonck, D. 2005 : ����������������������������������������������������� « Faire » et « se faire », c’est toujours faire ? Le médio-passif en espagnol et en français. Les diathèses en français. Éds. ��������������������� C. Sinner et G. Veldre. Frankfurt am Main : P. Lang. 155-175. Spang-Hanssen, E. 1967 : Quelques périphrases passives du français moderne. Revue Romane No spécial 1. 139-148. Tasmowski-De Ryck, L. et Van Oevelen, H. 1987 : Le causatif pronominal. Revue Romane 22/1. 40-58. Tesnière, L. 1959 : Éléments de syntaxe structurale. �������������������� Paris : Klincksieck. Van Valin, R. et Foley, W. 1980 : Role and Reference Grammar. Current approaches to syntax. Eds. E. A. Moravcsik & J. R. Wirth. New York : New York Academic Press. 329-352. Rea Peltola L’irréalis dans le discours : la fonction dialogique du subjonctif français et du conditionnel finnois subordonnés 1. Introduction 1.1. Objectifs de l’étude Cette communication s’intéresse à l’emploi des modes verbaux subordonnés, du point de vue des propriétés dialogiques du discours. L’étude portera sur le subjonctif français et le conditionnel finnois, dans les compléments du verbe directs et indirects introduits par que et että, sous la portée d’une négation. S’appuyant sur les observations de Thompson (2002) sur les propositions complétives dans la conversation en anglais, l’analyse mettra d’abord en valeur que les structures exprimant l’attitude du locuteur, ainsi que l’objet de cette attitude, peuvent se construire d’une manière différente dans la conversation en temps réel et dans le discours non-conversationnel. Ensuite, elle démontrera que le conditionnel finnois et le subjonctif français partagent une fonction dialogique dans le discours non-conversationnel : sous la portée d’une négation, les deux modes peuvent fonctionner comme indications d’un dialogue entre deux points de vue. L’étude tend à mettre en rapport les études sur les structures complétives dans la conversation et les approches dialogiques à la langue écrite, inspirées par l’œuvre de Bakhtine (Bahtin 1991 [1963]), et développées par Ducrot (1984) et Linell (1998). En même temps, elle contribue aux observations sur les fonctions subjonctives du conditionnel finnois. Pour commencer, je présenterai le corpus de l’étude (section 1.2). Ensuite, je passerai brièvement en revue des caractéristiques sémantiques et pragmatiques du conditionnel finnois et du subjonctif français (section 2), mettant en avant que les deux modes ont été analysés en termes de la théorie d’espaces mentaux de Fauconnier (1984). En ce qui concerne le conditionnel finnois, je présenterai, en outre, des études ayant constaté son aspect subjonctif. Le subjonctif français sera examiné dans un cadre plus large de subordination. Cette présentation préliminaire � �������������� Université de Helsinki �������� 122 Rea Peltola sera suivie de l’analyse des données, dans la section 3. Enfin, la section 4 conclura la communication. 1.2. Corpus L’analyse portera sur des corpus de presse quotidienne, d’un côté, et de conversations, de l’autre. Les données finnoises sont tirées des textes de presse du corpus électronique Suomen kielen tekstikokoelma (désormais Ftc, de Finnish text collection), ainsi que du corpus de conversations du département de langue et littérature finnoises de l’Université de Helsinki (désormais SKL). Les données françaises proviennent d’un corpus de presse collecté dans les archives électroniques du journal Ouest-France (durant 2000–2005), ainsi que du corpus oral des langues romanes C‑ORAL‑ROM. Les références des corpus utilisés se trouvent à la fin de la communication. Les extraits finnois, présentés au cours de l’analyse, seront accompagnés d’une traduction morphémique interlinéaire et d’une traduction plus libre. Les transcriptions des exemples tirés de conversations se basent sur celles utilisées dans les corpus, mais elles ont été complétées par la suite. Pour uniformiser la méthode de transcription, les exemples tirés du C-ORAL-ROM ont été modifiés selon les conventions présentées p.ex. dans Schegloff (2007). Les abréviations utilisées dans les traductions, ainsi que les conventions de transcription, sont expliquées à la fin de la communication. Les caractères gras dans tous les exemples sont utilisés par l’auteur à des fins de l’analyse. 2. Modes verbaux et subordination 2.1. Le conditionnel finnois en tant que subjonctif La grammaire finnoise connaît quatre modes verbaux : l’indicatif, l’impératif, le potentiel et le conditionnel. L’indicatif est un mode non-marqué qui exprime une affirmation catégorique, alors que l’impératif et le potentiel portent les valeurs modales déontique et épistémique, respectivement (Hakulinen, Vilkuna, Korhonen, Koivisto, Heinonen & Alho 2004 : 1510–1511). Le conditionnel, marqué par l’affixe ‑isi‑, s’est vu attribuer des valeurs multiples : la condition, la contrefactualité et la non-factualité ont été considérées comme ses valeurs de base (Penttilä 1957 ; Hakulinen & Karlsson 1979). D’après Lehtinen (1983), le sémantisme du conditionnel provient de l’origine étymologique de l’affixe ‑isi‑, qui dérive d’un morphème ayant exprimé des valeurs de fréquence, de durée et de futur. L’expression du futur est la cause de la valeur de non-factualité du 123 L’irréalis dans le discours conditionnel en finnois contemporain : le futur est non-factuel en soi. L’emploi du conditionnel comme futur du passé fait la preuve de cette évolution (op. cit.). Kauppinen (1998) a classé les valeurs du conditionnel finnois sous les concepts d’intention et de prédiction (voir Bybee, Perkins & Pagliuca 1994). En effet, dans une proposition indépendante, le conditionnel peut exprimer, d’une part, la volonté ou le souhait, c’est-à-dire la valeur intentionnelle (ex. 1). 1. Ottaisin osaa viime aikojen keskusteluun turkistarhoista. �������� prendre.cond.1sg part.part dernier temps.pl.gen débat.ill fourrure.ferme.pl.el Voin sanoa oman mielipiteeni, joka on samalla pouvoir.1sg dire.inf propre.acc opinion.acc.poss.1sg rel être.3sgen.même.temps monen muunkin, emme tarvitse turkistarhoja! beaucoup.gen autre.gen.cltneg.1pl avoir.besoin.neg fourrure.ferme.pl.part (Ftc, Aamulehti 1999.) ‘J’aimerais prendre part au débat de ces derniers temps sur les fermes d’élevage d’animaux à fourrure. Je peux dire mon opinion à moi, qui est en même temps celle de beaucoup d’autres, nous n’avons pas besoin de fermes d’élevage d’animaux à fourrures !’ D’autre part, le conditionnel peut indiquer la conséquence d’un événement qui n’est pas réalisé, c’est-à-dire la valeur prédictive (Kauppinen 1998 : 163–167, 194). Cette interprétation est activée par des facteurs contextuels tels un syntagme nominal ou adpositionnel ou une proposition conditionnelle introduite par la conjonction jos (‘si’) (ex. 2) (op. cit., pp. 199–200). Ces signaux contextuels posent les circonstances sous lesquelles l’événement exprimé par la forme verbale conditionnelle se réalise. Étudiant le conditionnel français, Haillet (2002) a utilisé le terme cadre hypothétique pour désigner ces circonstances. En effet, le conditionnel finnois partage cette valeur avec le conditionnel français. 2. Lalliäänesti nuijalla englantilaisen piispan HenrikPyhän hengiltä. prp voter.ipf.3sg massue.ad anglais.acc évêque.acc prp saint.accvie.pl.abl Jos Henrik olisi voittanut conj prp aux.cond.3sg vaincre.pcp Suomea hallitsisi finlande.part régner.cond.3sg Lallin, prp.acc Englannin angleterre.gen kuningatar. reine ������ (Ftc, Aamulehti 1999.) ‘Lalli a voté avec une massue en tuant l’évêque anglais Saint Henri. Si Henri avait vaincu Lalli, Finlande serait régie par la reine d’Angleterre.’ 124 Rea Peltola Dans l’exemple (2), le conditionnel apparaît également dans sa forme composée : olisi voittanut (‘avait/aurait vaincu’). Dans ce conditionnel passé, l’irréalis se combine avec une distance temporelle, et l’énoncé peut être pragmatiquement inféré comme contre-factuel (Lyons 1977 : 820 ; Lehtinen 1983). Setälä (1883) a fait remarquer que le conditionnel passé finnois ne détermine pas un point temporel spécifique dans le passé, ce qui évoque d’une manière intéressante les analyses faites sur les temps du subjonctif français (voir ci-dessous). Outre ces emplois dans les propositions syntaxiquement indépendantes, le conditionnel finnois est sémantiquement apte à apparaître dans des positions subjonctives (Kauppinen 1998 : 164). Une de ces positions est présentée dans l’exemple (2), où le conditionnel se trouve dans la partie protase, introduite par la conjonction jos (‘si’), d’une construction conditionnelle. Selon les termes de Kauppinen (op. cit.), la forme finnoise en -isi- est, « par son sémantisme, suffisamment forte pour apparaître dans l’apodose, mais assez légère pour être utilisée dans des positions sub/conjonctives ». De plus, Vilkuna (1992 : 85–86) a mis en parallèle avec les subjonctifs des langues romanes l’emploi du conditionnel finnois dans les propositions relatives non-spécifiques, en particulier dans celles modifiant un SN qui se trouve sous la portée d’une négation. Pour ce qui est des propositions complétives, concernées dans la présente étude, Helkkula, Nordström & Välikangas (1987 : 120–130) ont observé qu’une forme subjonctive française a tendance à être traduite par une forme conditionnelle finnoise quand il s’agit d’un événement contrefactuel et, au moins dans une certaine mesure, quand on exprime la modalité déontique. Étudiant la structure des compléments des verbes factifs et non-factifs, Pajunen (2001 : 315) mentionne le conditionnel finnois comme un exemple de subjonctif. Elle fait remarquer que les verbes factifs ne peuvent recevoir une forme conditionnelle dans leur complément (pour la distinction factif/non-factif, voir Kiparsky & Kiparsky 1971). Somme toute, le conditionnel finnois remplit la fonction du subjonctif dans certains contextes. Du fait de cette multiplicité de fonctions, l’interprétation du conditionnel finnois est particulièrement liée à la construction syntaxique de la phrase et au contexte discursif. Pour couvrir tous les emplois du conditionnel finnois, Kauppinen (1998) utilise le concept d’espaces mentaux : dans le discours, le locuteur construit, par des moyens linguistiques, des domaines d’interprétation, appelés espaces mentaux, avec lesquels il peut parler d’événements parallèles et alternatifs à la réalité actuelle (op. cit. : 166–167 ; Fauconnier 1984). Les temps et modes verbaux indiquent le domaine d’interprétation qui est pertinent pour un énoncé donné (Fauconnier 1984 : 52–54). Le subjonctif français a également été analysé sous la perspective d’espaces mentaux, comme nous le verrons ci-dessous. L’irréalis dans le discours 125 2.2. La subordination et le subjonctif français La subordination est une relation intraphrastique où une proposition constitue un élément syntaxique et sémantique dans une autre proposition. Sur un plan typologique, il est rare que cette position subordonnée ne se reflète pas sur la structure de la proposition : la relation asymétrique entre les deux propositions peut être marquée, dans la proposition subordonnée, par une conjonction, par un ordre de mots spécial ou bien par l’absence de certains éléments temporels, aspectuels ou modaux (Feuillet 1992 : 9). Cette étude s’intéresse à ces derniers, c’est-à-dire aux propriétés temporelles, aspectuelles et, avant tout, modales de la forme verbale d’une proposition subordonnée. En effet, le verbe d’une proposition subordonnée peut se comporter différemment de celui d’une proposition principale. En premier lieu, le temps, l’aspect et le mode du verbe subordonné peuvent renvoyer soit au moment de l’énonciation, soit au moment de référence de la proposition principale. En deuxième lieu, si les valeurs temporelles, aspectuelles et modales de la proposition subordonnée sont prédéterminées par le sémantisme de la proposition principale, le verbe subordonné peut être privé des marqueurs de ces valeurs (voir Cristofaro 2003 : 53–64). En français, le mode subjonctif est le mode par excellence dans ces contextes prédéterminés par le sémantisme de la proposition principale. Dans le cas des structures complétives, les propositions principales exprimant la négation, le doute, la possibilité, la nécessité, la volonté, ou bien un sentiment, reçoivent un complément au subjonctif (Grevisse & Goosse 2007 : § 1126). Le temps, l’aspect et le mode de la proposition complétive sont imposés par le moment de référence de la proposition principale, le subjonctif ne pouvant en soi les exprimer (Gosselin 2005 : 94–96). En effet, les formes qu’on appelle « temps » du subjonctif n’expriment guère une périodisation temporelle, mais virtuelle, ce qui explique la morphologie réduite du subjonctif comparée à celle de l’indicatif, très complexe (Guillaume 1929 ; Soutet 2000 : 144–147). Laissant indéterminée la relation de l’événement exprimé dans la complétive à l’égard du moment de l’énonciation, le subjonctif indique que l’événement est considéré comme relatif à un espace mental autre que la réalité actuelle (Achard 1998, ch. 6), cet espace étant mis en place par le sémantisme de la proposition principale (Fauconnier 1984 : 53–54). Ainsi, reflet des valeurs modales de la proposition principale, le subjonctif français peut être considéré comme une manifestation de la cohésion entre les deux propositions (Tanase 1943 : 241–242). 126 Rea Peltola 3. Le mode subordonné comme marqueur du dialogue Dans ce qui suit, je me pencherai sur les structures complétives négatives pour démontrer que le subjonctif français et le conditionnel finnois partagent une fonction dialogique dans le discours non-conversationnel : sous la portée d’une négation, ils marquent un point de vue autre que celui du locuteur. Comme le phénomène étudié traite plutôt de la question de propriétés dialogiques de l’interaction que celle de mode de communication, j’ai choisi d’utiliser ici le terme non-conversation au lieu de langue écrite. Par conversation, j’entends une activité au cours de laquelle le locuteur change à plusieurs reprises, alors que le discours non-conversationnel est prononcé par un seul locuteur. La division n’est toutefois pas absolue : à l’intérieur même d’une conversation, il y a bien entendu des passages plus ou moins étendus prononcés par un seul locuteur. Je commencerai par une brève présentation des principes d’une conception dialogique du discours. Ensuite, en premier lieu, je mettrai en avant que, dans une conversation en temps réel, la relation entre l’énoncé exprimant l’attitude et l’énoncé exprimant l’objet de cette attitude peut être exprimée par des moyens basés sur le système des tours de parole. En deuxième lieu, je proposerai que, dans le discours non-conversationnel, le subjonctif français et le conditionnel finnois peuvent, sous la portée d’une négation, marquer l’émergence du dialogue. 3.1. Discours dialogique Selon une conception dialogique du discours, toute communication suppose un interlocuteur, le sens même d’un énoncé étant le résultat de plusieurs voix. En effet, dans la conversation en temps réel, un tel dialogue est inhérent, puisqu’au moins deux participants sont physiquement présents dans l’interaction. Néanmoins, selon la perspective de cette étude, s’appuyant sur les théories de polyphonie linguistique de Ducrot (1984) et du dialogisme de Linell (1998), le discours prononcé par une seule personne fait aussi entendre plusieurs voix, le sens d’un énoncé étant le produit du chevauchement de ces voix multiples. Dans un discours non-conversationnel, ces voix n’appartiennent toutefois pas forcément aux auteurs d’un discours effectif, mais à des êtres du discours construits dans le discours même (Ducrot 1984, en particulier pp. 189–210). Ces voix sont intériorisées par le locuteur, pour son propre usage : le locuteur crée le dialogue au cours de son discours, et s’adresse ainsi à son interlocuteur virtuel, en anticipant les réactions de celui-ci. L’organisation de ces points de vues peut évoquer celle des contributions des participants d’une conversation à temps réel (Linell 1998 : 196–197, 267–268). Par conséquent, le L’irréalis dans le discours 127 discours non-conversationnel, quoique faiblement dialogique dans une perspective interpersonnelle, est intrapersonnellement dialogique (op. cit.). 3.2. Énoncé négatif dans la conversation Dans la conversation en temps réel, l’énoncé exprimant l’attitude n’est pas toujours associé à un deuxième énoncé. Si l’énoncé sur lequel la négation porte est toutefois présent dans le contexte, l’énoncé négatif ne le précède pas forcément : il peut aussi prendre une position médiane ou finale (voir Thompson 2002). Les deux parties peuvent aussi se trouver dans des tours de parole différents. Examinons l’extrait de conversation dans l’exemple (3), où une étudiante (S), venant du sud de la France, interviewe un commerçant (E). La discussion a lieu dans le magasin de E, en Normandie. Avant le début de cet extrait, E a donné une caractérisation négative de son ancien employeur. Il a aussi décrit les gens du type de son employeur d’une manière plus générale. Dans l’extrait présenté ci-dessous, S propose qu’il s’agirait d’un caractère propre aux Normands. 3. C-ORAL-ROM, ffamdl02 VENDEUR DE MAGIE 1 2 3 4 5 6 7 8 S: c’était pa:s quand même u:n caractère >j’allais dire< nor↑mand pour �������������� rev(h)enir(h)= ((bruit de cuillère dans une tasse)) S: =[au:(h) .hh (.) E: [.mth S: au [pr(h)ofil (de votre pa-) E: [moi j’espère pa:s.= S: =ah ↑b(h)on hehehehehe.hh( ) Après le tour de parole de S (lignes 1–6), E exprime son attitude (moi j’espère pa:s, ligne 7), S ayant proposé un point de vue que E rejette. Les tours de S et E forment une paire adjacente dont le tour de S est le premier, et le tour de E le second élément. L’énoncé de E s’oriente vers celui de S, la négation exprimée dans le tour de E portant sur l’énoncé de S, et non pas sur un complément subséquent. En effet, l’énoncé de E ne peut être perçu comme projetant une continuation sous forme d’un complément : il se termine par une intonation descendante, et il est suivi d’une prise de parole par S, sans chevauchement. Ainsi, l’énoncé négatif se trouve ici dans une position finale à l’égard de l’énoncé sur lequel la négation porte, et ne peut être considéré comme une proposition principale introduisant une proposition complétive. Rea Peltola 128 Dans l’exemple (4), nous avons un énoncé négatif postposé en finnois. Il s’agit de l’extrait d’une conversation où deux amis discutent au téléphone de leur voyage en Laponie et de leurs rencontres avec les habitants locaux. 4. SKL, SG 094-097 MAHATAUTI 1 S: = .hh ei me oikeestaa niinku (.)niide (.) riesana neg1pl vraiment ptl poss.3pl ennui.ess ����������������������������� on les a pas vraiment ennuyés 2 ����� (1.2) 3 V: ° .e:m mäkää neg.1sg1sg.clt je crois pas non plus 4 oltu. être.pcp usk(h)o.° mhh ((en baîllant)) croire.neg (0.8) 5 S: päiv vastoi mehän jelpittii niitä, (.) �������������� au.contraire� 1pl.clt aider.ipf 3pl.part au contraire on les a aidés Dans cet extrait, S affirme que, pendant leur visite en Laponie, S et V ne gênaient guère les habitants locaux. Après une pause, V donne sa réponse sous forme d’un énoncé négatif. L’énoncé de V est prononcé avec une intonation descendante et suivi d’une prise de parole par S. Le tour de parole de V est donc traité par les participants comme terminé. Notons que, puisque l’énoncé de S est aussi négatif, V ne s’oppose pas à la position prise par S, mais au contraire, s’y accorde. Néanmoins, comme dans l’exemple français (3), ici aussi l’énoncé exprimant l’attitude est en position finale à l’égard de l’énoncé sur lequel l’attitude porte. Enfin, l’exemple (5) témoigne que, dans la conversation, l’énoncé négatif peut apparaître dans une position finale même si l’énoncé sur lequel la négation porte est prononcé par le même locuteur. Il s’agit de la suite immédiate de l’échange présenté dans l’exemple (3). 5. C-ORAL-ROM, ffamdl02 VENDEUR DE MAGIE 8 9 10 11 12 13 14 15 S: =ah ↑b(h)on hehehehehe.hh [( ) E: [non parce que moi j’aime[bien= S: [oui E: =ma région quoi [et= S: [oui: [: (s-/c- ) E: [=↓si: les Normands sont comme ↑ça:eu, non non non j’pense pas, .h, par contre:eu, (0.2) .h quand tu dis qu’ils sont crainti:fs, méfiants, et cetera? >ça c’est complètement vrai< L’irréalis dans le discours 129 Suivant l’échange analysé ci-dessus, le tour de S (ah ↑b(h)on – –, ligne 8) exprime que l’information donnée par l’énoncé de E est nouvelle (voir Schegloff 2007 : 157). Ainsi, E continue par une explication (non parce que moi – – ), que S soutient en prononçant deux fois oui. Par la suite, E résume le point de vue que S a initialement proposé : ↓si: les Normands sont comme ↑ça:eu,. Il prononce le début de cet énoncé à un niveau considérablement plus bas que les énoncés environnants, ce qui est sans doute une façon de marquer cet énoncé comme citation (cf. Klewitz & Couper-Kuhlen 1999). Ensuite, E répète son attitude négative : non non non j’pense pas. De même que son énoncé négatif précédent moi j’espère pa:s, la négation j’pense pas suit l’énoncé exprimant le point de vue rejeté. Cette fois-ci, les deux énoncés sont cependant prononcés par le même locuteur : E reproduit une séquence précédente de l’échange. Les énoncés exprimant une attitude fonctionnent dans la conversation comme des cadres épistémiques, évidentiels et évaluatifs pour d’autres énoncés (Thompson 2002). En effet, Mullan (2007) a étudié les énoncés français je pense, je crois et je trouve, dans cette perspective. En ce qui concerne la conversation en finnois et en français, Duvallon (2006 : 164–170, 214–217) a observé que dans les deux langues, certains énoncés, considérés dans le discours non-conversationnel comme éléments recteurs d’un complément, ont un pouvoir recteur affaibli, dans la conversation. Par conséquent, Duvallon les considère plutôt comme « modifieurs modaux » que recteurs d’un complément. Ces énoncés sont syntaxiquement indépendants de l’énoncé qu’ils encadrent – et vice versa, pouvant de cette manière s’orienter sur des extraits de parole plus étendus qu’un seul énoncé (cf. Goodwin & Goodwin 1987). 3.3. Énoncé négatif dans le discours non-conversationnel Dans le discours non-conversationnel, la relation entre un énoncé négatif et l’énoncé sur lequel la négation porte est essentiellement exprimée par une phrase complexe où l’énoncé négatif se met en position initiale, suivi d’un complément exprimant le point de vue rejeté. Ce positionnement est susceptible de motiver le choix du mode verbal dans la proposition complétive, comme nous le voyons dans l’exemple (6). Il s’agit d’un extrait d’article de presse. 6. Le dimanche après-midi, s’ils [les SDF] ne sont pas admis au Relais, ils boivent de l’alcool, sont ramassés par des patrouilles de police... Je ne crois pas que cela aille dans le sens de la réinsertion. (Ouest-France, 21/12/2002.) Dans cet extrait, le locuteur commence par décrire une certaine situation, notamment celle des problèmes vécus par des sans-domicile-fixe. Ensuite, il 130 Rea Peltola conclut son argument avec une structure négative : l’énoncé négatif est suivi d’un complément exprimant le point de vue rejeté par le locuteur cela aille dans le sens de la réinsertion. Notons que le verbe de la proposition complétive est au mode subjonctif (aille). Comparons cet exemple français à un extrait de corpus de presse en finnois : 7. Ainakin osa [romanien] tavoista lähenee valtaväestön ��������������������� au.moins partie rom.pl.gen coutume.pl.el s’approcher.3sgmajoritaire.population.gen kulttuuria. En silti usko, että romanikulttuuri häviäisi. �������� culture.partneg.1sgpour.autant croire.neg conjrom. culture disparaître.cond.3sg Tai, että romaniväestö vähitellen sulautuisi kokonaan conj conj rom.population peu.à.peu s’assimiler.cond.3sg complètement valtaväestöön. ����������������������� majoritaire.population.ill (Ftc, Hämeen Sanomat 2000.) ’Au moins une partie des coutumes [des Roms] s’approche de la culture de la population majoritaire. Pour autant, je ne crois pas que la culture rom disparaisse. Ou que la population rom peu à peu s’assimile complètement à la population majoritaire.’ Une structure similaire à celle de l’exemple français se trouve dans cet extrait. Après avoir constaté une certaine situation, ‘au moins une partie des coutumes des Roms s’approche de la culture de la population majoritaire’, le locuteur admet que la situation n’implique pas la disparition ni l’assimilation totale de la culture rom. Cette concession est faite par un énoncé exprimant une attitude négative en silti usko (‘pour autant, je ne crois pas’) et deux compléments exprimant les points de vue rejetés par le locuteur romanikulttuuri häviäisi (‘la culture rom disparaisse’) et romaniväestö vähitellen sulautuisi kokonaan valtaväestöön (‘la population rom peu à peu s’assimile complètement à la population majoritaire’), les verbes des propositions complétives se trouvant au mode conditionnel. Je propose que l’emploi d’un mode autre que l’indicatif dans les exemples (6) et (7) contribue au contexte dialogique ouvert par la négation. Le subjonctif français et le conditionnel finnois ont respectivement été décrits comme expressions d’un espace mental autre que la réalité actuelle (Kauppinen 1998, Achard 1998). Sous la portée d’une négation, cet autre peut être interprété comme un point de vue que le locuteur présente mais auquel il n’adhère pas. En effet, d’après Ducrot (1984 : 215–218), dans un énoncé négatif, deux points de vue se heurtent, l’un positif, l’autre le refus de celui-ci. Ducrot considère ce type d’énoncés négatifs L’irréalis dans le discours 131 comme des cas de « négation polémique », et les présente comme des exemples de la polyphonie linguistique. Sous la portée d’une négation, le subjonctif français et le conditionnel finnois marquent la distinction entre le point de vue anticipé, mais rejeté par le locuteur, l’irréalis, et celui auquel il adhère, le factuel. Ces deux voix superposées appartiennent, dans la terminologie de Ducrot (1984), à deux êtres du discours différents. Ainsi, le conditionnel finnois et le subjonctif français fonctionnent-ils comme signes de l’émergence d’un dialogue entre deux voix intériorisées par le locuteur. 4. Conclusion Avec cette analyse, je me suis intéressée au parallélisme entre certains emplois des modes subjonctif français et conditionnel finnois, en participant ainsi à la discussion sur les fonctions subjonctives de ce dernier. Les deux modes ont été analysés comme expressions d’un espace mental autre que la réalité actuelle. J’ai proposé que, lorsque le conditionnel et le subjonctif se trouvent sous la portée d’une négation, cet autre s’interprète comme la voix d’un autre être du discours, d’un locuteur second. Ainsi, les deux modes fonctionnent-ils comme indications de l’émergence d’un dialogue entre deux points de vue, dans le discours nonconversationnel. Dans la conversation en temps réel, les moyens pour exprimer l’attitude négative envers un point de vue sont plus variés et se basent sur le système des tours de parole. Rea Peltola 132 Symboles de transcription [ = (0.5) (.) . , ? : mot ° ↑↓ > < hh (hh) .hh (( )) ( ) énoncés en chevauchement absence de pause silence en dixièmes de seconde micro-pause intonation descendante intonation continue intonation montante extension du son emphase volume bas intonation fortement montante/descendante prononciation rapide aspiration prononciation aspirée inhalation remarque du transcripteur incertitude du transcripteur Abréviations utilisées dans les traductions interlinéaires 1 3 abl acc ad aux clt cond conj el ess gen première personne troisième personne ablatif accusatif adessif auxiliaire clitique conditionnel conjonction élatif essif génitif ill inf ipf neg part pcp pl poss prp ptl rel sg illatif infinitif imparfait négation partitif participe pluriel possessif nom propre particule relatif singulier L’irréalis dans le discours 133 Corpus C-ORAL-ROM. Integrated Reference Corpora for Spoken Romance Languages. Studies in Corpus Linguistics 15. John Benjamins Publishing Company, Amsterdam/ Philadelphia. SKL = Corpus de conversations en finnois. Département de la langue et littérature finnoises, Université de Helsinki Ftc = Suomen kielen tekstikokoelma – Finnish text collection. Corpus électronique de textes en finnois, établi par l’Institut de recherche pour les langues de Finlande, le département de linguistique générale de l’Université de Helsinki, le département des langues étrangères de l’Université de Joensuu, CSC – Scientific Computing Ltd. Disponible par le site Internet du CSC, http://www.csc.fi/. Ouest-France, 2000–2005. Archives électroniques, http://alacarte.ouestfrance.fr/. Bibliographie Achard, M. 1998 : Representation of Cognitive Structures. Syntax and Semantics of French Sentential Complements. ��������������������������������������� Berlin / New York : Mouton de Gruyter. 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Malinka Velinova Le cas de la relative et la spécificité de l’énonciation dans la chanson de geste Introduction La transmission orale, c’est-à-dire « l’énonciation in praesentia » (d’après Perret 2006 : 17) des chansons de geste françaises est en rapport étroit avec le style épique appelé « formulaire ». Même si les poèmes n’étaient pas tous destinés à l’interprétation immédiate en temps réel devant le public, mais à la mise par écrit et à la lecture, nous admettons, à la suite de certains auteurs, qu’ils portent, pour la plupart, des traces d’oralité et d’oralisation (cf. Zumthor 1983 et 1987 ; Suard 1993). La formule, le fragment narratif récurrent dans l’épopée, contribue à la récitation, à la performance du jongleur devant l’auditoire en temps réel. Elle aide également même l’identification, la compréhension immédiate des figures et des événements présentés. Ce qui est connu, facilement identifiable en temps réel, n’entrave pas l’audition, l’appréhension du poème. Et puisque les récits sont « prévus pour une transmission orale », « dans leur écriture même, s’inscrivent des éléments de leur représentation, qui gardent la trace d’anciennes performances orales ou au besoin les inventent » (Perret 2006 : 18). Dans le cadre d’une étude des occurrences de la subordonnée relative dans trois chansons de geste – à savoir La Chanson de Roland, Le Couronnement de Louis et Ami et Amile –, nous nous proposons d’expliquer le rôle de l’ancrage contextuel et pragmatique dans le choix des structures syntaxiques au sein des œuvres. Dans un premier temps, on s’interrogera sur les causes de l’emploi assez fréquent de la relative en ancien français, en l’occurrence dans le genre épique, ainsi qu’à l’emploi spécifique des différents types de relatives. On s’arrêtera ensuite sur le problème de la fréquence relativement élevée de l’emploi du relatif dont exprimant le génitif dans l’épopée par rapport aux autres genres médiévaux. Dans un deuxième temps, on étudiera le cas de l’exclamative commençant par un relatif sans antécédent du type Ki veïst…, que les grammaires de l’ancien français présentent en tant que structure caractéristique des textes épiques (Ménard 1994), Université de Sofia « Saint Kliment Ohridski » / Université Paris IV-Sorbonne 136 Malinka Velinova même si l’on trouve la même formule dans les phrases de Froissart, par exemple. On abordera, en troisième lieu, le problème de la disjonction du relatif de son antécédent, en essayant d’appliquer à ce cas la thèse de Perret (2006), avancée à propos de la labilité référentielle due à l’anaphore. 1. Remarques générales sur l’emploi des relatives dans l’épopée médiévale française Quoique la théorie traditionnelle des deux types de relatives, issue des conceptions présentées dans La Logique de Port-Royal, ait soulevé de nombreuses critiques et des objections austères (cf. Gapany 2004, parmi d’autres), nous nous tiendrons, pour les fins de la présente étude, au classement dont on se sert le plus souvent dans les grammaires de l’ancien français et qui est le fruit de la théorie classique (cf. Moignet 1976 ; Joly 2004). Buridant (2000 : 577), ayant recours à la même distinction traditionnelle, divise les relatives en adjectives et substantives, selon qu’elles renvoient ou non à un antécédent, et sépare, en ce qui concerne les premières, au cas où l’antécédent serait défini, la relative déterminative/restrictive de la relative explicative/appositive. C’est notamment à cette typologie que nous nous référerons ci-dessous. Suivant nos conclusions basées sur l’observation détaillée de l’interprétation de la relative dans les différentes traductions/éditions de La Chanson de Roland en français moderne, on peut affirmer que l’emploi de la relative dans le texte en ancien français est de loin plus fréquent. Le traducteur de l’épopée préfère la paraphrase de la relative ; là où elle se trouve conservée, on y sent nettement, grâce à sa réapparition, un effet archaïsant, comme par exemple dans l’édition de Joseph Bédier. La langue moderne essaye donc d’éviter la relative là où c’est possible, pour que la phrase soit plus cohérente, plus légère, moins ambiguë. Aussi emploiet-on dans les traductions en français moderne des appositions, des épithètes liées ou détachées à la place des relatives en ancien français. Or, s’il se trouve parfois que la substantivation ou l’adjectivation est impossible ou que l’auteur essaye de rapprocher sa phrase de celle du poème (pour diverses raisons), on a dans les versions en français moderne la conservation non seulement du relatif sujet qui, mais aussi de ses emplois spécifiques qui ont un effet archaïsant, comme les occurrences de qui en emploi absolu, avec ses différentes valeurs. ��������������������������������������������������������������� Velinova, M. (à paraître) : La syntaxe du pronom relatif sujet qui dans les traductions de La Chanson de Roland en français moderne. Actes du Colloque international Problèmes linguistiques et socioculturels de la traduction, Sofia 2006. Le cas de la relative et la spécificité de l’énonciation 137 Il s’avère par conséquent, d’une part, qu’en ancien français, dans le genre épique, en l’occurrence, l’emploi des relatives est sensiblement plus élevé que dans les traductions / éditions modernes, d’autant plus que la conservation des subordonnées dans les traductions a un effet archaïsant recherché. On observe, d’autre part, en ce qui concerne surtout l’emploi du relatif dont (nous nous appuyons sur nos conclusions à partir des dénombrements des occurrences dans le cadre d’une étude sur dont en français médiéval)������������������������������ , que c’est dans le genre des chansons de geste que l’emploi des subordonnées débutant par ce même relatif est nettement plus fréquent par rapport aux autres genres médiévaux. Paul Zumthor (1983 : 118) privilégie trois niveaux indissociables du discours pour l’épopée médiévale française : le rythme, la syntaxe et le lexique. Notre analyse de la variation formulaire dans le cas des relatives consistera en particulier dans l’observation de ces trois niveaux discursifs de la formule épique. On peut donc supposer que l’emploi élevé de la relative dans les chansons de geste est dû, en grande partie, à sa possibilité d’adaptation malléable aux exigences de la versification, du rythme, de l’assonance, de la syntaxe (assez souple, en effet, en ancien français), ainsi qu’à celles du lexique. Nous vérifierons notre hypothèse en nous arrêtant sur certains aspects de l’emploi des structures syntaxiques qui nous intéressent. On se bornera à l’emploi du relatif qui en fonction de sujet, en observant et en analysant de près les différentes variations structurelles et sémantiques des subordonnées dans les trois œuvres. Il s’agit, dans tous ces cas particuliers, de l’emploi de la relative explicative ou appositive. Elle n’est en réalité que superflue, elle ne joue qu’un rôle stylistique, et n’étant pas porteuse de nouvelles informations, elle ajoute simplement aux valeurs artistiques de l’œuvre ; et c’est cela précisément qui la rend un moule très commode pour la formule, puisque celle-ci, en tant que procédé stylistique, ne fait que réitérer une seule et même information à plusieurs reprises au sein de l’œuvre ou du genre. En ce qui concerne les relatives déterminatives, elles ont, dans la plupart des cas, des fonctions distinctives, sémantiques. 2. Quelques exemples de relatives explicatives On envisagera les relatives qui présentent des « descriptions » de Charlemagne et de l’armement des guerriers ou qui servent à introduire le personnage de Dieu dans les trois chansons de geste que l’on a choisies pour l’étude. Parmi les fragments qui présentent Charlemagne, on distinguera deux groupes de formules se rapportant à ����� Voir infra. 138 Malinka Velinova ses traits caractéristiques – à savoir sa fonction de roi et sa description physique. Or, dans Ami et Amile, on ne retrouve que la variante du premier type à trois reprises, mais elle reprend exactement la même formule, utilisée dans La Chanson de Roland, ce qui témoigne de la continuité dans le genre – les formules identiques ou similaires se retrouvent non pas seulement au sein d’une même œuvre, mais dans le genre en général, à travers les siècles. Dans les deux exemples suivants, c’est le rôle de l’assonance qui joue dans le choix de la variante formulaire, même au risque d’une certaine tautologie dans le second cas surtout : 1. Dist li paiens : « Mult me puis merveiller De Carlemagne, ki est canuz e vielz ! […] » (Chanson de Roland, v. 537-538) 2. Dist li Sarrazins : « Merveille en ai grant De Carlemagne, ki est canuz e blancs ! […] » (Ibid., v. 550-551) En (3), (4) et (5), la variation est aussi bien lexicale que syntaxique ; elle est conditionnée par la versification – le mètre et l’assonance, qui agissent conjointement : les variations lexicales ne concernent que les épithètes de la barbe : « canue », « blanche » et « flurie », mais elles occupent toujours la dernière position, ce qui désigne l’assonance comme raison de la variation ; l’exemple (4) présente, en plus, une variante syntaxique où le régime direct « la barbe » est postposé au verbe ; la fréquence d’emploi de cet ordre des mots est moins élevée dans notre corpus. Il se peut que dans l’ordre des mots en (3) et (5) ait joué l’analogie avec l’ordre des constituants dans les tours attributifs avec être, comme dans « ceste barbe dunt li peil sunt canuz » (cf. infra l’exemple (20)), d’où l’on pourrait facilement obtenir la formule « *dont la barbe est canue », équivalant complètement, de par son sens, à « ki la barbe ad canue ». 3. Tantes batailles en camp en ai vencues E tantes teres larges escumbatues, Que Carles tient, ki la barbe ad canue ! (Ibid., v. 2306-2308) 4. Cunquis l’en ai païs e teres tantes, Que Carles tient, ki ad la barbe blanche. (Ibid., v. 2333-2334) ���������������� Les exemples de La Chanson de Roland sont puisés à l’édition de J. Dufournet. Le cas de la relative et la spécificité de l’énonciation 5. 139 Mult larges teres de vus avrai cunquises, Que Carles tent, ki la barbe ad flurie, E li empereres en est e ber e riches. (Ibid., v. 2352-2354) Lorsqu’il s’agit de présenter Charlemagne comme le roi de France, on utilise les expressions « ki France ad en baillie », « ki tient dulce France », ainsi que leurs variantes, dont voici quelques-unes seulement : 6. Guardet al bref, vit la raisun escrite : « Carle me mandet, ki France ad en baillie […]. » (Ibid., v. 487-488) 7. Liés en fu Charles, qui France a a baillier, Enz en son cuer en fu joians et liés. (Ami et Amile, v. 383-384) 8. Un faldestoed i ont, fait tut d’or mer : La siet li reis ki dulce France tient. (Chanson de Roland, v. 115-116) Et si le vers est un peu plus long, on utilise la variante abrégée « ki France tient », comme en (9) : 9. Envers le rei s’est Guenes aproismet, Si li ad dit : « A tort vos curuciez, Quar ço vos mandet Carles, ki France tient, Que recevez la lei de chrestiens […]. » (Ibid., v. 468-471) Les relatives dans les exemples (3), (5), (6) et (7) présentent la même structure syntaxique où l’objet est antéposé au verbe. L’ordre des mots en (8) et (9) est toujours Sujet-Objet-Verbe, dont on pourrait affirmer qu’il prédomine dans nos occurrences. Buridant (2000 : 748) avance comme facteur formel dans ce cas d’emploi de la relative la commodité dans les textes versifiés où les désinences verbales riment facilement. Quant à la description de l’armement, elle est présentée le plus largement de nouveau dans La Chanson de Roland, ce qui n’est peut-être pas très étonnant, si l’on prend en considération le sujet des trois poèmes et les nécessités narratives en fonction des thèmes traités. Voici quelques variantes syntaxiques, mais aussi lexicales, de la formule la plus exploitée « ki a or est gemmé », lorsqu’il s’agit de la décoration de l’équipement des guerriers : 10. Vait le ferir li bers, quanque il pout, Desur sun elme, ki gemmet fut ad or : Trenchet la teste e la bronie e le cors, 140 Malinka Velinova La bone sele, ki est gemmet ad or, E al cheval parfundement el dos […]. (Ibid., v. 1584-1588) 11. Veit le Guillelmes, le sen cuider changier ; Bien fu en aise por son colp empleier, Et fiert le rei, que n’ot soing d’espargnier, Par mi son helme, qui fu a or vergiez, Que flors et pierres en a jus trebuchié […]. (Couronnement de Louis, v. 11121116) 12. Il trait l’espee qui fu d’or enheudee Et fiert Hardré sor la cercle doree. (Ami et Amile, v. 1494-1495) Les variantes dans ce cas sont construites autour de la disjonction du tour attributif (dans les exemples (11) et (12)) et de la postposition du verbe être par rapport à l’attribut (en (10)). Lorsqu’il s’agit de présenter les caractéristiques de Dieu et l’attitude du poète envers son image, les occurrences les plus nombreuses de variantes de formules se retrouvent dans Ami et Amile. En (13), (14) et (15), on peut observer la même formule de La Chanson de Roland utilisée dans Ami et Amile, soit telle quelle, soit un peu abrégée à cause de la longueur du vers : 13. Mais lui meïsme ne volt mettre en ubli, Cleimet sa culpe, si priet Deu mercit : « Veire Patene, ki unkes ne mentis, Seint Lazaron de mort resurrexis […] ! » (Chanson de Roland, v. 2382-2385) 14. […] Dex doinst, li Peres qui onques ne menti, Males nouvelles m’en laist encor oïr, A mal putaige soit li siens cors reprins. » (Ami et Amile, v. 1129-1131) 15. Ez a la porte le vaillant conte Ami, Ses tarterelles conmensa a tentir, Bienfait demande por Deu qui ne menti. (Ibid., v. 2692-2694) Les exemples (17) et (18) présentent la même formule dans les deux relatives qui sont identiques du point de vue de la syntaxe et du lexique. Les exemples (16) et (19) constituent des variantes lexicales à cette formule, conditionnées par les restrictions et les exigences de la versification, et plus particulièrement de l’assonance : Le cas de la relative et la spécificité de l’énonciation 141 16. « Ahi ! Guillelmes, li marchis au vis fier, Cil te guarisse qui en croiz fu dreciez ! […] » (Couronnement de Louis, v. 550-551) 17. Desor le marbre, devant le crucefis, La s’agenoille Guillelmes li marchis Et prie Deu qui en la croiz fu mis Qu’il li enveit son seignor Looïs. (Ibid., v. 1679-1682) 18. Oiéz, seignor, que Dex voz soit amis, Li Gloriouz qui en la crois fu mis. (Ami et Amile, v. 903-904) 19. Il le trouva sa defors au degré, Il le salue com ja oïr porréz : « Dex voz sault, sire, qui en crois fu penéz Et de la Virge en Bethleant fu nés […]. » (Ibid., v. 2482-2485) La relative non restrictive permet donc une grande liberté de variation formulaire aussi bien au niveau du rythme qu’à celui de la syntaxe et du lexique. Ainsi les jongleurs disposaient-ils d’une panoplie presque illimitée de variantes de relatives appositives servant à remplir, en l’occurrence, le second hémistiche du vers chaque fois qu’il s’agit de Charles, de Dieu ou bien d’un élément quelconque de l’armement du guerrier. Le discours épique profite pleinement des possibilités diverses de flexibilité qu’offre la relative. 3. Emploi de dont-génitif D’après l’analyse des occurrences d’un corpus plus ou moins restreint, dans une étude portant sur les emplois de dont en ancien et en moyen français, nous avons abouti à la conclusion que le nombre des cas d’emploi de dont en tant que génitif est le plus élevé dans les chansons de geste (La Chanson de Roland – 6 sur 16 cas d’emploi, Le Couronnement de Louis – 9 sur 21, Ami et Amile – 9 sur 36). C’est à la spécificité de la représentation et de l’énonciation, aux particularités du style formulaire, qui exige des tours périphrastiques offrant plusieurs possibilités de variation (comme par exemple en (21)), ce que dont assure en quelque sorte, ������������������������������������������������������������������������ Le corpus, comprenant 16 textes (en vers et en prose) entre la fin du IXe et la fin du XVe s., a été fondé sur la Base textuelle d’ancien français (base Marchello-Nizia) et la Base textuelle de moyen français (CNRS-ATILF) : http://atilf.atilf.fr/dmf.htm. ������������������������������������������������������������ Velinova, M. (à paraître en 2010) : Le relatif-interrogatif dont en ancien et en moyen français. Actes du XXVe CILPR, Innsbruck 2007. 142 Malinka Velinova que nous attribuons les raisons de cette prédominance dans les fréquences. On peut remarquer en plus que c’est dans les énumérations détaillées des combats singuliers ou des descriptions de l’apparence des guerriers, souvent réitérées dans la majorité des cas sous forme de laisses parallèles ou similaires, dans les œuvres épiques, que dont se trouve fréquemment employé, comme dans les exemples qui suivent : 20. « Va, sis pent tuz a l’arbre del mal fust ! Par ceste barbe dunt li peil sunt canuz, Se uns escapet, morz ies e cunfunduz. » (Chanson de Roland, v. 3953-3955) 21. Quatorze rei armerent l’aversier ; El dos li vestent une broigne d’acier, Desus la broigne un blanc halberc doblier, Puis ceint l’espee dont bien trenche l’aciers […]. (Couronnement de Louis, v. 636639) 22. Hardréz a trait l’espee dont brun sont li coutel […]. (Ami et Amile, v. 1484) 23. De grant pitié li cuers li atanrie, Il tint l’espee dont li aciers brunnie Et fiert Hardré dou pommel léz l’oïe […]. (�Ibid., v. 1537-1539) Dans notre corpus, sur les quelque 65 cas d’emploi de dont-génitif, nous avons remarqué certains cas d’inversion du sujet dans la subordonnée, dont (21) et (22). Dans tous les cas relevés, c’est le nom déterminé par dont qui est le sujet dans la subordonnée. Ce n’est qu’en (21), parmi toutes nos occurrences, que le verbe n’est pas le verbe copule être : le verbe trenchier étant employé en plus en tant que verbe intransitif, la syntaxe se trouve conforme aux usages modernes (cf. Le Bidois 1968, T. I : 287). Dans tous les autres cas, on a des constructions attributives inverties, ce qui ne contredit cependant pas les usages anciens, concernant l’ordre des mots, mais offre des variantes commodes à la versification. 4. Le cas de la relative exclamative Ulla Jokinen (1978 : 3) affirme que l’emploi de qui sans antécédent est très répandu en ancien français et que les relatives introduites de cette manière peuvent avoir, dans l’ensemble de la phrase, différentes fonctions (sujets, compléments), même celle d’un circonstanciel, comme dans l’exemple (24), cité par l’auteur. Dans le cas où la relative équivaut à une subordonnée adverbiale de condition et peut se rendre par « si l’on », la principale peut être absente ; on a donc alors une relative Le cas de la relative et la spécificité de l’énonciation 143 à valeur exclamative. Dans notre corpus, les exemples (25) et (26) présentent exactement ce cas, tandis que les autres occurrences citées ci-dessous comportent une phrase complexe entière. 24. 25. Ki dunc oïst Munjoie demander, De vasselage li poüst remembrer. (Chanson de Roland, v. 1181-1182) Ki puis veïst Rollant e Oliver De lur espees ferir e capler ! (Ibid., v. 1680-1681) 26. Ki puis veïst li chevaler d’Arabe, Cels d’Occiant e d’Argoillie e de Bascle ! (Ibid., v. 3473-3474) 27. Qui donc veïst sor toz le conte aidier, Al brant d’acier les riches cols paier, De gentill ome li presist grant pitié. (Couronnement de Louis, v. 2157-2159) 28. Or sont li conte andui el pré assiz. Qui les veïst baisier et conjoïr, Dex ne fist home cui pitié n’en preïst. (Ami et Amile, v. 1941-1943) Les grammairiens avancent que cet emploi absolu du pronom relatif sujet est caractéristique pour la langue épique, ainsi que pour ses parodies. Dans ces cas, la proposition principale peut être omise et la subordonnée relative se voit dotée de la valeur exclamative d’une interpellation (Raynaud de Lage 1990 : 106). Moignet (1976) et Ménard (1994), parmi d’autres, l’appellent « exclamative ». Selon nous, le terme d’ « interpellation » conviendrait mieux à cet emploi de la relative, parce que ce type de phrase fait partie intégrante du style formulaire de l’œuvre épique médiévale, ce qui n’est pas sans rapport avec sa présentation orale devant le public : le procédé contribue en quelque sorte à l’établissement du contact entre le jongleur et son auditoire, surtout au cas où ils se trouveraient en situation d’énonciation directe (présupposée), en tant que les deux parties de l’interlocution. Quoi qu’il en soit, Kunstmann (1990 : 365) souligne que les textes dont il a tiré ses citations sont tous marqués par les formules du récit oral. Et en ce qui concerne notre corpus formé de trois textes épiques français, les occurrences les plus nombreuses qui ont été relevées font partie de l’œuvre la plus ancienne, La Chanson de Roland, ce qui est sans doute dû à la part plus considérable d’oralité et d’oralisation dans la première épopée française qui nous soit parvenue par rapport aux œuvres postérieures. 144 Malinka Velinova 5. La disjonction du relatif de son antécédent En ce qui concerne l’emploi du relatif sujet avec antécédent explicite, les cas qui présentent un intérêt particulier du point de vue de l’usage moderne et de par le fait qu’ils prêtent à l’équivoque, ce sont les cas de disjonction du relatif de son antécédent. Buridant (2000 : 581) explique le phénomène de la manière suivante : Si la proposition principale ne contient qu’un syntagme nominal et un syntagme verbal, dans une langue typiquement à verbe second, la subordonnée relative subséquente est séparée de son antécédent. Dans le manuscrit d’Oxford de La Chanson de Roland, nous avons pu relever 35 occurrences de disjonction du pronom relatif sujet et de son antécédent, ce qui fait à peu près un cinquième de tous les cas d’emploi du relatif sujet à antécédent. 29. Quant l’empereres vait querre sun nevold, / De tantes herbes el pré truvat les flors, / Ki sunt vermeilles del sanc de noz barons ! (Chanson de Roland, v. 28702872) L. Gautier : Comme l’Empereur va cherchant son neveu, / Il trouve le pré rempli d’herbes et de fleurs, / Qui sont toutes vermeilles du sang de nos barons. J. Bédier : Tandis qu’il va cherchant son neveu, il trouva dans le pré tant d’herbes, dont les fleurs sont vermeilles du sang de nos barons ! G. Moignet : Tandis que l’empereur va chercher son neveu, il trouva sur le pré les fleurs de tant d’herbes qui étaient vermeilles du sang de nos barons ! P. Jonin : Tandis que l’empereur s’avance à la recherche de son neveu, il trouve parmi l’herbe du pré les fleurs toutes rouges du sang de nos guerriers ! I. Short : Comme l’empereur part à la recherche de son neveu, dans l’herbe du pré il trouve tant de fleurs qui sont vermeilles du sang de nos barons ! Dans ce cas, le savoir linguistique peut amener une certaine confusion, parce que l’œil du diachronicien s’est habitué à chercher presque partout l’ambiguïté ; mais au premier abord, il n’y a en (29) aucune disjonction – le relatif se rapporterait à l’antécédent « flors », qui le précède immédiatement. Or, à partir des traductions, et lors d’une lecture plus attentive, on remarquera que le relatif pourrait se référer aussi bien à « herbes », qu’à « flors » et « herbes » à la fois. Le cas de la relative et la spécificité de l’énonciation 145 30. Uns arcevesques est el letrin montez, Qui sermona a la crestiienté : « Baron », dist il, « a mei en entendez […]. » (Couronnement de Louis, v. 50-52) Dans l’exemple (30), par contre, où le pronom relatif sujet qui équivaut à « et il », le choix du relatif semble motivé par le rythme du décasyllabe ; il n’y a ici, en plus, aucun risque d’ambiguïté, en dépit de la disjonction du relatif de l’antécédent. 31. Dist li cuens : « Damme, ci a grant mesprison. Ja voz demande li fors rois d’Arragon Et d’Espolice Girars li fiuls Othon, Qui mainne an ost plus de mil compaingnons. […] » (Ami et Amile, v. 631-634) C’est dans ce cas, en (31), qu’apparaît déjà l’ambiguïté : la relative se rapporte-telle à Girard ou bien à Othon ? Dans d’autres cas, l’ambiguïté éventuelle due à la disjonction se trouve facilement surmontée par le genre grammatical du référent et de son attribut dans la relative, ainsi que par le sémantisme de la séquence, comme dans l’exemple (32) : 32. De lor nouvelles l’uns a l’autre despont Qui beles sont a dire. (Ibid., v. 975-976) On pourrait se référer dans ce cas à la thèse de Perret, avancée à propos de la labilité référentielle due à l’anaphore, selon laquelle l’ambiguïté qui se produirait (en l’occurrence, lors de la disjonction du relatif de son antécédent) serait un obstacle négligeable du point de vue de l’intercompréhension, si l’on prend en considération la situation d’énonciation spécifique, qui se voit déterminée par une liberté relative de communication (Perret 2006 : 26) : […] Mais si cette labilité référentielle existe naturellement, ce n’est pas seulement dû à la spontanéité de l’oral, mais à des raisons pragmatiques, la possibilité d’interaction : l’interlocuteur peut toujours réagir à l’équivoque et la faire préciser. Si elle n’est pas exclue de l’écrit, c’est dû aux conditions de transmission du texte, récité ou lu en public, une énonciation in praesentia, avec l’emploi d’intonations et surtout d’une gestuelle désambiguïsantes. Dans le cas de la disjonction du relatif de son antécédent, les particularités de l’énonciation du texte épique apparaissent donc encore une fois comme les traits déterminant les caractéristiques discursives du genre en général. 146 Malinka Velinova Conclusion L’étude des ces quelques cas spécifiques de fonctionnement syntaxique de la relative dans le cadre de la chanson de geste a comme résultat principal une illustration, si partielle soit-elle, du rôle du contexte et du mode d’énonciation dans les choix opérés du point de vue linguistique dans le genre épique médiéval français. Nous avons prouvé d’abord que le choix du moule de la relative explicative pour la formule représentative, s’insérant dans le second hémistiche du vers épique, est dû à la flexibilité presque illimitée de la structure, en ce qui concerne les variantes syntaxiques, rythmiques et lexicales. Quant à l’emploi relativement fréquent du tour Ki veïst…, nous avons vu qu’il se trouve, lui aussi, conditionné et exploité par les particularités pragmatiques du discours épique, en sa fonction de pure interpellation. En dernier lieu, nous avons étudié le cas de la disjonction du relatif de son antécédent qui présente le problème plus général de l’ambiguïté référentielle dans les textes médiévaux français ; les résultats de l’observation désignent sans doute l’ancrage contextuel et pragmatique en tant que raison d’être, ou d’être tolérée au moins, de la présence de l’ambiguïté dans certains cas. On peut supposer, en général, que le nombre élevé des relatives dans le genre soit dû principalement à leur aptitude à s’adapter facilement aux exigences discursives aux différents niveaux – mètre, syntaxe et lexique –, sans que cela change en aucune manière le sémantisme de la formule. Les structures qu’offrent les relatives en ancien français sont en effet bien favorables au discours épique parce qu’elles présentent précisément la possibilité de créer sans difficulté toutes sortes de variations formulaires centrées sur un motif quelconque. Le cas de la relative et la spécificité de l’énonciation 147 Bibliographie Buridant, C. 2000 : Grammaire nouvelle de l’ancien français. Paris : SEDES. Gapany, J. 2004 : Formes et fonctions des relatives en français. Étude syntaxique et sémantique. Berne : Peter Lang SA. Jokinen, U. 1978 : Les relatifs en moyen français : formes et fonctions. Helsinki : Suomalainen Tiedeakatemia. Joly, G. 2004 : L’ancien français. Paris : Belin (1er tirage 1998). K������������������� unstmann����������� , P. 1990 : Le relatif-interrogatif en ancien français. Genève : Droz. Le Bidois, G. et R. 1968 : Syntaxe du français moderne. T. I. Paris : Éditions A. et J. Picard et Cie, 2e éd. Ménard, P. 1994 : Syntaxe de l’ancien français. Bordeaux : Éditions Bière, 4e éd. Moignet, G. 1976 : Grammaire de l’ancien français. Paris : Éditions Klincksieck, 2­e éd. Perret, M. 2006 : Ancien français : quelques spécificités d’une énonciation in praesentia. Langue française 149. 16-30. Raynaud de Lage, G. 1990 : Introduction à l’ancien français. Nouvelle édition par G. Hasenohr. Paris : SEDES. Suard, F. 1993 : La chanson de geste. Paris : PUF. Zumthor, P. 1983 : Introduction à la poésie orale. Paris : Éditions du Seuil. Zumthor, P. 1987 : La lettre et la voix. Paris : Éditions du Seuil. Corpus utilisé Ami et Amile, publ. P. F. Dembowski. 1987. Paris : Éditions Champion. La Chanson de Roland, éd. J. Bédier (1937). 1982. Série « Bibliothèque médiévale », Union Générale d’Éditions. La Chanson de Roland, éd. J. Dufournet. 1993. Paris : Flammarion. La Chanson de Roland, éd. L. Gautier. 1872. Tours : Éditeurs Alfred Mame et fils. La Chanson de Roland, éd. P. Jonin. 1979. Paris : Éditions Gallimard. La Chanson de Roland, éd. G. Moignet. 1970. Paris : Éditions Bordas. La Chanson de Roland, éd. I. Short. 1990. Librairie Générale Française, 2e éd. Le Couronnement de Louis, éd. E. Langlois. 1925. Paris : Librairie Ancienne Édouard Champion, 2e éd. revue.