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Sociétal
N° 37
3etrimestre
2002
LA NOUVELLE ÉCONOMIE A BESOIN DE RÉSEAUX
celle du Royaume-Uni. On peut
donc se demander si la France
conduit un effort d’investissement
public adapté aux besoins modernes.
Les collectivités locales en sont la
principale source (voir le graphique).
L’effort d’investissement de l’Etat
a baissé constamment depuis une
dizaine d’années. En ce qui concerne
la nature de ces investissements,
les évaluations de la comptabilité
nationale recouvrent les travaux
neufs (45 % du total) et les travaux
d’entretien et de renouvellement
(55 %).
Ce ralentissement des investisse-
ments publics en France semble
faire l’objet d’un étrange consensus.
Les documents officiels les plus
élaborés dans ce domaine concer-
nent les priorités pour les infra-
structures de transport : rapport
Bonnafous (1999), étude du
ministère de l’Equipement (1997).
Ces documents se placent dans
le contexte apparemment le plus
probable, en l’absence de stratégie
volontariste : une croissance éco-
nomique moyenne de l’ordre de
2,5 %,voire 2 % l’an ; un vieillissement
de la population conduisant à la
saturation du taux d’équipement
automobile, au plafonnement d’autres
types de demande, à une réduction
des programmes d’investissement
routier ; le tout conduisant à un
« scénario stratégique recomman-
dant un tassement de l’offre d’in-
frastructures » (Bonnafous).
Le document intitulé « Schémas
multimodaux de services collectifs :
transports de voyageurs et de
marchandises » (Datar, automne
2000), publié dans la foulée de la
Loi d’orientation pour l’aménagement
et le développement durable du
territoire du 25 juin 1999, confirme
ce manque d’ambition. La projec-
tion centrale de croissance de
l’économie à l’horizon 2020 est de
2,3 % l’an (avec la prise en compte
d’une hypothèse à 1,9 %). Faisant
état des « perspectives de forte
dégradation du niveau de service
Dans les modèles néoclassiques,
la croissance de la production ré-
sulte de l’accumulation de capital
productif, de l’augmentation de la
quantité de travail et du progrès
technique qui permet d’améliorer
la productivité des autres facteurs.
Selon cette approche, le rendement
du capital est décroissant : seul
le progrès technique permet de
le maintenir – ce progrès étant
exogène et gratuit.
C’est avec les articles sur la crois-
sance endogène de Paul Romer
(1986 et 1990) et de Robert
Lucas (1988) que l’on introduit
des effets d’externalité liés à des
mécanismes de diffusion du sa-
voir. La technologie et les
connaissances scientifiques sont
des biens non rivaux, c’est-à-dire
que leur utilisation par un pro-
ducteur n’exclut pas leur
utilisation par d’autres. La re-
cherche-développement peut
avoir des rendements croissants :
par exemple, une fois un logiciel
mis au point, son coût marginal de
production est négligeable.
Ces externalités, grâce auxquelles
le rendement de l’ensemble des
facteurs de production est crois-
sant, peuvent être le capital tech-
nologique et scientifique, ou bien
l’ensemble du capital public au
sens large. Ce dernier, qu’il soit
assimilé à l’effort public d’éducation,
de recherche-développement, de
diffusion de l’information, de télé-
communications, ou à la construc-
tion d’infrastructures, contribue à
la croissance de l’économie selon
quatre canaux (Bernard Fritsch,
1999) :
– l’éducation, la recherche et la
construction d’infrastructures aug-
mentent directement la demande
finale ;
– les réseaux (communications,
télécommunications, énergie,
eau, collecte et traitement des
déchets…) permettent aux entre-
prises de produire et d’expédier
leur production ;
– le capital public augmente la
productivité et l’efficacité des
facteurs de production privés. Par
exemple, l’extension et l’améliora-
tion des réseaux de transport
urbain contribuent à accroître le
marché du travail où l’entreprise
peut rechercher sa main d’œuvre ;
la production en « juste à temps »
dépend de façon cruciale de la
qualité des réseaux routiers et
autoroutiers, etc ;
– le capital public peut exercer des
effets d’attraction et de localisation
qui bénéficient aux territoires dotés
des meilleures infrastructures.
Comme le montrent Sylvie Charlot
et Miren Lafourcade (2000), l’im-
pact le plus net des infrastructures
de transport réside moins dans le
surcroît de richesse qui en résulte
que dans la réduction des coûts de
transaction. Les modèles d’écono-
mie géographique permettent
d’associer la baisse des coûts de
transaction (ou, plus spécifiquement,
des coûts de transport), l’exploita-
tion des externalités (pécuniaires
ou technologiques) et le niveau des
disparités régionales. Comme le
rappellent les auteurs, des travaux
empiriques d’économistes améri-
cains,à la fin des années 80, avaient
établi un lien si net entre infra-
structures et croissance de la
productivité que l’administration
fédérale a décidé de consacrer un
budget spécial de 27 milliards de
dollars aux dépenses d’infrastructures
sur la période 1994-1998 – qui fut
celle d’un nouveau décollage de
l’économie américaine.
Stock d’infrastructures
et croissance économique