d - Marion Chombart de Lauwe

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2011 - 2016
Marion Chombart de Lauwe
Carnet
de
bord
Dernières heures des bâtiments
:::
Ce document a pour objet de présenter le projet et ses fondements. C'est
un carnet de bord qui rend compte des
temps forts de ma démarche autour du
territoire, de la métamorphose et de
la mémoire. Il est actualisé au fur et à
mesure de l'évolution du projet, permettant une vision d'ensemble : son
développement, son actualité et ses
perspectives…
Dernières heures
des bâtiments
Présentation de projet
Dessiner les dernières heures des bâtiments en suivant
leur processus de démolition et inscrire la trace de ces
lieux sur ce qu’il reste d’eux. Actualiser le devenir d’un
espace muté, dans la perspective d’une pensée de la
disparition, de la mémoire et de la transformation.
L
1
L'Image
mouvement,
Gilles Deleuze.
4
a réalisation de ce projet implique plusieurs
étapes. En premier lieu, il y la nécessité
d'un cheminement autour de ces espaces
en mouvement. Ma présence répétée sur les
lieux, sert à la fois à la réalisation des dessins
provenant d'une captation directe ; à la collecte
d'éléments (prise de sons, interviews, photos, vidéos…) et elle permet surtout de choisir l’angle narratif, le jalonnement des «instants
remarquables1». Une prise de contact avec les
acteurs du chantier se met en place, ce qui facilite une approche de terrain approfondie et
une meilleure compréhension du processus de
démolition. C'est alors que débute le travail
de collecte. Il est question de récupérer des
éléments issus du chantier afin d’imprimer la
mémoire de cette disparition sur les matériaux
des bâtiments eux-mêmes. L'étape de gravure
des dessins se réalise en FabLab ou en atelier
de fabrication à l'aide d'une découpe laser. À
l’issue de ce processus de création, les dessins
originaux ainsi que les gravures deviennent des
échantillons témoins d’un espace disparu et de
l’histoire d’un lieu qui a cédé la place.
Dessin-réflexion sur la démolition en vérinage
Le haut du bâtiment est mis en mouvement par des vérins, son
centre de gravité étant déplacé du point d’appui, il sert de « bélier »
en écrasant sa partie inférieure, s’effondrant ainsi sur lui-même.
5
Les paysages en œuvres
Idée de départ
Les lieux se creusent, ils émettent un signal et disparaissent.
Être sur la brèche, dans un instant donné, un entre deux
qui ne peut être reproduit.
C
'est lors d'une exposition d'architecture à
Montréal que ce projet a émergé. Je me
suis arrêtée un long moment devant des
vidéos de démolition à l’explosif. Images répétitives et obsédantes, les bâtiments avaient tous
une façon propre de tomber et de disparaître,
ils semblaient changer un instant de nature, leur
chute était singulière. La déformation faisait apparaître une ultime signature et la marque d’une
métamorphose définitive qui semblait exprimer
une part importante de leur essence.
Un bâtiment en brique semblait devenir
liquide, angles et perspectives s'effondrant en
cascade. Le Kingdome de Seattle, quant à lui,
dévoilait tout à coup ses points d’appui sous le
signal des explosifs, minutieusement orchestrés,
avant de s’effondrer sur lui-même à la rupture de
ses articulations. Ces mouvements de masses
gigantesques m'évoquaient l'ampleur de grands
mythes comme la chute des titans, s'effaçant du
paysage en un temps bref et insaisissable.
Comment rendre compte de cet instant fragile entre deux moments stables, deux espaces
délimités ? Comment représenter le jeu de ces
instants aux bords des choses ?
6
Dessins-réflexion pour projet en état d’incertitude
Les explosifs sont placés à des points précis qui caractérisent
les points de forces de la structure. Déclenchés dans un ordre
particulier, ils permettent l’orientation de sa chute. Il y a dans
ce mouvement une essence tragique, mythologique, universelle.
7
médiatique ou ère de transition ? Nous sommes en tout cas dans
une dialectique d’apocalypse qui, si elle appartient pour une part
à nos imaginaires, n’en est pas moins vivante et animée.
Le 11 septembre 2001 a aspiré tous les regards du monde,
créant un phénomène d’images obsédantes, galvanisant les fantasmes et les peurs. Les guerres sont souvent inscrites dans les
murs, je l’ai vu à Mostar, à Sarajevo… quand personne ne veut
en parler, les rues et les lignes de front s’expriment par leur terribles morsures.
L' attrait pour les ruines et la marque du chaos n'est pas simplement le lieu d'un fantasme macabre et de destruction, c'est
également un principe de renouvellement et de formulation du
devenir. Une curiosité et un besoin de comprendre et de percevoir nos limites. Révéler des points de force revient quelque
part aussi à penser nos faiblesses. La vulnérabilité n’est pas une
fatalité, c’est un contact avec les limites de l’être, dans l’espace
et dans le temps. L’histoire de l’extinction des dinosaures est
aussi l’histoire de notre développement, de l'émergence d'autres
espèces… ferions-nous aujourd’hui place à d’autres ?
Pochoir
à la bombe
sur un mur
d’une image
répétée :
la chute
d'une ville
Dessiner les dernières heures des bâtiments.
C’est presque une formule ironique, une sorte
d’anthropomorphisme de l’hommage au soldat
inconnu, appliquée aux bâtiments.
Dans ce projet, il y a le désir de rendre visible l’invisible, être
témoin d’une transformation. Saisir cet espace en devenir qui
a donné le signal de son départ ou de sa métamorphose pour
faire place. Observer une disparition et la graver quelque part en
elle-même et en nous. Faire un hommage de mémoire comme
un rite de passage qui marquerait le corps du paysage.
Il existe une filiation avec l’image de la guerre à
travers la mémoire, les médias, les murs des villes
(Mostar, Hiroshima, Nagasaki, Dresde, Bagdad,
le World Trade Center…) —images répétées,
images actualisées— nous avons parfois le sentiment, l'illusion ou le fantasme d’être témoin des
dernières heures, témoins du désastre. Extinction d’espèces, dégradation de l’environnement,
catastrophes climatiques et nucléaires. Outrance
8
9
Usine de chauffage urbain
Premier chantier et expérimentation
L’usine construite par CPCU dans les années 60 au bord
du canal de l’Ourq à Paris dans le quartier de La Villette
sera déconstruite au cours des années 2011-2012.
L
e processus de démolition avait débuté depuis plusieurs mois déjà lorsque j’ai
commencé à suivre ce chantier en septembre 2011. Je l'ai accompagné du regard et
dessiné jusqu’en janvier 2012, moment de la
disparition complète du bâtiment.
Schéma de captation,
repères d'espace
et de temps
Une méthode :
je cherche des points
qui vont donner l’angle
par lequel je saisis,
puis je m'enroule avec
les mouvements du
chantier, les contraintes
du moment, la lumière…
C’est à la fois structuré
par le cadrage et
une sorte de linéarité
temporelle, mais aussi
chaotique et spontanée.
10
11
Dessins au trait
# Série 1 : Usine de Chauffage urbain de la Villette
12
13
Impression de la
mémoire des lieux
Gravure sur métal
Le processus de disparition est imprimé sur des
matériaux récupérés et si possible issus du chantier.
P
endant la réalisation des
dessins de l'usine, et
avec l'aide des ouvriers
qui travaillaient sur le chantier, j'ai récupéré des plaques
de métal provenant du bâtiment pour y imprimer les dessins de la démolition. C'est au
fablab Artilect à Toulouse que
j'ai commencé ce travail d'impression à la découpe laser.
2.
Plaque-mémoire
1. Impression sur plaque
d'acier issue de l'usine.
2. Exposition lors du Factory
Market au QG à Paris 11e.
3. Phase de recherche
sur plaques récupérées.
1.
14
3.
15
Magasins généraux
Une nouvelle peau
Le bâtiment qui abritait les anciens entrepôts de la
chambre de commerce et d'industrie de Paris à Pantin
viennent d'être réhabiliter. J'ai eu la chance de suivre
l'évolution de ce chantier.
L
es travaux de réhabilitation du bâtiment ont durés 2 ans. La structure est
préservée mais subit de nombreuses
transformations. Je parcours les espaces
et suis les métamorphoses des lieux qui
se creusent et laissent entrer la lumière.
Schéma du
bâtiment
Plan et dates
de moments choisis
pour la réalisation
des dessins au trait.
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Dessins au trait
# Série 2 : Magasins généraux à Pantin
18
19
Instant #18
Les dessins originaux sont exécutés au rapidographe, à l'encre
sur papier. Dimensions : 21 x 29,7 cm.
20
21
Instant #10
Dimensions : 21 x 29,7 cm.
22
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Instant #20
Dimensions : 21 x 29,7 cm.
24
25
Instant #21
Dimensions : 21 x 29,7 cm.
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InstantS #0 et #24 / 25
Dimensions : 21 x 29,7 cm.
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Le papier et l'encre
comme matrice
Le dessin comme moyen d'impression
Plaques-mémoire
d'un rite de passage
Work in progress
Dans ce processus d'impression sur matériau issu
des bâtiment —ici de l'acier— le dessin devient
la matrice et la plaque de métal le support final.
P
L
a taille-douce utilise la plaque —souvent en métal— comme matrice pour
l'impression des gravures sur papier,
c'est elle qui sert de passerelle entre le
travail de création et l'œuvre transcrite
à l'encre sur papier. Ici, contrairement à
cette technique très riche des arts appliqués, c'est le papier via les outils numériques, qui devient un médium entre le
moment saisie et la plaque finalisée.
30
our marquer ce moment de transition
où les magasins généraux se préparent à une nouvelle vie, des éléments de leur essence passée, révèlent leur
potentiel physique et plastique. Les matériaux choisis présentent des contraintes
et induisent des techniques particulières
pour leur donner corps. L'étape d'impression à la découpe laser suffit parfois à faire
vivre la rencontre entre le dessin et les éléments du bâtiments mais elle pousse souvent à aller plus loin dans l'expérimentation. Certaines plaques sont travaillées
un peu comme des bas relief —sous une
forme adaptée aux outils et techniques
contemporaines— puisqu'il est possible de sculpter à travers les différentes
couches de revêtement.
Plaque-mémoire 1
instant #6
Première plaque
d'acier issue du
bâtiments d'environ
2 kilos, pour 32 cm
de large et 15 de
hauteur.
31
Plaque-mémoire 18
instant #0
Plaque d'acier issue
des gardes-corps
du bâtiments.
Environ 2 kilos,
15 cm sur 32.
32
33
Étape de travail d'une plaque
Plaque 6 instant #10 : 15 x 32 cm.
34
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Plaque-mémoire 24
instant #18
Assemblage de 3
plinthes d'acier
de 67 cm x 45
soit 10 kg environ.
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Work in progress
Expérimentations sur plinthes en acier issue du chantier
Variations sur un ensemble de paramètres :
le traitement du revêtement, l'ajout et l'extraction
de matière, le travail à l'eau-forte, l'oxydation
et ses évolutions, la patine, les formats, les apprêts,
les coupes…
Détails de plaques
Zoom sur la
rencontre entre
matériau, dessin
et traduction
numérique
au laser.
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Notes générales autour
du paysage et du territoire
Un territoire
Accessible/inaccessible // Opacité/apparition //
La démolition brouille les frontière du visible, lève
les obstacles au regard, créée des percées… //
Rythme subtile entre espaces ouverts et espaces
fermés autrefois intimes, proches ou lointains //
Curiosité qui stimule l’imaginaire // Effets corrosifs de l’action humaine // Le ré-agencement de
la matière // Des bâtiments comme des trophées
de chasse ? // Actualisation et attachement symbolique // Variations physiques et symboliques du
paysage // La continuité des images comme reproduction d’espaces perdus ou rêvés…
Quelques pistes de lecture d’un site
C’est par l’art de la mémoire —Ars memorativa,
inventé par les Grecs et actualisé entre autre par
Sébastien Marot dans l’art de la mémoire— le territoire et l’architecture, que j’alimente ma démarche,
pour matérialiser la dimension spatiale et temporelle d’une mémoire collective au sein d’un
paysage. La mémoire et l’image mentale servant
d’outils d’actualisation.
Correspondances et bibliographie
Claude Régy, « Espaces perdus » et « L'état d'incertitude »
Jean-Claude Ameisen, « La sculpture du vivant »
Rem Koolhaas, « New York délire »
Sébastien Marot
Gordon Matta-Clark
Peter Brook, « L’espace vide »
Barbara Glowczewski
Le pli d’une civilisation: la crise.
(France culture 16/12 les nouveaux chemins…)
Deleuze, « L'image mouvement »
Bernd et Hilla Becher
Walter Benjamin
Mark Z. Danielewski, « La maison des feuilles »
Georges Pérec, « Espèces d'espaces »
Nicolas Moulin
Rodin et Claudel
John Brinckerhoff Jackson « De la nécessité des ruines et
autres sujets »
Un aspect du territoire qui offre des mutations
représentables
Dans les paysages, des milliers de mémoires
se sont accumulées, se sont laissées transformer et inventer. Il s’agit de mettre à disposition
des regards, « des images qui impressionnent la
mémoire ». Ce qui était d’une importance capitale avant l’imprimerie reste le fondement de la
pensée humaine.
40
41
Perspectives et devenir
Partout… le monde
Les perspectives de ce projet se déploient à mesure qu'il
se développe. Un processus d'accumulation de matériau
(plastiques, visuels, sonores…) enrichissent considérablement les possibilités de l'exposer, de le lire, de l'éprouver.
Les lieux sont racontés et remémorés offrant éventuellement une rencontre surnaturelle avec un espace-temps
disparu que l'on pourrait un peu toucher, sentir…
I
l se développera dans différents contextes et
environnements, là où le travail de mémoire
se fait témoin de changements radicaux et
définitifs : d'anciens lavoirs à charbon classés
et condamnés en Bourgogne ? Les vestiges
des sites industriels de l'ère Ceausescu en Roumanie ? Pays émergents ? Vieilles villes qui font
peau neuve ? Paris, Pantin, Berlin, Moncteaules-Mines, Rio, Montréal, Johannesburg…
Garder une trace —plaques imprimées, publications, création sonore, interviews— mais également, aménager des moments uniques et
éphémères… comme un rite de passage qui
marque une rupture dans ces paysages par une
célébration —exposition, scénographie dynamique, installation, performance, parcours de
la mémoire…
Tout autour de paysages anodins ou remarquables, j'espère faire vivre ce travail en faisant
hommage à la poésie des espaces, à l'imaginaire des lieux que l'on quitte, à l'espérance des
espaces qu'ils libèrent…
42
Captation vidéo : extraits
Répercutions sonores et vibratoires du
bâtiment transmises par l'eau, lu par les
lignes du filet de protection.
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Démarche artistique
Marion chombart de Lauwe
Mon parcours artistique s’est développé et épanoui dans
un contexte d’interdisciplinarité et de mariage entre les
arts vivants et les arts visuels. Cela caractérise mon travail et l’enrichit d’un regard croisé.
F
ormée au théâtre à partir de 1999 à la faculté de Toulouse
parallèlement à des études d'anthropologie, je me consacre
pleinement aux arts de la scène en suivant la formation professionnelle d'acteur du Théâtre 2 l'Acte, Vers un acteur pluriel, en 2002. Mon travail artistique s'est donc épanoui au sein
des arts vivants durant une dizaines d'années, développant une
écriture plastique, poétique, expérimentale au travers de rencontres et de projets foisonnants.
Ma pratique continue du dessin me conduit également à réaliser
les objets de communication visuelle des projets dans lesquels
je suis engagée. C'est ainsi que je découvre ce qui deviendra par
la suite une part importante de ma vie professionnelle : le design
graphique. Après une formation qualifiante, en 2010, je décide de
l'intégrer à ma pratique artistique, sans cloisonnement. Atouts
artistiques, culturels et techniques sont alors des outils d'écriture au service d'idées et de signes propres à stimuler la pensée
et le regard actif, établissant une correspondance entre diffuseur et acteur (usagers, citoyens, consommateurs, passants…).
Contrairement à l'attention du graphisme portée à la communication d'un message, ma démarche plastique se veut libre et
personnelle.
J'y développe un sens de l'exploration et de l'occupation des
lieux. Lorsqu'une piste me semble pertinente, je cherche l'occurrence, observe le contexte choisi —inspirée des méthodes ethnographiques— et développe alors une relation et une approche
de terrain où le dessin au trait trouve une place prépondérante
comme mode d'écriture et de prélèvement.
44
Ce processus organise et développe mon travail, trace une
topographie qui s'actualise dans l'action et la présence sur les
lieux. Cette notion d'espace est une caractéristique importante
de ma démarche. Je me positionne volontiers comme plasticienne de terrain, ressentant le besoin d'habiter temporairement
et symboliquement les sujets qui m'occupent pour dégager un
dessein susceptible de se donner à voir et donc à penser.
Je travaille en premier lieu à partir du dessin car il permet un
rapport simple et immédiat ; il autorise une grande mobilité et
souplesse d'action. C'est par la synthèse de l'approche sur les
lieux et des résultats obtenus que le récit s'organise. Le sujet
mêlé à l'expérience vécue trouve un mode de transposition et
se traduit par une forme qui l'expose.
En ethnologie, j'ai appris à aborder la notion de terrain par
différents modes de prélèvements et d'occupation puis par la
prise de distance nécessaire au positionnement théorique ; au
sein des arts vivants j'ai développé une relation à l'espace à travers l'engagement du corps, notamment par le biais de l'installation et la performance, enfin par le design graphique c'est
les objets créés en amont qui occupent des espaces donnés.
Dans mon travail plastique —nourrit de toutes ces expériences
et réflexions— le rapport de l'espace à l'objet et à sa représentation, est permanent. Cette relation s'exprime par un aller-retour continuel entre le travail d'atelier et une présence directe
du corps en création, enrichi par le contact avec les occupants
ou usagers des lieux. La finalisation des œuvres peut s'opérer en
FabLab (atelier de fabrication) ou dans toutes autres structures
mettant à disposition des artistes, les moyens d'une recherche
et concrétisation de projet.
Mon travail s'inscrit donc dans une démarche artistique pluridisciplinaire et s'efforce de prendre la température de ce monde
à travers l'espace et sa représentation, gérant si possible avec
humour et sincérité les paradoxes et complexités d'une société
qui questionne continuellement les lieux qu'elle occupe.
45
Publication dans 'A'A'
L'Architecture d'Aujourd'hui, mars 2012, n°388, p.102-105.
Article bilingue dans la revue
« L’ Architecture d’Aujourd’hui » n°388,
pages 102-105 du mois de mars 2012.
Rubrique Inspiration.
Dessins de Marion Chombart de Lauwe
sur la démolition de l’usine CPCU.
De novembre 2010 à janvier 2012, la démolition
de la chaufferie de la Villette (également
appelée usine CPCU), construite dans les
années 1960, a suscité un véritable intérêt
des riverains, des ouvriers et d’artistes divers
(photographes, vidéastes, dessinateurs). Marion Chombart de Lauwe,
graphiste et illustratrice, s’est emparée du sujet. Entre septembre 2011
et janvier 2012, elle revient régulièrement sur le site pour en faire une série
de dessins au trait, que l’on peut feuilleter par ordre chronologique dans
un Moleskine accordéon, s’intégrant ainsi dans la « communauté autour
de l’usine », qui suit, étape après étape, le démontage de la chaufferie.
Cette série n’est pas encore terminée : « Il est difficile de s’arrêter, parce
qu’après la démolition, il y a la ville en creux. »
Peut-être continuera-t-elle à dessiner le site « jusqu’au retour au plat ».
103
Marion ChoMbart de Lauwe
102
46
Travail de décortication, digne de planches d’entomologie, Marion
se dit également influencée par ses lectures de Jean-Claude Ameisen,
chercheur en biologie et immunologie, notamment par La Sculpture
du vivant, où il affirme : « Il y a une raison essentielle à cette absence
de cadavre : le monde vivant élimine les morts. Le monde vivant
se nourrit des morts. » Ce qu’elle a transposé sur la ville.
Bien que fascinée par la mise en scène d’une disparition,
ce n’est pas le morbide qui la retient, mais bien ce que la ville
a de vivant, dans son renouvellement, dans l’énergie de son chaos,
dans la faiblesse de ses anciens « points de force ».
Rigueur et influence scientifiques donc, pour cette ancienne étudiante
en anthropologie, mais, pourtant, pas de rigueur de point de vue.
La dessinatrice s’adapte au meilleur angle en fonction du temps
de la démolition. Il s’agit bien de « prendre quelque chose par plusieurs
bouts », accompagnant la mise à nu du bâtiment, le creux, le plat,
jusqu’au devenir du site, certainement des logements et des jardins.
L’exposition Exaggerated realities présentera ces dessins, parmi
d’autres, du 28 août au 9 septembre 2012 au Signal Arts Centre de Bray,
en Irlande (comté de Dublin).
Article écrit par Fanny Léglise.
105
104
De novembre 2010 à janvier 2012, la démolition
de la chaufferie de la Villette (également appelée
usine CPCU), construite dans les années 1960, a suscité
un véritable intérêt des riverains, des ouvriers et
d’artistes divers (photographes, vidéastes, dessinateurs).
Marion Chombart de Lauwe, graphiste et illustratrice,
s’est emparée du sujet. Entre septembre 2011 et
janvier 2012, elle revient régulièrement
sur le site pour en faire une série
de dessins au trait, que l’on peut
feuilleter par ordre chronologique dans
un Moleskine accordéon, s’intégrant
ainsi dans la « communauté autour de
l’usine », qui suit, étape après étape,
le démontage de la chaufferie. Cette
série n’est pas encore terminée : « Il est
difficile de s’arrêter, parce qu’après
la démolition, il y a la ville en creux. »
Peut-être continuera-t-elle à dessiner
le site « jusqu’au retour au plat ».
From November 2010 to January 2012, the demolition
of La Villette’s boiler room (also called CPCU factory),
built in the 1960s, stirred up real interest among the
residents, workers and various artists (photographers,
video-makers, illustrators). Marion Chombart de Lauwe,
a graphic designer and illustrator, took possession of
the subject. From September 2011 to January 2012,
she returned regularly to the site to
create a series of line drawings, which
you can leaf through by chronological
order in a Moleskine accordion
sketchbook, therefore, becoming a part
of the “community around the factory”,
following the dismantling of the boiler
room, step by step. This series is not
yet complete: “It is difficult to stop,
because after the demolition, there
is a hollow in the city.” Perhaps she
will continue to draw the site “until it
becomes level again”.
Travail de décortication, digne de
planches d’entomologie, Marion se dit
également influencée par ses lectures
de Jean-Claude Ameisen, chercheur
en biologie et immunologie, notamment
par La Sculpture du vivant, où il
affirme : « Il y a une raison essentielle
à cette absence de cadavre : le monde
vivant élimine les morts. Le monde
vivant se nourrit des morts. » Ce qu'elle
a transposé sur la ville. Bien que fascinée par la mise
en scène d’une disparition, ce n’est pas le morbide
qui la retient, mais bien ce que la ville a de vivant,
dans son renouvellement, dans l’énergie de son chaos,
dans la faiblesse de ses anciens « points de force ».
A work of dissection, worthy of
entomology plates, Marion says she
is also influenced by her reading
of Jean-Claude Ameisen, a biology
and immunology researcher, and
particularly La sculpture du vivant (The
Living Sculpture), in which he asserts:
“There is an important reason for this
absence of a corpse. The living world
gets rid of the dead. The living word
feeds on the dead.” She transposed this to the city.
Although fascinated by the portrayal of loss, she is not
held back by the morbid, but by what is alive in the city,
its renewal, the energy of its chaos, the weakness of its
former “points of strength”.
Rigueur et influence scientifiques donc, pour cette
ancienne étudiante en anthropologie, mais, pourtant,
pas de rigueur de point de vue. La dessinatrice s’adapte
au meilleur angle en fonction du temps de la démolition.
Il s’agit bien de « prendre quelque chose par plusieurs
bouts », accompagnant la mise à nu du bâtiment,
le creux, le plat, jusqu’au devenir du site, certainement
des logements et des jardins.
Therefore, there is precision and scientific influence for
this former anthropology student, but, nonetheless, no
strict point of view. The artist adapts to the best angle
depending on the demolition time. It is really a question
of “taking something bit by bit”, following the baring of
the building, the hollow, the level, up to the future of the
site, most probably apartments and gardens.
L’exposition Exaggerated realities présentera ces dessins,
parmi d’autres, du 28 août au 9 septembre 2012 au
Signal Arts Centre de Bray, en Irlande (comté de Dublin).
The Exaggerated Realities exhibition will show
these drawings, among others, from 28 August
to 9 September 2012 at the Signal Arts Centre in Bray,
Ireland (Dublin county).
http://chombart.net/
Fanny LégLise
47
Publication dans Canal
Canal Pantin, avril 2015, p. 28-29.
ça c’est Pantin
32
33
Projet artistique
Réminiscences à venir
Sur des matériaux glanés au
cours du chantier de rénovation
des magasins généraux, Marion
Chombart de Lauwe imprime,
au laser, des dessins qu’elle a
croqués en arpentant les lieux.
Le geste artistique se faufile
dans la brèche que constitue
la transformation du bâtiment
industriel pour saisir transition
et mouvement. Souvenir de la
bâtisse converti en gravure de la
mutation : l’œuvre témoigne de
métamorphoses et les engendre,
tisse la mémoire de l’avenir.
À la sortie de l’imprimante laser, l’artiste rince
la plaque en acier pour la « dépoussiérer ».
d
Depuis près d’un an désormais, Marion
Chombart de Lauwe arpente le chantier de
reconversion des bâtiments des douanes qui
accueilleront, en 2016, l’agence de communication BETC. « Je me familiarise avec le
lieu, je discute avec les ouvriers, je repère des
matériaux que je pourrais réutiliser. Je choisis des angles, je fais des photos. Et surtout,
je dessine. »
Les dessins réalisés sur le terrain sont par la
suite encrés – « plus je dessine, plus je vois
des choses, plus je comprends la structure
du bâtiment » – et numérisés, avant qu’un
logiciel les transforme en informations susceptibles d’être comprises à leur tour par
le faisceau laser qui les imprimera sur des
plaques en acier.
« Y’avait une ville. Et y’a plus rien »
Canal Le journal de Pantin - avril 2015 - 237
Gravure numérique et pas seulement
Les pièces en acier sont les anciennes
plinthes des garde-corps longeant les coursives qui ceignent le bâtiment principal. « Le
chef de chantier me les met de côté. Une centaine de morceaux d’1,70 m qui ont échappé
au ferrailleur grâce au don d’AMTP démolition et l’aide de ses employés! Je demande
également aux ouvriers de m’en découper
quelques bouts, en tailles plus petites, au
chalumeau. »
À la sortie de l’imprimante, les plaques –
d’une trentaine de centimètres de largeur,
une vingtaine de hauteur – laissent deviner
les traces de leur vie passée, « c’est à chaque
fois, une surprise ! ». Les couches successives
48
Matière première des œuvres : des
plinthes récupérées sur le chantier.
de peintures et revêtements, façonnées par
la rouille, les intempéries, l’usure du temps
se déclinent en blancs, rouges et bleus.
« Les pièces ne sont pas toutes exploitables en
l’état, juge Marion Chombart de Lauwe. Je
retravaille la plupart des imprimés avec les
techniques de la taille douce classique pour
obtenir davantage de contrastes, de textures,
de grains, de perspectives. Je suis toujours en
phase expérimentale. »
Les vers de Claude Nougaro résonnent dans
la démarche artistique. Avant les magasins généraux, l’artiste avait accompagné
la déconstruction de l’usine de chauffage
urbain à La Villette (Paris 19e). Le projet,
développé dans un FabLab de Toulouse,
avait donné lieu à la création de gravures
numériques réalisées sur des plaques en
métal récupérées sur le chantier.
Une fascination pour la pierre et les paysages
urbains qu’un voyage en Bosnie aurait éveillée : « Je suis arrivée en Bosnie cinq ans après
la guerre civile. Personne ne parvenait à en
parler. Seuls les bâtiments de la ville, les murs
cassés, défoncés, brisaient le silence. Ce sont
eux qui racontaient l’histoire que les humains
ne pouvaient pas dire. »
Un attrait pour la démolition et le chaos
dénué de toute morbidité : « Ce ne sont pas
les ruines et la destruction qui m’interpellent,
mais la transformation de la matière. Les
vidéos d’implosion de bâtiments m’obsèdent ;
ce moment où le solide semble se liquéfier,
juste avant de s’effondrer. »
« Je veux me promener
sur la crête des choses »
On pourrait croire l’artiste nostalgique
d’un passé qui s’évanouit, mélancolique,
aspirant à immortaliser la fugacité des
instants que l’on sait évanescents. Que
nenni. « Je ne pleure pas sur la disparition
de quelque chose. Je veux me promener sur
la crête des choses, là où ça bascule, entre le
“tiens, c’est là” et le “tiens, ce n’est plus là”.
C’est cet entre-deux qui m’intéresse. »
« L’art est un engagement du corps, poursuit-elle. Sur le terrain, au bord du canal,
on sent l’humidité, le vent, le froid, les
doigts s’engourdissent. » Le poids de l’acier,
transporté dans un sac à dos et à coups de
pédaliers entre la rive de l’Ourcq, le WoMa
(pour l’imprimante laser) et Paris ateliers
(pour la taille douce), meurtrit le corps et
use le vélo.
« Les contraintes sont réelles », s’amuse
Marion Chombart de Lauwe, qui espère
voir aboutir des partenariats avec des
acteurs concernés par l’aventure (BETC,
Nexity, entreprises, collectivités).
« C’est la première fois de ma vie que la
diversité de mes formations – théâtre, eth-
nologie, arts visuels – et de mes expériences
de travail convergent, s’enthousiasme
l’artiste. C’est un horizon de perspectives
professionnelles qui s’ouvre. C’est très stiPatricia de Aquino
mulant. »
l Marion Chombart de Lauwe
52, rue d’Aubervilliers 75019 Paris
& 06 82 75 78 71 et 01 77 12 24 37
[email protected]
www.mcdl.net
WoMa et Paris ateliers : des espaces ouverts à tous
l WoMa pour « working » et « making ». Un espace de 180 m2, bien équipé (scie circulaire, à onglet
radiale, fraiseuse numérique, découpe et imprimante laser 3D), animé par une équipe aux compétences
diverses (architectes, designers, sociologues, communicants), ayant vocation à impulser des pratiques
collaboratives. Plusieurs offres de services, formations. Tarifs de 10 € HT/heure à 700 € HT/an.
w WoMa 15bis, rue Léon-Giraud, Paris 19e & 01 40 18 59 21 [email protected]
l Paris-Ateliers est une association subventionnée par la ville de Paris qui propose la pratique d’une
centaine d’activités dans les domaines des métiers d’art, des arts plastiques, numériques, et du texte.
160 artistes, 580 cours, 30 sites. Les tarifs varient suivant les moyens mis à disposition des usagers,
les ressources de l’inscrit (quotient familial calculé à partir de l’avis d’imposition), l’âge, et la situation
sociale (bénéficiaire du RSA). Auxquels s’ajoutent les frais d’inscription : 17 €.
w Paris Ateliers & 01 44 61 87 91 www.paris-ateliers.org
49
Publication dans le Mag' Romainville
Journal de Romainville, avril 2016, n°63, p. 30-31.
“
Figer l’instant fragile
d’une disparition
Marion Chombart de Lauwe travaille actuellement sur un projet artistique
autour de la démolition du château de Romainville. Elle va saisir les différentes
étapes de sa disparition et les imprimer sur des fragments du bâtiment.
M
arion Chombart de
Lauwe a entendu
parler du château de
Romainville pour la
première fois alors qu'elle travaillait sur les Magasins généraux de
Pantin, dans le cadre d'un projet
artistique baptisé « Les dernières
heures des bâtiments ». Intéressée
par tout édifice promis à la démolition, la jeune femme a été
particulièrement séduite par la demeure des Ségur. « Jusque-là,
j'avais dessiné des bâtiments plus
récents. L'âge du château me plaît
car il implique des couches et des
sous-couches de mémoire ; les
couches de papier-peint superposées sont autant d'époques et
d'histoires. Et puis il a une dimension romantique du fait qu’il est en
ruines, ça ne gâche rien. »
L’artiste a donc réalisé ses premiers
dessins du château il y a un an. Les
Romainvillois l’ont peut-être déjà
aperçue, crayons à la main ; ils
vont la croiser souvent
ces prochaines semaines puisque les travaux de démolition
vont commencer (lire
page 19) et qu’elle va
en saisir les différentes
étapes. « Ce que je
dessine, c’est le moment très bref et très
subjectif de la transformation, de la disparition. Je fige un instant fragile entre
deux moments stables. »
L'âge du château
me plaît car il implique
des couches et
des sous-couches
de mémoire.
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n LE MAGAZINE DE ROMAINVILLE
-
AV R I L
2016
”
© Marion Chombart de Lauwe
PORTRAIT
Ils font la ville
Comme pour l’usine CPCU située
au bord du canal de l’Ourcq à
Paris, et comme pour les Magasins
généraux de Pantin (photo), l’objectif de Marion Chombart de
Lauwe est d’imprimer ses dessins
sur des matériaux récupérés sur le
chantier de démolition, à l’aide
d’une découpeuse laser. Pour cela,
elle va collaborer avec les entreprises et les ouvriers qui seront
chargés de ce chantier. « Je ne sais
pas encore ce que je vais pouvoir
utiliser. Peut-être du métal, de la
tomette, ou du bois. Pour moi
c’est une étape importante car elle
permet la rencontre entre le dessin
et le bâtiment. »
Elle assure que son regard sur les
édifices qu’elle dessine n’a rien de
nostalgique. Ce qui l’intéresse,
c’est le moment vivant que constitue une démolition. « Les transitions font toujours réagir : certains
ne peuvent admettre le vide,
d’autres apprécient l’inconnu
de l’avenir. Je respecte tous les acteurs des territoires sur lesquels je
travaille, tous les points de vue. Je
ne suis ni dans le le passé ni dans
le futur, je suis dans le présent. »
Découvrir le travail
de Marion Chombart
de Lauwe
Marion Chombart de Lauwe
organise « Cercle extra-polaire », une exposition et un
événement autour de son projet « Les dernière heures des
bâtiments », le samedi 23 avril
à partir de 15h à l'Ourcq blanc
(29, rue de l'Ourcq à Paris) ;
entrée libre.
Plus de renseignements
sur www.mcdl.net
LE MAGAZINE DE ROMAINVILLE
-
AV R I L 2016 n
31
51
Aux ouvriers et employés des Ateliers de Pantin
(Didier, Christophe, Marc, Franc Le Cesne, Éric
Grillot, Ludovic, Marc Béague, Laurent Caillet…),
aux ateliers Moret, à Adel, Guillaume Attal,
Malika Archambeaud, Géraud Bec, Bellastock,
Simon Benita, au CDT 93, à Axelle Chombart de
Lauwe, Pascal Chombart de Lauwe, Karol Claverie,
Valérie Coppet, Laurent Cusey, Goliath Dyèvre,
Vincent Coyette, Dataproduction, Nicolas des
Jamonières, Pia des Jamonières, Léopold Fradin,
Antoine Johanet, Charlotte Desrousseaux, Claire
Deniau, Romaric Duriez, Clément Duroselle, Adrian
Gandour, Julien Garrido, Alexandre Gardon,
Erwann Guennec, Éric Hadacek, Kinkin Huerta,
Gwénaël Jézéquel, Pierre Jobard, Michaël Jouet,
Frédéric Jung, Klépierre, LAP (Lycée auto-géré de
Paris), Malek Ladjouze, Léa Lambert, Fanny Léglise,
Martine Legrand, Anne-Laïs Lemarchand, Lilly Lulay,
Madjid, Minh Man, Caroline Martin, Audrey Martin,
Marguerite Marquet, Christina Maximoff, Cyril
Mercier, Guillaume Merzi, Geneviève Michel, Nexity,
Aurélien Nicolas, Aurélien Nicolas, Céline Olaso,
Daniel Orantin, Nico Pêche, Rui Peixoto, François et
Sally Picard, Olivier Pons, Corentin Quicke, Samuel
Remy, Marc Ribis, Jean-Pierre Richard, Anne Ridard,
Anne Roland, Stéphane Rouxel, Ximena Rodriguez,
Karim Sanac, Olek Sander, Arnaud Schelstraete,
Nicolas Sochos, Annabelle Tambour, Paul Teyssier,
Boris Tissot, Patrick Tymen, Déborah Tournier, Val
des Jardins d'Alice, Antoine Vincens de Tapol, Edgar
Viseur, Julien Vouilloux, Franck Yoman, WoMa…
Coordonnées
52 rue d'Aubervilliers
75019 Paris
+ 33 (0)6 82 75 78 71
+ 33 (0)1 77 12 24 37 Site internet
contact(at)mcdl.net
www.mcdl.net
merci
© Marion Chombart de Lauwe
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