Dialogue du Pape François avec les Jésuites Extraits de La Civiltà

Publié le 9 décembre 2016
Dialogue du Pape François avec les Jésuites
Extraits de La Civiltà Cattolica
“AVERE CORAGGIO E AUDACIA PROFETICA”
Dialogue du Pape François avec les Jésuites réunis pour le 36ème congrégation générale
La Civiltà Cattolica (extraits)
Q/ Dans ce discours qui se propose de faire appel à une morale fondée sur le discernement,
quelle manière de procéder suggérez-vous dans le domaine de la morale relativement à cette
dynamique du discernement des situations morales ? Il me semble qu'il ne soit pas possible d’en
rester à une interprétation substantielle de la norme qui se limite à voir les situations
particulières comme des cas de la norme générale.
R/ Le discernement, la capacité de discerner est l'élément clé. Et je suis en train de remarquer
vraiment la carence du discernement dans la formation des prêtres. Nous risquons en effet de nous
habituer au "blanc ou noir" et à ce qui est légaliste ou légal. Nous sommes assez fermés, en
principe, au discernement. Une chose est claire : aujourd'hui dans nombre de séminaires, on
revient à instaurer une rigidité qui s'éloigne du discernement des situations. Et c'est une chose
dangereuse parce que cela peut nous conduire à une conception de la morale qui est de la
casuistique. Bien que ce soit selon des formulations diverses, c'est toujours dans le même sens. Et
cela me fait très peur.
J'ai déjà dit cela dans une réunion avec les Jésuites à Cracovie pendant la Journée Mondiale de la
Jeunesse. Là, les Jésuites m'ont demandé ce que pouvait faire la Compagnie. Et j'ai répondu que
l'une de ses tâches importantes est de former les prêtres et les séminaristes au discernement.
Ceux de ma génération, peut-être pas les plus jeunes, mais ma génération et les générations
suivantes ont été éduqués à une scolastique décadente. Nous étudiions avec des manuels de
théologie et de philosophie. C'était une scolastique décadente. Par exemple, pour spécifier le
«contenu métaphysique» – cela me fait rire quand aujourd'hui, je me le rappelle – on nous
enseignait la théorie des puncta inflata. Quand la grande scolastique commença à perdre son aura,
la remplaça cette scolastique décadente dans laquelle ma génération et les autres ont été formées.
Et cette scolastique décadente a engendré la casuistique. Chose curieuse, dans les facultés de
théologie, - habituellement, mais non pas partout,- le professeur qui enseignait la matière du
Sacrement de la Pénitence était le même que celui qui enseignait la morale sacramentelle. Tout le
domaine de la morale se résumait au «on peut ou on ne peut pas», «jusque ici, oui, jusque-là, non».
Dans un examen ad audiendas, un de mes compagnons auquel fut posée une question assez
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compliquée répondit avec beaucoup de simplicité : «Mais mon père, s'il vous plaît, dans la réalité,
cette chose ne se produit pas». Et l'examinateur de répondre : «Mais c'est dans les livres !».
C'était donc une morale très étrangère au discernement. A cette époque, la morale de situation était
un épouvantail, un spectre. Bernard Häring a été le premier, je crois, à chercher une nouvelle voie
pour faire refleurir la théologie morale. Évidemment, de nos jours, la théologie morale a fait
beaucoup de progrès dans ses réflexions et dans sa maturité. Elle n'est plus maintenant une
casuistique.
Dans le domaine moral, il faut avancer sans tomber dans la morale de situation. Mais, d’autre
part, on voit un réveil de la grande richesse contenue dans la dimension du discernement ; et c’est
le propre de la grande scolastique. Notons que saint Thomas et saint Bonaventure affirment que les
principes généraux sont valables pour tous, mais ils le disent explicitement, dans la mesure où l'on
descend vers ce qui est particulier, la question se diversifie et se charge de nuances sans que le
principe change. Cette méthode scolastique a sa validité. C'est la méthode morale employée par le
Catéchisme de l’Église catholique. Et c'est la méthode qui a été employée dans l'exhortation
apostolique Amoris Lætita après un discernement fait par toute l’Église au cours de deux synodes.
La morale employée dans Amoris Lætitia est thomiste mais c'est la grande morale de saint Thomas
et non celle de l'auteur des puncta inflata.
Il est évident que dans le champ de la morale on doit procéder avec rigueur scientifique et avec
l'amour pour l’Église et dans le discernement. Il y a certains points de la morale sur lesquels on ne
peut avoir la lumière suffisante pour parvenir à une réflexion théologique que dans la prière. Et sur
ce point permettez-moi de répéter que l'on doit faire de la «théologie à genoux». Car on ne peut
faire de la théologie sans prier. C'est un point clé qui montre que l'on ne peut faire autrement.
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