Jérôme LAMY, Arnaud SAINT-MARTIN
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Notre ambition dans cet article est de retracer l’essor contrarié de
la sociologie historique des sciences et des techniques (SHST).
On pourrait procéder de différentes façons pour introduire cette
tradition intellectuelle souterraine. Par exemple, à la manière des
manuels et autres
readers
, on privilégierait le commentaire de
recherches jugées incontournables, afin de faire apparaître leur
mode opératoire, les points de convergence d’un certain dis-
cours, d’une structure cognitive, puis de les mettre en série
d’après une trame épistémologique cohérente. D’une autre façon,
qui serait celle de l’histoire disciplinaire, on n’envisagerait plus
cette fois seulement les idées, les concepts ou les méthodes dans
l’indifférence de leur contexte historique d’élaboration : il s’agi-
rait bien plutôt de désigner des fondateurs, des courants, des
écoles, des paradigmes, éventuellement des controverses, mais
aussi des espaces institutionnels de recherche, des revues, des
forums, etc., dans le but de saisir le processus, inséparablement
social et cognitif, par lequel une discipline s’est peu à peu affir-
mée (ou pas).
Ces deux démarches ont la vertu de l’évidence, mais elles ne
tardent pas à montrer leurs lacunes dès lors qu’elles sont appli-
quées sans discernement sur la SHST. Que cette dernière consti-
tue une discipline bien formée dont il serait possible de retracer
l’émergence et les développements n’est pas si certain. La res-
treindre à une sous-discipline, à une tradition intellectuelle
interdisciplinaire ou à quelque autre catégorie ne l’est pas plus.
Et pour cause. Il en va peut-être de sa constitution épistémolo-
gique et institutionnelle : les objets qu’elle s’est donnés, le point
de vue qui est le sien, les pratiques de recherche dont elle se
réclame, la posture faiblement disciplinaire qu’elle tend à ins-
taurer, tous ces aspects (qui ne font pas nécessairement système)
révèlent la précarité de la SHST dans l’espace des savoirs envi-
sageant les sciences et techniques. Elle est précaire, autant que
souterraine. Précaire, sinon vulnérable, d’une part, parce qu’elle
ne parvient pas à légitimer une pratique de recherche qui fasse
consensus à l’extérieur, dans les disciplines aux interstices des-
quels elle est pratiquée, c’est-à-dire l’histoire (des sciences), la
sociologie (des sciences) et les
science and technology studies
(STS). D’autre part, elle est souterraine car ce défaut d’ancrage
la rend presque invisible ou difficilement détectable, si bien que
l’idée même qu’il existerait quelque chose comme la SHST est
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