Les aberrations Dans la première fiche1 ont été définies les images données par un système centré. Les relations de position et de grandissement qui ont été données permettent de rechercher la position d'une image et de calculer sa dimension dans les conditions de Gauss, la source lumineuse étant monochromatique. Dans ces conditions les rayons considérés sont paraxiaux c'est-à-dire proches de l'axe optique et peu inclinés par rapport à celuici. Dans le cadre de cette approximation paraxiale, l'image d'un point est un point. Pour des systèmes optiques réels la lumière utilisée est le plus souvent la lumière blanche et les rayons incidents peuvent être relativement éloignés de l'axe optique et/ou fortement inclinés. Il apparaît alors certains défauts au niveau de l'image appelés aberration chromatique et aberrations géométriques. I Les aberrations chromatiques L 'aberration chromatique apparaît lorsque la source lumineuse n'est pas monochromatique. Elle est due au fait que l'indice de réfraction n d'un matériau dépend de la longueur d'onde de la lumière, c'est le phénomène bien connu de dispersion de la lumière par un prisme2. Pour un rayon incident de lumière blanche à la hauteur h de l'axe optique, une lentille mince peut être considérée comme un petit prisme d'angle au sommet  (figure 1). A h D D figure 1 La déviation due à un prisme est plus importante pour les composantes bleues. Aussi, quand une lentille mince convergente est éclairée par un faisceau parallèle de lumière blanche, le foyer de la lentille pour les composantes bleues est situé plus près de la lentille que celui pour les composantes rouges (figure 2). L'écart entre ces deux foyers dépend de la variation de l'indice n du matériau pour les deux longueurs d'onde correspondant à la lumière bleue et rouge. 1 2 Voir OPTIQUE ET PHOTONIQUE n° 4 1998 Voir OPTIQUE ET PHOTONIQUE n° 3 1999 Aberrations Page 1 Lumière bleue Lumière rouge F'b F'r figure 2 La distance focale d'une lentille mince dépend de l'indice et des mesures algébriques des rayons de courbure R1 = S1C1 et R2 = S2C2 des deux dioptres de la lentille (figure 3) : Ê 1 1 1 ˆ = (n -1) ÁÁ - ˜˜ (1) f' Ë R1 R2 ¯ R1 > 0 S1 S2 C2 C1 R 2< 0 figure 3 En général quand la longueur d'onde augmente (passage de la lumière bleue à la lumière rouge) l'indice de réfraction n diminue, par conséquent la distance focale augmente. Les différents points de focalisation correspondants aux différentes couleurs du spectre se forment à des distances plus ou moins grandes de la lentille. La distance F'bF'r mesurée pour les deux longueurs d'onde 486,1 et 656,3 nm s'appelle l'aberration chromatique longitudinale. De même si une lentille divergente est éclairée par un faisceau parallèle de lumière blanche, la déviation est plus importante pour la lumière bleue que pour la lumière rouge (figure 4). Le foyer image des composantes bleues de la lumière F'b est situé plus près de la lentille que F'r foyer image des composantes rouges de la lumière. Aberrations Page 2 F'r F'b figure 4 Si on associe une lentille convergente et une lentille divergente dont les aberrations chromatiques longitudinales sont de signe contraire mais de mêmes valeurs absolues (figure 5 a, b), les aberrations se compensent, les rayons émergents sont confondus, il n'y a plus qu'un seul foyer image F' pour l'ensemble des deux lentilles (figure 5 c). L'association de ces deux lentilles constitue un doublet achromatique si la correction est faite pour deux longueurs d'onde (une radiation bleue et une rouge). En choisissant les rayons de courbure R1 et R2 appropriés et en utilisant des verres d'indice différent, il est possible d'obtenir un tel doublet. À titre d'exemple, le doublet pourra être constitué d'une lentille convergente en crown dont l'indice est égal à 1,52238 pour la longueur d'onde 486,1 nm et 1,51432 pour la longueur d'onde 656,3 nm associée à une lentille divergente en flint dont les indices pour les deux longueurs d'onde précédentes sont respectivement 1,74648 et 1,72085. Les doublets achromatiques sont également corrigés de l'aberration sphérique qui est présenté plus loin. Aberrations Page 3 (a) F'b F'r (b) F'r F'b F' (c) figure 5 II Les aberrations géométriques Dans ce paragraphe sont présentées les aberrations géométriques dans leur ensemble, chacune des quatre aberrations est ensuite abordée séparément. Il faut bien garder à l'esprit que toutes les aberrations géométriques sont aussi entachées d'aberration chromatique. Dans le cadre de l'approximation de Gauss, des approximations du premier ordre sont faites, seul le premier terme des développements en série est retenu. Ainsi, pour le développement en série de la fonction sin q : sin q = q seul le terme q est retenu : q3 q5 q7 + +… 3! 5! 7! sin q ª q Pour des angles inférieurs à 15°, l'erreur introduite est inférieure à 1%. Si les deux premiers termes du développement sont conservés, l'écart entre la valeur de sin q et la valeur approximative au troisième ordre est inférieur à 0,3 % pour des angles de l'ordre de 40°. Avec une approximation du troisième ordre la description de la formation des images par un système optique centré quelconque est plus réaliste. Soit A' l'image d'un point A situé sur l'axe optique d'un système centré S et B un point contenu dans le plan de front P contenant A, perpendiculaire à l'axe optique et tel AB soit dirigé suivant l'axe Oy (figure 6). Dans les conditions de Gauss l'image B'G du point B est située dans le plan P' image du plan P par le système S. La dimension de l'image A'B'G est égale à : Aberrations Page 4 A'BG '= g y AB gy représentant le grandissement transversal associé au couple de plans P, P'. Compte tenu de la symétrie cylindrique d'un système centré on ne restreint en rien la généralité du problème en choisissant le point B sur l'axe Oy. En dehors des conditions de Gauss l'image constituée par l'intersection des rayons émergents issus du point B de directions peu différentes de celle du rayon BI se forme en B' située à dy' et dz' du point B'G. La distance B'B'G mesure l'aberration transversale. Les composantes dy' et dz' dépendent de la dimension y de l'objet AB et de la distance h du point I du système imageur à l'axe optique. y’ y P’ I B C’G h C’ A’ A x’ P B’ C z J z’ B’ G dy’ dz’ figure 6 Soit maintenant un point C situé dans le plan de front P, diamétralement opposé au point B par rapport au point A. Compte tenu de la symétrie cylindrique l'image du point C donnée par l'ensemble des rayons situés autour de CJ est en C' située à (-dy') et (-dz') de C'G. Du changement de signe de dy' et dz' on en déduit que les composantes dy' et dz' sont des fonctions impaires de y et h, leur développement en série ne contiennent que des termes de degré impair. Les termes du premier ordre du développement donnent la position de l'image de Gauss, les termes du 3ème ordre positionnent l'image par rapport à l'image paraxiale. Ces derniers mesurent les aberrations géométriques. • Le terme en h3 caractérise l'aberration sphérique. C'est une aberration d'ouverture du système imageur. • Le terme en y' 3 caractérise la distorsion. Cest une aberration de champ. • Le terme en h2 y' caractérise la coma. C'est une aberration d'ouverture et de champ, l'aberration d'ouverture étant plus importante que l'aberration de champ. • Le terme en hy' 2 caractérise l'aberration d'astigmatisme et de courbure. L'aberration de champ étant plus importante que l'aberration d'ouverture. Dans les paragraphes suivants sont décrits de façon qualitative les quatre aberrations géométriques, pour simplifier le système optique est réduit à une lentille mince. II.1 Aberration sphérique C'est une aberration d'ouverture qui peut être expliquée simplement si on considère qu'une lentille mince est constituée d'une succession de petits prismes d'angles au sommet de plus en plus faible au fur et à mesure que l'on se déplace de l'extrémité de la lentille vers son centre optique (figure 7). Or la déviation d'un rayon lumineux par un prisme d'indice n, de faible angle au sommet A est proportionnelle à A : D = (n - 1)A Aberrations Page 5 D figure 7 Par conséquent les rayons marginaux sont plus déviés et convergent plus que les rayons paraxiaux. Les premiers convergent en un point F'm appelé foyer marginal et les seconds en un point F'p appelé foyer paraxial (figure 8). La longueur F'mF'p s'appelle l'aberration sphérique longitudinale. Tous les rayons situés à une distance h de l'axe optique de la lentille vont converger en un même point F'h situé entre F'm et F'p. Il y a accumulation de lumière sur une surface de révolution composée de deux caustiques : la caustique axiale F'mF'p et la caustique tangentielle ou sagittale en forme de flèche . Caustique tangentielle Caustique axiale F'p F'm (2) (4) (1) (3) • Cercle de moindre diffusion figure 8 L'image du point objet A situé à l'infini sur l'axe n'est pas un point mais une tache de diffusion circulaire dont l'aspect dépend de la position de l'écran E. La figure 8 illustre ces différents aspects, sur la figure les zones rouge et verte correspondent aux zones les plus lumineuses. Le rayon de la tache de diffusion au niveau du plan focal paraxial position (1) s'appelle l'aberration sphérique transversale. Quand l'écran est situé en position (3) le diamètre de la tache de diffusion est minimum, celle-ci porte le nom de cercle de moindre diffusion. Pour s'affranchir de l'aberration sphérique il faudrait usiner des lentilles dont la forme des surfaces compensent le fait que sin q n'est pas égal à q sauf pour un angle de 0°, mais la réalisation de surfaces asphériques est très complexe et par conséquent onéreuse. Aussi, pour minimiser cette aberration on se contente de choisir les rayons de courbure des dioptres constituant la lentille de telle façon que l'aberration soit minimale. Aberrations Page 6 La distance focale d'une lentille mince ne dépendant que de la différence algébrique de l'inverse des rayons de courbure (relation (1)), il y a une infinité de manières de choisir ce couple de rayons pour obtenir une distance focale donnée. Ainsi, pour le couple objet à l'infini et l'image dans le plan focal, la figure 9 donne un exemple de la valeur de l'aberration sphérique longitudinale en fonction du facteur de forme q défini de la façon suivante : R + R2 q= 1 R2 - R1 où R1 et R2 représentent les mesures algébriques des rayons de courbure de la lentille. L'aberration est minimale quand le facteur de forme q est sensiblement égal à 0,7 c'est à dire quand R2 = - 6R1. Aberrations en millimètres Aberration sphérique longitudinale 5 4 3 Aberration sphérique transversale 2 1 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 q figure 9 Le facteur de forme q optimal dépend du couple de plans conjugués considérés. Ainsi, pour le couple de plans conjugués situés à la position 2f-2f' l'aberration sphérique est minimale lorsque la lentille est symétrique. Pour une lentille divergente les rayons marginaux sont eux aussi, plus déviés que les rayons paraxiaux. Pour une lentille convergente F'mF'p est positif tandis que F'mF'p est négatif pour une lentille divergente. Par conséquent pour corriger l'aberration sphérique d'une lentille on réalise comme pour l'aberration chromatique, un doublet en associant une lentille convergente avec une lentille divergente. Les rayons de courbure et les indices des matériaux du doublet sont choisis de telle sorte que les aberrations des deux lentilles convergente et divergente se compensent exactement. La réalisation d'un doublet permet, si les indices et les rayons de courbure sont judicieusement choisis, de corriger simultanément l'aberration chromatique et sphérique. II.2 Coma C'est une aberration d'ouverture à faible champ. Pour illustrer le phénomène on considère un masque constitué d'un écran opaque percé de deux petits trous diamétralement opposé, placé contre le système optique (figure 10). Dans le plan image on observe un point de convergence bien défini pour différentes positions angulaires du masque mais la position du point image dépend des différentes positions angulaires du masque. Aberrations Page 7 1 1 1 4 1 2 1 4 2 3 a) Plan objet 3 1 3 2 4 b) Masque c) Plan image 60° Masque a Masque b Masque c a) Plan objet a b c e) Plan image d) Masques annulaires figure 10 Le point 1 dans le plan image (figure 10c) est obtenu avec le masque en position 1 (figure 10b). Une rotation du masque pour amener les deux trous en position 2 fait passer le point de focalisation en 2 et ainsi de suite. Par conséquent, une ouverture de forme annulaire (figure 10d) donne de la lumière répartie sur un cercle dont le diamètre dépend du rayon de l'anneau (figure 10e). Au niveau du plan image, le cercle de plus grand diamètre est obtenu avec le masque annulaire de plus grand diamètre. Lorsque ce masque est enlevé, une image ayant la forme d'une comète (d'où le nom de " coma " donné à ce type d'aberration) est obtenue par la superposition des différents cercles a,b,c... Un système corrigé de la coma mais non corrigé des aberrations sphériques est appelé isoplanétique. Un système optique corrigé de l'aberration sphérique et de la coma est dit aplanétique. Il permet d'obtenir pour des objets transversaux de petites dimensions de bonnes images même pour des rayons fortement inclinés par rapport à l'axe optique. Typiquement un objectif de microscope est aplanétique. Un objectif corrigé de l'aberration chromatique pour trois longueurs d'onde, de l'aberration sphérique et de la coma est apochromatique. II.3 Astigmatisme L'astigmatisme est une aberration de champ. Pour faciliter la description du phénomène deux plans particuliers sont définis ainsi qu'un rayon spécifique. Le plan contenant l'axe optique et le point objet B éloigné de Aberrations Page 8 l'axe optique s'appelle le plan tangentiel (figure 11). Le rayon issu de l'objet passant par le centre de la lentille est appelé rayon principal. Le plan perpendiculaire au plan tangentiel qui contient le rayon principal s'appelle le plan sagittal. Le phénomène d'astigmatisme provient du fait que les rayons contenus dans le plan tangentiel ne convergent pas à la même distance du système optique que les rayons contenus dans le plan sagittal. Dans notre cas de figure, si l'écran est positionné au niveau de l'image sagittale, l'image du point B apparaît comme une ellipse très fortement aplatie de grand axe contenu dans le plan tangentiel. Si l'écran est positionné au niveau de l'image tangentielle, l'image du point B est une ellipse de grand axe contenu dans le plan sagittal. La distance entre ces deux images s'appelle la distance d'astigmatisme. Elle dépend fortement des couples de plans conjugués considérés et de la distance du point B à l'axe. Au niveau d'un plan situé à peu près à mi-distance entre les images tangentielle et sagittale, l'image B' est un cercle appelé cercle de moindre diffusion ; c'est la meilleure image que l'on puisse obtenir. Image tangentielle Image sagittale Plan tangentiel Plan sagittal B figure 11 L'astigmatisme se rencontre aussi quand les dioptres des lentilles ne sont pas sphériques mais ellipsoïdaux. L'astigmatisme est très fréquent dans le cas de l'œil. Le défaut est alors corrigé par des verres eux-mêmes astigmates. II.4 Courbure de champ C'est une aberration de champ qui provient du fait que l'image d'un objet plan de grande dimension se forme sur une surface paraboloïdale et non sur un plan (figure 12). L'écart dx' varie comme la dimension au carré de l'objet : y2. L'objectif d'un microscope ne sera en général pas corrigé de la courbure de champ lors d'une observation visuelle car l'expérimentateur peut facilement ajuster la distance de mise au point pour une observation au bord du champ. Par contre pour réaliser de la microphotographie l'objectif aplanétique devra être corriger aussi de la courbure de champ. Ces objectif sont dits plans. Aberrations Page 9 Pour une lentille convergente le rayon de courbure de la surface paraboloïdale est négatif ; pour une lentille divergente le rayon de courbure de la surface paraboloïdale est positif. Ici encore, pour corriger cette aberration, on associe lentilles convergentes et divergentes. Surface image dx’ figure 12 II.5 Distorsion Ici la qualité de l'image n'est en rien altérée, l'image d'un point reste ponctuelle. L'effet de la distorsion est une déformation de l'image, de sorte qu'un objet carré apparaît dans l'image sous la forme d'un coussinet ou d'un barillet (figure 13). Tout se passe comme si le grandissement dépendait de la distance du point objet à l'axe optique. Objet Barillet (a) Coussinet (b) figure 13 La correction de ce défaut se fait par une répartition correcte des puissances dioptriques autour d'un diaphragme. Ainsi, pour annuler la distorsion, on peut utiliser deux doublets avec un diaphragme placé entre eux. III Quelles corrections apporter ? Il est très difficile de corriger un système optique de toutes les aberrations. Il faut privilégier certaines corrections par rapport à d'autres suivant les applications pour lesquelles le système est utilisé (tableau 1). L'objectif d'une lunette astronomique par exemple, devra être corrigé de l'aberration chromatique, l'aberration sphérique et la coma plutôt que pour l'aberration d'astigmatisme puisque le champ de vision angulaire de la lunette est petit. Par contre, un appareil photographique avec un champ de vision large devra nécessairement être corrigé non seulement des aberrations d'ouverture mais aussi de l'astigmatisme et la courbure de champ. De ce fait, les calculs des Aberrations Page 10 combinaisons optiques d'un objectif d'appareil photographique sont particulièrement complexes. Télescope Microscope • Aberration sphérique • Coma • Aberration sphérique • Coma • Courbure de champ (microphotographie) Appareil photographique (grand champ) • Aberration sphérique • Coma • Astigmatisme • Courbure de champ Type principal d'aberration • Ouverture • Champ tableau 1 Bibliographie [1] L. DETTWILLER Les instruments d'optique, ellipses, 1997, ISBN 2-7298-5701-X [2] A. MARECHAL Cours d'optique instrumental, Institut d'optique théorique et instrumental [3] J. SURREL Optique instrumentale - Optique de Fourier, Ellipses,1996, ISBN 2-7298-9609-0 [4] N. VANSTEENKISTE-WESTBROOK Optique instrumentale, les éditions de physique, collection de la SFO, 282-2 ISBN 2-86883- [5] R. GEYL "Le calcul des combinaisons", Systèmes optiques, Institut d'étude scientifiques de Cargèse, les éditions de physique, 145-185, 1991 Joëlle Surrel Université Jean Monnet IUT Saint-Étienne [email protected] Article paru dans la revue de la Société française d’Optique (http://www.franceoptique.org/) : « Optique et Phonique » n°4 – 1999. Revue dont « Photoniques » (http://www.france-optique.org/revue.html) a pris la suite en janvier 2001. Aberrations Page 11